- Speaker #1
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le podcast
- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le podcast 1.c'est tout,
- Speaker #1
1.c'est tout,
- Speaker #0
une émission où j'interroge des personnes qui ont été victimes de violences conjugales et intrafamiliales,
- Speaker #1
une émission où j'interroge des personnes qui ont été victimes de violences conjugales et intrafamiliales, ainsi que des experts.
- Speaker #0
ainsi que des experts.
- Speaker #1
Je suis Adrien Roland-Boulogne et j'ai cofondé la société EIU.
- Speaker #0
Je suis Adrien Roland-Boulogne et j'ai cofondé la société EIU. Nous développons dans le monde du travail des actions de sensibilisation et de formation pour informer largement,
- Speaker #1
Nous développons dans le monde du travail des actions de sensibilisation et de formation pour informer largement,
- Speaker #0
accompagner et donner des conseils pour se sortir d'un tel schéma.
- Speaker #1
accompagner et donner des conseils pour se sortir d'un tel schéma.
- Speaker #0
Et c'est en résonance avec cette activité que nous avons créé cette série de podcasts gratuites qui s'adressent à toute personne concernée ou tout simplement qui s'intéresserait au sujet.
- Speaker #1
Et c'est en résonance avec cette activité que nous avons créé cette série de podcasts gratuites qui s'adressent à toute personne concernée ou tout simplement qui s'intéresserait au sujet. Merci de nous écouter,
- Speaker #0
Merci de nous écouter,
- Speaker #1
vous êtes désormais plusieurs dizaines de milliers.
- Speaker #0
vous êtes désormais plusieurs dizaines de milliers. Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le podcast 1.c'est tout. Aujourd'hui nous accueillons Thomas qui était un ancien enfant comme nous tous mais qui a la particularité comme plusieurs millions d'enfants en France d'avoir vécu dans un foyer violent, un foyer où les violences conjugales étaient de mise. Il est donc co-victime de violences conjugales et a vécu des situations qu'un enfant ne devrait pas vivre et qui laisse des marques. Et Thomas a choisi de s'engager de plusieurs manières, notamment à travers un groupe de parole auprès de l'association Elles Imaginent. mais aussi à travers une série de podcasts qui s'appelle « Mais c'était un bon père » . Je vous la conseille parce qu'elle est extrêmement bien réalisée, juste. Alors, écoutez-la. Bonjour Thomas et merci d'accepter de nous partager ton expérience. Aujourd'hui, dans ce podcast, on va donc en savoir un petit peu plus sur ton vécu. Et puis, je commencerai par une première question un peu générale, mais ça veut dire quoi être un enfant victime, co-victime de violences conjugales ou de violences intrafamiliales ?
- Speaker #1
Bonjour Adrien, merci à toi. C'est à la fois très simple et très compliqué à expliquer. C'est très simple, c'est juste avoir grandi dans une famille où un des parents était violent envers l'autre parent. Dans la plupart des cas, le père était violent envers la mère. C'est la version simple. La version plus compliquée, c'est que ça a tout un tas de conséquences, qu'on détaillera par la suite, qu'on ne soupçonne pas forcément.
- Speaker #0
Bien sûr. Alors si on se plonge il y a quelques années dans ton enfance, qu'est-ce qui te distinguait déjà des autres enfants au regard de ton schéma familial ?
- Speaker #1
Ce qui est particulier, c'est qu'à l'époque, j'avais conscience qu'il y avait quelque chose d'anormal. C'est-à-dire que ce n'était pas normal qu'il y ait des coups, des cris portés par mon père sur ma mère. Et à la fois, c'était ma normalité. Donc pour moi, c'était mon quotidien et c'était normal en quelque sorte. Oui, concrètement, moi j'avais totalement conscience de ce qui se passait à l'époque. J'avais envie que mes parents divorcent et de ne plus avoir à subir ça. Mais à la fois, c'était un sujet qui était et qui est resté pour moi très tabou. C'est-à-dire que j'en ai très peu parlé. Quelques personnes de la famille étaient un peu au courant, mais au courant de quoi exactement, je ne sais pas. Et en tout cas, ce n'est qu'à l'âge de 30 ans environ, 28 ans précisément, que pour la première fois je suis allée consulter une psychologue et que j'ai commencé à me dire que oui, ce que j'avais vécu en France, ça avait eu un impact sur moi et que j'étais peut-être co-victime. de ces violences et non pas simplement témoins de violences conjugales, qui est un autre mot qu'on a souvent tendance à utiliser.
