- Speaker #0
Si Dionysos était une femme, le premier podcast dédié aux femmes leaders dans l'univers du vin. Ensemble, découvrons le parcours exceptionnel d'une femme inspirante, d'une femme puissante, en toute authenticité. Bienvenue et belle écoute ! Aujourd'hui, dans Si Dionysos était une femme, j'ai le plaisir d'accueillir une femme à la fois discrète et puissante, passionnée et audacieuse. Elle a grandi dans l'ombre d'un des plus grands crus classés de Saint-Emilion, Château-L'Angélus, fille de l'illustre Hubert de Bourg. Elle aurait pu suivre une voie toute tracée, mais Coralie de Bois a choisi de tracer son propre sillon, de faire ses armes, ses preuves, ses vins. Aujourd'hui, elle dirige le château Clos de Bois, sous l'appellation Montagne Saint-Emilion, un domaine à son nom, à son image. Elle y crée des vins qu'elle veut accessibles, sincères, parfois même désalcoolisés, toujours porteurs de sens et de modernité. Vigneronne, mère, entrepreneur, femme de conviction. Coralie de Bouard est l'invité de cet épisode. Alors, si Dionysos était une femme, elle ressemblerait peut-être à elle. Bonjour Coralie. Bonjour Coralie.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors, je suis ravie de te recevoir derrière ce micro, mais merci de m'accueillir chez toi au Clos de Bouard, à Saint-Emilion, quasi. On n'est pas loin, on est à Montagne.
- Speaker #1
On est à Montagne. Bienvenue sur mes terres.
- Speaker #0
En tout cas, moi, je suis enchantée, ravie, parce que c'est en plus... On a les vignes qui commencent à donner les premières feuilles.
- Speaker #1
Elles donnent les premières feuilles, elles sortent leurs premiers bourgeons. On commence à avoir une petite idée de la récolte, puisque dès que le bourgeon sort, on voit apparaître les petites grappes et on se fait une idée de notre nouveau millésime. Ok,
- Speaker #0
et bien rapidement, est-ce que tu peux déjà nous donner en exclusivité le prochain millésime ou c'est encore vraiment trop tôt ?
- Speaker #1
Là, c'est très jeune. On espère surtout passer à travers maille pour la période du gel. Les seins de glace ne sont pas très loin, mais on ne les a pas encore dépassés. Et les anciens nous ont prouvé que tant qu'on ne les a pas dépassés, on risque le gel. En 2017, j'étais contente. On était le 6 mai, je faisais un tour dans les vignes avec mon père. Il faisait 30 degrés et dans la nuit, on a pris moins 6 et on a perdu 70% du vignoble. Donc, je préfère ne pas jeter la prudence. Voilà, exactement.
- Speaker #0
Alors, si Dionysos était une femme, qu'est-ce que ça évoque pour toi ?
- Speaker #1
Je crois qu'on a pu en discuter. Si Dionysos était une femme, je trouve que c'est mettre la femme un petit peu à sa place, qu'aujourd'hui elle a sa raison d'être, d'exister dans un milieu qui ne se veut pas forcément simple. Moi, j'ai dû cravacher, faire mes preuves pour prouver que j'avais le droit d'exister dans le milieu viticole en tant que propriétaire récoltante. On voit de plus en plus de femmes dans le milieu viticole, mais qui ont leur vigne qui... Assume des équipes bien souvent d'hommes, ce n'est pas toujours très simple d'avoir la crédibilité. Mais grâce à une éducation bien stricte qu'a su nous donner notre père, je parle pour ses quatre enfants, on n'a pas eu d'argent de poche. Tu veux un peu d'argent de poche, tu vas travailler dans les vignes et ce sera l'argent que tu auras durement gagné. Travailler dans les vignes depuis mon plus jeune âge, savoir faire des vendanges verts, des effeuillages, du carassonnage, du levage, du pliage, tout ces... tous ces métiers de la terre qui ne sont pas simples, aujourd'hui je les connais. Et quand je demande à ce qu'on m'accompagne une équipe d'hommes, je les accompagne moi aussi et je suis crédibilisée dans ce sens.
- Speaker #0
Alors on va parler de tout ça, de légitimité, mais c'est vrai que de ce que j'ai lu, en fait quand tu étais petite fille, tu voulais déjà être viticultrice.
- Speaker #1
Toujours, j'ai toujours voulu être viticultrice, j'ai toujours été passionnée par ce que faisait mon père dans ses chais, que ce soit les chais avariques. J'adorais cette odeur quand je le suivais, quand je le retrouvais après l'école, quand on était dans le cuvier pendant les vendanges. Mais qu'est-ce que j'aimais pour moi ? C'est ma madeleine de Proust, ces odeurs de vinification. Et puis ma chambre était collée au chai de vinification. J'entendais le ronronnement des pompes pendant les remontages et l'odeur traversait ce petit placo parce que c'était par là où passait mon arrière-grand-mère pour aller dans les chais de vinification. Ces odeurs... cette passion que mon grand-père et mon père ont su me transmettre, ça m'a toujours donné cette envie d'être viticultrice et jamais autre chose. C'est beau,
- Speaker #0
c'est beau. Alors effectivement, tu es née dans les vignes, dans une maison où le vin est presque une religion. Est-ce que tu as eu peur de ne jamais être regardée autrement qu'à travers le prisme de la fille de Hubert ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, je me bats encore pour défendre mon prénom. On me dit souvent, on me présente comme la fille d'Hubert de Boire. J'ai un Hubert de Boire, j'en suis très fière. C'est mon père, il m'a appris tout ce que je sais. Par contre, c'est mon père dans ma vie privée. Moi, aujourd'hui, je suis Coralie de Boire. j'ai mes vignes, je fais mon vin sous la fierté de mon père aujourd'hui aussi. Donc j'aimerais qu'on me reconnaisse en tant que telle pour mon prénom. Mes origines, j'en suis très fière. Et je remercierai toujours mon père et mon grand-père de m'avoir transmis ce savoir-faire, cette passion à l'élite du savoir-faire du vin et que j'espère retranscrire le mieux possible sur mes terres et dans mes vins.
- Speaker #0
Alors, est-ce que tu peux nous présenter justement le Clos de Bouard ?
- Speaker #1
Le Clos de Boire, c'est une propriété qui fait 30 hectares, que j'ai mis à peu près 7 ans à trouver, parce qu'on m'a toujours appris qu'un grand terroir sera toujours plus fort qu'une appellation. J'aurais pu acheter à Pomerol, j'aurais pu acheter à Saint-Emilion, j'ai visité des propriétés sur ces appellations-là, mais je suis tombée amoureuse d'un grand terroir sur les coteaux sud qui font face aux coteaux nord de Saint-Emilion. Mes terroirs jouxtent celui de Trolondo, celui de Valandro, celui de Fombrouge, celui de Larocque, des grands crus, des premiers grands crus classés. Et j'ai une symétrie parfaite de ces terroirs. Donc je me suis dit que c'était là que je devais m'installer. En plus, on est dans le lieu d'Imusé. Ce lieu d'Imusé, il veut dire beaucoup puisque mon arrière-grand-mère était amoureuse d'Alfred de Musée. Elle nous le lisait et puis un jour, elle a perdu la vue et elle nous l'a récité. Elle nous le récitait, elle le récitait à mon père. Et je me suis dit, lieu d'immucé, bon ben voilà, tout est écrit. Grand terroir, lieu d'immucé, un joli vignoble qui appartenait à Pierre Castel. Et c'est exactement ça. Donc le dilemme était, soit c'est Coralie de Boire qui l'achète, soit c'est des Chinois qui l'achètent. J'ai choisi d'apporter ma pierre à l'édifice en faisant cet investissement pour moi. et protéger aussi le patrimoine.
- Speaker #0
Je pense que Pierre Castel a dû aussi bien trancher et être d'avis.
- Speaker #1
On a passé des moments où on a bien rigolé tous les deux et on a fait ce qu'il fallait pour que ce soit maquillé. Aujourd'hui,
- Speaker #0
c'est 30 hectares de vignes, c'est ça ?
- Speaker #1
Oui, 30 hectares de vignes dispatchées avec du merlot, du cabernet franc, du cabernet sauvignon, les cépages. De Bordeaux, avec une majorité de Merlot, pour la rive droite bien sûr. Donc on a 85% de Merlot sur ce terroir. Et le reste c'est des Cabernet Franc, Cabernet Sauvignon, que je dispatcherai au gré de mes clients.
- Speaker #0
Donc en fait tu l'as fait l'acquisition en 2016. Et est-ce que c'est à ce moment-là que tu t'es vraiment sentie Coralie ?
