Speaker #0Je ne me rappelle pas vraiment de mon premier contact avec Babylon 5. Je sais juste que la première fois où une image de ce space opéra a heurté ma rétine, j'ai d'abord cru à une série B. Une mauvaise série B, tant les décors et les maquillages me paraissaient tout droit sortis d'un film italien d'heroic fantasy. Ayant dévoré Star Trek, films, séries et romans inclus, ayant pris une baffe monumentale avec Evangelion et découvrant Starship Trooper, Furscape, Total Recall, je traînais sur Internet pour grignoter la moindre miette de l'or d'une de ces franchises. De page en page, je constate que beaucoup de gens comparent Star Trek avec Babylon 5. Pourquoi ? Après quelques essais infructueux sur Emule, me voilà avec la saison 1 de Babylon 5, et je commence à comprendre qu'au-delà des apparences, d'une 3D déjà vieillissante, il y avait quelque chose de solide, quelque chose que je n'avais pas ressenti auparavant. J'étais entraîné dans une vraie histoire, une tragédie grecque, comme celle qu'on avait tenté de m'enseigner à l'école. L'arc principal de Babylon 5 se déroule entre les années 2257 et 2262. La série nous envoie dans un avenir où la Terre a un gouvernement terrestre unifié et a acquis la technologie nécessaire pour voyager plus vite que la lumière. Mais sur cette Terre, les inégalités persistent. Le fascisme et le totalitarisme sont au détour de chaque rue, ou de chaque étoile. Nous sommes à l'aube du troisième âge de l'humanité, dix ans après la guerre avec les Nimbari, l'un des premiers peuples rencontrés dans l'espace et surtout au début de l'exploration spatiale humaine. En effet, dix ans avant le début de la série, la Terre a à peine échappé à la destruction par les Nimbari, technologiquement supérieurs, qui cherchaient à se venger après qu'un vaisseau spatial terrestre ait avant le terme en tué leur chef lors du premier contact, pour ensuite se rendre de manière inattendue au bord de la victoire. La Terre a depuis établi des relations pacifiques avec eux et l'Alliance terrestre est devenue une puissance importante et généralement respectée au sein de la communauté galactique. Entre héroïque fantaisie et récits mythologiques, l'introduction nous donne déjà une profondeur. Alors, avec ce troisième âge de l'humanité, qu'est-il arrivé au second ? Qu'est-ce que le premier ? Assistons-nous au grand climax de l'humanité. Nous sommes sur la cinquième station en Babylone. Les autres ont-ils connu une histoire dramatique ? Personnellement, je connais les réponses. J'ai juste envie de vous captiver. Parmi les autres espèces figurent les centauri impérialistes, les narnes qui n'ont obtenu leur indépendance de l'empire centaurique que récemment, et les mystérieux et puissants vorlons. BABYLON 5 Pour ceux qui me suivent depuis quelques temps, vous connaissez mes théories sur le space opéra. Ce genre, c'est l'histoire d'un voyage. Mais comment voyage-t-on d'un point fixe ? Sur une station, c'est le voyage qui vient à vous. C'est aussi une volonté du créateur que d'avoir un point fixe. Sraszynski, dans son but de rationaliser les coûts, voulait justement un point fixe où l'aventure arrivait au personnage et où le voyage personnel des héros était aussi important que le voyage spatial. Les personnages connaîtront donc des hauts et des bas, et devront surpasser les crises qui s'abattent sur eux comme une tempête sur la station. Mais parlons un peu plus du cadre. La série s'est toujours voulue concurrente à Star Trek, mais c'est surtout l'anti-Star Trek bien plus que sa concurrente. Babylon 5, c'est l'anti-Star Trek jusque dans les décors. Brumeux, on y devine le plafond trop bas, les murs y sont présents partout et tentent de nous tout encadrer, mais on sent qu'ils délabrent les relations entre les individus. On y sent la brume, l'alcool, le tabac et les autres drogues qui aident à faire passer le temps et la douleur. On y devine sur des mines patibulaires, des histoires d'espoir déçues et des tentatives d'escroquerie pour améliorer l'heure qui vient. On y ressent qu'il n'y a aucune égalité entre les individus dans les costumes qu'ils portent, soyeux pour les riches, miteux pour les désœuvrés. Les tables de jeu