- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le podcast 1.c'est tout, une émission où j'interroge des personnes qui ont été victimes de violences conjugales et intrafamiliales, ainsi que des experts. Je suis Adrien Roland-Boulogne et j'ai cofondé la société EIU. Nous développons dans le monde du travail des actions de sensibilisation et de formation pour informer largement, accompagner et donner des conseils pour se sortir d'un tel schéma. Et c'est en résonance avec cette activité que nous avons créé cette série de podcasts gratuites qui s'adressent à toute personne concernée ou tout simplement qui s'intéresserait au sujet. Merci de nous écouter, vous êtes désormais plusieurs dizaines de milliers. Et bien bonjour Emma et surtout un grand merci d'avoir accepté de témoigner dans notre podcast. Vous avez été une jeune victime de violences conjugales durant votre adolescence et durant vos études. Et vous allez nous expliquer comment c'est mis en place ce schéma et surtout comment vous vous en êtes défait pour inspirer nos auditeurs et nos auditrices. Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous raconter votre histoire ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Ça a débuté dans ma période en seconde. C'était un garçon plus âgé qui inspirait la sécurité. Et c'est pour ça que je... Je me suis un peu engagée dans cette relation. Et il a directement établi un peu ce qu'on appelle une lune de miel. Donc au début, il me faisait miroiter que tout était beau, tout était rose, que c'était une bonne personne. Il était plus âgé, donc il a très vite voulu créer une relation sexuelle, faire sa première fois, parce qu'il ne l'avait jamais fait. Et donc, il m'a un petit peu... précipité dans moi aussi ma première fois. Donc ça, ça a été quand même assez marquant. Puis en fait, très vite, la relation a débuté comme ça, où c'était vraiment, on se voyait, on couchait ensemble et je rentrais chez moi. Ça a duré à peu près six mois comme ça, jusqu'au jour où j'ai appris qu'il m'avait trompée avec une autre fille. On s'est séparés pendant un mois à peu près et puis au bout d'un mois, on s'est... revu, il m'a dit qu'il regrettait, qu'il pensait à moi, que j'étais l'amour de sa vie, et il pleurait dans mes bras, enfin voilà. On a continué notre relation, et sur l'histoire de 2-3 mois, ça s'est super bien passé, on faisait des activités ensemble, on faisait des activités avec ses amis, bon jamais avec les miens, mais voilà. Et il a déménagé à... 40-50 minutes en bus de chez moi. Et en tant qu'adolescente, c'était assez compliqué de se voir puisqu'on n'avait pas de voiture. Et le seul moyen de transport, c'était le bus. Donc très vite, la routine s'est installée. La semaine, j'allais à l'école et le week-end, je descendais le voir là où il habitait. Et il y avait des week-ends où je ne pouvais pas y aller, où je devais aller chez mon papa. Et au final... ça ne lui plaisait pas et c'était des cris au téléphone, des insultes, enfin voilà. Donc ça a débuté comme ça, pareil quand je voulais voir mes amis ça ne me plaisait pas, donc pareil, cris, insultes au téléphone, il m'harcelait, il m'appelait peut-être une dizaine de fois jusqu'à ce que je réponde en fait, on ne pouvait pas m'habiller comme je voulais. Je ne pouvais pas me maquiller pour aller au lycée. Et je ne pouvais pas voir d'autres garçons. Enfin voilà, c'était une période qui a duré de décembre à juillet, comme ça. Où il m'empêchait de voir mes amis. Et donc au début, c'était juste des cris, des appels en continu, des insultes. Et puis petit à petit, quand je me retrouvais face à lui... Il tapait dans les murs, il tapait dans les portes. Enfin, il y avait de la violence. Pas encore physique, mais il y avait de la violence quand même. En septembre, il