- Speaker #1
Oui. Alors déjà, je me suis approprié le millésime à partir du mois de mai. C'était mon contrat avec Pierre Castel. Je voulais que toute la partie viticole m'appartienne. Et j'ai beaucoup stressé parce qu'arrive le 20 septembre, on n'a toujours pas signé. Le 26 septembre, on signe, mais j'avais peur de ne pas avoir le droit de m'attribuer ce millésime. Le 3 octobre... démarre les vendanges et là je sens crisser la glace sous mes pieds. On avait des amplitudes thermiques incroyables, 26 degrés la journée, moins 3, moins 4 le matin, il y avait le givre sous mes pieds, puis j'ai appelé mon père et je pleurais de joie à l'idée de faire ma première récolte, et il m'a dit « Tu verras. » Le jour où tu vas faire ta mise en bouteille, tu n'oublieras pas de m'appeler parce que ce sera tes premières bouteilles. Et donc, dès que j'ai fait ma première mise en bouteille, j'en pleurais, j'étais heureuse. Enfin, j'avais mon vin à moi, entre les mains. C'était ma fierté, par-dessus tout.
- Speaker #0
Alors, avant cette acquisition, tu as fait tes armes au Château Langélus. Tu y es restée une dizaine d'années. Tu travaillais dans le marketing,
- Speaker #1
c'est ça ? Marketing, mais je n'oubliais pas d'être là pour les vendanges.
- Speaker #0
Toujours un pied dans la terre.
- Speaker #1
Oui, et puis les périodes phares, être dans la vigne, être dans l'échée, pour moi, c'est là que prend tout son sens.
- Speaker #0
Et où est-ce que tu aurais pu rester et faire ta carrière au Château Langélus ?
- Speaker #1
Je pense que... On partage des grands moments en famille et j'ai pu voir à travers les générations que ce n'est pas toujours facile de travailler en famille. Donc mon parti pris, il a été d'avoir mes propres vignes, de faire mes preuves, de montrer aussi à mon père ce dont j'étais capable grâce à tout ce qu'il m'avait appris avec mon grand-père. Est-ce que j'ai vraiment voulu ? Je suis en train de faire un aveu, je pense. Devant ce micro, oui, je pense que j'ai voulu montrer à mon père ce que j'étais capable de faire. Et regarder sa fierté dans ses yeux. Travailler toute ma vie au château Angers, je pense que j'y ai appris, beaucoup appris. Et partir au château La Fleur de Bois, c'était commencer un peu à couper ce cordon. Et puis ensuite, arriver à 100% au Clos de Bois, c'est encore plus l'accomplissement de ma vie.
- Speaker #0
Alors dans cet univers aussi hiérarchisé et conservateur qu'est Saint-Emilion quand même, parce qu'il faut le dire, comment on fait sa place quand on est une femme ? Et en plus, une fille de propriétaire de l'appellation.
- Speaker #1
C'est là que je pense que l'éducation que mes parents nous ont donnée intervient vraiment et que tout ce savoir-faire qu'il nous a poussé à avoir, qu'on veuille ou pas travailler dans le vin plus tard, d'une part nous donner la notion de l'argent, mais ensuite ce savoir-faire, savoir travailler la vigne aussi bien qu'un homme, m'a permis de légitimer ma place auprès... du monde viticole. Aujourd'hui, je suis reconnue comme une viticultrice, pas simplement comme la fille du berdobois. Je suis Coralie de Bois, propriétaire, viticultrice et récoltante, qui fait ses propres vins. On peut le lire à travers mes étiquettes, à travers mes bouchons, à travers mes capsules. C'est assez féminin, c'est représentatif de ma personne, mais je tiens à dire que je fais des vins faits par une femme, mais pour tous. Ils doivent être partagés pour tous autour de ça. D'ailleurs,
- Speaker #0
tu as cette signature souvent sur les réseaux sociaux, « Je fais du vin pour vous » .
- Speaker #1
Je fais du vin pour vous, et depuis que je fais du vin désalcoolisé, je suis encore plus fière de dire « Je fais du vin pour tous » . Tout le monde peut partager un moment convivial. Et ça y est, je me suis perdue.
- Speaker #0
On va revenir de toute façon sur les vins, je vais desalcooliser sans problème. Mais en fait, si je comprends bien, c'est un peu comme une revanche. C'est aussi l'émancipation. La revanche, non pas par rapport à la famille, puisque tu es très soutenue par ton père, mais surtout une revanche peut-être par rapport à la femme dans le monde du vin. Souvent à Bordeaux, c'est complexe quand même, non ?
- Speaker #1
Une revanche par rapport au statut de femme, tout simplement, et montrer que la femme est capable de beaucoup plus que ce qu'on a toujours pensé qu'elle était capable de faire. Elle n'est pas simplement à la cuisine, au ménage, à faire les courses et à organiser la vie familiale. Elle est capable d'endosser un vrai rôle d'entrepreneur, que ce soit dans le milieu bancaire, juridique, mais aussi dans un milieu qui est plus physique. qui génère certainement une certaine fatigabilité, mais moi je l'adore cette fatigabilité. Quand je me lève le matin, j'aime savoir que certainement il va faire froid dans la vigne quand on est en plein hiver, mais aller faire mon tour de vigne, aller tailler pendant une heure, c'est revigorant, c'est satisfaisant, c'est savoir lire à travers la nature, c'est partager un moment de complicité avec la nature. C'est hyper important pour moi et j'adore ces moments-là. Donc, une revanche, je ne sais pas. Mais en tout cas, faire mes preuves en tant que femme et montrer que la femme est capable. Alors là, je le dis haut et fort à toutes les femmes, on est capable de faire énormément. Et quand on est passionné, encore plus.
- Speaker #0
Aujourd'hui, quel est ton rapport au château L'Angélus, émotionnellement, professionnellement, symboliquement ?
- Speaker #1
Mon rapport, il est plein d'affection, plein d'émotions, de grands souvenirs. J'ai tout appris là-bas. J'ai des souvenirs quand je partais avec mon grand-père, ma grand-mère, mon père, dans les bois juste au-dessus. Inconsciemment, on m'a fait développer le sens de l'odorat, le sens du goût, le sens de l'audition et tout ça, c'est très important pour le métier que je fais aujourd'hui. c'est complémentaire de Faire du vin, ce n'est pas que de la chimie, ce n'est pas que de la science, c'est aussi beaucoup d'émotions. Et tout ça, je l'ai appris grâce à mon père, mon grand-père, ma grand-mère. Même quand on allait préparer la crèche et qu'on allait ramasser les pines de pain, elle me dit « qu'est-ce que ça sent ? » Quand on ramassait la mousse, « qu'est-ce que ça sent ? » Tout ça, c'est des éléments qui construisent ma vie d'aujourd'hui. Mais Madeleine de Proust, aller dans les chaises à barriques, aller dans le chais de vinification, ... découvrir cette odeur très délicate de la fleur de la vigne, tout ça, ça a marqué mon enfance, et pendant des années. Donc moi, j'ai beaucoup d'affection, beaucoup d'amour pour toute cette période de ma vie vécue au Château Angélus, et puis après, accompagner mon père et toute l'équipe pendant cette dizaine d'années, ça a été des années géniales, où j'ai fait de belles rencontres, où j'ai... générer beaucoup de complicité auprès des équipes qui m'ont accompagnée dans mon installation derrière donc une complémentarité très importante très intéressante et que j'ai aucunement envie d'oublier aujourd'hui je pense que ma soeur a rejoint le château Orgeus quand moi je l'ai quitté Et on s'entend très bien, on s'appelle tous les jours, on est complices de nos vies. Elles sont très différentes parce qu'on touche des consommateurs très différents. On est sur l'élite du consommateur qui a un portefeuille certainement plus chargé pour acheter du Château d'Angélus. Et puis moi, je vais... Et j'adore ça, toucher un consommateur de plus de tous les jours, le consommateur qui me convient, qui me représente, qui est celui qui va chercher le vin pour son accessibilité, qui va venir partager un moment avec moi. On va faire un tour dans les vignes, il va s'approprier mon vignoble et j'adore ça. On va faire des vinifications ensemble, il va s'approprier le millésime et j'adore ça aussi. On est complices entre eux. le consommateur des vins du Château-Claudevoir que je prendrais plaisir à aller livrer moi-même, échanger avec lui, le relivrer après. Alors là, c'est encore plus une satisfaction.
- Speaker #0
Donc, on sent vraiment une humanité dans tes mots. Et quid de la partie commerciale ? Parce qu'on entend que tu aimes la vigne, la nature, tu es vraiment pleinement satisfaite et on sent que c'est ta passion. Et au niveau commercial, est-ce que tu te transmets autant ou est-ce que là, tu as quelqu'un ? responsable direction commerciale qui s'occupe des ventes du clos de Bois ?
- Speaker #1
Je n'ai pas de directeur commercial, c'est moi aussi qui pars à la rencontre des gens qui prennent contact avec moi, qui organisent des dégustations pour... Le week-end dernier, par exemple, j'étais dans une pépinière, on a organisé une dégustation, j'ai fait des rencontres, je reçois des messages tout au long de cette semaine parce que les gens ont partagé ce moment avec moi. Sur mes jours de congé, je suis avec eux et ils sentent que j'ai ce besoin, après avoir été dans la terre, de transpirer ma passion avec eux, de la partager, de déguster. Ils ne le dégustent pas de la même manière parce qu'ils partagent ce moment avec moi et je leur fais vivre ma passion. Je vais partir dans pas longtemps à l'autre bout de la France. Je vais à la recherche des régions qui ne font pas de vin et partager un moment avec des gens qui sont heureux de rencontrer des viticulteurs, des viticultrices et de vivre ce moment-là.
