- Speaker #0
Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Une fois par mois, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature, pour faire entendre sa voix et comment elle résonne dans notre société. Rôles Titres, c'est aussi un compte Instagram et une newsletter pour encore plus de contenu autour de ces héroïnes inspirantes. Alors pensez à vous abonner pour ne rien manquer, et c'est parti pour l'épisode. A bientôt !
- Speaker #1
Aimer,
- Speaker #0
c'est instinctif et naturel, n'est-ce pas ? Pourtant, certains semblent plus doués que d'autres. Alors est-ce que ça s'apprend ? Même passé un certain âge ? Armande, qui n'a pas 20 ans, semble avoir fait une croix dessus. Pour tous les réfractaires à l'amour, Molière nous raconte l'histoire tragique de cette héroïne dans une comédie, Les femmes savantes. C'est l'histoire de deux sœurs qu'il est temps de marier, Armande et Henriette. Mais les projets de mariage vont être contrariés. Au milieu des non-dits et de l'hypocrisie familiale, tout finira bien pour le couple amoureux d'Henriette et Clitande. Mais pas pour Armande, qui verra impuissante sa propre sœur épouser son premier amour. À travers le destin d'Armande, c'est la question de l'éducation de toutes les femmes qui est posée. Une éducation qui ne pouvait plus être laissée aux mains des hommes et que certaines ont prise en main pour le meilleur. Et pour le pire, vous écoutez rôle-titre épisode 3, Armande, théorie sentimentale et travaux pratiques. Armande. Armande. Quel beau rôle que celui d'Armande qui a le mauvais rôle. Dans la famille où Molière nous emmène, elle est la sœur aînée. Armande ne jure que par une chose, la philosophie. À de plus hauts objets,
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élevez vos désirs.
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Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs. Et traitant de mépris les sens et la matière, à l'esprit comme nous,
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donnez-vous tout entière.
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Sa petite sœur, Henriette, ne l'entend pas de cette oreille. Armande est arrogante et méprise ceux qui ne sont pas de son avis. Sa sœur en fait les frais dès la première scène. Que vous jouez au monde un petit personnage de vous claquemurer aux choses du ménage et de n'entrevoir point de plaisir plus touchant qu'une idole d'époux et des marmots d'enfants.
- Speaker #1
Et doucement ma sœur !
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Ce n'est pas une simple rivalité entre sœurs. Armande affiche une supériorité avec tout son entourage, et particulièrement là où elle se considère experte, comme en littérature. Nous serons par nos lois les juges des ouvrages, par nos lois prose et vers, tout nous sera soumis. Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis. Nous chercherons partout à trouver à redire et ne verrons que nous qui sache bien écrire. Armande est imposante et éloquente. C'est une jeune femme qui annonce son jeu très clairement. L'étude, la science, les grandes théories, c'est oui. le mariage avoir des enfants le sexe ne concevez vous point ce que dès qu'on l'entend un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant c'est non Une femme savante, assez antipathique au premier abord, donc.
- Speaker #2
Elle mérite assez une telle franchise. Et toutes les hauteurs de sa folle fierté sont dignes tout au moins de ma sincérité.
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Elle passe sûrement ses journées à lire, seule, ou dans des salons littéraires avec d'autres intellectuels. On ne connaît pas d'amis à Armande, et elle n'a pas l'air de beaucoup sortir de la maison. Ses conversations de femmes instruites, elle les a surtout en famille. Avec sa mère, Philamente, une femme intelligente.
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Mais vous êtes en femme déraisonnable.
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Mais impitoyable.
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C'est elle qui gouverne. Et d'un ton absolu, elle dicte pour loi ce qu'elle a résolu.
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Ou encore avec sa tante, Bélise.
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J'aime la poésie avec entêtement. Et surtout quand les vers s'entendent également.
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Mais cette dernière est franchement fêlée du bocal.
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Vraiment, chimères et fort beau, je me réjouis fort de chimères. Mes frères, je ne savais pas que j'eusse des chimères.
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Armande est donc surtout une femme isolée et qui trompe l'ennui comme elle peut, avec les leçons de sa mère plutôt qu'avec des rêves de prince charmant.
- Speaker #1
La beauté du visage est un frais lornement, une fleur passagère, un éclat d'un moment, et qui n'est attachée qu'à la simple épiderme, mais celle de l'esprit est inhérente et ferme. J'ai donc cherché longtemps un biais, de vous donner la beauté que les ans ne peuvent moissonner, de faire entrer chez vous le désir des sciences, de vous insinuer les belles connaissances.