y a un jour où il était au lycée, à l'accueil du lycée. Et moi, je venais d'arriver et il m'avait demandé de le rejoindre. Je lui ai dit que j'allais le rejoindre. Et en chemin, j'ai croisé une amie à moi et j'ai discuté avec elle. avant d'aller le rejoindre. Ça ne lui a pas plu que je ne le rejoigne pas de suite et il a commencé à... s'énerver et il est arrivé devant le portail du lycée et m'a insulté devant il y avait peut-être une trentaine de personnes mais ça s'est fait quand même en public et à ce moment là ça a été un peu un déclic pour moi où j'ai dit on arrête là donc voilà on pendant six mois on a arrêté de se voir je pensais m'être libéré de cette emprise et puis finalement le covid arrive et je le recontacte. Donc, on se revoit de temps en temps, tout se passe bien, on fait des activités avec mes amis cette fois, avec les siens, et je retombe dans cette lune de miel, où tout est beau, on se revoit, ça se passe bien, on fait des activités ensemble, on sort avec ses amis, avec les miens, et tout est vraiment très beau. Mais je me perçois en me disant, garde quand même une distance, ne t'engage pas. Comme ça, au moins, il n'y a pas de souffrance. Tu ne retombes pas dans cet engrenage. Bon, finalement, je suis retombée dans l'engrenage. Et il m'a dit, en gros, c'est soit on se met en couple, soit c'est fini et je te bloque de partout. Donc du coup, je me suis réengagée avec lui. Et c'est là où tout a débuté. Il ne faisait aucun effort, aucune attention envers moi, aucun message quand on n'était pas ensemble, aucune proposition de se voir. Enfin vraiment, si je n'entretenais pas la relation, lui il ne le faisait pas. Et je lui ai reproché une fois, deux fois, trois fois. Ça n'a pas plu. Et il a commencé à devenir violent. Donc ça a toujours commencé par des insultes. Enfin, ça a continué avec des « je te prends, je te jette par terre, je te lance des objets dessus » . Et au début, moi, je ne m'en rendais pas compte. Pour moi, c'était ma première relation. Donc c'était juste normal qu'il s'énerve comme ça parce que je le poussais à bout. Et un jour où je me suis vraiment fait mal à la cheville, Enfin, il m'a fait mal à la cheville du coup et je me suis dit c'est bizarre c'est... après une grosse altercation, j'ai mal à la cheville, c'est bizarre. Je me rapproche d'une copine à moi qui a déjà vécu ce genre de de situation et elle me dit tu verras s'il a fait une fois il recommencera. Bon... Moi, aveuglée par l'amour, je ne sais pas par quoi, mais je ne veux pas écouter son conseil. Et je me dis que non, c'est rien ce qui s'est passé. Et je fais table rase. Comme si je supprimais ce passage et je continue ma relation avec lui. Donc c'était quand même des mois assez intenses parce que quand je ne le voyais pas, Je restais enfermée dans ma chambre et je ne sortais pas, je ne voyais personne, je ne mangeais pas. Et puis dès que je sortais, c'était pour le voir. Et là, c'était une nouvelle personne. J'étais heureuse, j'étais avec lui, tout se passait bien. Jusqu'au jour où c'était le jour de la fête des mères, je m'en souviens. On s'était disputé la veille. un peu pour rien en fait. Il faisait tellement pas attention qu'il me cramait souvent avec ses cigarettes. Et à une soirée je lui dis s'il te plaît fais attention parce que j'ai mis un collant. Bon bah il fait pas attention, il me crame avec sa cigarette et je lui mets une petite tape derrière la tête. Et là il est parti en furie. Il voulait rentrer chez lui, avec moi. Et j'étais la seule à avoir une voiture. Il avait bu, fumé de la drogue et peut-être d'autres choses, je ne sais pas. Mais toujours est-il que je ne voulais pas le laisser conduire. Et il n'a pas voulu. Il s'est énervé, il s'est mis dans tous les états, il m'a insulté de tous les noms. Et il