- Speaker #0
Partenariat avec l'Institut Louis Bachelier et le FinDevLab.
- Speaker #1
Notre invité aujourd'hui est journaliste, un des grands noms des rubriques internationales, de ceux qui œuvrent chaque jour à nous rendre le monde un peu plus compréhensible et ainsi peut-être un peu moins effrayant, encore que ces derniers temps, et a longtemps écrit pour Libération, successivement correspondant en Afrique du Sud au temps de l'Apartheid, à Jérusalem pendant les accords d'Oslo, à Pékin au moment du take-off économique, c'est le cas de le dire, et officie depuis 7 ans dans la matinale de France Inter. Kiereski, bonjour et merci d'avoir accepté notre invitation.
- Speaker #2
Bonjour, merci de votre invitation.
- Speaker #1
Comme vous le savez peut-être, en tout cas nos auditeurs fidèles le savent, ce podcast se fait une fenêtre sur les mondes émergents et l'actualité se faisant est très riche, en prenant que vos éditos de la semaine, le milléisme en Argentine, les élections et révolutions en Afrique subsaharienne, la rencontre Trump-Xi, le cessez-le-feu précaire à Gaza et dans la région. Mais d'abord, et comme à l'accoutumée, une question plus biographique, très simple, pourquoi le journalisme, pourquoi les pages internationales ? Pourquoi les pages internationales ? Et si l'international, pourquoi le journalisme ?
- Speaker #2
Il y a sans doute du fait de ma naissance. Je suis né à Tunis. J'ai grandi à Tunis jusqu'à l'âge de 12 ans avant de venir m'installer à Paris avec ma mère. Je pense que quand on est né à l'étranger, on a cet appétit pour le vaste monde qui m'a attiré vers les questions internationales très vite. Et pourquoi le journalisme ? Là encore, c'est des histoires de biographie. Je me suis retrouvé à 18 ans à Zanzibar, en Tanzanie. Ce n'est pas banal, parce que ma mère, je rentre dans les détails de ma vie privée, mais ma mère s'est remariée quand j'avais 18 ans avec un Suédois qui vivait en Tanzanie. Et donc j'allais la voir en Tanzanie, je me suis retrouvé à Zanzibar, et j'ai décidé d'y rester une semaine parce que ça me plaisait bien. Et à Zanzibar, la plupart des touristes font l'aller-retour dans la journée. Dès le deuxième jour, les commerçants me reconnaissaient, m'invitaient à boire le café, le thé. Et à Zanzibar, il y a des commerçants arabes, puisque ça a été une dépendance du sultan Adhoman pendant plusieurs siècles. Il y a des commerçants indiens, parce qu'il y a beaucoup d'indiens en Afrique de l'Est et notamment à Zanzibar. Et puis il y a des commerçants africains, évidemment. Et chacun me racontait une histoire différente. Et j'ai trouvé ça, ça m'a illuminé. Je me suis dit, c'est ça que j'ai envie de faire dans ma vie, aller à le bout du monde dans des situations de... d'une complexité folle et raconter ça à un public qui sera à 10 000 km de là, qui ne connaît rien de cet endroit et à qui j'essaie de rendre ça intelligible. C'est comme ça que ça m'est venu et j'ai travaillé pendant 15 ans en Afrique parce que j'ai eu un coup de cœur pour l'Afrique à ce moment-là et pour le journalisme. Donc j'ai marié les deux coups de cœur et ça ne m'a jamais quitté, aussi bien d'ailleurs l'Afrique que le journalisme.
- Speaker #1
Ça tombe bien parce qu'on va parler notamment d'Afrique, mais dans un premier temps, puisque l'actualité l'appelle, on peut peut-être rapidement évoquer le sommet Trump-Xi Jinping. C'est la deuxième fois que la Chine semble temporairement l'emporter dans le bras de fer qui l'oppose aux États-Unis, après le retour en arrière sur les droits de douane au printemps dernier. Mais au fond, c'est commenté dans l'actualité avec beaucoup de caractères très anxiogènes, comme une crise et une tension inédite, avec un caractère un peu imprévisible de Donald Trump. est-ce que C'est quelque chose que vous considérez comme inquiétant ou est-ce qu'au fond, c'est la régulation normale des relations internationales, il y a un bras de fer et puis un équilibre qui se trouve ?
