- Speaker #0
Bienvenue pour cette nouvelle analyse. On sait que le parcours d'un médicament, depuis l'idée de départ jusqu'à son arrivée chez le patient, c'est rarement une ligne droite, hein ?
- Speaker #1
Ah non, loin de là. C'est souvent plein de détours.
- Speaker #0
On pense au sildénaphile, le fameux Viagra, qui au départ, c'était pour l'angine de poitrine.
- Speaker #1
Exactement. Ou l'aspirine. L'usage qu'on en fait aujourd'hui, c'est plus vraiment celui des débuts contre la douleur ou la fièvre.
- Speaker #0
Tout à fait. Aujourd'hui, on va explorer ces chemins un peu inattendus qui mènent à de nouvelles thérapies.
- Speaker #1
Oui, on va parler de sérendipité, ces découvertes faites un peu par hasard, et aussi de repositionnement de médicaments qui existent déjà. On va voir comment tout ça interagit avec le cadre réglementaire.
- Speaker #0
Pour ça, on s'est penché sur pas mal de documents différents. Il y a un cas clinique sur un médicament, la mentadine. Oui. Des articles plus généraux, des thèses universitaires sur le repositionnement sur une classe de médicaments, les glyphosines.
- Speaker #1
C'est ça, les antidiabétiques dont on va reparler.
- Speaker #0
Des articles de revues médicales, scientifiques et puis des infos sur les règles en France et en Europe.
- Speaker #1
Notre idée c'est de comprendre un peu comment ces parcours, parfois un peu biscornus, façonnent la médecine, l'innovation et puis finalement l'accès aux soins pour les patients.
- Speaker #0
Alors commençons par la sérendipité. Ce mot un peu savant pour dire l'art de trouver quelque chose d'important par hasard alors qu'on cherchait autre chose.
- Speaker #1
C'est exactement ça. Et les exemples classiques, tout le monde les connaît un peu. La pénicilline de Fleming.
- Speaker #0
Oui, bien sûr.
- Speaker #1
L'insuline découverte par Banting et Best. Des hasards heureux qui ont changé la médecine. Mais il y en a d'autres, peut-être moins connus du grand public, mais tout aussi fondamentaux. Le cisplatine, par exemple. Ah oui ! C'est un anticancéreux majeur. Sa découverte, elle vient des expériences d'un chercheur, Barnett Rosenberg. Il étudiait des bactéries dans un champ électrique et il a remarqué un truc bizarre, elles arrêtaient de se diviser près des électrodes en platine.
- Speaker #0
Incroyable ! Une simple observation !
- Speaker #1
Voilà, une observation fortuite, au départ sans rapport avec le cancer, qui a mené à un traitement essentiel pour certains types de tumeurs.
- Speaker #0
C'est fou, comme une petite observation peut avoir des conséquences énormes. On a cité le sildénaphile tout à l'heure. Oui. L'effet sur la dysfonction érectile, c'était un effet secondaire inattendu pendant les essais pour l'angine de poitrine.
- Speaker #1
Exactement. Et le minoxydil, pareil, c'était un médicament contre l'hypertension. Et on s'est rendu compte qu'il faisait repousser les cheveux. Du coup, il est devenu un traitement contre la calvitie.
- Speaker #0
L'aspirine aussi, vous disiez, c'est un cas d'école.
- Speaker #1
Ah oui, l'aspirine, ou acide acétylsalicylique, au départ, antidouleur, antifièvre, anti-inflammatoire. Oui. Et puis, un médecin américain, le docteur Craven, dans les années 50, remarque que ces patients sous aspirine saignent plus facilement. D'accord. À partir de là, on a compris son action sur les plaquettes sanguines. Et elle a été repositionnée comme anti-agrégant plaquettaire à faible dose pour prévenir les infarctus, les AVC. Et aujourd'hui, on étudie même son potentiel en cancérologie.
- Speaker #0
C'est une longue carrière pour une molécule.
- Speaker #1
Effectivement.
- Speaker #0
Et le propranolol, ça aussi, c'est une histoire étonnante, non ?
- Speaker #1
Oui, le propranolol, c'est un bêta bloquant. Il était utilisé chez un nourrisson qui avait un problème cardiaque. Et là, surprise, un hémangiome infantile, une sorte de tâche de naissance vasculaire assez grave, a régressé de façon spectaculaire.
- Speaker #0
Ah oui !
- Speaker #1
Du coup, c'est devenu le traitement de référence pour ces hémangiomes. Encore une fois, un effet totalement inattendu.