a appris le volant. On était en présence d'amis à lui. Personne ne l'a arrêté, personne ne lui a dit de ne pas prendre le volant. Et franchement... Dieu merci que je sois toujours là parce que sur cette route j'ai cru passer. Et on rentre chez lui, on ne parle pas de la dispute, on dort et le lendemain on en rediscute. Et là, il s'est mis dans tous ses états et il m'a jeté sur le lit, il m'a étranglé. Et je... Enfin, il y a un moment donné où je ne sais pas, il y a eu un moment de lucidité, il a arrêté. Je suis partie, il m'a suivie jusqu'à ma voiture, il a cassé mon rétro en donnant un coup de pied. Et je suis partie en panique en fait, j'étais encore en pyjama. J'étais en transe, clairement je transpirais de partout, de peur, de... Ouais, de peur. Et je m'arrête au bord de la route et là je me dis mais en fait ça n'arrive pas qu'aux autres. C'est à moi que ça arrive là. Et première chose que je fais, c'est que je contacte une amie. Je lui dis, voilà il vient de se passer ça, je sais pas quoi faire. Elle a essayé de me calmer, de me dire que ce n'était pas normal. Et après, j'appelle ma mère. Je la appelle le jour de la fête des mères et je lui dis ce qu'il faut faire. Je suis perdue là. Et la première chose qu'elle m'a dit, c'est qu'on va au commissariat. Je lui ai dit non. Je lui ai dit non, je ne peux pas. Je suis incapable de porter plainte contre la personne que j'aime. Et du coup, elle m'a dit, on va au moins aux urgences. qu'il fasse un compte-rendu de ce qui s'est passé. On va aux urgences et je me revois à ce moment-là et c'est comme si je ne me rendais pas compte de ce qui se passait et j'étais sortie de mon corps, ou alors j'avais fait taire la douleur et vraiment je me baladais en pyjama. avec des marques de strangulation, des marques sur les lèvres, mais comme s'il ne s'était rien passé. Et du coup, toujours est-il qu'on arrive aux urgences, le médecin me prend en charge très rapidement, il fait un compte-rendu, il observe, il me prescrit un traitement, je crois que c'était des anxiolytiques, je pense. Voilà, je rentre chez moi, je prends une douche et puis je le recontacte. je le recontacte et je lui dis je sais que tu n'étais pas toi même à ce moment là et je ne sais pas pourquoi je fais ça mais on a une discussion et lui me dit que c'est bien qu'on fasse une pause tout ça qu'on fasse un petit break qu'on attende de chacun se remettre de nos émotions et moi Je suis dans le déni et je lui dis non, non, non, je sais que c'était pas toi à ce moment-là, je sais que t'es pas comme ça. Enfin, vraiment aveuglée totale. Et donc pendant une semaine ou deux, je sais plus trop, on se revoit pas, on se recontacte pas. Moi, je fais abstraction de tout ça. Enfin, je porte des foulards, je camoufle les marques. Je sais que j'en parle avec mon père. Mon père qui prend vachement de distance par rapport à tout ça, je ne sais pas pourquoi, mais il était un peu, je pense, sous le choc et il ne voulait pas voir qu'on pouvait faire du mal à sa fille. Donc vraiment, je n'ai pas reparlé avec lui. Enfin, ça a été un peu dessus. Et enfin, voilà, je commence à travailler. Donc je... Je me mets un peu dans le rythme du travail, je ne pense plus à tout ça. Et puis bon, on se revoit et on continue notre relation. On avait fini notre break et on continue à se refréquenter, à être en couple, à se comporter comme un couple. Et pendant deux mois, ça n'a été qu'une semaine. Emma, je t'aime, t'es l'amour de ma vie. La semaine d'après. Non, j'en ai marre, je suis à bout, on fait une pause. Et puis la semaine qui suit, tu me manques, je me rends compte que c'est toi que j'aime. Et pendant deux mois, c'était que ça, le yo-yo.
- Speaker #0
Et comment vous vous sentiez à ce moment-là sur le plan psychologique avec ce yo-yo perpétuel ?