- Speaker #0
Alors aujourd'hui, ces 30 hectares de vignes, est-ce que tous les 30 hectares sont en production et donc ça te fait des dizaines de milliers de bouteilles ? Des centaines de milliers de bouteilles. Et du coup, il y a aussi du stock. Est-ce qu'au niveau commercial, au niveau commercialisation, est-ce qu'aujourd'hui, tu arrives à vendre toute ta production ou ça se met en place petit à petit ? Parce que c'est quand même récent, quoi, 2016.
- Speaker #1
Alors, 2016, c'est parti très vite. Alors là, peut-être que la fille du berdebois...
- Speaker #0
Il faut s'en servir,
- Speaker #1
hein. Les gens voulaient voir ce qu'elle était capable de faire. 2017 tout est parti puisqu'il y avait très peu de production après le gel et puis 2018 on commence à rencontrer la période des gilets jaunes, 2019 c'est le covid donc c'est une période qui est pas la plus simple en termes de commerce du vin. On a un petit peu de stock, le vin désalcoolisé commence à jouer un vrai rôle dans... dans la production et heureusement parce que ça me permet de limiter un petit peu mes stocks et ça vient vraiment à mon tour.
- Speaker #0
Alors justement, parce que tu as racheté ce domaine seul, tu as fait tes propres choix de vinification, tu as même innové dans le vin désalcoolisé. C'est une façon de dire je suis libre, quoi. C'est ça ?
- Speaker #1
C'est une façon de dire je suis libre. J'adore être libre. Je suis pleine de challenges. Alors, je vais vous dire qu'en ce moment, j'en ai encore plus et je suis parfois épuisée, mais je n'arrive pas à dormir le matin parce que j'ai l'excitation d'aller encore partager, encore partager. Pour moi, le vin, c'est ça, c'est le symbole de partage, de convivialité, et plus le nombre de gens vont partager avec moi. Ma passion du vin est plus fréheureuse.
- Speaker #0
Alors le vin désalcoolisé est encore regardé avec méfiance par certains puristes, surtout à Bordeaux. En Languedoc, on a cette facilité à se dire, de toute façon, on peut créer, s'amuser, expérimenter. Bordeaux, c'est assez quand même conservateur, voire très conservateur.
- Speaker #1
Très conventionnel. Très conventionnel.
- Speaker #0
Et pourquoi tu as choisi d'explorer cette voie ? Est-ce que c'est une opportunité ou alors est-ce que c'est un acte féministe, moderne ? Je pense que c'est avant tout peut-être commercial, tu as eu cette opportunité-là. Est-ce que tu peux nous expliquer justement ces vins désalcoolisés au Clos de Bois ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Alors le vin désalcoolisé, j'étais loin d'imaginer que j'allais en faire déjà. J'ai été abordée par un monsieur qui avait déjà vécu une petite expérience dans l'échée avec nous, mais de confession différente. Il est arrivé, il me dit, il me livrait une voiture. Il me dit... Je peux visiter vos installations ? Oui, bien sûr, on est en pleine vendange. Oui, mais vous savez, moi, je ne bois pas d'alcool. Je suis blessée très bien parce que je viens de vendanger. Donc, j'ai des jus et je vais vous faire goûter les différentes origines de mes jus. Merlot, Cabernet Franc, Cabernet Sauvignon. Je l'ai pris comme une personne totalement normale et rien de... Rien n'était anormal pour moi. Il a vécu un bon moment. Il est revenu 15 jours plus tard et il me dit « Écoutez Coralie, j'ai vécu un tel moment avec vous. Je l'ai partagé avec quelques amis. Et ils m'ont posé une question. Je ne voudrais pas vous faire d'affront, mais est-ce que vous croyez que vous pourriez faire du vin désalcoolisé ? » J'ai rigolé, mais en même temps, on commençait vraiment à parler du Covid. On allait se retrouver enfermés à la maison. Et on me dit, ils en prendraient 35 000 bouteilles. Donc là, ça fait tilt. Et j'ai dit, tiens, 35 000 bouteilles, on ne va pas s'asseoir sur une opportunité pareille. J'avais du temps, puisqu'on n'avait plus le droit de voyager. Et j'ai expérimenté pendant deux ans. Et puis, quand j'ai su pour qui c'était, pour les Qataris du PSG, j'étais encore plus contente. Et je me dis, il faut que je trouve une solution. Je ne leur avais rien promis, parce qu'il fallait que je signe Coralie de Bois.
- Speaker #0
Tu as une commande de la part des Qataris qui t'ont...
- Speaker #1
Des Qataris du PSG, exactement. Donc 35 000 bouteilles. Je leur ai fourni sur le millésime 2021 et je pensais vraiment à une opération one-shot. Et finalement, trois jours plus tard, j'arrive au Clos de Boire et je me retrouve avec des journalistes de France 3, de TF1 et de France 2. J'ai vraiment cru qu'il y avait eu un mort, j'en sais rien, dans le lieu-dit. Je ne voyais pas pourquoi ils étaient là, au lieu-dit musée, à Montaigne-Saint-Emilion. Je me suis dit, qu'est-ce qui s'est passé ? Je peux vous aider ? Oui, oui, vous pouvez vous aider, on est là pour vous. Il y a bon. Oui, oui, pour le vin désalcoolisé. Alors, il faut savoir que ça avait choqué beaucoup de monde. Ça avait aussi choqué pas mal de personnes dans ma famille. Ça m'a valu de ne pas discuter avec mon père pendant un an. C'était dur. Mais je tenais bon parce que pour moi, c'était vraiment une issue économique pour la propriété.
- Speaker #0
Et donc une opportunité peut-être aussi pour le vignoble bordelais en général ?
- Speaker #1
Je pense. Donc j'ai fait l'égité de 13h et de 20h sur TF1. France 2, France 3, M6. Et là se présente Élise Duss. Si elle est sortie, j'ai eu l'AFP et ça s'est médiatisé partout. Là je recevais des lettres aussi élogieuses qu'insultantes.
- Speaker #0
Comment on fait quand on reçoit des lettres insultantes ?
- Speaker #1
Alors au début, c'est un peu dur parce que je n'avais pas l'impression de faire du mal à qui que ce soit. Mais on a pensé que je prenais les parts de marché du vin traditionnel. L'économie commençait un peu à se serrer puisqu'à la sortie du Covid, on a eu la guerre en Ukraine, l'inflation. Le marché est très difficile, il ne faut pas se fleurer dans le milieu du vin. On est loin d'être une priorité pour le portefeuille du consommateur. Il y a d'autres engagements bien plus importants pour les portefeuilles. Donc il fallait trouver des solutions et je me suis dit, c'est tellement médiatisé que je ne vais pas lâcher l'affaire, je vais rester dans la locomotive et essayer de tracter avec moi un maximum de personnes, de leur donner des issues s'ils veulent me suivre. J'ai rencontré le préfet il n'y a pas si longtemps que ça, sa femme a bien dégusté mes ventes désalcoolisées et puis lui, il suivait un petit peu le commun des mortels des Bordelais, je lui ai un peu forcé la main pour qu'il déguste. Il a dégusté, il a constaté que c'était bon. Je lui ai dit, vous savez, c'est bon, mais pas que gustativement. C'est aussi bon pour l'économie de Bordeaux. Si le vin ne va pas, c'est toute une économie qui va s'effondrer et qui est en train de s'effondrer. Il m'a écrit ensuite et il m'a dit qu'il me félicitait pour l'audace que j'avais, pour le courage que je pouvais avoir de recevoir toutes les critiques dont il peut entendre parler. Et je vous assure que parfois, vous arrivez à se pendormir après certaines insultes que je ne saurais dire. Parce que je pense que ce langage, aussi vulgaire qu'insultant, je ne saurais pas l'utiliser moi-même. Voilà, mais on avale. Et puis moi, je pense aussi à ma structure, que je mène toute seule et de front à mes enfants, que je dois continuer à élever une facture, que je dois continuer à payer. Et je me dis, continue. Et de plus en plus de propriétés, aujourd'hui, commencent à suivre le filon du désalcoolisme.
- Speaker #0
Tout à fait, on le voit. de 2-3 millésimes, où sur les salons internationaux, on en parle. Oui, il faut passer par une phase d'expérimentation. Et puis si on n'expérimente pas, si on ne teste pas, on ne peut pas savoir. Oui, ça désacralise le vin. Oui, ça... Oui, oui, d'accord. Mais de toute façon, on est dans un monde de changement de paradigme. À un moment donné, le climat nous le montre. Il y a beaucoup de choses qui nous montrent qu'il est temps de changer nos modes de fonds classiques et traditionnels. C'est une voie et félicitations de le faire. Il faut le faire. Et aujourd'hui, ce vin désalcoolisé, par rapport à l'ensemble de ta production, ça représente combien de pourcents en volume bouteille ?