- Speaker #0
Toutes ces histoires illustrent bien la sérendipité. Et ça nous amène assez naturellement à l'autre concept clé, le repositionnement.
- Speaker #1
C'est ça, le repositionnement ou réaffectation. L'idée, c'est de trouver de nouvelles utilisations, de nouvelles indications pour des médicaments qui existent déjà.
- Speaker #0
Qui soient déjà sur le marché ou même en cours de développement, voire des médicaments qui avaient échoué pour leur première indication.
- Speaker #1
Exactement. On réévalue le potentiel de molécules connues.
- Speaker #0
Et quels sont les avantages ? Parce qu'on imagine que développer une toute nouvelle molécule, c'est un peu la voie royale, non ? Pourquoi c'est tourné vers de l'ancien ?
- Speaker #1
Les avantages sont assez énormes en fait et c'est pour ça que le repositionnement est en plein essor. D'abord, c'est beaucoup plus rapide.
- Speaker #0
Ah oui.
- Speaker #1
Oui, on parle de 3 à 12 ans pour un repositionnement réussi, contre 10 à 15 ans, voire plus, pour une nouvelle molécule partie de zéro.
- Speaker #0
D'accord, le bien de temps est considérable.
- Speaker #1
Énorme. Et le coût aussi. Développer une nouvelle molécule, ça coûte en moyenne plus de 2 milliards d'euros aujourd'hui. Pour un repositionnement, on est plutôt autour de 300 millions d'euros.
- Speaker #0
Ah oui, quand même, la différence est énorme.
- Speaker #1
Et puis, il y a le taux de succès. Le développement d'un nouveau médicament, c'est très risqué. Moins de 10% des molécules qui entrent en essai clinique finissent par être approuvées. Pour le repositionnement, comme on part d'une molécule dont on connaît déjà bien le profil de sécurité et les effets secondaires potentiels, le taux de succès est bien plus élevé. On parle de 30 à 75% selon les études.
- Speaker #0
D'accord. Moins de risques, moins cher, plus rapide, ça semble presque trop beau. Comment on fait pour identifier ces nouvelles pistes CA ? J'imagine qu'on ne teste pas toutes les vieilles molécules sur toutes les maladies au hasard ?
- Speaker #1
Non, bien sûr. Il y a des stratégies. D'abord, les approches qu'on appelle computationnelles. On utilise des ordinateurs, l'intelligence artificielle, pour analyser des normes bases de données médicales, biologiques, chimiques.
- Speaker #0
Du big data en quelque sorte ?
- Speaker #1
C'est ça. Pour essayer de prédire de nouvelles interactions entre un médicament et une cible dans le corps, ou pour trouver des similarités entre les mécanismes de différentes maladies qui pourraient être traitées par le même médicament.
- Speaker #0
Intéressant. Et à part l'ordinateur ?
- Speaker #1
Il y a les approches expérimentales. Le triblage à haut débit, par exemple. On prend des milliers de molécules connues et on les teste systématiquement sur des modèles de maladies, in vitro ou sur des cellules, pour voir s'il y a un effet inattendu.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et très souvent, on combine les deux approches. Et puis, il y a beaucoup de collaboration entre les labos publics, les universités et l'industrie pharmaceutique pour partager les expertises et les ressources. C'est un domaine très collaboratif.
- Speaker #0
Et on a d'autres exemples célèbres de médicaments repositionnés.
- Speaker #1
Ah oui, il y en a pas mal. La thalidomide.
- Speaker #0
Ah, le médicament tristement célèbre.
- Speaker #1
Oui, pour la tragédie des malformations dans les années 60. Eh bien, des décennies plus tard, on a découvert qu'elle était très efficace contre certaines formes de lèpre et aussi contre le myélomultiple, un cancer du sang. Elle a été repositionnée avec des conditions d'utilisation très strictes, évidemment. Il y a aussi la galantamine. C'est un composé qui vient d'une plante, le personege. On l'utilise maintenant dans la maladie d'Alzheimer.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et puis, la mentadine dont on a parlé un peu au départ, c'était un antiviral contre la grippe A. Et puis, une patiente qui prenait ce médicament pour la grippe a vu ses symptômes de maladie de Parkinson s'améliorer de façon inattendue.
- Speaker #0
Ah, encore un hasard ?
- Speaker #1
Encore un hasard, oui. Du coup, la mentadine est devenue un traitement d'appoint pour Parkinson.
