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6. Signifiance, signification, mythes

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08min |08/11/2024
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Description

Philippe clôt notre échange par un chef d’œuvre : il rétablit les liens entre œuvre, art et auteur sous la perspective de la signifiance et de la signification, qu’il illustre par le continuum historique - culturel et scientifique, de la poétique des mythes de la Grèce antique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    De mon point de vue, je dirais qu'il y a deux écueils sur cette question de l'auteur ou de l'autrice d'une œuvre. Il y a le premier écueil qui est de faire du structuralisme pur et dur, c'est-à-dire d'aborder l'œuvre en évacuant la question de l'auteur pour se concentrer uniquement sur la structure du texte, sur les effets de sens créés par la structure et sur des parallèles de structure entre différentes œuvres. Puis il y a un deuxième écueil où là, c'est l'inverse, de ces diamétralement opposés. A la première perspective, on réintroduit tellement l'auteur qu'on centre l'interprétation de son œuvre sur sa personnalité, voire sur sa vie intime, personnelle ou sentimentale. Et là, évidemment, on risque de verser dans un psychologisme qui a certaines limites. Il y a une distinction que j'aime bien au sujet des œuvres d'art, c'est la distinction entre la signifiance et la signification. La signification, c'est le contenu défini ou définissable qu'on peut donner à un énoncé, une représentation picturale. une phrase musicale, le contenu analytique qu'on peut en tirer. Et puis la signifiance, c'est l'effet de sens, qui dans le cas des œuvres d'art, des grandes œuvres d'art en tout cas, est indéfini, parce qu'on peut toujours tirer un sens nouveau d'une poésie, d'une grande œuvre musicale, une émotion nouvelle, un émoi nouveau, un élan, un allant qui est neuf. Je prends un exemple très célèbre dans son poème Hérodiade. Stéphane Mallarmé fait dire à Hérodiade « un baiser me tuerait si la beauté n'était la mort » . Là on a tout, on a héros, thanatos, on a cette réunion de la beauté, du désir et de la mort. C'est une phrase à laquelle on peut donner une signification, mais qu'on ne peut pas enfermer dans une signification définie, parce qu'elle continue de faire sens, elle continue de résonner en nous, elle a un pouvoir évocateur, je dirais même invocatoire. et elle peut convoquer tout un imaginaire qui nous inspire. Donc il est évident que même pour ce qui est des œuvres romanesques ou des œuvres écrites où il y a un contenu qui joue avec les signifiants, avec les mots, une œuvre dépasse toujours l'intention signifiante de son auteur. Toutefois, je pense que liquider totalement la question de l'auteur, de l'autrice, de la référence à l'auteur ou l'autrice pose un énorme problème, c'est de couper l'œuvre de son contexte d'origine, de son contexte historique, puisque toutes les œuvres s'inscrivent dans un contexte historique. Je vais prendre un exemple. Je pense à Oedipe, à la pièce, il n'y a pas que lui qui a écrit sur Oedipe, mais en tout cas, ce qui nous est conservé, ce sont les pièces de Sophocle, Oedipe roi, Oedipe à colonne. Si on se fie à l'analyse de Freud, l'analyse... psychanalytique. Freud voit un universel dans ce qu'il nous a raconté dans le mythe d'Oedipe, à savoir qu'il parle notamment des hommes puisqu'il y a une asymétrie entre l'Oedipe des hommes et celui des filles. Je ne vais pas rentrer dans cette question maintenant, mais il nous dit que ça représente le désir de possession sexuelle que tous les petits garçons ont eu vis-à-vis de leur mère. et du fait de vouloir reliquider leur premier rival qui était le père ou toute figure paternelle ou masculine qui pouvait être identifié comme étant, je dirais, entre guillemets, le jouisseur ou le possesseur de la mère aimée. C'est une interprétation psychanalytique qui tire un contenu de sens universel à partir de la pièce de