- Speaker #1
Alors moi, ça correspond à peu près à un tiers de ma production aujourd'hui. Ce qui est joli. C'est à l'écréchaine d'eau et c'est très joli. On apprend à fonctionner différemment économiquement sur nos structures aujourd'hui. Je rebondis aussi sur... sur le fait que le vin désalcoolisé, c'est pas... Alors oui, c'est désacralisé si on fait face à la tradition, mais si on regarde un petit peu plus loin, on ne fait pas le même vin que faisait mon arrière-grand-père, que faisait mon grand-père ou que faisait mon père. Le consommateur change. Il faut évoluer avec son temps et avec les générations. On a une nouvelle génération qui consomme beaucoup moins, voire pas du tout, d'alcool, et lui permettre... de consommer quelque chose qui vient du terroir de la vigne, je pense que ce n'est pas 100% désacralisé, parce qu'il y aura peut-être un rebondissement. Donc plutôt que d'aller arracher mes vignes et dire bon, ça me fait une économie pour 9 hectares de 100 000 euros, je continue à produire et à générer du plaisir autour des tables, des jeunes, aller dans les bars à vin et regarder. Ils consomment du vin désalcoolisé autour d'une... d'une assiette de fromage et de charcuterie. Donc ce n'est pas complètement désacralisé, je pense. Et puis les gens qui souffrent de maladies, ce n'est pas les mettre à l'écart. Ceux qui ont eu des problèmes de dépendance, on ne va plus leur demander pourquoi ils ne consomment pas d'alcool. La femme enceinte qui a besoin de rester discrète, que ce soit pour son travail ou que ce soit parce que c'est trop jeune aujourd'hui à dire, on n'a pas besoin de lui demander pourquoi elle ne boit pas de vin parce qu'elle a sa bouteille, sa carafe et son verre de vin. Moi, j'ai envie de consommer ça aujourd'hui, tout simplement. Et puis les confessions religieuses différentes. Moi, je travaille aujourd'hui avec de la prestation de service qui se compose de personnes de confessions différentes. Ils sont tellement fiers de venir me chercher quelques bouteilles de vin désalcoolisé. Ils l'ont faite. Ils l'ont fait à mes côtés. On a travaillé ensemble, on est partenaires et on a fait le millésime ensemble. Voilà, donc ça s'appelle vin désalcoolisé parce que c'est vraiment issu. de mon grand vin, ça a fait sa fermentation alcoolique, ça a fait sa fermentation malolactique, ça a passé son temps en barrique de la même manière, avec le même savoir-faire et la même passion que mon grand vin. Et c'est mon grand vin que je lui ai désalcoolisé parce que je lui ai donné le meilleur et qu'à la base, il faut donner le meilleur. Quand on a enlevé l'alcool du vin, il ne reste plus que le brut. Autant donner le meilleur dès le départ pour ne plus avoir à rééquilibrer. Je ne mets aucun intrant. si ce n'est mon mou concentré rectifié, c'est-à-dire mon jus de raisin duquel j'ai enlevé les arômes et l'eau. Donc ça devient le sucre naturel du raisin que je réintègre à 1 g par litre. Plus de calories, plus d'alcool. Oui,
- Speaker #0
parce que souvent c'est ce qu'il faut regarder, c'est les calories d'un vin désalcoolisé. Toi donc, il est désalcoolisé, tu appliques, comment s'appelle la méthode utilisée pour désalcooliser ?
- Speaker #1
Je fais une désalcoolisation sous vide. Et inverser. Je vais retirer l'alcool par distillation sous vide, puisque le vin n'est plus protégé, il n'y a plus d'alcool, donc on le met sous vide. Et pourquoi inverser ? Parce qu'au lieu de le faire à 72 degrés, comme pour un cognac, un armagnac ou autre, je le fais à 32 ou 34 degrés maximum, pour ne pas casser les équilibres du vin, pour ne pas cuire les arômes de mon vin, et pour lui donner le meilleur de ce qu'il pourra offrir autour d'une table et d'un accord, mais vain.
- Speaker #0
Avant d'avoir fait ce volume de 35 000 bouteilles pour les Qatari, est-ce que tu avais expérimenté justement pour discuter ou valider tout au moins la meilleure méthode à adapter ? Puisqu'il y a plusieurs méthodes. Tu as fait sur quelques dizaines, quelques milliers de bouteilles, centaines de bouteilles. Comment tu as fait ? Quelques échantillons ?
- Speaker #1
J'ai essayé toutes les solutions qu'on pouvait nous offrir. La meilleure s'est révélée celle-ci. Moi, je ne juge personne et je ne parle pas pour les autres. Et on a fait 5000 bouteilles pour commencer avec cette solution, d'abord en Belgique, puis en Allemagne. Et ensuite, on a réussi à créer des structures.
- Speaker #0
Donc dans le Bordelais, tu as une structure qui te permet de faire à façon ?
- Speaker #1
Exactement, à 20 minutes de la propriété. Donc ça répond encore plus à mes convictions de respect environnemental.
- Speaker #0
Super. Justement, sur la propriété, est-ce que tu as un label RSE ? Ou tout au moins, tu as des actions et tu communiques sur ces actions RSE ?
- Speaker #1
Alors moi, je ne communique pas sur mes actions. Je suis haute veille environnementale niveau 4. J'ai mes ruches, j'ai des enfants.
- Speaker #0
On se promène dans les vignes et j'ai aucun scrupule à me promener dans les vignes avec mes enfants parce que je sais à quel point je suis vigilante et j'essaye de travailler le plus en harmonie avec mon terroir. Mais je ne communique absolument pas dessus. parce que je réponds à mes propres convictions. J'ai entre les mains des terres que j'entends bien transmettre à mes enfants, à mes arrière-petits-enfants. Mon partenariat avec mon vignoble, il n'est pas fait pour être du court terme, mais du long terme. Et plus je le respecterai, et plus je sais qu'il me le rendra. Aujourd'hui, on arrive à avoir des millésimes qui ne me laissent pas en pénurie de vendanges, sauf quand c'est du gel ou de la grêle, mais sans ça, on... On prend soin de la terre et elle nous le rend bien.
- Speaker #1
Alors tes vins te ressemblent en quoi ? Et quand tu les conçois, tu le fais d'abord avec ton cœur ou avec la tête ?
- Speaker #0
D'abord avec mon cœur, parce que je pense que ce qui est écrit dans les livres, il faut savoir l'adapter à ce qu'on a entre les mains. Mes vins, ils me ressemblent, ils ont le même caractère que moi. Si on prend la dame de Boire, elle est pleine de peps, pleine de dynamique. Elle ne va pas laisser les papilles au repos. Elle séduit dès son entrée de bouche par beaucoup de gourmandise, de générosité. Donc je pense qu'en ce sens aussi, je veux partager ma passion avec tous. Et c'est en ça que j'essaye d'être généreuse avec les gens qui vont partager mes bouteilles. Je ne suis pas une vendeuse de tapis, donc je fais avant tout ce que j'aime pour le partager. Mes vins... ont beaucoup de caractère et mes vins seront satisfaits le plus longtemps possible aussi. Et c'est ce que j'essaye de transmettre aux gens.
- Speaker #1
Alors on est à Saint-Emilion. Saint-Emilion, c'est aussi la fleur, la fête. La flèche de la fleur. Et il y a aussi la fleur de Bois, qui est une propriété. Et moi, j'aimerais savoir ce que signifie fleur, en fait, dans le Bordelais, parce qu'il y a souvent des propriétés qui s'appellent fleurs. Est-ce qu'il y a une particularité ? C'est une désignation ?
- Speaker #0
Alors, il y a plusieurs désignations, certainement. Mais celle qu'on m'a toujours enseignée, c'est que sur le plateau de Pomerol, c'est là que la fleur de la vigne se réalise la toute première dans Bordeaux. On a la fleur pétrus, on a la fleur gazin, la fleur de bois.
- Speaker #1
On parle de la fleur qui est la fête au mois de juin. En amont, en avril, il y a les primeurs. Les primeurs, c'est vraiment un moment très particulier pour les grands crus. Est-ce que tu peux en parler ? J'aimerais bien savoir la définition des primeurs à Bordeaux et avoir ton point de vue à 2025, justement, sur les primeurs. la légitimité de ce moment fort, de cet événement, par rapport à ce qu'on vient de discuter avant, où il y a un moment donné, on change aussi nos modes de fabrication de vin, on s'adapte à la consommation. Est-ce que tu peux nous expliquer les primeurs de Bordeaux ?