- Speaker #2
Alors, ce qui est inquiétant, c'est de notre point de vue à nous qui ne sommes ni chinois ni américains. Et j'avais cité dans un édito précédent sur France Inter un proverbe que j'avais entendu Félix Oufoué de Boigny dire en Côte d'Ivoire. Il disait quand deux éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre le plus. et il se trouve qu'aujourd'hui C'est nous qui sommes l'herbe, nous le reste du monde, parce que quand les Chinois et les Américains se battent, c'est souvent aux dépens des autres. Non, il n'y a pas de raison que ce soit anxiogène, sinon je pense qu'il faut comprendre ce qui se passe. Et je pense que Donald Trump n'a rien compris au film. Donald Trump a commencé très fort avec la Chine, il avait imposé 145% de droits de douane au début, sur 600 milliards de dollars d'échanges économiques. et 145%, ça veut dire en gros réduire ces 600 milliards à zéro. Et il s'attendait à ce que la Chine vienne le supplier d'accepter de baisser les droits de douane et d'accepter toutes ces conditions. Et à sa grande surprise, les Chinois ont dit non. et ont accepté de compromettre 15% de leurs commerces extérieurs pour tenir bon. Parce que ce n'est pas de commerce qu'il s'agit, c'est du statut de deux superpuissances au XXIe siècle. Et ça, Donald Trump ne l'a pas compris. Si Xi Jinping avait cédé aux pressions américaines au printemps comme récemment, il perdait sa place dans l'histoire chinoise. Il devenait un leader faible d'un pays qui aspire. a retrouvé sa place de première puissance mondiale qu'il avait occupée jusqu'à la rencontre avec les Européens il y a 200 ans. Et c'est ça qui se joue. C'est la relation entre les deux superpuissances du XXIe siècle. Et ça, Donald Trump n'a pas compris et il a eu en face de lui un Xi Jinping qui a plusieurs atouts. L'un, il est totalement maître de son pays. Donc il peut se permettre même de voir des usines fermées, même de voir du mécontentement. Et donc, il peut se permettre des choses qu'un pays démocratique ne pourrait pas se permettre. Deuxièmement, il n'est plus, et ça je pense que Donald Trump ne l'avait pas compris, la Chine de 2025 n'est pas la Chine qu'il a connue lors de son premier mandat. La Chine de son premier mandat a subi le premier choc avec l'Amérique en n'étant pas préparée. Si on reprend la chronologie, en 2015, il faut comprendre tout ça. En 2015, la Chine publie un document qui s'appelle China 2025. Et elle dit, voilà, dans 10 ans, nous serons numéro 1 mondial dans les technologies suivantes. Et vous avez toutes les technologies de rupture du 21e siècle, l'intelligence artificielle, le quantique, les biotechnologies, la robotique, etc. Et là, le toxin sonne à Washington parce qu'il y a quelque chose aux États-Unis qui s'appelle le syndrome Spoutnik. qui remonte à 1956, lorsque l'URSS lance le premier engin en orbite autour de la Terre, le Spoutnik, le fameux Spoutnik. Et les Américains ont le choc de leur vie, parce que leur service de renseignement n'avait pas repéré que l'Union soviétique était en avance sur les technologies spatiales. Et Eisenhower prend deux décisions. Il crée la NASA et une deuxième institution qui est beaucoup moins connue, qui s'appelle la DARPA. Et la DARPA, qui a un budget de plusieurs milliards de dollars, a pour mission de veiller à ce que les États-Unis restent en tête sur toutes les technologies de rupture. Et là, on était typiquement dans un cas où une autre puissance, aspirant à devenir une superpuissance égale ou supérieure aux États-Unis, annonce clairement, de noir sur blanc, ce qui était une erreur d'ailleurs, qu'elle allait dépasser les États-Unis dans toutes ces technologies. Et à partir de 2015... On est à la fin de la période Obama. On a un changement d'attitude à Washington et une position beaucoup plus confrontationnelle avec la Chine. Et c'est Trump, numéro un, qui commence à être de plus en plus à faire de ce qu'on appelait à l'époque de la guerre froide du containment, de l'endiguement de la puissance chinoise. Et on a l'affaire Huawei, qui est peut-être le début de la guerre commerciale, technologique et politique. entre les États-Unis et la Chine. L'affaire Huawei, c'est l'arrestation à Vancouver de la directrice financière du groupe Huawei. Huawei, c'est le champion des télécoms chinois, équipementier télécom numéro un mondial. On est au début de la 5G, donc un moment important. Et il se trouve que cette directrice financière, ce n'est pas seulement la directrice financière, c'est aussi la fille du fondateur. Et en Chine, une princesse rouge, comme on les appelle, donc les fils... de dirigeants, c'est très important. Xi Jinping est un prince rouge. Son père était un proche de Mao. Et c'est une sorte d'aristocratie politique en Chine qui a son importance. Donc, s'en prendre à la fille du fondateur de Huawei, c'était une déclaration de guerre. Depuis ce moment-là, il y a eu des dizaines et des dizaines de sanctions commerciales américaines. Et depuis, donc ça fait maintenant dix ans, la Chine se prépare à... dérisqués, comme on dit, c'est-à-dire qu'ils coupent progressivement leur dépendance vis-à-vis des Américains. Le plan quinquennal qui vient d'être adopté par le plénum du comité central du Parti communiste chinois, c'est une longue phrase pour dire un moment clé de la vie politique chinoise, il est entièrement centré sur l'autosuffisance technologique. La Chine, ça fait dix ans qu'elle travaille à ça. Et donc, elle est capable aujourd'hui de faire face aux Américains, et c'est ça qui est Merci. que Trump n'a pas vu venir. Et donc, il a été obligé de reculer parce que la Chine, elle contrôle effectivement la filière des terres rares. et qu'elle a utilisé sa bombe atomique à elle, qui est les restrictions sur les exportations de terres rares. Voilà le type de scénario dans lequel on est. Il y a des types d'aimants qui nécessitent des minerais, des terres rares, qui ne peuvent plus être produits et qui sont indispensables si on veut produire des F-35 ou des missiles balistiques aux États-Unis. Tout ça, l'administration américaine ne l'a pas anticipé, ne l'a pas évalué, et s'est retrouvée contrainte de reculer. Et alors Trump peut toujours proclamer qu'il a une relation géniale avec Xi Jinping et que le résultat l'enchante, etc. Tout ce qu'il a obtenu, c'est un délai d'un an pour la mise en place des restrictions sur les terres rares et tout un tas de deals autour, notamment la reprise des achats de soja par la Chine, etc. Mais on est dans l'accommodement d'une relation qui a évité la rupture. Mais on n'est pas dans une relation saine. et une relation qui a trouvé son équilibre. Et je trouve ce moment absolument passionnant, parce que Trump a décidé, en arrivant au pouvoir, que le multilatéralisme ne l'intéressait plus, et qu'on allait passer à l'ère des rapports de force. Le problème, c'est qu'il n'y a que ses alliés qui ont peur de lui. Les Européens en particulier, mais aussi les Japonais, les Coréens, les Australiens, tout le monde a peur de lui parmi ses alliés, parce qu'il y a des liens de dépendance très forts avec les États-Unis. Mais il n'a pas impressionné. Lula au Brésil, où il n'a pas impressionné Xi Jinping en Chine.
