- Speaker #0
Super Docteur, c'est le podcast des médecins généralistes. Le podcast qui vous transmet les recommandations de bonne pratique et les résultats des grandes études qui vont changer vos habitudes. Super Docteur, c'est la découverte de méthodes de soins innovantes et des interviews de soignants inspirants qui boosteront votre motivation. Un contenu court et pratique, chaque semaine, pour tous les médecins. Bienvenue dans Super Docteur, le podcast des médecins généralistes. Aujourd'hui, nous partons à la découverte d'une initiative inspirante qui réinvente la manière de lutter contre les déserts médicaux, Médecins Solidaires. Pour en parler, j'ai le plaisir d'accueillir le docteur Martial Jardel, médecin généraliste et cofondateur de cette association, qui repose sur une idée novatrice, le temps partagé solidaire. Ensemble, on va explorer les origines de ce projet ambitieux, les défis rencontrés pour le faire naître, et surtout son impact concret sur les médecins qui s'y engagent. et les patients des zones rurales qui en bénéficient. Vous découvrirez comment une organisation collective et humaine peut redonner un accès aux soins à des populations isolées tout en offrant aux praticiens une expérience riche et pleine de sens. Si vous êtes médecin et que vous cherchez une nouvelle façon de vous engager ou simplement curieux d'entendre comment la solidarité peut transformer la pratique de notre métier, cet épisode est pour vous. Salut Martial, merci d'être avec moi aujourd'hui.
- Speaker #1
Bonjour Mathieu, merci de ton invitation.
- Speaker #0
Martial, est-ce que tu peux te présenter, présenter ton association Médecins Solidaires et puis nous raconter brièvement comment est née l'idée de ce collectif, s'il te plaît ?
- Speaker #1
Bien sûr, alors je m'appelle Martial Jardel, je suis médecin généraliste installé dans le nord de la Haute-Vienne. J'ai 33 ans, je suis installé dans un village qui s'appelle Le Dora, qui est le village dans lequel j'ai grandi. Et je suis le représident et cofondateur de l'association Médecins Solidaires. Médecins Solidaires, c'est un principe très simple, c'est de dire, au lieu de demander beaucoup à... Peu de médecins, peut-être qu'on peut essayer de demander peu, mais à beaucoup de médecins. Et c'est une idée qui n'est pas très compliquée, qui est née en 2021 de manière assez simple, en reprenant un raisonnement pragmatique, en se disant, mais finalement, quel est l'obstacle majeur à l'installation de médecins dans ce territoire, au-delà de l'inadéquation numérique que l'on connaît tous, etc. C'est l'engagement. Aujourd'hui, aller s'installer pour 30 ans dans un village, rural, c'est un engagement immense, mais on ne se rend même pas compte tellement c'est immense. C'est-à-dire que, je fais une micro-parenthèse là-dessus, on se dit oui, ça a toujours été le cas, la vie c'est de l'engagement, etc. Mais en fait, en 1980, c'était bien moins engageant parce qu'en 1980, tu t'installais dans un village rural, certes, mais si au bout de deux ans, tu changeais de projet de vie, quelqu'un était ravi de racheter ta patientelle ou si tu voulais partir, tes patients se répartissaient sur d'autres médecins qui étaient ravis. d'augmenter leur patientèle. Et donc, il y avait zéro charge mentale. Tu étais dans une approche entrepreneuriale, tu vas créer ta patientèle, ça marche, tu restes, ça ne marche pas, tu pars. Peu importe. Aujourd'hui, tu t'installes dans un territoire rural. Si tu pars au bout de deux ans, tu crées un drame humain parce que tu ne te feras pas remplacer. C'est un cas exceptionnel. Et donc, l'engagement, il est immense. Donc, c'est trop d'engagement de s'installer. Il faut donc diminuer l'engagement. Et si on veut diminuer l'engagement, il faut augmenter le nombre de médecins. Et c'est là la phrase clé que je redis. Au lieu de demander beaucoup à peu, peut-être qu'on peut essayer de demander peu à beaucoup.