- Speaker #0
Bien sûr, tu as mis des mots, disons, à l'âge de 28 ans. Est-ce qu'il y a eu un moment marquant dans ta jeunesse, d'une prise de conscience qu'il y avait quelque chose qui clochait, un moment précis qui te viendrait à l'esprit ?
- Speaker #1
Je dirais que c'est progressif. Je n'identifierais pas un moment particulier. Il y a tous les moments de crise, évidemment. Moi, j'assistais, donc soit je voyais, soit j'entendais les violences physiques et verbales. Mais je dirais non, depuis que j'ai des souvenirs, depuis tout petit, je me souviens bien qu'il y avait quelque chose d'anormal. Je pense que oui, il y a une prise de conscience progressive aussi, en voyant d'autres foyers, d'autres familles, où je me disais que ça se passait. Normalement, qu'il n'y avait pas ces violences-là. Mais non, je ne pense pas qu'il y ait eu de moments déclencheurs. Après, plus tard, sur la prise de conscience, je dirais que c'est des moments déclencheurs dans ma vie, plutôt. En l'occurrence, en 2018, la mort de mon père. et aussi une rupture amoureuse. Donc ces deux moments-là étaient propices à la réflexion et au fait de, là, peut-être effectivement un peu d'un coup, me dire qu'il y avait quelque chose à dire là-dessus.
- Speaker #0
Oui, j'imagine que c'est des moments qui peuvent être d'une certaine manière traumatisants, mais en tout cas qui font remonter certaines émotions. Alors si on rentre un petit peu plus dans le détail, dans la mesure de ce que tu veux partager bien sûr dans ce podcast, mais comment se matérialiser les violences, déjà d'une part aussi sur ta mère et puis par ricochet, et c'est souvent pas par ricochet d'ailleurs, c'est de façon frontale aussi parfois, sur toi ?
- Speaker #1
Les violences envers ma mère, c'était, disons il y a la partie visible en quelque sorte, ou audible, c'est-à-dire les coups, les cris, les insultes. Le dénigrement continue. Donc voilà, je ne vais pas redétailler, mais voilà, violence physique, psychologique, financière. Ils avaient un seul compte en banque, un compte joint, seul mon père avait des revenus. Ma mère ne pouvait dépenser de l'argent que contrôlé par mon père. Donc voilà, toute la panoplie de types de violences, si on peut dire. Mais surtout... avant tout, je dirais, une forme d'emprise de mon père sur ma mère, qui est caractérisée par le cycle des violences, mais qu'on connaît bien, et dont plusieurs autres personnes ont mieux parlé que moi dans ton podcast, Adrien. Mais voilà, je pense que c'était un enchaînement de moments terribles, de moments de crise, donc violences physiques et verbales, et de moments calmes. Mais ce que je dis dans mon épisode, quand je dis qu'il n'y a pas de calme avant la tempête, c'est que même dans ces moments de calme, ce qui prédominait, c'était la peur, la peur qu'il y ait une crise. Et donc moi je pense que c'est l'élément caractéristique le plus fort que je retiens aujourd'hui, c'est la peur. Donc ma mère était dans cette peur-là, mais moi aussi. Donc une peur constante qu'il se passe quelque chose, ça se traduit par aussi une suradaptation. De ma part, pour essayer de tout faire pour qu'il n'y ait pas de crise. Tout faire pour qu'il n'y ait pas de crise, ça veut dire essayer d'être en hyper-empathie avec mon père. Qu'est-ce qu'il va ressentir ? À chaque fois que je faisais quelque chose, je ne me demandais jamais ce que j'allais ressentir, mais plutôt ce que lui allait en penser. D'être tout le temps progressivement déconnecté de ce que j'ai envie et de ce que je ressens pour être connecté à ce que mon père... père ressent. Et à la fois, tout ça, c'était