- Speaker #0
Bonjour à tous et bienvenue sur cette nouvelle chaîne de contenu écrit audio vidéo que dénommé sortir le droit de sa caverne et bienvenue donc au premier épisode de cette série alors un tel intitulé pourrait sembler manquer de tact vis-à-vis des juristes et vis-à-vis du philosophe la référence platonicienne lui semblera probablement un peu facile En réalité, l'objectif est certes quelque peu incongru puisqu'il s'agira de traiter de façon philosophique une question qui intéresse directement le droit et même le droit positif. Alors on va le faire sous la forme d'une simple discussion, d'un échange entre un juriste, moi-même, étudiant en philosophie, et Hugo, quant à lui, bien armé en matière de philosophie. Alors, quel est le thème de ce premier épisode ? Nous partons simplement d'une intuition commune, à savoir que je m'appartiens. Quelque chose définit ce que je suis et qui donc m'appartiendrait. Précisément, ce que j'ai de plus propre à moi ou en moi. C'est ma vie. Ma vie dans ce qu'elle aurait de plus privée, de plus intime, de moins visible et ouvert aux autres, de moins immédiatement extériorisable. Et pourtant, être propriétaire de soi, ce n'est pas s'isoler éternellement du monde. Au contraire. Si le post-art continuait de s'appartenir, jouir librement de sa propre vie exige aussi de posséder des choses qui ne sont pas moi, des choses dont je me distingue mais qui ne sont pas moi, du moins dont je souhaite jouir. Être réellement propriétaire de moi-même me plonge donc immédiatement dans une série de relations avec les choses, avec le monde et avec autrui. Alors cette tension entre propriété de soi et propriété des choses est un assez vieux problème philosophique. Et ce problème se pose de façon particulièrement crue à l'ère de l'exposition médiatique de soi, à l'ère de l'exposition de nos corps et de nos créations sur les réseaux. C'est pourquoi cette tension recoupe une autre tension, un problème quant à lui tout à fait juridique et plus récent, à savoir la propriété des données personnelles. Et pour commencer, Hugo, je te laisse te présenter.
- Speaker #1
Bonjour Raphaël, merci pour l'invitation. Alors c'est vrai qu'au fur et à mesure de nos discussions, on s'est aperçu que ce thème de la propriété de soi et des données personnelles ne posait pas que des questions juridiques, économiques ou sociales, mais d'authentiques enjeux philosophiques. et les questions de l'identité, de la vie privée, de la propriété de soi sont au centre de la discussion selon moi, et nous allons les éclairer en traversant les pensées d'un certain nombre de philosophes, tels que Locke, Hume, Foucault, et bien d'autres. Le but de cet échange, c'est simplement de montrer que l'idée d'un droit de propriété sur sa vie privée, à l'ère du numérique, n'est pas neutre au niveau philosophique. A mon humble échelle, celle d'un passionné de philosophie, diplômé en lettres et humanité lors de mes études suivies à l'école normale supérieure et à l'école des autres études en sciences sociales. Désormais enseignant en lettres et philosophie, je vais essayer d'ouvrir des pistes de réflexion autour de cette notion. Et donc avant même d'entrer dans la question de la propriété des données personnelles, Raphaël, peux-tu brièvement nous expliquer ce que signifie données personnelles et en quoi consiste leur protection ?
- Speaker #0
Tout à fait. En effet, je pense que les juristes qui nous écoutent attendent impatiemment que nous entrions dans le vif du sujet de la propriété des données. Mais il faut bien commencer par le commencement. Alors, qu'est-ce que c'est qu'une donnée personnelle ? C'est déjà une information. Et c'est une information qui concerne une personne physique. Donc une information, rien d'autre, quelquefois, finalement, le support, le contenant du papier, du numérique, du verbal même. Une information. Quelque chose d'immatériel. Mais une information qui concerne une personne physique. Une personne physique, c'est-à-dire une personne en chair et en as, avec qui on peut déjeuner, dîner, jouer aux cartes, etc. Deux points à saisir. Une donnée personnelle, ce n'est pas seulement un nom, un prénom ou un état civil. C'est... toute information, comme je le disais, qui se rapporte à une personne. Prenons l'information suivante. J'ai vu une femme blonde qui semble avoir une quarantaine d'années monter dans un taxi place de la République à Paris. Cette phrase... Uniquement cette phrase, elle comporte des données personnelles, même si je ne sais pas comment identifier exactement cette personne à partir de cette seule information. Parce que si cette affirmation existe, qu'elle a circulé, c'est qu'il existe d'autres informations permettant potentiellement de l'identifier. Le numéro de la rue, le numéro de téléphone avec lequel elle appelle le taxi, ce dont elle a discuté avec le chauffeur, les traces bancaires du paiement de sa course, etc. Pour le dire vite, si la notion est si large... C'est parce que l'objectif de la législation est d'éviter qu'on la reconnaisse, qu'on l'approche, qu'on la manipule. Ça va donc plus loin que la notion de vie privée au sens classique. En réalité, après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, cet objectif législatif s'inscrit dans un mouvement de constitutionnalisation de certains droits, liés à la protection non seulement des citoyens, des travailleurs, des propriétaires, mais des personnes réelles qu'on protège dans leur corps, dans leur chair.