- Speaker #1
Et alors justement, en parlant de cette rupture du multilatéralisme, on avait laissé les BRICS depuis les chaînes relatives du sommet de Rio, qui avaient démontré la difficulté de créer un ordre international et alternatif qui réunirait des gens qui ont comme dénommé l'électorat commun au fait de refuser l'existence d'un ordre international. Est-ce que la force politique et de caractère qu'a montré la Chine dans ce bras de fer-là, alors même que... ces politiques douanières hostiles des États-Unis frappent un certain nombre de pays en développement et en argent qui font partie des BRICS, peut servir de base à un renforcement ou une reconstruction à l'avenir des BRICS sous un leadership probablement plus assumé chinois ? Et est-ce que quand on réfléchit à la multipolarité, à la fin du multilatéralisme, est-ce que le périmètre des BRICS dont on parle beaucoup est de votre point de vue un périmètre pertinent ? peut devenir un acteur important ? Ou est-ce qu'il y a une réunion d'intérêt qui est trop contradictoire, sans base géographique, de sorte que ce n'est vraiment pas là que ça se jouera ?
- Speaker #2
C'est une question très compliquée, mais je pense qu'elle est absolument clé. Les BRICS ont eu une utilité absolue, lorsqu'ils sont apparus au début des années 2000, qui est d'avoir fait émerger cette notion des pays émergents qui n'était pas comprise auparavant. Donc ces pays ont signifié politiquement qu'ils voulaient compter dans la marge du monde alors qu'ils en étaient à la marge. Ils n'étaient pas pris en considération par notamment les Américains, mais le bloc occidental, etc. Les BRICS n'ont jamais réussi à incarner un monde alternatif. Ils l'incarnent en termes de symboles. C'est le monde alternatif au monde occidental, mais pas en termes de modèles. Et là, il y a quelque chose d'assez troublant, c'est que, vous vous souvenez, il y a eu une époque où la contestation de la mondialisation, notamment par les groupes en Europe, etc., les grandes contre-manifestations au moment des G7 ou des sommets de l'OMC, etc., c'était « un autre monde est possible » . Il y avait un sommet annuel au Brésil qui était le pendant de Davos. pour les pays émergents, etc. Et en fait, toute cette période un peu idéaliste d'un autre monde est possible, s'est écroulée au profit de la Chine, qui en est aujourd'hui le chef de file. Et la Chine, elle n'a aucune intention de construire un autre monde, elle veut construire un monde qu'elle dirigera. Elle n'est pas en train de construire un monde plus juste, plus équitable, plus respectueux, de l'environnement, des peuples et de la souveraineté des pays. Elle n'est pas en train de construire... le monde alternatif dont on parlait dans les années 90. Et ça, c'est la grande faiblesse des BRICS, c'est-à-dire que les BRICS incarnent un pôle politique différent, ils n'incarnent pas un monde différent. Or, on a besoin aujourd'hui de construire un monde différent. Et si c'est pour remplacer la superpuissance américaine par la superpuissance chinoise, je ne suis pas sûr que les pays qui aujourd'hui sont en hostilité, en opposition au monde occidental, y trouveront leur compte. Et donc ce monde multipolaire, il doit encore être construit, dans lequel les pays émergents jouent un rôle clé, c'est évident. La puissance chinoise est telle aujourd'hui, et le différentiel de puissance entre la Chine et les autres pays émergents, y compris l'Inde, qui est loin derrière à tout point de vue, fait que c'est très compliqué d'établir un monde multipolaire quand il y a un des pôles qui écrase tous les autres. Et donc la difficulté de la période actuelle, où l'ancien monde s'écroule, mais le nouveau monde n'est pas encore construit, c'est d'arriver à être... autour de la table de manière relativement égalitaire pour arriver à construire quelque chose qui tienne la route. Et je ne suis pas sûr que les BRICS soient le bon endroit. Dans le sud global, il n'y a pas que les BRICS. Et je pense que, par exemple, les Européens ont une place à prendre si jamais ils décident un jour d'être cohérents et d'être unis sur une vision du monde, parce qu'ils peuvent être... un des acteurs de la multipolarité à redéfinir et à créer. Et ça serait même peut-être le meilleur allié d'un certain nombre de pays émergents qui ne veulent pas être en tête-à-tête avec la Chine. Et c'est toute cette complexité aujourd'hui des rapports, certes entre le Nord global et le Sud global, mais aussi à l'intérieur du Sud global, entre la superpuissance chinoise et les autres. Mais la nouveauté, c'est que... Il n'y a plus d'Occident cohérent entre l'Europe et l'Amérique. Il y a aujourd'hui un fossé qu'on essaye de cacher parce que la protection américaine est indispensable à l'Europe dans une phase au minimum de transition. Mais on voit bien qu'il n'y a plus de Nord cohérent et qu'il n'y a pas forcément de Sud cohérent. Voilà, ça permet une vraie multipolarité.