- Speaker #0
Et alors, en pratique, raconte-moi brièvement, avant qu'on revienne plus en détail, tu demandes à beaucoup de médecins de remplacer peu dans des zones rurales, c'est bien ça ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait. En fait, ce qu'on propose à des médecins, c'est de venir une semaine travailler dans un centre de santé qu'on a installé dans un territoire qui en a besoin, dans un territoire dans lequel il y avait une présence médicale qui a disparu. On ne va pas créer des offres de soins ex nihilo, on va rétablir des offres de soins qui ont disparu. Ces villages qui mettent des banderoles sur leur rond-point avec écrit cherche médecin ces maisons de santé qui sont vides, etc. On ne va pas renforcer une offre de soins insuffisante, bien que ce serait nécessaire dans bien des endroits, mais là on n'a pas encore la force de le faire. Pour l'instant, on va vraiment rétablir là où ça a disparu et que c'était particulièrement nécessaire. Et comme ces médecins se relaient chaque semaine, la présence médicale est… permanente. On redonnait une porte à laquelle frapper au village. Et aujourd'hui, ça fait deux ans qu'on a démarré cette initiative par un premier projet en creuse. On a sept centres de santé en France, dans six départements ruraux. On a 550 médecins dans le collectif. On a fait presque 35 000 consultations. On suit 6 500 patients dans nos centres de santé dont nous sommes médecins traitants. Et je crois que la plus grande fierté, c'est de dire que dans l'ensemble de nos centres de santé, il n'y a pas eu une seule semaine sans médecin. On a eu un médecin toutes les semaines, dans tous les centres de soins.
- Speaker #0
Incroyable, franchement bravo, c'est vraiment incroyable. Mais avant de te tresser trop vite des lauriers, j'ai quand même quelques questions à te poser mon cher Martial. Tout d'abord, quel profil de médecin rejoigne ce collectif ? Est-ce qu'il y a plutôt de jeunes, plutôt des vieux ? Je crois même que des retraités peuvent remplacer. À quoi ils ressemblent les médecins qui toquent chez toi ?
- Speaker #1
En fait, c'est ça qui est intéressant, c'est que du fait du salariat, on peut vraiment prendre tout le monde. Que ce soit des jeunes remplaçants, des médecins installés qui sont libéraux, des médecins retraités qui ont cessé leur activité libérale, on peut prendre tout le monde, des médecins de n'importe quel département et de n'importe quel profil. On a trois grandes tendances qui se dégagent, ce qui n'est pas une surprise, trois grands profils, le jeune remplaçant qui n'est pas encore installé, qui est ravi d'aller découvrir le territoire, une nouvelle manière d'exercer, qui est dans un mode où il n'a pas encore envie de s'installer, ou en tout cas il se questionne, il est mobile et heureux de découvrir. Enfin, la liberté après autant d'années de contraintes universitaires. Il y a le médecin installé, qui est installé dans de bonnes conditions. Ce n'est pas le médecin qui est installé au fin fond du Jura, qui est tout seul et qui est déjà sous l'eau. Ça, c'est plutôt un médecin dont on va être solidaires, nous. Mais c'est le médecin qui est installé en banlieue de Nantes, dans une maison de santé cossue, où ils sont six médecins. Il se fait facilement remplacer. En tout cas, son absence programmée pour une semaine ne va pas déséquilibrer l'accès aux soins du territoire. Et lui, il va être ravi. d'aller contribuer en étant bien conscient qu'il a peut-être un peu plus de facilité que d'autres, qu'il est peut-être un peu mieux loti que dans d'autres territoires et il va avoir envie de contribuer et puis de sortir de son tunnel de médecine générale, de ses patients dont il est médecin traitant et qu'il aime beaucoup, mais il a envie de pouvoir découvrir autre chose, prendre un peu d'oxygène sans pour autant remettre en cause toute son organisation professionnelle. Et donc pendant une semaine, c'est une parenthèse, il va aller travailler ailleurs avec d'autres gens dans un autre contexte et après il va revenir. dans son premier lieu d'exercice. Troisième profil, bien sûr, les retraités, qui sont un profil formidable, d'abord parce que c'est une génération qui avait vraiment le travail centré au cœur de leur existence, donc ils sont très engagés, très fiables, très mobilisables. Ils sont ravis d'être retraités et d'avoir le droit au repos, mais ils sont un peu nostalgiques. Ils ont un peu peur de perdre leurs compétences médicales. Ils savent que la médecine, ce n'est pas comme le vélo, ça s'oublie. Ils n'ont pas envie d'oublier parce qu'ils ont quand même 40 ans d'expérience. Ils sont heureux de leur métier, c'est des passionnés. Et autant ils ont envie de continuer un petit peu, mais s'engager un jour par semaine ou deux jours par semaine dans une structure, ça les embête un peu parce qu'ils n'ont pas envie de se mettre un fil à la patte. Ils ont tellement travaillé pour avoir le droit d'être enfin libres. Et là, on leur dit, en fait, ça va être une semaine quand vous voulez, sans engagement. Vous faites une semaine, on ne vous demande rien de plus. On vous demande de vous engager sur la semaine. que vous décidez, mais après, on ne vient pas vous courir derrière à vous demander quoi que ce soit. Et ils sont hyper contents de ça.
- Speaker #0
Excellent. Dis-moi, quel est le statut, du coup, pour ces médecins qui viennent une semaine de leur choix ? C'est un contrat de remplacement ?