Sophocle. D'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que Freud a hésité, avant de choisir un nom pour son complexe, c'est de l'identifier à la pièce. de Sophocle ou au mythe d'Oedipe. Mais quand on lit Jean-Pierre Vernon qui est un célèbre anthropologue, historien français décédé il y a quelques années, Jean-Pierre Vernon fait une remarque au sujet de cette interprétation. Alors il ne dit pas qu'elle est dépourvue d'intérêt, il ne dit pas qu'elle n'est pas signifiante, intéressante, elle ouvre des perspectives. Mais le sens profond du mythe d'Oedipe, selon lui, est à trouver dans le contexte d'émergence ou de développement de ce mythe. Et en l'occurrence, pour Jean-Pierre Vernon, c'est la création des cités grecques, c'est-à-dire d'une nouvelle forme d'organisation politique et de liberté politique qui succédait au régime précédent, notamment en royauté mycénienne. Et c'est dans ce contexte de liberté politique qu'il y a une question qui taraude. les individus grecs, quelle est ma responsabilité quand j'agis ? Sachant qu'il y a le destin des forces contraires à ma propre volonté. Et c'est dans ce contexte de liberté politique ou d'émancipation de l'action humaine, c'est dans ce contexte que naît, que se développe et que prend sens fondamentalement d'un point de vue historique, mais aussi anthropologique, le mythe d'Oedipe. Donc vous voyez que dans ce cas-là, il faut bien faire référence quand même. Si ce n'est à l'auteur, puisque l'auteur est anonyme, ce focle n'est pas l'auteur, il nous a livré des pièces, mais c'est un mythe dont l'auteur se perd, si l'on veut, dans les âges, dans le fond des âges. Si on évacue cette question, en tout cas de l'origine historique et de l'auteur, qui permet de raccrocher quand même une œuvre à un contexte, on va tenter de créer des interprétations qui vont peut-être être intéressantes, mais qui vont. Peut-être manquer le sens profond, si on veut, de l'œuvre. Je pense aussi aux interprétations, là aussi très intéressantes, de Claude Lévi-Strauss du mythe d'Oedipe, et des comparaisons avec d'autres récits de sociétés premières. C'est intéressant, évidemment, de noter les effets de structure, les parallélismes, mais ça ne permet pas de saisir le sens profond du mythe d'Oedipe. Je prends un autre exemple, et puis je m'arrête là. C'est le mythe d'Antigone. Antigone, elle parle à tous. C'est le sens de la justice ressenti individuellement et personnellement dans la conscience humaine qui se révolte contre un ordre qui est perçu comme étant contraire aux valeurs portées par l'individu. Donc ça parle à tous de façon universelle. Mais le sens profond d'Antigone, et Ghosn nous éclaire à ce sujet, c'est la collision, c'est la contradiction entre l'ordre de la filiation clanique, la fidélité au clan, La fidélité tribale de la structure ancienne de la société grecque et le nouvel ordre des cités, l'ordre politique qui se constitue, ce qui fait l'affrontement entre Antigone et Créon. Je vous remercie beaucoup pour votre participation à ce dialogue. C'était le préalable à ce qui va être le deuxième volet de notre discussion, la question de la propriété intellectuelle. de l'œuvre d'art et plus largement la question de l'œuvre d'art à l'époque du numérique, de la reproductibilité technique des œuvres d'art et à l'époque de l'intelligence artificielle, c'est-à-dire à l'époque de l'automatisation partielle, voire presque totale dans certains cas, de la création artistique ou artistique entre guillemets. Ce qui va nous amener à des questions juridiques, vous êtes là pour m'accompagner sur ce point, philosophiques, que vous êtes aussi là. pour ma compagnie anthropologique, dont on va débattre dans le deuxième volet, dans le deuxième opus de ce débat, de ce dialogue entre nous. Je vous remercie encore pour votre participation, et on se dit à très bientôt pour le deuxième volet, sur cette question de la propriété intellectuelle de l'œuvre d'art à l'ère du numérique, à l'ère de la technique contemporaine, et à l'ère de l'intelligence artificielle. Merci à vous. A bientôt !