- Speaker #1
Mais justement, si on met de côté la débouchée politique au procédé Libri, c'est qu'on revient... au fondement qui la rendent très attractive dans les opinions publiques des pays du Sud, c'est probablement la principale raison pour laquelle les dirigeants du Sud font semblant de croire dans les BRICS, contenter leurs opinions publiques, comment on peut comprendre une telle popularité de cette idée d'un ordre mondial alternatif, thème de la majorité mondiale que vous avez évoqué également, alors même que l'ordre international actuel a potentiellement le défaut d'être interventionniste, mais précisément se voulait interventionniste pour, en gros, pour faire simple, protéger les pays du sud de leurs dirigeants, qu'on a considéré pendant longtemps être des dictatures qui ne contribuent pas au développement, aller dans des politiques de développement par le biais de grandes ONG très actives sur le terrain, et au fond mettre en place un système économique international libéral qui permettait aux pays pauvres de jouer leur avantage comparatif de prix.
- Speaker #2
La question des doubles standards dont on parle beaucoup depuis 2-3 ans, elle elle participe de cette bascule. C'est-à-dire que dans les opinions publiques des pays du Sud, je pense que le rejet de l'Occident, et le rejet en particulier de l'Amérique, depuis la guerre en Irak, depuis l'intervention en Irak, ou le rejet de la France, par exemple, en Afrique francophone, sont des facteurs qui l'emportent sur la nature des régimes. C'est-à-dire qu'on a plus envie de voir se recomposer le monde autour d'un rééquilibrage entre le Nord et le Sud, que d'en découdre avec ses dirigeants. Ça n'empêche pas que pendant le même temps, on a aussi la révolte de la génération Z qu'on a vue ces derniers mois du Népal à Madagascar ou au Pérou, et au nom de la lutte contre la corruption, du népotisme, de l'inefficacité aussi du fait de générations. de pays qui ont des populations très jeunes avec des dirigeants très vieux, ou pour certains, est inefficace et qui n'ouvre pas de perspectives. Donc on a ces contradictions qui sont internes, mais je pense que la division du monde aujourd'hui est telle que, et on l'a vu progressivement, la guerre en Ukraine a montré aux Européens, tout d'un coup aux Occidentaux, que leur indignation légitime face... à la violation des droits internationaux par la Russie, n'était pas partagée par le reste du monde, qui disait « mais vous avez fait pareil pendant des décennies, sans que personne n'y trouve quoi que ce soit à redire, personne n'est allé mettre bouche en examen à la Cour pénale internationale pour avoir envahi l'Irak sans feu vert de l'ONU, et personne n'a rien dit quand, pendant des décennies, le sort des Palestiniens n'a pas changé, malgré toutes les résolutions des Nations Unies. » C'est... Cette première contradiction est apparue clairement au moment de l'Ukraine et elle s'est retrouvée décuplée avec le 7 octobre et la guerre israélienne à Gaza. Et ça a provoqué, je pense, un électrochoc dans le monde. Ça a fait prendre conscience, je pense, à une partie des Européens en particulier, que leur posture était intenable. Et je pense que ça explique en partie, par exemple, pourquoi la France a fini par reconnaître l'État palestinien. Et donc aujourd'hui, on est dans cette situation où l'enjeu numéro un, c'est d'abord de retrouver un équilibre mondial. C'est d'ailleurs assez étonnant la manière dont ça s'est passé. L'ordre mondial, celui de 1945, revu, revisité en 1989 à la chute du mur. Cet ordre mondial, il était contesté par les pays émergents, puis par la Chine et la Russie qui le trouvaient trop favorable aux Américains. Et à la surprise générale, les États-Unis eux-mêmes, avec Trump, décident de renverser la table à leur tour. Le 19 janvier, la veille de l'investiture de Donald Trump, Marco Rubio, le secrétaire d'État, est devant le Sénat américain pour sa confirmation. Et il dit, je cite, c'est beau. L'ordre international de 1945 nous a bien servi, nous les Américains. Aujourd'hui, il est non seulement obsolète, mais il est devenu une arme utilisée contre nous. Et il ajoute, notre génération doit réinventer un nouvel ordre mondial. C'est notre responsabilité à tous aujourd'hui. Et là, tout le monde a eu un choc, parce que personne ne s'attendait à voir les États-Unis trouver que cet ordre international, dont tout le monde trouvait qu'il était taillé sur mesure pour les Américains, soit contesté par les Américains eux-mêmes. Et c'est tout ce monde-là, et là, à jouer des coudes pour préparer le monde de demain. Par quoi il va passer ? Comment on arrivera à se mettre autour de la table ? Est-ce qu'il faudra en passer par une nouvelle guerre ? Chaque fois qu'on a changé d'ordre mondial, il y a eu une guerre. Après la première guerre mondiale ou la deuxième, on a créé à chaque fois des institutions qui ont tenu la route un petit moment, mais pas assez. Est-ce qu'aujourd'hui on pourra avoir l'intelligence de ne pas aller plus loin que les guerres qui existent déjà ? Je n'en sais rien. Mais le monde est plutôt inquiétant aujourd'hui de ce point de vue-là.
