S4E3 - Enterrer Sankara - avec Joël Té-Léssia Assoko cover
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Take Off by Génération Emergents

S4E3 - Enterrer Sankara - avec Joël Té-Léssia Assoko

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40min |10/06/2025
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Description

Dans cet épisode nous recevons Joël Té-Léssia Assoko, journaliste économique, anciennement rédacteur en chef économie de Jeune Afrique.


Joël nous présente son premier essai "Enterrer Sankara". Cet essai, au titre provocateur, propose une critique acerbe de la réactivation du mythe Sankara pour justifier des politiques économiques démagogiques, notamment menées par des régimes militaires sur le continent, menant les pays en question dans l'impasse.


Enterrer Sankara est édité aux éditions Riveneuve


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en partenariat avec l'institut Louis Bachelier et le FINDEVLAB.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de Take Off. Aujourd'hui nous recevons un journaliste et essayiste qui a publié cette année son premier essai, qui fait beaucoup parler de lui, et pour cause il s'intitule « Intéressant Cara » et sous-titré « Intéressant Cara » . essais sur les économies africaines. Ce n'est pas un essai d'histoire, mais bien d'économie politique, et Sankara y évoque essentiellement en écho à la figure tutélaire que se sont choisis les représentants d'un courant néo-souverainiste africain qui a le vent en foule de Niamey à Dakar, en passant par Ouagadougou. Avec des différences importantes, on y reviendra. Vous nous direz aussi quel est le terme selon vous adéquat pour qualifier ce mouvement de pensée. Joël Tédési à Soko, bonjour.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Et pour vous interviewer aujourd'hui, je suis en compagnie d'Emi Rabachérif.

  • Speaker #2

    Bonjour à tous. Alors peut-être en introduction, Joël, vous êtes journaliste économique de formation, analyste des économies africaines. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu votre parcours et pourquoi vous avez choisi d'écrire un essai et comment vous est venu ce thème ?

  • Speaker #0

    Merci pour l'invitation. Je me nomme Joël Tédé, c'est à Soco. Je suis né en Côte d'Ivoire où vit aujourd'hui l'essentiel de ma famille. Mais j'ai fait mes études au Britannique militaire de Saint-Louis. dans le nord du Sénégal, qui est un lycée qui accueille des représentants de différents pays d'Afrique, Mali, Niger, Burkina Faso, Gabon, Côte d'Ivoire évidemment. Et donc, un environnement assez particulier, ça reste un lycée militaire, mais le côté panafricain, la chose était tous marquée jusqu'à présent. Donc ça a donné une approche, une façon de regarder les problématiques dans les pays d'Afrique de façon un peu différente, de sorte que... Je ne me sens pas particulièrement étranger à ce qui se passe dans beaucoup de pays africains parce que j'ai grandi avec des gens qui venaient de ces pays-là. Donc j'ai fait des études en France, en économie, à Sciences Po et à Dauphine. Et ensuite j'ai commencé ma carrière comme journaliste économique à Jeune Afrique où j'ai couvert une multitude de secteurs, de la finance à l'apothèque économique, à la grande industrie parfois, etc. Et j'ai été rédacteur en chef économie entre 2020 et 2022. Et ensuite, en 2023, j'ai quitté le groupe pour me consacrer à cet ouvrage et à une activité de journaliste freelance. Pour l'ouvrage, la raison de l'écrire, je pense que tout s'est informé par les 10 ans de journaliste que j'ai passé à Jeune Afrique. Parce que lorsqu'on est journaliste, on est souvent pris par le flux des événements. C'est telle actue aujourd'hui, telle actue demain, etc. Donc on n'a pas toujours la possibilité de prendre du recul et de... d'essayer de faire sens globalement de quelque chose qui se passe, d'une tendance de fond. Et c'est ce que j'ai constaté par rapport à ce qu'on appellera aujourd'hui le courant, ou en tout cas les héritiers ou les pseudo-héritiers du sans-charisme, un peu largement une certaine vision, on dirait romantique ou un peu aérienne de l'économie. Et je pensais qu'il était nécessaire de prendre un peu le recul pour expliquer ce qui se passait, pourquoi cette vision était dangereuse, et pourquoi les conclusions auxquelles telle vision venait étaient... encore pire que la population du continent.

  • Speaker #1

    Un sujet justement, en parlant d'introduction, c'est un ouvrage d'abord qu'on a trouvé très réussi, à deux qualités, la première c'est d'être accessible, et la deuxième c'est d'être courageux dans le débat actuel. Vous attaquez une sorte de totem de la mémoire africaine qui est Thomas Sankara, qu'est-ce que Sankara représente pour vous au sens de l'ouvrage ? C'est-à-dire quand vous parlez d'enterrer Sankara, quelle partie de l'héritage de Thomas Sankara tel qu'il est relu et vécu par... Ceux qui se décrivent eux-mêmes comme ses héritiers, vous considérez pas en phase avec l'économie actuelle et les perspectives de développement pour les pays africains ?

  • Speaker #0

    Jusqu'à présent, lorsque j'ai fait différentes interviews au sujet de cet autoproject de ma Sankara, j'ai toujours commencé par la partie positive à garder de l'héritage de Sankara, qui est sa compense non très fine de ce qui a fini par être appelé le capital humain, c'est-à-dire la nécessité d'investir dans la santé, dans l'éducation. Je ramènerai les auditeurs à ces autres interventions-là, mais je vais insister sur ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage. Ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage, je l'appelle dans l'ouvrage, je dis que c'est une certaine capacité de dissimulation, mais dans la réalité, c'est ce qu'on appelle en français à courant de l'hypocrisie et de mensonge. Quand je parle d'hypocrisie et de mensonge, je parle simplement du rapport à l'aide internationale. Dans l'ouvrage, j'explique que ce sont des économistes burknaviques qui ont... quand il s'est donné qu'on fait des études que je cite dans l'ouvrage mais durant toutes les années sanghara malgré toutes les gestes et collation à l'onu et devant l'organisation de l'unité africaine sur l'aide la dette et compagnie pendant toutes ces années là le pays au sol jusqu'à 14% de son pib en aide internationale les états unis et la france et donc cette habitude de proclamer quelque chose et en sous-main d'accepter autre chose je trouve c'est pernicieux et ça continue jusqu'à présent lorsqu'on parle des jantes malienne Burkina Faso et compagnie, on retrouve le même phénomène. Aujourd'hui encore ces jeunes vont à Washington négocier avec le FMI et la Banque mondiale pour obtenir des financements. Aujourd'hui encore ces jeunes continuent de négocier avec la Banque centrale et les aides à Foucault de Loos pour obtenir des aménagements. Aujourd'hui encore ces jeunes vont sur le marché régional de Guimauve pour mobiliser des fonds et font des tournées auprès des investisseurs de la zone pour mobiliser des fonds. Et donc deux choses l'une, soit ces jeunes, ces pays, ces régimes ont l'autonomie absolument nécessaire et peuvent vivre en autarcie et faire ce qu'ils veulent. Ils sont soumis comme tout le monde au rêve international, au rêve de la nécessité de lever des fonds pour financer l'économie, pour financer les programmes de gouvernement, pour financer les populations tout simplement. Et donc il faut à un moment donné choisir et dire la vérité. Et cette habitude de mentir sur ce qui est possible de réaliser et ce qui n'est pas réalisable, cette habitude-là, elle est restée. Et je trouve que c'est pernicieux parce que ça encourage une sorte d'aquabonisme, ça encourage le yaka-faucon, ça encourage le mensonge, ça encourage des illusions dans le pays. Et ça c'est un des héritages de Sankara. C'est un de ces états-là qu'il faut définitivement tirer. Je ne dis pas que le mensonge n'existe pas en politique. Depuis Hannah Arendt, on sait que c'est une nécessité de la politique. Mais dans le contexte des pays africains, vu la fragilité des économies africaines, les besoins des populations, je pense que les conséquences sont beaucoup plus délétères qu'ailleurs.

  • Speaker #1

    En jouant justement sur cette figure comme Nubumba, comme Sankara, qui en plus, ayant été coupés dans leur élan, sont totalement propices à l'idéalisation qu'on peut en faire ex post.

  • Speaker #0

    ça joue pour beaucoup parce que... Comment dire ? Le point de départ, c'est que beaucoup de gens observent les réalités économiques africaines et en ressentent de la peine, la frustration et beaucoup de colère dans certains cas. Et à ce moment-là, qu'est-ce qu'on fait ? Il y a différentes façons d'absorber la chose. On peut le faire de façon très sobre, voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, essayer d'anticiper, d'imaginer. d'autres options et l'autre façon c'est de réagir de façon romantique en fait et se dire si on est là c'est parce que telle ou telle option n'a pas été suivie, c'est parce que tel ou tel élan a été interrompu, c'est parce que le Mumba, c'est parce que Sankara, c'est parce que ci, c'est parce que cela oui c'est une façon de le voir je pense que ça ne mène pas à grand chose parce que en filigrane ce qui est dangereux ici c'est que qu'est-ce qu'on est en train de dire exactement en train de dire que les 54, 55 pays du continent sont Le calcul qu'on fait, en 60 ans, on peut imaginer quelques grosses dizaines, peut-être plus d'une centaine de dirigeants pousser des flammes au pays durant cette époque-là. On est en train de dire que tous ces gens-là ont eu tort, ont trahi leur pays, etc. Et les deux seuls, ou le seul qui avait raison, c'est par hasard celui qui était assassiné. Qu'est-ce que ça veut dire en fait ? Des occidentaux, ils tiendraient ce même discours, déresponsabilisant et légèrement infantilisant par rapport au continent. Tout le monde serait absolument horrifié. Mais dès que des Africains le récupèrent et le projettent en disant « On aurait dû suivre Sankara, c'est lui qui avait raison, c'est le soule, etc. » À ce moment-là, ça devient quelque chose de respectable. Je trouve que ce n'est pas respectable du tout. Il y a des choix qui ont été faits à différents moments dans différents pays africains. Des espérances socialistes ont été lancées. Sankara n'est pas le seul à avoir une expérience socialiste dans son pays. Le Bénin, pendant très longtemps, a subi ça. Le Congo, pour sa ville aussi. et surtout que lui est décédé a été tué au bout de quatre ans donc on n'a pas eu le temps d'absorber complètement l'erreur ou les échecs de ce régime-là. Mais au Bénin, on a vu que ça ne marchait pas. Au Camp-Pas-Azur, on a vu que ça ne marchait pas. Donc à Tchankara, les conditions ont fait qu'on n'a pas eu le temps, ou on voit beaucoup de gens n'ont pas eu le temps de voir que le système ne marchait pas. Et donc ça reste.

  • Speaker #1

    Il y a quand même une critique qu'on pourrait vous faire, et après Emile va parler d'économie, mais justement vous parliez du caractère romantique, idéaliste. En fait, pour résumer pour nos auditeurs, on ne peut pas spoiler, mais vous retravaillez en fait le concept de souveraineté. Vous expliquez que la souveraineté, ce n'est pas du tout l'espèce de nationalisme cocardier et un peu militariste d'un certain nombre de régimes. C'est en fait l'indépendance. Et l'indépendance, elle a comme moyen le développement économique. Et donc, ce qu'il faut, c'est maximiser et faire ce qui marche pour le développement économique. Et c'est ça ce qui est de nature à servir les populations. Mais quelle place... On pourrait en tout cas vous faire un procès en matérialisme. Quelle place vous donnez au non-économique ? Et notamment, ce qu'il y a beaucoup plus dans la geste sans carriène, pour reprendre l'expression que vous utilisez dans votre ouvrage, c'est une forme de... de libération individuelle, de formation de la conscience nationale, d'un élan d'un peuple qui prend main à son destinée. Évidemment, tout ça, c'est un peu esthétique, mais c'est volontairement mis en récit et en roman par ces dirigeants-là. C'est assez dur, y compris avec des gens comme Félouine Sarr, etc., considérant en fait la même chose, considérant qu'ils ont des propos qui sont intelligents sur les plateaux télé, etc. qui n'ont aucune réalité matérielle pour le développement économique. Comment procéder le reste, ce qui n'est pas économique, dans le rôle d'un dirigeant ?

  • Speaker #0

    Si on prend un exemple comme celui de Barack Obama aux États-Unis, il est complètement possible d'inspirer des gens sans commettre des hérésies économiques. Il est complètement possible d'organiser les populations, de les mener à aspirer à quelque chose de positif, sans se mettre à rêver, dans le mauvais sens du terme en tout cas, et imaginer des choses qui ne sont pas possibles. Je pense que dans le domaine agricole, par exemple, lorsqu'on pense aux zones rurales dans notre pays, lorsqu'on pense au décalage qu'il y a entre les zones urbaines et les zones rurales, la possibilité de faire aspirer une bonne partie de la population rural dans notre pays à de meilleurs niveaux de vie, à une autonomie individuelle, en fait. Parce que c'est ce qui vient avec la croissance économique, sa capacité, l'autonomie individuelle. Pour la famille, pour soi-même, pour s'épanouir, etc. Je pense qu'il est entièrement possible. Le mobilisant discours qui parle à ces populations-là, sans qu'on se mette à inventer des ennemis d'interrogues de l'extérieur, sans qu'on se mette à prévoir ou à proclamer ou à proposer la destruction des parties les plus productives de l'économie.

  • Speaker #2

    Dans ce collage, vous évoquez notamment le rôle des institutions et les acquis de l'économie du développement en termes de climat des affaires, de cadre politique inclusif, d'importance de l'État de droit et d'attirer des flux de capitaux étrangers. En ce sens, ça fait énormément écho à toute la théorie économique développée notamment par Assemoglu et Robinson qui ont remporté récemment le plus Nobel d'économie, et vous expliquer en quoi la conception qu'on a évoquée depuis tout à l'heure des néo-souverainistes n'est pas une pensée économique raisonnable. Mais est-ce que vous pouvez développer un peu sur ce que vous proposez, et expliquer pourquoi toute la théorie économique qu'on a développée, qu'on a commencé à mettre en place après la libéralisation, notamment des pays africains dont on parle à la fin des années 90, n'a pas marché ?

  • Speaker #0

    Je ne me retache pas de la pensée de l'âme de départ en fait. Je ne considère pas que ça n'a pas marché, comme vous dites.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est sous l'angle, en tout cas, que s'il y a une demande politique et une popularité de ces idées-là, c'est que les prédécesseurs n'ont pas eu un succès transcendant.

  • Speaker #0

    Justement, c'est très important ce que vous soulevez, parce que quelle est la mesure de ce succès ? Dans l'ouvrage, je parle de l'Amérique latine. Il y a un sous-chapitre qui s'intitule « Qu'est-ce que vous avez contre Costa Rica ? » où j'ai expliqué, en fait, en 20 ans à peu près, la productivité économique du pays. la production par habitant accrue de quelque chose comme 20 ou 30 000 dollars et par ricochet, en parallèle, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 12% à moins de 1% de la population. Et donc si on fait mon râteau population, le fait que demain en Côte d'Ivoire on vivra au niveau de vie de la Belgique ou du Luxembourg, je pense qu'à cette Ausha, évidemment, n'importe quelle politique économique peut être jugée comme un échec. Mais si on prend sur une voie relativement longue, Encore une fois, j'estime qu'il y a eu des progrès assez importants dans beaucoup de pays. La situation au Sahel, évidemment, n'est pas terrible, comme disait Jeune, mais dans la réalité, si on fait en point de parler relativement, depuis les années 90, les années 2000, il y a eu des progrès assez importants. Ils ne sont pas assez, ils ne sont pas suffisants, mais parce que la situation du départ n'était pas terrible. On oublie encore une fois le contexte dans lequel les dernières... disons la dernière génération a grandi, on oublie le contexte précédent, on oublie encore une fois les expériences qui n'ont pas marché, on oublie les gentes militaires qui ont détruit les économies, on oublie des décisions, des choix, on a dit que l'économie n'était pas terrible et donc la base n'était pas solide. Mais si on prend, en tenant compte de cette base-là, je pense qu'il y a eu des progrès assez importants qui ont été réalisés. On peut considérer que toute cette approche, soit néo-institutionnelle, sur la consolidation des institutions, etc. C'est un prochain... n'a pas eu le succès radical qu'on aurait pu espérer, soit, mais il y a eu des progrès. Et je pense que cette impatience, elle est justifiée, mais elle ne doit pas tout justifier. Elle ne doit pas justifier non plus des ruptures, justifier des méthodes qui ne fonctionnent pas, justifier une sorte d'onérisme en matière économique qui se fait au détenant de la population. Donc évidemment, encore une fois, je suis en train de dire que... tout va bien, c'est formidable, etc. et que venir vivre au Burundi, c'est le paradis. C'est pas ce que je suis en train d'expliquer. Mais il y a eu des progrès quand même qui sont remarquables. Et encore une fois, lorsqu'on descend un peu, lorsqu'on quitte cette façon de raisonner en Afrique globale, etc. et qu'on entre dans le détail, de la Côte d'Ivoire au Botswana au Rwanda au Kenya en Ouganda, il y a beaucoup de pays où matériellement, la vie économique, la vie individuelle est beaucoup plus productive, beaucoup plus saine, beaucoup plus stable, beaucoup plus productive et beaucoup plus horrifiée aujourd'hui qu'elle l'était il y a une génération.

  • Speaker #2

    Dans la critique que l'on fait du modèle qu'on vient d'évoquer et que vous considérez qui marche dans une certaine mesure, il y a la figure toujours de l'ancienne puissance coloniatrice, alors c'est beaucoup plus vrai dans les pays francophones qu'anglophones, mais quand bien même. Et dans votre ouvrage, vous dites « il y a bien des oppositions dans les débats économiques africains qui, sans leur rapport à la colonisation, paraîtraient absurdes » . Donc ce sont les anticolonialistes qui, selon vous, sont encore bloqués dans un logiciel colonial, là où il s'agit d'être eux. postcolonial, c'est-à-dire de penser par soi-même pour décoloniser les esprits. Donc, lorsqu'on compare, pour schématiser la position d'un Kémy Séba, dont l'ensemble du discours, en tout cas dans une grande majorité, s'oppose à l'ancienne puissance colonisatrice face aux réalisations d'un homme politique comme Patrice Talon, pour vous, la personne qui serait encore colonisée serait plutôt Kémy Séba que Patrice Talon.

  • Speaker #0

    Absolument, oui. Quand je dis que c'était dangereux, je le pense fondamentalement. Je donne des exemples dans mon ouvrage, mais si on prend la question du commerce international et de l'accès des pays africains au marché européen. Vous êtes jeunes, moi je me souviens de l'époque, c'était la renégociation des accords de Cotonou et Lomé, c'était l'année 2010, il y avait cette renégociation-là, et on a demandé aux pays africains de signer un nouvel accord avec l'Union Européenne. pour perpétuer leur accès au marché européen. C'est quelques taxes, quelques taux de douane qui allaient évoluer, etc. Et ça a été présenté comme étant une sorte de néocolonialisme. Les gens se sont mobilisés à l'époque en disant qu'on est contre l'unio-esclavagisme de l'Union européenne, etc. Les gens se sont mobilisés avec une violence, en disant que l'unio-esclavagisme était extraordinairement dur. Il y a un artiste sénégalais que j'admire. Didier Awadik a fait toute une chanson « Non ne signe pas » et c'était donc une faute de mobilisation pour ça. Et ensuite, on a passé à autre chose. Les têtes ont été signées, il n'y a pas eu plus de grenouilles tombées sur le continent, le lit n'est pas devenu tout rouge, voilà, la vie a continué. Ça s'est passé. Aujourd'hui, l'Union Européenne est en train de mettre une nouvelle politique, une taxe carbone à la frontière, pour essayer d'équilibrer un peu ce que... Bruxelles considère qu'on est en déséquilibre entre les règles vertes que l'Europe respecte en son sein et la façon dont les produits importés sont justement produits. Mais ça peut avoir des effets absolument catastrophiques pour beaucoup de pays d'Afrique. Du secteur automobile au Maroc, au Nafo du Sud, à l'exportation de biens dans le domaine agricole justement, et de biens intermédiaires. parce que dans beaucoup de nos pays, la production électrique est encore très carbonée. Cette règle carbone à la frontière n'est pas bien dosée, ça peut avoir des effets absolument désastreux sur nos économies. Mais ceux qui étaient mobilisés hier contre le nouveau esclavagisme, parce qu'il y a eu une modification de 2, 3, 4% du droit de douane sur tel ou tel produit, etc., aujourd'hui sont silencieux. Parce que d'un côté c'est facile, c'est facile de se mobiliser sur le détail, de l'autre, entrer dans le concret des choses et aller lire les textes. les analyser concrètement et voir ce que ça change pour la population africaine. Ça demande du temps, ça demande du travail, ça demande de l'énergie. Ils n'ont pas le temps pour ça. Et donc, cette façon-là de détourner le regard, de mobiliser la population sur l'accessoire, d'être absent quand on est dans une chambre de bataille, lorsque le danger est réel, cette façon-là, moi, je la trouve absolument insupportable. Absolument insupportable. Et donc, une chose est d'arriver, de brûler un billet de France CFA devant la foule à Dakar, de se faire applaudir par les vannes de pieds et les désœuvrés qui traînent là. Une autre chose, c'est de développer une politique économique cohérente pour un pays. Et dans le cas du BNES, on peut dire ce qu'on veut. Je ne suis pas partisan de telle ou telle personne. Honnêtement, je suis indifférent à beaucoup d'entre eux. Mais dans le cas du BNES, ce qu'ils sont arrivés à faire, ce qu'ils sont arrivés à faire en mobilisant, en étant le premier pays africain à émettre de la dette durable à des taux qui sont très faibles, pour pouvoir continuer à financer l'économie, ça a demandé un travail hyper précieux, hyper... beaucoup de diligence pour arriver à ça. Et ils sont arrivés. Ça demande du travail. Ça demande l'attention. Et ça demande une vision. et c'est quand même autre chose que d'aller à... mobiliser des émotions sans direction et sans but.

  • Speaker #1

    Justement, pour revenir sur Bruxelles, vous évoquez, c'est pas du tout central dans le bouquin, mais vous évoquez rapidement aussi ce paradoxe d'un discours néo-souverainiste, donc à la fois centré aux sciences propres et à la nation, et compris avec les institutions militaires, et en même temps qui se veut très panafricain, donc au niveau du continent, et qui est en même temps très, et ça c'est un point commun de tous ces régimes, qui a une grande défiance, j'ai vu, de toutes les organisations communautaire, qu'elle soit au niveau continental ou sous-régional, qui sont vus comme des institutions qui sont oligarchiques, qui briment l'expression populaire et qui seraient, comme vous disiez, des espèces de suppôts de l'occident cachés. Est-ce que, selon vous, c'est une forme de paradoxe qui s'explique très prosaïquement par le fait que personne, y compris en Europe, n'aime les règles communautaires et le cadre communautaire et donc que c'est une espèce de rhetoric un peu populiste facile ? Ou est-ce qu'il n'y a quand même pas quelque chose de plus profond dans la volonté d'une autre intégration régionale, un peu une espèce de retour à l'organisation de l'unité africaine, qui est moins normatif mais qui est plus portée par un élan ?