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Philippe clôt notre échange par un chef d’œuvre : il rétablit les liens entre œuvre, art et auteur sous la perspective de la signifiance et de la signification, qu’il illustre par le continuum historique - culturel et scientifique, de la poétique des mythes de la Grèce antique.


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  • Speaker #0

    De mon point de vue, je dirais qu'il y a deux écueils sur cette question de l'auteur ou de l'autrice d'une œuvre. Il y a le premier écueil qui est de faire du structuralisme pur et dur, c'est-à-dire d'aborder l'œuvre en évacuant la question de l'auteur pour se concentrer uniquement sur la structure du texte, sur les effets de sens créés par la structure et sur des parallèles de structure entre différentes œuvres. Puis il y a un deuxième écueil où là, c'est l'inverse, de ces diamétralement opposés. A la première perspective, on réintroduit tellement l'auteur qu'on centre l'interprétation de son œuvre sur sa personnalité, voire sur sa vie intime, personnelle ou sentimentale. Et là, évidemment, on risque de verser dans un psychologisme qui a certaines limites. Il y a une distinction que j'aime bien au sujet des œuvres d'art, c'est la distinction entre la signifiance et la signification. La signification, c'est le contenu défini ou définissable qu'on peut donner à un énoncé, une représentation picturale. une phrase musicale, le contenu analytique qu'on peut en tirer. Et puis la signifiance, c'est l'effet de sens, qui dans le cas des œuvres d'art, des grandes œuvres d'art en tout cas, est indéfini, parce qu'on peut toujours tirer un sens nouveau d'une poésie, d'une grande œuvre musicale, une émotion nouvelle, un émoi nouveau, un élan, un allant qui est neuf. Je prends un exemple très célèbre dans son poème Hérodiade. Stéphane Mallarmé fait dire à Hérodiade « un baiser me tuerait si la beauté n'était la mort » . Là on a tout, on a héros, thanatos, on a cette réunion de la beauté, du désir et de la mort. C'est une phrase à laquelle on peut donner une signification, mais qu'on ne peut pas enfermer dans une signification définie, parce qu'elle continue de faire sens, elle continue de résonner en nous, elle a un pouvoir évocateur, je dirais même invocatoire. et elle peut convoquer tout un imaginaire qui nous inspire. Donc il est évident que même pour ce qui est des œuvres romanesques ou des œuvres écrites où il y a un contenu qui joue avec les signifiants, avec les mots, une œuvre dépasse toujours l'intention signifiante de son auteur. Toutefois, je pense que liquider totalement la question de l'auteur, de l'autrice, de la référence à l'auteur ou l'autrice pose un énorme problème, c'est de couper l'œuvre de son contexte d'origine, de son contexte historique, puisque toutes les œuvres s'inscrivent dans un contexte historique. Je vais prendre un exemple. Je pense à Oedipe, à la pièce, il n'y a pas que lui qui a écrit sur Oedipe, mais en tout cas, ce qui nous est conservé, ce sont les pièces de Sophocle, Oedipe roi, Oedipe à colonne. Si on se fie à l'analyse de Freud, l'analyse... psychanalytique. Freud voit un universel dans ce qu'il nous a raconté dans le mythe d'Oedipe, à savoir qu'il parle notamment des hommes puisqu'il y a une asymétrie entre l'Oedipe des hommes et celui des filles. Je ne vais pas rentrer dans cette question maintenant, mais il nous dit que ça représente le désir de possession sexuelle que tous les petits garçons ont eu vis-à-vis de leur mère. et du fait de vouloir reliquider leur premier rival qui était le père ou toute figure paternelle ou masculine qui pouvait être identifié comme étant, je dirais, entre guillemets, le jouisseur ou le possesseur de la mère aimée. C'est une interprétation psychanalytique qui tire un contenu de sens universel à partir de la pièce de Sophocle. D'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que Freud a hésité, avant de choisir un nom