- Speaker #0
Take off
- Speaker #1
Votre podcast sur le développement des Suds et les moyens de le financer En partenariat avec l'Institut Louis Bachelier
- Speaker #0
Bertrand Badry
- Speaker #1
Notre invité aujourd'hui est par profession un financier et par vocation un acteur engagé du développement et ainsi un invité tout à fait indiqué pour ce podcast qui souhaite aborder et croiser ces deux thèmes, celui de l'émergence des Sud et celui des moyens de la financer. Bertrand Badré, bonjour et merci d'avoir accepté mon invitation. Bonjour. Vous êtes désormais un investisseur à impact, cofondateur du fonds Blue Like an Orange Sustainable Capital et vous avez eu plusieurs vies. Antécédente, vous avez été haut fonctionnaire, conseiller du président Chirac en charge du développement de l'Afrique et de la coopération multilatérale, notamment dans les domaines de l'eau et des vaccins, banquier, directeur financier dans le secteur bancaire et directeur général finance de la Banque mondiale de 2013 à 2016. Au cours de cet entretien, on évoquera ces différentes activités passées et présentes, mais en premier lieu, je souhaitais vous faire réagir sur ce parcours éclectique, dont le dénominateur commun, au moins pour ce qui concerne les 20 dernières années. Est la finance et l'angle financier, vous étiez au départ énarque de formation et plutôt au fonctionnaire par héritage, y compris familial. Alors d'où vient ce choix d'aborder les problèmes du temps par l'angle de la finance et quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette orientation que la vie vous a amené à prendre ?
- Speaker #0
D'abord, j'ai effectivement une partie de ma famille qui me rattache au service public et j'ai une autre partie de ma famille qui me rattache à la finance. J'ai deux oncles maternels. qui étaient des dirigeants importants du secteur bancaire dans les années 80 et début des années 90, qui sont décédés malheureusement assez jeunes. Et donc j'ai choisi de faire HEC, et HEC en partie parce que j'aimais les maths, de faire de la finance. Donc j'ai vraiment fait de la finance un peu par accident et de plus en plus par choix. Je sais d'abord. Ensuite, j'ai fait Sciences Po. Et tout en faisant Sciences Po, j'ai travaillé dans une entreprise. J'étais adjoint du directeur financier. Donc j'ai poursuivi dans la finance, dans une PME. Je me souviens, je raconte souvent comment j'ai négocié un premier crédit chez BNP, qui n'était pas encore Paris-Bas, à l'agence BNP du 15e arrondissement. Après l'ENA, j'ai travaillé au ministère des Finances. Donc j'ai commencé à explorer la finance et à m'y intéresser. Et en fait, le moment où j'ai fait sens de tout ça, C'est un peu un accident, mais j'ai eu la chance de rencontrer Michel Cantu, qui avait été directeur général du FMI de 1987 à 2000, à son retour à Paris. Et pour toute une série de raisons, on a sympathisé. Il m'a proposé de le rejoindre dans un groupe qu'il avait été chargé de présider sur le financement de l'accès à l'eau. Et je me suis retrouvé dans ce groupe, un peu le bébé du groupe. La plupart des gens étaient déjà des sommités, Michel Cantu évidemment au premier chef, mais... André Elgouria, qui quelques années plus tard allait devenir secrétaire général de l'OCDE, Alassane Ouattara, qui est maintenant président de la Côte d'Ivoire, pour en nommer que quelques-uns. Et puis, moi j'avais à peine 30 ans, j'étais vraiment jeune, et c'était la première fois que j'étais amené à me poser la question d'au fond, nous avons un bien public, l'eau. C'était une époque où c'était très compliqué, on parlait de privatiser l'eau, il y avait eu des émeutes en Amérique latine, des émeutes aux Philippines, sujet très compliqué pour les Français, parce que ça impliquait des groupes français dans les deux cas, avec des morts, il y avait une tension assez forte, et donc pour calmer les jeux, on avait dit, on va réfléchir à comment on finance l'accès à l'eau. Et c'est la première fois que j'ai été amené à me poser la question de, au fond, est-ce que les outils financiers nous permettent de répondre bien ou pas à des problématiques de cette nature. Et donc j'ai passé 18 mois avec ce groupe de haut niveau, avec les meilleurs professeurs que je pouvais trouver, mais aussi je leur apportais quelque chose, c'est-à-dire que c'est aussi des gens qui avaient finalement assez peu conscience des transformations très récentes de la finance, de la finance de marché par exemple. Et donc j'ai passé un certain temps sur ces sujets-là, ce qui m'a amené à me faire recruter par Jacques Chirac, notamment pour la préparation du sommet du G8 d'Evian. En 2003, c'était quelques mois après que Jacques Chirac eut cette phrase fameuse la planète brûle et nous regardons ailleurs Donc il y avait un engouement assez fort sur ces questions de développement, ces questions de relations avec l'Afrique, le financement de l'accès à l'eau, les questions de santé, c'était des gros efforts sur le sida. mais aussi sur la tuberculose, la malaria, etc. Et donc je me suis retrouvé finalement, toutes ces années-là, on parle de 2002-2003, à réfléchir à est-ce que la finance peut apporter des éléments de solution à ces problématiques mondiales. Et je me suis aperçu que ça me plaisait bien, qu'il y avait une dimension intellectuelle, mais qu'il y avait aussi une dimension très pratique, que ces outils financiers pouvaient permettre de faire autre chose. Et donc c'est là que ça a cristallisé. J'ai retrouvé, quand j'ai été recruté à la Banque mondiale une dizaine d'années plus tard, la convergence de ces questions d'outils financiers et de problématiques un peu plus larges. Et finalement, ça s'est fait, comme vous l'avez vu, un peu par accident, mais c'est ce que j'aime aujourd'hui. Comment combiner ma compréhension des mécanismes financiers Ma compréhension de l'outil financier, j'insiste bien, la finance c'est un outil, ce n'est pas une fin en soi. Comment est-ce qu'on peut utiliser cet outil pour contribuer à répondre aux plus importants problèmes auxquels notre planète est confrontée aujourd'hui ?
- Speaker #1
À cet égard, vous êtes de ceux qui théorisaient un rôle potentiel vertueux à la finance et à l'ingénierie financière qui serait au service d'une création de richesses soutenables et partagées. Vous aviez fait le choix provoquant de sous-titrer votre dernier ouvrage, votre avant-dernier ouvrage, et si la finance sauvait le monde ? Et vous avez été au sein du Financial Stability Board, et donc vous avez été au cœur du système. Finalement, à votre retour de la Banque mondiale, vous avez fait le choix de fonder votre propre structure avec des associés. Est-ce que c'est une forme de renoncement quant à la capacité des grosses machines du secteur bancaire à se réformer, ou est-ce que c'est un choix personnel, une initiative ?