- Speaker #1
Ok, d'accord. Je comprends que la notion de données personnelles est très large, justement pour d'autant mieux protéger les personnes réelles. Mais si on sort de cet aspect finalement assez juridique, pourquoi parler de propriété ? J'imagine que c'est parce qu'il y a bien une question économique derrière, une sorte de tension entre le droit et l'économie sur la question ?
- Speaker #0
Tout à fait, Hugo. D'ailleurs, c'était précisément mon second point, parce qu'il faut comprendre qu'une donnée personnelle, c'est pour le dire de façon peut-être un peu... pédante à un actif économique en puissance. Or, la fonction principale de l'ensemble des règles liées à la propriété en droit consiste précisément à faire passer un actif économique de l'état de choses, matériel ou immatériel, immatériel pour le coup puisque c'est une information, à l'état de bien, c'est-à-dire d'un bien composant un patrimoine et qui, à ce titre, est protégé. Et aujourd'hui, en réalité, le trésor de ce qu'on appelle les GAFAM consiste moins dans leurs algorithmes qui sont ou qui tomberont un jour dans le domaine public que dans la masse de données corrélées et structurées par ces algorithmes pour des finalités précises et qui en font donc des actifs économiques. Ces fameux GAFAM ont bien envie de se protéger par le droit de propriété. Alors, Deverego, est-ce que tu ne vois pas comme une sorte de... paradoxe ou de complexité, cette extension de la protection des personnes qui, en même temps, s'accompagne d'une réduction ou plutôt d'une grande disparité de l'objet de cette protection. Des informations aussi hétéroclites qu'une adresse IP, diplôme, couleur de cheveux ou l'orientation sexuelle, toutes entrent indistinctement sous la notion juridique de données personnelles. Des informations dont certaines semblent bien éloignées du domaine de l'intime ou... ou de la pudeur, et d'autres qui en sont plus proches.
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Le droit, en général, a pris acte du phénomène contemporain de l'exposition de la vie privée. Et on a basculé progressivement dans un contexte où l'opposition entre vie privée et vie publique a changé, voire même presque perdu de son sens. Dans l'exemple que tu choisis, sur cette femme, en place de la République, la simple possibilité de juger la couleur de ses cheveux et ce qu'elle est en train de faire peut paraître insuffisant ou limitant pour parler de données privées. Car après tout, qu'est-ce qui est complètement privé ? Et c'est là justement que Hannah Arendt nous explique dans son livre La condition de l'homme moderne que, je cite, vivre une vie entièrement privée. c'est avant tout être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine. Premièrement, être privé de la réalité qui provient de ce que l'on est vu et entendu par autrui, mais aussi être privé d'une relation objective avec les autres, qui provient de ce que l'on est relié aux autres et séparé d'eux par un monde d'objets communs, et enfin être privé de la possibilité d'accomplir quelque chose qui a davantage de permanence que la vie. Et donc en somme, elle conclut que la privation tient à l'absence des autres. Et donc en fait, on comprend qu'avec l'avènement du social, sphères privées et sphères publiques sont devenues obsolètes.
- Speaker #0
Donc avec l'avènement du social, comme tu le dis, finalement, Arendt prend très au sérieux cette expression vie privée, c'est-à-dire privation d'une forme de vie. la vie sociale. Mais de façon plus positive, disons, qu'est-ce qu'il nous reste à protéger de réellement privé ?
- Speaker #1
Justement, c'est ce qui l'intéresse aussi. Et elle dit, toujours dans la condition de l'homme moderne, elle dit plus loin, je cite, La dépouverte moderne de l'intimité apparaît comme une évasion par rapport au monde extérieur, un refuge cherché dans la subjectivité de l'individu, autrefois protégé, abrité par le domaine public. On comprend que face à cet effacement de la frontière entre sphère privée et sphère publique, il nous reste l'idée d'intimité qui serait une sorte de précédent précaire de la sphère privée qui, elle, est perdue. Raison pour laquelle on retrouve dans toute la théorie politique et économique moderne une nécessité de protection par l'État des activités privées des propriétaires.
- Speaker #0
Ok, je comprends au fond que la sphère privée est perdue. parce qu'à l'ère moderne, vu les nouveaux moyens de communication, la reproductibilité technique, les changements de mœurs qui accompagnent ces phénomènes, il ne resterait plus que ce refuge subjectif qu'est l'intimité. Et ce qui est intéressant, c'est que le droit a pris acte de cette évolution. Par exemple, en distinguant, ça parlera peut-être aux juristes, en distinguant le régime de protection de la vie purement privée, du régime de protection de la vie personnelle qui, lui, participe au sein d'une entreprise, sur Internet par exemple, de la vie publique.
- Speaker #1
Alors oui, tout à fait, mais tu as introduit une sorte de troisième terme finalement, celui de la vie personnelle. Et en effet, ça illustre bien les phénomènes sociaux contemporains, dont on a parlé un peu plus tôt en introduction, de partage des données, de valorisation économique des données, etc.
