- Speaker #0
Bonjour à toutes, bonjour à tous, une pastille de philosophie consacrée aujourd'hui à l'œuvre d'art, son sens, sa nature, sa fonction. J'ai le plaisir d'être accompagné par Raphaël Krovicki. Raphaël est avocat, juriste, spécialiste de la propriété intellectuelle. Il a une formation en philosophie et tous les deux, nous avons eu l'idée de parler de l'œuvre d'art et de la propriété. de l'œuvre d'art à l'ère du numérique, c'est-à-dire à l'ère de la dématérialisation des contenus et de l'automatisation partielle du processus de création. Vous le savez, on peut désormais composer une musique, bonne ou mauvaise, mais en tout cas on peut désormais composer une musique, écrire une nouvelle, ou faire écrire même un roman par l'intelligence artificielle. Et donc la question est de savoir quelle est la part encore de la créatrice, du créateur, dans l'œuvre qui est produite. Quelle est la part de la propriété ? Comment la distribuer ? Si tant est qu'il faille la distribuer entre le logiciel, entre l'intelligence artificielle, entre guillemets en tout cas, l'intelligence artificielle et le créateur, la créatrice de l'œuvre. C'est dans un deuxième temps, évidemment, que nous allons aborder cette question précise de la propriété intellectuelle de l'œuvre d'art à l'ère du numérique. D'abord, il convient de définir l'œuvre d'art, de cerner un petit peu les... les contours de ce qui va être l'objet de notre réflexion. Ma première question à vous Raphaël, bonjour, c'est de savoir quel est l'intérêt de parler du droit, ou en tout cas de convoquer le droit, pour traiter de la question de l'art, de la question des œuvres d'art, et de la question philosophique de l'œuvre d'art.
- Speaker #1
Eh bien bonjour Philippe, et bonjour à tous les auditeurs de votre... de votre chaîne Kélos, dont les contenus sont très intéressants. Et donc merci pour cette invitation. Alors pourquoi parler de droit ? Eh bien, cette question nous permet finalement d'aborder, de commencer par un point assez important, à savoir que pourrait bien être un dialogue entre droit et philosophie, et ce qu'il sera dans ces deux vidéos. concernant le redard. Alors tout d'abord, l'originalité est qu'il s'agira précisément d'un dialogue. Un dialogue, c'est-à-dire que ce dialogue n'a pas vocation à aboutir à une thèse interdisciplinaire et à clore le débat d'une façon ou d'une autre, ni même encore moins à fonder... le droit et notamment ce que le droit a à dire sur l'art sur des principes philosophiques que l'on tenterait de rendre normatifs. Donc l'idée n'est pas de fonder le droit de l'art si l'on est sur la philosophie, tout simplement parce que cela n'a aujourd'hui plus vraiment... de sens, si cela en a eu un, parce que, en tout cas, cela n'en a plus, parce que finalement nous sommes face à deux ou trois disciplines, l'art, la philosophie et le droit, qui aujourd'hui et depuis un certain temps se constituent de façon et se développent de façon autonome les unes des autres. et elles-mêmes d'ailleurs se sont respectivement autonomisées. disons, de ce qu'il y avait de religieux dans une certaine métaphysique et de religieusement normatif dans cette métaphysique, à savoir une certaine censure religieuse finalement. En revanche, il est clair, et c'est d'autant plus intéressant, il est clair que la philosophie du droit, la philosophie morale, la philosophie politique, et pour ce qui nous concerne, la philosophie de l'art ou l'esthétique peuvent, doivent et même d'une façon ou d'une autre vont influencer consciemment ou inconsciemment le législateur et le juriste. C'est-à-dire que nous allons finalement parler de l'artiste, des fruits de son activité, c'est-à-dire l'œuvre d'art, et puis de son public. Pourquoi je dis cela ? Parce que nous allons finalement, ce n'est qu'un exemple, mais il est assez central, nous allons dialoguer autour d'un concept central aussi bien pour le droit que pour la philosophie, à savoir le sujet, le concept de sujet qui est évidemment central en philosophie, la subjectivité de l'artiste, la subjectivité du public et ce que l'œuvre... peut être comme médiation entre ces deux subjectivités. Et puis, bien sûr, le sujet juridique, sujet juridique qui n'est pas une notion, qui est une notion, précisément, qui n'est pas... Disons une norme issue immédiatement d'un texte normatif. C'est une qualification fondamentale, le sujet juridique, le sujet auquel s'attachent certains droits subjectifs, et notamment ce sujet juridique particulier qu'est l'auteur. Nous voyons bien ici qu'il y a finalement sous des angles... différents, et bien un concept partageable, un concept commun qui va nous permettre précisément de dialoguer. Alors toutes ces précautions introductives posées, Philippe, je vous renvoie précisément à la balle. Par quelles questions, par quels thèmes souhaitez-vous aborder notre dialogue ?