  • Speaker #0

    Ce qui a changé entre l'OEA et l'organisation de l'unité africaine et l'Union africaine, La première était portée par la politique. Il y avait... l'Union Européenne était essentiellement politique à partir de... du Népal à partir des années 2000, la vision est beaucoup plus économique, dans une forme de modernité, dans le domaine économique, en tout cas l'adoption des mots de passe, des méthodes, des théories qui étaient en vigueur ailleurs. Mais à partir du moment où ce déplacement a été fait, je pense qu'il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population. Il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population, il était beaucoup plus difficile de réaliser quoi que ce soit d'ailleurs. L'Océan africain qui est paralysé, il y a eu une nouvelle élection, il y a eu un nouveau... au président de la commission. Est-ce qu'il pourra changer les choses ? Je ne sais pas. Mais dans les faits, il y a de vraies contradictions, je pense, entre ce qui se passe au niveau du CEL aujourd'hui. On a un ensemble de pays qui arrivent et qui, en principe, défendent une vision pas panafricaine ou panafricaniste, ou avocat son panafricaniste de l'économie, des interactions des États. Et la première chose qu'ils font, c'est de détruire une organisation régionale et d'encourager d'autres pays à les rejoindre dans cette aventure. La réaction des pays de la CEDEAO pour moi était toujours très mesurée jusqu'à présent. Des décisions beaucoup plus sévères auraient pu être prises, ça aurait été au détriment de la population, je pense que c'est la raison pour laquelle ça n'a pas été fait, mais il y a quelque chose de fondamentalement contradictoire entre défendre l'unité africaine et en même temps détruire l'une des organisations régionales les plus efficaces de la zone. On l'oublie, mais aujourd'hui dans toute la zone CEDEAO, il est possible de se débasser avec son passeport national sans visa. Ce n'est pas le cas dans beaucoup de zones du continent, malgré le départ de ces pays-là. les frontières sont restées ouvertes. On n'a pas interdit, les pays qui sont restés n'ont pas interdit aux sortissants des départements de refuser l'accès aux facilités qui existaient avant. Donc il y a une vraie contradiction, je pense, et cette contradiction-là est simplement due au fait qu'il faut trouver un bon commissaire. Et comme vous disiez tout à l'heure, personne ne se bat pour l'Union africaine, et personne ne se bat pour la CDAO. Les gens se battent encore contre l'Union économique et monétaire ou assafouiquaine, mais c'est parce qu'ils se battent contre le franc CFA, mais la personne qui se lève tous les matins en disant « Dieu soit loué, la baissière est à Dakar » , donc il y a personne qui le fait. Donc quelque part, c'est beaucoup facile d'obliger les gens contre ça. Mais je ne suis pas certain qu'on mesure à quel point ce sera difficile de faire revenir ces pays dans la zone si le décalage actuel persiste longtemps, parce que les autres avancent. Il y a de nouvelles normes qui vont être créées, il y a de nouveaux protocoles, il y a de nouveaux... D'accord, il y a de nouveaux programmes de développement qui vont être lancés, dont ils seront exclus. Après les réintégrer, ça ne sera pas aussi simple que ça. Au final, il y a une perte nette pour tout le monde, mais la cause de cette perte nette-là sont les jeunes sahéliens.

  • Speaker #1

    Peut-être qu'on a évoqué le pédant, le totem de Thomas Sankara, pour reprendre le titre de Freud. Le tabou aussi, qui est vraiment central et qui traverse un peu l'ouvrage, c'est la question autoritaire. Le régime Sankara, c'est un régime qui... voulait révolutionnaire et qui aspirait, en tout cas dans son discours, à la démocratie directe et réelle, mais qui, sur ce chemin-là, se permettait à un cadre de direction qui serait considéré aujourd'hui comme autoritaire. Est-ce que l'instrumentalisation de ce discours, dans le cas de cette figure, elle a vocation essentiellement dans les rhétoriques de ceux qui s'en veulent les héritiers, à justifier leur propre cadre autoritaire ? Et est-ce qu'il n'y a pas là, pour le coup, l'expression d'une grande diversité ? Parce que, de ce point de vue-là, sur la question démocratique, ça n'a rien à voir. au sens où il est... Le président de Jamal Khair, ils ont été élus démocratiquement, ils ont été opposants politiques, ils ont rentré dans le genre d'institution, et dans le cas, il y a un coup d'établissement. Donc, il y a quand même un héritage chancarien qui est vécu très différemment sur cette question-là, parmi tous ceux qui se veulent ses héritiers.

  • Speaker #0

    Je sais que certains héritiers de Sankara ont présenté Sanko comme étant un des leurs. Est-ce que lui a revendiqué ouvertement cet héritage ? Je ne sais pas. Après, il y a les dernières portions, on n'est pas obligé de dire telle ou telle chose pour avoir une portion, un discours qui ressemble à cela. Comment dire ? On parlait tout à l'heure au début de l'émission, lorsqu'on évoquait la question économique, et j'ai insisté sur le fait qu'il y avait eu des progrès quand même, et qu'il fallait trouver la bande du jeu, et ne pas viser nécessairement des standards qui n'étaient pas accessibles. Je pense qu'il y a une vraie déception démocratique sur le continent. Même dans les jeunes générations et les sondages qui sont faits par Afro-Bahramato, etc., en tout cas au sud du Sahara, il y a un vrai, je ne veux pas un rejet, mais une profonde déception par rapport... aux régimes démocratiques. Parce que, il y a une partie de rhétorique, il y a une partie de difficulté économique réelle, et beaucoup de gens se disent, bah oui, pourquoi pas. Pourquoi pas une autre façon de gouverner, pourquoi pas un autre modèle. Et j'ai une vision très, très, très dure des jeunes militaires et des coups d'État de façon générale. Je n'approche pas des coups d'État, c'est aussi basique que ça. C'est parce que je viens de Côte d'Ivoire et que j'ai vu ce qui s'est passé après le coup de TEC 99, après les tentatives de coup d'État de 2002, la partition du pays, etc. Ça laisse les conditions dans lesquelles le conflit s'est achevé en 2011. Et tout ça m'a quelque part... Vacciné un peu contre les coups d'État si je peux le dire, et j'ai grandi dans la frise des années 90. Pour les plus jeunes, vous ne savez pas ce que c'est, mais à l'époque, c'était le Liberia, la Sierra Leone, le Rwanda, c'était des choses épouvantables tout le temps à la télévision. Donc j'arrive en ayant ce background-là, et donc je me dis des alternances démocratiques, même si elles sont imparfaites, même si la promesse économique n'est pas tenue, c'est toujours mieux que... que ce que moi j'ai vu en grandissant. Je pense que le rapport est différent, mais la déception démocratique est réelle. Et je pense que si on prend ce qui se passe en Guinée aujourd'hui, avec, après le coup de l'État, etc., le nouveau régime, je pense que je ne serais pas étonné que la popularité de ce régime soit réelle. Le régime du président Alpha Condé était vieillissant, il n'y avait plus l'énergie qu'il fallait, son successeur. et arriver à négocier les contrats dans le secteur minier, il l'a fait correctement, pas en nationalisant les actifs, mais en embauchant des avocats qui ont négocié. Ça a coûté cher, mais ils ne sont pas revenus. Il a commencé à faire des changements dans l'économie, même dans la politique du pays, en réorganisant les partis politiques. Ça peut paraître assez antidémocratique vu comme ça, mais lorsqu'on sait qu'il y avait des dizaines et des dizaines de partis qui n'avaient à peu près aucune réalité politique, mais qui existaient comme plateforme pour tel ou tel autre. pour forcer la modernisation de ces régimes, de ce système de partis qui n'étaient pas plus mal. Donc, cette tolérance pour les voies autoritaires est réelle. À mon avis, c'est une erreur, mais c'est réel. Et il faut tenir compte de ce que la population veut. Et je pense que beaucoup d'oppositions dans beaucoup de pays du continent auraient intérêt à prendre ce qui s'est passé au Sahel au sérieux. C'est-à-dire que si l'alternance démocratique, si la proposition de l'opposition n'est pas forte, il est entièrement possible que ce soit des régimes militaires qui prennent le relais. On l'a vu au Gabon, par exemple. C'était un coup à l'intérieur du clan au pouvoir, mais ça reste quand même une transition avec une opposition qui n'était pas au niveau. Un gouvernement qui n'était pas au niveau, une opposition qui n'était pas au niveau, ça laisse la place aux militaires. Et je pense que beaucoup au Sahel et ailleurs, ils jouent là-dessus.

  • Speaker #2

    Comme vous le dites, c'est des régimes qui, quand on prend le cas du Gabon, le cas de la Guinée... sont assez populaires, mais comment on conjugue donc à la fois la popularité de ces régimes quasi autoritaires et qui en plus sont arrivés par des coups d'État, et ce que vous avez vu un peu plus tôt, la déception vis-à-vis de la démocratie, la façon dont la démocratie a été appliquée dans ces pays-là ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'une bonne partie de ces difficultés tirent aux oppositions. En Côte d'Ivoire, on peut réaliser ce qui se passe aujourd'hui, il est très probable que l'opposant à la Sénatare va se représenter. Tout le monde admet qu'en 2020, il voulait vraiment partir et prendre sa retraite. Mais le décès de Madhuban Koulibaly, son dauphin désigné, a changé les choses. Mais l'opposition en Côte d'Ivoire est aujourd'hui incapable de construire un front uni. C'est un gouvernement qui est là depuis 15 ans maintenant, depuis 2010, qui est là depuis 15 ans maintenant, qui a accompli beaucoup de choses, mais il y a aussi des critiques à mener. Et si l'opposition n'arrive pas à proposer une alternative logique... et cohérente et on peut retrouver ça dans beaucoup d'autres pays. Évidemment, la population reste dans l'idée, la perception qu'il n'y a pas d'alternative. Il faut poser une alternative aux gens, une alternative qui soit crédible et c'est seulement à partir de là qu'on peut présenter la démocratie comme quelque chose qui fonctionne, comme quelque chose qui soit solide. Au Sénégal, c'est le cas en fait. L'alternative proposée par Ousmane Sonko, c'est ce qu'on veut de séparation d'économie, mais c'était une alternative qui était crédible. et qui a été approuvé par la population, non seulement après l'élection du premier tour, mais aussi avec le vote législatif qui leur a donné une majorité écrasante. Mais s'il n'y a pas d'alternative proposée par l'opposition, la déception est ancrée et le déni de la démocratie, ou une trilogie de la démocratie comme système politique crédible, ce déni-là persiste.

  • Speaker #2

    Pour reprendre un autre thème, on va aborder les valeurs occidentales et ce qu'elles représentent dans le discours des régimes dont on parle depuis tout à l'heure. Vous parlez dans votre livre de « Réputation imprécise des valeurs occidentales » et pour citer Achille Mbembe, la stratégie du bouc émissaire. Qu'est-ce que l'Occident représente dans ce discours et à quoi ces régimes s'opposent-ils ? Et quand on parle des régimes, on parle aussi évidemment des populations qui les soutiennent.

  • Speaker #0

    Je ne suis pas la meilleure personne à qui poser la question, parce que c'est ceux qui rejettent l'Occident qui doivent expliquer exactement ce qu'ils rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent à l'intérieur, en fait ? Le christianisme ? Le français ? Il faut qu'ils me disent exactement ce qu'ils rejettent, parce que je parle en ouvrage, mais j'ai vu des discours passés qui m'ont scotché. Je parle de Claudicier, l'animateur de RFI, qui, après le coup d'État au Niger, a écrit tant de textes enflammés sur... LinkedIn, je pense qu'ils demandaient à Jacques Attali et d'autres de laisser les Africains commettre leurs erreurs parce que l'homme africain n'est pas un occidental, il a son propre univers, patati patata, et on va laisser les Africains créer un régime qui nous ressemble. Il en dit à Colissia, qu'est-ce qu'il a à voir avec l'Afrique en fait ? Qui nous ressemble encore ? Mais ce genre de...

  • Speaker #1

    Dans l'imprécision, vous entendez vraiment une confusion et derrière un propos qui est incompréhensible.

  • Speaker #0

    Ils ne disent pas exactement ce qu'ils rejettent. Est-ce qu'ils rejettent les libertés accordées aux personnes LGBT en Occident ? Il y a beaucoup de gens sur le continent qui rejettent ces libertés-là. Il n'y a pas que eux. Aux États-Unis, en Europe, partout, en Europe centrale, en Amérique latine, il y a aussi des gens qui les rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent exactement ? Est-ce qu'ils rejettent la démocratie ? Et donc, dans ce cas, qu'est-ce qu'ils proposent ? Un autoritarisme ? sans frein, sans limite ? Est-ce qu'il rejette la langue française ? Est-ce qu'il rejette l'économie moderne ? Est-ce qu'il rejette juste le français femme et approuve le reste ? Qu'est-ce qu'il rejette exactement, en fait ? Il faut qu'il nous dise ce qu'il rejette. Et je pense que c'est très facile de rester dans cette imprécision. Parce que cette imprécision permet de ne pas trancher exactement. Parce que s'il disait très clairement on est ouvertement contre la démocratie et on veut le régime à la poutine, Ok, mais qu'ils le disent exactement. Alors que ce qui se passe, c'est que vous restez dans cette rhétorique floue parce que ça permet de dénoncer tout et n'importe quoi, de ne jamais rien proposer de spécifique et qu'il soit réfutable.

  • Speaker #2

    Il y a quand même un élément, et on arrive à la fin de l'interview et ça revoucle un peu avec la question des miennes tout à l'heure, mais il y a une expression où vous dites en fait, les Africains se trompent de colère. Et donc si on se trompe de colère, c'est qu'il y a une colère légitime qu'on peut exprimer. Et malgré tout, peut-être... C'est là où je pense qu'on aurait pu rajouter un chapitre à l'ouvrage, mais moi ça aurait dilué le propos. Mais c'est que malgré tout, dans ce qui a été proposé, il y a eu une trajectoire de développement économique qui a été plutôt réussie dans plein de pays. Mais il y a un niveau d'inégalité qui est extrêmement important. Il y a des régimes qui ont l'apparence d'une démocratie, mais qui sont assez oligarchiques et qui concentrent les richesses. Il y a un niveau de fiscalité sur les plus fortunés qui, en moyenne, déficitent de concurrence. Et donc, on comprend que, en tout cas, je pense qu'il faut faire attention à ne pas exprimer que nous, du point de vue qui est le vôtre, la même idée que « there is no alternative » . Et qu'un centre de régime comme Ousmane Sonko, auprès de l'inspiration, comme vous le citez dans le bouquin, en Amérique du Sud, chez Lula, chez Kirchner, chez Modi, ça participe du débat démocratique sain entre différentes options politiques. J'ai l'impression que dans votre ouvrage, il y a deux propos. Il y a un propos sur la nécessité d'un débat de qualité. contre les régimes autoritaires, etc. Et puis par ailleurs, il y a un souple texte qui veut dire qu'en fait, ce débat a un peu déjà été tranché par les équipes d'économie et développement, qu'on sait comment ça fonctionne, il faut des bonnes institutions, qu'il y ait des affaires, et puis tout roule.

  • Speaker #0

    Oui, évidemment vous avez raison de pointer le danger, le péril du raisonnement alternatif, qui est à mon avis aussi dangereux que d'avoir des gendres militaires au pouvoir. Donc ça, je comprends très bien. Mais le fait de dire qu'il faut un cadre économique ou fiscal public et racial ne signifie pas qu'il n'y a pas de différentes façons d'organiser les économies. Si on prend la Côte d'Ivoire et le Maroc, par exemple, qui sont deux pays qui ont connu des évolutions économiques assez intéressantes durant les 15 dernières années, le système bancaire marocain dans son expansion au sud du Sahara a été très poussé par le roi Mohamed VI. C'était sa vision. encouragé, il a fait tout ce qu'il pouvait pour que les gouvernements successifs, la banque centrale, le secteur privé, etc. aillent dans cette direction. C'est un développement qui a connu un succès remarquable, mais qui a été très augmenté par l'exécutif. En Côte d'Ivoire, le gouvernement du président de la Sainte-Ventara a été très, très libéral sur ce point de vue-là. Il a laissé les banques s'organiser comme elles voulaient, financer les structures d'économie qu'elles voulaient, sans vraiment intervenir là-dessus, parce que, quelque part, il a considéré que c'était pas le boulot du gouvernement et que l'État avait d'autres priorités que ça. Donc à l'intérieur de ce bloc théorique et institutionnel, il y a différents arrangements qui sont possibles. Au Sénégal, le gouvernement de présence du Maïfai et du Premier ministre Ousmane Sanko évoluent dans ce cadre-là. S'ils ont tenté de renégocier aujourd'hui dans le secteur pétro-gazier, ils le font à l'intérieur du cadre légal, institutionnel, etc. Ils ont demandé des audits. des dépenses qui ont été réalisées par les développeurs du projet Sangomar parce que quelque part ils ont très bien compris qu'une des façons qu'ont les multinationales, je ne dis pas que c'est le cas là, je prends la grande profonde profonde diffamation, mais une des façons qu'ont les multinationales de... En général. En général, exactement. Une façon qu'ont ces multinationales là de ne pas payer leur contribution exacte aux finances publiques, c'est de passer par des transactions entre leurs filiales. et donc de surfaturer certaines dépenses. Et ce que le président du Maïfai et son gouvernement ont demandé à une commission d'audit de faire, c'est d'aller vraiment concrètement et de vérifier ce que Woodside Petroleum a vraiment dépensé pour son projet au Sénégal. Je pense que certains se diront... J'ai vu cette critique d'ailleurs à quelques reprises après d'autres interviews, etc. Grosso modo, je t'ai présenté comme une espèce de défenseur du système accompagné. Quelqu'un qui a passé ma vie à essayer d'être iconoclaste. Me rendre compte que je suis devenu l'incarnation de l'homme du parti, c'est effrayant.

  • Speaker #2

    C'est un système dont vous avez peu profité d'ailleurs, donc c'est quand même dommage.

  • Speaker #0

    Exactement, quitte à être accusé de corruption, autant que j'ai eu les bénéfices de la corruption, on n'a vraiment même pas en fait. Non, il y a différentes façons d'organiser les choses. Et je pense que ceux qui insistent sur l'erreur radicale le font en grande partie parce que proposer une alternative qui soit crédible demande du temps, demande la patience. et de prendre le risque de décevoir la population. Et parfois, rester dans l'invective, et on prend le cas de Kimmich et de sa compagnie dans cette prostituée vélitaire-là, c'est peut-être beaucoup plus simple à organiser que de présenter un vrai programme pour la réforme de l'éducation, ou du statut des enseignants, ou de la retraite du secteur public, qui sont de vrais projets d'importance et qui sont parmi les choses les plus ennuyeuses qu'on puisse imaginer, mais il faut que quelqu'un le fasse. Et je pense que beaucoup de gens n'ont pas envie de s'atteler à ça.

  • Speaker #1

    En question de conclusion, on va continuer un peu dans la lignée de votre réponse. Votre récit, il est très intéressant. Il fait une critique bien précise de cette nouvelle vague de néo-souverainisme africain. Mais aussi, ça part du consulat que cette vague prend dans la jeunesse africaine, qu'elle a une matérialisation politique. Face à ça, vous opposez la construction d'un programme économique et politique bien réfléchi, qui prend du temps, comme vous le dites, mais comment est-ce qu'on répond, comment est-ce qu'on rend ces programmes-là, une fois qu'ils sont construits, populaires, et comment on y fait adhérer les populations ?

  • Speaker #0

    Déjà, j'ai eu mal avec cette forme de néo-séloanisme qui consiste à faire défiler des populations et des drapeaux russes. Si c'est pour s'éloigner d'un régiment, pour en adopter un autre, je ne vois pas très bien en quoi il y a eu... une progression, si c'est pas passer de vie à da. Je vois pas très bien la progression en tant que telle. Donc avoir besoin de protecteurs systématiques, je pense que c'est une preuve de faiblesse. Comment est-ce qu'on fait adhérer les populations à une réalité économique qui peut être un peu plus morose ? Déjà, faire en sorte que la réalité économique ne soit pas aussi morose. Dire très clairement ce qui est en train de changer, et je pense que dans beaucoup de pays africains, on ne le fait pas. C'est assez étonnant d'ailleurs, parce que dans le cas de la Côte d'Ivoire que j'évoque, lorsqu'on regarde concrètement ce qui a changé en termes de payés par habitant, en termes de productivité économique, en termes même de réductions de la pauvreté, etc., on a des résultats qui sont remarquables, mais sur lesquels je ne crois pas que le gouvernement insiste assez. Je pense qu'une des raisons pour cela, c'est le syndrome costaricain dont j'ai parlé tout à l'heure. Tout le monde voit à peu près la distance qu'il y a, l'étantitude des problèmes, etc., ce qui fait qu'on ne peut pas vraiment célébrer.

  • Speaker #2

    Il y a aussi le fait que quand vous dites, c'est un truc classique en politique, mais quand le taux de pauvreté a diminué, vous dites, on est passé de 15 à 10%, les 5% qui sont sortis de la pauvreté, ils sont déjà au courant, et les 10% qui y sont encore, ça les intéresse assez peu de savoir qu'ils sont sortis.

  • Speaker #0

    Exactement. Si quelqu'un a des problèmes de la santé, on peut vivre avec son cancer pendant 15, 20 ans, mais personne ne s'en revient parce qu'à la fin du cancer, on meurt. C'est très difficile de se réjouir des problèmes. Je pense qu'on peut faire aller la population à partir du moment où on dit la vérité. Et dans le cas du Sénégal, le programme défendu par Jemma et Fass est un programme avec lequel on ne peut pas être d'accord, mais qui était basé sur une lecture de l'économie et de la situation du pays qui était ancrée dans le réel. Les remèdes me semblent absolument à côté de la plaque, mais ça c'est mon avis. Mais le diagnostic était réel. Et je pense que dans beaucoup de pays, si le diagnostic est réel, la population peut adhérer. Mais encore une fois, je pense que le point de base commence par le point de dire la vérité aux populations. voici ce qu'il est possible de réaliser, voici ce qu'on ne peut pas réaliser. A part que si on ne dit pas ça, on ouvre la porte à toutes sortes de rêves, à toutes sortes d'imaginations débridées et complètement décorrélées du réel. Et cette imagination-là, ces aspirations-là, par définition, seront détruites par la réalité, ne pourront pas se réaliser. Et ça encourage la population à une forme de cynisme et de régler la démocratie comme étant quelque chose qui ne marche jamais, parce que ça ne délivre jamais. mais ça ne l'est pas parce que ce qui est promis est détaché du réel. Merci beaucoup. Merci.