- Speaker #0
C'est fascinant ce recyclage intelligent de molécules. Mais alors, une question se pose. Comment ces nouvelles utilisations, parfois trouvées un peu par hasard, s'intègrent dans le système très réglementé du médicament. Je pense à l'autorisation de mise sur le marché, la fameuse AMM.
- Speaker #1
Oui, l'AMM, c'est vraiment la pierre angulaire. Son but, c'est de garantir trois choses. La qualité pharmaceutique du produit, son efficacité pour une indication bien précise et sa sécurité d'emploi.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
L'AMM est donnée si le rapport entre les bénéfices attendus et les risques potentiels est jugé favorable, après l'analyse d'un dossier très complet par les agences sanitaires.
- Speaker #0
Mais alors... Alors, qu'est-ce qui se passe quand un médecin utilise un médicament pour autre chose que ce qui est écrit sur l'AMM ? C'est ça l'usage hors AMM ?
- Speaker #1
Exactement. Il faut bien faire la distinction. L'usage hors AMM, ça concerne un médicament qui a déjà une AMM pour une indication, mais que le médecin décide de prescrire pour une autre maladie, ou à une dose différente, ou pour une population non prévue par l'AMM. C'est différent de ce qu'on appelle maintenant l'accès précoce ou l'accès compassionnel. Avant, on parlait beaucoup des ATU. les autorisations temporaires d'utilisation. Oui,
- Speaker #0
c'est vrai.
- Speaker #1
Ces dispositifs-là, ils permettent d'utiliser sous des conditions très strictes un médicament qui n'a pas encore d'AMM pour des patients qui ont une maladie grave et pour lesquels il n'y a pas d'autres traitements satisfaisants. Souvent, c'est en dehors des essais cliniques classiques.
- Speaker #0
Et cet usage au RAMM, est-ce que c'est quelque chose de fréquent en France ?
- Speaker #1
Apparemment, oui, ce serait relativement courant. Certaines estimations disent que ça pourrait concerner jusqu'à 20% des prescriptions. Surtout dans certains domaines comme la pédiatrie ou l'oncologie où il manque parfois des traitements spécifiquement approuvés.
- Speaker #0
D'accord, mais c'est encadré j'imagine ?
- Speaker #1
Oui, en France, c'est prévu par le Code de la santé publique. Un médecin peut prescrire hors AMM s'il remplit certaines conditions. Il ne doit pas y avoir d'alternative disponible avec une AMM ou une RTU, une recommandation temporaire d'utilisation, un autre dispositif. Et le médecin doit juger ce traitement indispensable pour son patient en se basant sur les données acquises de la science.
- Speaker #0
Et la responsabilité ?
- Speaker #1
Ah bah là, c'est clair. La responsabilité du médecin prescripteur est directement engagée en cas de problème.
- Speaker #0
D'accord. Et pour les médicaments qui n'ont pas encore d'AMM, ces accès précoces ou compassionnels, c'est compliqué à obtenir ?
- Speaker #1
Compliqué. Oui, ce n'est pas automatique. Ce sont des procédures spécifiques gérées par l'ANSM, l'agence du médicament, et la Haute Autorité de Santé, la HAS. Elles sont réservées aux maladies graves, rares, invalidantes, quand il y a un vrai besoin médical non couvert. Il faut monter un dossier, justifier la demande.
- Speaker #0
Mais c'est important pour les patients concernés.
- Speaker #1
Ah oui, c'est crucial pour des patients qui sont parfois en impasse thérapeutique. Et il y a un financement spécifique prévu par la Solidarité nationale, ce qui était le cas pour les ATU historiquement.
- Speaker #0
Le repositionnement, ça doit poser des défis particuliers, non ? Par exemple, au niveau des brevets. Si la molécule est ancienne, le brevet initial est sûrement expiré. Comment on protège une nouvelle utilisation ?
- Speaker #1
C'est une excellente question. Et c'est un enjeu majeur pour les entreprises qui investissent dans le repositionnement. Effectivement, le brevet sur la molécule elle-même, le brevet de produit, est souvent tombé dans le domaine public.
- Speaker #0
Alors, comment faire ?
- Speaker #1
L'innovation, ce n'est plus la molécule, c'est sa nouvelle application. Donc les entreprises vont chercher à obtenir d'autres types de brevets. Le plus courant, c'est le brevet d'utilisation. Il protège l'usage du médicament pour la nouvelle indication spécifique.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Parfois, on peut aussi breveter un nouveau procédé de fabrication, s'il est différent, ou une nouvelle formulation, une nouvelle forme du médicament, un comprimé différent, un patch.
