- Laurène
La Sportive Outdoor, le podcast. Bonjour à toutes et bienvenue sur La Sportive Outdoor. Aujourd'hui, je reçois Stéphanie Agresti, qui a écrit conjointement avec son mari Blaise un livre intitulé Une histoire de l'alpinisme au féminin. C'est un livre que j'ai dévoré et j'ai donc souhaité inviter Stéphanie pour qu'elle nous parle du livre, de son écriture et évidemment du sujet de l'alpinisme au féminin. Bienvenue Stéphanie, est-ce que tu peux te présenter ?
- Stéphanie
Bonjour Lorraine. Moi, mon nom, c'est Stéphanie. Je suis avant tout enseignante. Je suis enseignante en primaire et enseignante spécialisée. Je travaille avec des enfants qui ont des difficultés de scolarité ou qui sont porteurs de handicap. Avant ça, j'étais ingénieure agro, mais j'ai vraiment changé de voie. Je suis mariée, j'ai quatre enfants et je vis, pour mon plus grand bonheur, en montagne.
- Laurène
Quelle chance ! Où est-ce que tu habites ?
- Stéphanie
On habite au Zouches, dans la vallée de Chamonix, depuis de nombreuses années. Et on en profite. On aime cet environnement de montagne. On aime se lever le matin et regarder le temps qu'il fait, regarder les conditions et pouvoir imaginer aussi de quoi sera fait le mercredi pour moi et le week-end en termes d'activité.
- Laurène
C'est chouette. Tu es vraiment au cœur de la vallée et donc au lieu de l'alpinisme. Est-ce que tu peux nous parler justement de ton parcours et de ce qui t'a amenée à l'alpinisme ? Est-ce que c'est quelque chose que tu as... toujours fait quelque part parce que tu avais une famille qui était déjà là-dedans ? Ou est-ce que tu as découvert ça plus tardivement ?
- Stéphanie
Alors, pas du tout. D'abord, je ne me définirais pas comme une alpiniste. D'accord. Je pratique la montagne été-hiver et j'aime les activités d'outdoor, j'aime être dehors. Je touche un peu à tout, donc je ne suis pas excellente, quelle que soit l'activité, disons. J'aime bien le ski de rando, j'aime bien l'escalade. Je n'ai pas connu particulièrement la montagne à mon enfance, à part la rando. Mes parents m'ont amenée en rando, donc je pense quand même qu'il y avait des petites graines. On marchait au long cours pendant plusieurs jours tous les étés. Ensuite, les activités plus techniques, je les ai découvertes en couple avec Blaise, mon mari. Il m'a initiée au ski, il m'a initiée à l'escalade. Et on a aussi transmis cet amour pour ces activités à nos enfants qui pratiquent aussi la montagne. On a une fille monitrice de ski. Disons que la montagne est aussi une façon de renforcer nos liens familiaux entre nous tous, parce que c'est propice justement à se retrouver, à échanger et à partager des moments forts. Donc, ça fait vraiment partie de notre vie de famille.
- Laurène
C'est génial de vivre ça en famille. Et pour resituer, ton mari est guide de haute montagne, c'est bien ça ?
- Stéphanie
Voilà, alors Blaise est guide. Il a eu un parcours en gendarmerie au sein des PGHM, donc secours en montagne. il a changé de chemin un peu plus tard pour créer sa propre activité il a fait le choix de quitter la gendarmerie pour pouvoir rester dans la vallée déjà tu as été initiée avec quelqu'un qui était vraiment dans le milieu et
- Laurène
puis vous pouvez vraiment vivre ça en famille, tout ça ensemble et en tant que femme est-ce qu'il y a des modèles féminins qui t'ont inspiré dans ta pratique alors pas forcément de l'alpinisme mais en général de tous ces sports outdoor
- Stéphanie
Alors, une que j'ai toujours trouvée admirable, c'est Catherine Destivelle, pour moi. D'abord, j'ai eu la chance de la croiser il y a déjà des années de ça, parce que c'était une amie des parents de Blaise, donc une amie de Blaise aussi. Et j'étais complètement fascinée par son parcours, son courage. Je ne me retrouve pas du tout dans sa pratique. Je serais incapable de faire ce qu'elle a fait, évidemment. Mais je pense qu'elle est vraiment un modèle inspirant. Il y a eu dans ces années 80 vraiment un changement dans les pratiques, on en parlera peut-être. Elle fait partie de ces catalyseurs, je pense, de ces grandes figures qui ont montré aux femmes qu'elles pouvaient y aller.