- Speaker #0
Ainsi, Armande est belle et froide. Froide dans ses calculs et avec les autres, y compris ses prétendants comme Clitendre.
- Speaker #2
Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle, mais vos yeux n'ont pas cru leur conquête à ces belles. J'ai souffert sous leurs joues sans mépris différent. Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans.
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Pourtant, par moments, la chaleur d'Armande se manifeste. Quand elle se met en colère, Je vous trouve plaisant de vous le figurer,
- Speaker #1
et bien impertinent de me le déclarer.
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quand elle laisse entendre qu'elle ne rejette pas tout dans l'amour des hommes. Et l'on peut,
- Speaker #1
pour époux,
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refuser un mérite que, pour adorateur, on veut bien à sa suite. Quand elle est touchée au cœur. Armande, une beauté froide mais pas frigide. Ce qu'on retient souvent du personnage d'Armande, c'est que c'est une femme malhonnête, prise à son propre piège et bien punie de sa vanité.
- Speaker #2
Vous avez bien voulu les choses de la sorte.
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Concrètement, Armande a laissé passer sa chance. Clitandre était son prétendant et il lui a fait la cour pendant deux ans.
- Speaker #2
Il n'est soins empressés, devoirs, respect, services, dont il ne vous ait fait d'amoureux sacrifices.
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Mais comme Armande a toujours rejeté l'idée du mariage, Clitendre s'est finalement tourné vers la sœur cadette, Henriette, et il est bien résolu à l'épouser.
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Je me suis cherché, lassé de tant de peine, des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes.
- Speaker #0
Furieuse, Armande voudra empêcher leur mariage à tout prix, quitte à comploter avec sa mère et à mentir sur Clitendre. Armande serait donc un personnage au service de la morale de l'histoire. Soyez vertueux, galants, et surtout mesurés comme Henriette et Clitendre, et alors vous verrez vos voeux exaucés. Mais suivez l'exemple d'Armande. et vous finirez toute seule en vieille fille dépitée. Quel réjouissant programme ! Sauf que Molière nous a habitués à des clés de lecture un peu plus complexes. Je ne pense pas que les femmes savantes continueraient d'être autant jouées si la pièce se résumait à une apologie du mariage. Armande n'est pas responsable de tout ce qui lui arrive, et surtout, elle a des vérités à défendre. Les femmes savantes, c'est une pièce sur l'éducation des femmes. Et par éducation, il faut comprendre l'éducation intellectuelle, l'instruction, mais aussi l'éducation sentimentale et sexuelle. Commençons par l'instruction. En parallèle de l'intrigue amoureuse entre Armande, Henriette et Clitendre, Molière fait la critique des faux savants, de ceux qui se prétendent érudits, mais qui en fait ne savent rien du tout. Les personnages de Trissotin et de Vadius sont des imposteurs et des plagieurs. Philaminte et Bélise, elles, ont une conception de l'astrophysique assez particulière.
- Speaker #1
Pour moi, sans me flatter, j'en ai déjà fait une. Et j'ai vu clairement des hommes dans la lune. Je n'ai pas encore vu d'hommes comme je crois, mais j'ai vu des clochers.
- Speaker #0
De ce point de vue-là, Armande semble tout à fait intelligente. En tout cas, Molière ne lui fait pas dire d'énormité comparée aux autres. Mais son éducation est incomplète. Le savoir théorique qu'elle est en train d'acquérir ne lui sert à rien, car elle est totalement déconnectée des réalités. Armande est complètement prude et bien ignorante pour une savante. En matière d'éducation sexuelle, c'est le néant absolu. Armande voudrait tout savoir, justement. Au moins autant que les hommes. Coïncidence, son prénom signifie homme fort C'est peut-être pour cela qu'elle veut les défier. En tout cas, c'est ce que sa mère l'encourage à faire.
- Speaker #1
Je me sens un étrange dépit du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit. Et je veux nous venger, tout autant que nous sommes, de cette indigne classe où nous rangent les hommes, de borner nos talents à des futilités et nous fermer la porte aux sublimes clartés.
- Speaker #0
En réalité, c'est un savoir bien réducteur qui est proposé à Armande en tant que femme. Certaines portes lui restent bien fermées et ça arrange tout le monde. Armande, ses parents. et la société. L'instruction donne plus de liberté à Armande que si elle restait ignare, mais elle n'est pas suffisante pour être aussi libre qu'un homme. En matière d'éducation amoureuse et sexuelle, Armande fait face à une grande inconnue. Naturellement, elle a peur. Elle est terrorisée même. Ça la rend fragile et vraie. Vous ne pouvez aimer que d'une amour grossière, qu'avec tout l'attirail des nœuds de la matière. Et pour nourrir les feux que chez vous on produit, il faut un mariage et tout ce qui s'ensuit. Ah, quel étrange amour ! Armande n'est pas fantasque comme sa tante. Elle raisonne très bien. C'est sa peur qui lui fait perdre pied. Henriette a raison quand elle dit qu'Armande n'a pas les pieds sur terre.