- Speaker #0
Et ça donne une exclusivité suffisante ? Oui,
- Speaker #1
et paradoxalement... la durée d'exclusivité effective sur le marché peut même être plus longue pour un médicament repositionné.
- Speaker #0
Ah bon ?
- Speaker #1
Pourquoi ? Parce que le temps de développement pour obtenir l'AMM dans la nouvelle indication est plus court que pour une molécule partie de zéro. Du coup, il reste plus de temps de commercialisation effective avant que le nouveau brevet d'utilisation, par exemple, n'expire. Et il y a aussi des mécanismes comme le certificat complémentaire de protection, le CCP, qui peuvent prolonger un peu cette exclusivité.
- Speaker #0
Et pour obtenir l'AMM pour cette nouvelle indication ? Est-ce que c'est plus simple administrativement que pour une toute nouvelle molécule ?
- Speaker #1
Ça peut l'être, oui. L'avantage principal, c'est qu'on peut souvent réutiliser une partie des données déjà existantes, notamment les données de sécurité issues des études précédentes, toxicologie, première phase chez l'humain. C'est un gain de temps et d'argent énorme.
- Speaker #0
Mais il faut quand même prouver que ça marche pour la nouvelle maladie.
- Speaker #1
Ah oui, absolument. L'efficacité dans la nouvelle indication doit être démontrée de manière rigoureuse. Ça veut dire qu'il faut presque toujours faire de nouveaux essais cliniques. notamment des essais de phase 3 sur un grand nombre de patients pour convaincre les agences réglementaires. Le fardeau de la preuve de l'efficacité, lui, reste entier.
- Speaker #0
Pour illustrer tout ça concrètement, l'histoire récente d'une classe de médicaments, les glyphosines, est vraiment parlante. C'est un cas d'école de conséquences inattendues, vous disiez ?
- Speaker #1
Tout à fait. C'est une saga assez incroyable qui commence, figurez-vous, par une contrainte réglementaire.
- Speaker #0
Ah oui ?
- Speaker #1
Oui. En 2008, l'agence américaine du médicament, la FDA, était un peu échaudée par des doutes sur la sécurité cardiovasculaire de certains anciens médicaments contre le diabète. Du coup, elle a imposé à tous les nouveaux traitements du diabète de type 2 de prouver leur innocence sur le plan cardiovasculaire.
- Speaker #0
Comment en réalisant de grandes études spécifiques qu'on appelle les CVOT, Cardiovascular Outcome Trials, pour vérifier qu'ils n'augmentaient pas le risque d'infarctus, d'AVC, etc.
- Speaker #1
Une mesure de sécurité en somme, mais ça a eu des effets inattendus.
- Speaker #0
C'est le moins qu'on puisse dire. Pour certaines nouvelles classes de médicaments antidiabétiques, ces études ont juste montré qu'ils étaient neutres sur le plan cardiovasculaire. Bon, c'était rassurant, mais sans plus. Pour d'autres, il y a même eu quelques signaux négatifs.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Et puis sont arrivés les résultats des inhibiteurs du SGLT2, les fameuses glyphosines. Et là, en 2015, l'étude MPRA Outcome avec l'ampaglyphosine a fait l'effet d'une bombe.
- Speaker #1
Qu'est-ce qu'elle a montré ? Non seulement le médicament était sûr, mais il réduisait de façon très significative la mortalité cardiovasculaire et même la mortalité toute cause confondue chez les patients diabétiques à haut risque.
- Speaker #0
Ah oui, c'était énorme !
- Speaker #1
Énorme ! Mais la vraie surprise, c'était comment il obtenait ce bénéfice.
- Speaker #0
C'est-à-dire ?
- Speaker #1
On aurait pu penser que ça réduisait les infarctus, les AVC. Eh bien non, pas vraiment. Le bénéfice principal venait d'une réduction spectaculaire des hospitalisations pour... insuffisance cardiaque et des décès liés à l'insuffisance cardiaque.
- Speaker #0
C'était totalement inattendu, ça.
- Speaker #1
Complètement. Personne ne s'y attendait. Le mécanisme d'action initial de ces médicaments, c'est de faire uriner le sucre pour faire baisser la glycémie. Le lien avec l'insuffisance cardiaque n'était pas du tout évident au départ.