- Speaker #1
Très mal, j'ai perdu du poids, je prenais les anxiolytiques pour dormir, j'ai fait des crises de boulimie. Enfin, c'était très compliqué. Mais je pense que le fait que j'ai commencé un travail dans la restauration, ça m'a aidée à sortir un peu de tout ça. Et donc au bout de deux mois, j'en ai eu marre. C'était trop pour moi. Et j'ai dit, c'est fini, je viens chez toi, je te rends tes affaires, je récupère mes affaires et c'est terminé. Il n'a pas voulu que j'aille chez lui. Il m'a menacée. Il m'a dit, non, tu ne viens pas, c'est moi qui vais venir. C'est moi qui... Je vais venir chez toi, je vais retourner ta maison. Si je croise ton frère ou ta mère... Je les fracasse, que des menaces. Et du coup, moi, ni une ni deux, j'ai pris ma voiture et j'y suis allée. J'avais peur qu'ils fassent quelque chose à ma famille. Et j'y suis allée, je l'ai croisée sur la route. On s'est croisées. Et là, j'ai vu son regard noir. Il a fait demi-tour et c'était une course poursuite. Il m'a poursuivie en voiture comme un policier poursuit un délinquant. Et à un moment donné, je me suis arrêtée parce que j'avais peur qu'il me fonce dedans. Il s'est arrêté avec moi. Bon, on était en plein milieu, enfin, sur le côté, sur une route, donc il y avait du passage. Et il m'a dit, bon, ben, on va chez moi. Donc je vais chez lui, je commence à essayer de discuter, à rassembler mes affaires, à lui rendre les siennes. Et là, il n'a pas accepté. Et ça a continué. Il est parti dans une crise, il m'a jeté par terre, il m'a jeté des objets dessus. C'était une chaise, un étendoir. Et il m'a plaqué contre le mur. Il ne voulait pas. Et je me souviens à ce moment-là, il avait eu sa mère au téléphone, je crois, et en lui disant « Maman, il faut que tu fasses quelque chose parce que là, je ne vais pas m'arrêter. Si tu ne fais rien, je ne m'arrête pas. » Donc, entre-temps, sa mère a essayé de le calmer. J'ai pris mes clés parce qu'il me les avait prises pour ne pas que je parte. J'ai pris mes clés de voiture, je suis partie. Et en face… En face de moi, quand je suis sortie de chez lui, il y avait son ami qui attendait. Qui attendait sagement que ça s'arrête sans intervenir. Alors qu'il entendait les cris, qu'il entendait les coups et pareil. Enfin bon, toujours est-il que, encore une fois, je réussis à partir. Pareil, en trans, je transpirais. J'arrive chez moi et dix minutes après, j'entends toquer la porte de chez moi. et c'était les policiers qui ont été alertés par les voisins et qui sont venus jusqu'à chez moi parce que les voisins ont dit qu'ils m'avaient vu partir. Donc j'explique brièvement la situation à la police et elle me donne un rendez-vous le lendemain pour porter plainte ou témoigner, ou faire une main courante. Donc j'y suis retournée le lendemain. pas voulu porter plainte, toujours pour la même raison. J'étais quand même amoureuse de ce garçon et je ne me voyais pas l'emmener en prison. C'était ça dans ma tête. Donc j'ai quand même déposé une main courante, j'ai envoyé les photos de mes strangulations à la policière. Elle m'a donné un tract d'une association pour violences conjugales. Bon, je n'ai jamais fait suite. Et puis voilà, l'affaire s'est tassée. Et deux semaines après, donc, je n'avais plus de nouvelles de Hugo. Je n'avais plus de nouvelles, voilà. Et deux semaines après, du coup, je recommençais à fréquenter des personnes, à sortir, à faire des soirées, tout ça. Et... Et il a eu vent de mes sorties, de mes fréquentations. Et il y a un soir, des amis faisaient un barbecue à côté de là où je travaillais et je devais les rejoindre après mon service. Et Hugo l'a appris, il a débarqué en plein service et il m'a menacée. Il m'a dit « Oui, je sais que tu vas les