- Speaker #1
Et alors justement, vous évoquez le mouvement Gen Z et la question des ambivalences des opinions publiques des pays du Sud. On a vu dans certains cas, pas tous, pas au Bangladesh, pas au Népal, mais notamment en Afrique subsaharienne que vous connaissez bien, le fait que ce mouvement... débouche dans une prise de pouvoir d'un régime autoritaire d'obédience militaire au Niger, à Madagascar. Est-ce que c'est là une récupération, comme on dirait en langage journalistique, où au fond, l'aspiration, aussi bien que ça nous gêne par certains égards, l'aspiration réelle qui était portée par ce mouvement, c'est-à-dire vers des États plus étatistes, plus souverainistes, d'un certain point de vue plus autoritaire, probablement un peu moins inégalitaire, et en tout cas, un rejet d'une démocratie libérale ? qui paraît de tous les mots, et notamment la corruption, la désignalité et le décaparement des richesses.
- Speaker #2
Alors, je pense qu'effectivement, l'émergence des militaires a été saluée notamment par les acteurs de ces mouvements sociaux comme un débouché, peut-être pas celui qu'ils auraient préféré, mais en tout cas acceptable, voire souhaitable, parce que porteur de souveraineté et porteur porteur d'un ordre qui peut permettre de résoudre un certain nombre de problèmes comme la corruption ou comme l'inefficacité des systèmes démocratiques. Je pense que c'est une illusion sur laquelle ces opinions publiques sont encore sensibles. C'est-à-dire que c'est clair que dans les pays du Sahel, il y a encore du soutien pour ces régimes militaires, alors que dans les faits, Ils sont porteurs de rien du tout, ils sont porteurs de régimes autoritaires, certes souverainistes au sens où ils coupent les liens de dépendance vis-à-vis de l'ancienne métropole ou vis-à-vis des puissances régionales comme la Côte d'Ivoire, etc. Mais ils ne sont pas porteurs d'alternatives progressistes comme le souhaitaient les acteurs de ces mouvements sociaux. Et je pense qu'il y a une grande désillusion qui se prépare. dans ces pays parce que certes il y a le mythe Sankara, le jeune officier aux idées progressistes, proche du peuple, capable d'égalitarisme etc. Moi j'ai bien connu Sankara, j'ai fait sa première interview dans la presse française, je l'ai rencontré à plusieurs reprises, j'aimais beaucoup Sankara même s'il avait sa part d'ombre qu'il ne faut pas sous-estimer, mais en tout cas c'est quelqu'un... je pense qu'il a été sincère, et qui a véritablement tenté, il en est mort d'ailleurs, à la fois de créer la souveraineté de son pays, mais d'apporter un vrai... une vraie évolution au système économique, politique et social de son pays dans un sens progressiste. Mais je ne crois pas d'abord que tous les militaires soient des sans-carats en puissance et je ne crois pas que les militaires qui sont aujourd'hui au pouvoir dans ces pays soient porteurs des mêmes valeurs ou des mêmes idéaux. Donc il y a de la désillusion nécessaire dans l'air. La question démocratique, elle est posée en Afrique. non pas pour faire plaisir aux Occidentaux, pas pour faire plaisir aux Français ou à l'Union Européenne, mais pour répondre à ce qu'attendent aujourd'hui les jeunes, c'est-à-dire des systèmes qui soient relativement transparents, qui soient efficaces et qui leur laissent une place dans le développement du pays. Et ça, on peut dire, ok, c'est les militaires qui peuvent garantir tout ça, mais je ne connais pas beaucoup d'exemples réussis de ces autoritarismes militaires. qui n'ont pas de réponse ni à la question sécuritaire dans le Sahel, qui est quand même dramatique, ni aux questions économiques et sociales ou aux aspirations des jeunes qui sont dans tous ces pays. Les moins de 18 ans forment à peu près la moitié de la population. C'est absolument colossal. Entre ceux qui sont dirigés aujourd'hui par des militaires qui ont du mal à délivrer, comme on dit en mauvais français, des solutions économiques, ou qui sont dirigés par des non-ingénieurs qui se font réélire pour la 72e fois, et qui sont totalement déconnectés de la réalité de la population, il n'y a pas de... ce sont deux extrêmes qui sont dans l'échec. Et donc il y a encore quelque chose à inventer, je pense, sur le plan politique en Afrique, mais il y a des pays qui ont des alternances démocratiques qui fonctionnent bien. Et je trouve que, par exemple, l'expérience du Sénégal est intéressante à suivre. Il y a eu d'abord plusieurs alternances dans l'histoire du Sénégal qui se sont relativement bien passées. Et la dernière, celle avec le PASTEF qui est au pouvoir aujourd'hui au Sénégal, elle a été une alternance de rupture. La base française a été fermée quelques mois après l'arrivée de ce gouvernement au pouvoir qui est en train de... de réviser les liens entre le Sénégal et la France et qui essayent de changer le mode politique en étant arrivés au pouvoir par une voie démocratique légitime. Et je trouve que ce qu'ils sont en train de faire mérite en tout cas d'être suivi avec ses côtés parfois inquiétants. Moi, justement, comme je suis président de Repenteurs sans frontières, j'assiste avec un peu d'inquiétude à la manière dont ils gèrent les rapports avec la presse sénégalaise. ou des pays comme le Ghana ou d'autres, dans lesquels il y a l'ébauche d'une démocratie qui n'est pas nécessairement dans le mimétisme ou dans la reproduction des systèmes européens. Mais je ne crois pas qu'au nom de valeurs africaines hypothétiques, on puisse se dire que le pouvoir d'un capitaine est plus démocratique que celui d'un président élu. Je pense que c'est une farce et c'est une fable qu'on se raconte.