- Laurène
Et je sais que c'est important.
- Stéphanie
Oui.
- Laurène
Et est-ce que cette histoire de l'alpinisme, féminin et masculin, est-ce que c'est un sujet que vous connaissiez bien déjà, ton mari et toi ? Ou est-ce que vous vous y êtes intéressée plus avec l'écriture du livre ?
- Stéphanie
Blaise connaissait l'histoire de l'alpinisme, qui est plutôt masculine évidemment, mais dans l'environnement familial de Blaise, il y a sa maman, sa maman qui est en couverture du livre, et qui a pratiqué la montagne à haut niveau pendant des années, de manière assez, disons discrète. Et en couple, elle est quand même montée à 7400 en Afghanistan en 1966. Donc à l'époque, on l'avait appelée un peu à tort la femme la plus haute du monde. Donc il y avait cette personnalité forte qui était sa maman. Et puis autour d'eux, les connaissances, les compagnons de cordée, il y avait quand même d'autres figures féminines. Je peux parler de Martine Roland, la première femme guide, Catherine Destivelle, évidemment, Vanda Rukiewicz, une grande alpiniste polonaise, qui était dans leur environnement. et qui finalement pour nous c'était naturel qu'elles soient là, elles y avaient toutes leurs places. Moi je ne les connaissais pas vraiment mais j'en entendais parler et on s'est toujours dit qu'il y avait quand même une forme d'injustice parce qu'autour de nous quand on questionne, même ici à Chamonix, même des gens qui sont guides ou profs à l'ENSA, ils ne sont pas forcément au courant de toutes ces figures féminines qui ont émaillé l'histoire et on voulait vraiment rendre hommage à ces femmes. Alors au départ on parlait de la maman de Blaise mais… pas seulement, et évidemment, les sortir de l'ombre et de cette invisibilité dans laquelle on les avait maintenues.
- Laurène
Donc c'est vraiment ça qui vous a motivé à écrire ce livre, c'est rendre hommage à ces femmes et les sortir de l'anonymat en quelques ans ? Oui,
- Stéphanie
oui. En fait, au départ, on ne savait pas trop vers quoi on allait, parce qu'on n'avait pas forcément toutes les données, il y a peu d'écrits sur les femmes, il n'y a pas forcément beaucoup de données. C'est vraiment en travaillant sur le bouquin, en allant chercher les informations, qu'on s'est dit, mais il y a une matière incroyable et il y a des figures qui nous ont touchées, il y a des figures qu'on a trouvées admirables et qu'on ne connaissait pas nous-mêmes forcément ou à peine. Au fil de l'écriture, vraiment l'évidence est apparue qu'il fallait le faire, ce livre.
- Laurène
C'est génial et je trouve ça vraiment génial d'avoir fait ça en couple et du coup d'avoir ce côté, le regard d'un homme et le regard d'une femme quelque part. Ce n'est pas juste une femme qui écrit un livre sur des femmes, ce qui est déjà génial. Je suis évidemment la première à faire la promotion de ça. Mais je trouve ça chouette aussi qu'il y ait eu ton mari impliqué et que vous ayez vraiment pris la plume à deux pour écrire ce livre. Et comment ça s'est passé, ce processus de co-création en quelque sorte ? Est-ce que vous vous êtes vraiment répartis les tâches avec par exemple un qui écrivait tel chapitre, tel autre ? Ou est-ce que vous faisiez des recherches conjointement ? Comment ça se passait ?
- Stéphanie
Alors... Le format du livre s'y prête, c'est-à-dire que c'est des petits chapitres indépendants les uns des autres. Donc oui, ça a été facile d'écrire, on a eu nos coups de cœur l'un comme l'autre, et on se dit moi j'ai envie de parler d'elle, et moi d'elle, et moi de tel ou tel sujet Blaise dit souvent qu'il n'aurait pas pu écrire le livre sans moi, moi je n'aurais pas pu l'écrire sans lui non plus. Donc effectivement, c'est la combinaison des deux. Blaise avait un peu plus d'expérience d'écriture, puisqu'il avait déjà écrit des bouquins. Et en même temps, aborder le sujet des femmes en montagne avec un regard uniquement masculin, c'était forcément un peu réducteur et peut-être pas tout à fait légitime aussi. Et au-delà des récits de portraits et des récits historiques, on voulait aussi aborder des thématiques dans le livre qui était un peu plus transversal sur qu'est-ce que c'est qu'être une femme en montagne, qu'est-ce que ça représente, comment on le vit, est-ce qu'il y a des empêchements, est-ce qu'il y a des barrières ? Voilà. C'était plus facile, évidemment, pour moi, d'aller vers ces sujets, de par ma toute petite expérience, et puis ne serait-ce que pour en parler aussi avec des femmes alpinistes qui sont aujourd'hui pratiquantes et qui rencontrent encore des difficultés, parce que rien n'est simple, même si les choses s'améliorent. Oui,
- Laurène
bien sûr. C'est vraiment un processus vraiment intéressant d'avoir fait ça à deux hommes et femmes.