rejoindre après, si j'apprends quoi que ce soit, toi et toute ta famille, vous êtes morts. » Des menaces, des menaces, des menaces. Moi, j'ai mis jusqu'au bout et je lui ai dit que non, je n'allais pas les rejoindre. Voilà. J'ai repris le service et lui est allé casser la vitre de la voiture d'un des garçons qui faisait la soirée. Et donc ce garçon a entendu, il est monté à sa voiture et ils ont fait un peu une course-poursuite. Hugo s'était arrêté sur le bas-côté de la route. Les garçons sont descendus de la voiture pour... pour essayer de l'attraper. Et Hugo leur a foncé dessus en voiture. Et en même temps qu'il s'est passé ça, il y a la police qui est venue là où je travaillais parce que le maire du village l'avait appelé. Ils ont interrogé pour savoir ce qui s'était passé. En même temps, les pompiers sont arrivés récupérer les deux garçons qui se sont fait foncer dessus en voiture, les emmener à l'hôpital. Et moi, j'ai suivi la police pour aller porter plainte ou témoigner. Du coup, à minuit, je me suis retrouvée au commissariat pour faire un témoignage de la soirée. Et je suis allée avec ma maman. Et en fait, j'entendais un monsieur en cellule de dégrisement crier, se débattre et ça m'a fait peur. Et je me suis totalement dégonflée et je me suis dit, je ne peux pas envoyer ce garçon dans ce genre d'endroit, c'est pas possible. C'est quand même quelqu'un que j'ai aimé et c'est pas possible. Du coup, j'ai juste fait un témoignage et je n'ai jamais porté plainte. Et l'histoire s'est arrêtée là.
- Speaker #0
Vous avez eu finalement, comme dans beaucoup de situations, de l'empathie là où l'auteur n'en avait pas. Est-ce que c'est bien cela ? Oui.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Je n'ai pas envie de dire que je regrette à l'heure d'aujourd'hui parce que j'ai fait quand même un travail, tout ça. Et que, bon, cette histoire, oui, elle m'affecte toujours. Mais c'est du passé, quoi. Je pense que j'en ai fait le deuil. Mais bon, quand même, j'ai un petit peu de regrets sur le fait de ne pas avoir porté plainte.
- Speaker #0
Vous avez vécu quelque chose d'extrêmement dur, et j'ai l'impression que l'escalade de la violence est progressive, mais quand même, en quelques mois ou années, il y a eu une explosion très forte de la violence. Et vous disiez pendant votre passage aux urgences que vous étiez comme un peu sonné. D'ailleurs, peut-être qu'il s'agit d'un stress post-traumatique, enfin, je ne sais pas comment le qualifier. Comment vous en êtes sorti de cette période, et comment qualifier ce moment-là ?
- Speaker #1
Alors, il faut savoir que... Tous ces passages de violence, j'en ai pas souvenir. J'ai de brefs flashs qui me disent « ouais, quand même, il te jetait par terre » ou « ouais, quand même, il te balançait des objets en pleine figure » . Mais sinon, j'en ai pas le souvenir. Et je pense qu'en fait, je suis pas sortie de… Je suis pas… partie de la relation à cause de la violence, parce que je ne m'en rendais pas compte à ce moment-là. Mais je suis partie vraiment parce que je ne pouvais plus supporter le fait d'être jetée, reprise, jetée, reprise, jetée, reprise. Et c'est ça qui m'a fait partir. Après, je n'ai pas pris conscience de la violence tout de suite. Ça a quand même mis 4-5 mois avant que je me dise. Ah ouais, il y a quand même des trucs où je me souviens. Je me souviens m'être fait jeter par terre, je me souviens m'être fait jeter des objets dessus, puis je me souviens de m'être fait étrangler. C'est revenu un peu petit à petit où je me suis dit, ah ouais, en fait, c'était de la violence. Et il y a eu aussi beaucoup de rêves pendant à peu près six mois. Ça m'est arrivé il y a peut-être trois mois de ça aussi, d'en refaire.
