Speaker #1Nous sommes dans l'impropre. Les mots que nous utilisons pour décrire, pour penser la situation présente, avec les intelligences artificielles, déjà cette qualification est impropre. Nous sommes impropres à penser. Et le pire, c'est que nous nous approprions tout un ensemble de choses, de faits, qui nous submergent et qui nous pèsent. En réalité, nous sommes malpropres. Et je ne cherche pas par là une sorte d'hygiénisme spirituel ou culturel ou économique ou social, évidemment. Mais que ça nous échappe. Et je m'en réjouis. Très bien. Si donc l'environnement est impropre, les mots sont impropres, nos capacités, nos facultés sont impropres à saisir le terrain de ce qui nous est là, alors... N'en soyons pas propres, n'en soyons pas propriétaires, n'ayons pas ce penchant à nous approprier le monde. Ces productions, les œuvres de l'esprit, nos œuvres de l'esprit, échangeons-les nous, partageons-les, envoyons-les balader, réjouissons-nous, oui, à ce que tout nous échappe. Échappe à notre entendement, échappe à nos prises, à nos passions, et que nous soyons impropres à... comprendre, à vouloir toujours prendre de façon exclusive, à avoir la passion de l'appropriation généralisée, infinie, sans limite. C'est peut-être ça ce que nous enseigne aujourd'hui la venue des intelligences artificielles, que nous avons du mal à comprendre. à réguler, à imaginer, à saisir, à domestiquer. Nous sommes impropres. Les mots sont impropres. Les objets sont impropres. Nos pensées sont impropres. Tout est impropre et c'est très bien. Le moment est à la découverte d'un monde inapproprié que nous allons connaître. Non sans tension, il y a des intérêts divergents, il y a des incompatibilités, des amis et des ennemis. Rien ne va plus, nous inventons des jeux aux règles inimaginées. Ceux qui savent mentent forcément, ceux qui créent détruisent fatalement. Entre l'intelligence et l'idiotie, je choisis l'idiotie. Dostoevsky est mon ami. Lars von Trier aussi, avec ses idiots. L'intelligence artificielle est un monstre. Et nous monstrons avec elle. C'est terrible. Affreux. Horrible. Pénible. Ridicule, grotesque, drôle. Sans une nouvelle dogmatique, nous serons balayés. Évidemment, je pense ici à Pierre Le Gendre, historien du droit, et qui longtemps, souvent, continuellement, a pu sonner le toxin. Personne pour l'entendre, ou si peu. Une nouvelle dogmatique pour nous garder précisément de tout dogmatisme, celui techno-capitaliste-industriel qui fond sur nous, qui nous recrée. Et nous, nous faisons Mimuse avec. J'avoue que c'est assez fascinant, ce qui nous arrive, ce que nous faisons avec ces IA. Moi aussi, j'ai fait Mimuse, histoire de tester, histoire de voir. Mais maintenant, il faut poser des principes. Il faut poser des conditions. Ces conditions sont juridiques, artistiques, techniques. Pas technologique, mais technique. Pas esthétique, mais artistique. Pas tant culturel qu'artistique, et technique, et juridique. Il y a sans doute là, avec l'art, la technique et le droit, une triade opératoire. Nous sommes invités à nous avancer sur un théâtre d'opération, avec des principes précis, des conditions précises, une dogmatique bien entendue, bien comprise, et qui embrasse l'humanité. Le dogme, comme l'indique Pierre Legendre, c'est le récit des rêves et des visions, selon la tradition littéraire grecque. C'est aussi le décor. C'est aussi ce qui amène à la décision et au vote. Ça a aussi donné pédagogie, ce en quoi on peut porter crédit, ce qu'on peut croire. Que croyons-nous ? Qu'est-ce qui est crédible ? Qu'est-ce qui vaut le goût ? face aux machines computationnelles, dans la matrice générative, fictionnées comme des enfants que nous sommes, qu'est-ce qui va naître ? Qu'est-ce qui va être ? Des vivants ? Des machines ? Des machines semblant vivantes ? Des vivants semblant machines ? Machinées ? Oui, nous avons tendance à ne pas faire attention, à perdre le fil, à aller là de point en point, sans véritable trajectoire. Nous l'oublions, notre trajet. Nous sommes en projet, ponctuel, mais notre trajet, singulier et commun. Où se perd-il ? Comment se retrouvera-t-il ? Un GPS nous indiquera le chemin. Une création fera notre admiration. Nous recherchons le toujours plus efficace, le toujours plus rapide, le toujours plus facile. Trop facile, trop rapide, trop efficace. Au final, contre-productif, il