- Speaker #0
C'est un peu les deux, c'est-à-dire que ce que je crois... C'est que la finance n'est jamais aussi bonne quand elle est ramenée à sa juste place, c'est-à-dire à celle d'un très bon outil. Pour reprendre les mots de la sagesse populaire, c'est un très bon serviteur et un très mauvais maître. La finance, c'est ce qui nous permet de sortir du ici et maintenant, du hiket nunk. Avec des outils financiers, là, dans ce salon, ou à Paris, vous pouvez vous projeter non pas juste à Paris en janvier 2023, vous pouvez vous projeter à Bogota en 2030, vous pouvez vous projeter à Pékin en 2035. C'est un outil extrêmement puissant. J'ai eu la chance, et encore une fois, ce n'était pas du tout planifié, de trouver là où ça se passait depuis 20 ans. Je me suis retrouvé au ministère des Finances quand on préparait l'euro et la mission dans l'Europe, des pays d'Europe de l'Est. Je me suis retrouvé comme banquier d'affaires à Londres et New York au moment de la bulle internet, ce qu'on appelle la nouvelle économie et de son explosion. J'étais à New York au moment de l'explosion du World Trade Center. Je me suis retrouvé directeur financier des groupes Crédit Agricole et Société Générale, donc deux parmi les cinq ou sept plus grandes banques du monde au moment de la plus grave crise financière du siècle dernier. Et je me retrouve à la Banque Mondiale au moment où on essaie de tirer les conséquences de cette crise et à travers le Financial Stability Bank auquel vous avez fait référence, de savoir comment ou pas... On allait faire face et répondre aux défis posés par cette crise financière du subprime et de l'euro. Et donc, c'est un peu en tirant la leçon de toutes ces expériences que je me suis dit finalement, il faut que j'ai deux jobs. Et pour répondre à votre question, je disais le détour est un peu long, j'ai un day job et un night job. Mon travail de jour, c'est de faire fonctionner Blue Lack Orange, ça c'est mon job de jour. Et donc, dans le cadre du système tel qu'il est défini aujourd'hui, avec toutes les imperfections dont on pourra reparler, Je peux investir, je peux quand même faire des choses bien. Dans le monde d'aujourd'hui, on peut quand même faire blue like an orange. Et il y a pas mal de gens qui font des choses positives. Il ne faut pas prendre comme excuse pour ne rien faire, pour procrastiner le fait qu'il y aurait des limites dans le système. Ce qui est vrai en revanche, c'est que le système actuel, il est quand même très contraignant. Et que si on bougeait quelques lignes du système actuel, on pourrait être infiniment plus impactant. Et c'est ça, c'est mon job de nuit, et c'est pour ça que je continue à écrire des livres, des articles, je suis très heureux de parler avec vous ce soir, etc. Et donc pour moi, il faut les deux, il faut à la fois montrer par l'exemple qu'on peut quand même faire des choses, et c'est pour ça que j'ai créé Blue Lack Orange avec mes associés, des choses que je ne pouvais plus faire dans le cadre de la Banque Mondiale ou d'ailleurs, la difficulté c'est que c'est beaucoup plus petit. J'ai écrit un rapport qui s'appelait From Billions to Trillions et qui était un rapport qui était... qui est sorti au moment des grands accords de 2015 sur le climat et sur le développement durable, dans lequel j'expliquais que les ordres de grandeur pour transformer notre économie comme on le souhaitait à l'époque, c'est-à-dire comme transformer notre économie en économie durable, inclusive et résiliente, il fallait des milliers de milliards, des trillions d'investissements annuels. et qu'en face de ça, on ne bougeait que des billions, c'est-à-dire des milliards, et qu'il y avait un problème d'ordre de grandeur. Professionnellement, j'ai fait le chemin inverse. Au lieu de passer des billions aux trillions, je suis passé des trillions aux millions. Donc là, j'ai même divisé par un milliard. Quand j'étais au Crédit Agricole, j'avais un bilan de 2000 milliards, la Banque Mondiale, c'était aussi des centaines de milliards, et là, avec Blue Orange, je suis dans des centaines de millions. Donc je redécouvre le monde micro. Mais pour moi, la gymnastique la plus intéressante dans la vie, c'est la gymnastique. intellectuellement et pratiquement, c'est de passer du micro au macro en permanence.
- Speaker #1
Justement, pour éclairer nos auditeurs, la thèse d'investissement de Blue Lake Orange, c'est à la fois de mettre en son cœur la notion d'impact, que vous évaluez selon un framework propriétaire construit sur les objectifs du développement durable adopté par l'ONU en 2015, et de flécher cet impact investment vers les pays en développement, et pour l'instant, plutôt en grande partie vers l'Amérique du Sud. Pourquoi ce choix de se concentrer sur les marchés émergents pour délivrer de l'impact ? Est-ce parce que les rendements y sont potentiellement plus importants ? Parce que le capital y est plus rare et donc que le rendement d'impact du capital investi est maximal ? Parce que vous pensez que le problème de la résilience climatique sera plus prégnant là-bas ?
- Speaker #0
La réponse est extrêmement simple. Elle vient de l'expérience en forme de fil rouge que je vous ai mentionné tout à l'heure. C'était déjà ce qui m'animait au moment de la question sur l'eau il y a 20 ans, la question de la santé. Et oui... J'avais commencé à travailler avant de quitter la Banque mondiale une assurance sur le risque pandémique. On ne va pas toujours avoir raison trop tôt. Donc ces questions planétaires m'ont toujours passionné. Ce que j'ai découvert en arrivant à la Banque mondiale, ou découvert ou redécouvert, ou en tout cas que j'ai senti dans ma chair, c'est plusieurs choses. La première, c'est justement, je suis arrivé à la Banque mondiale, probablement... à un moment dont je ne soupçonnais pas l'importance quand je suis arrivé et que je comprends mieux avec le recul, qui a été le moment de plus grand épanouissement du multilatéralisme, symbolisé par la poignée de main entre Barack Obama et Xi Jinping en 2015, avant la conférence de Paris sur le thème On va y arriver Et l'erreur de perspective que, comme beaucoup, j'ai faite à l'époque, c'est que cette poignée de main ne symbolisait pas le début d'une nouvelle ère. de développement harmonieux, comme beaucoup le croyaient, en disant ça y est, les Etats-Unis et la Chine se serrent la main, donc on est reparti pour 30 ans de coopération. En fait, c'était la fin de la période précédente. Ce que j'ai commencé à voir en arrivant à la Banque mondiale, c'est le moment où on commençait à parler des BRICS, c'est le moment où la Chine a fait sa première banque de développement, c'est le moment où les BRICS ont créé leur banque de développement, c'est le moment où on a commencé à créer des institutions concurrentes, c'était le moment de l'affaire de Crimée, c'est le moment où ça a commencé à craquer. Donc à la fois on avait cet élan qui amenait aux accords de Paris, et en même temps on avait ces craquements dans le système qui montraient bien que les pays émergents commençaient à se désolidariser du monde G7, G8. Je me souviens de l'anecdote que j'ai souvent racontée, une des premières rencontres que j'ai faites comme directeur général à la Banque mondiale, c'était avec le ministre indien des Finances. Et à l'époque, le terme officiel pour parler de la crise financière de 2007-2008, c'était the global financial crisis donc la crise financière mondiale. Et donc je dis au ministre indien des Finances, Monsieur le ministre, since the global financial crisis et là il m'arrête et me dit why do you call it global ? C'est son nom. Quand c'est américain, européen, vous dites que c'est global, et quand c'est chez nous, c'est Asian. Et donc là, d'un seul coup, j'ai pris conscience de la profondeur du monde. Alors que j'avais passé six ans comme directeur