- Speaker #0
Tout à fait, et cela renforce du même coup le besoin de protéger cette vie intime, de chercher le bon équilibre juridique et philosophique aussi entre l'intimité, la vie personnelle et disons la sphère pleinement publique. Et c'est parce que l'intimité et ce refuge subjectif, il faut la protéger juridiquement, notamment vis-à-vis de l'usage des choses dont nous sommes propriétaires. Et cela nous conduit à la question de la propriété. Et je crois savoir, Hugo, que John Locke est l'un des grands théoriciens modernes de la question.
- Speaker #1
Et effectivement, John Locke, et le théoricien référence qui s'est intéressé à cette notion de la propriété, philosophe libéral anglais du XVIIe siècle, et il s'est beaucoup intéressé à la notion du droit de propriété. Et évidemment, étant donné que c'est un philosophe, son angle d'attaque est avant tout philosophique. Celui de savoir quel est le fondement de ce droit. C'est-à-dire pourquoi les hommes ont-ils le droit de réclamer la propriété de quelque chose. Et donc dans son ouvrage, Premier traité du gouvernement, Il expose sa théorie. Selon lui, la propriété est avant tout un droit naturel. Avant tout parce qu'il est chrétien et qu'il y voit donc un fondement divin. Les hommes ont un devoir de s'approprier ce qui leur est dû par la grâce de Dieu, car c'est une condition de leur préservation. Ils sont à la fois propriétaires d'eux-mêmes et ainsi de leur survie. Mais c'est surtout dans le second traité du gouvernement que Locke développe le passage de la propriété commune à la propriété privée, justement, et opère ce glissement. Et c'est là qu'on atteint donc le pic de sa pensée, étant donné que les fruits de la terre sont nécessaires à la satisfaction de mes besoins, et que cette satisfaction m'est commandée par Dieu, alors l'appropriation privée l'est aussi.
- Speaker #0
Je comprends le raisonnement, finalement, pourquoi viendrait-on m'empêcher de faire ce que je veux de... de mes données, étant donné que ce sont les miennes. Mais alors, par quelle action concrète, par quelle voie, m'approprier ces choses ?
- Speaker #1
Voilà, alors justement, c'est un point bien particulier, c'est Locke, à savoir, il établit un certain rapport entre propriété privée et travail, justement pour arriver à comprendre le lien qui se tisse entre la subjectivité et la propriété. Le travail... puisqu'il est cette chose sur laquelle j'étends ma conscience, devient progressivement l'objet de mon appropriation personnelle. En fait, il faudrait le voir comme je travaille c'est-à-dire qu'il y a une extension de ma propre conscience en vue de la réalisation d'une tâche ou d'un objet. Et cette extension de moi-même rend mon travail unique, et donc me distingue des autres, et me distingue par extension du travail et de la tâche que j'effectue. Et donc on admet que notre travail nous appartient. car nous y ajoutons quelque chose, toujours un peu de soi-même. Ce moi dont il évoquera toute la complexité plus tard.
- Speaker #0
Une sorte de moi naturel, en fait.
- Speaker #1
Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Donc, philosophiquement, dis-moi si tu es d'accord, mais on pourrait dire qu'en raison de cette nécessité de préserver notre propre vie, de l'extension de la propriété de soi-même à nos actions, on serait propriétaire de soi et de notre vie privée. Et puis par une forme de mise en travail intentionnelle de notre vie privée, Qui viendrait générer les informations qui nous concernent ? Nous serions les propriétaires exclusifs de ces informations. Je vois simplement un obstacle à la fois juridique mais finalement assez concret qui porte sur cette adjonction de soi dans le travail. parce qu'il me semble assez difficile de considérer qu'il y ait un véritable travail au sens actif de l'individu concerné sur ces choses qui sont à la fois immatérielles et désincarnées. Ce que je veux dire, c'est que le caractère actif de ce travail, c'est plutôt l'œuvre de méthodes de combinaison et de segmentation de données numériques qui concernent de nombreux individus isolés. et de dispositifs de captation et d'utilisation de ces données par des tiers, notamment des sociétés qui elles-mêmes sont propriétaires de ces moyens. Tu vois ce problème ?