- Speaker #1
Et tout esprit n'est pas composé d'une étoffe qui se trouve taillée à faire un philosophe. Si le vôtre est né propre aux élévations où montent des savants les spéculations, le mien est fait... Ma sœur pourra aller terre à terre et dans les petits soins à son faible se resserre.
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Armande n'est pas terre à terre, c'est vrai. Elle est montée tout en haut du plongeoir et elle ne veut pas sauter. Elle est vertigineuse. Armand est un rôle qu'on a encore besoin de raconter aujourd'hui, car c'est un personnage en grand déséquilibre. Armand est persuadé qu'en se dissociant de son corps et de son désir, et de celui des hommes du même coup, elle accédera à une vie supérieure. C'est ce qu'on lui a appris.
- Speaker #1
Le corps avec l'esprit fait figure, mon frère. Mais si vous en croyez tout le monde savant, l'esprit doit, sur le corps, rendre le pas devant. Et notre plus grand soin, notre première instance, doit être le nourrir du sucre de la science.
- Speaker #0
En réalité, elle s'ampute d'une partie d'elle-même. Et cela ne peut mener qu'à une demi-vie, une vie incomplète. Ce qu'on peut concéder à Armande, c'est que le choix d'aimer dépend de l'idée qu'on se fait de l'amour. Or, dans sa famille, quelle image lui en a-t-on donné ? D'un côté, un amour idéalisé, pur, parfait, sans aspérité, qu'elle va choisir mais qui n'est qu'un mirage. Et de l'autre, l'amour physique, indissociable à l'époque d'un mariage rarement consenti, d'une mise sous la tutelle du mari, de grossesse non choisie et du risque d'y laisser la vie. Oui, moi aussi je fais des rimes maintenant. quoi le beau nom de fille est un titre ma soeur dont vous voulez quitter la charmante douceur et de vous marier vous osez faire fête ce vulgaire dessein vous peut monter en tête D'après les données qu'elle a, Armande a toutes les raisons d'être découragée. Si c'est ça être femme, alors autant rester fille. La faute à qui si Armande se retrouve dans cette position ? Est-ce qu'elle aurait lu trop d'encyclopédies ? Est-ce qu'une femme qui se plonge dans les sciences en devient froide et insensible ? Non et non pour moi, au contraire. Armande est la preuve vivante que non, elle est instruite et elle se débat avec ses sentiments. Armand ne peut renier le mariage, mais pas les sentiments amoureux puisqu'elle en a fait l'expérience. Sa connaissance empirique vient contredire sa théorie. Elle a un bug dans la matrice. C.Q.F.D. Ce n'est pas l'instruction qui empêche les femmes d'aimer. C'est une question d'éducation sentimentale.
- Speaker #1
Ce soir à la brune, nous irons, ma brune, cueillir des serments. Cette fleur sauvage qui fait des ravages dans les cœurs d'enfants. Pour toi, ma princesse, j'en ferai des tresses dans tes cheveux. Ces serments, ma belle, te rendront cruelle pour tes âmes.
- Speaker #0
Armande et moi, c'est une rencontre en plusieurs fois, mais depuis que je l'ai interprétée, elle ne m'a plus quittée. D'abord, il y a sûrement eu quelques extraits des femmes savantes étudiées au collège. Ensuite, dans ma formation de comédienne, j'ai d'abord travaillé le rôle de Bélise, si léger et amusant, un vrai bonbon.
- Speaker #1
Certes, le détour est d'esprit, je l'avoue.