- Speaker #0
Eh bien Raphaël... Selon moi, il convient de commencer par définir, par circonscrire le domaine de l'art et des œuvres d'art en se focalisant sur la notion d'œuvre. Pour cela, je vais me servir d'une distinction célèbre qui est faite par Anna Arendt dans son livre « Conditions de l'homme moderne » . Et ce que fait Arendt, c'est qu'elle distingue trois grands domaines, trois grands champs de la condition humaine. Le travail. l'œuvre ou les œuvres et l'action. Alors le travail, c'est l'activité humaine liée à la production, liée à la fabrication, activité biologique, activité physique, intellectuelle. C'est la mobilisation des forces humaines dans l'activité que font les êtres humains. L'œuvre ou les œuvres, cela comporte tous les ouvrages de l'artisanat et de la technique et aussi les ouvrages de l'art, ce qu'on appelle les œuvres d'art. Et enfin l'action. Alors l'action, je ne vais pas trop m'étendre là-dessus, c'est ce qui concerne ce que font les êtres humains dans le champ social aux yeux des autres et qui ne produit pas nécessairement un objet. On peut penser à l'action politique, l'action législative par exemple, l'action oratoire, le fait de faire un discours, l'art oratoire, l'éloquence, ou bien l'action sur le champ militaire par exemple. Alors je reviens à cette notion d'œuvre. Dans les œuvres, il y a évidemment deux sous-catégories. Il y a l'artisanat et il y a l'art au sens strict. Autrefois, on parlait des beaux-arts pour les distinguer de l'artisanat. On disait aussi les arts libéraux. Dans les deux cas, il y a évidemment un ouvrage, une œuvre qui est produite, qu'il s'agisse d'artisanat ou d'une œuvre technique ou qu'il s'agisse des œuvres d'art. Et cette œuvre, elle constitue ce que Hannah Arendt appelle un monde, c'est-à-dire qu'elle aménage un monde. humain qui a une certaine durée, une durabilité, dirait-on aujourd'hui. Mais il y a un fait particulier de l'œuvre d'art qui fait qu'elle se distingue des ouvrages de l'artisanat, c'est que les ouvrages de l'artisanat ou de la technique, ils ont pour but, je dirais, de servir, ils ont une valeur d'usage, ils ont pour but d'être utilisés, donc d'être usés, si ce n'est détruits. Certains ouvrages ont pour but d'être consumés, même par leur usage. On n'est pas forcément dans le domaine de la consommation, mais on est dans le domaine de l'utilisation. Alors que les œuvres d'art, c'est tout autre chose. L'œuvre d'art, elle a pour but la contemplation. Elle se livre au regard, elle se livre à l'écoute. C'est une distinction d'ailleurs que Kant avait déjà faite. Kant avait déjà distingué d'un côté les œuvres de la technique qui sont vouées à l'usage, à nous servir, et de l'autre côté les œuvres d'art qui sont vouées à la contemplation et au fait d'apparaître. C'est pour ça qu'on parle d'esthétique, un « high stesis » . En grec, ça signifie la perception. Dans le monde moderne, on a tendance à faire de l'art un opposé du travail, au sens où on voit dans l'art une forme de loisir, une forme d'oisiveté, une forme d'activité librement consentie. C'est vrai que ça fait écho à cette catégorie traditionnelle des arts libéraux. On est dans une dichotomie entre le travail, l'activité contrainte, par les nécessités de la vie, le loisir et la pratique des arts. C'est vrai que ça renvoie à quelque chose de commun, c'est que généralement les personnes peuvent pratiquer de l'art quand elles sont libérées de la charge de leur travail. C'est rare, évidemment, qu'elles puissent en faire toujours, je dirais, une source de revenus suffisante pour elles. Mais cette dichotomie réduit beaucoup la signification de l'œuvre d'art qui n'est pas simplement quelque chose, je dirais, de l'ordre de loisiveté. Néanmoins, elle dit quelque chose de vrai. Elle dit que l'œuvre d'art n'est pas simplement un produit du travail. requiert certes un travail, ça suppose traditionnellement la maîtrise d'un métier, d'un métier d'art, mais l'œuvre qui est produite, quand elle est qualifiée d'œuvre d'art, n'est pas simplement un produit du travail. Est-ce que vous seriez d'accord pour envisager les choses de ce point de vue ?