  • Speaker #2

    Merci, Emile. Merci,

  • Speaker #0

    je vous signe.

Description

Dans cet épisode nous recevons Joël Té-Léssia Assoko, journaliste économique, anciennement rédacteur en chef économie de Jeune Afrique.


Joël nous présente son premier essai "Enterrer Sankara". Cet essai, au titre provocateur, propose une critique acerbe de la réactivation du mythe Sankara pour justifier des politiques économiques démagogiques, notamment menées par des régimes militaires sur le continent, menant les pays en question dans l'impasse.


Enterrer Sankara est édité aux éditions Riveneuve


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en partenariat avec l'institut Louis Bachelier et le FINDEVLAB.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de Take Off. Aujourd'hui nous recevons un journaliste et essayiste qui a publié cette année son premier essai, qui fait beaucoup parler de lui, et pour cause il s'intitule « Intéressant Cara » et sous-titré « Intéressant Cara » . essais sur les économies africaines. Ce n'est pas un essai d'histoire, mais bien d'économie politique, et Sankara y évoque essentiellement en écho à la figure tutélaire que se sont choisis les représentants d'un courant néo-souverainiste africain qui a le vent en foule de Niamey à Dakar, en passant par Ouagadougou. Avec des différences importantes, on y reviendra. Vous nous direz aussi quel est le terme selon vous adéquat pour qualifier ce mouvement de pensée. Joël Tédési à Soko, bonjour.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Et pour vous interviewer aujourd'hui, je suis en compagnie d'Emi Rabachérif.

  • Speaker #2

    Bonjour à tous. Alors peut-être en introduction, Joël, vous êtes journaliste économique de formation, analyste des économies africaines. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu votre parcours et pourquoi vous avez choisi d'écrire un essai et comment vous est venu ce thème ?

  • Speaker #0

    Merci pour l'invitation. Je me nomme Joël Tédé, c'est à Soco. Je suis né en Côte d'Ivoire où vit aujourd'hui l'essentiel de ma famille. Mais j'ai fait mes études au Britannique militaire de Saint-Louis. dans le nord du Sénégal, qui est un lycée qui accueille des représentants de différents pays d'Afrique, Mali, Niger, Burkina Faso, Gabon, Côte d'Ivoire évidemment. Et donc, un environnement assez particulier, ça reste un lycée militaire, mais le côté panafricain, la chose était tous marquée jusqu'à présent. Donc ça a donné une approche, une façon de regarder les problématiques dans les pays d'Afrique de façon un peu différente, de sorte que... Je ne me sens pas particulièrement étranger à ce qui se passe dans beaucoup de pays africains parce que j'ai grandi avec des gens qui venaient de ces pays-là. Donc j'ai fait des études en France, en économie, à Sciences Po et à Dauphine. Et ensuite j'ai commencé ma carrière comme journaliste économique à Jeune Afrique où j'ai couvert une multitude de secteurs, de la finance à l'apothèque économique, à la grande industrie parfois, etc. Et j'ai été rédacteur en chef économie entre 2020 et 2022. Et ensuite, en 2023, j'ai quitté le groupe pour me consacrer à cet ouvrage et à une activité de journaliste freelance. Pour l'ouvrage, la raison de l'écrire, je pense que tout s'est informé par les 10 ans de journaliste que j'ai passé à Jeune Afrique. Parce que lorsqu'on est journaliste, on est souvent pris par le flux des événements. C'est telle actue aujourd'hui, telle actue demain, etc. Donc on n'a pas toujours la possibilité de prendre du recul et de... d'essayer de faire sens globalement de quelque chose qui se passe, d'une tendance de fond. Et c'est ce que j'ai constaté par rapport à ce qu'on appellera aujourd'hui le courant, ou en tout cas les héritiers ou les pseudo-héritiers du sans-charisme, un peu largement une certaine vision, on dirait romantique ou un peu aérienne de l'économie. Et je pensais qu'il était nécessaire de prendre un peu le recul pour expliquer ce qui se passait, pourquoi cette vision était dangereuse, et pourquoi les conclusions auxquelles telle vision venait étaient... encore pire que la population du continent.

  • Speaker #1

    Un sujet justement, en parlant d'introduction, c'est un ouvrage d'abord qu'on a trouvé très réussi, à deux qualités, la première c'est d'être accessible, et la deuxième c'est d'être courageux dans le débat actuel. Vous attaquez une sorte de totem de la mémoire africaine qui est Thomas Sankara, qu'est-ce que Sankara représente pour vous au sens de l'ouvrage ? C'est-à-dire quand vous parlez d'enterrer Sankara, quelle partie de l'héritage de Thomas Sankara tel qu'il est relu et vécu par... Ceux qui se décrivent eux-mêmes comme ses héritiers, vous considérez pas en phase avec l'économie actuelle et les perspectives de développement pour les pays africains ?

  • Speaker #0

    Jusqu'à présent, lorsque j'ai fait différentes interviews au sujet de cet autoproject de ma Sankara, j'ai toujours commencé par la partie positive à garder de l'héritage de Sankara, qui est sa compense non très fine de ce qui a fini par être appelé le capital humain, c'est-à-dire la nécessité d'investir dans la santé, dans l'éducation. Je ramènerai les auditeurs à ces autres interventions-là, mais je vais insister sur ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage. Ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage, je l'appelle dans l'ouvrage, je dis que c'est une certaine capacité de dissimulation, mais dans la réalité, c'est ce qu'on appelle en français à courant de l'hypocrisie et de mensonge. Quand je parle d'hypocrisie et de mensonge, je parle simplement du rapport à l'aide internationale. Dans l'ouvrage, j'explique que ce sont des économistes burknaviques qui ont... quand il s'est donné qu'on fait des études que je cite dans l'ouvrage mais durant toutes les années sanghara malgré toutes les gestes et collation à l'onu et devant l'organisation de l'unité africaine sur l'aide la dette et compagnie pendant toutes ces années là le pays au sol jusqu'à 14% de son pib en aide internationale les états unis et la france et donc cette habitude de proclamer quelque chose et en sous-main d'accepter autre chose je trouve c'est pernicieux et ça continue jusqu'à présent lorsqu'on parle des jantes malienne Burkina Faso et compagnie, on retrouve le même phénomène. Aujourd'hui encore ces jeunes vont à Washington négocier avec le FMI et la Banque mondiale pour obtenir des financements. Aujourd'hui encore ces jeunes continuent de négocier avec la Banque centrale et les aides à Foucault de Loos pour obtenir des aménagements. Aujourd'hui encore ces jeunes vont sur le marché régional de Guimauve pour mobiliser des fonds et font des tournées auprès des investisseurs de la zone pour mobiliser des fonds. Et donc deux choses l'une, soit ces jeunes, ces pays, ces régimes ont l'autonomie absolument nécessaire et peuvent vivre en autarcie et faire ce qu'ils veulent. Ils sont soumis comme tout le monde au rêve international, au rêve de la nécessité de lever des fonds pour financer l'économie, pour financer les programmes de gouvernement, pour financer les populations tout simplement. Et donc il faut à un moment donné choisir et dire la vérité. Et cette habitude de mentir sur ce qui est possible de réaliser et ce qui n'est pas réalisable, cette habitude-là, elle est restée. Et je trouve que c'est pernicieux parce que ça encourage une sorte d'aquabonisme, ça encourage le yaka-faucon, ça encourage le mensonge, ça encourage des illusions dans le pays. Et ça c'est un des héritages de Sankara. C'est un de ces états-là qu'il faut définitivement tirer. Je ne dis pas que le mensonge n'existe pas en politique. Depuis Hannah Arendt, on sait que c'est une nécessité de la politique. Mais dans le contexte des pays africains, vu la fragilité des économies africaines, les besoins des populations, je pense que les conséquences sont beaucoup plus délétères qu'ailleurs.

  • Speaker #1

    En jouant justement sur cette figure comme Nubumba, comme Sankara, qui en plus, ayant été coupés dans leur élan, sont totalement propices à l'idéalisation qu'on peut en faire ex post.

  • Speaker #0

    ça joue pour beaucoup parce que... Comment dire ? Le point de départ, c'est que beaucoup de gens observent les réalités économiques africaines et en ressentent de la peine, la frustration et beaucoup de colère dans certains cas. Et à ce moment-là, qu'est-ce qu'on fait ? Il y a différentes façons d'absorber la chose. On peut le faire de façon très sobre, voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, essayer d'anticiper, d'imaginer. d'autres options et l'autre façon c'est de réagir de façon romantique en fait et se dire si on est là c'est parce que telle ou telle option n'a pas été suivie, c'est parce que tel ou tel élan a été interrompu, c'est parce que le Mumba, c'est parce que Sankara, c'est parce que ci, c'est parce que cela oui c'est une façon de le voir je pense que ça ne mène pas à grand chose parce que en filigrane ce qui est dangereux ici c'est que qu'est-ce qu'on est en train de dire exactement en train de dire que les 54, 55 pays du continent sont Le calcul qu'on fait, en 60 ans, on peut imaginer quelques grosses dizaines, peut-être plus d'une centaine de dirigeants pousser des flammes au pays durant cette époque-là. On est en train de dire que tous ces gens-là ont eu tort, ont trahi leur pays, etc. Et les deux seuls, ou le seul qui avait raison, c'est par hasard celui qui était assassiné. Qu'est-ce que ça veut dire en fait ? Des occidentaux, ils tiendraient ce même discours, déresponsabilisant et légèrement infantilisant par rapport au continent. Tout le monde serait absolument horrifié. Mais dès que des Africains le récupèrent et le projettent en disant « On aurait dû suivre Sankara, c'est lui qui avait raison, c'est le soule, etc. » À ce moment-là, ça devient quelque chose de respectable. Je trouve que ce n'est pas respectable du tout. Il y a des choix qui ont été faits à différents moments dans différents pays africains. Des espérances socialistes ont été lancées. Sankara n'est pas le seul à avoir une expérience socialiste dans son pays. Le Bénin, pendant très longtemps, a subi ça. Le Congo, pour sa ville aussi. et surtout que lui est décédé a été tué au bout de quatre ans donc on n'a pas eu le temps d'absorber complètement l'erreur ou les échecs de ce régime-là. Mais au Bénin, on a vu que ça ne marchait pas. Au Camp-Pas-Azur, on a vu que ça ne marchait pas. Donc à Tchankara, les conditions ont fait qu'on n'a pas eu le temps, ou on voit beaucoup de gens n'ont pas eu le temps de voir que le système ne marchait pas. Et donc ça reste.

  • Speaker #1

    Il y a quand même une critique qu'on pourrait vous faire, et après Emile va parler d'économie, mais justement vous parliez du caractère romantique, idéaliste. En fait, pour résumer pour nos auditeurs, on ne peut pas spoiler, mais vous retravaillez en fait le concept de souveraineté. Vous expliquez que la souveraineté, ce n'est pas du tout l'espèce de nationalisme cocardier et un peu militariste d'un certain nombre de régimes. C'est en fait l'indépendance. Et l'indépendance, elle a comme moyen le développement économique. Et donc, ce qu'il faut, c'est maximiser et faire ce qui marche pour le développement économique. Et c'est ça ce qui est de nature à servir les populations. Mais quelle place... On pourrait en tout cas vous faire un procès en matérialisme. Quelle place vous donnez au non-économique ? Et notamment, ce qu'il y a beaucoup plus dans la geste sans carriène, pour reprendre l'expression que vous utilisez dans votre ouvrage, c'est une forme de... de libération individuelle, de formation de la conscience nationale, d'un élan d'un peuple qui prend main à son destinée. Évidemment, tout ça, c'est un peu esthétique, mais c'est volontairement mis en récit et en roman par ces dirigeants-là. C'est assez dur, y compris avec des gens comme Félouine Sarr, etc., considérant en fait la même chose, considérant qu'ils ont des propos qui sont intelligents sur les plateaux télé, etc. qui n'ont aucune réalité matérielle pour le développement économique. Comment procéder le reste, ce qui n'est pas économique, dans le rôle d'un dirigeant ?

  • Speaker #0

    Si on prend un exemple comme celui de Barack Obama aux États-Unis, il est complètement possible d'inspirer des gens sans commettre des hérésies économiques. Il est complètement possible d'organiser les populations, de les mener à aspirer à quelque chose de positif, sans se mettre à rêver, dans le mauvais sens du terme en tout cas, et imaginer des choses qui ne sont pas possibles. Je pense que dans le domaine agricole, par exemple, lorsqu'on pense aux zones rurales dans notre pays, lorsqu'on pense au décalage qu'il y a entre les zones urbaines et les zones rurales, la possibilité de faire aspirer une bonne partie de la population rural dans notre pays à de meilleurs niveaux de vie, à une autonomie individuelle, en fait. Parce que c'est ce qui vient avec la croissance économique, sa capacité, l'autonomie individuelle. Pour la famille, pour soi-même, pour s'épanouir, etc. Je pense qu'il est entièrement possible. Le mobilisant discours qui parle à ces populations-là, sans qu'on se mette à inventer des ennemis d'interrogues de l'extérieur, sans qu'on se mette à prévoir ou à proclamer ou à proposer la destruction des parties les plus productives de l'économie.

  • Speaker #2

    Dans ce collage, vous évoquez notamment le rôle des institutions et les acquis de l'économie du développement en termes de climat des affaires, de cadre politique inclusif, d'importance de l'État de droit et d'attirer des flux de capitaux étrangers. En ce sens, ça fait énormément écho à toute la théorie économique développée notamment par Assemoglu et Robinson qui ont remporté récemment le plus Nobel d'économie, et vous expliquer en quoi la conception qu'on a évoquée depuis tout à l'heure des néo-souverainistes n'est pas une pensée économique raisonnable. Mais est-ce que vous pouvez développer un peu sur ce que vous proposez, et expliquer pourquoi toute la théorie économique qu'on a développée, qu'on a commencé à mettre en place après la libéralisation, notamment des pays africains dont on parle à la fin des années 90, n'a pas marché ?

  • Speaker #0

    Je ne me retache pas de la pensée de l'âme de départ en fait. Je ne considère pas que ça n'a pas marché, comme vous dites.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est sous l'angle, en tout cas, que s'il y a une demande politique et une popularité de ces idées-là, c'est que les prédécesseurs n'ont pas eu un succès transcendant.

  • Speaker #0

    Justement, c'est très important ce que vous soulevez, parce que quelle est la mesure de ce succès ? Dans l'ouvrage, je parle de l'Amérique latine. Il y a un sous-chapitre qui s'intitule « Qu'est-ce que vous avez contre Costa Rica ? » où j'ai expliqué, en fait, en 20 ans à peu près, la productivité économique du pays. la production par habitant accrue de quelque chose comme 20 ou 30 000 dollars et par ricochet, en parallèle, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 12% à moins de 1% de la population. Et donc si on fait mon râteau population, le fait que demain en Côte d'Ivoire on vivra au niveau de vie de la Belgique ou du Luxembourg, je pense qu'à cette Ausha, évidemment, n'importe quelle politique économique peut être jugée comme un échec. Mais si on prend sur une voie relativement longue, Encore une fois, j'estime qu'il y a eu des progrès assez importants dans beaucoup de pays. La situation au Sahel, évidemment, n'est pas terrible, comme disait Jeune, mais dans la réalité, si on fait en point de parler relativement, depuis les années 90, les années 2000, il y a eu des progrès assez importants. Ils ne sont pas assez, ils ne sont pas suffisants, mais parce que la situation du départ n'était pas terrible. On oublie encore une fois le contexte dans lequel les dernières... disons la dernière génération a grandi, on oublie le contexte précédent, on oublie encore une fois les expériences qui n'ont pas marché, on oublie les gentes militaires qui ont détruit les économies, on oublie des décisions, des choix, on a dit que l'économie n'était pas terrible et donc la base n'était pas solide. Mais si on prend, en tenant compte de cette base-là, je pense qu'il y a eu des progrès assez importants qui ont été réalisés. On peut considérer que toute cette approche, soit néo-institutionnelle, sur la consolidation des institutions, etc. C'est un prochain... n'a pas eu le succès radical qu'on aurait pu espérer, soit, mais il y a eu des progrès. Et je pense que cette impatience, elle est justifiée, mais elle ne doit pas tout justifier. Elle ne doit pas justifier non plus des ruptures, justifier des méthodes qui ne fonctionnent pas, justifier une sorte d'onérisme en matière économique qui se fait au détenant de la population. Donc évidemment, encore une fois, je suis en train de dire que... tout va bien, c'est formidable, etc. et que venir vivre au Burundi, c'est le paradis. C'est pas ce que je suis en train d'expliquer. Mais il y a eu des progrès quand même qui sont remarquables. Et encore une fois, lorsqu'on descend un peu, lorsqu'on quitte cette façon de raisonner en Afrique globale, etc. et qu'on entre dans le détail, de la Côte d'Ivoire au Botswana au Rwanda au Kenya en Ouganda, il y a beaucoup de pays où matériellement, la vie économique, la vie individuelle est beaucoup plus productive, beaucoup plus saine, beaucoup plus stable, beaucoup plus productive et beaucoup plus horrifiée aujourd'hui qu'elle l'était il y a une génération.

  • Speaker #2

    Dans la critique que l'on fait du modèle qu'on vient d'évoquer et que vous considérez qui marche dans une certaine mesure, il y a la figure toujours de l'ancienne puissance coloniatrice, alors c'est beaucoup plus vrai dans les pays francophones qu'anglophones, mais quand bien même. Et dans votre ouvrage, vous dites « il y a bien des oppositions dans les débats économiques africains qui, sans leur rapport à la colonisation, paraîtraient absurdes » . Donc ce sont les anticolonialistes qui, selon vous, sont encore bloqués dans un logiciel colonial, là où il s'agit d'être eux. postcolonial, c'est-à-dire de penser par soi-même pour décoloniser les esprits. Donc, lorsqu'on compare, pour schématiser la position d'un Kémy Séba, dont l'ensemble du discours, en tout cas dans une grande majorité, s'oppose à l'ancienne puissance colonisatrice face aux réalisations d'un homme politique comme Patrice Talon, pour vous, la personne qui serait encore colonisée serait plutôt Kémy Séba que Patrice Talon.

  • Speaker #0

    Absolument, oui. Quand je dis que c'était dangereux, je le pense fondamentalement. Je donne des exemples dans mon ouvrage, mais si on prend la question du commerce international et de l'accès des pays africains au marché européen. Vous êtes jeunes, moi je me souviens de l'époque, c'était la renégociation des accords de Cotonou et Lomé, c'était l'année 2010, il y avait cette renégociation-là, et on a demandé aux pays africains de signer un nouvel accord avec l'Union Européenne. pour perpétuer leur accès au marché européen. C'est quelques taxes, quelques taux de douane qui allaient évoluer, etc. Et ça a été présenté comme étant une sorte de néocolonialisme. Les gens se sont mobilisés à l'époque en disant qu'on est contre l'unio-esclavagisme de l'Union européenne, etc. Les gens se sont mobilisés avec une violence, en disant que l'unio-esclavagisme était extraordinairement dur. Il y a un artiste sénégalais que j'admire. Didier Awadik a fait toute une chanson « Non ne signe pas » et c'était donc une faute de mobilisation pour ça. Et ensuite, on a passé à autre chose. Les têtes ont été signées, il n'y a pas eu plus de grenouilles tombées sur le continent, le lit n'est pas devenu tout rouge, voilà, la vie a continué. Ça s'est passé. Aujourd'hui, l'Union Européenne est en train de mettre une nouvelle politique, une taxe carbone à la frontière, pour essayer d'équilibrer un peu ce que... Bruxelles considère qu'on est en déséquilibre entre les règles vertes que l'Europe respecte en son sein et la façon dont les produits importés sont justement produits. Mais ça peut avoir des effets absolument catastrophiques pour beaucoup de pays d'Afrique. Du secteur automobile au Maroc, au Nafo du Sud, à l'exportation de biens dans le domaine agricole justement, et de biens intermédiaires. parce que dans beaucoup de nos pays, la production électrique est encore très carbonée. Cette règle carbone à la frontière n'est pas bien dosée, ça peut avoir des effets absolument désastreux sur nos économies. Mais ceux qui étaient mobilisés hier contre le nouveau esclavagisme, parce qu'il y a eu une modification de 2, 3, 4% du droit de douane sur tel ou tel produit, etc., aujourd'hui sont silencieux. Parce que d'un côté c'est facile, c'est facile de se mobiliser sur le détail, de l'autre, entrer dans le concret des choses et aller lire les textes. les analyser concrètement et voir ce que ça change pour la population africaine. Ça demande du temps, ça demande du travail, ça demande de l'énergie. Ils n'ont pas le temps pour ça. Et donc, cette façon-là de détourner le regard, de mobiliser la population sur l'accessoire, d'être absent quand on est dans une chambre de bataille, lorsque le danger est réel, cette façon-là, moi, je la trouve absolument insupportable. Absolument insupportable. Et donc, une chose est d'arriver, de brûler un billet de France CFA devant la foule à Dakar, de se faire applaudir par les vannes de pieds et les désœuvrés qui traînent là. Une autre chose, c'est de développer une politique économique cohérente pour un pays. Et dans le cas du BNES, on peut dire ce qu'on veut. Je ne suis pas partisan de telle ou telle personne. Honnêtement, je suis indifférent à beaucoup d'entre eux. Mais dans le cas du BNES, ce qu'ils sont arrivés à faire, ce qu'ils sont arrivés à faire en mobilisant, en étant le premier pays africain à émettre de la dette durable à des taux qui sont très faibles, pour pouvoir continuer à financer l'économie, ça a demandé un travail hyper précieux, hyper... beaucoup de diligence pour arriver à ça. Et ils sont arrivés. Ça demande du travail. Ça demande l'attention. Et ça demande une vision. et c'est quand même autre chose que d'aller à... mobiliser des émotions sans direction et sans but.

  • Speaker #1

    Justement, pour revenir sur Bruxelles, vous évoquez, c'est pas du tout central dans le bouquin, mais vous évoquez rapidement aussi ce paradoxe d'un discours néo-souverainiste, donc à la fois centré aux sciences propres et à la nation, et compris avec les institutions militaires, et en même temps qui se veut très panafricain, donc au niveau du continent, et qui est en même temps très, et ça c'est un point commun de tous ces régimes, qui a une grande défiance, j'ai vu, de toutes les organisations communautaire, qu'elle soit au niveau continental ou sous-régional, qui sont vus comme des institutions qui sont oligarchiques, qui briment l'expression populaire et qui seraient, comme vous disiez, des espèces de suppôts de l'occident cachés. Est-ce que, selon vous, c'est une forme de paradoxe qui s'explique très prosaïquement par le fait que personne, y compris en Europe, n'aime les règles communautaires et le cadre communautaire et donc que c'est une espèce de rhetoric un peu populiste facile ? Ou est-ce qu'il n'y a quand même pas quelque chose de plus profond dans la volonté d'une autre intégration régionale, un peu une espèce de retour à l'organisation de l'unité africaine, qui est moins normatif mais qui est plus portée par un élan ?