- Speaker #1
Oui, c'est des médecins qui sont... En fait, on a deux types de contrats. On a des médecins remplaçants pour les retraités et les jeunes remplaçants. Et les médecins installés quelque part, on leur fait une activité secondaire dans ce centre de santé en tant que salarié à temps partiel d'un centre de santé. Donc, on a deux types de contrats de travail, ce qui n'est pas simple, parce qu'on est même obligé de faire des CDI avec rupture de période d'essai, parce que le droit du travail en France interdit de cumuler des CDD sur le même poste dans la structure. Donc, on est dans des acrobaties juridiques qui ne sont vraiment pas simples.
- Speaker #0
Quand on a envie de vous rejoindre, d'aller aider une semaine dans ces centres, est-ce que chez vous, il y a des gens qui nous aident pour ces contrats, justement ? Est-ce qu'il y a des juristes, des gens de chez toi qui nous aident pour mettre ça au clair avec la Sécu, l'Ursa, etc.
- Speaker #1
Nous, déjà, c'est des process qu'on a travaillés, on a poncé le sujet en long, en large, en travers. L'association, aujourd'hui, on a 10 salariés dans notre équipe centrale. Donc, il y a une directrice administrative et financière, un directeur des opérations, une chargée de la relation et du suivi avec les médecins, une chargée des ressources humaines avec les coordonnatrices, etc. On a des relations. très étroites avec tous les conseils départementaux de l'Ordre des médecins, avec toutes les CPAM, etc. Et donc, nos modèles de contrats de travail sont des modèles qui ont été très travaillés et les médecins n'ont aucun souci, en tout cas, à ce faire. On leur explique toute la procédure et à tout moment, ils peuvent nous appeler de manière plus précise sur des cas particuliers pour qu'on essaye de trouver quel est l'espace dans lequel on peut s'insérer.
- Speaker #0
C'est très clair. Du coup, quels sont les retours des médecins solidaires après leur première semaine d'exercice ? Qu'est-ce qu'ils te racontent ? Est-ce qu'ils évoquent des bénéfices inattendus pour eux-mêmes, au-delà de l'impact sur les patients ? Qu'est-ce qui rend cette expérience différente d'une pratique médicale classique ?
- Speaker #1
En fait, nous, on a été surpris nous-mêmes de découvrir des bénéfices auxquels on ne s'attendait pas. On était plutôt dans l'idée, bon, c'est mieux que rien. Le mieux, c'est d'avoir un médecin traitant qui te connaît intimement. Là, on va perdre cette relation suivie, cette épaisseur de la relation thérapeutique. Mais bon, c'est mieux que rien. Et en fait, on s'est rendu compte que ça allait quand même au-delà du mieux que rien parce que les patients étaient hyper heureux de pouvoir bénéficier du regard croisé de plusieurs praticiens. que peut-être qu'effectivement, on perdait l'épaisseur de la relation thérapeutique, mais on gagnait autre chose qui était une forme d'évaluation par les pères assez spontanée, où chacun va sortir le meilleur de soi-même en se disant, tout ce que j'écris va être relu, tout ce que je propose va être requestionné, donc je vais essayer de tirer le meilleur de moi-même. Dans une espèce d'ambiance qu'on essaye de développer qui est vraiment celle de la confraternité bienveillante, chaque médecin est invité à ne pas dégommer l'ordonnance du précédent, puisque c'est la même. Ça n'aurait pas de sens, mais les patients se disent quand mon ordonnance a été vue par quatre médecins différents, je suis à peu près sûr qu'elle est quand même sans interaction médicamenteuse, qu'elle est adaptée, qu'elle est en phase avec mes pathologies, que c'est les traitements les plus optimisés que je peux avoir. En tout cas, je pense qu'on augmente cette probabilité-là en augmentant le nombre de regards. Et donc vraiment, c'est une médecine très différente de celle qui est délivrée par un médecin qui est installé de manière pérenne. avec une patientèle bien définie, mais elle n'est pas, à mon avis, dégradée. Elle n'est pas moins bien. Elle est vraiment différente. Alors, il y a des gens qui vont adorer, pour qui ça va être très adapté. Par exemple, on te dit, oui, mais enfin, quand même, tu ne vas pas confier la même chose que ce que tu confierais à un médecin que tu connais depuis 30 ans. Mais l'inverse est vrai aussi. C'est-à-dire que tu connais un médecin depuis 30 ans, puis que c'est le maire du village, que c'est l'employeur de ton mari, parce que ton mari est cantonnier dans la commune, etc. Tu ne vas peut-être pas lui dire que ton mari te frappe ou que tu as repris la boutique. bouteilles. Donc, quand tu es avec un médecin que tu ne connais pas, il y a des patients qui nous ont dit ça, une patiente qui avait une histoire très difficile avec son père, etc. Le fait que ce soit un médecin qui allait partir et qu'elle ne reverrait pas, elle, c'était un facteur plutôt facilitant pour lui permettre de sortir tout ce qu'elle avait à sortir.