- Speaker #0
Les primeurs de Bordeaux, c'est très spécifique à Bordeaux, c'est un système qui fonctionne avec le courtage, le négoce et la propriété. Le courtage va faire le lien entre la propriété et le négoce. Pourquoi ? Parce que nous on fonctionne avec une année de culture, une année d'élevage dans l'échée, et puis ensuite on vend nos vins. Donc on va avoir besoin de trésorerie et le système qui a été trouvé à Bordeaux pour faire cet apport de trésorerie au milieu viticole, c'est de vendre le vin quand il est encore en barrique. Le fait de vendre le vin en primeur, normalement, doit offrir à l'acheteur la possibilité de faire une affaire, de le payer un peu moins cher que lorsqu'il va être en livrable, en bouteille. Nous, ça nous fait un apport de trésorerie parce qu'on continue à payer nos équipes qui vont avancer sur le cycle cultural. On va payer les piquets, les marquants, les fils, les barriques et tout le travail qu'on a à faire avant de mettre en vente. Et les stocks, voilà. Sa légitimité, elle l'est encore certainement pour beaucoup de propriétés qui vont avoir des vraies valeurs ajoutées après leur mise en marché. Nous, aujourd'hui, sur des vins plutôt marchands comme Château-Clos-de-Bois, personnes sont encore présentes sur ce marché pour nous mais quand il y a encore 5-6 ans on vendait à peu près 80 à 90 % de notre production en primeur. Aujourd'hui si on en vend 10 % c'est déjà pas mal. On ne s'assied jamais sur un apport de trésorerie dans une conjoncture aussi compliquée mais on prend ce qu'il y a à prendre. Et aujourd'hui, je suis sortie en primeur, moi, avec mes vins de Château-Clos-de-Boire, d'Âme-de-Boire, on verra. Mais il y a 5-6 ans, dans la journée, on avait déjà des retours de vente. Je suis sortie à 9h ce matin. On verra bien en fin de journée ce que j'aurais pu séduire.
- Speaker #1
Très bien, très bien. C'est intéressant. C'est vrai que j'ai eu la chance de participer deux ou trois fois au primeur de Bordeaux. C'est un événement, mais quand on n'est pas de Bordeaux, on arrive là, mais waouh, on fait waouh, on rentre dans des propriétés incroyables, on est accueillis, mais c'est incroyable. On sent que c'est le moment où les propriétaires de Bordeaux mettent en avant tout ce qu'ils peuvent mettre en avant. Et c'est un grand moment. Alors oui, il y a des millésimes qui passent plus ou moins, on va le dire, parce que c'est vrai qu'il y a les conséquences climatiques aussi qui peuvent jouer et influencer, mais c'est un grand moment.
- Speaker #0
Une semaine avant les mises en marché, On reçoit les gens du monde entier, nos importateurs, nos distributeurs, les critiques de vins, les critiques de vins qui vont faire la pluie et le beau temps sur nos ventes de primeurs. Donc c'est un gros challenge. La climatologie joue énormément dans cette période parce que ça impacte aussi sur la pression et donc sur la capacité de dégustation des vins qui ne sont pas encore stabilisés. Une pression haute, une pression basse va faire ressortir plus ou moins les tannins, le côté boisé de la prise de bois parce qu'on est forcément... En plein milieu de cette période de prise de bois, le vin n'a que 5 mois. On l'a vendangé au mois de septembre, octobre. Il n'a que 5 mois de vieillissement en barrique. C'est comme demander à une femme d'accoucher au milieu de sa grossesse.
- Speaker #1
Justement, est-ce que ce ne serait pas judicieux de décaler d'un ou deux mois ? Je ne sais pas, ça serait l'idéal ?
- Speaker #0
C'est un vrai sujet. Après, il y a les ponts, après il y a l'été, les importateurs aussi partent en vacances. Donc, il fallait trouver le juste milieu pour arriver à saisir tout le monde au même moment.
- Speaker #1
Quel serait le meilleur mois pour apprécier à sa juste valeur ce vin qui est encore évidemment tout jeune, en train de se faire, en train de s'affiner, qui est en pleine adolescence, mais où on arrive déjà à voir les traits quand il sera adulte ?
- Speaker #0
Juste avant sa mise en place.
- Speaker #1
Mais on va attendre longtemps.
- Speaker #0
Voilà, donc je pense que... Tout est bon à son accomplissement, mais là, c'est une solution parmi tant d'autres. Et puis, on arrive à recevoir des gens qui ont la capacité de se projeter, de s'imaginer le vin qu'ils vont vendre à leurs clients et puis générer des opportunités de vente. Voilà, un apport de trésorerie avant la mise en marché définitive.
- Speaker #1
On va parler d'un sujet de leadership. Leadership au féminin, c'est quoi dans le bordelais ? Et pour toi, c'est quoi ta définition de leader, de leadership ?
- Speaker #0
Ma définition du leadership, c'est toujours se donner à fond. Moi, en tant que femme... C'est foncer, c'est le challenge, c'est aller trouver des solutions là où il n'y en a pas, c'est se lever le matin avec une motivation infernale et se dire aujourd'hui, de toute façon, je n'ai pas le choix, je fonce. Le leadership pour moi, c'est ma vie, c'est tous les jours. Je suis désolée, je n'ai pas forcément la réponse que tu attends. Parce que le leadership, c'est ce qui me représente, c'est ma personne, c'est mon caractère, c'est être une fonceuse quoi qu'il en soit, c'est être avenante et savoir accueillir le mieux possible chaque client, c'est donner sa chance à chaque jour et à chaque lendemain. C'est se projeter, c'est surtout avoir des challenges, parce que quand on n'en a pas, je pense que les gens qui n'ont pas de challenge et qui ne se donnent pas un but un peu plus loin, ils n'auront jamais la motivation et l'ambition d'avancer. Moi, je suis une femme pleine d'ambition, pleine de challenge, très gourmande de partage et donc j'ai tous les jours envie de foncer plus que jamais.
- Speaker #1
Et alors, c'est quoi la vision du Claude Bouard dans 10 ans ?
- Speaker #0
Je l'espère d'être toujours là. Le Clos de Bois, j'espère lui donner longue vie pour une multitude de raisons, mais le Clos de Bois, je voudrais que ce soit une marque phare, une marque représentative de partage, une marque représentative de convivialité. J'adore, la semaine dernière, j'ai des jeunes qui sont arrivés avec leur bouteille de dame de boire et m'ont demandé de la signer. Ils m'ont dit, on s'est rencontrés autour de cette bouteille-là avec ma chérie et on va se marier. Est-ce qu'on pourrait avoir vos vins pour notre mariage ? Voilà, le château Clos de Boire, je voudrais que ce soit représentatif comme ça aux yeux des jeunes, aux yeux de toutes les générations.
- Speaker #1
C'est beau, c'est un beau témoignage en fait.
- Speaker #0
J'espère, j'espère, c'est comme ça que je ressens. Moi, le château Claude Avoir, c'est ma vie, c'est l'accomplissement de ma vie. Parce que quand j'ai acheté cette propriété, je ne croyais jamais y arriver. Ça faisait sept ans que je cherchais mon vignoble et je n'arrivais pas à le trouver. Je me disais, en fait, je vais finir ma vie en travaillant en famille. Ce n'est pas dénigrer ma famille, mais j'avais besoin de faire mes preuves, de me les faire à moi avant tout, et puis de montrer que... Moi aussi, j'étais capable de me faire ma place quelque part. C'est pas simple, c'est pas simple tous les jours d'avancer en étant, comme on le disait tout à l'heure, dans l'ombre de mon père. Mon père, j'en suis très fière, mais j'avance dans son ombre parce que c'est un homme qui a un tel charisme dans le milieu du vin que passer après lui, c'est pas simple. Donc il fallait que j'arrive à trouver une solution de me différencier en faisant mes vins. déjà je me différencie, je me bats pour mon prénom et je lui dis tous les jours c'est pas parce que je te renie papa, mais j'ai besoin d'exister moi aussi pour la personne que je suis, pour les vins que je fais et pour que mes enfants soient aussi fiers de leur mère parce qu'elle n'est pas que la fille de leur grand-père. Et je me démarque en étant différente, je suis différente à travers les vins qui ne sont pas les mêmes que les siens. qui ne vont pas satisfaire forcément le même consommateur, parce qu'on ne va pas boire une bouteille de clôt de bois ou de dame de bois comme on va boire une bouteille d'Angélus. C'est plus occasionnel, c'est des vins qu'on ouvre pour des occasions, pour Noël, pour les fêtes, pour un anniversaire. Ce n'est pas le vin de tous les jours. Aujourd'hui, mes vins offrent une accessibilité, tant par le prix que par l'accessibilité gustative. Je fais des vins désalcoolisés, donc je me différencie totalement aussi du reste de ma famille. Mais aujourd'hui, c'est accepté. Et je suis même accompagnée pour la première fois par mon père dans le cadre des dégustations primeurs. On a pu le présenter à certains importateurs. On ne peut pas être partout, donc c'est bien d'être en famille aussi dans des moments comme ceux-là, parce qu'on se relaie un petit peu les bébés de chacun. on se renvoie... certaines opportunités de dégustation, de vente. Et tout est à prendre aujourd'hui dans la conjoncture.
- Speaker #1
En fait, tu es en train de briser un plate-fond de verre.
- Speaker #0
Peut-être.
- Speaker #1
Tu parlais de tes enfants tout à l'heure. Tu as deux enfants. Donc, tu as commencé l'entreprise ici en 2016. Tu as deux enfants, 13 ans et 15 ans. Comment on fait quand on est une maman qui entreprend ? On pète partout ou on délègue ?
- Speaker #0
Il faut apprendre à déléguer. Ça a été très très dur de déléguer, mais la vie m'a imposé de savoir déléguer. Mes enfants, ils m'appellent tout le temps. Juste avant qu'on démarre ce podcast, ils m'ont appelé l'un comme l'autre. Là, j'ai mis mon téléphone en mode avion et ils savent que si je ne réponds pas, c'est que maman est en train de travailler. Ils savent que si on veut continuer à partir en vacances ou pour payer l'école de Gaspard, il va falloir laisser maman travailler.