  • Speaker #0

    Ce qui a changé entre l'OEA et l'organisation de l'unité africaine et l'Union africaine, La première était portée par la politique. Il y avait... l'Union Européenne était essentiellement politique à partir de... du Népal à partir des années 2000, la vision est beaucoup plus économique, dans une forme de modernité, dans le domaine économique, en tout cas l'adoption des mots de passe, des méthodes, des théories qui étaient en vigueur ailleurs. Mais à partir du moment où ce déplacement a été fait, je pense qu'il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population. Il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population, il était beaucoup plus difficile de réaliser quoi que ce soit d'ailleurs. L'Océan africain qui est paralysé, il y a eu une nouvelle élection, il y a eu un nouveau... au président de la commission. Est-ce qu'il pourra changer les choses ? Je ne sais pas. Mais dans les faits, il y a de vraies contradictions, je pense, entre ce qui se passe au niveau du CEL aujourd'hui. On a un ensemble de pays qui arrivent et qui, en principe, défendent une vision pas panafricaine ou panafricaniste, ou avocat son panafricaniste de l'économie, des interactions des États. Et la première chose qu'ils font, c'est de détruire une organisation régionale et d'encourager d'autres pays à les rejoindre dans cette aventure. La réaction des pays de la CEDEAO pour moi était toujours très mesurée jusqu'à présent. Des décisions beaucoup plus sévères auraient pu être prises, ça aurait été au détriment de la population, je pense que c'est la raison pour laquelle ça n'a pas été fait, mais il y a quelque chose de fondamentalement contradictoire entre défendre l'unité africaine et en même temps détruire l'une des organisations régionales les plus efficaces de la zone. On l'oublie, mais aujourd'hui dans toute la zone CEDEAO, il est possible de se débasser avec son passeport national sans visa. Ce n'est pas le cas dans beaucoup de zones du continent, malgré le départ de ces pays-là. les frontières sont restées ouvertes. On n'a pas interdit, les pays qui sont restés n'ont pas interdit aux sortissants des départements de refuser l'accès aux facilités qui existaient avant. Donc il y a une vraie contradiction, je pense, et cette contradiction-là est simplement due au fait qu'il faut trouver un bon commissaire. Et comme vous disiez tout à l'heure, personne ne se bat pour l'Union africaine, et personne ne se bat pour la CDAO. Les gens se battent encore contre l'Union économique et monétaire ou assafouiquaine, mais c'est parce qu'ils se battent contre le franc CFA, mais la personne qui se lève tous les matins en disant « Dieu soit loué, la baissière est à Dakar » , donc il y a personne qui le fait. Donc quelque part, c'est beaucoup facile d'obliger les gens contre ça. Mais je ne suis pas certain qu'on mesure à quel point ce sera difficile de faire revenir ces pays dans la zone si le décalage actuel persiste longtemps, parce que les autres avancent. Il y a de nouvelles normes qui vont être créées, il y a de nouveaux protocoles, il y a de nouveaux... D'accord, il y a de nouveaux programmes de développement qui vont être lancés, dont ils seront exclus. Après les réintégrer, ça ne sera pas aussi simple que ça. Au final, il y a une perte nette pour tout le monde, mais la cause de cette perte nette-là sont les jeunes sahéliens.

  • Speaker #1

    Peut-être qu'on a évoqué le pédant, le totem de Thomas Sankara, pour reprendre le titre de Freud. Le tabou aussi, qui est vraiment central et qui traverse un peu l'ouvrage, c'est la question autoritaire. Le régime Sankara, c'est un régime qui... voulait révolutionnaire et qui aspirait, en tout cas dans son discours, à la démocratie directe et réelle, mais qui, sur ce chemin-là, se permettait à un cadre de direction qui serait considéré aujourd'hui comme autoritaire. Est-ce que l'instrumentalisation de ce discours, dans le cas de cette figure, elle a vocation essentiellement dans les rhétoriques de ceux qui s'en veulent les héritiers, à justifier leur propre cadre autoritaire ? Et est-ce qu'il n'y a pas là, pour le coup, l'expression d'une grande diversité ? Parce que, de ce point de vue-là, sur la question démocratique, ça n'a rien à voir. au sens où il est... Le président de Jamal Khair, ils ont été élus démocratiquement, ils ont été opposants politiques, ils ont rentré dans le genre d'institution, et dans le cas, il y a un coup d'établissement. Donc, il y a quand même un héritage chancarien qui est vécu très différemment sur cette question-là, parmi tous ceux qui se veulent ses héritiers.

  • Speaker #0

    Je sais que certains héritiers de Sankara ont présenté Sanko comme étant un des leurs. Est-ce que lui a revendiqué ouvertement cet héritage ? Je ne sais pas. Après, il y a les dernières portions, on n'est pas obligé de dire telle ou telle chose pour avoir une portion, un discours qui ressemble à cela. Comment dire ? On parlait tout à l'heure au début de l'émission, lorsqu'on évoquait la question économique, et j'ai insisté sur le fait qu'il y avait eu des progrès quand même, et qu'il fallait trouver la bande du jeu, et ne pas viser nécessairement des standards qui n'étaient pas accessibles. Je pense qu'il y a une vraie déception démocratique sur le continent. Même dans les jeunes générations et les sondages qui sont faits par Afro-Bahramato, etc., en tout cas au sud du Sahara, il y a un vrai, je ne veux pas un rejet, mais une profonde déception par rapport... aux régimes démocratiques. Parce que, il y a une partie de rhétorique, il y a une partie de difficulté économique réelle, et beaucoup de gens se disent, bah oui, pourquoi pas. Pourquoi pas une autre façon de gouverner, pourquoi pas un autre modèle. Et j'ai une vision très, très, très dure des jeunes militaires et des coups d'État de façon générale. Je n'approche pas des coups d'État, c'est aussi basique que ça. C'est parce que je viens de Côte d'Ivoire et que j'ai vu ce qui s'est passé après le coup de TEC 99, après les tentatives de coup d'État de 2002, la partition du pays, etc. Ça laisse les conditions dans lesquelles le conflit s'est achevé en 2011. Et tout ça m'a quelque part... Vacciné un peu contre les coups d'État si je peux le dire, et j'ai grandi dans la frise des années 90. Pour les plus jeunes, vous ne savez pas ce que c'est, mais à l'époque, c'était le Liberia, la Sierra Leone, le Rwanda, c'était des choses épouvantables tout le temps à la télévision. Donc j'arrive en ayant ce background-là, et donc je me dis des alternances démocratiques, même si elles sont imparfaites, même si la promesse économique n'est pas tenue, c'est toujours mieux que... que ce que moi j'ai vu en grandissant. Je pense que le rapport est différent, mais la déception démocratique est réelle. Et je pense que si on prend ce qui se passe en Guinée aujourd'hui, avec, après le coup de l'État, etc., le nouveau régime, je pense que je ne serais pas étonné que la popularité de ce régime soit réelle. Le régime du président Alpha Condé était vieillissant, il n'y avait plus l'énergie qu'il fallait, son successeur. et arriver à négocier les contrats dans le secteur minier, il l'a fait correctement, pas en nationalisant les actifs, mais en embauchant des avocats qui ont négocié. Ça a coûté cher, mais ils ne sont pas revenus. Il a commencé à faire des changements dans l'économie, même dans la politique du pays, en réorganisant les partis politiques. Ça peut paraître assez antidémocratique vu comme ça, mais lorsqu'on sait qu'il y avait des dizaines et des dizaines de partis qui n'avaient à peu près aucune réalité politique, mais qui existaient comme plateforme pour tel ou tel autre. pour forcer la modernisation de ces régimes, de ce système de partis qui n'étaient pas plus mal. Donc, cette tolérance pour les voies autoritaires est réelle. À mon avis, c'est une erreur, mais c'est réel. Et il faut tenir compte de ce que la population veut. Et je pense que beaucoup d'oppositions dans beaucoup de pays du continent auraient intérêt à prendre ce qui s'est passé au Sahel au sérieux. C'est-à-dire que si l'alternance démocratique, si la proposition de l'opposition n'est pas forte, il est entièrement possible que ce soit des régimes militaires qui prennent le relais. On l'a vu au Gabon, par exemple. C'était un coup à l'intérieur du clan au pouvoir, mais ça reste quand même une transition avec une opposition qui n'était pas au niveau. Un gouvernement qui n'était pas au niveau, une opposition qui n'était pas au niveau, ça laisse la place aux militaires. Et je pense que beaucoup au Sahel et ailleurs, ils jouent là-dessus.

  • Speaker #2

    Comme vous le dites, c'est des régimes qui, quand on prend le cas du Gabon, le cas de la Guinée... sont assez populaires, mais comment on conjugue donc à la fois la popularité de ces régimes quasi autoritaires et qui en plus sont arrivés par des coups d'État, et ce que vous avez vu un peu plus tôt, la déception vis-à-vis de la démocratie, la façon dont la démocratie a été appliquée dans ces pays-là ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'une bonne partie de ces difficultés tirent aux oppositions. En Côte d'Ivoire, on peut réaliser ce qui se passe aujourd'hui, il est très probable que l'opposant à la Sénatare va se représenter. Tout le monde admet qu'en 2020, il voulait vraiment partir et prendre sa retraite. Mais le décès de Madhuban Koulibaly, son dauphin désigné, a changé les choses. Mais l'opposition en Côte d'Ivoire est aujourd'hui incapable de construire un front uni. C'est un gouvernement qui est là depuis 15 ans maintenant, depuis 2010, qui est là depuis 15 ans maintenant, qui a accompli beaucoup de choses, mais il y a aussi des critiques à mener. Et si l'opposition n'arrive pas à proposer une alternative logique... et cohérente et on peut retrouver ça dans beaucoup d'autres pays. Évidemment, la population reste dans l'idée, la perception qu'il n'y a pas d'alternative. Il faut poser une alternative aux gens, une alternative qui soit crédible et c'est seulement à partir de là qu'on peut présenter la démocratie comme quelque chose qui fonctionne, comme quelque chose qui soit solide. Au Sénégal, c'est le cas en fait. L'alternative proposée par Ousmane Sonko, c'est ce qu'on veut de séparation d'économie, mais c'était une alternative qui était crédible. et qui a été approuvé par la population, non seulement après l'élection du premier tour, mais aussi avec le vote législatif qui leur a donné une majorité écrasante. Mais s'il n'y a pas d'alternative proposée par l'opposition, la déception est ancrée et le déni de la démocratie, ou une trilogie de la démocratie comme système politique crédible, ce déni-là persiste.

  • Speaker #2

    Pour reprendre un autre thème, on va aborder les valeurs occidentales et ce qu'elles représentent dans le discours des régimes dont on parle depuis tout à l'heure. Vous parlez dans votre livre de « Réputation imprécise des valeurs occidentales » et pour citer Achille Mbembe, la stratégie du bouc émissaire. Qu'est-ce que l'Occident représente dans ce discours et à quoi ces régimes s'opposent-ils ? Et quand on parle des régimes, on parle aussi évidemment des populations qui les soutiennent.

  • Speaker #0

    Je ne suis pas la meilleure personne à qui poser la question, parce que c'est ceux qui rejettent l'Occident qui doivent expliquer exactement ce qu'ils rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent à l'intérieur, en fait ? Le christianisme ? Le français ? Il faut qu'ils me disent exactement ce qu'ils rejettent, parce que je parle en ouvrage, mais j'ai vu des discours passés qui m'ont scotché. Je parle de Claudicier, l'animateur de RFI, qui, après le coup d'État au Niger, a écrit tant de textes enflammés sur... LinkedIn, je pense qu'ils demandaient à Jacques Attali et d'autres de laisser les Africains commettre leurs erreurs parce que l'homme africain n'est pas un occidental, il a son propre univers, patati patata, et on va laisser les Africains créer un régime qui nous ressemble. Il en dit à Colissia, qu'est-ce qu'il a à voir avec l'Afrique en fait ? Qui nous ressemble encore ? Mais ce genre de...

  • Speaker #1

    Dans l'imprécision, vous entendez vraiment une confusion et derrière un propos qui est incompréhensible.

  • Speaker #0

    Ils ne disent pas exactement ce qu'ils rejettent. Est-ce qu'ils rejettent les libertés accordées aux personnes LGBT en Occident ? Il y a beaucoup de gens sur le continent qui rejettent ces libertés-là. Il n'y a pas que eux. Aux États-Unis, en Europe, partout, en Europe centrale, en Amérique latine, il y a aussi des gens qui les rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent exactement ? Est-ce qu'ils rejettent la démocratie ? Et donc, dans ce cas, qu'est-ce qu'ils proposent ? Un autoritarisme ? sans frein, sans limite ? Est-ce qu'il rejette la langue française ? Est-ce qu'il rejette l'économie moderne ? Est-ce qu'il rejette juste le français femme et approuve le reste ? Qu'est-ce qu'il rejette exactement, en fait ? Il faut qu'il nous dise ce qu'il rejette. Et je pense que c'est très facile de rester dans cette imprécision. Parce que cette imprécision permet de ne pas trancher exactement. Parce que s'il disait très clairement on est ouvertement contre la démocratie et on veut le régime à la poutine, Ok, mais qu'ils le disent exactement. Alors que ce qui se passe, c'est que vous restez dans cette rhétorique floue parce que ça permet de dénoncer tout et n'importe quoi, de ne jamais rien proposer de spécifique et qu'il soit réfutable.

  • Speaker #2

    Il y a quand même un élément, et on arrive à la fin de l'interview et ça revoucle un peu avec la question des miennes tout à l'heure, mais il y a une expression où vous dites en fait, les Africains se trompent de colère. Et donc si on se trompe de colère, c'est qu'il y a une colère légitime qu'on peut exprimer. Et malgré tout, peut-être... C'est là où je pense qu'on aurait pu rajouter un chapitre à l'ouvrage, mais moi ça aurait dilué le propos. Mais c'est que malgré tout, dans ce qui a été proposé, il y a eu une trajectoire de développement économique qui a été plutôt réussie dans plein de pays. Mais il y a un niveau d'inégalité qui est extrêmement important. Il y a des régimes qui ont l'apparence d'une démocratie, mais qui sont assez oligarchiques et qui concentrent les richesses. Il y a un niveau de fiscalité sur les plus fortunés qui, en moyenne, déficitent de concurrence. Et donc, on comprend que, en tout cas, je pense qu'il faut faire attention à ne pas exprimer que nous, du point de vue qui est le vôtre, la même idée que « there is no alternative » . Et qu'un centre de régime comme Ousmane Sonko, auprès de l'inspiration, comme vous le citez dans le bouquin, en Amérique du Sud, chez Lula, chez Kirchner, chez Modi, ça participe du débat démocratique sain entre différentes options politiques. J'ai l'impression que dans votre ouvrage, il y a deux propos. Il y a un propos sur la nécessité d'un débat de qualité. contre les régimes autoritaires, etc. Et puis par ailleurs, il y a un souple texte qui veut dire qu'en fait, ce débat a un peu déjà été tranché par les équipes d'économie et développement, qu'on sait comment ça fonctionne, il faut des bonnes institutions, qu'il y ait des affaires, et puis tout roule.

  • Speaker #0

    Oui, évidemment vous avez raison de pointer le danger, le péril du raisonnement alternatif, qui est à mon avis aussi dangereux que d'avoir des gendres militaires au pouvoir. Donc ça, je comprends très bien. Mais le fait de dire qu'il faut un cadre économique ou fiscal public et racial ne signifie pas qu'il n'y a pas de différentes façons d'organiser les économies. Si on prend la Côte d'Ivoire et le Maroc, par exemple, qui sont deux pays qui ont connu des évolutions économiques assez intéressantes durant les 15 dernières années, le système bancaire marocain dans son expansion au sud du Sahara a été très poussé par le roi Mohamed VI. C'était sa vision. encouragé, il a fait tout ce qu'il pouvait pour que les gouvernements successifs, la banque centrale, le secteur privé, etc. aillent dans cette direction. C'est un développement qui a connu un succès remarquable, mais qui a été très augmenté par l'exécutif. En Côte d'Ivoire, le gouvernement du président de la Sainte-Ventara a été très, très libéral sur ce point de vue-là. Il a laissé les banques s'organiser comme elles voulaient, financer les structures d'économie qu'elles voulaient, sans vraiment intervenir là-dessus, parce que, quelque part, il a considéré que c'était pas le boulot du gouvernement et que l'État avait d'autres priorités que ça. Donc à l'intérieur de ce bloc théorique et institutionnel, il y a différents arrangements qui sont possibles. Au Sénégal, le gouvernement de présence du Maïfai et du Premier ministre Ousmane Sanko évoluent dans ce cadre-là. S'ils ont tenté de renégocier aujourd'hui dans le secteur pétro-gazier, ils le font à l'intérieur du cadre légal, institutionnel, etc. Ils ont demandé des audits. des dépenses qui ont été réalisées par les développeurs du projet Sangomar parce que quelque part ils ont très bien compris qu'une des façons qu'ont les multinationales, je ne dis pas que c'est le cas là, je prends la grande profonde profonde diffamation, mais une des façons qu'ont les multinationales de... En général. En général, exactement. Une façon qu'ont ces multinationales là de ne pas payer leur contribution exacte aux finances publiques, c'est de passer par des transactions entre leurs filiales. et donc de surfaturer certaines dépenses. Et ce que le président du Maïfai et son gouvernement ont demandé à une commission d'audit de faire, c'est d'aller vraiment concrètement et de vérifier ce que Woodside Petroleum a vraiment dépensé pour son projet au Sénégal. Je pense que certains se diront... J'ai vu cette critique d'ailleurs à quelques reprises après d'autres interviews, etc. Grosso modo, je t'ai présenté comme une espèce de défenseur du système accompagné. Quelqu'un qui a passé ma vie à essayer d'être iconoclaste. Me rendre compte que je suis devenu l'incarnation de l'homme du parti, c'est effrayant.

  • Speaker #2

    C'est un système dont vous avez peu profité d'ailleurs, donc c'est quand même dommage.

  • Speaker #0

    Exactement, quitte à être accusé de corruption, autant que j'ai eu les bénéfices de la corruption, on n'a vraiment même pas en fait. Non, il y a différentes façons d'organiser les choses. Et je pense que ceux qui insistent sur l'erreur radicale le font en grande partie parce que proposer une alternative qui soit crédible demande du temps, demande la patience. et de prendre le risque de décevoir la population. Et parfois, rester dans l'invective, et on prend le cas de Kimmich et de sa compagnie dans cette prostituée vélitaire-là, c'est peut-être beaucoup plus simple à organiser que de présenter un vrai programme pour la réforme de l'éducation, ou du statut des enseignants, ou de la retraite du secteur public, qui sont de vrais projets d'importance et qui sont parmi les choses les plus ennuyeuses qu'on puisse imaginer, mais il faut que quelqu'un le fasse. Et je pense que beaucoup de gens n'ont pas envie de s'atteler à ça.

  • Speaker #1

    En question de conclusion, on va continuer un peu dans la lignée de votre réponse. Votre récit, il est très intéressant. Il fait une critique bien précise de cette nouvelle vague de néo-souverainisme africain. Mais aussi, ça part du consulat que cette vague prend dans la jeunesse africaine, qu'elle a une matérialisation politique. Face à ça, vous opposez la construction d'un programme économique et politique bien réfléchi, qui prend du temps, comme vous le dites, mais comment est-ce qu'on répond, comment est-ce qu'on rend ces programmes-là, une fois qu'ils sont construits, populaires, et comment on y fait adhérer les populations ?

  • Speaker #0

    Déjà, j'ai eu mal avec cette forme de néo-séloanisme qui consiste à faire défiler des populations et des drapeaux russes. Si c'est pour s'éloigner d'un régiment, pour en adopter un autre, je ne vois pas très bien en quoi il y a eu... une progression, si c'est pas passer de vie à da. Je vois pas très bien la progression en tant que telle. Donc avoir besoin de protecteurs systématiques, je pense que c'est une preuve de faiblesse. Comment est-ce qu'on fait adhérer les populations à une réalité économique qui peut être un peu plus morose ? Déjà, faire en sorte que la réalité économique ne soit pas aussi morose. Dire très clairement ce qui est en train de changer, et je pense que dans beaucoup de pays africains, on ne le fait pas. C'est assez étonnant d'ailleurs, parce que dans le cas de la Côte d'Ivoire que j'évoque, lorsqu'on regarde concrètement ce qui a changé en termes de payés par habitant, en termes de productivité économique, en termes même de réductions de la pauvreté, etc., on a des résultats qui sont remarquables, mais sur lesquels je ne crois pas que le gouvernement insiste assez. Je pense qu'une des raisons pour cela, c'est le syndrome costaricain dont j'ai parlé tout à l'heure. Tout le monde voit à peu près la distance qu'il y a, l'étantitude des problèmes, etc., ce qui fait qu'on ne peut pas vraiment célébrer.

  • Speaker #2

    Il y a aussi le fait que quand vous dites, c'est un truc classique en politique, mais quand le taux de pauvreté a diminué, vous dites, on est passé de 15 à 10%, les 5% qui sont sortis de la pauvreté, ils sont déjà au courant, et les 10% qui y sont encore, ça les intéresse assez peu de savoir qu'ils sont sortis.

  • Speaker #0

    Exactement. Si quelqu'un a des problèmes de la santé, on peut vivre avec son cancer pendant 15, 20 ans, mais personne ne s'en revient parce qu'à la fin du cancer, on meurt. C'est très difficile de se réjouir des problèmes. Je pense qu'on peut faire aller la population à partir du moment où on dit la vérité. Et dans le cas du Sénégal, le programme défendu par Jemma et Fass est un programme avec lequel on ne peut pas être d'accord, mais qui était basé sur une lecture de l'économie et de la situation du pays qui était ancrée dans le réel. Les remèdes me semblent absolument à côté de la plaque, mais ça c'est mon avis. Mais le diagnostic était réel. Et je pense que dans beaucoup de pays, si le diagnostic est réel, la population peut adhérer. Mais encore une fois, je pense que le point de base commence par le point de dire la vérité aux populations. voici ce qu'il est possible de réaliser, voici ce qu'on ne peut pas réaliser. A part que si on ne dit pas ça, on ouvre la porte à toutes sortes de rêves, à toutes sortes d'imaginations débridées et complètement décorrélées du réel. Et cette imagination-là, ces aspirations-là, par définition, seront détruites par la réalité, ne pourront pas se réaliser. Et ça encourage la population à une forme de cynisme et de régler la démocratie comme étant quelque chose qui ne marche jamais, parce que ça ne délivre jamais. mais ça ne l'est pas parce que ce qui est promis est détaché du réel. Merci beaucoup. Merci.

  • Speaker #2

    Merci, Emile. Merci,

  • Speaker #0

    je vous signe.