- Stéphanie
Je voulais rajouter, évidemment, on a écrit chacun de notre côté, mais après, il y a eu tout ce temps de partage et d'échange et de discussion qui nous a beaucoup apporté, en fait, et qui nous a permis aussi d'avoir une réflexion sur notre fonctionnement de couple en montagne ou dans la vie. C'était finalement une belle aventure aussi à ce niveau-là.
- Laurène
Ça permet de creuser certains sujets aussi et de réfléchir à des choses. auquel on réfléchit pas forcément au quotidien sur sa pratique, etc.
- Stéphanie
C'est intéressant. Le processus d'écriture, c'est un temps long, ça nous a pris une année. Et donc, oui, ça permet d'avancer dans une réflexion. Et c'est une forme d'enrichissement, c'est sûr.
- Laurène
Et le livre, il est divisé en périodes chronologiques, en fait. Je vais vous montrer. Pour ceux qui regardent en vidéo, je montre le sommaire. Est-ce que tu peux nous résumer, évidemment sans révéler tout le livre, mais est-ce que tu peux nous résumer les grandes périodes historiques de l'histoire de l'alpinisme au féminin ?
- Stéphanie
Oui, alors on est parti du début du XIXe, avec la première ascension de Marie Paradis au Mont-Blanc, même si ce n'est pas tout à fait une ascension féminine, mais c'est quand même une femme au sommet, mais elle dit qu'elle a été portée, traînée là-haut. Cette première période qui va jusqu'à la Première Guerre mondiale, on l'a intitulée Les Pionnières Parce qu'il y avait tout à faire, en fait. Les femmes n'étaient pas du tout présentes. C'était une activité très masculine, presque guerrière. Aller en montagne, dans la terminologie, c'était vraiment vaincre un sommet. Donc, ces femmes, elles avaient des profils d'aristocrates. Au départ, plutôt des Anglaises et des Américaines, mais il y a eu aussi des Européennes. Elles ont grimpé en second, elles ont grimpé derrière des guides. mais elles avaient des jupes, des tenues pas du tout adaptées. Et il y a des histoires assez incroyables, comme celle de Lucy Walker, première femme au servin, qui montait là-haut alors qu'elle ne voyait pas ses pieds, avec une lanterne, avec des cordes en chanvre, avec des vêtements qui prenaient l'eau. C'est les pionnières, c'est les premières. Après, deuxième partie, la bascule, c'est la Première Guerre mondiale. La Première Guerre mondiale a permis aux femmes de s'émanciper. Parce que finalement, les hommes n'étaient pas là, les hommes étaient sur le front. Et dans la société en général, les femmes ont pris une place qu'elles n'avaient pas. Elles se sont mises dans les usines à gérer les champs, gérer les magasins, gérer l'économie du pays. Donc, ça a permis aux femmes, sans doute, de prendre conscience de leur potentiel. Et derrière cette... cette époque qu'on a, nous, fait aller jusqu'aux années 60-68, les révolutions féministes. Dans cette période, c'est vraiment une étape significative parce qu'elles vont grimper en tête. Elles vont prendre le lead, elles vont faire des cordées entièrement féminines. Et c'est vraiment le début de l'alpinisme féminin au sens où on l'entendrait aujourd'hui. C'est-à-dire engagé avec des... des moyens égaux, elles réfléchissent à leurs courses, elles se préparent, et elles y vont.