financier de deux grandes banques occidentales à me préoccuper de l'Atlantique Nord, en fait. Et en fait, la crise était une crise de l'Atlantique Nord. Donc ça, c'était déjà en soi très intéressant. Deuxième élément très intéressant pour moi, c'est que j'ai effectivement participé, dans le cadre des travaux du Financial Stability Board, à toute la réflexion sur ce qu'on faisait ou qu'on ne faisait pas après la crise. Et puis, la troisième chose, c'était justement la préparation des accords de 2015. qu'on connaît moins les accords d'Addis en Éthiopie en juillet sur le partenariat pour le développement, les accords de septembre sur les objectifs de développement durable et les accords de décembre, les accords de Paris. C'est les trois qui font système en fait. Et c'est là pour moi que ça a été la cristallisation de cette réflexion sur un monde qui était beaucoup plus divers que ce sur quoi j'avais vécu. Et quand je fais la somme de ces trois choses, quand je quitte la Banque mondiale, Je me dis au fond, on est en train de prendre des engagements mondiaux ou planétaires, je préfère dire planétaires que mondiaux, sur le développement du monde, mais ce n'est pas seulement le climat. Je fais très attention, ce n'est pas que le climat, la feuille de route, elle est environnementale et sociale. Et la conclusion qui était évidente pour moi à l'époque, et qui reste malheureusement encore plus évidente aujourd'hui, c'est que la bataille pour le climat, la bataille pour la biodiversité, la bataille pour l'égalité hommes-femmes, la bataille pour les inégalités, toutes ces batailles, Elles ne seront pas gagnées ou perdues à Washington, elles ne seront pas gagnées ou perdues à Bruxelles, elles ne seront pas gagnées ou perdues à Paris, elles seront gagnées ou perdues à Bogota, à Brasilia, à Lagos, à Johannesburg, à Alger, au Caire, à Delhi, etc. Et ce n'est précisément pas ce qu'on fait. Il n'y a pas d'investissement qui va dans ces zones-là. Il y a très peu d'intelligence qui est mobilisée sur ces sujets-là, donc on va faire tout en sorte pour que l'Europe soit exemplaire sur un certain nombre de sujets, ce qui est très bien, il faut qu'on soit exemplaire. Mais on ne va pas gagner ça tout seul. C'est formidable, si je reprends l'exemple du climat qui est le plus connu, si on réduit, et il faut qu'on le fasse, parce que sinon on ne sera pas crédible, si on réduit nos émissions, c'est très bien. Mais si dans le même temps, le Nigeria, le Brésil ou d'autres font x2, x3, x4, on n'aura rien gagné du tout. Et donc pour moi, la raison de Blue Hack and Orange, c'était ça. C'est-à-dire de dire, on ne gagnera pas ces batailles si on n'est pas mondiaux et planétaires. C'est là qu'on devrait investir. C'est dans ces pays, parce qu'on aura du rendement, on aura à la fois un rendement financier, puisqu'il y a plus de croissance en théorie dans ces pays, ça reste assez largement vrai, et un rendement extra-financier très important dont tout le monde bénéficiera. Et on ne sera pas sérieux sur les engagements qu'on a pris si on ne traite pas cette question, et on l'a bien vu à la COP. C'était quoi le message de la COP ? C'était les pays du Sud qui ont dit au Nord, vous foutez de notre gueule, pardon d'être vulgaire. Ça fait 10 ans que vous nous promettez 100 milliards par an. On sait très bien que ces 100 milliards ne suffiront pas, et même ça, vous ne le faites pas. Alors on va créer un fonds loss and damage dans lequel il n'y a pas encore un euro ou un dollar dedans.
- Speaker #1
On voit bien en quoi, en théorie, le rendement financier et le rendement d'impact sont supérieurs au Sud. Croissance de l'économie, forte croissance aussi des émissions, si rien n'est fait. Les grandes batailles se joueront au Sud. Mais il y a malgré tout une interrogation contemporaine qui est soulevée par la hausse des taux qui fait suite au retour de l'inflation en Occident. Est-ce qu'on doit craindre un redéploiement des capitaux investis au sud vers le nord à mesure que les taux de rémunération du capital augmenteront au nord, que les écarts de rendement atteignables pourraient diminuer et qu'au fond la promesse de high yield serait moins pertinente ?
- Speaker #0
La problématique n'est pas seulement dans le sud. À partir du moment où vous pouvez placer votre argent à 4% en US Treasury ou en Bund allemand, vous avez un effet de prédation. et on va se prendre ça pour les prochaines années. Donc ça, ça joue pour tout. Alors ça joue évidemment aussi pour les pays émergents. Le deuxième sujet qui moi me préoccupe plus, je ne vais pas quantifier, mais que je sens intuitivement aujourd'hui, c'est qu'il y a un rétrécissement des horizons. C'est-à-dire que, d'une certaine manière, ce qui s'est passé aux États-Unis il y a 6-7 ans avec Trump et America First, ça se diffuse.
- Speaker #1
Rétrécissement des horizons spatiaux et aussi... Et financier dans les saisons. Parce que la hausse des taux conduit en fait à...
- Speaker #0
Et donc on se replie sur je m'occupe de moi maintenant. Alors que c'est précisément exactement le contraire de ce qu'il faut qu'on fasse collectivement. Et c'est là qu'on voit cette tension micro-macro de nouveau. C'est que ces comportements micro vont avoir un impératif macro, alors qu'au contraire, ma thèse n'est pas du tout invalidée. La réalité, c'est qu'on démontre très bien qu'on peut très bien gagner sa vie en ayant un fort impact dans les pays émergents aujourd'hui. Et par ailleurs, quand vous dites, je vais être un peu malicieux, mais quand vous dites la hausse des taux depuis janvier dernier, vous êtes très occidentalocentré. Et vous raisonnez réserve fédérale et banque centrale européenne. Moi, ce qui travaille par exemple sur une zone comme l'Amérique latine, ce qui est très intéressant, c'est que les latino-américains qui sont plus sensibles à l'inflation que nous, avaient commencé à augmenter leur taux avant, et sont sortis de taux réels négatifs avant nous. Le Brésil était passé à 13-14% de taux. Donc là aussi, il faut faire très attention quand on dit les taux. je ferme la parenthèse, les taux nord-atlantiques, et pas les taux mondiaux. Donc effectivement, on est dans une phase de transition, mais ça ne change rien aux fondamentaux de l'analyse, en réalité. Les fondamentaux de l'analyse, c'est que c'est quand même au sud qu'on va avoir plus de croissance. C'est là qu'il y a effectivement un problème de risque. Je ne sais pas si les risques sont réels, mais en tout cas, ils sont perçus. Et s'ils sont perçus, perception matters. Il faut être convaincant, il faut montrer qu'on peut investir dans ces pays, qu'on peut prendre des risques dans ces pays, que c'est rémunérateur, et qu'en plus, Et pour l'instant, ça n'a pas de valeur économique. Il y a des externalités qui nous bénéficieront à tous. Mais comme me l'a dit un de mes investisseurs, il m'a dit, moi je prends ta performance financière et l'impact, je l'ai gratuitement. Aujourd'hui, ça n'a pas de valeur. C'est ça qui est fou. C'est-à-dire qu'on est dans un monde où on reste très largement, et c'est l'industrie financière telle qu'elle s'est structurée par des travaux de Chicago dans les années 50, un univers rendement risque et un univers de mesure qui est centré sur le capital qui était rare, Il y a 50, 60, 70 ans qu'était le capital financier, et qu'il est le seul qu'on mesure et qu'on rémunère aujourd'hui. En revanche, on en parle, mais on ne fait pas grand-chose, le capital qui est devenu rare, qui est le capital environnemental, qui est le capital social, le capital sociétal ou le capital humain, il n'y a zéro valeur. Il n'est pas pris en compte dans nos modèles. Et donc, pour moi, c'est ça mon combat, c'est comment est-ce qu'on élargit, au-delà du simple prix du carbone, à quelque chose d'un peu plus large, qui donne de la valeur à tout ça.