vain, puisque les crises arrivaient quand même, et je le comprends aujourd'hui assez clairement, c'était pas moi qui étais responsable des crises. Je me vivais pas non plus comme ça à l'époque, mais j'étais pas responsable des crises, mais à l'époque, j'avais l'impression de pouvoir les empêcher. Et donc, l'autre chose à part la peur, c'est l'impuissance. Parce qu'on peut avoir peur et se dire, voilà, j'ai peur, point. Mais là, il y a l'idée que je peux y faire quelque chose, je peux essayer d'empêcher ces crises. C'était ma croyance. Et en fait, non. En fait, bien sûr que non. Voilà, donc, je pense que la peur, l'impuissance et la déconnexion de soi, c'était vraiment les trois choses les plus fortes. Il y avait un point important qui était... causes principales des crises, c'était que mon père reprochait à ma mère d'être trop fusionnelle avec moi. Donc le lien d'amour avec ma mère, qui à la fois m'a permis de survivre aujourd'hui, de survivre tout court, c'est grâce à elle et grâce à cette force affective qu'elle m'a donnée, que j'ai pu en être là où je suis aujourd'hui. et mon père ne supportait pas ça et il reprochait en permanence à ma mère d'être trop fusionnelle avec moi et donc symétriquement à moi d'être trop fusionnelle avec elle il me plaçait dans cette position de responsable
- Speaker #0
Oui d'ailleurs dans ton podcast Mais c'était un bon père, tu cites le fait que vous parliez en polonais il me semble avec ta mère donc ça vous créait un espace qui le rendait jaloux, en tout cas qui le gênait profondément
- Speaker #1
Ouais, donc ma mère était Elle est originaire de Pologne, elle est venue en France au moment du mariage avec mon père, donc un âge adulte assez avancé. Et moi je suis bilingue, elle m'a transmis le polonais à la naissance. Et c'était effectivement une manière de communiquer avec elle. C'était une espèce de zone de sécurité. Je savais que mon père ne pouvait pas comprendre. Donc c'était une bulle. Et lui, ça le rendait fou. Il le voyait comme une manière de l'exclure de notre relation. Et en ça, il n'avait pas totalement tort. C'était un moyen de nous protéger, elle et moi, pour survivre.
- Speaker #0
Bien sûr. Souvent ce que les personnes qui pensent aux violences conjugales, aux violences intrafamiliales ont du mal à comprendre, c'est pourquoi l'enfant qui est victime de violences conjugales n'en veut pas fondamentalement à sa mère. En tout cas, souvent on se retrouve dans cette situation-là. Alors je rentre un peu les pieds dans le plat, mais qu'est-ce que tu répondrais à ça ?
- Speaker #1
La question c'est pourquoi l'enfant n'en veut pas à sa mère ? Oui, oui. Pourquoi est-ce que je lui en voudrais ?
- Speaker #0
Qu'est-ce que tu répondrais si quelqu'un me posait cette question-là ?
- Speaker #1
Je répondrais pourquoi est-ce que je leur voudrais.
- Speaker #0
Oui, ensuite, tu...
- Speaker #1
Non, mais juste pour comprendre, on voudrait ne pas être parti, par exemple, de ça ?
- Speaker #0
Ouais, ou avec du recul. Moi, souvent, ce que j'ai entendu, c'est des années après, le fait d'y repenser, d'avoir eu l'impression. En fait, souvent, on a tendance à stigmatiser les maires en disant qu'à partir, tu vois, c'est un peu ça que je veux dire de façon caricaturale, et je pousse le trait. Bien évidemment qu'il y a un schéma de contrôle coercitif qui est... Plus oppressant. Oui. Si je reformule, peut-être que ce sera plus simple, mais bien souvent, on entend et on stigmatise les mères qui ne sont pas parties. Comment, toi, tu faisais déjà en tant qu'enfant, et qu'est-ce que tu en penses maintenant de cette idée ?