- Laurène
C'est qu'elles deviennent autonomes,
- Stéphanie
finalement. Elles deviennent autonomes, oui. C'est vraiment un virage assez important. Donc, c'est important aussi de faire le lien avec la grande histoire, en fait. L'histoire de notre livre, ce n'est pas complètement hors-sol, il est lié au grand mouvement féministe, il est lié à la grande histoire, et on retrouve ces grandes périodes dans le livre. Après 68, on a appelé ça vers les sommets, c'est les années 70-80. Moi c'est une période qui m'a touchée parce qu'elles se mettent en danger quelque part, c'est une période où elles veulent montrer qu'elles sont capables de faire peut-être comme les hommes, et un peu trop comme les hommes. Il y a ces expés féminines qui ne sont pas forcément des succès, mais qui ouvrent la voie à d'autres. Moi, je les trouve vraiment courageuses parce que c'est la période où on va vers les 8000, on va en Himalaya. Et il n'y a pas les moyens d'aujourd'hui, ça reste des montagnes dangereuses. Mais il n'y a pas de routeurs météo, il n'y a pas de téléphone. Enfin voilà, quand on y va, c'est un engagement qui est très fort. Et elles l'ont vraiment payé en termes de mortalité dans ces années-là. Elles l'ont payé aussi en termes de mépris. Voilà, c'est là que le... C'est là qu'être femme, c'est révélé être compliqué, parce qu'une femme qui échoue en montagne, elle n'a aucune chance, en fait. On lui dit, en plus d'avoir échoué, mais qu'est-ce que tu faisais là-haut, quoi ? T'aurais dû rester chez toi, c'était pas ta place.
- Laurène
Ça, ça m'a vraiment marquée dans le livre. Tu donnes aussi pas mal d'exemples, juste de petits mots qui étaient inscrits par des hommes dans les journaux ou autres. Et on voit vraiment le côté méprisant, mais incroyable. On se dit, mais du coup, quel courage il fallait. Pour oser se dire, quand même, j'y vais.
- Stéphanie
Il y a beaucoup de mépris dans ces petites phrases assassines. On a voulu les mettre en avant à travers les époques, parce qu'il y en a qui sont encore récentes. On a eu des réactions depuis en me disant, oui, mais c'était de l'humour. Oui, mais bon, c'est quand même de l'humour. C'est un sujet, c'est malsain, en fait.
- Laurène
Ce n'est pas que de l'humour, le type de phrase.
- Stéphanie
On voit que derrière une ascension féminine réussie, Il y a du mépris. On va dire, finalement, le sommet n'était pas si difficile. Ou alors, mais est-ce qu'elles l'ont vraiment fait ? Il y a quand même des alpinistes dont on a douté des ascensions. Lydia Bradet, première femme à l'Everest sans oxygène, pendant des années, on l'a traité de menteuse. Il faut leur rendre justice. Parce que ce qu'elles ont fait à ces périodes-là, ces époques, ce n'était quand même pas rien. Et puis, on arrive à la dernière période, à partir des années 90. C'est la période actuelle qui n'est pas forcément la plus facile à traiter parce que l'histoire est en cours, elle est en train de se faire. C'est difficile de montrer une tendance, mais il y a quand même des choses intéressantes qui se passent, parce que je pense que là, les femmes, maintenant, cherchent à tracer leur propre voie. Elles ne sont plus dans une tentative de ressembler à ce que font les hommes, et elles assument en fait, elles assument ce qu'elles font, elles assument leur choix, et voilà, encore une période tout à fait passionnante, qui n'est pas finie.
- Laurène
C'est intéressant de voir l'évolution, effectivement, avec des problématiques différentes aussi, même pour les femmes. J'essaye de faire exactement comme les hommes, m'affranchir un peu de ça et j'essaie de vivre mon histoire un peu différemment. C'est intéressant et encourageant, je trouve, de voir que ça évolue.
- Stéphanie
C'est sûr. Les femmes d'aujourd'hui, quand on les questionne, elles ne disent jamais que ça a été simple d'aller vers l'alpinisme, même encore aujourd'hui. ni d'aller vers le métier de guide par exemple, c'est pas simple non plus, ça reste un métier très masculin. Elle doute elle-même, je pense que aussi dans l'état d'esprit, dans la façon dont on élève les filles, il y a des choses importantes qui se jouent. Il y a des assignations identitaires de genre qui font qu'on va plus facilement inscrire une fille à un cours de piano ou de danse que lui proposer un stage avec le CAF quand elle est ado. Donc il y a encore des choses qui peuvent évoluer. Mais elles ont un regard sur leur pratique qui est plus serein, je trouve, et qui est emprunt de modestie et de ce qu'on a appelé la sororité, c'est-à-dire l'envie de partager, l'envie pas forcément de faire des performances, mais ce qui est important, c'est le chemin pour aller au sommet, plus que le sommet lui-même.