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Description

Dans cet épisode nous recevons Joël Té-Léssia Assoko, journaliste économique, anciennement rédacteur en chef économie de Jeune Afrique.


Joël nous présente son premier essai "Enterrer Sankara". Cet essai, au titre provocateur, propose une critique acerbe de la réactivation du mythe Sankara pour justifier des politiques économiques démagogiques, notamment menées par des régimes militaires sur le continent, menant les pays en question dans l'impasse.


Enterrer Sankara est édité aux éditions Riveneuve


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en partenariat avec l'institut Louis Bachelier et le FINDEVLAB.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de Take Off. Aujourd'hui nous recevons un journaliste et essayiste qui a publié cette année son premier essai, qui fait beaucoup parler de lui, et pour cause il s'intitule « Intéressant Cara » et sous-titré « Intéressant Cara » . essais sur les économies africaines. Ce n'est pas un essai d'histoire, mais bien d'économie politique, et Sankara y évoque essentiellement en écho à la figure tutélaire que se sont choisis les représentants d'un courant néo-souverainiste africain qui a le vent en foule de Niamey à Dakar, en passant par Ouagadougou. Avec des différences importantes, on y reviendra. Vous nous direz aussi quel est le terme selon vous adéquat pour qualifier ce mouvement de pensée. Joël Tédési à Soko, bonjour.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Et pour vous interviewer aujourd'hui, je suis en compagnie d'Emi Rabachérif.

  • Speaker #2

    Bonjour à tous. Alors peut-être en introduction, Joël, vous êtes journaliste économique de formation, analyste des économies africaines. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu votre parcours et pourquoi vous avez choisi d'écrire un essai et comment vous est venu ce thème ?

  • Speaker #0

    Merci pour l'invitation. Je me nomme Joël Tédé, c'est à Soco. Je suis né en Côte d'Ivoire où vit aujourd'hui l'essentiel de ma famille. Mais j'ai fait mes études au Britannique militaire de Saint-Louis. dans le nord du Sénégal, qui est un lycée qui accueille des représentants de différents pays d'Afrique, Mali, Niger, Burkina Faso, Gabon, Côte d'Ivoire évidemment. Et donc, un environnement assez particulier, ça reste un lycée militaire, mais le côté panafricain, la chose était tous marquée jusqu'à présent. Donc ça a donné une approche, une façon de regarder les problématiques dans les pays d'Afrique de façon un peu différente, de sorte que... Je ne me sens pas particulièrement étranger à ce qui se passe dans beaucoup de pays africains parce que j'ai grandi avec des gens qui venaient de ces pays-là. Donc j'ai fait des études en France, en économie, à Sciences Po et à Dauphine. Et ensuite j'ai commencé ma carrière comme journaliste économique à Jeune Afrique où j'ai couvert une multitude de secteurs, de la finance à l'apothèque économique, à la grande industrie parfois, etc. Et j'ai été rédacteur en chef économie entre 2020 et 2022. Et ensuite, en 2023, j'ai quitté le groupe pour me consacrer à cet ouvrage et à une activité de journaliste freelance. Pour l'ouvrage, la raison de l'écrire, je pense que tout s'est informé par les 10 ans de journaliste que j'ai passé à Jeune Afrique. Parce que lorsqu'on est journaliste, on est souvent pris par le flux des événements. C'est telle actue aujourd'hui, telle actue demain, etc. Donc on n'a pas toujours la possibilité de prendre du recul et de... d'essayer de faire sens globalement de quelque chose qui se passe, d'une tendance de fond. Et c'est ce que j'ai constaté par rapport à ce qu'on appellera aujourd'hui le courant, ou en tout cas les héritiers ou les pseudo-héritiers du sans-charisme, un peu largement une certaine vision, on dirait romantique ou un peu aérienne de l'économie. Et je pensais qu'il était nécessaire de prendre un peu le recul pour expliquer ce qui se passait, pourquoi cette vision était dangereuse, et pourquoi les conclusions auxquelles telle vision venait étaient... encore pire que la population du continent.

  • Speaker #1

    Un sujet justement, en parlant d'introduction, c'est un ouvrage d'abord qu'on a trouvé très réussi, à deux qualités, la première c'est d'être accessible, et la deuxième c'est d'être courageux dans le débat actuel. Vous attaquez une sorte de totem de la mémoire africaine qui est Thomas Sankara, qu'est-ce que Sankara représente pour vous au sens de l'ouvrage ? C'est-à-dire quand vous parlez d'enterrer Sankara, quelle partie de l'héritage de Thomas Sankara tel qu'il est relu et vécu par... Ceux qui se décrivent eux-mêmes comme ses héritiers, vous considérez pas en phase avec l'économie actuelle et les perspectives de développement pour les pays africains ?

  • Speaker #0

    Jusqu'à présent, lorsque j'ai fait différentes interviews au sujet de cet autoproject de ma Sankara, j'ai toujours commencé par la partie positive à garder de l'héritage de Sankara, qui est sa compense non très fine de ce qui a fini par être appelé le capital humain, c'est-à-dire la nécessité d'investir dans la santé, dans l'éducation. Je ramènerai les auditeurs à ces autres interventions-là, mais je vais insister sur ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage. Ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage, je l'appelle dans l'ouvrage, je dis que c'est une certaine capacité de dissimulation, mais dans la réalité, c'est ce qu'on appelle en français à courant de l'hypocrisie et de mensonge. Quand je parle d'hypocrisie et de mensonge, je parle simplement du rapport à l'aide internationale. Dans l'ouvrage, j'explique que ce sont des économistes burknaviques qui ont... quand il s'est donné qu'on fait des études que je cite dans l'ouvrage mais durant toutes les années sanghara malgré toutes les gestes et collation à l'onu et devant l'organisation de l'unité africaine sur l'aide la dette et compagnie pendant toutes ces années là le pays au sol jusqu'à 14% de son pib en aide internationale les états unis et la france et donc cette habitude de proclamer quelque chose et en sous-main d'accepter autre chose je trouve c'est pernicieux et ça continue jusqu'à présent lorsqu'on parle des jantes malienne Burkina Faso et compagnie, on retrouve le même phénomène. Aujourd'hui encore ces jeunes vont à Washington négocier avec le FMI et la Banque mondiale pour obtenir des financements. Aujourd'hui encore ces jeunes continuent de négocier avec la Banque centrale et les aides à Foucault de Loos pour obtenir des aménagements. Aujourd'hui encore ces jeunes vont sur le marché régional de Guimauve pour mobiliser des fonds et font des tournées auprès des investisseurs de la zone pour mobiliser des fonds. Et donc deux choses l'une, soit ces jeunes, ces pays, ces régimes ont l'autonomie absolument nécessaire et peuvent vivre en autarcie et faire ce qu'ils veulent. Ils sont soumis comme tout le monde au rêve international, au rêve de la nécessité de lever des fonds pour financer l'économie, pour financer les programmes de gouvernement, pour financer les populations tout simplement. Et donc il faut à un moment donné choisir et dire la vérité. Et cette habitude de mentir sur ce qui est possible de réaliser et ce qui n'est pas réalisable, cette habitude-là, elle est restée. Et je trouve que c'est pernicieux parce que ça encourage une sorte d'aquabonisme, ça encourage le yaka-faucon, ça encourage le mensonge, ça encourage des illusions dans le pays. Et ça c'est un des héritages de Sankara. C'est un de ces états-là qu'il faut définitivement tirer. Je ne dis pas que le mensonge n'existe pas en politique. Depuis Hannah Arendt, on sait que c'est une nécessité de la politique. Mais dans le contexte des pays africains, vu la fragilité des économies africaines, les besoins des populations, je pense que les conséquences sont beaucoup plus délétères qu'ailleurs.

  • Speaker #1

    En jouant justement sur cette figure comme Nubumba, comme Sankara, qui en plus, ayant été coupés dans leur élan, sont totalement propices à l'idéalisation qu'on peut en faire ex post.

  • Speaker #0

    ça joue pour beaucoup parce que... Comment dire ? Le point de départ, c'est que beaucoup de gens observent les réalités économiques africaines et en ressentent de la peine, la frustration et beaucoup de colère dans certains cas. Et à ce moment-là, qu'est-ce qu'on fait ? Il y a différentes façons d'absorber la chose. On peut le faire de façon très sobre, voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, essayer d'anticiper, d'imaginer. d'autres options et l'autre façon c'est de réagir de façon romantique en fait et se dire si on est là c'est parce que telle ou telle option n'a pas été suivie, c'est parce que tel ou tel élan a été interrompu, c'est parce que le Mumba, c'est parce que Sankara, c'est parce que ci, c'est parce que cela oui c'est une façon de le voir je pense que ça ne mène pas à grand chose parce que en filigrane ce qui est dangereux ici c'est que qu'est-ce qu'on est en train de dire exactement en train de dire que les 54, 55 pays du continent sont Le calcul qu'on fait, en 60 ans, on peut imaginer quelques grosses dizaines, peut-être plus d'une centaine de dirigeants pousser des flammes au pays durant cette époque-là. On est en train de dire que tous ces gens-là ont eu tort, ont trahi leur pays, etc. Et les deux seuls, ou le seul qui avait raison, c'est par hasard celui qui était assassiné. Qu'est-ce que ça veut dire en fait ? Des occidentaux, ils tiendraient ce même discours, déresponsabilisant et légèrement infantilisant par rapport au continent. Tout le monde serait absolument horrifié. Mais dès que des Africains le récupèrent et le projettent en disant « On aurait dû suivre Sankara, c'est lui qui avait raison, c'est le soule, etc. » À ce moment-là, ça devient quelque chose de respectable. Je trouve que ce n'est pas respectable du tout. Il y a des choix qui ont été faits à différents moments dans différents pays africains. Des espérances socialistes ont été lancées. Sankara n'est pas le seul à avoir une expérience socialiste dans son pays. Le Bénin, pendant très longtemps, a subi ça. Le Congo, pour sa ville aussi. et surtout que lui est décédé a été tué au bout de quatre ans donc on n'a pas eu le temps d'absorber complètement l'erreur ou les échecs de ce régime-là. Mais au Bénin, on a vu que ça ne marchait pas. Au Camp-Pas-Azur, on a vu que ça ne marchait pas. Donc à Tchankara, les conditions ont fait qu'on n'a pas eu le temps, ou on voit beaucoup de gens n'ont pas eu le temps de voir que le système ne marchait pas. Et donc ça reste.

  • Speaker #1

    Il y a quand même une critique qu'on pourrait vous faire, et après Emile va parler d'économie, mais justement vous parliez du caractère romantique, idéaliste. En fait, pour résumer pour nos auditeurs, on ne peut pas spoiler, mais vous retravaillez en fait le concept de souveraineté. Vous expliquez que la souveraineté, ce n'est pas du tout l'espèce de nationalisme cocardier et un peu militariste d'un certain nombre de régimes. C'est en fait l'indépendance. Et l'indépendance, elle a comme moyen le développement économique. Et donc, ce qu'il faut, c'est maximiser et faire ce qui marche pour le développement économique. Et c'est ça ce qui est de nature à servir les populations. Mais quelle place... On pourrait en tout cas vous faire un procès en matérialisme. Quelle place vous donnez au non-économique ? Et notamment, ce qu'il y a beaucoup plus dans la geste sans carriène, pour reprendre l'expression que vous utilisez dans votre ouvrage, c'est une forme de... de libération individuelle, de formation de la conscience nationale, d'un élan d'un peuple qui prend main à son destinée. Évidemment, tout ça, c'est un peu esthétique, mais c'est volontairement mis en récit et en roman par ces dirigeants-là. C'est assez dur, y compris avec des gens comme Félouine Sarr, etc., considérant en fait la même chose, considérant qu'ils ont des propos qui sont intelligents sur les plateaux télé, etc. qui n'ont aucune réalité matérielle pour le développement économique. Comment procéder le reste, ce qui n'est pas économique, dans le rôle d'un dirigeant ?

  • Speaker #0

    Si on prend un exemple comme celui de Barack Obama aux États-Unis, il est complètement possible d'inspirer des gens sans commettre des hérésies économiques. Il est complètement possible d'organiser les populations, de les mener à aspirer à quelque chose de positif, sans se mettre à rêver, dans le mauvais sens du terme en tout cas, et imaginer des choses qui ne sont pas possibles. Je pense que dans le domaine agricole, par exemple, lorsqu'on pense aux zones rurales dans notre pays, lorsqu'on pense au décalage qu'il y a entre les zones urbaines et les zones rurales, la possibilité de faire aspirer une bonne partie de la population rural dans notre pays à de meilleurs niveaux de vie, à une autonomie individuelle, en fait. Parce que c'est ce qui vient avec la croissance économique, sa capacité, l'autonomie individuelle. Pour la famille, pour soi-même, pour s'épanouir, etc. Je pense qu'il est entièrement possible. Le mobilisant discours qui parle à ces populations-là, sans qu'on se mette à inventer des ennemis d'interrogues de l'extérieur, sans qu'on se mette à prévoir ou à proclamer ou à proposer la destruction des parties les plus productives de l'économie.

  • Speaker #2

    Dans ce collage, vous évoquez notamment le rôle des institutions et les acquis de l'économie du développement en termes de climat des affaires, de cadre politique inclusif, d'importance de l'État de droit et d'attirer des flux de capitaux étrangers. En ce sens, ça fait énormément écho à toute la théorie économique développée notamment par Assemoglu et Robinson qui ont remporté récemment le plus Nobel d'économie, et vous expliquer en quoi la conception qu'on a évoquée depuis tout à l'heure des néo-souverainistes n'est pas une pensée économique raisonnable. Mais est-ce que vous pouvez développer un peu sur ce que vous proposez, et expliquer pourquoi toute la théorie économique qu'on a développée, qu'on a commencé à mettre en place après la libéralisation, notamment des pays africains dont on parle à la fin des années 90, n'a pas marché ?

  • Speaker #0

    Je ne me retache pas de la pensée de l'âme de départ en fait. Je ne considère pas que ça n'a pas marché, comme vous dites.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est sous l'angle, en tout cas, que s'il y a une demande politique et une popularité de ces idées-là, c'est que les prédécesseurs n'ont pas eu un succès transcendant.

  • Speaker #0

    Justement, c'est très important ce que vous soulevez, parce que quelle est la mesure de ce succès ? Dans l'ouvrage, je parle de l'Amérique latine. Il y a un sous-chapitre qui s'intitule « Qu'est-ce que vous avez contre Costa Rica ? » où j'ai expliqué, en fait, en 20 ans à peu près, la productivité économique du pays. la production par habitant accrue de quelque chose comme 20 ou 30 000 dollars et par ricochet, en parallèle, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 12% à moins de 1% de la population. Et donc si on fait mon râteau population, le fait que demain en Côte d'Ivoire on vivra au niveau de vie de la Belgique ou du Luxembourg, je pense qu'à cette Ausha, évidemment, n'importe quelle politique économique peut être jugée comme un échec. Mais si on prend sur une voie relativement longue, Encore une fois, j'estime qu'il y a eu des progrès assez importants dans beaucoup de pays. La situation au Sahel, évidemment, n'est pas terrible, comme disait Jeune, mais dans la réalité, si on fait en point de parler relativement, depuis les années 90, les années 2000, il y a eu des progrès assez importants. Ils ne sont pas assez, ils ne sont pas suffisants, mais parce que la situation du départ n'était pas terrible. On oublie encore une fois le contexte dans lequel les dernières... disons la dernière génération a grandi, on oublie le contexte précédent, on oublie encore une fois les expériences qui n'ont pas marché, on oublie les gentes militaires qui ont détruit les économies, on oublie des décisions, des choix, on a dit que l'économie n'était pas terrible et donc la base n'était pas solide. Mais si on prend, en tenant compte de cette base-là, je pense qu'il y a eu des progrès assez importants qui ont été réalisés. On peut considérer que toute cette approche, soit néo-institutionnelle, sur la consolidation des institutions, etc. C'est un prochain... n'a pas eu le succès radical qu'on aurait pu espérer, soit, mais il y a eu des progrès. Et je pense que cette impatience, elle est justifiée, mais elle ne doit pas tout justifier. Elle ne doit pas justifier non plus des ruptures, justifier des méthodes qui ne fonctionnent pas, justifier une sorte d'onérisme en matière économique qui se fait au détenant de la population. Donc évidemment, encore une fois, je suis en train de dire que... tout va bien, c'est formidable, etc. et que venir vivre au Burundi, c'est le paradis. C'est pas ce que je suis en train d'expliquer. Mais il y a eu des progrès quand même qui sont remarquables. Et encore une fois, lorsqu'on descend un peu, lorsqu'on quitte cette façon de raisonner en Afrique globale, etc. et qu'on entre dans le détail, de la Côte d'Ivoire au Botswana au Rwanda au Kenya en Ouganda, il y a beaucoup de pays où matériellement, la vie économique, la vie individuelle est beaucoup plus productive, beaucoup plus saine, beaucoup plus stable, beaucoup plus productive et beaucoup plus horrifiée aujourd'hui qu'elle l'était il y a une génération.

  • Speaker #2

    Dans la critique que l'on fait du modèle qu'on vient d'évoquer et que vous considérez qui marche dans une certaine mesure, il y a la figure toujours de l'ancienne puissance coloniatrice, alors c'est beaucoup plus vrai dans les pays francophones qu'anglophones, mais quand bien même. Et dans votre ouvrage, vous dites « il y a bien des oppositions dans les débats économiques africains qui, sans leur rapport à la colonisation, paraîtraient absurdes » . Donc ce sont les anticolonialistes qui, selon vous, sont encore bloqués dans un logiciel colonial, là où il s'agit d'être eux. postcolonial, c'est-à-dire de penser par soi-même pour décoloniser les esprits. Donc, lorsqu'on compare, pour schématiser la position d'un Kémy Séba, dont l'ensemble du discours, en tout cas dans une grande majorité, s'oppose à l'ancienne puissance colonisatrice face aux réalisations d'un homme politique comme Patrice Talon, pour vous, la personne qui serait encore colonisée serait plutôt Kémy Séba que Patrice Talon.

  • Speaker #0

    Absolument, oui. Quand je dis que c'était dangereux, je le pense fondamentalement. Je donne des exemples dans mon ouvrage, mais si on prend la question du commerce international et de l'accès des pays africains au marché européen. Vous êtes jeunes, moi je me souviens de l'époque, c'était la renégociation des accords de Cotonou et Lomé, c'était l'année 2010, il y avait cette renégociation-là, et on a demandé aux pays africains de signer un nouvel accord avec l'Union Européenne. pour perpétuer leur accès au marché européen. C'est quelques taxes, quelques taux de douane qui allaient évoluer, etc. Et ça a été présenté comme étant une sorte de néocolonialisme. Les gens se sont mobilisés à l'époque en disant qu'on est contre l'unio-esclavagisme de l'Union européenne, etc. Les gens se sont mobilisés avec une violence, en disant que l'unio-esclavagisme était extraordinairement dur. Il y a un artiste sénégalais que j'admire. Didier Awadik a fait toute une chanson « Non ne signe pas » et c'était donc une faute de mobilisation pour ça. Et ensuite, on a passé à autre chose. Les têtes ont été signées, il n'y a pas eu plus de grenouilles tombées sur le continent, le lit n'est pas devenu tout rouge, voilà, la vie a continué. Ça s'est passé. Aujourd'hui, l'Union Européenne est en train de mettre une nouvelle politique, une taxe carbone à la frontière, pour essayer d'équilibrer un peu ce que... Bruxelles considère qu'on est en déséquilibre entre les règles vertes que l'Europe respecte en son sein et la façon dont les produits importés sont justement produits. Mais ça peut avoir des effets absolument catastrophiques pour beaucoup de pays d'Afrique. Du secteur automobile au Maroc, au Nafo du Sud, à l'exportation de biens dans le domaine agricole justement, et de biens intermédiaires. parce que dans beaucoup de nos pays, la production électrique est encore très carbonée. Cette règle carbone à la frontière n'est pas bien dosée, ça peut avoir des effets absolument désastreux sur nos économies. Mais ceux qui étaient mobilisés hier contre le nouveau esclavagisme, parce qu'il y a eu une modification de 2, 3, 4% du droit de douane sur tel ou tel produit, etc., aujourd'hui sont silencieux. Parce que d'un côté c'est facile, c'est facile de se mobiliser sur le détail, de l'autre, entrer dans le concret des choses et aller lire les textes. les analyser concrètement et voir ce que ça change pour la population africaine. Ça demande du temps, ça demande du travail, ça demande de l'énergie. Ils n'ont pas le temps pour ça. Et donc, cette façon-là de détourner le regard, de mobiliser la population sur l'accessoire, d'être absent quand on est dans une chambre de bataille, lorsque le danger est réel, cette façon-là, moi, je la trouve absolument insupportable. Absolument insupportable. Et donc, une chose est d'arriver, de brûler un billet de France CFA devant la foule à Dakar, de se faire applaudir par les vannes de pieds et les désœuvrés qui traînent là. Une autre chose, c'est de développer une politique économique cohérente pour un pays. Et dans le cas du BNES, on peut dire ce qu'on veut. Je ne suis pas partisan de telle ou telle personne. Honnêtement, je suis indifférent à beaucoup d'entre eux. Mais dans le cas du BNES, ce qu'ils sont arrivés à faire, ce qu'ils sont arrivés à faire en mobilisant, en étant le premier pays africain à émettre de la dette durable à des taux qui sont très faibles, pour pouvoir continuer à financer l'économie, ça a demandé un travail hyper précieux, hyper... beaucoup de diligence pour arriver à ça. Et ils sont arrivés. Ça demande du travail. Ça demande l'attention. Et ça demande une vision. et c'est quand même autre chose que d'aller à... mobiliser des émotions sans direction et sans but.

  • Speaker #1

    Justement, pour revenir sur Bruxelles, vous évoquez, c'est pas du tout central dans le bouquin, mais vous évoquez rapidement aussi ce paradoxe d'un discours néo-souverainiste, donc à la fois centré aux sciences propres et à la nation, et compris avec les institutions militaires, et en même temps qui se veut très panafricain, donc au niveau du continent, et qui est en même temps très, et ça c'est un point commun de tous ces régimes, qui a une grande défiance, j'ai vu, de toutes les organisations communautaire, qu'elle soit au niveau continental ou sous-régional, qui sont vus comme des institutions qui sont oligarchiques, qui briment l'expression populaire et qui seraient, comme vous disiez, des espèces de suppôts de l'occident cachés. Est-ce que, selon vous, c'est une forme de paradoxe qui s'explique très prosaïquement par le fait que personne, y compris en Europe, n'aime les règles communautaires et le cadre communautaire et donc que c'est une espèce de rhetoric un peu populiste facile ? Ou est-ce qu'il n'y a quand même pas quelque chose de plus profond dans la volonté d'une autre intégration régionale, un peu une espèce de retour à l'organisation de l'unité africaine, qui est moins normatif mais qui est plus portée par un élan ?

