Speaker #0Vous avez raison, cette notion d'auteur est très importante. On a parlé au début du domaine de l'art qu'on a circonscrit. On a parlé ensuite des fonctions de l'art. Difficile de parler des œuvres d'art sans parler des auteurs, des autrices, ou des auteurs, eux, des œuvres d'art. Cette notion d'auteur, cette notion d'autorité, elle renvoie au latin, elle renvoie à la civilisation romaine. Et vous qui êtes juriste, vous le savez sans aucun doute, elle renvoie à un contexte juridique lié à la République romaine. La République romaine, c'est un temps qui a précédé l'Empire, l'Imperium, et c'est un temps qui a succédé à la première royauté qui a eu lieu à Rome. Alors, l'autorité ou le fait d'être auteur, ça renvoie à la notion de l'auctoritas. L'auctoritas patrum, c'était pour le Sénat. romains la capacité de valider, je dirais d'enterriner les lois qui avaient été votées par le peuple réunis en assemblée, qui s'appelaient les commices. Et ça renvoyait, ne nous le cachons pas, à la volonté des grandes familles nobles romaines, les familles patriciennes, qui composaient le Sénat. Ça renvoyait à cette volonté de garder une prééminence sur le peuple et un droit de regard sur ce que le peuple pouvait voter lors des assemblées, lors des commices. Donc ça enterrinait. Donc... L'autorité, ça renvoie au fait de donner une force, une validité, une légitimité à quelque chose, un supplément d'âme, un supplément de vie, dirais-je. Ça dérive d'un verbe qui est « aogéo » , « aogére » , qui signifie « faire croître, accroître, développer, augmenter » . Ça signifie que l'auteur, l'autrice, si on pense à l'art, par sa production d'une œuvre, augmente la réalité, enrichit la réalité par cette production, par cette œuvre. Alors évidemment, notre catégorie moderne d'auteurs, surtout d'auteurs individuels, ne correspond pas à la réalité de ce que fut l'art à travers les siècles. On peut penser aux cathédrales, c'était un ouvrage d'art collectif. Les sculpteurs individuels n'apposaient pas leur nom sous les statues qu'ils sculptaient. Il y avait bien sûr des sculpteurs individuels. qui étaient connus, et ce, dès l'Antiquité. Mais on peut dire qu'il y avait des œuvres d'art collectives où les auteurs individuels étaient fondus dans cet ouvrage qui transcendait les individualités qui participaient. Notre catégorie d'auteur ou d'autrice renvoie désormais à des individus qui peuvent réclamer la propriété individuelle d'une œuvre. Est-ce que vous êtes d'accord avec l'idée que... la notion d'auteur est pertinente pour aborder la question de l'art et des œuvres d'art.
Speaker #1Alors oui, Philippe, en effet, cette question, cette catégorie de l'autoritas est très intéressante et d'ailleurs me fait penser à mes cours d'histoire du droit et l'évolution de cette question de l'autorité jusqu'à... jusqu'à la monarchie absolue et les causes de la révolution française. Mais pour revenir à notre question, je note que la question de savoir qu'a voulu dire l'auteur... C'est souvent la question qui est communément posée pour susciter un questionnement sur l'interprétation d'une œuvre. Et il se trouve qu'on peut toujours y répondre de façon... D'une part, en faisant comme s'il n'y avait pas d'auteur identifié, même lorsqu'il y en a un, c'est-à-dire en prenant l'œuvre dans sa structure propre, en analysant ses sources. sa généalogie, etc., mais sans postuler une intention consciente de l'auteur, premièrement, et deuxièmement, car vous le dire l'auteur, on peut aussi y répondre en cherchant à identifier le ou les auteurs via des traces hypothétiques de l'auteur, mais auteur dont l'identité est assumée comme incertaine. Surtout sur des œuvres anciennes comme la Bible, les récits homériques. Tout cela montre finalement que l'auteur exprime toujours quelque chose qui lui échappe, et les deux postures que je viens de mentionner ne s'excluent pas, elles peuvent même se confondre, parce que Merci. Si le vouloir dire d'un auteur prétendument réel et identifiable sa biographie, ses intentions, n'est pas un moyen d'identification et d'interprétation, surtout univoque, c'est notamment en raison de l'évolution du concept de volonté. et d'institutions de droit subjectif qui accompagnent cette évolution en droit. Pour l'illustrer, je vais citer un passage d'un manuel d'histoire de la propriété intellectuelle de Gabriel Galvez-Béchard. Apprenant la circulation d'une mauvaise édition d'un de ses textes, Augustin envoie à l'un de ses correspondants un nouvel exemplaire, corrigé et l'autorise. Non seulement... à en prendre connaissance, mais encore à le copier. L'exemple montre bien que l'absence de dispositions juridiques relatives à la propriété intellectuelle dans l'Antiquité n'exclut pas une volonté de contrôle de la qualité des œuvres intellectuelles par leurs auteurs. En fait, on est là face non pas à une volonté conçue comme une faculté subjective et qui pourrait fonder, pour être privilégiée sur les œuvres et qui serait en permanence disponible et qui pourrait être mal ou bien tournée. mais face à un vouloir réel, un vouloir circonstancié, la marque d'un contrôle et d'une autorité propre. Et en un sens abstrait, on pourrait dire d'ailleurs que la volonté de contrôle d'Augustin et la volonté d'un copiste anonyme qui invoquerait cette autorité, l'autorité d'Augustin, et bien ils sont elles sont analogues, elles sont objectivement analogues. Parce que le dispositif d'identification subjective, bien sûr, est différent. En revanche, l'attribution de l'autorité, elle, elle poursuit la même fin, une fin de contrôle.