- Speaker #1
Pour revenir sur l'intuition première qui a présidé à la création du fonds que vous dirigez, dans votre vie d'avant, celle de la Banque mondiale, vous aviez dans votre bilan beaucoup de prêts, de projets ou de programmes à des États, et également, notamment par l'intermédiaire de l'IFC, des prêts au secteur privé. Est-ce que le choix finalement de créer un fonds qui investit dans des entreprises, dans des corporates, faut-il l'analyser ? La remise en cause, ou en tout cas une certaine distance avec la capacité des États dans un certain nombre de pays en développement de délivrer le changement, ou est-ce que c'est plutôt de l'ordre de l'alternance micro-macro ?
- Speaker #0
Non, je pense qu'il faut les deux. C'est qu'on a une vision du développement qui était très pilotée par la transformation des États. Et objectivement, la création des banques de développement est une bonne idée. Et il faut que ça demeure, ne serait-ce que parce que c'est un des rares endroits où tous les États coopèrent sans drame. On n'est pas aux Nations Unies. Moi, je disais souvent, j'ai présidé des dizaines de fois le conseil d'administration de la Banque mondiale, et des réunions qui durent en général assez longtemps. Et je me souviens, à chaque fois, je me disais, il y avait une partie de moi qui me disait, putain, je vais encore me prendre 4 ou 5 heures de réunion, c'est pas très drôle. Et l'autre partie de moi qui me disait, mais enfin, si c'est le prix à payer pour que 190 États soit capable de se mettre d'accord pour financer tel ou tel projet, et on a fait qu'en Amérique latine, etc., 3, 4 ou 5 heures, je peux passer, ce n'est pas cher payé. Pour moi, la question, ce n'est pas l'existence de ces outils qui est importante, c'est l'usage qu'on en fait. On pourrait faire infiniment plus avec ces outils. Moi, j'ai essayé de le faire quand j'étais à la Banque mondiale. J'ai très considérablement augmenté les capacités financières de la Banque mondiale. J'ai très considérablement... Je le dis avec... C'est une facture de récréation de l'ADI. Oui, j'ai permis à ce qu'on fasse du levier sur le bilan d'AIDA. J'ai augmenté le levier de la partie publique à EBRD de la Banque Mondiale, j'ai organisé des mécanismes de transfert de risques entre les banques de développement, enfin vraiment je suis assez fier de ce que j'ai fait, donc on peut faire infiniment plus. Et on peut continuer à faire infiniment plus, et je passe mon temps à dire que ces outils-là, on peut en faire beaucoup beaucoup beaucoup plus. La vraie question c'est, au total, ce système il reste assez modeste à l'échelle de la planète. Quand vous faites la somme de tout ce que le FMI, plus la Banque Mondiale, plus toutes les banques de développement régionales, etc. peuvent mobiliser chaque année, en net, c'est entre 100 et 200 milliards. 100 à 200 milliards, le PNB mondial, c'est 100 000 milliards. Donc comment, quand on a moins, quand on a peu de capacité, sur quoi il faut se concentrer ? Sur ce que personne d'autre ne peut faire. Ce que j'appelle de mes voeux, et c'est là que ça rejoint ce que je fais avec Blue Like an Orange, c'est qu'il faut que ce système soit un facteur d'entraînement des capitaux privés. Parce que les vraies ressources, elles sont là. Les milliers de milliards, les trillions, c'est l'épargne mondiale, c'est les fonds de pension, c'est l'espèce de légende qu'on traite, que Marc Carné a bien mis en valeur à Glasgow il y a un peu plus d'un an, en faisant signer la Glasgow Lions for Net Zero, en disant j'ai mobilisé 130 000 milliards. Alors, il y a des cheveux, des carottes, il y avait des bilans bancaires, des montants d'assurance, bon bref, peu importe. La question c'est effectivement, l'argent il est là. Les bilans publics sont très faibles, mais la question c'est que ces bilans publics, ils ont une capacité d'entraînement et de levier sur cet argent privé. Donc comment est-ce que ce système abandonne la logique traditionnelle qui est je plante mon drapeau, un système où j'entraîne avec moi. L'argent des assureurs, des fonds de pension, des family office, qui est en confiance parce que je lui monte le chemin, et comment avec ces 100 ou 200 milliards par an, on mobilise 10, 20 ou 30 000 milliards. C'est ça, et ça c'est un saut quantique, et on ne l'a pas fait du tout.
- Speaker #1
Et entre les deux, entre le financement multilatéral, concessionnel, et le développement de l'écosystème capitalistique dans ces pays-là, quelle place vous donnez à la dette de marché souveraine, et en particulier à l'émergence de dette green ? Et dans un monde parallèle, pour prendre votre exemple, est-ce que vous auriez pu créer un fonds qui aurait été un fonds spécialisé dans la dette ? d'État en développement ESG ?
- Speaker #0
C'est des choses que je regarde d'ailleurs, de manière tout à fait concrète en ce moment, c'est un peu tôt pour en parler. Quand vous parlez par des gens à la Banque mondiale ou en dehors, dans la rue, vous leur dites c'est quoi le développement ? En général, les gens vous disent il faut construire des routes, des ports, des aéroports, etc. En gros, c'est des infrastructures physiques. Quand on parle développement, on dit infrastructures physiques. C'est une partie de l'équation. La deuxième partie, c'est ce qu'on appelle les infrastructures sociales, et en particulier la santé et l'éducation. Et la troisième partie, c'est les infrastructures financières. Merci. C'est ce pourquoi dans le Billions to Trillions j'ai beaucoup plaidé. L'infrastructure financière, publique et privée. Il faut avoir un bon système de collecte de l'impôt. Ça a l'air tout bête, mais la plupart des pays en voie de développement et des pays émergents ont des taux de prélèvement obligatoires très faibles. Je prends souvent l'exemple, en 1789, on a eu une révolte en France, une révolution même, on avait un taux de prélèvement obligatoire qui était probablement d'ordre de 10%. Maintenant on est passé à 46%, 47%. Je ne demande pas que tous les pays émergents passent de 10 à 47%, mais qu'ils fassent une partie du chemin. J'ai eu une conversation avec la ministre des Finances de Norvège, qui me disait, nous, on est gâtés par la nature, on est généreux, donc ils donnent beaucoup d'argent. Il me dit je ne suis pas là pour suppléer aux déficiences du contribuable pakistanais. Si le Pakistan a moins de 10% de taux de prélèvement obligatoire, ce n'est pas au compte-cadre norvégien de faire la différence. Dans l'infrastructure financière, il y a bien cette infrastructure publique. Avoir un système de collecte de l'impôt, de structuration de l'impôt, mais un système privé. En quoi il ne faut pas que l'épargne reste sous le matelas. Donc il faut développer des banques, des fonds de pension, des assurances, des marchés de capitaux, enfin toute une série d'infrastructures qui font que ces pays vont rentrer dans un système et vont pouvoir aller plus loin. Il faut tous les outils de la finance. Le problème c'est que c'est souvent le parent pauvre, les gens n'aiment pas trop parler de ça. C'est bien de faire une route, on ne met pas un drapeau sur un compte en banque. Et donc pour revenir à votre question, il faut faire feu de tout bois. Il faut faire feu de tout bois. Simplement, il faut avoir une approche holistique. Ce n'est pas juste de dire, c'est super que les pays aillent sur les marchés. Regardez, on se retrouve maintenant avec le Ghana qui a quelques difficultés par exemple, et d'autres. On était ravis, il y a 4-5 ans, on disait bravo, bravo, ils empruntent sur les marchés. Et donc c'est là qu'il y a toute une réflexion importante à faire, à utiliser toute la gamme des outils financiers. Y compris, vous l'avez rappelé, concessionnaires. quand c'est nécessaire. Il vaut mieux concentrer des ressources rares pour faire du conditionnel à effet de levier plutôt que de ventiler et d'en mettre un peu partout.