- Speaker #1
Je suis entièrement d'accord avec le diagnostic d'Alain Arène, que je trouve très pertinent, comme je trouve très pertinent les gens. à ce que vous en tirez. Je note d'ailleurs que vous invoquez à plusieurs reprises la modernité. Et j'aurais tendance, en me plaçant à l'époque contemporaine, c'est-à-dire du point de vue d'aujourd'hui finalement, à radicaliser. ce diagnostic. A savoir que l'ordre de la consommation, comme le dit Arendt, finalement peut dire qu'il a dévalorisé l'ensemble du travail au sens du marché, de l'emploi, des postes de travail, etc. Et en particulier ce travail que l'on dirait, que l'on dit trop subjectif. Cette activité oisive, comme vous le disiez précisément, on dévalorise ce travail en le mettant à part du monde, à part d'un certain monde, le monde dans lequel on serait censé vivre. Plus précisément, on aurait finalement d'un côté cette simple activité oisive, on a des exemples du tourisme, inculturel, le fait d'envoyer ses enfants. conservatoire. Et puis, de l'autre côté, on aurait, disons, l'activité artistique qui serait digne de produire de la valeur, de la valeur dans le monde d'aujourd'hui, digne du titre de produire une œuvre d'art que l'on expose dans un musée, produites par l'ingénieur artistique, etc. Et on se rend bien compte avec cette distinction que c'est une fausse distinction, tout simplement, disons qu'elle est toute relative, puisqu'elle ne repose finalement que sur une différence de valorisation marchande, voire marchande et sociale. Alors pour répondre directement à votre question sur la spécificité de l'œuvre, j'aimerais commencer tout d'abord par faire un pas en arrière sur Arendt, c'est-à-dire nous placer à l'époque pré-consumériste en général, et s'appuyer pour cela sur le jeune Hegel, Hegel de Yena, comme on dit à une époque où... où ses prétentions étaient moins phénoménologiques qu'anthropologiques, disons. Et donc, à cette époque préconsumériste, on peut distinguer l'objet, l'objet de la jouissance, l'objet de la consommation, qui correspondrait, pour Arendt, au produit du travail, et ce qui, à l'époque, pouvait être le produit du travail, à savoir l'œuvre ou l'ouvrage, donc à cette époque pré-consumériste. Alors pourquoi cette distinction entre objet de jouissance et travail ? Parce que lorsque je jouis d'une chose, je la consomme, je la détruit. C'est-à-dire que je me différencie de cette chose, mais pour cela, je dois la consommer. Il y a une forme de désir d'immédiateté, c'est-à-dire que la chose dont je veux jouir, elle existe, certes. Si on met à part mon besoin momentané de la consommer, elle est d'abord indifférente du producteur. Et s'il en est un, du consommateur. Qu'est-ce que c'est ? Elle est complètement indépendante et extérieure à la personne qui va la consommer. Au contraire, par le travail ou par l'œuvre, dirait Arendt à son époque, il y a un autre désir. Ce n'est pas un désir d'immédiateté, c'est le désir de transformer une chose, d'en faire un objet, pour rendre cette chose pérenne dans un monde... stable et objectif. Alors, cela n'annule pas, dans ce contexte pré-consumériste, le fait qu'il s'agisse toujours d'un produit du travail à éventuellement consommer. Mais cette consommation ne va pas nécessairement détruire l'œuvre, premièrement et surtout la consommation. et différé. La consommation de l'objet et de l'œuvre est différée. C'est-à-dire que l'œuvre n'est pas considérée comme indépendante de son producteur, ce qui lui permet finalement de se maintenir dans le monde de la production. production d'œuvre, dans la réalité concrète de la production, et via, précisément, ce désir déterminé de réaliser un ouvrage. C'est-à-dire que l'œuvre n'est pas seulement une autre chose que le sujet, que le producteur, c'est un objet qui est fait intentionnellement par et pour lui. Et on voit bien que cette distinction entre objet de jouissance, de produit de travail et œuvre ou ouvrage préfigure ce dont parlera Arendt par la suite. Maintenant, pour vous répondre de façon encore plus directe, vous me demandez ce que je qualifierais d'œuvre d'art. Eh bien, pour vous répondre directement, je dois avouer que Je suis assez perdu. Alors, vous utilisez le terme qualifié, je pourrais, étant juriste, proposer d'ores et déjà des critères légaux, des critères jurisprudentiels qui permettent de qualifier ce que le droit désigne par œuvre de l'esprit. C'est la qualification consacrée en droit. Mais on n'est pas encore là, on y vient là, mais on n'est pas encore là précisément parce que l'œuvre de l'esprit en droit, cette qualification, ce n'est pas l'œuvre d'art en général. Et donc, pour vous répondre de façon juridique, je dois avouer que, de prime abord, Je