- Speaker #1
Oui, je comprends. À l'époque, non, je ne leur voulais pas du tout. Je n'avais pas non plus tant que ça de recul par rapport à la situation, mais... De fait, j'étais très proche de ma mère et donc on avait une relation effectivement de totale confiance. Et non, je n'avais pas du tout de ressentiment envers elle. Par contre, j'avais ce qu'on appelle la parentification, c'est-à-dire le fait de me dire que c'était à moi de la protéger et tout ça. Et donc oui, à l'époque, le fait que moi, je me vivais comme un adulte, quand j'étais enfant, faisait que c'était comme ça, c'était à moi de faire en sorte que ça fonctionne. Donc voilà, il n'y avait pas de ressentiment à l'époque. Ensuite, il y a eu le moment de la prise de conscience. Et c'est peut-être là, assez brièvement finalement. Un moment où je me suis dit oui c'est vrai elle aurait pu partir, peut-être. Disons entre le moment où j'ai réalisé, j'ai pris du recul sur ce qui s'était passé, et le moment où j'ai vraiment commencé à m'intéresser aux théories féministes et aux mécanismes de la violence conjugale. Mais très vite en fait j'ai, justement j'ai utilisé ces théories et ces enseignements pour me dire que non, elle ne pouvait pas partir. Elle ne pouvait pas partir parce qu'elle était prise dans le cycle des violences, parce qu'économiquement c'était compliqué, parce qu'elle avait peur pour ma garde et de fait elle ne travaillait pas, mon père était fonctionnaire. L'état des tribunaux de la famille en France étant ce qu'il est, il est probable, en tout cas possible, que ce soit mon père qui ait eu la garde s'il y avait eu un divorce. Et donc voilà, tous ces éléments-là. font que je sais aujourd'hui qu'en fait elle n'est pas partie parce qu'elle ne pouvait pas partir. La société des années 90 dans laquelle elle était, y est pour beaucoup. Cette société qui a un peu évolué aujourd'hui, le fait qu'on puisse en parler aujourd'hui, ça veut dire qu'on a avancé, mais on est quand même encore du chemin. Je pense qu'il y a aussi des cas dont j'ai entendu parler où la mère... peut exercer des violences physiques ou psychologiques sur l'enfant. Ce sont des cas qui arrivent, qui ne sont pas si rares en fait, parce qu'elle-même ne va pas bien, parce qu'elle-même est à bout, parce que parfois elle est seule à s'occuper de l'enfant, et ça peut arriver. Parfois c'est juste une manière pour elle d'avoir un exutoire à sa souffrance. Et dans ces cas-là, je pense que la situation est plus ambiguë. En tout cas, on ne peut plus directement lui en vouloir. Moi, ce n'est pas du tout mon cas. Ma mère n'a jamais eu le moindre début de violence envers moi. Donc, en ce sens-là, je n'ai pas non plus de raison particulière de lui en vouloir.
- Speaker #0
Oui, il y a eu un rôle de protection qui semble évident, même si parfois, tu le disais, avec la parentification, ça a tendance à s'inverser, en quelque sorte. Concrètement, comment vous en êtes sorti, toi et ta maman ?
- Speaker #1
Dans mon cas, l'issue est assez triste. C'est-à-dire qu'elle est décédée en 2003, quand j'avais 13 ans, alors que les violences étaient toujours présentes. C'est comme ça que les violences se sont arrêtées, par sa mort à elle. Elle est morte de maladie cardiaque, d'où on ne sait toujours pas exactement à quoi elle était due. Mais ce qui est certain, c'est qu'elle n'allait pas bien. Mes deux parents étaient alcooliques et elle était dépressive, même si ce terme n'a pas été posé par la psychiatrie à l'époque, mais c'est vraisemblable. Et tout ça venait des violences, en bonne partie. Et donc, indirectement, il n'est pas impossible que sa mort soit liée au... Au contexte des violences, j'ai entendu parler récemment de ce qu'on pourrait appeler des féminicides indirects. Alors voilà la notion, enfin je ne suis pas très familier avec les contours de cette notion, mais en tout cas en entendant ça, je me suis dit, ah oui, ça pourrait être quelque chose comme ça. Parce que le féminicide était une menace, mon père menaçait de tuer ma mère, régulièrement, et bon voilà, elle est décédée probablement de cause indirecte.
- Speaker #0
Donc, à ce moment-là, du coup, on est au moment de ton adolescence.
- Speaker #1
13 ans, oui, j'avais 13 ans.
- Speaker #0
Donc, j'imagine, ça semble assez logique, que tu arrives dans la vie adulte avec de nombreux stigmates, au-delà même, d'ailleurs, du schéma de violence que tu as vécu. Tu dis qu'à 28 ans, tu consultes une psychologue, et là, c'est une claque, en quelque sorte. Comment on vit ce moment-là ?