- Speaker #1
En tant qu'investisseur, je reprends la perspective de Blue Lake Unirange, quand vous vous retrouvez à investir, et c'est le cas, vous êtes pas mal présent au Brésil, je prends cet exemple-là, mais il y en a d'autres, comment vous concevez le risque politique et notamment, qu'est-ce que c'est finalement de faire de l'investissement ESG au Brésil ? Sous le mandat de Bolsonaro ?
- Speaker #0
Alors d'abord, j'aime pas employer le mot SG, on l'emploie, mais le mot SG, c'est un peu tarte à la crème, même s'il est plus ou moins défini. Moi, je souhaite qu'on parle d'impact. Parce que l'impact, c'est-à-dire, voilà ce que je veux faire, et je me mets en risque, et j'accepte qu'on vérifie que je l'ai fait ou pas. Donc pour moi, il faut être plus volontariste. Et donc nous, effectivement, nous sommes un fonds impact. On veut fixer les objectifs et se mettre en risque en étant capable de mesurer ces objectifs. Et après ça, c'est là qu'on revient sur le micro et macro. Évidemment qu'on est soumis aux aspects macro. Si un pays s'effondre, on s'effondrera avec lui. Mais je n'ai pas de jugement de valeur, je peux en avoir à titre personnel, sur ce que peut faire un Lula par rapport à Bolsonaro. Quand moi j'ai investi au Brésil dans la santé et l'éducation, Le sujet du président dans un État fédéral, il a aussi parfois des problèmes de perspective quand on parle d'un État centralisé comme la France, ça n'a pas été un sujet pour moi. On est évidemment obligé de prendre en compte le risque politique. Alors on le retrouve chez nos investisseurs, parce que quand on leur dit on va investir au Brésil ou au Mexique, ils ont immédiatement l'image de ce qu'ils disent dans les journaux. Mais ce qui est très intéressant, c'est que quand on parle d'Amérique latine aux gens, ils ont le réflexe, informé par les décennies précédentes, d'un continent qui va dans le mur tous les dix ans. En gros, les crises des années 80, crise de la dette latino-américaine, crise mexicaine de l'année 90, crise argentine en 2000, voilà.
- Speaker #1
Un défaut tous les 10 ans.
- Speaker #0
Voilà, il y a un problème tous les 10 ans, donc ce continent, on ne peut pas lui faire confiance. Et en fait, ce qui s'est passé depuis 20-30 ans... C'est très intéressant, mais on voit que la mémoire reptilienne des gens domine, ils ont du mal à comprendre que les choses changent, et c'est symbolisé par le taux de change d'ailleurs. Les monnaies latino-américaines, en moyenne, se sont appréciées par rapport au dollar, ces dernières années, contrairement à l'euro, contrairement à l'yéne, contrairement à la livre, etc. Et pourquoi ? Parce que le cadre macro a tenu. Et pourquoi le cadre macro-retenue ? Parce qu'il y a eu des changements. Vous avez dans chacun de ces pays une banque centrale véritablement indépendante, alors avec deux exceptions notables, le Venezuela et l'Argentine. La banque centrale dépend du ministère des Finances en Argentine, mais la banque centrale du Brésil, je reprends ce que j'ai dit tout à l'heure, elle a réagi sur l'inflation parmi les premières au monde. Et donc on a un continent qui, au fond, a été très stable.
- Speaker #1
Est-ce qu'on peut faire de l'investissement à impact dans des entreprises quand il n'y a pas de... Les opinions publiques de ces pays-là ne conçoivent pas, ou en tout cas par leurs choix électoraux, laissent à penser qu'elles ne conçoivent pas pleinement l'importance de ces sujets-là. Et notamment, est-ce qu'au fond, on ne va pas être très vite contraint par un cadre réglementaire, par des autorisations, etc., s'il n'y a pas un alignement entre la politique d'investissement d'un fonds et le contexte politique du pays dans lequel se situe l'investissement ?
- Speaker #0
Non, il n'y a rien dans aucun de ces pays qui m'empêche de faire des choses bien, et heureusement d'ailleurs. Et moi ce qui me fascine, ce que je vois depuis qu'on commence à travailler là-bas, c'est que maintenant on a affaire à des chefs d'entreprise en général entre 30 et 40 ans qui viennent nous voir non seulement pour obtenir des moyens financiers, mais aussi pour qu'on les accompagne sur le chemin de l'impact. Je veux être une entreprise à impact, aidez-moi. Ça c'est très nouveau. Et donc il n'y a pas plus, je veux dire, c'est marrant, parce qu'on pourrait retourner à la question, est-ce que je peux investir en Italie dans l'impact aujourd'hui avec Madame Meloni ? Ben oui, la réponse est évidemment oui.
- Speaker #1
Et justement, c'est très intéressant ce que vous disiez à l'instant en disant que la démarche de vouloir être une entreprise à impact au-delà du business model lui-même vient aussi des entrepreneurs qui vous sollicitent en ce sens. Dans votre dernier ouvrage, Veut-on vraiment changer le monde ? vous mentionnez une certaine dérive d'une finance qui est devenue hors sol et sans jeter le bébé avec l'eau du bain, vous établissez qu'il y a un certain nombre de remises en cause paradigmatiques à réaliser. Qu'est-ce que c'est qu'être un actionnaire ? Quand on est un fonds à impact, est-ce que vous avez un activisme actionnarial particulier ? Est-ce qu'au-delà du business model, vous vous intéressez à tous les process ? Est-ce qu'il y a une culture d'entreprise aussi particulière que vous essayez d'infuser ?