- Speaker #1
C'est une école hôtelière.
- Speaker #0
En école hôtelière, il veut être chef, donc il veut faire les plus grandes écoles, il veut partir à Ferrandi, mais pour aller à Ferrandi, il faut que maman travaille.
- Speaker #1
Et tu penses que tes enfants, donc il y en a un qui a envie de faire l'hôtellerie, mais quand même, avec la gastronomie, donc à un moment donné, il veut dire résonance sur le vin. Est-ce que dans 15 ans, 20 ans, est-ce que tu penses qu'à un moment donné, la transmission se fera auprès de tes enfants ?
- Speaker #0
Alors, je ne sais pas du tout. C'est quelque chose que je ne leur imposerai jamais. C'est un métier qui est très difficile, physiquement, conjoncturellement. On est en partenariat avec la nature, et elle est imprévisible, mais on fait avec elle. Donc c'est vraiment très difficile. Aujourd'hui, il y en a un qui veut être chef, l'autre qui veut être photographe. Bon, ça peut être complémentaire du vin, pourquoi pas ? Peut-être, c'est ce que je leur disais, je disais peut-être que toi... Oscar, tu m'accompagneras un petit peu dans la communication, dans les belles photos que tu sauras faire, parce qu'il adore les photos de paysages, de fleurs, d'animaux. Et puis, Gaspard, faire de la bonne cuisine, pourquoi pas avoir son restaurant sur la propriété, mais c'est quelque chose que je ne lui imposerai jamais. S'ils le font, je serais très heureuse de travailler avec mes enfants, mais comme je disais tout à l'heure, travailler en famille, ce n'est pas facile. Il faut faire face aux caractères de chacun qui sont différents. Et moi, mon choix a été de préserver la famille et donc de m'écarter de ce travail en famille pour garder ce lien de famille qu'on peut avoir les week-ends, pour les fêtes. On partage des moments pleins de joie, de bonheur. de convivialité autour de la bonne gastronomie et du vin. Et ça, ça n'a pas de prix. Voilà. On n'a qu'une famille.
- Speaker #1
On n'a qu'une famille, oui.
- Speaker #0
Il faut savoir la préserver.
- Speaker #1
Je voudrais rebondir aussi sur, parce qu'on est sur la famille, en préparation du podcast, tu parlais aussi que tu avais fait des vins désalcoolisés, notamment pour ton mari. Est-ce que tu peux en parler ? Oui.
- Speaker #0
Donc malheureusement, aujourd'hui, mes enfants n'ont plus de papa. Mon mari nous a quitté de la maladie de Charcot, donc une maladie dont on entend beaucoup parler aujourd'hui, qu'on défend beaucoup, moi je le fais encore beaucoup. Mes enfants s'impliquent aussi beaucoup dedans. Et le vin désalcoolisé prenait encore plus tout son sens, même si je le faisais pour une question économique, marketing, c'était très sympa. Mais sur la fin de vie de la maladie de Charcot... On sait très bien que les poumons s'essoufflent et l'alcool était devenu compliqué à assumer par mon mari, qui était un grand sommelier puisqu'il a gagné la Coupe Ruinard du meilleur sommelier d'Angleterre. Il a gagné pas mal de trophées et il n'était pas concevable pour lui de ne pas boire un verre de vin tous les jours malgré la maladie. Ça lui remettait toujours le sourire.
- Speaker #1
Est-ce qu'on peut avoir ton prénom ?
- Speaker #0
Son prénom, c'était Loïc. Et faire du vin désalcoolisé pour lui, ça prenait vraiment beaucoup de sens puisque ça lui maintenait le sourire et le combat de chaque jour. Parce que même si c'était une maladie difficile, il disait que chaque heure et chaque jour gagné, c'était un moment de bonheur partagé avec sa famille.
- Speaker #1
Merci pour ce moment. Je voudrais revenir sur le leadership. Tu parles souvent de ta sensibilité et de ton lien à la nature. Est-ce que tu dirais que les femmes travaillent différemment la vigne, le vin et le management ?
- Speaker #0
Certainement. On a déjà des caractères qui nous différencient beaucoup entre les hommes et les femmes. Je le vois, on est deux hommes, deux femmes, et on adore travailler ensemble parce qu'on est complémentaires. Souvent, on vient chercher les uns les autres pour aller sur des sujets qui sont... seront plus facilement abordables par un homme ou par une femme. La dégustation, je pense qu'aujourd'hui, on arrive, nous, avec nos palais de femmes, à aller sur des vins qui seront plus dans l'accessibilité, dans la sensibilité, la gourmandise, la finesse, de la trame tannique. On est en train de changer complètement de caractère de vin par rapport à il y a 10 ou 15 ans encore. en termes de management on va forcément nous en tant que femmes toucher un élément de sensibilité qui n'est pas du tout le même que celui de l'approche d'un homme déjà on élève des enfants en plus de notre travail on a deux vies, il ne faut pas l'oublier celle qu'on a à la maison quand on élève nos enfants et celle qu'on a au bureau et je pense que le fait d'élever des enfants ça nous apporte un élément de sensibilité totalement différent en termes de management et puis euh... par la relation au travail, je ne sais pas, on a besoin de se challenger certainement plus que les hommes qui ont déjà fait leur preuve depuis des siècles. Et donc, notre place au milieu de cette hiérarchie, elle est prise de manière très différente.
- Speaker #1
Est-ce que tu dirais que quand on est une femme, surtout à Bordeaux, dans le monde du vin, il faut 10 fois plus de force ou 25 fois plus de force pour se faire... être acceptée ? Qu'est-ce que tu dirais ?
- Speaker #0
Moi, aujourd'hui, je pense qu'aujourd'hui, on est de plus en plus accepté, mais se faire valoir, on aura certainement besoin d'un peu plus de force émotionnelle parce qu'il nous faudra plus de temps. Mais on est de plus en plus accepté. Moi, je ne suis pas une féministe.
- Speaker #1
C'est revendiquer juste ta place ?
- Speaker #0
C'est revendiquer ma place, la faire valoir parce que je pense que je la mérite autant que certains hommes, que j'ai fait mes preuves et que je n'ai pas besoin d'en faire plus pour légitimer ma place.
- Speaker #1
Est-ce que dans le monde du vin, tu as une femme du vin ou d'ailleurs qui t'a bouleversée ou inspirée ?
- Speaker #0
Il y en a quelques-unes. En fait, je n'ai pas envie de donner de nom. Ok.
- Speaker #1
Toutes les femmes ?
- Speaker #0
Non, oui, je pense que j'aimerais bien que chaque femme puisse vraiment se légitimer et sache qu'elle a sa place. De la même manière que si on me demande quel vin j'ai envie de boire, je boirais le vin de mes amis en priorité. Mais je n'ai pas un ami ou une amie en priorité à qui je vais faire plaisir. parce que... À chaque jour, sa bouteille, à chaque état d'humeur, sa bouteille, je réfléchis. J'aime bien aller dans ma cave et me dire, tiens, aujourd'hui, je vais prendre celle-ci. Non, aujourd'hui, j'ai envie de boire plus un vin sur la sapidité ou un vin un peu plus construit. À chaque humeur, sa bouteille, c'est important. Et avant tout, celle de mes amis. Et puis, vraiment, que chaque femme sache qu'elle a sa place. si elle a vraiment envie de faire du vin, parce qu'on est toutes aussi capables les unes que les autres d'avoir notre place dans le milieu viticole ou agricole. Beaucoup de femmes agricultrices ont fait leur preuve et elles sont fortes, très très fortes. Moi, elles m'éprouvent.
- Speaker #1
Tout à fait. Alors, on va parler d'épreuves, de doutes, parce qu'en fait, tu parles peu de tes obstacles. Y en a-t-il un que tu n'as jamais vraiment partagé publiquement ?
- Speaker #0
Je pense que le doute, je l'ai tous les jours. Alors comme je te disais, mes doutes m'appartiennent, mais bon, il va falloir que je m'ouvre un petit peu. Je suis quelqu'un de très positif, de très avenante, et chaque jour j'arrive avec une énergie positive au bureau, même si la nuit je ne dors pas bien. J'ai plus de mari, j'ai mes enfants, j'ai un vignoble. C'est une charge colossale aujourd'hui que j'ai sur le dos. On ne peut pas revendre un vignoble comme on revend n'importe quelle entreprise. Parce que qu'on le veuille ou non, on vit plus ou moins endetté par un BFR sur deux ans. Qu'on le veuille ou non, on a des dettes. Sauf si on est un gros investisseur. Je me réveille la nuit en me disant comment je vais faire demain. Évidemment, comment je vais payer mes fournisseurs, comment je vais payer mes vendanges, comment je vais payer la taille, comment je vais payer mes bikes. C'est ma crainte de tous les jours. Le banquier aujourd'hui... Lui, il dit oui ou il dit non. Mais il ne va pas réfléchir avec moi en se disant « Bon, d'accord, peut-être que le mois prochain, elle vendra tant de bouteilles. » Parce qu'on ne le sait pas. On n'est pas capable d'avoir les perspectives de vente du mois prochain ou de la semaine prochaine. Économiquement, tout est chamboulé tous les jours. On est dans un milieu socio-économique et politique très compliqué, qui fait que le fait de ne pas avoir de perspective sur l'avenir, c'est mon angoisse de tous les jours.