- Speaker #0
Alors justement, à ce sujet, dernière question rapidement. Comment, en tant qu'Occidentaux, en tant qu'Européens, en tant que Français, on peut réagir à ça ? On fait un peu le constat qu'on est soumis à une sorte de triangle d'incompatibilité entre respecter la souveraineté, ce qui nous est demandé, être fidèles à nos valeurs, et en même temps conserver une relation et participer au développement économique.
- Speaker #1
Je pense qu'on est arrivé au bout d'une histoire, d'une page d'histoire avec l'Afrique, qui est celle de cette histoire post-coloniale. qui a été brutale et qui a été mensongère. C'est-à-dire que le système qui a été mis en place, notamment par la France dans ses anciennes colonies, a été un système où, en gros, on lâchait l'apparence du pouvoir pour mieux le garder derrière. C'est quelque chose que le général de Gaulle a imaginé. Je viens de faire un livre qui s'appelle « Décolonisation africaine » . Donc j'ai pas mal travaillé sur... sur cette période-là. Et Fokar raconte, Jacques Fokar, donc le monsieur Afrique de De Gaulle, qui est l'homme qui tenait comme ça tous ses pouvoirs africains, raconte dans un livre d'entretien qui a un peu son mémoire, ce que lui a dit le général De Gaulle quand il l'a nommé monsieur Afrique. Il lui a dit, on a perdu l'Indochine parce qu'on a fait trop d'erreurs, on est en train de perdre l'Algérie, donc on est en 58, on est en train de perdre l'Algérie, donc il était conscient en 58 que l'Algérie était perdue pour la France. Il ne faut pas qu'on perde l'Afrique. Et donc, c'est votre mission de garder l'Afrique subsaharienne dans le giron français. C'est dit clairement par Fokar. Et c'est le système qui a été mis en place qu'on a appelé la France-Afrique. Tout un système de réseau qui était assez terrifiant. La première fois que je suis allé en Afrique francophone, j'ai commencé à connaître l'Afrique par l'Afrique anglophone. Et la première fois que je suis allé en Afrique francophone, c'est quand je... C'était en 81, c'était au Gabon, mais j'ai eu le choc de ma vie. Libreville en 1981, les trois hommes clés de Libreville, c'était l'ambassadeur de France, le patron de la garde présidentielle qui était un officier français, et le patron d'Elf Gabon, donc la compagnie pétrolière gabonaise. Et sans ces trois hommes, rien ne pouvait se faire dans le pays. Les gens qui me parlaient, moi j'étais l'envoyé spécial de Libération, pas forcément en odeur de sainteté, les gens me parlaient en se cachant, en baissant la voix, en gardant si personne ne nous voyait, etc. Même en Chine, je n'ai pas connu une telle terreur quand j'étais correspondant à Pékin. Et ce système, il est arrivé au bout de sa route. Non seulement, on pourrait dire qu'il y a encore de beaux restes en Côte d'Ivoire ou dans deux ou trois pays, c'est même pas vrai, je pense que le... La France a gardé de très bons rapports avec la Côte d'Ivoire, dont le président actuel a été mis au pouvoir par Sarkozy lors d'une intervention militaire. Tout ça est beaucoup plus compliqué. Mais on n'est plus dans le même type de relation entre la France et l'Afrique. La France n'a plus les moyens d'abord de cette influence. Le départ de l'armée a symboliquement marqué cette rupture. Et la fin du franc CFA, un jour ou l'autre, en sera une autre. Même si elle n'est pas forcément dans l'intérêt des pays africains à court terme, mais ça reste à voir. Donc, il faut réinventer quelque chose. Et pour réinventer quelque chose, il faut d'abord purger le passé. C'est intéressant de voir comment ça s'est passé avec Macron. Premier voyage en Afrique, 2017. Il est à Ouagadougou, au Burkina Faso, devant un amphithéâtre d'étudiants. Et il leur dit, moi je suis comme vous, je suis né après la colonisation, c'est pas mon histoire. Privilège de l'âge. Sauf qu'il est le président d'un pays qui a un héritage et qui a une histoire. Et il a voulu mettre ça sous le tapis et dire construisons ensemble un nouvel avenir, etc. Ça n'a pas marché. Et qu'est-ce qu'il fait Macron depuis quelques années ? Il fait des commissions d'historiens. Il a fait une commission d'historiens avec le Rwanda pour purger la période du génocide avec Mitterrand. Il a fait une commission d'historiens avec le Cameroun pour purger... La décolonisation qui a été brutale, sanglante, c'est une petite guerre d'Algérie, la décolonisation du Cameroun, les Français ne le savent pas, mais il y a un rapport de 1000 pages qui a été fait par une commission d'historiens, reconnue, approuvée par le président de la République, qui reconnaît tous ces crimes qui ont été