- Speaker #0
D'abord, on ne fait pas de l'equity, on fait de la dette. On fait marginalement de l'equity, on fait de la dette structurée. On a parlé de la mezzanine en Europe, mais qui correspond... En fait, on accompagne des entrepreneurs en croissance qui, dans le cadre de leur croissance, financent en fonds propres. avec des amis et la famille, friends and family, comme on dit, éventuellement avec des fonds, qui à un moment donné veulent s'endetter, n'ont pas accès au système bancaire parce qu'ils n'ont pas de sécurité à porter, et donc on apporte cette solution, qui en réalité est très peu disponible, et donc on leur permet de croître. Et nous on s'engage sur l'impact avec eux, avec un plan d'action, et en général ils sont très demandeurs, on n'arrive pas avec un gourdin, ce n'est pas des conditionnalités, donc on a un dialogue extrêmement fort, un plan d'action, des objectifs. Un système d'analyse de l'impact. Et donc, ce n'est pas de l'activisme au sens où je vais me planquer dans une boîte cotée et faire de l'agitation avant l'Assemblée Générale pour obtenir éventuellement quelqu'un au board ou faire voter telle ou telle résolution. C'est un partenariat. Les chefs d'entreprise qui viennent nous voir pour être financés, ils sont déjà convaincus de l'intérêt de ce qu'on fait. Et ils le font pour des raisons à la fois de conviction et des raisons stratégiques. Pour le coup, moi ce qui me fascine aujourd'hui, c'est que toutes ces questions d'impact au sens large, pour une partie, j'espère, croissante de l'activité économique, ça n'est plus un choix... Comme ça peut l'être il y a 10-15 ans de conviction, Patagonia, je fais ça parce que j'y crois, mais c'est un choix stratégique. Si je suis une entreprise, il faut que dans 10 ans, mon business model soit reconnu et validé par mes clients, mes fournisseurs, etc. Et j'ai la conviction que pour être reconnu dans 10 ans, il faut que je fasse le choix de l'impact. Pour moi, il y a ce qui est en train de se passer. Aujourd'hui, finalement, sur ces questions de SG et d'impact, on est encore un peu dans le brouillard. Et dans le brouillard, vous avez trois attitudes. La première attitude, il y a du brouillard, personne ne me voit, je continue mes petites carabistouilles. Greenwashing assumé. Je continue comme avant, et puis tant que ça dure, comme disait Chuck Prince, tant qu'il y a de la musique, je danse. Donc ça, j'espère que c'est une minorité. Vous avez à l'autre extrémité une autre minorité qui dit brouillard, pas brouillard. Moi, j'ai ma boussole, et donc j'avance, et je pense qu'il faut que je sois une entreprise à impact pour avoir, comme disent les anglo-saxons, un license to operate dans trois ans. Si je veux que mes clients continuent, si je veux attirer des talents, etc., il faut que je le sois. Et puis vous avez une masse d'entreprises au milieu qui n'est pas très à l'aise parce qu'elle ne comprend pas les réglementations, etc. Il y a quand même très très peur de se faire prendre par la patrouille et qui en gros fait ce qu'il faut faire sans excès de zèle. Ce qui est vrai chez nous est vrai dans la plupart des pays. Et donc notre sujet c'est de montrer aux gens qu'il y a plutôt un intérêt à faire les choses positivement. Après, ce qui est compliqué dans le règlement, dans l'approche aujourd'hui, c'est qu'on a très souvent une approche photographique. On n'a pas une approche cinétique. Donc comment est-ce qu'on fait la part de la photographie, de la cinétique ? Comment est-ce qu'on fait la part de où en êtes-vous aujourd'hui ? Où allez-vous demain ? Et est-ce que je trouve crédible la démarche que vous engagez pour demain ? Et donc l'enjeu qu'on a, nous, dans les pays émergents, c'est bien celui-là. C'est de dire comment est-ce qu'on vous accompagne dans cette transformation ? Sachant, et ça c'est l'autre difficulté des pays émergents par rapport aux pays avancés, c'est qu'ils ne partent pas du même point de vue. Et donc il ne faut pas non plus être donneur de leçons, moralisateur, comme je le dis parfois, il ne faut pas que l'Europe ou les pays avancés deviennent Bobolande. En disant voilà, nous on a erré dans l'obscurité pendant 200 ans, on a trouvé les voies d'un capitalisme moderne et on va vous expliquer comment ça marche. Et en face, le gars dit, moi je ne suis pas au même niveau, et puis il va me falloir 20 ans pour faire ça, et puis je n'ai pas forcément tous les outils, etc.
- Speaker #1
Au cœur des interrogations sur la quantification de l'impact, vous êtes un tenant, et vous le dites très clairement dans votre dernier ouvrage, du fait que pour chaque dollar investi, il faut pouvoir essayer de quantifier au mieux possible l'impact. Et vous avez une approche, avec notamment votre méthodologie propriétaire qui s'appelle SDG Blue, vous avez une approche qui tend effectivement à essayer d'estimer le plus précisément, et tout ça dans un framework qui est défini par les SDGs, avec quatre SDGs qui sont particulièrement prioritaires. Est-ce que vous percevez des limites dans votre recherche de financement, et en particulier en Europe, qui seraient dues à l'approche qui a été plutôt celle de la taxonomie européenne, en tout cas du choix de la Commission, d'avoir une approche plutôt best-in-class, plutôt fondée sur des secteurs ? dans leur entièreté considérée comme acceptable ou non ? Est-ce que cette confrontation d'approche qui rejoint d'une certaine manière une confrontation entre des marchés matures sur les sujets de transition écologique et des marchés moins matures est une limite dans votre développement ?
- Speaker #0
En fait là où il y a une forme de tension que j'espère positive, même si elle n'est pas très facile au quotidien, c'est entre le système... Quand on a commencé à faire un impact il y a 5-6 ans, c'était le Far West. La commission a voulu mettre un peu d'ordre dans tout ça avec la directive SFDR, Sustainable Finance, avec ce qu'on appelle, je suis désormais entré dans la machine, article 6, article 8, article 9. Et donc la difficulté à laquelle on est confronté, c'est comment est-ce qu'on se place sur des niveaux d'exigence très élevés, par exemple porte l'article 9, quand vous êtes dans des pays qui ne sont pas au même stade de développement et sur des métiers qui ne sont pas dans les mêmes configurations que celles... En contre-tour, vous n'êtes pas dans un marché organisé Euronext, vous êtes dans un investissement privé dans des pays émergents. On a créé un comité de développement durable, et c'était intéressant, à la dernière réunion de notre comité, vous avez des personnalités comme Jean-Marc Jancovici, Gaël Giraud, pour prendre des Français un peu connus et un peu clivants, et une des questions qu'ils nous ont renvoyées, c'est de dire en fait c'est intéressant de savoir ce que vous faites, c'est encore plus intéressant que vous ne documentiez ce que vous ne faites pas. Et donc, qu'est-ce qui fait que vous prenez ou pas des décisions d'investissement ? Et c'est vrai que la tension, elle est entre un cadre défini à Bruxelles. Et une réalité qu'on voit en Colombie, au Pérou aujourd'hui, peut-être au Nigeria, en Côte d'Ivoire et au Togo demain, qui n'est pas immédiatement raccordable. Il ne faut pas se raconter d'histoire. On est quand même sur des planètes qui n'ont pas la même histoire, les mêmes perspectives. Et donc on trouve des questions de tension très très difficiles. Il y a des dossiers, par exemple, on a eu un cas d'un dossier dans l'agriculture qui était compliqué parce que c'est de la transformation de matières premières agricoles plutôt à haute valeur ajoutée. Ils se fournissaient dans des toutes petites fermes et il y avait potentiellement des enfants dans ces fermes. Et en fait, on n'était pas obligé de le faire ce dossier. J'ai suffisamment de choix pour ne pas me sentir obligé de prendre un dossier. En même temps, moi j'étais très... ça fait 20 ans que je m'occupe de ces sujets-là. L'agriculture qui occupe la majeure partie de la main-d'oeuvre dans les pays émergents en développement, qui recouvre la majeure partie des territoires, est un des secteurs qui a le moins de financement international. Parce que c'est un des secteurs les plus compliqués. Précisément, travail d'enfants, population indigène, utilisation de l'eau, enfin tous les problèmes compliqués. Donc vous êtes sûr d'avoir des ONG sur le dos. Et donc le plus simple c'est de ne pas faire, comme ça vous êtes sûr de ne pas avoir de problème. Et donc on a eu cette tension, et moi j'avais envie qu'on puisse montrer qu'on peut faire de l'impact dans l'agriculture, plutôt que de se laver les mains et d'aller faire que des panneaux solaires et que de la FinTech. Ça c'est assez facile. Et donc on a eu un débat interne, on est allé voir l'entreprise, qui s'est engagée à aller voir ses 500 fermiers pour vérifier que les enfants allaient bien à l'école, qu'ils n'étaient pas exposés à des matières dangereuses, qu'on ne leur faisait pas faire des activités que la morale réponde. Enfin vraiment un engagement extrêmement fort, on a fait valider ça par nos investisseurs. Pour moi c'était important de montrer qu'on pouvait le faire. Je pense qu'il faut qu'on rentre dans ces problématiques très simples, pas très simples, mais très compliquées, dans la vraie vie. C'est tellement facile de dire je ne fais pas. C'est la fameuse phrase de Peggy à propos d'Emmanuel Kant, il veut garder les mains propres, à la fin il n'a plus de mains. C'est pas comme ça qu'on va changer le monde. Le monde, il faut se taper, il faut rentrer dans le dur, il faut rentrer dans le dur de l'agriculture, il faut rentrer dans le dur de la santé, il faut accepter de prendre des risques, pas seulement financiers. Il faut accepter de faire des choses. Ce que je dis à mes équipes, c'est qu'il faut à chaque fois qu'on documente pourquoi on fait. Et peut-être que des décisions qu'on aura prises aujourd'hui ne seront reprochées dans 5 ans, mais on dira qu'on les a prises sur cette base-là.