- Speaker #1
Oui, oui, en effet. Cette question du travail comme fondement de la propriété, elle conduit à un paradoxe en matière de propriété des données personnelles. Et si l'on prend en compte cette passivité de l'individu concerné, on arriverait à la conclusion qu'aucun transfert de propriété sur ces données n'est envisageable. Si l'on se place au contraire du côté du tiers qui capte mes données personnelles, on en viendrait à leur conférer le droit de nous en déposséder. Donc par conséquent, sauf à concevoir une forme de copropriété et à modifier cette extension sensible de la confiance et de l'action dans le travail, l'OC permet difficilement de fonder un droit de propriété sur ces données, sur la question des données personnelles. Et c'est précisément ce que la législation tente d'éviter, non ? Oui,
- Speaker #0
elle évite la législation. Quand on parle de législation, on parle en réalité surtout de législation européenne, à savoir ce qui est protégé comme des droits fondamentaux, la protection à la vie privée et aux données personnelles, qui se décline dans un règlement dont tout le monde a probablement déjà entendu parler, au moins de nom, le RGPD, le Règlement Général sur la Protection des Données. Donc... Cette législation lévite précisément en séparant le droit individuel à la protection de ses données personnelles de toute question de propriété patrimoniale. On n'entre pas dans les détails, mais cela parlera aux juristes. Il s'agit de l'opposition entre le régime des droits réels et le régime des droits personnels, qui souvent s'articulent, mais qui ne se confondent pas. Bien que les données personnelles puissent être conçues comme des choses, elle se rattache aux attributs de la personnalité. Et à ce titre, Ce sont des choses que l'on dit en droit hors commerce, de la même façon que les parties du corps humain, ou sur des plans en dehors de la vie privée, des animaux, des stupéfiants, etc. C'est hors commerce. Ce ne sont pas des biens qu'un propriétaire peut donner, vendre, louer, prêter, mettre en dépôt, etc. Et à proprement parler, à proprement parler en droit, je ne suis moi-même pas propriétaire de mes données personnelles. Tout au plus, celui de propriétaire, ou quelqu'un pourrait être propriétaire, du support numérique ou physique de ces données. Il ne s'agit donc pas d'un transfert de propriété, mais du simple fait de transférer des choses immatérielles. Selon toi, Hugo, comment résoudre cette tension entre propriété et vie privée ?
- Speaker #1
Pour résumer ta question, Raphaël, il s'agirait de savoir... Comment fonder un droit de propriété sur ces données, mais sans recourir à une notion de relation entre individu et données qui procéderait d'une sorte d'extériorisation d'un acte et d'un travail actif, physique ou sensible sur ces choses que sont les données personnelles ?
- Speaker #0
Exactement, Hugo. Parce que, quoi qu'on en dise, finalement, l'encadrant, le droit reconnaît, voire promeut la circulation et les transferts de données personnelles. Or, pour objectiver cette protection et ces transferts, Il faudrait, me semble-t-il, qu'il existe au moins un aspect, disons, conventionnel ou interpersonnel au fondement d'un droit de propriété sur soi, sur ses informations, sur sa personne et sur les informations qui nous concernent.
- Speaker #1
Oui, je te rejoins. On sent bien les limites de Locke et des principes du droit naturel. On arrive plutôt, selon moi, à la nécessité d'une sorte d'alternative. qui naît quant à elle d'un questionnement moral, c'est-à-dire à quoi tient la propriété de mes données si celles-ci sont transférables. Et donc on peut avancer que cette idée de propriété réside davantage dans la relation que j'entretiens à ces données personnelles. C'est une idée qu'un autre philosophe, Hume, a développée concernant l'idée de propriété. Pour stabiliser la propriété, il faut que celle-ci fasse l'objet d'un transfert consenti. Et donc, dans le cas des données personnelles, pour qu'il y ait transfert de propriété, il faut donc que l'on consente à ce transfert. Ce que l'on fait, en fait, quand on accepte le dépôt de cookies sur nos terminaux par les serveurs web, des pages que l'on consulte, par exemple. Et donc, par conséquent, on assiste à un changement de perspective. Les données personnelles sont miennes, non plus seulement car elles émanent d'un droit patrimonial, mais surtout car elles revêtent une qualité morale qui m'associe à elles. Et par ailleurs, ce qui est intéressant chez Hume, c'est que pour lui, la notion de propriété n'apparaît pas dans la nature même de l'objet, mais dans les sentiments qui me rattachent à cet objet.
- Speaker #0
Dans les sentiments... Bon, après, je suppose que Hume n'a pas une conception sentimentaliste de la propriété. Non,
- Speaker #1
non, évidemment, Hume parle en fait de relation à la propriété. Et c'est dans la relation qu'on entretient avec ses propres données que cette propriété se forge. Et donc, elle se forge avec le temps. Et je sais, pour en avoir discuté avec toi, que cette notion, cette question du temps, de la durée de conservation et de l'altération des données est importante en droit. Et ainsi donc, la propriété d'un homme sur un objet peut finalement se définir comme sa possession stable. Que cette possession soit issue de certaines circonstances par lesquelles il l'a acquise, ou qu'elle résulte d'un transfert consenti ou encore d'une promesse. D'ailleurs,
- Speaker #2
à ce stade... on sent bien qu'on sort complètement de l'idée d'un moi naturel qui s'approprie une chose physique. Parce que si on applique ce principe, ce principe de stabilité, à des informations qui nous concernent personnellement, on l'applique à notre propre vie. Et notre propre vie, elle n'est évidemment pas stable. Nous sommes mortels, nous sommes soumis au changement, soumis au temps. Et donc, c'est sur une forme de stabilité fictive du moi que repose ce passage de la possession stable à la propriété. On sent bien donc que Hume avance l'idée d'une protection formelle, fondée sur une fiction juridique. On passe progressivement à l'attribution légale de droits sur notre personne. Et donc attributions de droits qui sont en effet absolument nécessaires à la protection de notre vie privée.