commis. Commission avec Madagascar, Macron était au début de l'année à Madagascar, et il crée une commission sur le massacre qui a été commis en 1947. On ne sait tout de ce massacre. Il y a des pièces de théâtre qui parlent de ce massacre, il y a des livres à profusion qui ont été écrits par des historiens malgaches, français, etc. Mais l'État ne l'a jamais reconnu. Et passer par une commission d'historiens, c'est une manière... pour l'État de dire, OK, voilà, il y a un saut scientifique qui a été mis sur ces événements, avec analyse des archives, etc. Nous reconnaissons nos torts, etc. Même le camp de Tiaroy, au Sénégal, qui est quand même une des histoires les pires, pour moi, de ce qui s'est passé après la guerre. Donc ces militaires qui étaient prisonniers des tirailleurs sénégalais, donc combattants africains de l'armée française, prisonniers des Allemands qui sont libérés, à qui on promet une prime. On les renvoie à Sénégal, ils sont dans un camp, ils attendent la prime et puis la prime ne vient pas. Et à un moment, ils commencent à grogner, on leur tire dessus et il y a donc des dizaines de morts. Cet événement qui s'est produit juste après la Seconde Guerre mondiale, il a été étouffé pendant très longtemps, mais on sait tout aujourd'hui de ça. Il y a un grand cinéaste sénégalais, Semben Ousmane, qui a fait un film sur le camp de Tiaroy il y a déjà 40 ans. Il n'y a que récemment... au début sous Hollande et puis sous Macron, qu'on a reconnu la responsabilité de la France dans ce massacre. Tout ça, ce sont des choses qui ont mis trop de temps et trop de déni pour disparaître du jour au lendemain. Ce que la France n'avait pas, ce que les dirigeants français n'avaient pas anticipé, c'est que la génération actuelle des jeunes d'aujourd'hui qui n'ont pas vécu tout ça serait la plus véhémente. vis-à-vis de la France, serait la plus hostile au nom de ce que la France a fait d'eux d'une certaine manière, c'est-à-dire on leur a nié la possibilité d'être authentique et d'être souverain et c'est ça qui se joue aujourd'hui comment on reconstruit là-dessus ? Je pense que ça va prendre beaucoup de temps et ça passera sans doute par élargir la focale pas seulement français mais européen et pas seulement Afrique francophone, mais toute l'Afrique. Très significativement, le prochain sommet France-Afrique, il se tient à Nairobi, c'est-à-dire dans un pays anglophone. Et ce sera intéressant de voir ça en 2026, de voir comment on arrive à retisser des liens avec un continent en passant par ceux avec lesquels nous avions le moins de liens. Parce que je pense que beaucoup de pays africains aujourd'hui... soit l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, le Ghana, des pays qui sont aujourd'hui des pays qui comptent en Afrique et qui n'ont pas été colonisés par la France, trouvent dans les relations avec la France un moyen de diversifier leur dépendance et de diversifier leurs relations, et de ne pas être ni dans une dépendance unique vis-à-vis de la Chine, qui est aujourd'hui leur premier partenaire. La Chine est devenue le premier partenaire de quasiment tous les pays d'Afrique, ni vis-à-vis des autres puissances qui sont aujourd'hui en train de chercher à se partager le gâteau africain, que sont aussi bien les États-Unis évidemment, mais la Turquie, même l'Iran, le Japon, l'Inde. Donc ces pays africains qui sont des pays émergents comme le Kenya ou l'Afrique du Sud ou le Nigeria ou le Ghana, cherche auprès des Européens et notamment des Français, où il y a une oreille intéressée aujourd'hui, justement parce que l'Afrique francophone est fermée, pour reconstruire une relation qui permette d'éviter les liens de dépendance. Et ça, c'est une chance pour l'Afrique, si elle arrive à bien jouer de cette multipolarité sur le continent. Et donc la France, elle peut reconstruire une relation à travers cette partie-là. si elle mène à bien cette politique de purge du passé d'un côté et qu'elle reste cohérente dans sa politique étrangère vis-à-vis de l'Afrique. Et ça, les fluctuations que nous voyons venir dans la politique française sont plutôt inquiétantes de ce point de vue-là.
- Speaker #0
Le temps nous presse, mais dernière question très rapidement, parce que c'est un sujet dont on parle peu en France, mais qui est partout dans la presse américaine, la question du Venezuela. De l'opération militaire que Trump fait planer, je sais que le journalisme ce n'est pas de la prédiction, mais est-ce que vous anticipez un risque d'opération réelle ? Vous pensez que l'isolationnisme est le cœur de la doctrine étrangère de Trump ?