- Speaker #1
C'est peut-être un peu plus progressif que ce que j'ai dit là. Pour arriver au moment où je vais voir une psychologue, il faut déjà que j'ai fait du chemin. Pendant très longtemps, plusieurs personnes m'ont dit qu'il fallait aller voir une psy. Moi, je ne voulais absolument pas, surtout pas. Tout va bien. Parce que je m'étais construit dans l'idée que tout va bien. Tout va bien, hors des crises. J'avais cet objectif unique qui était à la fois d'éviter les crises quand j'étais enfant, et un peu plus tard, d'en sortir. Je voulais absolument faire des études, sortir de ce foyer, sortir de cette ville. Une fois que j'ai réussi à le faire, j'avais l'impression que ça allait en fait, puisque j'avais vécu des choses violentes, si violentes que finalement, quand il n'y en avait plus, je me disais bon, ça va. Et donc, je ne cherchais pas forcément à me faire accompagner par un ou une thérapeute. Donc, c'était, je pense, un long cheminement qui m'a amenée à... à me dire qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. J'ai assemblé petit à petit toute une somme de petites choses, de petits symptômes dans ma vie qui, mis bout à bout, m'ont fait dire que ça ne va pas trop. En tout cas, qu'il y a des choses à dire. C'est là que je suis allée voir cette psy.
- Speaker #0
J'imagine que ce cheminement est en dents de scie. Est-ce que tu as eu des alertes dans tes relations amicales, amoureuses, familiales, qui t'auraient aidé ? conscience de tout cela ?
- Speaker #1
À l'époque, je n'en parlais pas avec mes amis. Très peu. Je pense qu'il y a deux ou trois personnes dans mon entourage qui étaient au courant, mon entourage amical. Je pense qu'il y avait eu cette rupture amoureuse effectivement, qui était un moment charnière où je m'étais dit, peut-être que s'il y a des choses qui n'ont pas fonctionné dans ma relation de couple, il y avait pas mal de raisons, mais notamment une, c'était peut-être quand même ma manière de fonctionner héritée de ce contexte de violence. Et après, je crois qu'il y avait vraiment beaucoup le climat MeToo, en fait, à l'époque. MeToo inceste. Donc, toute cette parole publique qui rendait des sujets précédemment intimes publics. En disant, en fait, non, c'est pas juste ce qui se passe dans le foyer. C'est pas juste une histoire de famille. C'est un sujet de société. C'est un sujet public, mais aussi un sujet digne d'intérêt et non pas un sujet honteux. Et je crois que cette libération de la parole, qui était du coup, à la fois que je voyais dans les médias, mais aussi dont je discutais avec mes amis, je crois que ça, ça a été aussi un élément assez important, qui m'a amené aussi moi à vouloir prendre la parole par la suite.
- Speaker #0
Oui, on comprend que les évolutions sociétales vont dans un sens de la libération de la parole, ça c'est évident. Et concrètement, quelles clés tu emploies maintenant pour essayer de prendre du recul sur tout ce que tu as vécu, finalement dépasser ce schéma de contrôle coercitif ? suivi pendant des années ?
- Speaker #1
Il y en a pas mal. Il y a le travail thérapeutique, comme je l'ai dit, le groupe de parole, celui que j'ai enregistré dans le podcast. Moi-même, j'étais participant de ce groupe de parole pendant deux ans. et c'est à la fin de ces deux ans qu'on a enregistré le podcast donc ce groupe de paroles de l'association Elles Imaginent à Paris qui était fondé par deux psychologues qui est d'ailleurs presque le seul en France à traiter du sujet des adultes anciens enfants co-victimes donc ça m'a beaucoup aidé cet espace de paroles où en fait je ne me suis pas sentie jugée et aussi j'ai pu euh Comment dire, aller directement à l'essentiel, c'est-à-dire ne pas avoir à se défendre de toutes les critiques, de tous les a priori sexistes, adultistes qu'on peut avoir quand on parle de ces sujets-là, de pouvoir directement parler à des gens qui me comprennent, parler dans le vif du sujet, de se comprendre en fait, sans jugement, au contraire avec bienveillance. Ça, ça a été très thérapeutique. Et je crois d'en parler, en fait, d'en parler même au-delà du cercle de parole, en fait. C'était l'étape d'après, en fait, liée à moi, à mon projet de podcast. Quand les gens me demandaient, même aujourd'hui, « Qu'est-ce que tu fais ? » Je dis « Je fais un podcast. » « Sur quoi ? » « Sur les violences conjugales. » « Ah, tiens ! » Donc tout de suite, presque maintenant, je m'en amuse, mais je le fais consciemment. Maintenant, c'est vraiment un moyen d'amener le sujet sur la table assez vite. Et j'ai tout un tas de réactions, voilà. Et de faire ce projet et d'en parler... Moi ça me permet, ça m'a permis de me mettre à distance, d'en faire quelque chose, comme dit Gwenola Sueur, la sociologue, à la fin de l'épisode 5, d'en faire quelque chose, donc de me détacher de cette histoire, mais aussi quelque part de transformer la honte en fierté, je pense. Donc la honte c'est vraiment le sentiment prédominant lié aux violences conjugales, des femmes victimes et des enfants co-victimes. Honte d'avoir été salie par ça, honte parce que... on n'est pas censé en parler. Et donc transformer ça en fierté, en disant, ben non, en fait, j'en fais un projet qui peut intéresser d'autres gens et qui peut avoir peut-être un petit impact sur d'autres.