- Speaker #0
En effet, cela rend mieux compte de ce qu'est la protection des données personnelles en droit positif, à savoir la protection d'un droit fondamental rattaché à la dignité absolue de la personne humaine et sanctionné par les règles morales de la justice. Mais pour en revenir aux finalités concrètes de la législation actuelle, cette forme de dénaturalisation du droit de propriété est malheureusement plus un symptôme qu'une solution, me semble-t-il. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on s'expose sur les réseaux sociaux. On clique sur oui, j'accepte que l'on traite mes données personnelles mais on ne lit pas les conditions générales qui vont avec. On se laisse, finalement, envahir par la publicité et manipuler. Comme si ce n'était pas vraiment moi qui naviguait sur Internet, parce que je n'ai rien à me reprocher, évidemment.
- Speaker #1
Oui, comme si ce n'était pas vraiment moi, comme tu dis, ou bien par paresse, en fait, par une sorte de négligence. On n'a pas le temps, c'est souvent trop long de lire les conditions générales, ça constitue une barrière entre moi et mon objectif, et donc on est plutôt, selon moi, davantage du côté de l'instantanéité, d'une part, et d'autre part du je n'ai rien à me reprocher Je n'ai rien à me reprocher, et donc ils peuvent savoir qui je suis et ce que je fais, mais ça constitue une erreur philosophique pour moi. Et c'est à cela en fait que Foucault s'intéresse quand il traite de l'idée de surveillant. Alors dans son livre Surveiller et punir pour le dire simplement, ce n'est pas parce que je n'ai rien à me reprocher que je dois accepter d'être exposé. Et paradoxalement, c'est ce que je fais lorsque j'accepte ces conditions générales. Pour revenir dans ce que disait Foucault, c'est en fait l'image du panoptique, cette machine idéale de contrôle des individus, conçue par Bentham, un projet d'architecture carcérale imaginé autour d'une tour de contrôle qui, elle, se situe au centre de la planète. d'une prison, et à l'intérieur de celle-ci, tu as un surveillant qui peut voir dans chacune des cellules, qui sont toutes constituées et construites en formant un cercle autour de cette tour et de ce surveillant, de telle sorte qu'à tout moment, chacun des prisonniers se trouve sous le regard probable du surveillant. Et donc, de là, l'effet majeur du panoptique, induire chez le détenu un état de conscience et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. C'est le principe du voir sans être vu donnant l'impression d'un contrôle exercé continuellement afin que les individus intériorisent les contraintes de la discipline. Foucault parle d'assujettissement, pour reprendre son terme, et cet assujettissement procède de cette intériorisation en soi du regard du surveillant, qui donne lieu à une intériorisation du rapport de pouvoir.
- Speaker #0
Et en effet, cela permet de répondre à cette opinion de moins en moins commune, mais qui l'est tout de même, selon laquelle je n'aurais rien à me reprocher, donc pourquoi ne pas m'exposer, et qui rend finalement assez risible ou inutile toute la législation que je citais sur la protection des données. Finalement, Foucault nous met face à nos responsabilités, individuelles et politiques et... Après, comme tu le sais, tu parlais d'intériorisation du regard du surveillant. Chez Foucault, c'est l'État dont il parle. Oui,
- Speaker #1
oui, tout à fait.
- Speaker #0
Et cette protection, elle ne concerne pas que nos rapports avec l'État, mais aussi avec, pour le dire vite, ces fameux GAFAM.
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Si tu veux, Foucault s'intéresse à cette question-là, surtout dans la relation avec le pouvoir. On intériorise un rapport de pouvoir avec celui qui détient le pouvoir. Et donc, en l'occurrence, par extension, les institutions, l'État et autres. En fait, la dialectique de Foucault, c'est dominer celui qui est... incarcéré par rapport au pouvoir. Et donc on est forcément dans un contexte carcéral très particulier. En revanche, d'un point de vue théorique et philosophique, cette idée du ce n'est pas parce que je n'ai rien à me reprocher que je dois m'exposer ou que je dois accepter d'être surveillé cette idée pour moi elle est fondamentale et elle est intéressante. C'est pour ça que je me suis permis le lien avec une idée foucauldienne. Mais pour faire effectivement la transition avec la question des données numériques, on passe à une autre étape selon moi. Pourquoi ? Parce qu'en fait, ces données personnelles que nous consentons à divulguer nous rendent a posteriori clients de nous-mêmes. Ces informations sur notre historique de navigation, sur notre lieu de résidence, sur nos dernières consultations Internet constituent évidemment une sorte de terreau fertile amené à devenir une stratégie marketing pour nous faire consommer de la part de ces GAFAM dont tu parlais tout à l'heure. Puisque j'ai fait des recherches sur ma prochaine destination de vacances en Europe. on va me proposer les meilleurs clubs d'été à prix réduit en Grèce, en Italie ou ailleurs. Et ce, plusieurs fois, jusqu'à ce que je consulte l'annonce. Et donc, par conséquent, on intériorise de devoir dévoiler une partie de sa vie privée, puisque c'est devenu banal, c'est devenu commun, qui donne lieu donc... à une sorte de contrôle dématérialisé, sans savoir où vont ces données et à qui. Bon, en réalité, tu l'expliquais tout à l'heure, en réalité à ces grands groupes, à ces GAFAM et autres grandes entreprises privées, à ces agences de pub aussi, qui n'ont qu'une réalité peu palpable pour nous au quotidien, mais qui engendre un transfert de pouvoir malgré tout, qui se retourne contre nous-mêmes. Et donc ?