- Speaker #1
Je ne crois pas que Trump soit un isolationniste. Il y a des dimensions d'isolationnisme dans sa politique, mais il est aussi un interventionniste. Et ce qu'il fait en Amérique centrale est assez caractéristique. Je pense que Trump est en train de réinventer la doctrine Monroe. La doctrine Monroe, c'était... le président Monroe estimait que tout ce qui concernait le continent américain nord au sud était du domaine de l'Amérique. C'était sa sphère d'influence. Je pense que Trump est en train de réinventer ça, c'est-à-dire que dans sa... politique de rapport de force, il y a aussi le retour à la politique des sphères d'influence. Et c'est d'ailleurs ce qui inquiétait le plus les Européens lorsqu'il y a eu ces tentatives de rapprochement avec Poutine. C'était l'idée que vous avez votre sphère d'influence, vous voulez que l'Ukraine soit dans votre sphère d'influence, on n'en a rien à cirer. Prenez l'Ukraine. Il a cette vision du monde qui est celle des sphères d'influence. Et donc, je pense qu'il est en train d'essayer de déstabiliser, de renverser si possible. le gouvernement vénézuélien d'une manière ou d'une autre, pas forcément avec une guerre généralisée, avec une invasion à l'iraquienne, avec les chars qui vont rouler dans les rues de Caracas, mais en tout cas de faire ce qu'il faudra pour abattre ce régime. Il a en plus une candidate de rêve pour le remplacer, qui est la prix Nobel de la paix à la place de Maduro, qui s'est elle-même offerte. qui a appelé Trump à la rescousse et qui est prête à assumer, y compris une part de déstabilisation militaire. Trump, il ne faut pas l'oublier, a déjà donné le feu vert à la CIA pour mener des actions au Venezuela. Donc on a quelque chose qui ressemble à une politique de déstabilisation à l'ancienne, à ce qu'on a connu autrefois en Amérique latine, lorsque les Américains faisaient la pluie et le beau temps. Et il faut réaliser que Trump, à la fois, il a l'air d'innover dans son approche un peu bandélique, j'allais dire, de la politique étrangère. Et en même temps, il a beaucoup de références du passé. Et c'est assez surprenant parce que lorsqu'il veut, par exemple, faire main basse sur le Groenland, au 19e siècle, on faisait comme ça. L'Alaska a été rachetée aux Russes par les États-Unis. La Louisiane a été rachetée aux Français. par les États-Unis. Ça se faisait comme ça au 19e siècle, on s'en foutait de l'opinion des gens qui y habitaient et on traitait de puissance à puissance. Trump veut revenir à ça. Et pareil quand il dit le Canada doit devenir le 51e État des États-Unis. Mais en 1812, les États-Unis, qui étaient à l'époque composés seulement de 14 États, sont partis en guerre contre ce qu'on appelait les territoires du Nord, c'est-à-dire le Canada d'aujourd'hui, où les Anglais étaient encore la puissance coloniale. Il voulait bouter l'anglais hors du continent américain et il proposait que ses territoires du Nord deviennent le 15e État des États-Unis. Il a de la constance, c'est-à-dire qu'il revient deux siècles en arrière et il propose au Canada de devenir le 51e État. C'est ça qui est remarquable au sens littéral du terme dans Trump, c'est-à-dire qu'il est un homme d'un autre siècle dans sa vision du monde tout en étant un homme d'aujourd'hui avec... la Silicon Valley et le poids de la technologie dans sa démonstration de puissance mondiale. Mais il n'inventerait rien. Il revient à la période d'avant le multilatéralisme, d'avant les droits des peuples, d'avant les Nations Unies, d'avant tout ce qui a été inventé progressivement au XXIe siècle pour essayer de construire un monde un peu plus égalitaire, un peu plus basé sur le droit, etc. Si Trump l'emporte, si la vision de Trump l'emporte, On est dans une régression historique monumentale.
- Speaker #0
Ce sera à moi la fin. Merci beaucoup, Pierre Asty. Je renvoie nos auditeurs à notre dernier épisode. Vous l'aviez évoqué en évoquant la figure de Thomas Sankara avec Joël Télési-Assoco, qui est essayiste et qui a écrit un remarquable serbe intitulé « Enterrez Sankara » .
- Speaker #1
Que j'ai préfacé.
- Speaker #0
C'est vrai que vous avez préfacé. Je remercie Sacha qui nous a aidés sur cet épisode. Je vous souhaite une bonne semaine.
- Speaker #2
Mais le fait de dire qu'il faut un cadre économique ou fiscal plus de 4 races simples ne signifie pas qu'il n'y a pas de différentes façons d'organiser les économies. Si on prend la Côte d'Ivoire et le Maroc, par exemple, qui sont deux pays qui ont connu des évolutions économiques assez intéressantes durant les 15 dernières années, le système bancaire marocain, dans son expansion au sud du Sahara, a été très poussé par le roi Mombatis. C'est un développement qui a connu un succès remarquable, mais qui a été très augmenté par l'exécutif. En Côte d'Ivoire, le gouvernement du président de la Sainte-Montara a été très très libéral sur ce point de vue-là. Il a laissé les banques s'organiser comme elles voulaient, financer les structures d'économie qu'elles voulaient, sans vraiment intervenir là-dessus. Donc à l'intérieur de ce bloc théorique et institutionnel, il y a différents arrangements qui sont possibles. Au Sénégal, le gouvernement du président John Malfay et du Premier ministre Ousmane Sanko évoluent dans ce cadre-là. Je pense que certains se diront... J'ai vu cette critique d'ailleurs sur... A quelques reprises, après d'autres interviews, je t'ai présenté comme une espèce de défenseur du système et compagnie. Donc au moment où j'ai passé ma vie à essayer d'être iconoclaste, me rendre compte que je suis devenu l'incarnation de l'homme du parti, c'est effrayant.