nous faut, oui, nous souvenir de Ivan Illich, la convivialité. Convivial est la société, l'homme contrôle l'outil. Je le cite, Je l'entends par convivialité l'inverse de la productivité industrielle. Chacun de nous se définit par relation à l'autrui, et au milieu et par la structure profonde des outils qu'il utilise. Ces outils peuvent se ranger en une série continue avec, aux deux extrêmes, l'outil dominant et l'outil convivial. Fin de citation. Mais problème, les IA ne sont pas des outils, ce sont des agents, opérants. Leur mode de fonctionnement est un mode opératoire. Nous sommes pris dedans par l'interactivité, le feedback. Nous les utilisons autant qu'elles nous utilisent. Nos données. Nous sommes bien bons. Il y aurait une sorte de convivialité avec les machines computationnelles. C'est vrai, avec cette interactivité où nous sommes agissants. Mais nous sommes aussi profondément agis, activés, utilisés. Nous nous donnons corps et âme. C'est bien là le drame. Corps et âme, et nous ne sentons rien. Sauf quand même un petit quelque chose qui nous fait penser au mieux à ce qui pourrait se passer au pire. Et comme nous ne savons pas trop où nous allons et comment nous y allons, Comme nous sommes dans cette boîte noire menée à faire des choses qui nous échappent, qui échappent au droit, qui échappent à l'intelligence d'une création sensée, il serait tout à fait logique de poursuivre cet apprentissage. à l'aveugle, c'est-à-dire de mettre tout à plat. Tout est bon, pour reprendre la formule brève de Paul Feyerabend. Expérimentons, voyons, évaluons, comparons. C'est ce que je fais avec mes étudiants. C'est open bar, il y a. Il n'y a qu'à expérimenter, il n'y a qu'à voir, il n'y a qu'à tester. Et puis, face à ça, on observe et on se pose soi-même des limites et on tient en respect la machine sauvage. en se donnant des principes de création, des limites, en se posant des problèmes, en s'inquiétant de ce qu'on fait, de ce qui se passe, de pourquoi on le fait, comment ça se passe. en prenant de la distance, en n'étant pas focalisé, fasciné par la machine qui fait de beaux textes, de belles images, en ayant un esprit critique qui remet en question l'apparence du beau, l'apparence du bienfait, en se souvenant, par exemple, de toutes les avant-gardes artistiques du siècle dernier, aussi bien en images qu'en textes. En comprenant que l'art est sans qualité, il n'y a pas d'essentialisme à l'art, et tous les clichés qu'on voit ressurgir avec les IA ne sont que des supposées qualités artistiques qui sont vraiment pénibles. Notre peine, notre souci sera de trouver un art de faire, des arts de faire, avec et contre les soi-disant intelligents. artificielle. Il s'agira de retrouver nos esprits, de considérer l'intelligence humaine, les intelligences humaines en rapport à celle-ci qui a tendance à subsumer toutes nos qualités. Et oui j'en bafouille mais peut-être que c'est dans le bafouillement que réside notre humanité. dans cet espace l'étant d'erreur, ce moment d'incertitude liminaire, comme le dit si bien Paul Valéry du poème, le poème, cette hésitation prolongée entre le son, le sens. Sans doute, nous situons nous. au mieux, mais tout de suite, il faudra soit du sens sensé, soit du son bien brillant, pour détruire cette hésitation prolongée, et la détruire par des créations. qui obéiront aux canons esthétiques, qui auront visiblement toutes les qualités esthétiques, qui seront écrasantes de valeurs esthétiques, et pas simplement esthétiques, mais bien sûr financières. Alors que si nous voulons entrer en intelligence avec la machine qui... Fin l'intelligence, il nous faut lui apporter un conflit, un rapport de force, un art martial, un jeu du chat et de la souris, du chat et du rat, du chat qui n'arrivera pas à capturer la souris, le rat. et l'humanité. Car nous sommes taupes, nous n'y voyons rien. Nous creusons sous la terre des souterrains. Nous nous mettons à l'abri des projecteurs, des projectiles, des captations, des captivations. Nous faisons attention. Oui, attention. Be careful, take care. C'est ce que je dis à mes étudiants. Allons-y, allons-y gaiement, oui, joyeusement, mais attention. Et puis donnons-nous des principes d'action, de création, de réflexion, de pensée. Soyons à cheval sur ces principes même, pour ne pas être désarçonnés par la magnifique machine créative.