- Speaker #0
le contrôle n'est que plus grand puisqu'il incite et puisque surtout il contraint à consommer et d'ailleurs sur un plan plus sociologique ou économique est-ce que cette idée de devenir client de soi-même je pense à Foucault à la fois d'oubli et d'exposition de soi est-ce que tout cela ne s'inscrit pas dans une certaine filiation marxiste
- Speaker #1
Oui, oui, tout à fait. On pourrait en faire une lecture marxiste. Pourquoi ? Parce que Karl Marx, selon Karl Marx...
- Speaker #0
Chaque individu se présente dans le marché comme porteur d'un pouvoir d'achat, mais sans qualité particulière, c'est-à-dire indépendamment de son statut social et de son patrimoine. Et donc c'est en ce sens que Marx analyse le rapport entre la forme de circulation des biens et le système de liberté et d'égalité, qui lui est censé garantir les droits aux individus d'être des acteurs et de jouir de cette circulation. et d'ailleurs le premier droit notamment, c'est celui d'être propriétaire. Et donc de toute façon, le capitalisme entraîne une exigence de circulation des marchandises sur la base d'échanges entre équivalents, ce que l'on marque est faux évidemment, et qu'il l'est encore plus dans la situation dont nous venons de parler. Nous ne sommes évidemment pas équivalents aux gars-femmes, et donc c'est la raison pour laquelle le rapport de domination est exacerbé, encore plus important qu'au XIXe siècle. Et si tu veux, c'est pour ça que cette intériorisation du devoir de dévoiler une partie de sa vie privée peut aussi renvoyer à la notion marxiste de fétichisme, à une forme de mercantilisation généralisée de nos activités sociales, que Marx critique finalement.
- Speaker #1
Et qui me semble assez bien correspondre à l'exemple des rapports entre publicité, influenceurs et consommateurs. Oui,
- Speaker #0
tout à fait. Tu me tends une perche. assez bonne pour que je puisse aborder cet exemple-là, qui est tout à fait nouveau, et qui illustre, selon moi, notre propos. Les influenceurs font de leur quotidien un bien de consommation. Via des vidéos, via des stories Instagram, via des vlogs, tous ces contenus-là vont générer beaucoup d'argent, car elles sont accompagnées de sponsors, de marques, qui imprègnent l'esprit et qui perpétuent cette injonction à la consommation, selon des critères qui étaient jadis privés. Et donc avec les influenceurs, on se rend compte qu'il y a un encouragement à dévoiler sa vie privée, car elle comporte une valeur marchande. Et donc une fois de plus, on revient à ce que je disais précédemment, on abolit de plus en plus la frontière entre privé et public, sous couvert de rentabilité économique. Et donc dans les faits, ça renforce de plus en plus le contrôle sur l'individu, qu'il soit le vendeur ou le client.
- Speaker #1
Je comprends tout à fait. C'est très intéressant. Et pour en revenir en revanche à votre question initiale, à savoir la propriété de soi, la propriété des données personnelles, alors on a avancé, on a bien compris, on a bien posé les bases, on a même critiqué avec Foucault et Marx. Mais est-ce qu'on est vraiment sortis du problème ? Je veux dire que d'un côté, on aurait les libertariens issus de l'OC, qui nous diraient en quoi la législation pourrait m'interdire de vendre et d'accepter d'être dépossédé de mes données. Puis de l'autre, on aurait les conventionnalistes dont tu parlais, Hugo, de type Hume, qui vont insister pour la justice sur les rapports moraux. Pour eux, appliquer le régime de la propriété à ce qui se rattache à la personnalité des individus, la possibilité de se vendre, etc., reviendrait à violer la dignité de la personne. Finalement, et en réalité on en a parlé ensemble, Hugo, est-ce que la question n'est pas tout simplement mal posée ? En ce sens qu'elle prend pour acquis... Le fait que le droit de propriété est nécessairement un droit absolu, un droit qui conférerait au propriétaire des prérogatives exclusives sur la chose appropriée, qu'il s'est approprié, le tout indépendamment des circonstances sociales et même de la morale. Et c'est peut-être là que le droit et la philosophie peuvent se retrouver.
- Speaker #0
Oui, tout à fait. La question est mal posée, on est bien d'accord là-dessus, parce qu'elle suppose une conception absolutiste du droit de propriété, comme tu l'expliquais. Être propriétaire de sa vie privée induit qu'on ait les pleins pouvoirs sur quelque chose que l'on ne maîtrise plus totalement.