- Speaker #0
C'est clair, c'est assez connu, c'est-à-dire que la pratique des remplaçants, moi-même, j'étais remplaçant au début. J'ai remarqué, ça serait intéressant d'ailleurs de faire une thèse dessus, de voir la différence de relation, mais que les patients, certains étaient mécontents de ne pas avoir le médecin traditionnel, c'est tout à fait compréhensible, mais beaucoup étaient contents d'avoir un regard neuf, parce que souvent quand tu es remplaçant, tu reprends un peu les choses à zéro aussi, parce que tu ne connais pas les gens, donc tu peux aussi mettre en lumière des choses dont on ne s'était pas trop occupé, etc. En général, les patients aiment bien, c'est super intéressant.
- Speaker #1
Absolument, et alors je fais une parenthèse dans ce que tu dis, là ce qui est sympa, dans ce système, c'est que c'est comme du remplacement dans le sens où tu viens juste une semaine, mais le regard des patients envers toi n'est pas le même que celui que les patients ont d'habitude vers le remplaçant, puisque remplaçant, c'est toujours une situation un petit peu entre deux, où tu n'es pas vraiment dans tes affaires. Les patients, certains, comme tu disais, sont contents de voir un regard neuf, mais la majorité sont quand même un peu déçus de ne pas voir leur médecin. Et puis, surtout, en tant que remplaçant, il y a une quantité de choses que tu ne vas pas te permettre de faire. Tu ne vas pas t'amorcer un sevrage en bainzot. d'introduire une insuline en disant Ah, ce n'est pas à moi de le faire quand même, moi je suis remplaçant, je ne veux pas, mais quand même, c'est bon. Il y a des trucs que tu ne vas pas te permettre de faire. Et là, tu es dans une situation où les patients savent que le médecin est différent, donc ils ne sont pas du tout déçus de te voir, au contraire, ils sont curieux de savoir d'où il vient celui-ci. Donc, ils sont en reconnaissant et en attente de qui tu es, donc accueillant. Ce ne sont pas tes affaires, mais elles n'appartiennent à personne d'autre plus qu'à toi. C'est vraiment un partage du matériel. Et puis, tu as la légitimité de faire. tout ce que tu veux sur le plan médical, parce que si toi, tu ne l'as pas, personne ne l'a plus que toi. Et donc, c'est un peu comme un remplacement, mais avec une légitimité de médecin traitant. Donc, c'est pas mal.
- Speaker #0
Très bien. Du coup, vous avez construit des centres de santé en dur, et donc c'est dans ces centres, je crois qu'il y en a sept, c'est ça, dans lesquels se font les remplacements uniquement.
- Speaker #1
Alors, on n'est pas allé jusque là, c'est-à-dire que nous, on n'a rien construit. D'accord. Il y a des communes qui nous ont mis à disposition des locaux.
- Speaker #0
C'est ça.
- Speaker #1
Donc, c'est les communes qui avaient construit ou c'est les communes qui ont fait des travaux, etc. Mais nous, on n'est pas propriétaire des murs, on n'est pas propriétaire des bâtiments. Médecins solidaires, c'est vraiment un collectif humain qui vient s'installer, peut-être transitoirement, peut-être de manière un peu plus pérenne dans ces bâtiments. Ce qui est très important à dire et que je n'ai peut-être pas posé encore jusque-là, je ne sais plus, mais c'est que Médecins solidaires, c'est une association à but non lucratif. C'est très important, ce n'est pas une start-up, ce n'est pas une société coopérative ou quoi qu'est-ce, peu importe. C'est vraiment une association à but non lucratif parce que c'est très important qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait que l'engagement des médecins n'enrichit... personne de manière un peu détournée. C'est vraiment 100% transparent.
- Speaker #0
Bravo, vous êtes bien arrivé à la fin de cette partie. La suite vous attend dans le prochain épisode. Pour ne rien manquer de Super Docteur, pensez à vous abonner dès maintenant à ce podcast. Si vous aimez mon travail, le meilleur moyen de me soutenir, c'est d'en parler autour de vous, à vos consoeurs ou vos confrères. Enfin, un petit geste qui fait une grande différence. Laissez-moi une belle note de 5 étoiles sur votre application de podcast préférée. Ça m'encourage énormément. Et ça aide d'autres médecins à découvrir SuperDocteur et partager ensemble des idées pour améliorer nos soins et enrichir nos pratiques. A très vite sur le podcast !