sont l'endroit où se joue la politique. Quand les verts s'entrechoquent joyeusement, c'est que les diplomates cachent la guerre. Les capitaines sont des vétérans de guerre qui dirigent des navires au nom de héros grecs, comme la gamme Mnon, la Chille. Le nom de la station elle-même puise dans tout ce qui est mythologique ou hystérique pour véhiculer son torrent d'images. Babylone, une ancienne civilisation que le temps a dévastée bien plus vite que les autres empires. Les pieds du colosse d'argile. Mais qui donne le nom d'une civilisation tombée en poussière et maudite dans les livres révélés ? Babylone, c'est aussi la croisée des civilisations où les mélanges sont à l'exotisme, ce que peut être le croisement des indigents et des importants. L'exotisme se retrouve aussi dans des noms de peuples, des lieux, tout droit sortis d'un pulp. Le capitaine sait qu'il doit par exemple se rendre avec Xanadu sur une planète mystérieuse. Xanadu, terre mythique et mystique des mauvais romans de gare. C'est l'anti-Star Trek aussi par son univers mort. Ici, pas de rencontre avec les civilisations nouvelles et étranges. On a tenté ici tant bien que mal de faire cohabiter le peu de peuple que la galaxie comporte. En effet, point d'exploration, la technologie des sceaux ne permet pas de s'égarer et de partir à l'aventure. Tout y est cliniquement calculé et les rencontres ne sont pas forcément l'occasion d'enrichissement. L'univers y semble mort sur la fin et les quelques peuples qui y habitent encore sont un soubresaut de la vie qui a dû être en un temps riche et spectaculaire. Les vaisseaux sont aussi des navires de guerre contenant des chasseurs monoplace, à la différence de Star Trek et ses vaisseaux d'explorateurs pacifistes et colossaux. Babylon 5, c'est surtout une science-fiction ancrée dans la réalité. Dans l'univers de Babylon 5, les nombreux conflits armés qui sévissent semblent être une chose naturelle entre deux peuples. Parmi ces conflits, on trouve la guerre de Dilgar, le conflit Narn-Santori, la guerre civile Nimbari, la guerre des Drac, la guerre de l'alliance interstellaire Santori ou la Grande Brûlure. La guerre semble être la seule issue pour l'humanité. Pensez que son premier contact avec les Nimbari a failli conduire les humains à leur propre extinction. En réponse à cette menace, Babylon 5 est construite comme un antidote à la guerre, le dernier et le meilleur espoir de paix. Du moins, c'est selon le monologue du générique d'ouverture au cours de ses trois premières saisons. Cependant, par la suite, on parlera d'un échec, car la guerre devient inévitable, reflétant notre nature destructrice. Les conflits mineurs sont éclipsés par la guerre des ombres qui se profile tout au long de la série. Dans un premier temps, les humains et les Nimbaris semblent se plier au bon vouloir des sages et mystiques Vorlons, ennemis éternels des ombres. Cependant, en tant que jeune race, les humains commencent à douter des valeurs imposées par les Vorlons. Sraszynski a présenté la descente de la Terre vers une dictature comme sa propre guerre de l'ombre. Cette lutte permanente contre les ombres explose les conséquences de la guerre au quotidien, les peurs qui minent le personnel, la paranoïa qui s'invite partout et la haine qui corrompt absolument. La toxicomanie et son impact sur les personnalités humaines sont également abordés dans Babylon 5. Garibaldi est un alcoolique cyclique. Le docteur Stephen Franklin développe une dépendance au stimulant et Suzanne Ivanova mentionne que son père est devenu alcoolique après le suicide de sa mère. La capitaine Elisabeth Lockley révèle à Garibaldi que son père était alcoolique et qu'elle-même est en convalescence pour l'alcoolisme. La dépendance est présentée comme une nouvelle version de la fatalité. Chaque personnage est confronté à son pire ennemi, lui-même. Il est également notable que personne n'est indispensable dans cet univers, tous sont remplaçables et les personnages évoluent ou disparaissent au gré des grands tourments de l'histoire. Tout est minutieusement pensé, orchestré dans l'univers de Babylon 5, témoignant d'une série conçue de manière cohérente et globale. Ces factions ressemblent