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À cette occasion, j'ai eu la très belle opportunité de pouvoir rencontrer Evelyne Buil, qui est comédienne et qui a reçu le Molière de la comédienne dans un second rôle pour son interprétation de Bélise en 2017. Je me suis donc retrouvée à prendre le thé chez elle et à l'interroger sur sa vision du rôle. Je ne sais plus si je lui ai posé des questions très rationnelles et cartésiennes, mais je me rappelle que sur le pas de la porte, elle m'a dit C'est drôle quand même qu'on ne vous ait pas distribué sur le rôle d'Armande. Ça m'est resté dans un coin de la tête. Quelques mois plus tard, autre metteur en scène, autre distribution. Ça n'a pas loupé. Cette fois-ci, j'allais jouer Armande. Ça peut être déstabilisant de jouer un rôle de personnage médiocre et mauvais. Armande, ce n'est même pas un rôle de méchante qui serait puissante. C'est la grande perdante de l'histoire, point barre. On la voit sous son plus mauvais jour, elle est menteuse, jalouse, butée. Eh ben écoutez, je suis ravie que vous ayez pensé à moi pour ce rôle. Alors aujourd'hui, je n'envisage plus vraiment les rôles de faible ou de lâche comme telle. Je vois plutôt Armande comme un personnage que j'appellerais verrouillé. Et ça, montrer les verrous sur scène, c'est vraiment intéressant. Et j'accepte que ça puisse me ressembler. Armande est pleine de blocages. Ok ? Qui n'en a pas ? Armande, elle n'a pas un pète au casque comme sa tante, mais on voit bien que quelque chose coince. Des formations professionnelles obligent. Jouer Armande, c'est forcément la défendre.
- Speaker #1
j'aime les gens qui doutent les gens qui trop écoutent leur coeur se balancer j'aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer j'aime les gens qui tremblent que parfois ils ne semblent capables Même si
- Speaker #0
Les Femmes Savantes est une comédie, le rôle d'Armande est tragique. Elle a sale caractère, d'accord, mais elle a eu beaucoup à encaisser. Et elle n'a aucun soutien de sa famille, donc peu de chances de s'améliorer. Sa tante est folle, avec son père, c'est silence radio depuis un bon moment.
- Speaker #1
À votre fille aînée, on voit quelques dégoûts pour les nœuds d'hyménée, c'est une philosophe, enfin,
- Speaker #2
je ne peux n'en dire rien.
- Speaker #0
Sa relation avec sa mère est froide. Comme on l'a vu plus haut, Armande n'a reçu aucune éducation sentimentale, les questions de l'amour ne sont jamais abordées en famille. Impossible donc d'aller se confier à sa mère après un chagrin d'amour. Et elle est en constante rivalité avec sa sœur. Donc, aucune consolation possible de ce côté-là non plus. Alors évidemment, quand Clitendre quitte Armande pour Henriette, c'est l'abandon de trop et une trahison violente qui fait éclater sa colère.
- Speaker #2
Et doucement de grâce, un peu de charité, madame, ou tout au moins un peu d'honnêteté. Quel mal vous ai-je fait, et quelle est mon offense, pour armer contre moi toute votre éloquence, pour vouloir me détruire et prendre tant de soins de me rendre odieux aux gens dont j'ai besoin ? Parlez, dites d'où vient ce courroux effroyable. Je veux bien que madame en soit juge équitable.
- Speaker #0
si j'avais le courroux dont on veut m'accuser je trouverais assez de quoi l'autoriser vous en seriez trop digne et les premières flammes s'établissent des droits si sacrés sur les âmes qu'il faut perdre fortune et renoncer au jour plutôt que de brûler des feux d'un autre amour au changement de vœux nulle horreur ne s'égale et tout coeur infidèle est un monstre en morale ici armande est très claire pour quelqu'un qui a grandi dans une famille pleine de non-dits les premières flammes sont sacrées clitendre est son premier amour pas étonnant que la rupture soit insupportable Comment se fait-il que sa mère, qui est présente lors de cette scène, ne réagisse pas à sa fille qui en est rendue à lancer des appels au suicide ou au meurtre ? On ne sait pas trop si renoncer au jour s'applique à Clitendre ou à elle-même, mais on comprend le sentiment général. Philaminte choisit d'ignorer tout cela. Armand en aura la confirmation à la fin de la pièce. Ainsi donc, à leur vœu, vous me sacrifiez.
- Speaker #1
Ce ne sera point vous que je leur sacrifie. Et vous avez l'appui de la philosophie.
- Speaker #0
L'appui de la philosophie ? Quelle leçon ? Armand aurait peut-être simplement eu besoin d'une autre chanson.
- Speaker #1
C'est pas... Plus important que... Le temps, c'est de...
- Speaker #0
Allez, réhabilitons Armande. Je suis convaincue qu'elle sait aimer. Elle sait le faire, avec la poésie, avec la philosophie. Elle pourrait très bien aimer Clitandre. Mais elle veut des garanties. Je la comprends, vu le peu de preuves d'amour qu'elle a reçues de sa famille. Taisez-vous,
- Speaker #1
pérenelle !