pour son complexe, c'est de l'identifier à la pièce. de Sophocle ou au mythe d'Oedipe. Mais quand on lit Jean-Pierre Vernon qui est un célèbre anthropologue, historien français décédé il y a quelques années, Jean-Pierre Vernon fait une remarque au sujet de cette interprétation. Alors il ne dit pas qu'elle est dépourvue d'intérêt, il ne dit pas qu'elle n'est pas signifiante, intéressante, elle ouvre des perspectives. Mais le sens profond du mythe d'Oedipe, selon lui, est à trouver dans le contexte d'émergence ou de développement de ce mythe. Et en l'occurrence, pour Jean-Pierre Vernon, c'est la création des cités grecques, c'est-à-dire d'une nouvelle forme d'organisation politique et de liberté politique qui succédait au régime précédent, notamment en royauté mycénienne. Et c'est dans ce contexte de liberté politique qu'il y a une question qui taraude. les individus grecs, quelle est ma responsabilité quand j'agis ? Sachant qu'il y a le destin des forces contraires à ma propre volonté. Et c'est dans ce contexte de liberté politique ou d'émancipation de l'action humaine, c'est dans ce contexte que naît, que se développe et que prend sens fondamentalement d'un point de vue historique, mais aussi anthropologique, le mythe d'Oedipe. Donc vous voyez que dans ce cas-là, il faut bien faire référence quand même. Si ce n'est à l'auteur, puisque l'auteur est anonyme, ce focle n'est pas l'auteur, il nous a livré des pièces, mais c'est un mythe dont l'auteur se perd, si l'on veut, dans les âges, dans le fond des âges. Si on évacue cette question, en tout cas de l'origine historique et de l'auteur, qui permet de raccrocher quand même une œuvre à un contexte, on va tenter de créer des interprétations qui vont peut-être être intéressantes, mais qui vont. Peut-être manquer le sens profond, si on veut, de l'œuvre. Je pense aussi aux interprétations, là aussi très intéressantes, de Claude Lévi-Strauss du mythe d'Oedipe, et des comparaisons avec d'autres récits de sociétés premières. C'est intéressant, évidemment, de noter les effets de structure, les parallélismes, mais ça ne permet pas de saisir le sens profond du mythe d'Oedipe. Je prends un autre exemple, et puis je m'arrête là. C'est le mythe d'Antigone. Antigone, elle parle à tous. C'est le sens de la justice ressenti individuellement et personnellement dans la conscience humaine qui se révolte contre un ordre qui est perçu comme étant contraire aux valeurs portées par l'individu. Donc ça parle à tous de façon universelle. Mais le sens profond d'Antigone, et Ghosn nous éclaire à ce sujet, c'est la collision, c'est la contradiction entre l'ordre de la filiation clanique, la fidélité au clan, La fidélité tribale de la structure ancienne de la société grecque et le nouvel ordre des cités, l'ordre politique qui se constitue, ce qui fait l'affrontement entre Antigone et Créon. Je vous remercie beaucoup pour votre participation à ce dialogue. C'était le préalable à ce qui va être le deuxième volet de notre discussion, la question de la propriété intellectuelle. de l'œuvre d'art et plus largement la question de l'œuvre d'art à l'époque du numérique, de la reproductibilité technique des œuvres d'art et à l'époque de l'intelligence artificielle, c'est-à-dire à l'époque de l'automatisation partielle, voire presque totale dans certains cas, de la création artistique ou artistique entre guillemets. Ce qui va nous amener à des questions juridiques, vous êtes là pour m'accompagner sur ce point, philosophiques, que vous êtes aussi là. pour ma compagnie anthropologique, dont on va débattre dans le deuxième volet, dans le deuxième opus de ce débat, de ce dialogue entre nous. Je vous remercie encore pour votre participation, et on se dit à très bientôt pour le deuxième volet, sur cette question de la propriété intellectuelle de l'œuvre d'art à l'ère du numérique, à l'ère de la technique contemporaine, et à l'ère de l'intelligence artificielle. Merci à vous. A bientôt !