- Speaker #0
Oui, il y avait une logique de contrôle en permanence sur tous les plans de votre vie, quand vous étiez avec lui, ou même à distance d'ailleurs. Pour autant, j'ai l'impression qu'il y avait quand même le travail ou peut-être votre environnement familial pour vous faire des pauses, dans tout ça. Est-ce que ça vous a aidé d'être entouré comme cela ?
- Speaker #1
Oui, je pense que le fait de ne pas vivre avec lui, de vraiment avoir ma vie à la fac, même s'il y avait cette période de Covid, ou ma vie chez mes parents. Je pense que ça m'a aidée. Je pense que si j'aurais vécu avec lui, que je n'aurais pas vécu chez mes parents, que même je n'aurais pas travaillé dans ce travail saisonnier, je pense que j'y serais restée.
- Speaker #0
Et vous sentiez que ça pouvait aller encore plus loin ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et qu'en pensaient vos camarades, vos amis à ce moment-là ? Déjà, est-ce qu'ils le savaient ? Même si, bien sûr, je sais qu'on était en période de Covid, donc il y avait de fait moins de relations sociales.
- Speaker #1
Oui. Après mes proches, je n'en parlais pas. Je connaissais leur opinion sur la situation et du coup je n'en parlais pas. Je disais même que tout allait bien pour ne pas avoir à me justifier ou par honte aussi de vivre tout ça. Après, c'est proche à lui, donc c'est des proches que j'ai beaucoup côtoyés. puisque je ne voyais plus mes amis au final. Oui, il le savait, il s'en doutait, puisque la fois où je me suis séparée de lui, où je suis partie de chez lui, et où il y avait son ami qui était devant la porte de chez lui et qui n'a pas réagi alors qu'il l'entendait, si les voisins ont alerté la police, c'est que lui qui était en face de la porte entendait. Donc oui, ses amis le savaient. Même nos proches un peu plus éloignés le savaient, puisque j'ai eu des échos, comme quoi les gens avaient entendu dire qu'il était violent, tout ça. Donc oui, les gens le savaient. Mais je pense que ça a été le plus dur pour moi. Après, que personne n'en tienne compte et que personne... Que tout le monde fasse comme si c'était une personne bien alors qu'ils avaient des doutes sur ce qu'il avait fait. Et je pense que ça a été vraiment le plus dur.
- Speaker #0
Bien sûr, c'est tout à fait normal. Est-ce que vous savez pourquoi les gens n'ont pas agi, n'ont pas tendu la main à ce moment-là ?
- Speaker #1
Oui, je pense que c'est une question de facilité. On n'a pas envie de nous recevoir des coups si on intervient. où c'est un sujet quand même assez sensible, la violence conjugale, et c'est assez tabou. Et les gens n'ont pas envie d'en parler ou de dire tout haut ce qu'ils pensent tout bas, tout simplement peut-être parce que moi aussi, à ce moment-là, je ne le voyais pas. Et je pense que si quelqu'un m'avait dit « bah oui, il est violent avec toi » , j'aurais dit « mais pas du tout » . Alors qu'au final, si... Je ne peux pas rajouter la faute sur eux ou sur moi. Je pense que c'est autant des deux côtés. Dans tous les cas, moi, je fermais les yeux et je faisais taire la situation. Et eux, en même temps, ils n'étaient pas sûrs, ils ne savaient pas trop. C'est dur de dire « Ah oui, ce mec, il est violent, viens en tête » . Bien sûr. On ne sait pas la réaction de lui, on ne connaît pas sa réaction à lui et la mienne aussi. Donc du coup, je pense que ce n'est pas simple autant des deux côtés.
- Speaker #0
On entend souvent, et je ne sais pas vraiment dire si c'est un cliché ou pas, que les jeunes sont plus ouverts à l'idée de parler des violences, que c'est moins un tabou générationnel. Puis finalement, quand je vous écoute et puis j'ai d'autres témoignages qui corroborent ça, je n'ai pas tant cette impression-ci. Qu'est-ce que vous en pensez sur l'évolution de la libération de la parole ?