- Speaker #2
Je rappelle quand même qu'une donnée personnelle, comme son nom l'indique, c'est un donné, un cliché momentané d'une vie, un instant T qui ne me représente que partiellement, et donc évidemment pas dans mon intégralité. D'où, comme on le disait, l'importance de cette fiction juridique du moi, et sa réciproque dans la législation. A la fois l'importance de la qualité des données, mais aussi du droit de les faire rectifier. la possibilité de demander leur effacement, les limites apportées au droit des tiers de conserver undefined ces données, et puis au-delà, l'effacement des frontières.
- Speaker #0
l'effacement de la frontière entre vie privée et vie publique d'une part, mais également le fait que la circulation des données est bien plus importante aujourd'hui. Le fait que celles-ci soient avant tout dématérialisées et qu'elles échappent. à notre contrôle. Tout ceci, d'abord pour des raisons de contexte, mais donc en péril, le respect de notre vie privée. Pourtant, personne n'oserait avancer qu'il faille renoncer à la propriété de sa vie privée. Tout le monde est assez d'accord sur cette idée-là. Ma vie privée m'appartient, elle n'appartient à personne d'autre. Du moins, à condition que j'en décide. Mais en poursuivant dans cette même direction, on continue d'appliquer un principe qui trouve ses limites dans la réalité face à un ensemble de situations totalement nouvelles. Le transfert des données, d'une part, mais la culture de notre image sur Internet, nos informations personnelles en circulation libre, tout ce qui appartenait autrefois à l'unique sphère de l'intime sert désormais de vitrine. Et donc, mes données personnelles ne sont plus uniquement un moyen de m'identifier, de vérifier qu'il s'agisse bien de moi, elles servent désormais à me distinguer, à exister dans la sphère numérico-sociale. Et donc nous faisons comme si nous avions un contrôle là-dessus alors que nous ne cessons de révéler des informations sur nous et nous déléguons à des grandes entreprises la nécessité de faire respecter la confidentialité de ces données.
- Speaker #1
Il y aurait une sorte de bras de fer finalement. Et comment rester cohérent et cesser d'osciller dans sa vie entre ses mouvements contraires de protection de son intimité, de sa vie privée et le désir de s'exposer ?
- Speaker #0
Peut-être d'une part en reconsidérant le lien qui nous attache à cette donnée. On parlait dernièrement de Jean-Fabien Spitz qui s'est intéressé à affiner la notion de propriété de soi. il considère qu'autrui peut s'approprier mes inventions, mes idées, tant que cela ne viole pas ma dignité et n'altère pas mon autonomie. Et donc ça nous amène à l'idée que nous pourrions être propriétaires par degré de notre vie privée, dans la mesure où celle-ci a trait à l'individu, mais aussi au social. Et donc certaines informations pourraient être qualifiées comme hautement privées, et d'autres pourraient faire l'objet d'une utilisation à des fins sociales ou commerciales. J'ai quand même l'impression que c'est face à cette peur de ne plus arriver à contrôler la circulation des données dans la sphère publique ou dans l'océan numérique que le droit s'empêche par précaution de repenser la notion de propriété des données. Qu'est-ce que tu en penses ? Est-ce que le droit pourrait s'ouvrir à des nouvelles perspectives ?
- Speaker #1
Alors c'est un chantier, c'est un gros chantier à la fois théorique et pratique. Ce chantier est en partie achevé et en même temps en constante construction. En réalité, cette conception absolutiste du droit de propriété, elle provient d'une double reprise du droit romain. En fait, à l'époque romaine archaïque, cette propriété absolue, elle renvoie plutôt à l'idée de souveraineté, de puissance, de puissance comparable à la potestas, à la puissance paternelle exercée de façon discrétionnaire sur les choses, sur les bêtes, sur les esclaves, et plus ou moins discrétionnaire sur les membres de la Gens, c'est-à-dire la famille au sens romain. De première reprise, ce sont déjà les juristes du Moyen-Âge qui vont reprendre cette conception absolutiste de la propriété, mais à une époque... où cette conception était déjà moins absolutiste car moins unitaire, puisqu'on avait déjà fait entrer dans le droit de propriété une distinction entre le pouvoir d'user de la chose, l'usus, de jouir des fruits produits par la chose, le fructus, et le droit d'en abuser, l'abusus, c'est-à-dire de l'aliéner, de l'altérer définitivement, c'est-à-dire de le détruire ou de le vendre. Et cette trilogie, Si elle est réunie dans les mains d'une personne, elle va désigner la propriété individuelle et absolue, telle qu'elle sera finalement reprise par les révolutionnaires de 1789 et inscrite dans le Code civil. Mais il faut voir deux points supplémentaires. Déjà, la loi organise d'elle-même des formes de propriété collective. Tout le monde le sait, comme l'indivision, comme les droits sur les parts sociales dans une société, ou encore les droits des copropriétaires au sein d'une copropriété, le régime de copropriété des immeubles bâtis que nous connaissons bien en France. Et puis, surtout, le Code civil pose une autre institution, elle aussi quasi absolue, quasi absolue, à savoir le contrat. Et le contrat... Qu'il s'agisse d'un contrat défini ou non par la loi, permet d'organiser les modalités de la propriété d'une chose et de leur usage, de poser des conditions et des limites à ce caractère absolu, d'organiser par exemple les conditions et les conséquences d'une propriété collective. Enfin, il faut également voir que demeurent toujours aujourd'hui des formes de propriété ou copropriété que l'on peut dire issues de la coutume. De la coutume, c'est-à-dire de la répétition stable et collectivement acceptée de certains usages des choses. Alors, le Code civil, légaliste, ne se réfère pas directement à la coutume. Mais pour le dire vite, il va en reprendre certaines notions. pour les institutionnaliser légalement. Et la loi incite aussi parfois le juge à se référer à ses usages locaux pour déterminer l'étendue d'une propriété ou attribuer des droits différents sur ces objets de propriété. Donc, on peut tout à fait envisager l'institutionnalisation d'un cadre dans lequel je serais obligé de promouvoir les créations personnelles d'autrui. d'y participer et lui, de les partager avec moi, de les concevoir en commun avec moi, sans pour autant, comme tu le disais, qu'il y ait violation de la dignité humaine, puisque cette puissance d'invention serait conçue sur la base de l'autonomie et de la rationalité du sujet.