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Philippe clôt notre échange par un chef d’œuvre : il rétablit les liens entre œuvre, art et auteur sous la perspective de la signifiance et de la signification, qu’il illustre par le continuum historique - culturel et scientifique, de la poétique des mythes de la Grèce antique.


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  • Speaker #0

    De mon point de vue, je dirais qu'il y a deux écueils sur cette question de l'auteur ou de l'autrice d'une œuvre. Il y a le premier écueil qui est de faire du structuralisme pur et dur, c'est-à-dire d'aborder l'œuvre en évacuant la question de l'auteur pour se concentrer uniquement sur la structure du texte, sur les effets de sens créés par la structure et sur des parallèles de structure entre différentes œuvres. Puis il y a un deuxième écueil où là, c'est l'inverse, de ces diamétralement opposés. A la première perspective, on réintroduit tellement l'auteur qu'on centre l'interprétation de son œuvre sur sa personnalité, voire sur sa vie intime, personnelle ou sentimentale. Et là, évidemment, on risque de verser dans un psychologisme qui a certaines limites. Il y a une distinction que j'aime bien au sujet des œuvres d'art, c'est la distinction entre la signifiance et la signification. La signification, c'est le contenu défini ou définissable qu'on peut donner à un énoncé, une représentation picturale. une phrase musicale, le contenu analytique qu'on peut en tirer. Et puis la signifiance, c'est l'effet de sens, qui dans le cas des œuvres d'art, des grandes œuvres d'art en tout cas, est indéfini, parce qu'on peut toujours tirer un sens nouveau d'une poésie, d'une grande œuvre musicale, une émotion nouvelle, un émoi nouveau, un élan, un allant qui est neuf. Je prends un exemple très célèbre dans son poème Hérodiade. Stéphane Mallarmé fait dire à Hérodiade « un baiser me tuerait si la beauté n'était la mort » . Là on a tout, on a héros, thanatos, on a cette réunion de la beauté, du désir et de la mort. C'est une phrase à laquelle on peut donner une signification, mais qu'on ne peut pas enfermer dans une signification définie, parce qu'elle continue de faire sens, elle continue de résonner en nous, elle a un pouvoir évocateur, je dirais même invocatoire. et elle peut convoquer tout un imaginaire qui nous inspire. Donc il est évident que même pour ce qui est des œuvres romanesques ou des œuvres écrites où il y a un contenu qui joue avec les signifiants, avec les mots, une œuvre dépasse toujours l'intention signifiante de son auteur. Toutefois, je pense que liquider totalement la question de l'auteur, de l'autrice, de la référence à l'auteur ou l'autrice pose un énorme problème, c'est de couper l'œuvre de son contexte d'origine, de son contexte historique, puisque toutes les œuvres s'inscrivent dans un contexte historique. Je vais prendre un exemple. Je pense à Oedipe, à la pièce, il n'y a pas que lui qui a écrit sur Oedipe, mais en tout cas, ce qui nous est conservé, ce sont les pièces de Sophocle, Oedipe roi, Oedipe à colonne. Si on se fie à l'analyse de Freud, l'analyse... psychanalytique. Freud voit un universel dans ce qu'il nous a raconté dans le mythe d'Oedipe, à savoir qu'il parle notamment des hommes puisqu'il y a une asymétrie entre l'Oedipe des hommes et celui des filles. Je ne vais pas rentrer dans cette question maintenant, mais il nous dit que ça représente le désir de possession sexuelle que tous les petits garçons ont eu vis-à-vis de leur mère. et du fait de vouloir reliquider leur premier rival qui était le père ou toute figure paternelle ou masculine qui pouvait être identifié comme étant, je dirais, entre guillemets, le jouisseur ou le possesseur de la mère aimée. C'est une interprétation psychanalytique qui tire un contenu de sens universel à partir de la pièce de Sophocle. D'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que Freud a hésité, avant de choisir un nom