- Speaker #1
Et cette tension que vous avez très bien décrit, est-ce que vous pensez qu'elle est consubstantielle à tout cadre réglementaire qui est par nature imparfait ? Ou est-ce que vous décelez un, vous avez une expression pas à ce sujet mais dans votre ouvrage que j'ai beaucoup aimé qui est le OU effect, own house in order. Est-ce que vous décelez cet effet pervers dans la réglementation européenne ?
- Speaker #0
Moi je pense qu'il y a un vrai risque, mais qui est un risque maintenant géopolitique, qui est qu'on exclue le reste du monde. On n'a jamais autant de fois le mot inclusion à la bouche avec le risque d'exclure, c'est-à-dire d'imposer des normes qui soient satisfaisantes pour nous et qui ne soient juste pas adaptées à ces pays-là. Et pour moi, c'est un sujet très important. Alors, il revient à ce que je disais tout à l'heure sur le rétrécissement des horizons. Il est peut-être lié au fait qu'effectivement, au fond, le reste du monde ne nous intéresse pas. qu'on ait une approche un peu romaine. On va faire un limesse, puis c'est Ruffin qui avait fait son bouquin, Les babas arrivent. Voilà.
- Speaker #1
D'où aussi l'importance, ce qu'on évoquait au début de notre interview, des institutions multilatérales qui participent de ce dialogue-là. Michel Cantu, que vous avez cité, et qui vous cite lui-même d'ailleurs dans ses mémoires, décrivait le rôle du FMI comme finalement une institution de confiance. Il disait que le mandat tel qu'il l'avait reçu, c'était de donner confiance, au deux sens du terme, donner confiance à chacun des acteurs dans le système, et plus étonnant, donner confiance à chacun des acteurs en lui-même, en ses capacités et en les dons. Si vous deviez définir le rôle, la mission de la Banque mondiale telle que vous l'avez perçue ? Quelle serait-elle ? Est-ce que, je me permets de faire deux suggestions, est-ce que ce serait plutôt, finalement, de rendre agissante la solidarité mondiale et la solidarité nord-sud, et la dimension prescriptive sur les investissements, etc., serait secondaire ? Ou est-ce que ce serait plutôt de financer ce qui va dans la bonne direction, et la question de qui finance serait plutôt secondaire ? Il s'avère que c'est plutôt le nord qui finance, mais au fond, c'est...
- Speaker #0
Je vais vous répondre ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que je ne suis pas complètement satisfait de ce que fait la Banque mondiale aujourd'hui. Elle a le mérite d'exister. Comme je vous dis, c'est un des rares endroits où tous les États travaillent vraiment avec un résultat concret chaque année. On ne peut pas en dire autant de toutes les organisations internationales, donc il faut quand même se féliciter de cet aspect-là. Il faut qu'elles poursuivent sa mue en devenant une organisation de mobilisation de la finance privée, une organisation de mobilisation de nos ressources financières au service des engagements qu'on a pris. Encore une fois, on n'a pas à réinventer la roue. On a signé en 2015 les objectifs de développement durable. C'est formidable. Donc prenons ces engagements. Disons, comment, combien ça coûte, comment on y va ? Et quel peut être le rôle de ces organisations ? Je pense qu'il faut être assez basique. Pour moi, c'est ça.
- Speaker #1
Je veux devenir l'organisation des ODD.
- Speaker #0
Oui, enfin, une organisation qui met les gens autour de la table, qui, quand il y a besoin de faciliter, facilite, quand il y a besoin de limiter les risques, limite les risques, quand il y a besoin d'organiser des standards, organiser des standards. C'est un des endroits où émerge une conscience financière mondiale. Le problème aujourd'hui, c'est qu'on est dans un monde où le caractère planétaire est un peu dissous. On l'a bien vu au début du confinement, quand justement, précisément, la Banque mondiale et les Nations Unies expliquaient qu'il fallait mobiliser 2 à 3 000 milliards de dollars pour aider les pays émergents en développement. Le G20 se réunit et, dans la douleur, aboutit à 14 milliards de suspensions temporaires du paiement des intérêts de la dette. 14 milliards de 1 000 milliards. Voilà, c'est ça la réalité. Donc le problème d'aujourd'hui, c'est qu'on a une institution qui a le mérite d'exister, qui est un outil potentiellement puissant et dont les actionnaires ne jouent pas. et qui se marginalisent. Le vrai risque de toutes ces organisations, c'est la marginalisation.
- Speaker #1
C'est intéressant que vous évoquiez le caractère extrêmement stratégique de la position de standard setter d'élaborateur des normes. C'est le cas en particulier pour les normes de comptabilité de l'impact et de la réglementation du Far West, pour reprendre votre expression. Est-ce que vous croyez dans la possibilité d'une élaboration multilatérale, par exemple par la Banque mondiale, de ces normes comptables, pour articuler le trio risque-rendement-impact ? Où est-ce au fond la concurrence des systèmes normatifs élaborés par différents investisseurs qui attirent ainsi plus ou moins de capitaux, qui va se cristalliser dans un nombre restreint de standards admis par le marché ? Un peu comme ce qu'on a vu d'ailleurs avec les tentatives pionnières dans le domaine, qui au début des années 2000 émanaient plutôt de privés. Alors on cite souvent Ronald Cohen, fondateur d'APAX, qui a d'ailleurs publié il y a quelques années un ouvrage, Impact, là-dessus. Mais on peut citer aussi le Global Impact Investing Network.
- Speaker #0
Il faut les deux. Je ne crois pas à l'espèce de génération spontanée d'un système capitaliste de normes contraignantes. Il faut une impulsion publique et il faut une pression à la société civile. Et c'est vrai que parmi les lieux où tout ça se manifeste, les organisations internationales sont un des lieux où tous ces gens-là sont autour de la table. Donc il faut leur faire jouer ce rôle. La difficulté aujourd'hui, on l'a bien vu sur les normes comptables, on n'a pas d'unification mondiale, on a IFRS et US GAAP pour faire court. Et alors que moi, il y a 20 ans, le rêve, c'était que tout ça fusionne. Et on a abouti au paradoxe où l'Europe a donné les clés à IFRS, avec des Américains dans le système, et les Américains, eux, ne sont pas en IFRS. Sur l'extra-financier, Qu'est-ce qui se passe-t-il ? On a l'Europe qui est partie en avance, qui a d'ailleurs annoncé pour un certain nombre d'entreprises le Big Bang en 2025, avec les normes proposées par les FRAG et qui sont probablement validées par la Commission dans les semaines et les mois qui viennent. On a en face de ça, dirigé par Emmanuel Faber, qui a été créé par IFRS, ISSB, une approche internationale. Je prie tous les jours pour que ça converge, qu'au moins il y ait une reconnaissance mutuelle des standards. J'exclus pas que ça arrive, mais c'est pas simple. Et vous avez les Chinois derrière, c'est pas non plus... Donc IFRS, ISSB vient d'ouvrir un bureau à Pékin. Donc il y a une discussion qui est à la fois très stratégique et très intéressée. Parce que derrière, c'est qui va vendre la soupe ? L'étape d'après, c'est la monétisation, la valorisation. Est-ce qu'on met une valeur sur tout ça ? Là, c'est le grand combat de Ronald Cohen, par exemple. C'est pas le seul. Lui, il pilote ce qu'on appelle l'Impact Weighted Accounts à Harvard. où on va vous dire, l'entreprise Exxon, elle vaut 400 milliards en bourse, mais on estime, d'après nos modèles et nos algorithmes, que chaque année, elle détruit 40 milliards de valeurs environnementales qui sont payées par personne. qui sont détruites, ces externalités non valorisées. Et donc on espère que ces 40 milliards seront à jour publiés dans les annexes des comptes de Hexon.