- Speaker #1
Je pense que quand on vit ces violences, généralement, l'agresseur manipule beaucoup et du coup, la victime ne se rend pas compte de ce qu'elle vit, n'en a pas conscience. Et je pense que c'est pour ça que la parole ne se libère pas, c'est parce que tout simplement, la victime, pour elle, c'est normal. ou alors juste elle ne se rend pas compte de la gravité des choses. Je pense que c'est pour ça que la parole ne se libère pas.
- Speaker #0
Oui, et surtout que vous disiez que c'était l'une de vos premières relations, et donc j'imagine que ça n'aide pas. Il n'y a pas forcément beaucoup d'éléments de comparaison.
- Speaker #1
C'est sûr que, quand c'est une première expérience, première relation, je ne connais rien avant ça. Et puis... Ouais, et puis la manipulation, ils sont quand même assez forts pour tout ça. comme on n'a pas de moyenne comparaison et puis surtout comme on est investi dans cette relation.
- Speaker #0
et qu'on nous coupe tout droit de pensée ou de parole. Parce que c'est ça, l'agresseur, il n'accepte pas que la victime ait une opinion différente. Donc du coup, notre voix en tant que victime, elle est complètement tue et elle ne représente rien au final puisque c'est lui qui a raison, c'est lui qui nous...
- Speaker #1
dirige un peu et du coup cette manipulation a fait que cette manipulation plus ou moins ma première relation ça fait que bah oui ok c'est normal quoi j'ai le sentiment aux écoutants qui avait un poids de la culpabilité qui était très important comment vous avez fait pour vous départir de
- Speaker #0
ça oui on se sent beaucoup pas parce que alors même si après l'acte de violence il va s'excuser pleurer nous dire des belles paroles, tout ça, il y a quand même ce « mais tu sais, si tu m'en demandes autant, c'est normal que je réagisse comme ça » . Et du coup, nous-mêmes, on se persuade que c'est moi qui en demande trop. Il faut juste que j'arrête. Donc oui, on culpabilise beaucoup, parce qu'on se dit que c'est notre faute. Et puis, pour sortir de… ça a été très long, franchement. Je pense que cette histoire ça fait trois ans qu'elle est passée. Et franchement j'ai bien mis deux ans à vraiment plus culpabiliser, plus me dire que ça venait de moi. Comment j'ai fait ? Alors déjà j'ai suivi une thérapie. Ma thérapie m'a beaucoup aidée à faire le deuil. de l'image que je me suis faite. Je me suis imaginée la personne idéale, un homme musclé qui prend soin de moi, qui me protège, tout ça. J'ai eu du mal à me dire que cette personne n'existe pas. Et puis, à l'heure d'aujourd'hui, oui, ce n'est pas ma faute. J'ai été victime.
- Speaker #1
Complètement, ce n'est pas votre faute. Justement, je me demandais, vous avez donc commencé une psychothérapie après cette rupture. Qu'est-ce que ça vous a appris de vous, de vos modes relationnels ?
- Speaker #0
Déjà, ça m'a appris, ça m'a permis de savoir pourquoi je me suis lancée dans ce genre de relation. Mon schéma familial de quand j'étais petite, mon petit souci qui fait que je me dirige vers ce genre de personne, mais que ce soit en amour ou en amitié. C'est le fait que j'ai besoin de me sentir aimée, j'ai besoin qu'on m'aime. Et du coup, je m'adapte à la personne, je me plie à ce qu'elle veut que je sois pour lui plaire. Et c'est ça qui m'a fait un peu aller vers lui. Donc quand j'ai un peu compris ça, ça fait que j'ai compris qu'il n'était pas celui que je voulais qu'il soit. Et ça m'a permis de faire mon deuil.