me perds un petit peu dans la polysémie du terme, du concept art avec la préposition de. À savoir pourquoi déjà ajouter art à œuvre ? Il y a déjà quelque chose d'inventif dans l'œuvre, on va commencer à en parler. Et puis... objectivement, en termes de référence objective au concept d'art, comment est-ce qu'on peut classer sous la même catégorie des... chose aussi différente que la tragédie grecque, la poésie romantique et l'art contemporain. Quel est finalement le rapport qui permet de classer sous la même catégorie la littérature classique, Flaubert, Proust, Corneille, Racine et l'industrie notamment l'industrie hollywoodienne du cinéma. Et puis, bien sûr, on a une variabilité infinie au niveau subjectif de ce que l'on reçoit ou tend par... puisque, le dit, tout le monde le sait, l'œuvre d'art s'adresse au principe à un public et a pour vocation de susciter chez lui un affect, un affect donc subjectif, et comme on le dit souvent, cet affect est variable d'un individu à l'autre. Ici, on essaye d'expliquer pourquoi est-ce que l'on a ressenti ceci ou cela, et encore plus si l'on essaye de dire que telle œuvre est bonne ou meilleure qu'une autre, on entre très facilement dans cette question du goût des couleurs. qui ferme finalement le débat. Et c'est pour cela, ce sera donc mon troisième point, qu'il faut, je pense, partir d'une base solide, précisément pour ne pas tomber dans cette question des gosses et des couleurs, et partir finalement de l'expérience, de l'expérience humaine, qui n'est ni subjective ni objective, ... qui n'est pas immédiatement liée au sujet et à sa connaissance. Et l'on pourrait prendre cette expression, cette notion, qui nous vient d'assez loin, à savoir l'homme de l'art, ou la femme de l'art, afin de saisir ce que pourrait être précisément cette créativité artistique. en revanche Philippe Vous serez d'accord, il y a un gouffre entre cette expérience, entre l'expérience humaine et l'activité artistique. On voit bien qu'il y a quelque chose à combler, on voit bien qu'il y a divers problèmes pour passer de l'expérience humaine à l'activité artistique, et c'est précisément ici que je... Je souhaitais vous demander comment commencer à avancer dans ce passage.
- Speaker #0
La notion d'homme de l'art ou de femme de l'art est une notion importante. Elle renvoie à la maîtrise d'un métier, à la maîtrise d'une technique, à un apprentissage. Qu'est-ce qui peut distinguer l'art au sens artistique de l'art d'artisanat ? C'est sans doute la notion d'innovation, de création, de créativité. C'est aussi traditionnellement évidemment la recherche esthétique, la recherche du beau. Et puis c'est l'idée de la finalité de l'art, cette finalité que j'ai évoquée tout à l'heure et qui renvoie à l'aesthésis, à l'esthétique au sens étymologique du terme, c'est-à-dire le fait de produire une œuvre qui se donne à voir, qui se donne à contempler, à écouter et qui n'a pas pour but d'avoir une valeur d'usage, une valeur d'utilité pratique. Donc là c'est évidemment une praxis, c'est une... C'est une activité, mais c'est aussi fondamentalement ce que les Grecs appelaient une poésie, c'est-à-dire une production, la production d'un ouvrage, d'une œuvre. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire que, du point de vue de la production d'une œuvre, l'art est comparable, au moins en partie, à l'artisanat ? Oui,
- Speaker #1
tout à fait. D'ailleurs, vous l'avez laissé entendre, finalement. Ce que traduit ici le terme « art » aux hommes, aux femmes de l'art, en grec, Merci. C'est, en vrai qu'ancien, c'est le terme « décret » , qui plus tard a formé le terme « technique » . Et en réalité, sur ce plan, cela correspond en fait à des inventions. Donc cela pourrait être également épistéma et science. En fait, vous le disiez, on a tendance à séparer le contenu de l'œuvre d'art des savoir-faire techniques. et de la connaissance théorique. Donc pour vous renvoyer rapidement la question, Philippe, j'aurais tendance à vous demander comment cela se fait-il que l'art puisse être, alors comme vous l'avez dit, à la fois du côté de la praxis et de la poésie, d'un désir déterminé, d'œuvre qui fait monde, dont on a parlé, mais en même temps, on ne peut pas le cacher, quelque chose d'autre, quelque chose qui dépasse aussi bien la simple... mémorisation, la simple praxis, mais également le savoir-faire technique et même la connaissance théorique, une certaine transcendance, une certaine quête d'idéal qui permet de parler, d'employer des termes tels que l'immortalité de l'œuvre ou bien l'esprit immortel. de l'artiste. Comment se fait-il donc, pour résumer, qu'on ait à la fois cet aspect praxis poiesis et également cette transcendance de l'art ?