- Speaker #0
Donc, une contrainte de sécurité a révélé un bénéfice thérapeutique majeur et imprévu.
- Speaker #1
Exactement. Et ça a tout changé. Logiquement, les chercheurs se sont dit... Si ça marche si bien sur l'insuffisance cardiaque chez les diabétiques, est-ce que ça ne marcherait pas aussi chez les patients qui ont une insuffisance cardiaque mais qui ne sont pas diabétiques ?
- Speaker #0
Bonne question.
- Speaker #1
Et donc ils ont lancé de nouvelles études, cette fois spécifiquement conçues pour répondre à cette question. Des études comme DAPA-HF avec la DAPA-glyphosine ou Amperol Reduced avec l'AMPA-glyphosine.
- Speaker #0
Et les résultats ?
- Speaker #1
Eh bien bingo ! Ces études ont montré que l'ajout d'une glyphosine au traitement standard améliorait très nettement le pronostic des patients ayant une insuffisance cardiaque, avec une fonction du cœur réduite, quand le cœur pompe moins bien, qu'il soit diabétique ou non.
- Speaker #0
C'est une vraie révolution alors, ça a changé les pratiques.
- Speaker #1
Ah oui, un impact majeur et très rapide sur toutes les recommandations internationales. D'abord en diabétologie. On est passé d'une approche où l'objectif quasi unique était de contrôler le taux de sucre dans le sang.
- Speaker #0
L'hémoglobine glycée, l'Hb1c.
- Speaker #1
C'est ça. À une approche beaucoup plus globale, où dès le début du traitement chez un patient diabétique à risque, on pense à protéger son cœur et ses reins. Les glyphosines sont devenus un traitement de choix très tôt.
- Speaker #0
Et en cardiologie ? Et pour les reins, du coup ?
- Speaker #1
En cardiologie, c'est spectaculaire. Pour l'insuffisance cardiaque avec fonction réduite, les glyphosines d'APA et ANPA sont devenus l'un des 4 piliers du traitement de fond. On les recommande maintenant en première intention, au même niveau que les médicaments classiques, comme les IEC, les bêtas bloquants. On parle de quadrithérapie comme nouveau standard.
- Speaker #0
Incroyable !
- Speaker #1
Et en néphrologie aussi, on a découvert qu'elle protégeait les reins et ralentissait la progression de la maladie rénale chronique. Donc elles sont aussi devenues incontournables dans ce domaine, chez les diabétiques et même chez certains non-diabétiques. C'est vraiment une révolution transversale, partie d'une observation inattendue.
- Speaker #0
C'est une illustration parfaite de la puissance du repositionnement, même quand il n'est pas planifié au départ. Pour finir, revenons sur un médicament qu'on a déjà évoqué, la mentadine. Repositionnée de l'antiviral vers Parkinson, il y a un cas clinique polonais assez récent qui est intéressant, je crois.
- Speaker #1
Oui. C'est un cas qui pose question. Il s'agit d'une patiente de 70 ans, admise en réanimation pour une grippe à HN1 très sévère. Elle était en détresse respiratoire aiguë, sous ventilation artificielle.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Son état neurologique était très mauvais. Elle restait dans le coma même après l'arrêt des sédatifs. Et en plus, elle cumulait les infections et le virus de la grippe persistait dans ses poumons malgré un traitement antiviral standard par ozeltamivir-tamiflu.
- Speaker #0
Situation très compliquée. Et la mentadine intervient en comment ?
- Speaker #1
Eh bien, au bout de 24 jours, comme l'état neurologique ne s'améliorait pas, les médecins ont décidé d'essayer la mentadine. Pas pour son effet antiviral, attention.
- Speaker #0
Non, parce qu'on sait qu'il y a beaucoup de résistance.
- Speaker #1
Voilà. La plupart des virus grippaux actuels sont résistants à la mentadine. Ils l'ont donné pour ses effets neuroprotecteurs potentiels. C'est un usage hors AMM qui est parfois tenté pour aider à la récupération après certaines atteintes cérébrales.
- Speaker #0
Et qu'est-ce qui s'est passé ?
- Speaker #1
C'est là que c'est troublant. Pendant les 9 jours où elle a reçu la mandatine, son état neurologique s'est amélioré progressivement. Ça, ça peut coller avec l'effet neuroprotecteur attendu. Mais en même temps, les tests pour le virus HNL sont devenus négatifs. Ce qui n'était pas arrivé avec l'océltamivir seul.