- Speaker #1
C'est extrêmement intéressant de vous écouter parce que j'ai l'impression que vous avez une vraie lucidité sur votre situation et qui est due bien sûr au travail que vous avez réalisé. Je voulais juste revenir sur la question du travail parce qu'on sait que pour les personnes qui sont en emploi, c'est un facteur de lien social et qui aide à s'en sortir. Est-ce que ça a été le cas pour vous ?
- Speaker #0
Je fais vraiment la différence parce qu'on était dans une période de Covid où justement sans emploi, je ne faisais rien, j'étais tout le temps... Soit chez lui, soit chez moi, à ne rien faire. Et le fait d'avoir repris cette activité, j'ai côtoyé du monde. J'étais serveuse, donc je devais garder le sourire. Et surtout, j'étais souvent dans le rush. Et donc, je ne pensais pas. Je ne pensais pas à lui. Je ne pensais pas à tout ça. Et je pense que c'est ce qui a fait que je ne pouvais pas... et cumuler la douleur qu'il me faisait ressentir, le temps que je devais lui accorder parce qu'il demandait énormément de temps, et le travail de serveuse. Puis surtout le travail de serveuse, mes horaires c'était jeudi au lundi, donc lui c'est le jour de repos qui était le week-end. Moi, mes jours de repos, c'était le mardi-mercredi. On se voyait très peu. Et au final, c'est ce qui a fait que je me suis un peu détachée. Le fait qu'on ne se voit pas, que moi, je vois du monde, que je me force à sourire. Plus je me forçais à sourire, plus ça me faisait du bien. de sourire, de reprendre vie, de discuter, de voir du monde, et lui, de le voir de moins en moins. Et en fait, c'est ce qui a fait que je me suis détachée, je pense, et que je ne supportais plus ces va-et-vient dans notre relation.
- Speaker #1
Oui, j'imagine qu'il n'aurait pas fallu trois années de crise Covid en plus, avec la notion de contrôle coercitif qui était peut-être encore plus présente, même si parfois à distance. Surtout d'ailleurs que c'est toute la société qui s'est mise au ralenti, et pour autant, la relation de domination, elle, elle était omniprésente et durable. Vous avez maintenant pris du recul sur ce que vous avez vécu. Alors, j'ai une dernière question plus ouverte. C'est quel conseil vous donneriez à une personne qui a été victime de violences conjugales ?
- Speaker #0
Alors, aux victimes, moi, je donnerais le conseil que dès le premier signe, d'en parler. Après, c'est très dur d'en parler, surtout que les gens ne le vivent pas et ne le comprennent pas. Et pour eux, c'est tellement simple de dire quitte le, tu n'as qu'à partir c'est facile, mais ben non parce qu'on est sous emprise donc oui, juste d'en parler de s'entourer des bonnes personnes de ne pas rester seule enfermée avec lui de travailler, de sortir de voir du monde, de lire aussi parce que des fois la lecture ça peut aider à se dire, ah oui ça me rappelle quelque chose, c'est pas normal bon, donc ... Ou de lire, de sortir, de voir du monde, pas forcément d'en parler, mais de côtoyer du monde. Et après, aux proches, le conseil que je peux donner, c'est ne dites pas de quitter la personne, parce que ça ne sert à rien de ne pas juger et juste d'écouter et d'accompagner. Pas donner de conseils, pas donner d'avis, juste écouter et accompagner la victime.
- Speaker #1
Écoutez, accompagnez, ne pas juger, je pense que ce sont les maîtres mots de votre intervention. Alors merci beaucoup de nous avoir partagé cette parole, c'est courageux de le faire et je pense que c'est important. En faisant ça, et puis c'est en lien avec votre conseil, vous donnez de la matière à des personnes qui seraient victimes ou à l'entourage qui observerait une personne concernée par ces violences-ci, pour pouvoir agir ou pour pouvoir un jour espérer s'en sortir.
- Speaker #0
Merci à vous, au revoir.
- Speaker #1
Vous voulez témoigner en tant qu'experts ou que personne victime de violences ? Alors envoyez-nous un mail à hello.eu.fr. N'hésitez pas à partager ce podcast car en parler, c'est déjà avancé.