pour son complexe, c'est de l'identifier à la pièce. de Sophocle ou au mythe d'Oedipe. Mais quand on lit Jean-Pierre Vernon qui est un célèbre anthropologue, historien français décédé il y a quelques années, Jean-Pierre Vernon fait une remarque au sujet de cette interprétation. Alors il ne dit pas qu'elle est dépourvue d'intérêt, il ne dit pas qu'elle n'est pas signifiante, intéressante, elle ouvre des perspectives. Mais le sens profond du mythe d'Oedipe, selon lui, est à trouver dans le contexte d'émergence ou de développement de ce mythe. Et en l'occurrence, pour Jean-Pierre Vernon, c'est la création des cités grecques, c'est-à-dire d'une nouvelle forme d'organisation politique et de liberté politique qui succédait au régime précédent, notamment en royauté mycénienne. Et c'est dans ce contexte de liberté politique qu'il y a une question qui taraude. les individus grecs, quelle est ma responsabilité quand j'agis ? Sachant qu'il y a le destin des forces contraires à ma propre volonté. Et c'est dans ce contexte de liberté politique ou d'émancipation de l'action humaine, c'est dans ce contexte que naît, que se développe et que prend sens fondamentalement d'un point de vue historique, mais aussi anthropologique, le mythe d'Oedipe. Donc vous voyez que dans ce cas-là, il faut bien faire référence quand même. Si ce n'est à l'auteur, puisque l'auteur est anonyme, ce focle n'est pas l'auteur, il nous a livré des pièces, mais c'est un mythe dont l'auteur se perd, si l'on veut, dans les âges, dans le fond des âges. Si on évacue cette question, en tout cas de l'origine historique et de l'auteur, qui permet de raccrocher quand même une œuvre à un contexte, on va tenter de créer des interprétations qui vont peut-être être intéressantes, mais qui vont. Peut-être manquer le sens profond, si on veut, de l'œuvre. Je pense aussi aux interprétations, là aussi très intéressantes, de Claude Lévi-Strauss du mythe d'Oedipe, et des comparaisons avec d'autres récits de sociétés premières. C'est intéressant, évidemment, de noter les effets de structure, les parallélismes, mais ça ne permet pas de saisir le sens profond du mythe d'Oedipe. Je prends un autre exemple, et puis je m'arrête là. C'est le mythe d'Antigone. Antigone, elle parle à tous. C'est le sens de la justice ressenti individuellement et personnellement dans la conscience humaine qui se révolte contre un ordre qui est perçu comme étant contraire aux valeurs portées par l'individu. Donc ça parle à tous de façon universelle. Mais le sens profond d'Antigone, et Ghosn nous éclaire à ce sujet, c'est la collision, c'est la contradiction entre l'ordre de la filiation clanique, la fidélité au clan, La fidélité tribale de la structure ancienne de la société grecque et le nouvel ordre des cités, l'ordre politique qui se constitue, ce qui fait l'affrontement entre Antigone et Créon. Je vous remercie beaucoup pour votre participation à ce dialogue. C'était le préalable à ce qui va être le deuxième volet de notre discussion, la question de la propriété intellectuelle. de l'œuvre d'art et plus largement la question de l'œuvre d'art à l'époque du numérique, de la reproductibilité technique des œuvres d'art et à l'époque de l'intelligence artificielle, c'est-à-dire à l'époque de l'automatisation partielle, voire presque totale dans certains cas, de la création artistique ou artistique entre guillemets. Ce qui va nous amener à des questions juridiques, vous êtes là pour m'accompagner sur ce point, philosophiques, que vous êtes aussi là. pour ma compagnie anthropologique, dont on va débattre dans le deuxième volet, dans le deuxième opus de ce débat, de ce dialogue entre nous. Je vous remercie encore pour votre participation, et on se dit à très bientôt pour le deuxième volet, sur cette question de la propriété intellectuelle de l'œuvre d'art à l'ère du numérique, à l'ère de la technique contemporaine, et à l'ère de l'intelligence artificielle. Merci à vous. A bientôt !