  • Speaker #0

    Ce qui a changé entre l'OEA et l'organisation de l'unité africaine et l'Union africaine, La première était portée par la politique. Il y avait... l'Union Européenne était essentiellement politique à partir de... du Népal à partir des années 2000, la vision est beaucoup plus économique, dans une forme de modernité, dans le domaine économique, en tout cas l'adoption des mots de passe, des méthodes, des théories qui étaient en vigueur ailleurs. Mais à partir du moment où ce déplacement a été fait, je pense qu'il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population. Il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population, il était beaucoup plus difficile de réaliser quoi que ce soit d'ailleurs. L'Océan africain qui est paralysé, il y a eu une nouvelle élection, il y a eu un nouveau... au président de la commission. Est-ce qu'il pourra changer les choses ? Je ne sais pas. Mais dans les faits, il y a de vraies contradictions, je pense, entre ce qui se passe au niveau du CEL aujourd'hui. On a un ensemble de pays qui arrivent et qui, en principe, défendent une vision pas panafricaine ou panafricaniste, ou avocat son panafricaniste de l'économie, des interactions des États. Et la première chose qu'ils font, c'est de détruire une organisation régionale et d'encourager d'autres pays à les rejoindre dans cette aventure. La réaction des pays de la CEDEAO pour moi était toujours très mesurée jusqu'à présent. Des décisions beaucoup plus sévères auraient pu être prises, ça aurait été au détriment de la population, je pense que c'est la raison pour laquelle ça n'a pas été fait, mais il y a quelque chose de fondamentalement contradictoire entre défendre l'unité africaine et en même temps détruire l'une des organisations régionales les plus efficaces de la zone. On l'oublie, mais aujourd'hui dans toute la zone CEDEAO, il est possible de se débasser avec son passeport national sans visa. Ce n'est pas le cas dans beaucoup de zones du continent, malgré le départ de ces pays-là. les frontières sont restées ouvertes. On n'a pas interdit, les pays qui sont restés n'ont pas interdit aux sortissants des départements de refuser l'accès aux facilités qui existaient avant. Donc il y a une vraie contradiction, je pense, et cette contradiction-là est simplement due au fait qu'il faut trouver un bon commissaire. Et comme vous disiez tout à l'heure, personne ne se bat pour l'Union africaine, et personne ne se bat pour la CDAO. Les gens se battent encore contre l'Union économique et monétaire ou assafouiquaine, mais c'est parce qu'ils se battent contre le franc CFA, mais la personne qui se lève tous les matins en disant « Dieu soit loué, la baissière est à Dakar » , donc il y a personne qui le fait. Donc quelque part, c'est beaucoup facile d'obliger les gens contre ça. Mais je ne suis pas certain qu'on mesure à quel point ce sera difficile de faire revenir ces pays dans la zone si le décalage actuel persiste longtemps, parce que les autres avancent. Il y a de nouvelles normes qui vont être créées, il y a de nouveaux protocoles, il y a de nouveaux... D'accord, il y a de nouveaux programmes de développement qui vont être lancés, dont ils seront exclus. Après les réintégrer, ça ne sera pas aussi simple que ça. Au final, il y a une perte nette pour tout le monde, mais la cause de cette perte nette-là sont les jeunes sahéliens.

  • Speaker #1

    Peut-être qu'on a évoqué le pédant, le totem de Thomas Sankara, pour reprendre le titre de Freud. Le tabou aussi, qui est vraiment central et qui traverse un peu l'ouvrage, c'est la question autoritaire. Le régime Sankara, c'est un régime qui... voulait révolutionnaire et qui aspirait, en tout cas dans son discours, à la démocratie directe et réelle, mais qui, sur ce chemin-là, se permettait à un cadre de direction qui serait considéré aujourd'hui comme autoritaire. Est-ce que l'instrumentalisation de ce discours, dans le cas de cette figure, elle a vocation essentiellement dans les rhétoriques de ceux qui s'en veulent les héritiers, à justifier leur propre cadre autoritaire ? Et est-ce qu'il n'y a pas là, pour le coup, l'expression d'une grande diversité ? Parce que, de ce point de vue-là, sur la question démocratique, ça n'a rien à voir. au sens où il est... Le président de Jamal Khair, ils ont été élus démocratiquement, ils ont été opposants politiques, ils ont rentré dans le genre d'institution, et dans le cas, il y a un coup d'établissement. Donc, il y a quand même un héritage chancarien qui est vécu très différemment sur cette question-là, parmi tous ceux qui se veulent ses héritiers.

  • Speaker #0

    Je sais que certains héritiers de Sankara ont présenté Sanko comme étant un des leurs. Est-ce que lui a revendiqué ouvertement cet héritage ? Je ne sais pas. Après, il y a les dernières portions, on n'est pas obligé de dire telle ou telle chose pour avoir une portion, un discours qui ressemble à cela. Comment dire ? On parlait tout à l'heure au début de l'émission, lorsqu'on évoquait la question économique, et j'ai insisté sur le fait qu'il y avait eu des progrès quand même, et qu'il fallait trouver la bande du jeu, et ne pas viser nécessairement des standards qui n'étaient pas accessibles. Je pense qu'il y a une vraie déception démocratique sur le continent. Même dans les jeunes générations et les sondages qui sont faits par Afro-Bahramato, etc., en tout cas au sud du Sahara, il y a un vrai, je ne veux pas un rejet, mais une profonde déception par rapport... aux régimes démocratiques. Parce que, il y a une partie de rhétorique, il y a une partie de difficulté économique réelle, et beaucoup de gens se disent, bah oui, pourquoi pas. Pourquoi pas une autre façon de gouverner, pourquoi pas un autre modèle. Et j'ai une vision très, très, très dure des jeunes militaires et des coups d'État de façon générale. Je n'approche pas des coups d'État, c'est aussi basique que ça. C'est parce que je viens de Côte d'Ivoire et que j'ai vu ce qui s'est passé après le coup de TEC 99, après les tentatives de coup d'État de 2002, la partition du pays, etc. Ça laisse les conditions dans lesquelles le conflit s'est achevé en 2011. Et tout ça m'a quelque part... Vacciné un peu contre les coups d'État si je peux le dire, et j'ai grandi dans la frise des années 90. Pour les plus jeunes, vous ne savez pas ce que c'est, mais à l'époque, c'était le Liberia, la Sierra Leone, le Rwanda, c'était des choses épouvantables tout le temps à la télévision. Donc j'arrive en ayant ce background-là, et donc je me dis des alternances démocratiques, même si elles sont imparfaites, même si la promesse économique n'est pas tenue, c'est toujours mieux que... que ce que moi j'ai vu en grandissant. Je pense que le rapport est différent, mais la déception démocratique est réelle. Et je pense que si on prend ce qui se passe en Guinée aujourd'hui, avec, après le coup de l'État, etc., le nouveau régime, je pense que je ne serais pas étonné que la popularité de ce régime soit réelle. Le régime du président Alpha Condé était vieillissant, il n'y avait plus l'énergie qu'il fallait, son successeur. et arriver à négocier les contrats dans le secteur minier, il l'a fait correctement, pas en nationalisant les actifs, mais en embauchant des avocats qui ont négocié. Ça a coûté cher, mais ils ne sont pas revenus. Il a commencé à faire des changements dans l'économie, même dans la politique du pays, en réorganisant les partis politiques. Ça peut paraître assez antidémocratique vu comme ça, mais lorsqu'on sait qu'il y avait des dizaines et des dizaines de partis qui n'avaient à peu près aucune réalité politique, mais qui existaient comme plateforme pour tel ou tel autre. pour forcer la modernisation de ces régimes, de ce système de partis qui n'étaient pas plus mal. Donc, cette tolérance pour les voies autoritaires est réelle. À mon avis, c'est une erreur, mais c'est réel. Et il faut tenir compte de ce que la population veut. Et je pense que beaucoup d'oppositions dans beaucoup de pays du continent auraient intérêt à prendre ce qui s'est passé au Sahel au sérieux. C'est-à-dire que si l'alternance démocratique, si la proposition de l'opposition n'est pas forte, il est entièrement possible que ce soit des régimes militaires qui prennent le relais. On l'a vu au Gabon, par exemple. C'était un coup à l'intérieur du clan au pouvoir, mais ça reste quand même une transition avec une opposition qui n'était pas au niveau. Un gouvernement qui n'était pas au niveau, une opposition qui n'était pas au niveau, ça laisse la place aux militaires. Et je pense que beaucoup au Sahel et ailleurs, ils jouent là-dessus.

  • Speaker #2

    Comme vous le dites, c'est des régimes qui, quand on prend le cas du Gabon, le cas de la Guinée... sont assez populaires, mais comment on conjugue donc à la fois la popularité de ces régimes quasi autoritaires et qui en plus sont arrivés par des coups d'État, et ce que vous avez vu un peu plus tôt, la déception vis-à-vis de la démocratie, la façon dont la démocratie a été appliquée dans ces pays-là ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'une bonne partie de ces difficultés tirent aux oppositions. En Côte d'Ivoire, on peut réaliser ce qui se passe aujourd'hui, il est très probable que l'opposant à la Sénatare va se représenter. Tout le monde admet qu'en 2020, il voulait vraiment partir et prendre sa retraite. Mais le décès de Madhuban Koulibaly, son dauphin désigné, a changé les choses. Mais l'opposition en Côte d'Ivoire est aujourd'hui incapable de construire un front uni. C'est un gouvernement qui est là depuis 15 ans maintenant, depuis 2010, qui est là depuis 15 ans maintenant, qui a accompli beaucoup de choses, mais il y a aussi des critiques à mener. Et si l'opposition n'arrive pas à proposer une alternative logique... et cohérente et on peut retrouver ça dans beaucoup d'autres pays. Évidemment, la population reste dans l'idée, la perception qu'il n'y a pas d'alternative. Il faut poser une alternative aux gens, une alternative qui soit crédible et c'est seulement à partir de là qu'on peut présenter la démocratie comme quelque chose qui fonctionne, comme quelque chose qui soit solide. Au Sénégal, c'est le cas en fait. L'alternative proposée par Ousmane Sonko, c'est ce qu'on veut de séparation d'économie, mais c'était une alternative qui était crédible. et qui a été approuvé par la population, non seulement après l'élection du premier tour, mais aussi avec le vote législatif qui leur a donné une majorité écrasante. Mais s'il n'y a pas d'alternative proposée par l'opposition, la déception est ancrée et le déni de la démocratie, ou une trilogie de la démocratie comme système politique crédible, ce déni-là persiste.

  • Speaker #2

    Pour reprendre un autre thème, on va aborder les valeurs occidentales et ce qu'elles représentent dans le discours des régimes dont on parle depuis tout à l'heure. Vous parlez dans votre livre de « Réputation imprécise des valeurs occidentales » et pour citer Achille Mbembe, la stratégie du bouc émissaire. Qu'est-ce que l'Occident représente dans ce discours et à quoi ces régimes s'opposent-ils ? Et quand on parle des régimes, on parle aussi évidemment des populations qui les soutiennent.

  • Speaker #0

    Je ne suis pas la meilleure personne à qui poser la question, parce que c'est ceux qui rejettent l'Occident qui doivent expliquer exactement ce qu'ils rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent à l'intérieur, en fait ? Le christianisme ? Le français ? Il faut qu'ils me disent exactement ce qu'ils rejettent, parce que je parle en ouvrage, mais j'ai vu des discours passés qui m'ont scotché. Je parle de Claudicier, l'animateur de RFI, qui, après le coup d'État au Niger, a écrit tant de textes enflammés sur... LinkedIn, je pense qu'ils demandaient à Jacques Attali et d'autres de laisser les Africains commettre leurs erreurs parce que l'homme africain n'est pas un occidental, il a son propre univers, patati patata, et on va laisser les Africains créer un régime qui nous ressemble. Il en dit à Colissia, qu'est-ce qu'il a à voir avec l'Afrique en fait ? Qui nous ressemble encore ? Mais ce genre de...

  • Speaker #1

    Dans l'imprécision, vous entendez vraiment une confusion et derrière un propos qui est incompréhensible.

  • Speaker #0

    Ils ne disent pas exactement ce qu'ils rejettent. Est-ce qu'ils rejettent les libertés accordées aux personnes LGBT en Occident ? Il y a beaucoup de gens sur le continent qui rejettent ces libertés-là. Il n'y a pas que eux. Aux États-Unis, en Europe, partout, en Europe centrale, en Amérique latine, il y a aussi des gens qui les rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent exactement ? Est-ce qu'ils rejettent la démocratie ? Et donc, dans ce cas, qu'est-ce qu'ils proposent ? Un autoritarisme ? sans frein, sans limite ? Est-ce qu'il rejette la langue française ? Est-ce qu'il rejette l'économie moderne ? Est-ce qu'il rejette juste le français femme et approuve le reste ? Qu'est-ce qu'il rejette exactement, en fait ? Il faut qu'il nous dise ce qu'il rejette. Et je pense que c'est très facile de rester dans cette imprécision. Parce que cette imprécision permet de ne pas trancher exactement. Parce que s'il disait très clairement on est ouvertement contre la démocratie et on veut le régime à la poutine, Ok, mais qu'ils le disent exactement. Alors que ce qui se passe, c'est que vous restez dans cette rhétorique floue parce que ça permet de dénoncer tout et n'importe quoi, de ne jamais rien proposer de spécifique et qu'il soit réfutable.

  • Speaker #2

    Il y a quand même un élément, et on arrive à la fin de l'interview et ça revoucle un peu avec la question des miennes tout à l'heure, mais il y a une expression où vous dites en fait, les Africains se trompent de colère. Et donc si on se trompe de colère, c'est qu'il y a une colère légitime qu'on peut exprimer. Et malgré tout, peut-être... C'est là où je pense qu'on aurait pu rajouter un chapitre à l'ouvrage, mais moi ça aurait dilué le propos. Mais c'est que malgré tout, dans ce qui a été proposé, il y a eu une trajectoire de développement économique qui a été plutôt réussie dans plein de pays. Mais il y a un niveau d'inégalité qui est extrêmement important. Il y a des régimes qui ont l'apparence d'une démocratie, mais qui sont assez oligarchiques et qui concentrent les richesses. Il y a un niveau de fiscalité sur les plus fortunés qui, en moyenne, déficitent de concurrence. Et donc, on comprend que, en tout cas, je pense qu'il faut faire attention à ne pas exprimer que nous, du point de vue qui est le vôtre, la même idée que « there is no alternative » . Et qu'un centre de régime comme Ousmane Sonko, auprès de l'inspiration, comme vous le citez dans le bouquin, en Amérique du Sud, chez Lula, chez Kirchner, chez Modi, ça participe du débat démocratique sain entre différentes options politiques. J'ai l'impression que dans votre ouvrage, il y a deux propos. Il y a un propos sur la nécessité d'un débat de qualité. contre les régimes autoritaires, etc. Et puis par ailleurs, il y a un souple texte qui veut dire qu'en fait, ce débat a un peu déjà été tranché par les équipes d'économie et développement, qu'on sait comment ça fonctionne, il faut des bonnes institutions, qu'il y ait des affaires, et puis tout roule.

  • Speaker #0

    Oui, évidemment vous avez raison de pointer le danger, le péril du raisonnement alternatif, qui est à mon avis aussi dangereux que d'avoir des gendres militaires au pouvoir. Donc ça, je comprends très bien. Mais le fait de dire qu'il faut un cadre économique ou fiscal public et racial ne signifie pas qu'il n'y a pas de différentes façons d'organiser les économies. Si on prend la Côte d'Ivoire et le Maroc, par exemple, qui sont deux pays qui ont connu des évolutions économiques assez intéressantes durant les 15 dernières années, le système bancaire marocain dans son expansion au sud du Sahara a été très poussé par le roi Mohamed VI. C'était sa vision. encouragé, il a fait tout ce qu'il pouvait pour que les gouvernements successifs, la banque centrale, le secteur privé, etc. aillent dans cette direction. C'est un développement qui a connu un succès remarquable, mais qui a été très augmenté par l'exécutif. En Côte d'Ivoire, le gouvernement du président de la Sainte-Ventara a été très, très libéral sur ce point de vue-là. Il a laissé les banques s'organiser comme elles voulaient, financer les structures d'économie qu'elles voulaient, sans vraiment intervenir là-dessus, parce que, quelque part, il a considéré que c'était pas le boulot du gouvernement et que l'État avait d'autres priorités que ça. Donc à l'intérieur de ce bloc théorique et institutionnel, il y a différents arrangements qui sont possibles. Au Sénégal, le gouvernement de présence du Maïfai et du Premier ministre Ousmane Sanko évoluent dans ce cadre-là. S'ils ont tenté de renégocier aujourd'hui dans le secteur pétro-gazier, ils le font à l'intérieur du cadre légal, institutionnel, etc. Ils ont demandé des audits. des dépenses qui ont été réalisées par les développeurs du projet Sangomar parce que quelque part ils ont très bien compris qu'une des façons qu'ont les multinationales, je ne dis pas que c'est le cas là, je prends la grande profonde profonde diffamation, mais une des façons qu'ont les multinationales de... En général. En général, exactement. Une façon qu'ont ces multinationales là de ne pas payer leur contribution exacte aux finances publiques, c'est de passer par des transactions entre leurs filiales. et donc de surfaturer certaines dépenses. Et ce que le président du Maïfai et son gouvernement ont demandé à une commission d'audit de faire, c'est d'aller vraiment concrètement et de vérifier ce que Woodside Petroleum a vraiment dépensé pour son projet au Sénégal. Je pense que certains se diront... J'ai vu cette critique d'ailleurs à quelques reprises après d'autres interviews, etc. Grosso modo, je t'ai présenté comme une espèce de défenseur du système accompagné. Quelqu'un qui a passé ma vie à essayer d'être iconoclaste. Me rendre compte que je suis devenu l'incarnation de l'homme du parti, c'est effrayant.

  • Speaker #2

    C'est un système dont vous avez peu profité d'ailleurs, donc c'est quand même dommage.

  • Speaker #0

    Exactement, quitte à être accusé de corruption, autant que j'ai eu les bénéfices de la corruption, on n'a vraiment même pas en fait. Non, il y a différentes façons d'organiser les choses. Et je pense que ceux qui insistent sur l'erreur radicale le font en grande partie parce que proposer une alternative qui soit crédible demande du temps, demande la patience. et de prendre le risque de décevoir la population. Et parfois, rester dans l'invective, et on prend le cas de Kimmich et de sa compagnie dans cette prostituée vélitaire-là, c'est peut-être beaucoup plus simple à organiser que de présenter un vrai programme pour la réforme de l'éducation, ou du statut des enseignants, ou de la retraite du secteur public, qui sont de vrais projets d'importance et qui sont parmi les choses les plus ennuyeuses qu'on puisse imaginer, mais il faut que quelqu'un le fasse. Et je pense que beaucoup de gens n'ont pas envie de s'atteler à ça.

  • Speaker #1

    En question de conclusion, on va continuer un peu dans la lignée de votre réponse. Votre récit, il est très intéressant. Il fait une critique bien précise de cette nouvelle vague de néo-souverainisme africain. Mais aussi, ça part du consulat que cette vague prend dans la jeunesse africaine, qu'elle a une matérialisation politique. Face à ça, vous opposez la construction d'un programme économique et politique bien réfléchi, qui prend du temps, comme vous le dites, mais comment est-ce qu'on répond, comment est-ce qu'on rend ces programmes-là, une fois qu'ils sont construits, populaires, et comment on y fait adhérer les populations ?

  • Speaker #0

    Déjà, j'ai eu mal avec cette forme de néo-séloanisme qui consiste à faire défiler des populations et des drapeaux russes. Si c'est pour s'éloigner d'un régiment, pour en adopter un autre, je ne vois pas très bien en quoi il y a eu... une progression, si c'est pas passer de vie à da. Je vois pas très bien la progression en tant que telle. Donc avoir besoin de protecteurs systématiques, je pense que c'est une preuve de faiblesse. Comment est-ce qu'on fait adhérer les populations à une réalité économique qui peut être un peu plus morose ? Déjà, faire en sorte que la réalité économique ne soit pas aussi morose. Dire très clairement ce qui est en train de changer, et je pense que dans beaucoup de pays africains, on ne le fait pas. C'est assez étonnant d'ailleurs, parce que dans le cas de la Côte d'Ivoire que j'évoque, lorsqu'on regarde concrètement ce qui a changé en termes de payés par habitant, en termes de productivité économique, en termes même de réductions de la pauvreté, etc., on a des résultats qui sont remarquables, mais sur lesquels je ne crois pas que le gouvernement insiste assez. Je pense qu'une des raisons pour cela, c'est le syndrome costaricain dont j'ai parlé tout à l'heure. Tout le monde voit à peu près la distance qu'il y a, l'étantitude des problèmes, etc., ce qui fait qu'on ne peut pas vraiment célébrer.

  • Speaker #2

    Il y a aussi le fait que quand vous dites, c'est un truc classique en politique, mais quand le taux de pauvreté a diminué, vous dites, on est passé de 15 à 10%, les 5% qui sont sortis de la pauvreté, ils sont déjà au courant, et les 10% qui y sont encore, ça les intéresse assez peu de savoir qu'ils sont sortis.

  • Speaker #0

    Exactement. Si quelqu'un a des problèmes de la santé, on peut vivre avec son cancer pendant 15, 20 ans, mais personne ne s'en revient parce qu'à la fin du cancer, on meurt. C'est très difficile de se réjouir des problèmes. Je pense qu'on peut faire aller la population à partir du moment où on dit la vérité. Et dans le cas du Sénégal, le programme défendu par Jemma et Fass est un programme avec lequel on ne peut pas être d'accord, mais qui était basé sur une lecture de l'économie et de la situation du pays qui était ancrée dans le réel. Les remèdes me semblent absolument à côté de la plaque, mais ça c'est mon avis. Mais le diagnostic était réel. Et je pense que dans beaucoup de pays, si le diagnostic est réel, la population peut adhérer. Mais encore une fois, je pense que le point de base commence par le point de dire la vérité aux populations. voici ce qu'il est possible de réaliser, voici ce qu'on ne peut pas réaliser. A part que si on ne dit pas ça, on ouvre la porte à toutes sortes de rêves, à toutes sortes d'imaginations débridées et complètement décorrélées du réel. Et cette imagination-là, ces aspirations-là, par définition, seront détruites par la réalité, ne pourront pas se réaliser. Et ça encourage la population à une forme de cynisme et de régler la démocratie comme étant quelque chose qui ne marche jamais, parce que ça ne délivre jamais. mais ça ne l'est pas parce que ce qui est promis est détaché du réel. Merci beaucoup. Merci.

  • Speaker #2

    Merci, Emile. Merci,

  • Speaker #0

    je vous signe.

Description

Dans cet épisode nous recevons Joël Té-Léssia Assoko, journaliste économique, anciennement rédacteur en chef économie de Jeune Afrique.