- Speaker #0
Ah oui, c'est une coïncidence.
- Speaker #1
La patiente a fini par sortir de réanimation puis de l'hôpital, avec une bonne récupération. Alors, coïncidence, lien de cause à effet, c'est toute la question.
- Speaker #0
Comment les médecins qui rapportent le cas interprètent ça ?
- Speaker #1
Ils sont très prudents, bien sûr. L'amélioration neuro, ils l'attribuent logiquement à l'effet connu de la mandatine sur les récepteurs NMDA et le système dopaminergique. C'est ce qui est utile dans Parkinson, d'ailleurs. Mais la disparition du virus au même moment, ça les intrigue. Ils se demandent si, dans ce cas très particulier, avec peut-être une charge virale élevée ou une situation immunitaire particulière, La mentadine n'aurait pas pu avoir quand même un petit effet antiviral résiduel ou peut-être un effet en synergie avec autre chose.
- Speaker #0
Mais il y a beaucoup d'incertitudes.
- Speaker #1
Énormément. Ils soulignent eux-mêmes les limites. La principale, c'est qu'on n'a pas testé la résistance du virus de cette patiente, ni à l'ocelltamivir, ni à la mentadine. Donc on ne peut rien prouver sur l'effet antiviral. C'est juste une observation, une coïncidence temporelle frappante.
- Speaker #0
Ils notent aussi le faible coût de la mentadine.
- Speaker #1
Oui, c'est un aspect pragmatique. Mais l'essentiel... C'est cette double observation, neuro et virale.
- Speaker #0
Ce cas montre bien la complexité. On a un médicament avec une histoire longue, plusieurs vies grâce au repositionnement, des limites claires comme la résistance virale. Et pourtant, dans une situation clinique extrême, il semble avoir eu un effet bénéfique peut-être inattendu, même sur le virus.
- Speaker #1
Exactement. Même si la mentadine n'est plus du tout un antiviral de première ligne, pour la grippe saisonnière, et qu'elle a des effets secondaires neurologiques connus qu'il faut surveiller, Ce cas suggère, d'après les auteurs, qu'il ne faut peut-être pas l'enterrer complètement. Elle pourrait peut-être encore avoir un rôle à jouer dans des situations très spécifiques de soins intensifs qui mériteraient d'être explorées.
- Speaker #0
Bon, toute cette discussion nous montre bien à quel point le développement des médicaments, c'est un chemin rarement linéaire. La sérendipité, le hasard, les jouent un rôle non négligeable.
- Speaker #1
Tout à fait. Et le repositionnement, qu'il soit découvert par hasard ou recherché activement, s'affirme vraiment comme une stratégie d'innovation majeure. Ça permet d'aller plus vite, de dépenser moins et d'avoir plus de chances de succès que de partir de zéro. L'histoire des glyphosines est absolument spectaculaire de ce point de vue.
- Speaker #0
Et on voit que le cadre réglementaire, avec l'AMM, les usages hors AMM, les accès précoces, essaye de s'adapter pour concilier la rigueur nécessaire et l'accès à l'innovation ou à des solutions pour des besoins non couverts. Oui,
- Speaker #1
c'est un équilibre permanent à trouver. Et le cas de la mentadine nous rappelle aussi que l'histoire d'un médicament, elle n'est jamais vraiment finie. Il peut toujours y avoir des surprises.
- Speaker #0
Finalement, derrière beaucoup de traitements qu'on utilise tous les jours, il y a ces histoires un peu complexes, ces détours. Le savoir, ça peut nous rendre un peu plus curieux et peut-être porter un regard plus informé sur les thérapies qui évoluent constamment.
- Speaker #1
Absolument.
- Speaker #0
Et pour terminer, peut-être une question qui reste ouverte. Si une part si importante de l'innovation vient de l'inattendu, du hasard ou de la réutilisation, comment est-ce que nos systèmes de recherche, de financement, de réglementation peuvent mieux encourager cette espèce de science des objets trouvés, comment favoriser ces approches créatives, parfois un peu hors des sentiers battus ? Tout en maintenant, bien sûr, l'exigence absolue de rigueur scientifique et de sécurité pour les patients.
- Speaker #1
C'est un vrai défi. Est-ce que des processus de recherche et développement trop linéaires, trop planifiés, ne risquent pas parfois, comme certains le disent, d'étouffer un peu la créativité et de nous faire passer à côté de découvertes potentiellement majeures ? C'est une question essentielle pour l'avenir, je crois.