- Laurène
C'est vraiment intéressant. L'une des choses qui m'a vraiment fascinée dans le livre, c'est de voir autant d'histoires différentes. J'avoue que je me doutais évidemment qu'il y avait plein d'histoires que... Déjà, ce n'est pas un sujet que je maîtrise, même l'alpinisme au masculin, l'histoire de l'alpinisme au masculin. J'imaginais qu'on allait avoir quelques histoires de femmes à travers les âges, mais là, je trouve qu'il y en a vraiment une énorme variété. Est-ce que c'est quelque chose que tu as découvert aussi en préparant le livre ou est-ce que tu l'avais déjà bien en tête de par ton vécu, ce que tu nous expliquais ? Tu connaissais déjà pas mal de femmes qui pratiquaient l'alpinisme.
- Stéphanie
Non, pour le coup, les pionnières, je ne les connaissais pas du tout. Dans la vallée de Chamonix, on connaît Marie Paradis et Henriette d'Angeville, les premières au Mont-Blanc, parce que ça fait partie de la légende locale, de la construction du récit ici dans la vallée. Mais au-delà de ça, la première aux Servins, j'en avais jamais entendu parler, toutes ces femmes qui ont fait des expés sur les 7000, je parle de la fin du 19e ou du début du 20e, je ne les connaissais pas. En farfouillant dans les archives de l'EMSA, nous on a la chance ici d'avoir… ENSA, l'ENSM, l'École Nationale de Ski et d'Alpinisme, avec un centre de doc qui est vraiment très très riche. On est tombé sur des documents incroyables, des récits de courses, des carnets de courses de femmes. Je pense par exemple à Kate Richardson, qui nous avait pensé à Kilian Jornet dans sa façon de pratiquer la montagne. Elle montait en one shot du bas de la vallée sans remonter, sans rien. Il n'y a pas de remontée mécanique. Elle part au milieu de la nuit, elle fait son sommet, elle redescend et le lendemain, elle attaque un nouveau 4 000. et elle est capable de faire 4 ou 5, 4000 dans une semaine. Ça, c'est au tout début du XXe siècle. Donc, c'est des figures incroyables. Et même plus récemment, il y a eu quelques femmes sur lesquelles on a écrit. Claude Cogan, parce qu'elle est française. Lydia Bradley, les éditions Guérin ont publié son livre. Il y a quelques histoires, mais elles sont très peu connues, évidemment. L'écrit, ça reste quand même la base de la mémoire. et quand il n'y a pas d'écrit, il n'y a pas de mémoire. Je suis sûre qu'on est passés à côté de tas d'autres femmes dont les récits n'ont pas été consignés, ni par elles, ni par d'autres. Donc en fait, sans doute qu'on ne les rencontrera jamais. Donc on était heureux quand même de rendre hommage à toutes ces femmes. Effectivement, il y en a beaucoup, il y en a sans doute d'autres, mais au moins celles-là, elles ont une place dans nos cœurs et dans le livre.
- Laurène
Oui, tout à fait. C'est déjà vraiment très bien. Et parmi toutes ces femmes que tu as découvertes, est-ce qu'il y en a une dont tu voudrais nous parler plus précisément, qui t'a vraiment marquée ?
- Stéphanie
Alors, oui, moi, j'ai un coup de cœur, mais depuis longtemps, pour une alpiniste dont j'avais lu le livre, qui est italienne, qui s'appelle Nives Miroi, qui est... qui continue à faire des 7000 en Himalaya. Moi, ce que je trouve incroyable chez elle, c'est son éthique en fait. Donc avec son mari, ils ont fait les 14 8000. Ils étaient dans la course, elle était dans la course pour être la première, sans doute, peut-être, à avoir fait les 14 8000. Finalement, son mari a été très malade. Ils en étaient à leur dixième ou onzième, je ne sais plus. Ils ont dû interrompre cette course. Elle ne voulait pas faire les sommets sans lui. Il y a à la fois cette belle histoire d'amour, c'est-à-dire que pour elle, c'était important de continuer à faire cordée ensemble et jusqu'au bout. C'est la seule cordée qui a fait les 14 000 ensemble et toujours. Et puis, by Fermin, c'est-à-dire avec une éthique incroyable, pas d'oxygène, pas de porteur d'altitude, pas de corde fixe, c'est-à-dire qu'ils portent tout, qu'ils montent là-haut tous les deux et ils n'ont pas d'aide extérieure. Et en plus, elle continue son chemin d'alpiniste. Ça ne s'est pas arrêté une fois qu'elle a eu le trophée des 14 8000. Et moi, je trouve ça admirable parce que finalement, elle ne le fait pas ni pour la gloire, ni pour se faire connaître. Elle est très discrète. Mais bon, elle a reçu quand même cette année un Piollet d'or carrière lors des grandes récompenses de l'alpinisme. Ça veut dire quand même qu'elle a marqué les esprits. Elle a vraiment des mots sur sa façon de parler de la montagne, de ce qu'elle ressent là-haut. Moi, ça me touche beaucoup, ça me parle beaucoup. Il y a vraiment une forme de spiritualité dans son lien à la montagne. Et pour elle, c'est très, très fort.