Joël nous présente son premier essai "Enterrer Sankara". Cet essai, au titre provocateur, propose une critique acerbe de la réactivation du mythe Sankara pour justifier des politiques économiques démagogiques, notamment menées par des régimes militaires sur le continent, menant les pays en question dans l'impasse.


Enterrer Sankara est édité aux éditions Riveneuve


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en partenariat avec l'institut Louis Bachelier et le FINDEVLAB.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de Take Off. Aujourd'hui nous recevons un journaliste et essayiste qui a publié cette année son premier essai, qui fait beaucoup parler de lui, et pour cause il s'intitule « Intéressant Cara » et sous-titré « Intéressant Cara » . essais sur les économies africaines. Ce n'est pas un essai d'histoire, mais bien d'économie politique, et Sankara y évoque essentiellement en écho à la figure tutélaire que se sont choisis les représentants d'un courant néo-souverainiste africain qui a le vent en foule de Niamey à Dakar, en passant par Ouagadougou. Avec des différences importantes, on y reviendra. Vous nous direz aussi quel est le terme selon vous adéquat pour qualifier ce mouvement de pensée. Joël Tédési à Soko, bonjour.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Et pour vous interviewer aujourd'hui, je suis en compagnie d'Emi Rabachérif.

  • Speaker #2

    Bonjour à tous. Alors peut-être en introduction, Joël, vous êtes journaliste économique de formation, analyste des économies africaines. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu votre parcours et pourquoi vous avez choisi d'écrire un essai et comment vous est venu ce thème ?

  • Speaker #0

    Merci pour l'invitation. Je me nomme Joël Tédé, c'est à Soco. Je suis né en Côte d'Ivoire où vit aujourd'hui l'essentiel de ma famille. Mais j'ai fait mes études au Britannique militaire de Saint-Louis. dans le nord du Sénégal, qui est un lycée qui accueille des représentants de différents pays d'Afrique, Mali, Niger, Burkina Faso, Gabon, Côte d'Ivoire évidemment. Et donc, un environnement assez particulier, ça reste un lycée militaire, mais le côté panafricain, la chose était tous marquée jusqu'à présent. Donc ça a donné une approche, une façon de regarder les problématiques dans les pays d'Afrique de façon un peu différente, de sorte que... Je ne me sens pas particulièrement étranger à ce qui se passe dans beaucoup de pays africains parce que j'ai grandi avec des gens qui venaient de ces pays-là. Donc j'ai fait des études en France, en économie, à Sciences Po et à Dauphine. Et ensuite j'ai commencé ma carrière comme journaliste économique à Jeune Afrique où j'ai couvert une multitude de secteurs, de la finance à l'apothèque économique, à la grande industrie parfois, etc. Et j'ai été rédacteur en chef économie entre 2020 et 2022. Et ensuite, en 2023, j'ai quitté le groupe pour me consacrer à cet ouvrage et à une activité de journaliste freelance. Pour l'ouvrage, la raison de l'écrire, je pense que tout s'est informé par les 10 ans de journaliste que j'ai passé à Jeune Afrique. Parce que lorsqu'on est journaliste, on est souvent pris par le flux des événements. C'est telle actue aujourd'hui, telle actue demain, etc. Donc on n'a pas toujours la possibilité de prendre du recul et de... d'essayer de faire sens globalement de quelque chose qui se passe, d'une tendance de fond. Et c'est ce que j'ai constaté par rapport à ce qu'on appellera aujourd'hui le courant, ou en tout cas les héritiers ou les pseudo-héritiers du sans-charisme, un peu largement une certaine vision, on dirait romantique ou un peu aérienne de l'économie. Et je pensais qu'il était nécessaire de prendre un peu le recul pour expliquer ce qui se passait, pourquoi cette vision était dangereuse, et pourquoi les conclusions auxquelles telle vision venait étaient... encore pire que la population du continent.

  • Speaker #1

    Un sujet justement, en parlant d'introduction, c'est un ouvrage d'abord qu'on a trouvé très réussi, à deux qualités, la première c'est d'être accessible, et la deuxième c'est d'être courageux dans le débat actuel. Vous attaquez une sorte de totem de la mémoire africaine qui est Thomas Sankara, qu'est-ce que Sankara représente pour vous au sens de l'ouvrage ? C'est-à-dire quand vous parlez d'enterrer Sankara, quelle partie de l'héritage de Thomas Sankara tel qu'il est relu et vécu par... Ceux qui se décrivent eux-mêmes comme ses héritiers, vous considérez pas en phase avec l'économie actuelle et les perspectives de développement pour les pays africains ?

  • Speaker #0

    Jusqu'à présent, lorsque j'ai fait différentes interviews au sujet de cet autoproject de ma Sankara, j'ai toujours commencé par la partie positive à garder de l'héritage de Sankara, qui est sa compense non très fine de ce qui a fini par être appelé le capital humain, c'est-à-dire la nécessité d'investir dans la santé, dans l'éducation. Je ramènerai les auditeurs à ces autres interventions-là, mais je vais insister sur ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage. Ce que je trouve complètement négatif dans ce déritage, je l'appelle dans l'ouvrage, je dis que c'est une certaine capacité de dissimulation, mais dans la réalité, c'est ce qu'on appelle en français à courant de l'hypocrisie et de mensonge. Quand je parle d'hypocrisie et de mensonge, je parle simplement du rapport à l'aide internationale. Dans l'ouvrage, j'explique que ce sont des économistes burknaviques qui ont... quand il s'est donné qu'on fait des études que je cite dans l'ouvrage mais durant toutes les années sanghara malgré toutes les gestes et collation à l'onu et devant l'organisation de l'unité africaine sur l'aide la dette et compagnie pendant toutes ces années là le pays au sol jusqu'à 14% de son pib en aide internationale les états unis et la france et donc cette habitude de proclamer quelque chose et en sous-main d'accepter autre chose je trouve c'est pernicieux et ça continue jusqu'à présent lorsqu'on parle des jantes malienne Burkina Faso et compagnie, on retrouve le même phénomène. Aujourd'hui encore ces jeunes vont à Washington négocier avec le FMI et la Banque mondiale pour obtenir des financements. Aujourd'hui encore ces jeunes continuent de négocier avec la Banque centrale et les aides à Foucault de Loos pour obtenir des aménagements. Aujourd'hui encore ces jeunes vont sur le marché régional de Guimauve pour mobiliser des fonds et font des tournées auprès des investisseurs de la zone pour mobiliser des fonds. Et donc deux choses l'une, soit ces jeunes, ces pays, ces régimes ont l'autonomie absolument nécessaire et peuvent vivre en autarcie et faire ce qu'ils veulent. Ils sont soumis comme tout le monde au rêve international, au rêve de la nécessité de lever des fonds pour financer l'économie, pour financer les programmes de gouvernement, pour financer les populations tout simplement. Et donc il faut à un moment donné choisir et dire la vérité. Et cette habitude de mentir sur ce qui est possible de réaliser et ce qui n'est pas réalisable, cette habitude-là, elle est restée. Et je trouve que c'est pernicieux parce que ça encourage une sorte d'aquabonisme, ça encourage le yaka-faucon, ça encourage le mensonge, ça encourage des illusions dans le pays. Et ça c'est un des héritages de Sankara. C'est un de ces états-là qu'il faut définitivement tirer. Je ne dis pas que le mensonge n'existe pas en politique. Depuis Hannah Arendt, on sait que c'est une nécessité de la politique. Mais dans le contexte des pays africains, vu la fragilité des économies africaines, les besoins des populations, je pense que les conséquences sont beaucoup plus délétères qu'ailleurs.

  • Speaker #1

    En jouant justement sur cette figure comme Nubumba, comme Sankara, qui en plus, ayant été coupés dans leur élan, sont totalement propices à l'idéalisation qu'on peut en faire ex post.

  • Speaker #0

    ça joue pour beaucoup parce que... Comment dire ? Le point de départ, c'est que beaucoup de gens observent les réalités économiques africaines et en ressentent de la peine, la frustration et beaucoup de colère dans certains cas. Et à ce moment-là, qu'est-ce qu'on fait ? Il y a différentes façons d'absorber la chose. On peut le faire de façon très sobre, voir ce qui marche, ce qui ne marche pas, essayer d'anticiper, d'imaginer. d'autres options et l'autre façon c'est de réagir de façon romantique en fait et se dire si on est là c'est parce que telle ou telle option n'a pas été suivie, c'est parce que tel ou tel élan a été interrompu, c'est parce que le Mumba, c'est parce que Sankara, c'est parce que ci, c'est parce que cela oui c'est une façon de le voir je pense que ça ne mène pas à grand chose parce que en filigrane ce qui est dangereux ici c'est que qu'est-ce qu'on est en train de dire exactement en train de dire que les 54, 55 pays du continent sont Le calcul qu'on fait, en 60 ans, on peut imaginer quelques grosses dizaines, peut-être plus d'une centaine de dirigeants pousser des flammes au pays durant cette époque-là. On est en train de dire que tous ces gens-là ont eu tort, ont trahi leur pays, etc. Et les deux seuls, ou le seul qui avait raison, c'est par hasard celui qui était assassiné. Qu'est-ce que ça veut dire en fait ? Des occidentaux, ils tiendraient ce même discours, déresponsabilisant et légèrement infantilisant par rapport au continent. Tout le monde serait absolument horrifié. Mais dès que des Africains le récupèrent et le projettent en disant « On aurait dû suivre Sankara, c'est lui qui avait raison, c'est le soule, etc. » À ce moment-là, ça devient quelque chose de respectable. Je trouve que ce n'est pas respectable du tout. Il y a des choix qui ont été faits à différents moments dans différents pays africains. Des espérances socialistes ont été lancées. Sankara n'est pas le seul à avoir une expérience socialiste dans son pays. Le Bénin, pendant très longtemps, a subi ça. Le Congo, pour sa ville aussi. et surtout que lui est décédé a été tué au bout de quatre ans donc on n'a pas eu le temps d'absorber complètement l'erreur ou les échecs de ce régime-là. Mais au Bénin, on a vu que ça ne marchait pas. Au Camp-Pas-Azur, on a vu que ça ne marchait pas. Donc à Tchankara, les conditions ont fait qu'on n'a pas eu le temps, ou on voit beaucoup de gens n'ont pas eu le temps de voir que le système ne marchait pas. Et donc ça reste.

  • Speaker #1

    Il y a quand même une critique qu'on pourrait vous faire, et après Emile va parler d'économie, mais justement vous parliez du caractère romantique, idéaliste. En fait, pour résumer pour nos auditeurs, on ne peut pas spoiler, mais vous retravaillez en fait le concept de souveraineté. Vous expliquez que la souveraineté, ce n'est pas du tout l'espèce de nationalisme cocardier et un peu militariste d'un certain nombre de régimes. C'est en fait l'indépendance. Et l'indépendance, elle a comme moyen le développement économique. Et donc, ce qu'il faut, c'est maximiser et faire ce qui marche pour le développement économique. Et c'est ça ce qui est de nature à servir les populations. Mais quelle place... On pourrait en tout cas vous faire un procès en matérialisme. Quelle place vous donnez au non-économique ? Et notamment, ce qu'il y a beaucoup plus dans la geste sans carriène, pour reprendre l'expression que vous utilisez dans votre ouvrage, c'est une forme de... de libération individuelle, de formation de la conscience nationale, d'un élan d'un peuple qui prend main à son destinée. Évidemment, tout ça, c'est un peu esthétique, mais c'est volontairement mis en récit et en roman par ces dirigeants-là. C'est assez dur, y compris avec des gens comme Félouine Sarr, etc., considérant en fait la même chose, considérant qu'ils ont des propos qui sont intelligents sur les plateaux télé, etc. qui n'ont aucune réalité matérielle pour le développement économique. Comment procéder le reste, ce qui n'est pas économique, dans le rôle d'un dirigeant ?

  • Speaker #0

    Si on prend un exemple comme celui de Barack Obama aux États-Unis, il est complètement possible d'inspirer des gens sans commettre des hérésies économiques. Il est complètement possible d'organiser les populations, de les mener à aspirer à quelque chose de positif, sans se mettre à rêver, dans le mauvais sens du terme en tout cas, et imaginer des choses qui ne sont pas possibles. Je pense que dans le domaine agricole, par exemple, lorsqu'on pense aux zones rurales dans notre pays, lorsqu'on pense au décalage qu'il y a entre les zones urbaines et les zones rurales, la possibilité de faire aspirer une bonne partie de la population rural dans notre pays à de meilleurs niveaux de vie, à une autonomie individuelle, en fait. Parce que c'est ce qui vient avec la croissance économique, sa capacité, l'autonomie individuelle. Pour la famille, pour soi-même, pour s'épanouir, etc. Je pense qu'il est entièrement possible. Le mobilisant discours qui parle à ces populations-là, sans qu'on se mette à inventer des ennemis d'interrogues de l'extérieur, sans qu'on se mette à prévoir ou à proclamer ou à proposer la destruction des parties les plus productives de l'économie.

  • Speaker #2

    Dans ce collage, vous évoquez notamment le rôle des institutions et les acquis de l'économie du développement en termes de climat des affaires, de cadre politique inclusif, d'importance de l'État de droit et d'attirer des flux de capitaux étrangers. En ce sens, ça fait énormément écho à toute la théorie économique développée notamment par Assemoglu et Robinson qui ont remporté récemment le plus Nobel d'économie, et vous expliquer en quoi la conception qu'on a évoquée depuis tout à l'heure des néo-souverainistes n'est pas une pensée économique raisonnable. Mais est-ce que vous pouvez développer un peu sur ce que vous proposez, et expliquer pourquoi toute la théorie économique qu'on a développée, qu'on a commencé à mettre en place après la libéralisation, notamment des pays africains dont on parle à la fin des années 90, n'a pas marché ?

  • Speaker #0

    Je ne me retache pas de la pensée de l'âme de départ en fait. Je ne considère pas que ça n'a pas marché, comme vous dites.

  • Speaker #1

    Je pense que c'est sous l'angle, en tout cas, que s'il y a une demande politique et une popularité de ces idées-là, c'est que les prédécesseurs n'ont pas eu un succès transcendant.

  • Speaker #0

    Justement, c'est très important ce que vous soulevez, parce que quelle est la mesure de ce succès ? Dans l'ouvrage, je parle de l'Amérique latine. Il y a un sous-chapitre qui s'intitule « Qu'est-ce que vous avez contre Costa Rica ? » où j'ai expliqué, en fait, en 20 ans à peu près, la productivité économique du pays. la production par habitant accrue de quelque chose comme 20 ou 30 000 dollars et par ricochet, en parallèle, le taux de pauvreté dans le pays est passé de 12% à moins de 1% de la population. Et donc si on fait mon râteau population, le fait que demain en Côte d'Ivoire on vivra au niveau de vie de la Belgique ou du Luxembourg, je pense qu'à cette Ausha, évidemment, n'importe quelle politique économique peut être jugée comme un échec. Mais si on prend sur une voie relativement longue, Encore une fois, j'estime qu'il y a eu des progrès assez importants dans beaucoup de pays. La situation au Sahel, évidemment, n'est pas terrible, comme disait Jeune, mais dans la réalité, si on fait en point de parler relativement, depuis les années 90, les années 2000, il y a eu des progrès assez importants. Ils ne sont pas assez, ils ne sont pas suffisants, mais parce que la situation du départ n'était pas terrible. On oublie encore une fois le contexte dans lequel les dernières... disons la dernière génération a grandi, on oublie le contexte précédent, on oublie encore une fois les expériences qui n'ont pas marché, on oublie les gentes militaires qui ont détruit les économies, on oublie des décisions, des choix, on a dit que l'économie n'était pas terrible et donc la base n'était pas solide. Mais si on prend, en tenant compte de cette base-là, je pense qu'il y a eu des progrès assez importants qui ont été réalisés. On peut considérer que toute cette approche, soit néo-institutionnelle, sur la consolidation des institutions, etc. C'est un prochain... n'a pas eu le succès radical qu'on aurait pu espérer, soit, mais il y a eu des progrès. Et je pense que cette impatience, elle est justifiée, mais elle ne doit pas tout justifier. Elle ne doit pas justifier non plus des ruptures, justifier des méthodes qui ne fonctionnent pas, justifier une sorte d'onérisme en matière économique qui se fait au détenant de la population. Donc évidemment, encore une fois, je suis en train de dire que... tout va bien, c'est formidable, etc. et que venir vivre au Burundi, c'est le paradis. C'est pas ce que je suis en train d'expliquer. Mais il y a eu des progrès quand même qui sont remarquables. Et encore une fois, lorsqu'on descend un peu, lorsqu'on quitte cette façon de raisonner en Afrique globale, etc. et qu'on entre dans le détail, de la Côte d'Ivoire au Botswana au Rwanda au Kenya en Ouganda, il y a beaucoup de pays où matériellement, la vie économique, la vie individuelle est beaucoup plus productive, beaucoup plus saine, beaucoup plus stable, beaucoup plus productive et beaucoup plus horrifiée aujourd'hui qu'elle l'était il y a une génération.

  • Speaker #2

    Dans la critique que l'on fait du modèle qu'on vient d'évoquer et que vous considérez qui marche dans une certaine mesure, il y a la figure toujours de l'ancienne puissance coloniatrice, alors c'est beaucoup plus vrai dans les pays francophones qu'anglophones, mais quand bien même. Et dans votre ouvrage, vous dites « il y a bien des oppositions dans les débats économiques africains qui, sans leur rapport à la colonisation, paraîtraient absurdes » . Donc ce sont les anticolonialistes qui, selon vous, sont encore bloqués dans un logiciel colonial, là où il s'agit d'être eux. postcolonial, c'est-à-dire de penser par soi-même pour décoloniser les esprits. Donc, lorsqu'on compare, pour schématiser la position d'un Kémy Séba, dont l'ensemble du discours, en tout cas dans une grande majorité, s'oppose à l'ancienne puissance colonisatrice face aux réalisations d'un homme politique comme Patrice Talon, pour vous, la personne qui serait encore colonisée serait plutôt Kémy Séba que Patrice Talon.

  • Speaker #0

    Absolument, oui. Quand je dis que c'était dangereux, je le pense fondamentalement. Je donne des exemples dans mon ouvrage, mais si on prend la question du commerce international et de l'accès des pays africains au marché européen. Vous êtes jeunes, moi je me souviens de l'époque, c'était la renégociation des accords de Cotonou et Lomé, c'était l'année 2010, il y avait cette renégociation-là, et on a demandé aux pays africains de signer un nouvel accord avec l'Union Européenne. pour perpétuer leur accès au marché européen. C'est quelques taxes, quelques taux de douane qui allaient évoluer, etc. Et ça a été présenté comme étant une sorte de néocolonialisme. Les gens se sont mobilisés à l'époque en disant qu'on est contre l'unio-esclavagisme de l'Union européenne, etc. Les gens se sont mobilisés avec une violence, en disant que l'unio-esclavagisme était extraordinairement dur. Il y a un artiste sénégalais que j'admire. Didier Awadik a fait toute une chanson « Non ne signe pas » et c'était donc une faute de mobilisation pour ça. Et ensuite, on a passé à autre chose. Les têtes ont été signées, il n'y a pas eu plus de grenouilles tombées sur le continent, le lit n'est pas devenu tout rouge, voilà, la vie a continué. Ça s'est passé. Aujourd'hui, l'Union Européenne est en train de mettre une nouvelle politique, une taxe carbone à la frontière, pour essayer d'équilibrer un peu ce que... Bruxelles considère qu'on est en déséquilibre entre les règles vertes que l'Europe respecte en son sein et la façon dont les produits importés sont justement produits. Mais ça peut avoir des effets absolument catastrophiques pour beaucoup de pays d'Afrique. Du secteur automobile au Maroc, au Nafo du Sud, à l'exportation de biens dans le domaine agricole justement, et de biens intermédiaires. parce que dans beaucoup de nos pays, la production électrique est encore très carbonée. Cette règle carbone à la frontière n'est pas bien dosée, ça peut avoir des effets absolument désastreux sur nos économies. Mais ceux qui étaient mobilisés hier contre le nouveau esclavagisme, parce qu'il y a eu une modification de 2, 3, 4% du droit de douane sur tel ou tel produit, etc., aujourd'hui sont silencieux. Parce que d'un côté c'est facile, c'est facile de se mobiliser sur le détail, de l'autre, entrer dans le concret des choses et aller lire les textes. les analyser concrètement et voir ce que ça change pour la population africaine. Ça demande du temps, ça demande du travail, ça demande de l'énergie. Ils n'ont pas le temps pour ça. Et donc, cette façon-là de détourner le regard, de mobiliser la population sur l'accessoire, d'être absent quand on est dans une chambre de bataille, lorsque le danger est réel, cette façon-là, moi, je la trouve absolument insupportable. Absolument insupportable. Et donc, une chose est d'arriver, de brûler un billet de France CFA devant la foule à Dakar, de se faire applaudir par les vannes de pieds et les désœuvrés qui traînent là. Une autre chose, c'est de développer une politique économique cohérente pour un pays. Et dans le cas du BNES, on peut dire ce qu'on veut. Je ne suis pas partisan de telle ou telle personne. Honnêtement, je suis indifférent à beaucoup d'entre eux. Mais dans le cas du BNES, ce qu'ils sont arrivés à faire, ce qu'ils sont arrivés à faire en mobilisant, en étant le premier pays africain à émettre de la dette durable à des taux qui sont très faibles, pour pouvoir continuer à financer l'économie, ça a demandé un travail hyper précieux, hyper... beaucoup de diligence pour arriver à ça. Et ils sont arrivés. Ça demande du travail. Ça demande l'attention. Et ça demande une vision. et c'est quand même autre chose que d'aller à... mobiliser des émotions sans direction et sans but.

  • Speaker #1

    Justement, pour revenir sur Bruxelles, vous évoquez, c'est pas du tout central dans le bouquin, mais vous évoquez rapidement aussi ce paradoxe d'un discours néo-souverainiste, donc à la fois centré aux sciences propres et à la nation, et compris avec les institutions militaires, et en même temps qui se veut très panafricain, donc au niveau du continent, et qui est en même temps très, et ça c'est un point commun de tous ces régimes, qui a une grande défiance, j'ai vu, de toutes les organisations communautaire, qu'elle soit au niveau continental ou sous-régional, qui sont vus comme des institutions qui sont oligarchiques, qui briment l'expression populaire et qui seraient, comme vous disiez, des espèces de suppôts de l'occident cachés. Est-ce que, selon vous, c'est une forme de paradoxe qui s'explique très prosaïquement par le fait que personne, y compris en Europe, n'aime les règles communautaires et le cadre communautaire et donc que c'est une espèce de rhetoric un peu populiste facile ? Ou est-ce qu'il n'y a quand même pas quelque chose de plus profond dans la volonté d'une autre intégration régionale, un peu une espèce de retour à l'organisation de l'unité africaine, qui est moins normatif mais qui est plus portée par un élan ?