- Speaker #1
Et surtout quand on aime avoir une vision, quand on aime les challenges, c'est vrai que, je partage ce que tu dis, on est dans un contexte là, mais... Qu'est-ce que c'est fragile ! On ne peut pas... Tous les matins, on a une nouvelle différente de la veille, d'un point de vue géopolitique,
- Speaker #0
et c'est hyper déstabilisant.
- Speaker #1
Parce qu'en tant qu'entrepreneur, on ne sait pas comment aborder la suite. On ne peut pas se projeter.
- Speaker #0
Le milieu de l'export est complètement chamboulé. Nous, on avait nos habitudes...
- Speaker #1
On exporte beaucoup d'ailleurs.
- Speaker #0
J'ai exporté beaucoup. Aujourd'hui, je vais peut-être exporter à peu près 20% de ma production sur les 80% que j'exportais avant. Mais du jour au lendemain, le marché américain est complètement chamboulé, même si aujourd'hui, il dit qu'il ouvre ses 90 jours sans taxe. En décembre, c'était 200%. En mars, c'est 20%. Ensuite, c'est 90 jours sans rien. Nous, nos clients, ils nous disent qu'en fait, on marche dans une incertitude totale. On ne sait pas si on s'engage ou si on ne s'engage pas. Après, avec l'Asie, on taxe les voitures électriques. On se retrouve avec des taxes sur nos produits à nous et des fermetures de marché. Tout ça, ça impacte la bourse, donc nos investisseurs. Donc, c'est une spirale infernale. Et il n'empêche que nous, on a... Un produit qui ne va pas s'arrêter, il s'appelle la vigne.
- Speaker #1
Exactement, tous les ans.
- Speaker #0
Et il pousse tous les jours.
- Speaker #1
Tous les ans, il donne du raisin.
- Speaker #0
Et on ne peut pas ne pas s'occuper de la vigne une année. C'est impensable parce qu'elle continue à pousser et qu'on a 30 hectares ici à gérer. Et si on ne la taille pas, si on ne l'aide pas à pousser comme il faut, à la plier, c'est une hygiène. Donc, il faut l'accompagner dans son cycle.
- Speaker #1
C'est sûr. Donc, tout ça pour dire qu'on va revenir sur... Sur ton parcours, est-ce que tu as eu un moment très douloureux, sur lequel ça a été très compliqué pour toi, que ce soit perso ou pro ? Perso, oui, tu en as parlé tout à l'heure, peut-être au niveau pro. Est-ce que tu as eu un moment vraiment très douloureux, que tu as réussi à dépasser, et comment tu l'as dépassé, ce moment ?
- Speaker #0
Moi, j'ai eu un moment où ma santé m'a fait défaut, et c'était... C'était une époque géniale, j'étais au château Angélus, tout fonctionnait très bien et puis du jour au lendemain, j'ai su que j'étais en train de me paralyser. C'était en plus une veille de 1er mai donc on ne pouvait pas m'opérer et je perdais. J'étais en train de perdre le contact avec mon corps et j'étais en train de mourir. On m'a diagnostiqué soit une tumeur au cerveau, soit une sclérose en plaques. Bon, c'était absolument pas ça. J'avais une perforation de la moelle épinière. Donc j'étais doucement en train de mourir. On m'a opérée, mais avant de m'opérer, on m'a dit « On ne sait pas si tu remonteras du bloc. » Donc j'ai donné mes dernières volontés à mon mari et à mes enfants. Tu avais quel âge ? J'avais 33 ans. Mais je leur ai dit, je vous les donne, mais je sais que je vais remonter. Et même si je remonte juste pour voir mes enfants, parce que si je remontais, c'était en fauteuil roulant, avec une reconnaissance oculaire, je voulais voir grandir mes enfants. Et puis, quand je me suis réveillée après cette opération, je voyais le chirurgien en face de moi. Il avait les larmes qui coulaient parce qu'il m'a vu me réveiller. Il a gratté mes pieds, il a vu mes orteils bouger. Pour lui, il ne savait pas à quel point je récupérerais ma motricité. Mais dès que j'ai pu totalement me réveiller et que j'ai été détubée, je lui ai dit « T'inquiète pas, moi je vais remarcher » . Et je me suis battue. Et aujourd'hui, si je raconte pas cette étape de ma vie, personne ne peut savoir que j'ai perdu toute la motricité de mon corps et que pendant deux ans, j'ai tout, tout récupéré en me battant. Mais de toute mon énergie possible, j'ai tout donné.
- Speaker #1
Pourquoi aujourd'hui, t'es une femme ultra positive ?
- Speaker #0
Quand on a traversé ça, on sait qu'on peut tout traverser. Il y a des choses, on s'en passe très bien. Mais voilà, tous les matins, j'ai une force morale et je me bats. J'arrive, j'ai la pêche. Dès que j'arrive dans mes vignes, je suis heureuse, je respire, je rentre dans une spirale positive.
- Speaker #1
Quelle est ta phrase intérieure qui t'aide justement chaque jour ?
- Speaker #0
Ah, mais le positif attire le positif. Donc, plus je serai positive et plus je m'amènerai de positive attitude. J'arrive ici, j'ai le sourire. Donc, mon équipe a le sourire aussi. Ce n'est pas facile. Ce n'est facile pour personne. Mais j'ai une équipe qui se donne à 200% avec moi. J'ai une chance inouïe d'avoir l'équipe que j'ai ici.
- Speaker #1
Mais tu as l'équipe que tu as choisie. Et puis, cette équipe, tu as choisi aussi.
- Speaker #0
C'est peut-être. Oui, voilà.
- Speaker #1
C'est quoi ta définition de réussite ?
- Speaker #0
Ma définition de la réussite, c'est d'être toujours dans la locomotive. Mon père me disait tout le temps qu'il fallait être dans la locomotive. Et aujourd'hui, c'est un peu ça mon leadership. C'est être pionnière dans le plus de domaines possibles.
- Speaker #1
Est-ce que tu fais partie d'associations genre Femmes de Vin ?
- Speaker #0
J'ai fait partie de quelques associations, mais en fait, je n'ai pas le temps de m'engager dans des créneaux ponctuels. Et ça, je ne préfère plus m'engager. C'est pareil, je suis dans... dans le collectif du Nolo, mais je suis incapable d'être disponible pour eux. J'y suis, mais je suis juste marquée sur le papier, ce n'est pas très glorieux pour moi. J'y suis parce que je fais partie de ces pionniers du vin désalcoolisé. Je faisais partie d'une association de jeunes viticulteurs. Alors on n'est plus les jeunes viticulteurs, on avance aussi, mais dès qu'on me demande aujourd'hui de faire partie d'une association, je dis que je pourrais intervenir ponctuellement, mais je ne peux pas continuer à... à être simplement marqué sur le papier, je trouve que ce n'est pas glorieux et ce n'est pas valorisant pour qui que ce soit.
- Speaker #1
Alors tu dis, on en a un peu parlé, mais je fais du vin pour vous. Est-ce que pour toi c'est un manifeste social, une philosophie personnelle ou plus vraiment une stratégie commerciale ?
- Speaker #0
Alors c'est une philosophie personnelle par-dessus tout. Je fais du vin pour partager ma passion avec les consommateurs. Je fais du vin pour que les gens soient heureux autour d'une table. Je fais du vin pour... Je pense qu'aujourd'hui, faire du vin, ça a encore plus son sens parce qu'on est dans une espèce de spirale. où tout est difficile, tout est compliqué, on rentre le soir chez soi, on a une journée lourde, mais se retrouver autour d'une table, et c'est de moins en moins que ça se fait, par le fast-food, c'est culturel, c'est générationnel, mais je pense que continuer à consommer une bouteille de vin autour d'un bon repas, ça remet la convivialité, ça remet la légèreté au cœur de nos vies. On en a besoin de ce moment où on va respirer à nouveau, où on va partager des bons moments entre nous. C'est important, sinon on va s'enfoncer dans la spirale infernale de cette conjoncture économique et politique.
- Speaker #1
Et c'est comme ça que moi je t'ai connue en fait, sur les réseaux sociaux, c'est à travers cette petite phrase que tu mettais, et je trouvais que c'était hyper accrocheur. Ça changeait justement de l'image Bordeaux conservateur. T'amenais cette différenciation. Et j'ai dit bingo, si ça marche, c'est super.
- Speaker #0
Mais elle est très sincère cette phrase. Et encore plus, depuis que je mets, je fais du vin pour tous, grâce au vin désalcoolisé, où chacun retrouve vraiment sa place autour de la table. Personne n'est mis à l'écart. Et le partage, c'est ça aussi. C'est... C'est ne mettre personne à l'écart et ne plus avoir de jugement sur qui que ce soit parce que le regard ne peut plus juger.