- Laurène
Je l'ai découverte dans ton livre, du coup. C'est vrai que c'est impressionnant, elle est marquante. C'est une des histoires marquantes, je trouve, du livre. Et ça donne envie de continuer en lisant son livre, du coup, ce que je n'ai pas encore fait. Mais oui, c'est impressionnant de voir des personnages comme ça qui le font vraiment pour. Quelque part de bonne raison, je dirais. Pas pour la gloire, vraiment pour elle. Et leur histoire d'amour est magnifique en plus. Belle histoire. Je vous invite à la lire dans le livre. Et on va parler maintenant de l'alpinisme au féminin en tant que tel. Donc on le disait, ça a quand même été pas mal méprisé dans le passé, c'est pas encore hyper facile aujourd'hui. Mais quelles sont les difficultés, selon toi, qu'ont eu les femmes et qu'elles ont encore maintenant pour être reconnues dans ce milieu ?
- Stéphanie
Alors, Évidemment que c'est plus simple aujourd'hui, je vais commencer par la fin peut-être du coup, mais en termes de médiatisation, c'est plus compliqué pour elles, en termes de financement, c'est plus compliqué pour elles, elles obtiennent beaucoup plus difficilement de l'argent pour faire des expés. Voilà, il y a aussi un point de la physiologie féminine qui n'est pas forcément évoqué, parce que la formation reste quand même… menée et faite par des hommes, si on parle de l'ENSA pour les femmes guides. Donc moi, pour avoir vécu aux États-Unis, où c'est beaucoup plus facile de devenir guide au féminin, guide femme, ces questions-là sont beaucoup plus simplement évoquées et facilement évoquées. Les questions de qu'est-ce que c'est d'être enceinte, est-ce qu'on peut aller en montagne, comment ça va se passer quand on a ses règles en montagne, est-ce que les femmes sont… plus sujettes à telle ou telle difficulté liée à l'altitude ou au froid. Il y a vraiment des questions, mais il y a aussi des réponses. Et en France, on ne les trouve pas forcément, ces réponses. Il faut aller chercher ailleurs. Alors, avec Internet, on y a accès, évidemment, mais ça reflète quand même l'état d'esprit général. Les femmes ne se sentent pas forcément toujours bien accueillies dans les instances officielles. Bon, le même livre que nous, dans la même collection, qui s'appelle Une histoire de l'alpinisme tout court Il y fait très peu mention des femmes. Et dans un des chapitres, l'auteur a écrit Les femmes colonisent, non les filles, c'est encore pire, colonisent l'alpinisme du XXe siècle. Donc on en est encore là.
- Laurène
C'est une formule comme formulation.