  • Speaker #0

    Ce qui a changé entre l'OEA et l'organisation de l'unité africaine et l'Union africaine, La première était portée par la politique. Il y avait... l'Union Européenne était essentiellement politique à partir de... du Népal à partir des années 2000, la vision est beaucoup plus économique, dans une forme de modernité, dans le domaine économique, en tout cas l'adoption des mots de passe, des méthodes, des théories qui étaient en vigueur ailleurs. Mais à partir du moment où ce déplacement a été fait, je pense qu'il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population. Il était beaucoup plus difficile de mobiliser la population, il était beaucoup plus difficile de réaliser quoi que ce soit d'ailleurs. L'Océan africain qui est paralysé, il y a eu une nouvelle élection, il y a eu un nouveau... au président de la commission. Est-ce qu'il pourra changer les choses ? Je ne sais pas. Mais dans les faits, il y a de vraies contradictions, je pense, entre ce qui se passe au niveau du CEL aujourd'hui. On a un ensemble de pays qui arrivent et qui, en principe, défendent une vision pas panafricaine ou panafricaniste, ou avocat son panafricaniste de l'économie, des interactions des États. Et la première chose qu'ils font, c'est de détruire une organisation régionale et d'encourager d'autres pays à les rejoindre dans cette aventure. La réaction des pays de la CEDEAO pour moi était toujours très mesurée jusqu'à présent. Des décisions beaucoup plus sévères auraient pu être prises, ça aurait été au détriment de la population, je pense que c'est la raison pour laquelle ça n'a pas été fait, mais il y a quelque chose de fondamentalement contradictoire entre défendre l'unité africaine et en même temps détruire l'une des organisations régionales les plus efficaces de la zone. On l'oublie, mais aujourd'hui dans toute la zone CEDEAO, il est possible de se débasser avec son passeport national sans visa. Ce n'est pas le cas dans beaucoup de zones du continent, malgré le départ de ces pays-là. les frontières sont restées ouvertes. On n'a pas interdit, les pays qui sont restés n'ont pas interdit aux sortissants des départements de refuser l'accès aux facilités qui existaient avant. Donc il y a une vraie contradiction, je pense, et cette contradiction-là est simplement due au fait qu'il faut trouver un bon commissaire. Et comme vous disiez tout à l'heure, personne ne se bat pour l'Union africaine, et personne ne se bat pour la CDAO. Les gens se battent encore contre l'Union économique et monétaire ou assafouiquaine, mais c'est parce qu'ils se battent contre le franc CFA, mais la personne qui se lève tous les matins en disant « Dieu soit loué, la baissière est à Dakar » , donc il y a personne qui le fait. Donc quelque part, c'est beaucoup facile d'obliger les gens contre ça. Mais je ne suis pas certain qu'on mesure à quel point ce sera difficile de faire revenir ces pays dans la zone si le décalage actuel persiste longtemps, parce que les autres avancent. Il y a de nouvelles normes qui vont être créées, il y a de nouveaux protocoles, il y a de nouveaux... D'accord, il y a de nouveaux programmes de développement qui vont être lancés, dont ils seront exclus. Après les réintégrer, ça ne sera pas aussi simple que ça. Au final, il y a une perte nette pour tout le monde, mais la cause de cette perte nette-là sont les jeunes sahéliens.

  • Speaker #1

    Peut-être qu'on a évoqué le pédant, le totem de Thomas Sankara, pour reprendre le titre de Freud. Le tabou aussi, qui est vraiment central et qui traverse un peu l'ouvrage, c'est la question autoritaire. Le régime Sankara, c'est un régime qui... voulait révolutionnaire et qui aspirait, en tout cas dans son discours, à la démocratie directe et réelle, mais qui, sur ce chemin-là, se permettait à un cadre de direction qui serait considéré aujourd'hui comme autoritaire. Est-ce que l'instrumentalisation de ce discours, dans le cas de cette figure, elle a vocation essentiellement dans les rhétoriques de ceux qui s'en veulent les héritiers, à justifier leur propre cadre autoritaire ? Et est-ce qu'il n'y a pas là, pour le coup, l'expression d'une grande diversité ? Parce que, de ce point de vue-là, sur la question démocratique, ça n'a rien à voir. au sens où il est... Le président de Jamal Khair, ils ont été élus démocratiquement, ils ont été opposants politiques, ils ont rentré dans le genre d'institution, et dans le cas, il y a un coup d'établissement. Donc, il y a quand même un héritage chancarien qui est vécu très différemment sur cette question-là, parmi tous ceux qui se veulent ses héritiers.

  • Speaker #0

    Je sais que certains héritiers de Sankara ont présenté Sanko comme étant un des leurs. Est-ce que lui a revendiqué ouvertement cet héritage ? Je ne sais pas. Après, il y a les dernières portions, on n'est pas obligé de dire telle ou telle chose pour avoir une portion, un discours qui ressemble à cela. Comment dire ? On parlait tout à l'heure au début de l'émission, lorsqu'on évoquait la question économique, et j'ai insisté sur le fait qu'il y avait eu des progrès quand même, et qu'il fallait trouver la bande du jeu, et ne pas viser nécessairement des standards qui n'étaient pas accessibles. Je pense qu'il y a une vraie déception démocratique sur le continent. Même dans les jeunes générations et les sondages qui sont faits par Afro-Bahramato, etc., en tout cas au sud du Sahara, il y a un vrai, je ne veux pas un rejet, mais une profonde déception par rapport... aux régimes démocratiques. Parce que, il y a une partie de rhétorique, il y a une partie de difficulté économique réelle, et beaucoup de gens se disent, bah oui, pourquoi pas. Pourquoi pas une autre façon de gouverner, pourquoi pas un autre modèle. Et j'ai une vision très, très, très dure des jeunes militaires et des coups d'État de façon générale. Je n'approche pas des coups d'État, c'est aussi basique que ça. C'est parce que je viens de Côte d'Ivoire et que j'ai vu ce qui s'est passé après le coup de TEC 99, après les tentatives de coup d'État de 2002, la partition du pays, etc. Ça laisse les conditions dans lesquelles le conflit s'est achevé en 2011. Et tout ça m'a quelque part... Vacciné un peu contre les coups d'État si je peux le dire, et j'ai grandi dans la frise des années 90. Pour les plus jeunes, vous ne savez pas ce que c'est, mais à l'époque, c'était le Liberia, la Sierra Leone, le Rwanda, c'était des choses épouvantables tout le temps à la télévision. Donc j'arrive en ayant ce background-là, et donc je me dis des alternances démocratiques, même si elles sont imparfaites, même si la promesse économique n'est pas tenue, c'est toujours mieux que... que ce que moi j'ai vu en grandissant. Je pense que le rapport est différent, mais la déception démocratique est réelle. Et je pense que si on prend ce qui se passe en Guinée aujourd'hui, avec, après le coup de l'État, etc., le nouveau régime, je pense que je ne serais pas étonné que la popularité de ce régime soit réelle. Le régime du président Alpha Condé était vieillissant, il n'y avait plus l'énergie qu'il fallait, son successeur. et arriver à négocier les contrats dans le secteur minier, il l'a fait correctement, pas en nationalisant les actifs, mais en embauchant des avocats qui ont négocié. Ça a coûté cher, mais ils ne sont pas revenus. Il a commencé à faire des changements dans l'économie, même dans la politique du pays, en réorganisant les partis politiques. Ça peut paraître assez antidémocratique vu comme ça, mais lorsqu'on sait qu'il y avait des dizaines et des dizaines de partis qui n'avaient à peu près aucune réalité politique, mais qui existaient comme plateforme pour tel ou tel autre. pour forcer la modernisation de ces régimes, de ce système de partis qui n'étaient pas plus mal. Donc, cette tolérance pour les voies autoritaires est réelle. À mon avis, c'est une erreur, mais c'est réel. Et il faut tenir compte de ce que la population veut. Et je pense que beaucoup d'oppositions dans beaucoup de pays du continent auraient intérêt à prendre ce qui s'est passé au Sahel au sérieux. C'est-à-dire que si l'alternance démocratique, si la proposition de l'opposition n'est pas forte, il est entièrement possible que ce soit des régimes militaires qui prennent le relais. On l'a vu au Gabon, par exemple. C'était un coup à l'intérieur du clan au pouvoir, mais ça reste quand même une transition avec une opposition qui n'était pas au niveau. Un gouvernement qui n'était pas au niveau, une opposition qui n'était pas au niveau, ça laisse la place aux militaires. Et je pense que beaucoup au Sahel et ailleurs, ils jouent là-dessus.

  • Speaker #2

    Comme vous le dites, c'est des régimes qui, quand on prend le cas du Gabon, le cas de la Guinée... sont assez populaires, mais comment on conjugue donc à la fois la popularité de ces régimes quasi autoritaires et qui en plus sont arrivés par des coups d'État, et ce que vous avez vu un peu plus tôt, la déception vis-à-vis de la démocratie, la façon dont la démocratie a été appliquée dans ces pays-là ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'une bonne partie de ces difficultés tirent aux oppositions. En Côte d'Ivoire, on peut réaliser ce qui se passe aujourd'hui, il est très probable que l'opposant à la Sénatare va se représenter. Tout le monde admet qu'en 2020, il voulait vraiment partir et prendre sa retraite. Mais le décès de Madhuban Koulibaly, son dauphin désigné, a changé les choses. Mais l'opposition en Côte d'Ivoire est aujourd'hui incapable de construire un front uni. C'est un gouvernement qui est là depuis 15 ans maintenant, depuis 2010, qui est là depuis 15 ans maintenant, qui a accompli beaucoup de choses, mais il y a aussi des critiques à mener. Et si l'opposition n'arrive pas à proposer une alternative logique... et cohérente et on peut retrouver ça dans beaucoup d'autres pays. Évidemment, la population reste dans l'idée, la perception qu'il n'y a pas d'alternative. Il faut poser une alternative aux gens, une alternative qui soit crédible et c'est seulement à partir de là qu'on peut présenter la démocratie comme quelque chose qui fonctionne, comme quelque chose qui soit solide. Au Sénégal, c'est le cas en fait. L'alternative proposée par Ousmane Sonko, c'est ce qu'on veut de séparation d'économie, mais c'était une alternative qui était crédible. et qui a été approuvé par la population, non seulement après l'élection du premier tour, mais aussi avec le vote législatif qui leur a donné une majorité écrasante. Mais s'il n'y a pas d'alternative proposée par l'opposition, la déception est ancrée et le déni de la démocratie, ou une trilogie de la démocratie comme système politique crédible, ce déni-là persiste.

  • Speaker #2

    Pour reprendre un autre thème, on va aborder les valeurs occidentales et ce qu'elles représentent dans le discours des régimes dont on parle depuis tout à l'heure. Vous parlez dans votre livre de « Réputation imprécise des valeurs occidentales » et pour citer Achille Mbembe, la stratégie du bouc émissaire. Qu'est-ce que l'Occident représente dans ce discours et à quoi ces régimes s'opposent-ils ? Et quand on parle des régimes, on parle aussi évidemment des populations qui les soutiennent.

  • Speaker #0

    Je ne suis pas la meilleure personne à qui poser la question, parce que c'est ceux qui rejettent l'Occident qui doivent expliquer exactement ce qu'ils rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent à l'intérieur, en fait ? Le christianisme ? Le français ? Il faut qu'ils me disent exactement ce qu'ils rejettent, parce que je parle en ouvrage, mais j'ai vu des discours passés qui m'ont scotché. Je parle de Claudicier, l'animateur de RFI, qui, après le coup d'État au Niger, a écrit tant de textes enflammés sur... LinkedIn, je pense qu'ils demandaient à Jacques Attali et d'autres de laisser les Africains commettre leurs erreurs parce que l'homme africain n'est pas un occidental, il a son propre univers, patati patata, et on va laisser les Africains créer un régime qui nous ressemble. Il en dit à Colissia, qu'est-ce qu'il a à voir avec l'Afrique en fait ? Qui nous ressemble encore ? Mais ce genre de...

  • Speaker #1

    Dans l'imprécision, vous entendez vraiment une confusion et derrière un propos qui est incompréhensible.

  • Speaker #0

    Ils ne disent pas exactement ce qu'ils rejettent. Est-ce qu'ils rejettent les libertés accordées aux personnes LGBT en Occident ? Il y a beaucoup de gens sur le continent qui rejettent ces libertés-là. Il n'y a pas que eux. Aux États-Unis, en Europe, partout, en Europe centrale, en Amérique latine, il y a aussi des gens qui les rejettent. Qu'est-ce qu'ils rejettent exactement ? Est-ce qu'ils rejettent la démocratie ? Et donc, dans ce cas, qu'est-ce qu'ils proposent ? Un autoritarisme ? sans frein, sans limite ? Est-ce qu'il rejette la langue française ? Est-ce qu'il rejette l'économie moderne ? Est-ce qu'il rejette juste le français femme et approuve le reste ? Qu'est-ce qu'il rejette exactement, en fait ? Il faut qu'il nous dise ce qu'il rejette. Et je pense que c'est très facile de rester dans cette imprécision. Parce que cette imprécision permet de ne pas trancher exactement. Parce que s'il disait très clairement on est ouvertement contre la démocratie et on veut le régime à la poutine, Ok, mais qu'ils le disent exactement. Alors que ce qui se passe, c'est que vous restez dans cette rhétorique floue parce que ça permet de dénoncer tout et n'importe quoi, de ne jamais rien proposer de spécifique et qu'il soit réfutable.

  • Speaker #2

    Il y a quand même un élément, et on arrive à la fin de l'interview et ça revoucle un peu avec la question des miennes tout à l'heure, mais il y a une expression où vous dites en fait, les Africains se trompent de colère. Et donc si on se trompe de colère, c'est qu'il y a une colère légitime qu'on peut exprimer. Et malgré tout, peut-être... C'est là où je pense qu'on aurait pu rajouter un chapitre à l'ouvrage, mais moi ça aurait dilué le propos. Mais c'est que malgré tout, dans ce qui a été proposé, il y a eu une trajectoire de développement économique qui a été plutôt réussie dans plein de pays. Mais il y a un niveau d'inégalité qui est extrêmement important. Il y a des régimes qui ont l'apparence d'une démocratie, mais qui sont assez oligarchiques et qui concentrent les richesses. Il y a un niveau de fiscalité sur les plus fortunés qui, en moyenne, déficitent de concurrence. Et donc, on comprend que, en tout cas, je pense qu'il faut faire attention à ne pas exprimer que nous, du point de vue qui est le vôtre, la même idée que « there is no alternative » . Et qu'un centre de régime comme Ousmane Sonko, auprès de l'inspiration, comme vous le citez dans le bouquin, en Amérique du Sud, chez Lula, chez Kirchner, chez Modi, ça participe du débat démocratique sain entre différentes options politiques. J'ai l'impression que dans votre ouvrage, il y a deux propos. Il y a un propos sur la nécessité d'un débat de qualité. contre les régimes autoritaires, etc. Et puis par ailleurs, il y a un souple texte qui veut dire qu'en fait, ce débat a un peu déjà été tranché par les équipes d'économie et développement, qu'on sait comment ça fonctionne, il faut des bonnes institutions, qu'il y ait des affaires, et puis tout roule.

  • Speaker #0

    Oui, évidemment vous avez raison de pointer le danger, le péril du raisonnement alternatif, qui est à mon avis aussi dangereux que d'avoir des gendres militaires au pouvoir. Donc ça, je comprends très bien. Mais le fait de dire qu'il faut un cadre économique ou fiscal public et racial ne signifie pas qu'il n'y a pas de différentes façons d'organiser les économies. Si on prend la Côte d'Ivoire et le Maroc, par exemple, qui sont deux pays qui ont connu des évolutions économiques assez intéressantes durant les 15 dernières années, le système bancaire marocain dans son expansion au sud du Sahara a été très poussé par le roi Mohamed VI. C'était sa vision. encouragé, il a fait tout ce qu'il pouvait pour que les gouvernements successifs, la banque centrale, le secteur privé, etc. aillent dans cette direction. C'est un développement qui a connu un succès remarquable, mais qui a été très augmenté par l'exécutif. En Côte d'Ivoire, le gouvernement du président de la Sainte-Ventara a été très, très libéral sur ce point de vue-là. Il a laissé les banques s'organiser comme elles voulaient, financer les structures d'économie qu'elles voulaient, sans vraiment intervenir là-dessus, parce que, quelque part, il a considéré que c'était pas le boulot du gouvernement et que l'État avait d'autres priorités que ça. Donc à l'intérieur de ce bloc théorique et institutionnel, il y a différents arrangements qui sont possibles. Au Sénégal, le gouvernement de présence du Maïfai et du Premier ministre Ousmane Sanko évoluent dans ce cadre-là. S'ils ont tenté de renégocier aujourd'hui dans le secteur pétro-gazier, ils le font à l'intérieur du cadre légal, institutionnel, etc. Ils ont demandé des audits. des dépenses qui ont été réalisées par les développeurs du projet Sangomar parce que quelque part ils ont très bien compris qu'une des façons qu'ont les multinationales, je ne dis pas que c'est le cas là, je prends la grande profonde profonde diffamation, mais une des façons qu'ont les multinationales de... En général. En général, exactement. Une façon qu'ont ces multinationales là de ne pas payer leur contribution exacte aux finances publiques, c'est de passer par des transactions entre leurs filiales. et donc de surfaturer certaines dépenses. Et ce que le président du Maïfai et son gouvernement ont demandé à une commission d'audit de faire, c'est d'aller vraiment concrètement et de vérifier ce que Woodside Petroleum a vraiment dépensé pour son projet au Sénégal. Je pense que certains se diront... J'ai vu cette critique d'ailleurs à quelques reprises après d'autres interviews, etc. Grosso modo, je t'ai présenté comme une espèce de défenseur du système accompagné. Quelqu'un qui a passé ma vie à essayer d'être iconoclaste. Me rendre compte que je suis devenu l'incarnation de l'homme du parti, c'est effrayant.

  • Speaker #2

    C'est un système dont vous avez peu profité d'ailleurs, donc c'est quand même dommage.

  • Speaker #0

    Exactement, quitte à être accusé de corruption, autant que j'ai eu les bénéfices de la corruption, on n'a vraiment même pas en fait. Non, il y a différentes façons d'organiser les choses. Et je pense que ceux qui insistent sur l'erreur radicale le font en grande partie parce que proposer une alternative qui soit crédible demande du temps, demande la patience. et de prendre le risque de décevoir la population. Et parfois, rester dans l'invective, et on prend le cas de Kimmich et de sa compagnie dans cette prostituée vélitaire-là, c'est peut-être beaucoup plus simple à organiser que de présenter un vrai programme pour la réforme de l'éducation, ou du statut des enseignants, ou de la retraite du secteur public, qui sont de vrais projets d'importance et qui sont parmi les choses les plus ennuyeuses qu'on puisse imaginer, mais il faut que quelqu'un le fasse. Et je pense que beaucoup de gens n'ont pas envie de s'atteler à ça.

  • Speaker #1

    En question de conclusion, on va continuer un peu dans la lignée de votre réponse. Votre récit, il est très intéressant. Il fait une critique bien précise de cette nouvelle vague de néo-souverainisme africain. Mais aussi, ça part du consulat que cette vague prend dans la jeunesse africaine, qu'elle a une matérialisation politique. Face à ça, vous opposez la construction d'un programme économique et politique bien réfléchi, qui prend du temps, comme vous le dites, mais comment est-ce qu'on répond, comment est-ce qu'on rend ces programmes-là, une fois qu'ils sont construits, populaires, et comment on y fait adhérer les populations ?

  • Speaker #0

    Déjà, j'ai eu mal avec cette forme de néo-séloanisme qui consiste à faire défiler des populations et des drapeaux russes. Si c'est pour s'éloigner d'un régiment, pour en adopter un autre, je ne vois pas très bien en quoi il y a eu... une progression, si c'est pas passer de vie à da. Je vois pas très bien la progression en tant que telle. Donc avoir besoin de protecteurs systématiques, je pense que c'est une preuve de faiblesse. Comment est-ce qu'on fait adhérer les populations à une réalité économique qui peut être un peu plus morose ? Déjà, faire en sorte que la réalité économique ne soit pas aussi morose. Dire très clairement ce qui est en train de changer, et je pense que dans beaucoup de pays africains, on ne le fait pas. C'est assez étonnant d'ailleurs, parce que dans le cas de la Côte d'Ivoire que j'évoque, lorsqu'on regarde concrètement ce qui a changé en termes de payés par habitant, en termes de productivité économique, en termes même de réductions de la pauvreté, etc., on a des résultats qui sont remarquables, mais sur lesquels je ne crois pas que le gouvernement insiste assez. Je pense qu'une des raisons pour cela, c'est le syndrome costaricain dont j'ai parlé tout à l'heure. Tout le monde voit à peu près la distance qu'il y a, l'étantitude des problèmes, etc., ce qui fait qu'on ne peut pas vraiment célébrer.

  • Speaker #2

    Il y a aussi le fait que quand vous dites, c'est un truc classique en politique, mais quand le taux de pauvreté a diminué, vous dites, on est passé de 15 à 10%, les 5% qui sont sortis de la pauvreté, ils sont déjà au courant, et les 10% qui y sont encore, ça les intéresse assez peu de savoir qu'ils sont sortis.

  • Speaker #0

    Exactement. Si quelqu'un a des problèmes de la santé, on peut vivre avec son cancer pendant 15, 20 ans, mais personne ne s'en revient parce qu'à la fin du cancer, on meurt. C'est très difficile de se réjouir des problèmes. Je pense qu'on peut faire aller la population à partir du moment où on dit la vérité. Et dans le cas du Sénégal, le programme défendu par Jemma et Fass est un programme avec lequel on ne peut pas être d'accord, mais qui était basé sur une lecture de l'économie et de la situation du pays qui était ancrée dans le réel. Les remèdes me semblent absolument à côté de la plaque, mais ça c'est mon avis. Mais le diagnostic était réel. Et je pense que dans beaucoup de pays, si le diagnostic est réel, la population peut adhérer. Mais encore une fois, je pense que le point de base commence par le point de dire la vérité aux populations. voici ce qu'il est possible de réaliser, voici ce qu'on ne peut pas réaliser. A part que si on ne dit pas ça, on ouvre la porte à toutes sortes de rêves, à toutes sortes d'imaginations débridées et complètement décorrélées du réel. Et cette imagination-là, ces aspirations-là, par définition, seront détruites par la réalité, ne pourront pas se réaliser. Et ça encourage la population à une forme de cynisme et de régler la démocratie comme étant quelque chose qui ne marche jamais, parce que ça ne délivre jamais. mais ça ne l'est pas parce que ce qui est promis est détaché du réel. Merci beaucoup. Merci.

  • Speaker #2

    Merci, Emile. Merci,

  • Speaker #0

    je vous signe.

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