- Speaker #1
C'est sûr, c'est sûr. Un regard féminin sur le vin et le monde. Moi, j'aime à dire que le vin de femme marque notre époque. À ton avis, avec ton expérience, qu'ont-elles apporté à ce bel univers ?
- Speaker #0
La sensorialité.
- Speaker #1
Joli ça ! Est-ce que les vins faits par des femmes sont peut-être des vins faits avec plus de sensibilité, de délicatesse, plus de finesse ? Et ça leur ressemble ?
- Speaker #0
Je pense qu'on touche quelque chose à travers tous ces mots-là, mais je pense aussi que les hommes commencent à s'adapter à cette sensibilité, cette délicatesse dont on a tous besoin. pour rendre le vin plus accessible. J'ai un message assez fort là-dessus, c'est qu'on fait du vin tous les ans. On a besoin de vendre notre vin tous les ans et on fait un vin qui est accessible et gourmand immédiatement, pour qu'il soit consommé immédiatement. Donc on ne fait plus ces vins massifs, très construits, qui avaient besoin d'une dizaine ou d'une quinzaine d'années pour être consommés. Aujourd'hui, on peut se faire plaisir avec une bouteille immédiatement. Ça, il faut le faire parce que nous, viticulteurs, on a besoin que les gens consomment et viennent recharger leur cave chez nous, avec modération.
- Speaker #1
Pour en revenir sur des choses un petit peu plus légères, ton pourquoi le matin, on l'a compris, mais est-ce que tu as un rituel secret à nous partager, quelque chose qui t'ancre, que tu as envie de partager aux auditeurs ?
- Speaker #0
Mon rituel le matin, non, j'en ai pas. Moi, je me lève... motivée plus que jamais pour partir dans mes vignes, puisque maintenant j'habite à Bordeaux, donc j'ai ma petite demi-heure de route où je vais prendre le temps de... Si, voilà, mon rituel, il est là, c'est dans ma voiture. J'appelle le maximum de personnes pour partager avec eux le moment qu'ils ont vécu autour de mes bouteilles. Et ça, c'est le petit moment que je vais avoir. Parce que sinon, quand je suis dans les vignes, quand je suis dans les chais, quand je suis dans les bureaux, je suis un petit peu harponnée de partout. Et ça, c'est le moment que je peux vivre avec les consommateurs qui ont pris leur petit rituel aussi de m'appeler pour partager le moment qu'ils ont vécu autour de la table avec mes bouteilles.
- Speaker #1
Alors dans ce monde très, très actif, Coralie, qu'est-ce que, en plus de te balader dans les vignes pour te ressourcer, est-ce que tu as d'autres formes de ressourcement ?
- Speaker #0
Mon ressourcement, c'est le soir avec mes enfants. J'adore parce qu'on partage ce qu'on a vécu la journée. Mais si moi, j'ai une journée un peu lourde, je vais écouter la légèreté de ce qu'ils vont partager avec moi. Ils sont toujours plein de vie, plein de joie. Et puis mon fils qui me prépare mes repas.
- Speaker #1
C'est top.
- Speaker #0
Ça, c'est quand même génial. Maman, je crois que tu as eu une lourde journée, donc je t'ai préparé. un poulet au curry ou un risotto aux asperges et aux fruits de mer, il m'a fait la semaine dernière. C'est juste génial, moi je rentre, ça c'est plus léger. Écouter de la musique, j'adore écouter de la musique. J'ai ma platine vinyle et j'adore aller sourcer mes vinyles, soit dans les brocantes, même s'il y a quelques cris de ventes, parce que ça c'est l'histoire du vinyle aussi, ça fait partie de son charme, mais je vais aussi chercher les derniers groupes. pour paraître un peu moins ringarde auprès de maison.
- Speaker #1
C'est quoi le style que tu aimes bien quand tu vas chiner les brocantes ?
- Speaker #0
Moi, je suis assez classique. J'écoute pas mal de jazz. J'écoute pas mal de rock. Je vais à pas mal de concerts. Le dernier où je suis allée, c'était Lenny Kravitz. Donc, je touche un peu tous les styles.
- Speaker #1
Le beau Lenny.
- Speaker #0
Exactement. J'espère qu'on sera tous comme ça plus tard. Mais ça, c'est déjà loupé parce que je suis trop gourmande et certainement moins ambitieuse que lui à la salle. Quoique je sache que j'ai besoin d'aller à la salle presque tous les jours. que j'y vais à peu près trois fois par semaine avec mes enlevants. Donc c'est un moment qu'on partage aussi. Mais sinon, on va finir obèses, parce que si on compte le nombre de personnes avec lesquelles on fait, on montre les accords, mes vins, qu'on peut faire avec nos vins, on est toujours très gourmands, gourmets. On mange bien.
- Speaker #1
Ma tendance est un peu épicurienne.
- Speaker #0
Oui, c'est bien, mais la vie est courte, donc il faut en profiter.
- Speaker #1
Si tu devais offrir une bouteille de ton clos de bois à une femme inconnue, ce serait quel vin et pourquoi ?
- Speaker #0
Une femme inconnue, je lui offrirais soit un clos de bois 2016, soit... Une dame de boire sur un millésime 2019. Même si elle est inconnue, mais que je dois la rencontrer, j'aurais échangé un petit peu avec elle. Donc soit je ne sais pas trop quel est son goût et la dame de boire dressera aussi sa table à travers son étiquette. Après, je sais qu'en général, dame de boire, c'est gourmand. Donc on arrive facilement à générer du plaisir. Clos de boire.
- Speaker #1
2016 parce que c'est mon premier millésime et que j'aurai mon histoire à raconter on va terminer par des notes légères on parlait un peu de musique tout à l'heure mais si Dionysos était une femme qu'écouterait-elle ?
- Speaker #0
mes enfants m'ont offert un album qui s'appelle No Doubt c'est une femme et je pense qu'elle exprime beaucoup de choses comme je Comme moi, je les exprime, je suis une femme et alors ? Je suis une femme, mais je suis capable. Je suis une femme et je suis libre. Et je le traduis même à travers mon blanc, par exemple. On ne me laisse pas faire mon blanc comme je le veux. Donc, je ne réponds pas forcément au cahier des charges de l'appellation. Donc, ce n'est pas grave. Je fais le vin que je veux et je suis passée en IGP 20 pays de l'Atlantique. Ils se vendent très bien et je partage mon plaisir avec plein de gens. Voilà, No Doubt, ça me représente pas mal. Elle crie beaucoup, elle est excitée. Mais moi aussi, je crie ma passion.
- Speaker #1
C'est le nom de la chanteuse ou c'est le nom de l'album ?
- Speaker #0
C'est le nom du groupe.
- Speaker #1
Ok. Alors, si Dionysos était une femme, quel vin boirait-elle ?
- Speaker #0
Ça dépend quand. Aujourd'hui, il va faire chaud. Et ce soir, je boirai peut-être un vin provenant de Châteauneuf-du-Pape. Et pour parler d'une femme héticultrice, Isabelle Ferrando.
- Speaker #1
Très bien, bon choix. Si Dionysos était une femme, quel livre dirait-elle ?
- Speaker #0
Alors, en ce moment, je fais pas mal de parallèles avec l'histoire. On en parle beaucoup avec les enfants et je leur parle de l'histoire du vin. Donc, le vin et la guerre. La guerre et le vin.
- Speaker #1
Une belle personne à qui tu voudrais rendre hommage, une gratitude aujourd'hui ?
- Speaker #0
La personne à qui je rends le plus hommage aujourd'hui, c'est mon mari. Parce qu'il a toujours eu confiance en moi. quand j'étais... Même au doute de « est-ce que j'achète vraiment 30 hectares ? » puisque j'en avais prévu 4-5, il m'a dit « vas-y, fonce, je suis là, t'en es capable » . Mon mari repose au clos de bois avec nous, donc les enfants y vont tous les jours. Et puis c'était vraiment l'exemple même de se battre pour toujours plus, se battre pour aller chercher le positif, et puis être convaincu que le positif... On va le chercher en en ayant en soi.
- Speaker #1
Voilà. Alors sur cette belle dédicace, je pense qu'on a tout dit. Je te remercie beaucoup Coralie pour cette conversation vraiment passionnante et inspirante.
- Speaker #0
Merci à toi et merci pour ce moment. J'espère que... On aura pas mal de retours sur ce podcast.
- Speaker #1
Bien sûr, merci beaucoup. Alors évidemment, si les auditeurs et les auditrices souhaitent te contacter, tous les réseaux sociaux, Coralie Debouard ou le château sur le site internet www.chateauclaudebouard.com et les réseaux sociaux Instagram, Facebook et LinkedIn.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Merci Coralie.
- Speaker #0
Merci à toi.
- Speaker #1
Je remercie mon invité pour la qualité d'échange et son authenticité. Si vous avez apprécié comme moi les sujets abordés, alors mettez plein d'étoiles pour plus de visibilité et laissez un avis sur Apple Podcast. C'est grâce aux étoiles et aux pouces levés que le podcast Si Dionysos était une femme a sa raison d'exister. Et pour suivre l'actualité du podcast Si Dionysos était une femme à sa page LinkedIn et Instagram. Likez, partagez, commentez. A très vite pour de nouvelles écoutes.