- Speaker #1
C'est là qu'on va se rendre compte qu'il y en a qui ont des valorisations négatives.
- Speaker #0
Mais bien sûr, c'est un vrai sujet. Mais qui sont des valorisations fictives, parce qu'elles n'ont pas de valeur, c'est une première approche. Donc est-ce qu'on peut déjà vivre avec l'idée que les entreprises assument leurs externalités, même si ça n'a pas de conséquences de quelque nature que ce soit ? Alors ça pose plein de problèmes, ça pose le problème de la boîte noire. Comment sont calculés ces 40 milliards ? Et puis deuxième débat, c'est, oui mais moi je détruis 40 milliards de valeur environnementale, mais comme je crée 40 milliards de valeur sociale, en réalité en ESG je suis à zéro. Et est-ce que vous pouvez d'une certaine manière vous laver les mains de ce que vous faites sur le plan environnemental, parce que vous êtes très bon sur le plan social, ou réciproquement ? Et les marchés financiers étant ce qu'ils sont, ils aiment bien la simplification. Donc ils voudront avoir un seul chiffre. Et on perdra toute la sophistication de l'approche. On oubliera que derrière c'est plus 8 milliards ou moins 12 milliards, il y a des tonnes de CO2, il y a de l'eau polluée, il y a l'utilisation d'engrais, il y a la maltraitance des femmes, il y a du travail d'enfants, que sais-je encore. On fera une espèce de pot commun de tout ça et on dira en fait la boîte elle est à zéro. Peut-être. Et puis derrière la question ultime c'est est-ce qu'on le fait rentrer dans les comptes ? Est-ce qu'on vous oblige à faire une provision chaque année, vous Exxon ? des 40 milliards ou des truisées. C'est ça le cheminement.
- Speaker #1
C'est précisément parce qu'il y a ce cheminement que les acteurs privés, en particulier ceux qui se sentent concernés au premier chef, freinent la première étape parce qu'ils savent qu'un jour cet extra-financier sera financier.
- Speaker #0
Il y a plein de questions. Il y a d'abord le fait qu'est-ce que ça veut dire pour mon modèle d'affaires, qu'est-ce que ça veut dire sur mes business, sur mon développement, sur ma stratégie, etc. Et puis il y a toutes les populations qui vivent de ça. Les auditeurs, les comptables, les agences, il y a plein de gens qui ont des intérêts dans tout ça. Si on va au bout de l'exercice, c'est une transformation radicale de la manière dont on opère. Il y aura des gagnants et des perdants.
- Speaker #1
Dernière question. Michel Kantsuk, vous avez cité au début de notre interview, dans son récit de ces années à la tête du FMI, ouvrage marqué d'ailleurs par une forme d'optimisme quant à l'avenir du multilatéralisme, à la poursuite des buts communs, qui paraît aujourd'hui si lointain, faisait le vœu qu'après le temps des promesses faites, adviennent ce qu'il appelle les décennies des promesses tenues. Alors vous qui avez assisté aux premières loges en 2015, à ces promesses faites, à cette série d'accords cadres qui portent en eux, s'ils sont respectés, les fondements d'une dynamique nouvelle, justice nord-sud, durabilité, quel est votre analyse et votre degré d'optimisme quant à notre capacité à faire des années 20 et des années 30 qui suivront les décennies des promesses tenues ?
- Speaker #0
Moi j'essaie d'être dans l'action à mon niveau, à la fois sur mon job de jour et mon job de nuit, je suis assez lucide, ça va être extrêmement difficile, on ne va pas se raconter d'histoire, la machine commence juste à s'ébrouer, On avait fait en 2015 le pari que si on mettait les engagements sur la table, la main visible ferait son boulot et qu'on y arriverait, c'est que chacun voudrait faire mieux que son voisin. Ce n'est pas ce qui s'est passé, mais c'est ce qu'on a dit à l'époque. Sur le climat, on reverrait les objectifs à la hausse tous les cinq ans, etc. Bref, on avait quand même une vision très... Très enthousiaste de notre capacité collective à faire les choses. On se rend compte, 7 ans plus tard, que non seulement les 1 à 2% par an, on ne les a pas faits, et que le seul truc positif, c'est le Covid, mais qu'on n'a juste pas envie de recommencer, qu'on n'est naturellement pas sur la bonne pente, sur le climat, mais sur les autres. Ce n'est pas seulement sur le climat, c'est sur les autres objectifs, donc on est encore très loin du compte. Et on se rend compte que ça va être beaucoup plus dur que prévu. On ne part pas d'une base extrêmement solide. Sur des questions planétaires, il n'y a pas d'enthousiasme collectif. Le multilatéralisme ne fonctionne pas très bien. Les différentes rencontres internationales n'ont pas été très concluantes. La COP à Tchermelchek n'a pas été très enthousiasmante. Tout ça fait que, si on veut regarder le verre à moitié vide, on a de quoi voir. En même temps, ce qui est très intéressant, c'est que quand on prend un tout petit peu de recul, On peut aussi voir le verre à moitié plein. C'est le Covid qui me rend optimiste paradoxalement, parce que quand on a été dos au mur, on a su faire. Et je n'ai pas particulièrement de sympathie pour Donald Trump, mais il faut lui reconnaître que dès le printemps 2020, il a dit on aura un vaccin à la fin de l'année. Alors que Macron disait il faudra deux ou trois ans. Et que ce qu'on entendait sur la planète, c'était deux ou trois ans. Et que Trump a dit non, vous allez voir, on va y arriver en neuf mois. Et il a eu raison. Il a eu raison. Donc dos au mur, on a trouvé les milliers de milliards nécessaires au quoi qu'il en coûte, on a trouvé l'argent nécessaire aux vaccins, on a su déployer les vaccins, c'est inouï ce qui s'est passé. Donc là, on n'est pas encore complètement de haut mur sur les questions environnementales et sociales, mais on va y arriver. Donc on a à la fois de l'argent, de la ressource, une compréhension des problèmes, des pistes technologiques, donc on a pas mal de pièces du puzzle en réalité. Encore une fois, on a une feuille de route, on ne va pas la réinventer, on a des outils, on ne va pas réinventer la Banque mondiale, on ne va pas réinventer l'Union européenne, on ne va pas réinventer les Nations Unies, ça existe, faisons-les travailler. On ne va pas réinventer les assureurs, les fonds, tout ça, ça existe, on a les outils, on a à peu près tout ce dont on a besoin pour faire face à un problème. On devrait être capable d'y arriver quand même.
- Speaker #1
Ce sera le mot de la fin, merci beaucoup Bertrand Madré. Retien ces éclairages pas que nants sur la mobilisation de la finance au service de l'investissement Impact. et j'en profite pour donner rendez-vous à nos auditeurs mardi prochain pour le troisième épisode de ce podcast à la rencontre d'Axel Reynaud fondateur de NetZéro avec qui nous discuterons entrepreneuriat en Afrique et en Amérique du Sud dans un domaine particulièrement important à la transition écologique qui est celui de la captation carbone d'ici là passez une belle semaine et portez-vous bien