- Stéphanie
Voilà, ça paraît simple, mais ça n'est pas tant que ça. Il reste encore des étapes à passer. Pour certaines filles, de pratiquer entre femmes, c'est plus simple. Se mettre en confiance pour apprendre. sans avoir ce rapport avec l'autre, parce que c'est aussi aux hommes de faire le chemin vers les femmes. Et c'est vrai que si on sort dans un groupe où il y a hommes et femmes, souvent les garçons vont prendre naturellement le lead, alors que pourquoi finalement ? Et dans les histoires qu'on a racontées, moi je voulais quand même insister là-dessus, dans les pionnières, ce qui leur ont permis d'y aller, les pionnières et celles d'après, c'est parfois un homme. qui leur a fait confiance, un père qui leur a dit mais toi, il n'y a pas de raison que tu n'ailles pas faire la montagne avec moi, je t'emmène ou un frère qui les a laissés passer devant, qui leur a fait confiance. Donc ces questions-là, elles sont importantes. Il faut que les femmes aussi se fassent confiance et osent y aller, osent croire en leurs capacités, parce qu'elles en ont. Liv Sansos me disait, après avoir décollé du K2 en… en fin d'été en parapente. Il disait mais finalement, moi, en haute altitude, je me sens mieux que mon compagnon, parce que je suis un petit gabarit et en fait, l'altitude, ça me convient mieux. Et sur la fin, c'est moi qui portais le parapente, parce que mon compagnon ressentait plus fortement l'altitude. Il y a des tas de choses encore qui peuvent évoluer. C'est important de regarder en arrière pour voir ce qui a été fait. C'est important pour ça de montrer quelles ont été les grandes étapes. Le livre y contribue.
- Laurène
Je suis complètement d'accord. C'est tellement important, je pense, ce genre de livre. Ça fait prendre conscience de plein de choses. Et est-ce que, à ton avis, est-ce que l'alpinisme au féminin est différent de l'alpinisme au masculin ? Et si oui, quelles sont les différences ? Évidemment, on ne va jamais pouvoir faire de grandes généralités.
- Stéphanie
C'est sûr différent. Est-ce qu'il y a des petites choses ? Oui, alors, moi, je pense que oui. Je pense qu'il y a des petites choses. Après, ça renvoie à notre... part de féminin ou de masculin en chacun de nous. C'est-à-dire que je pense qu'il y a certains hommes qui vont pratiquer la montagne avec plus de douceur, avec peut-être une touche plus féminine, et à l'inverse, des femmes qui vont avoir ce côté très masculin, très vatanguerre que peuvent avoir les garçons. Voilà, je le disais un peu, je pense que dans la démarche des femmes, elles n'y vont pas pour les mêmes raisons, et elles n'y vont pas de la même façon. Alors, chacune... Mettre à ce qu'elle veut un peu dans cette formule, mais il y a cette idée du sommet qui n'est pas forcément si important. Il y a cette idée du cheminement qui est importante. Il y a cette idée aussi de la connaissance de soi qui ressort beaucoup chez les femmes, c'est-à-dire la montagne comme un révélateur de soi, de ses capacités, de sa personnalité, de sa spiritualité. Ça, on le retrouve assez souvent. Je pense qu'il faut se garder de... complètement dire l'alpiste féminin c'est ci ou l'alpiste masculin c'est ça il y a aussi des femmes qui meurent en montagne, il y a aussi des femmes qui prennent des risques on ne peut pas dire que les femmes en prennent moins même si là aussi c'est sans doute un élément la prise de risque peut-être parce qu'il y a ce côté pour celles qui ont des enfants ou qui veulent en avoir il y a ce côté là de peut-être moins d'engagement en termes de risque l'engagement il est là mais c'est pas le cas On veut revenir à la maison, ça c'est sûr. C'est vrai chez les hommes, mais peut-être qu'à un moment, ils oublient un peu sur le moment. Mais ces questions, elles sont importantes. La question de la maternité est importante. Et elle est complexe, elle est vraiment complexe. Parce que dès qu'on pratique un sport dangereux, parce que qu'on soit homme ou femme, ça reste dangereux d'aller là-haut. C'est des questions complexes.
- Laurène
J'ai vu un film du festival Femmes en Montagne hier. C'est Cholita, je ne sais pas si tu l'as vu. C'est sûr, ces femmes boliviennes qui grimpent en tenue traditionnelle, elles sont hyper impressionnantes. Et on retrouve vraiment tout ce dont tu parles là. On sent bien dans tout le film que c'est vraiment le chemin qui est important. Il y a toutes les questions aussi. Il y en a qui sont mères, qui laissent leurs enfants pour la première fois. C'est super intéressant de voir toute cette démarche, ces cinq femmes qui partent.