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Philippe clôt notre échange par un chef d’œuvre : il rétablit les liens entre œuvre, art et auteur sous la perspective de la signifiance et de la signification, qu’il illustre par le continuum historique - culturel et scientifique, de la poétique des mythes de la Grèce antique.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    De mon point de vue, je dirais qu'il y a deux écueils sur cette question de l'auteur ou de l'autrice d'une œuvre. Il y a le premier écueil qui est de faire du structuralisme pur et dur, c'est-à-dire d'aborder l'œuvre en évacuant la question de l'auteur pour se concentrer uniquement sur la structure du texte, sur les effets de sens créés par la structure et sur des parallèles de structure entre différentes œuvres. Puis il y a un deuxième écueil où là, c'est l'inverse, de ces diamétralement opposés. A la première perspective, on réintroduit tellement l'auteur qu'on centre l'interprétation de son œuvre sur sa personnalité, voire sur sa vie intime, personnelle ou sentimentale. Et là, évidemment, on risque de verser dans un psychologisme qui a certaines limites. Il y a une distinction que j'aime bien au sujet des œuvres d'art, c'est la distinction entre la signifiance et la signification. La signification, c'est le contenu défini ou définissable qu'on peut donner à un énoncé, une représentation picturale. une phrase musicale, le contenu analytique qu'on peut en tirer. Et puis la signifiance, c'est l'effet de sens, qui dans le cas des œuvres d'art, des grandes œuvres d'art en tout cas, est indéfini, parce qu'on peut toujours tirer un sens nouveau d'une poésie, d'une grande œuvre musicale, une émotion nouvelle, un émoi nouveau, un élan, un allant qui est neuf. Je prends un exemple très célèbre dans son poème Hérodiade. Stéphane Mallarmé fait dire à Hérodiade « un baiser me tuerait si la beauté n'était la mort » . Là on a tout, on a héros, thanatos, on a cette réunion de la beauté, du désir et de la mort. C'est une phrase à laquelle on peut donner une signification, mais qu'on ne peut pas enfermer dans une signification définie, parce qu'elle continue de faire sens, elle continue de résonner en nous, elle a un pouvoir évocateur, je dirais même invocatoire. et elle peut convoquer tout un imaginaire qui nous inspire. Donc il est évident que même pour ce qui est des œuvres romanesques ou des œuvres écrites où il y a un contenu qui joue avec les signifiants, avec les mots, une œuvre dépasse toujours l'intention signifiante de son auteur. Toutefois, je pense que liquider totalement la question de l'auteur, de l'autrice, de la référence à l'auteur ou l'autrice pose un énorme problème, c'est de couper l'œuvre de son contexte d'origine, de son contexte historique, puisque toutes les œuvres s'inscrivent dans un contexte historique. Je vais prendre un exemple. Je pense à Oedipe, à la pièce, il n'y a pas que lui qui a écrit sur Oedipe, mais en tout cas, ce qui nous est conservé, ce sont les pièces de Sophocle, Oedipe roi, Oedipe à colonne. Si on se fie à l'analyse de Freud, l'analyse... psychanalytique. Freud voit un universel dans ce qu'il nous a raconté dans le mythe d'Oedipe, à savoir qu'il parle notamment des hommes puisqu'il y a une asymétrie entre l'Oedipe des hommes et celui des filles. Je ne vais pas rentrer dans cette question maintenant, mais il nous dit que ça représente le désir de possession sexuelle que tous les petits garçons ont eu vis-à-vis de leur mère. et du fait de vouloir reliquider leur premier rival qui était le père ou toute figure paternelle ou masculine qui pouvait être identifié comme étant, je dirais, entre guillemets, le jouisseur ou le possesseur de la mère aimée. C'est une interprétation psychanalytique qui tire un contenu de sens universel à partir de la pièce de Sophocle. D'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que Freud a hésité, avant de choisir un nom pour son complexe, c'est de l'identifier