- Speaker #0
Oui, oui, tout à fait. Mais alors du coup, d'un point de vue juridique, quelle solution, quel type de solution ça t'inspire ?
- Speaker #1
En pratique, des solutions ont déjà été conçues et commencent à être sérieusement mises en œuvre, bien qu'à échelle locale, régionale, en tout cas pas vraiment nationale ou légale en France au sens strict, ni en Europe. Ces solutions s'inspirent de la notion des communs, un peu sur le modèle des licences d'équilibre que les gens connaissent. Mais on l'a compris, nous ne sommes pas face aux mêmes enjeux. Si on prend la chose immatérielle, donnée personnelle, on ne peut pas l'assimiler immédiatement à cette autre chose immatérielle que serait l'idée d'un créateur. précisément parce que l'intimité, c'est-à-dire que le droit cher à protéger avec autant de vigueur, comme étant ce qu'il y a de plus confidentiel, c'est précisément parce qu'on ne souhaite pas que notre intimité soit de libre parcours qu'on la protège. Si tant est qu'une intimité de libre parcours soit possible, évidemment. ce qui n'est pas le cas. Et puis, on vient de critiquer précisément tout ce qu'il y a d'erroné ou d'immoral dans cette idée d'appropriation juridique de la valeur économique que représentent nos données personnelles. En revanche, on pourrait envisager une communauté d'individus qui déciderait, qui pourrait décider selon des critères conventionnels, contractuels, qui pourraient décider collectivement de ce qu'on a le droit de faire ou de ne pas faire des données personnelles de cette communauté. Est-ce qu'elle circule ou est-ce qu'elle ne circule pas ? Est-ce qu'on peut les commercialiser ou non ?
- Speaker #0
D'accord. Et donc ça te semble envisageable concrètement d'inciter, de favoriser, voire de légiférer pour qu'une telle conception de la propriété et de l'usage des données personnelles se développe ?
- Speaker #1
Je ne pense pas qu'il faille attendre du législateur qu'il impose de lui-même un tel cas. Mais s'il fallait se donner un objectif stratégique, à mon sens, il faudrait jouer sur deux fronts. d'une part, un travail de lobbyisme direct, en lien direct avec le législateur, c'est-à-dire imposer la création de conventions entre les GAFAM et la puissance publique, ou entre les GAFAM, ces fameuses entreprises du numérique, et les communautés dont je parlais. Et c'est d'ailleurs l'objet de programmes universitaires. Et d'autre part, un travail de lobbyisme peut-être plus discret et indirect, mais d'autant plus concret et efficient. Et c'est peut-être ici le rôle véritable de l'interdisciplinarité ou de la multidisciplinarité entre philosophie et droit, c'est-à-dire parvenir à justifier, voire déterminer la forme et le contenu de ces conventions et de ces structures qui permettent d'échanger des données personnelles sans violer la dignité de la personne. Mais du coup, en se passant entièrement des GAFAM, précisément, en se passant du législateur même, le tout pour démontrer que c'est viable économiquement. qu'il y a un intérêt éthique à de telles conventions et de telles structures, et qu'à moyen ou long terme, elles s'imposent comme ordinaires. Intérêt éthique qui deviendrait ordinaire avant d'être juridique, justement parce qu'il repose sur cette licence de créativité et de co-créativité de l'être humain dont on parlait.
- Speaker #0
D'accord, donc du travail sur la planche.
- Speaker #1
Du travail sur la planche, en effet. Mais je crois qu'on vient à notre modeste mesure d'y contribuer, à la fois en mettant un peu d'ordre philosophique dans le droit positif, mais finalement, nos propos sont assez denses. Nous avons traversé plusieurs auteurs, plusieurs époques, plusieurs contextes, donc l'idée était surtout... d'éveiller les consciences et de donner envie aux personnes de réfléchir. Voilà.