- Speaker #0
Henriette a compris, elle, que l'amour ne s'explique pas.
- Speaker #1
Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s'excite n'est point comme l'on sait un effet du mérite. Le caprice y prend part. Et quand quelqu'un nous plaît, souvent nous avons peine à dire pourquoi c'est.
- Speaker #0
Armande veut prouver l'amour avant de l'éprouver. C'est froid, c'est calculé et tellement plus rassurant pour elle. Il y a un proverbe qui m'a attachée à Armande et que je ne connaissais pas avant de travailler le rôle. C'est le proverbe Aux mains froides, les cœurs chauds Il me donne un peu d'espoir pour Armande. Un personnage de glace, en surface comme en profondeur, c'est-à-dire qui ne ressent rien, a peu de relief. Alors qu'en partant du postulat qu'Armande a un cœur chaud, On peut se demander comment elle aime. Et ça me semble un meilleur chemin pour la comprendre. La fin de la pièce est ouverte. On sait qu'Armande ne finira pas avec Lytendre. Mais pour la suite de sa vie, on ne sait pas. C'est ce point d'interrogation finale qui m'empêche de la lâcher. Pour cette dernière partie, je rapproche Armande de notre siècle. Est-ce toujours pertinent de raconter ce personnage alors que les femmes accèdent à la connaissance et à la sexualité bien plus facilement qu'au XVIIe siècle ? Je dirais que les peurs et les blocages des jeunes femmes se sont déplacées, mais qu'ils sont toujours là. Et que la question de l'éducation des femmes reste toujours liée à leur émancipation. Une femme a plusieurs moyens de s'émanciper. En s'instruisant par la connaissance, en étant libre sexuellement, ou pourquoi pas s'émanciper par le mariage, si cela lui permet de prendre en main sa vie d'adulte. Aujourd'hui, avec la contraception et la normalisation des relations sexuelles hors mariage, une Armande moderne serait sûrement moins prude. Masha Makeyev a mis en scène les femmes savantes en transposant la pièce dans les années 70. Et ça fonctionne très bien. Les névroses familiales n'ont pas d'époque. J'imagine très bien Armande et Henriette, toutes les deux inscrites au MLF, escandant mon corps m'appartient Sauf que Henriette partirait expérimenter Woodstock, tandis qu'Armande, comme ses manifestantes de 1971, nous dirait tout le mal qu'elle pense du mariage. Allons encore plus proche de nous. Armand, en 2023, me ferait plutôt penser à ces jeunes femmes hyper indépendantes, qui voyagent seules, qui ont un business ou une carrière prestigieuse, et qui disent ne pas vouloir s'encombrer d'un homme. Elles peuvent se targuer d'avoir réussi seules. Mais parmi elles... Combien se sont toujours débrouillées toutes seules, depuis l'enfance, parce qu'elles n'avaient pas le choix ? Est-ce qu'il ne reste pas là un peu du dépit et de la colère d'Armande de n'avoir pu compter sur personne ? Si c'est une indépendance de survie, plutôt que réellement choisie, comment faire confiance après ça, et sortir de l'amour en solitaire ?
- Speaker #1
Je mets les voiles, les solos, je prends l'eau, des matelots. Oh, tu m'as enterré, tu m'as emprunté, moi, tu t'es emprunté, mon père, mon père, mon père, je te remercie, les âmes, l'amour, solitaire.
- Speaker #0
Au XVIIe siècle, on disait à une jeune femme d'à peine 20 ans Il n'est plus temps,
- Speaker #1
madame
- Speaker #0
En 2023, ça n'a pas tellement changé. Cette limite est toujours là. Et l'Armande qui sommeille en nous la ressent bien. Ce n'est plus une limite sociale, liée au fait de devoir être mariée ou mère à un certain âge, mais une limite vis-à-vis de l'autre qui est en face de nous. Il y a bien un tempo pour s'engager avec l'autre. Après quoi, il est trop tard.
- Speaker #1
Nous allons mourir demain, ne dites plus rien, le bonheur que je garde restera de là, les attaques de cœur. Laissez-vous aller, le temps d'un baiser, j'avais voulu.
- Speaker #0
Armand est un rôle plein de fougue et elle a de très bonnes raisons de rejeter le mariage. Mais j'ai besoin d'autres héroïnes pour ne pas jeter l'amour avec l'eau du bain. L'amour n'est pas conditionné à un concept de couple ou de mariage, mais il est conditionné à un engagement mutuel qui n'offre aucune garantie. Et ça, n'en déplaise à Armande ? Ça fait des siècles que ça dure.