à la pièce. de Sophocle ou au mythe d'Oedipe. Mais quand on lit Jean-Pierre Vernon qui est un célèbre anthropologue, historien français décédé il y a quelques années, Jean-Pierre Vernon fait une remarque au sujet de cette interprétation. Alors il ne dit pas qu'elle est dépourvue d'intérêt, il ne dit pas qu'elle n'est pas signifiante, intéressante, elle ouvre des perspectives. Mais le sens profond du mythe d'Oedipe, selon lui, est à trouver dans le contexte d'émergence ou de développement de ce mythe. Et en l'occurrence, pour Jean-Pierre Vernon, c'est la création des cités grecques, c'est-à-dire d'une nouvelle forme d'organisation politique et de liberté politique qui succédait au régime précédent, notamment en royauté mycénienne. Et c'est dans ce contexte de liberté politique qu'il y a une question qui taraude. les individus grecs, quelle est ma responsabilité quand j'agis ? Sachant qu'il y a le destin des forces contraires à ma propre volonté. Et c'est dans ce contexte de liberté politique ou d'émancipation de l'action humaine, c'est dans ce contexte que naît, que se développe et que prend sens fondamentalement d'un point de vue historique, mais aussi anthropologique, le mythe d'Oedipe. Donc vous voyez que dans ce cas-là, il faut bien faire référence quand même. Si ce n'est à l'auteur, puisque l'auteur est anonyme, ce focle n'est pas l'auteur, il nous a livré des pièces, mais c'est un mythe dont l'auteur se perd, si l'on veut, dans les âges, dans le fond des âges. Si on évacue cette question, en tout cas de l'origine historique et de l'auteur, qui permet de raccrocher quand même une œuvre à un contexte, on va tenter de créer des interprétations qui vont peut-être être intéressantes, mais qui vont. Peut-être manquer le sens profond, si on veut, de l'œuvre. Je pense aussi aux interprétations, là aussi très intéressantes, de Claude Lévi-Strauss du mythe d'Oedipe, et des comparaisons avec d'autres récits de sociétés premières. C'est intéressant, évidemment, de noter les effets de structure, les parallélismes, mais ça ne permet pas de saisir le sens profond du mythe d'Oedipe. Je prends un autre exemple, et puis je m'arrête là. C'est le mythe d'Antigone. Antigone, elle parle à tous. C'est le sens de la justice ressenti individuellement et personnellement dans la conscience humaine qui se révolte contre un ordre qui est perçu comme étant contraire aux valeurs portées par l'individu. Donc ça parle à tous de façon universelle. Mais le sens profond d'Antigone, et Ghosn nous éclaire à ce sujet, c'est la collision, c'est la contradiction entre l'ordre de la filiation clanique, la fidélité au clan, La fidélité tribale de la structure ancienne de la société grecque et le nouvel ordre des cités, l'ordre politique qui se constitue, ce qui fait l'affrontement entre Antigone et Créon. Je vous remercie beaucoup pour votre participation à ce dialogue. C'était le préalable à ce qui va être le deuxième volet de notre discussion, la question de la propriété intellectuelle. de l'œuvre d'art et plus largement la question de l'œuvre d'art à l'époque du numérique, de la reproductibilité technique des œuvres d'art et à l'époque de l'intelligence artificielle, c'est-à-dire à l'époque de l'automatisation partielle, voire presque totale dans certains cas, de la création artistique ou artistique entre guillemets. Ce qui va nous amener à des questions juridiques, vous êtes là pour m'accompagner sur ce point, philosophiques, que vous êtes aussi là. pour ma compagnie anthropologique, dont on va débattre dans le deuxième volet, dans le deuxième opus de ce débat, de ce dialogue entre nous. Je vous remercie encore pour votre participation, et on se dit à très bientôt pour le deuxième volet, sur cette question de la propriété intellectuelle de l'œuvre d'art à l'ère du numérique, à l'ère de la technique contemporaine, et à l'ère de l'intelligence artificielle. Merci à vous. A bientôt !

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