à des pièces dans un jeu de rôle, comprenant un corps psy, Un corps militaire spécialisé dans les pouvoirs psychiques, des militaires politiciens, les énigmatiques et sages vorlons, les démoniaques ombres et l'or laquais, les sages et redoutables têtes d'écailles, les nimbaris et les ténébreux narmes. Vous rajoutez à cela des centauris, des rangers, des technomages et bien d'autres. C'est un monde complet et riche où chaque faction place médiodiquement ses pièces dans un jeu d'échec massivement multijoueur. Chaque mouvement déclenche une cascade lente, très lente, d'événements cosmiques aux conséquences douteuses, hasardeuses et dévastatrices. Chaque faction a son double, qu'elle tente à la fois de séduire et de détruire. Par exemple, les Centauri, un peuple figé dans le temps, ont pour double les Nars, leurs anciens esclaves qui cherchent par tous les moyens à se venger. Ils ne cherchent pas à construire un avenir meilleur, mais à souvir leur vengeance. Une voie que l'univers semblera imposer. A chaque tentative de s'émanciper de leur destin, l'univers les renvoie cruellement dos à dos et ne leur offre que le conflit. Babylon 5, c'est également le reflet des années 90. L'influence de la télévision et le pouvoir grandissant des images sont parfaitement illustrés dans cette vision du futur. Les journaux télévisés servent de la propagande présidentielle et favorisent le candidat fasciste. Le pouvoir des images est également marquant dans une Amérique en plein essor de la guerre du Golfe. Une guerre embellie et scénarisée par les médias américains. Les écrans sont omniprésents, transmettant des messages ou annonçant des mauvaises nouvelles. L'écran roi est ainsi un parallèle intéressant avec ce qui deviendra une société de consommation des médias télévisuels de masse. Cette série offre également une vision rétro du futur, une capsule temporelle de ce que l'on imaginait être l'avenir, avec des pantalons larges mais stricts, des vestes en cuir aux lignes angulaires et des gadgets tels que les téléphones au dos de la main. Bien que cela puisse sembler rétro aujourd'hui, cette vision de l'avenir avait un sens à l'époque de sa conception, exprimant un désir de croire que la technologie serait toujours là pour nous rassurer et pour nous compléter. Cette série est de celles qui changent à chaque lecture, comme un livre qu'on prend plaisir à relire au fil de changements dans nos vies. Chaque visionnage révèle une nouvelle facette nous permettant de comprendre l'ampleur de ce qui s'est joué devant nous. Dès la première saison, on ressent que l'écriture est pensée bien en amont, pour nous raconter une histoire qui résonnera en nous, peu importe notre propre histoire personnelle. ou celle que nous vivons à l'instant présent. A chaque fois que je la regarde, j'entends un nouvel écho qui me fait frémir, tant la série reste intemporellement actuelle. Surmonter la peur de l'autre, affronter la réalité de la guerre, ou encore combattre notre propre addiction. Chaque niveau de récit nous permet de nous identifier en permanence à ce qui fait de nous des humains, voire même mieux, des êtres vivants. L'écriture, comme vous l'avez compris, tisse une toile redoutable dès le début de la diffusion. C'est une remarquable maestria où chaque détail est soigneusement pensé, à l'image d'une bonne saison de Doctor Who. Srasinski nous offre ici un tour de force, peut-être hérité de son métier d'auteur de comics. Chaque économie de nom dit est une bombe qui nous explose au visage, lors d'un twist magistral, même si parfois tout semble suranné ou bouillon. Chaque personnage a un rôle, un objectif à accomplir. Chacun nous raconte un bout de l'histoire, sans comprendre qu'il vive la grande histoire. Avec une vision globale, sur une œuvre télévisuelle, nous avons ici notre saveur pour le binge-watching. En bref, je pourrais vous parler des heures et des heures de ce que je pense de Babylon 5, pour vous expliquer l'intérêt que cette série pourrait avoir dans votre vie. Même un seul épisode. Mais ce n'est pas à moi d'écrire votre histoire. C'est à vous d'aller à sa rencontre. C'est tout pour aujourd'hui, on se retrouve bientôt, patrouilleurs du cosmos.