- Speaker #0
La question de la transcendance, c'est une vaste question. On peut dire que l'art transcende évidemment nos buts utiles, utilitaires, notre univers commun, ordinaire. Transcendance, c'est un mot un peu à double emploi parce qu'on pense souvent à des forces transcendantes, à un dieu transcendant. Ça me fait penser à une remarque célèbre de certains commentateurs de Shakespeare qui notait au sujet de l'œuvre de Shakespeare qu'il n'y a pas de présence d'un dieu transcendant. Il y a évidemment des forces surnaturelles, il y a la présence du destin, de divinité, mais ce sont plutôt des forces immanentes au cosmos et à l'univers qui entourent les protagonistes de ces pièces. d'ailleurs c'est pas le moindre des paradoxes puisque Shakespeare est un auteur qui se situe au sein d'une ère chrétienne. Donc, transcendance de l'art, oui, parce qu'il transcende nos buts communs, nos buts utilitaires, mais ça ne veut pas dire que l'art renvoie nécessairement à un Dieu transcendant. D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup cette réflexion sur l'utile et l'utilitaire, parce que si on réduit l'ensemble de la vie humaine ou de la condition humaine à la question de l'utile ou à la question de l'utilitaire, c'est un peu une réflexion à courte vue. Il y a des choses qui sont évidemment vitales, qui relèvent des besoins vitaux de l'être humain, qui sont tout à fait utilitaires. Mais il y a aussi des questions ou des aspects de la vie humaine qui sont essentiels et qui ne relèvent pas de ce qu'on appelle l'utilitaire. On peut penser à la religion, on peut penser au rapport au sacré, à la méditation, à la contemplation. On parle de l'œuvre d'art, de l'art de l'esthétique, de la recherche du beau, du questionnement. sur soi, du désir de progresser ou de s'améliorer sur le plan personnel, moral, intellectuel, humain. On ne peut pas dire que ce soit des questions utilitaires ou qui ont des retombées immédiatement utilitaires. Ça me fait penser à une remarque célèbre de Kant qui disait que l'esprit humain doit poursuivre la quête de vérité, même sur un plan purement théorique, alors même qu'on ne voit pas toujours de retombées pratiques, immédiates. Pourquoi ? D'abord parce que l'esprit humain est fait pour cette quête de vérité, pour cette quête d'idéal. Et puis, il y a toujours la possibilité d'une retombée pratique, d'un intérêt ou d'une conséquence pratique à moyen ou à long terme. On n'a qu'à songer, par exemple, en physique à la recherche fondamentale. Donc, l'œuvre d'art vise une certaine forme de transcendance. Ça peut être l'idée du beau, ça peut être une forme d'idéal qui est poursuivie par l'œuvre d'art. On pourrait valider l'idée que... que l'œuvre d'art, c'est quelque chose qui se donne à voir, à contempler, qui fait sortir la personne qui entend, qui voit l'œuvre d'art, qui fait sortir cette personne de son monde commun et ordinaire. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire que l'art a cette perspective extraordinaire, au sens où je viens de la définir, c'est-à-dire que l'art a pour but de produire des œuvres qui se donnent à la sensibilité, qui se donnent à la paix. perception des personnes et qui les font sortir, pourrait-on dire, de leur univers ordinaire et j'allais dire utilitaire.