- Stéphanie
J'adore ce film. Il date de quelques années. On en parle dans le livre des Cholitas aussi. effectivement il ne faut pas oublier ailleurs parce que l'alpinisme ça reste une activité féminine et masculine mais ça reste aussi une activité assez élitiste en termes d'accès à la montagne, en termes de budget et pourtant la montagne apporte tellement qu'il faudrait que ça soit possible pour tout un chacun d'y aller y compris en Afghanistan, y compris en Iran, y compris en Afrique ou en Amérique du Sud donc il y a un chapitre là-dessus Ces Chulitas, elles sont incroyables. Moi, le film me fait pleurer à chaque fois que je le vois parce qu'elles n'ont pas le profil. Elles n'ont pas le profil, mais elles ont un sacré courage. Elles n'arrivent pas toutes au sommet. Mais ce n'est pas important, en fait. C'est le groupe qui compte. Et ça aussi, je n'ai pas répondu tout à l'heure, mais le côté groupe, le côté être ensemble compte beaucoup dans la réussite des projets au féminin. À ce propos, je rajouterais d'ailleurs, en pensant au Cholitas, que rien n'est jamais gagné pour les femmes et qu'il ne faut pas oublier qu'un changement politique ou un changement de société, une crise, peut faire changer la donne et que souvent les femmes sont les premières victimes de ces changements en termes de droits.
- Laurène
Alors on peut dire que l'alpinisme, ce n'est pas la chose la plus importante, mais c'est révélateur. Si les femmes peuvent aller en montagne, c'est que la société va bien, mieux qu'ailleurs.
- Stéphanie
Oui, totalement d'accord. Quelles sont les prochaines étapes, à ton avis, pour que l'alpinisme féminin gagne encore en visibilité et en reconnaissance aussi ?
- Laurène
Alors il faut oser, comme dans toutes les activités, je pense qu'il faut que les filles osent y aller. Moi qui ne suis pas une alpiniste de haut niveau du tout, je pense que vraiment la montagne apporte beaucoup. Et la montagne, elle a mille et une facettes. Il ne faut pas avoir peur de la montagne. Souvent, les médias la réduisent à quelque chose de très dangereux, de mortifère, parce que ça fait vendre des articles, ça fait frémir. Mais la montagne, c'est aussi beaucoup de bonheur. Et je pense qu'il y a mille et une façons de la pratiquer. Pour aller vers la montagne en tant que femme, il faut d'abord croire que... que c'est possible. Il faut oser y aller, il faut croire en son potentiel, il faut commencer doucement, il faut prendre le temps d'apprendre, ça reste une activité dangereuse, donc il faut prendre le temps d'apprendre, de connaître le milieu, il ne faut pas hésiter à se mettre en lien avec des associations, des groupes, pour ne pas y aller tout seul. Mais moi, quand on pratique la montagne avec mon mari ou des amis ou en famille, on trouve maintenant des... des filles qui se lancent, quoi. Et ça, je trouve ça super. Elles vont mettre plus de temps que prévu. Elles vont prendre le temps de s'appliquer dans les maniques de cordes. Mais voilà, c'est quelque chose qui se fait beaucoup maintenant en refuge. Il y a des filles qui sont là et qui vont faire des courses, des classiques. Et voilà, c'est par ça qu'il faut commencer.
- Stéphanie
Ça fait plaisir de voir que ça change et que tu le vois même au quotidien, du coup. Et pour terminer cette interview, est-ce que tu as un message final à transmettre à des femmes qui souhaiteraient peut-être se lancer dans l'alpinisme ou dans les sports de montagne ? peu importe le niveau, mais en tout cas qui n'oserait pas forcément le faire.
- Laurène
Il faut croire en ses rêves. Je pense qu'il ne faut pas forcément aller vers la montagne si on n'en a pas envie. Mais quand on a un rêve, allons-y, quel qu'il soit, si c'est dans le milieu artistique ou dans le milieu sportif. Je pense que c'est important de s'écouter et d'aller au bout d'un de ses rêves. On en a souvent beaucoup. Ce chemin-là, vers l'aboutissement, vers une réalisation, il est important. Pourquoi pas la montagne, si c'est ce rêve-là qui...
- Stéphanie
Merci beaucoup Stéphanie pour tout ce que tu nous as transmis. Et donc, on peut retrouver ton livre, votre livre à Blaise et à toi, Une histoire de l'alpinisme au féminin, aux éditions Glénat. Je vous recommande vraiment ce livre. Je l'ai dévoré littéralement. Je pense que vous en ferez autant. Merci beaucoup et à bientôt pour de nouvelles interviews sur la Sportive Outdoor.
- Laurène
Merci Lorraine, merci à tous. Merci d'avoir écouté cet épisode. Si cela vous a plu, n'hésitez pas à vous abonner au podcast et à mettre une bonne note sur les plateformes. Cela nous aide. A bientôt !