- Speaker #0
Et, bon, question un peu touchy, mais est-ce que le fait d'être un homme, même si notre société évolue, a rendu plus difficile encore ce témoignage ?
- Speaker #1
C'est une bonne question. Il y aura toute une saison 2 à faire sur... Violence et masculinité. Je n'ai pas de réponse toute faite. L'état de ma réflexion aujourd'hui, c'est qu'il y a un fait, c'est que dans le groupe de parole, il n'y a que des femmes, à part moi. Dans le groupe de parole d'enfants que victimes de l'association Elles Imaginent. Pourquoi ? On peut se poser la question. D'une part parce que c'est une association qui d'abord vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales et que certaines participantes du groupe Enfants Co-Victimes ont été elles-mêmes victimes directes de violences de la part de leurs compagnons. Donc elles sont venues à l'association par ce biais-là. Et donc voilà, première raison. Et aussi sinon, je pense que dans la manière dont les hommes et les femmes sont socialisés aujourd'hui, et on... On apprend aux garçons, aux petits garçons à ne pas exprimer trop ses émotions, alors qu'au contraire on valorise beaucoup ça chez les filles, on valorise l'introspection. Et au contraire, chez les garçons, à valoriser ce qu'on appellerait censément la raison, en tout cas une certaine froideur. Donc ça, cette socialisation, je pense qu'elle produit effectivement une difficulté de la part des hommes à parler d'eux, à parler de leurs émotions, de ce qu'ils ressentent. indépendamment du fait d'avoir été victime de violences ou non. Je pense qu'en ça, ça joue. Et après, en fait, je ne sais pas. Pas tant que ça. C'est-à-dire qu'en fait, quand je suis arrivée dans le groupe de parole, je me suis tout de suite sentie très à l'aise. Je m'étais posé évidemment milliers de questions. Est-ce que c'est légitime d'écrire à une association féministe quand on est un homme ? Est-ce qu'il n'y a pas d'autres problèmes ? Est-ce qu'en fait, ce n'est peut-être pas si grave ce que j'ai vécu ? Toutes ces questions-là, je me laissais bien surposer. Mais en fait en arrivant je me suis sentie tout de suite à ma place et je crois que le vécu commun et la manière qu'on avait de l'envisager avec les autres participantes a prédominé sur la différence de genre. Après il y aura une autre réponse qui est sur la construction de la masculinité et moi aujourd'hui je n'adhère pas, je pense que je n'adhère pas à la masculinité. telle qu'on nous la présente, telle que j'ai essayé d'y adhérer quand j'étais enfant, masculinité qu'on pourrait appeler hégémonique. Tout en étant consciente des privilèges d'être un homme, je pense que je n'arrive pas à totalement adhérer à l'idée de la construction de la masculinité aujourd'hui. Je pense que ça, ça a aussi contribué en tout cas. Mais au final, pour répondre à ta question, non, ça ne m'a pas tant que ça posé de question, finalement.
- Speaker #0
Tu évoquais aussi le cadre particulièrement bienveillant de l'association. Tu conseillerais à d'autres personnes comme toi d'aller voir des associations et de témoigner ?
- Speaker #1
Oui, il faut témoigner, il faut parler. Non, je ne spoil pas le podcast. En tout cas, il faut parler pour plein de raisons. Pour soi, c'est thérapeutique. Pour moi, ça a été thérapeutique de parler, mais il faut parler pour que les autres entendent, pour que ce ne soit pas tabou. Et contacter une association, ben oui, encore faudrait-il qu'elles existent, des associations qui viennent en aide aux enfants co-victimes devenus adultes. Il y a des prises en charge pour les enfants, des consultations mère-enfant. Mais voilà, une prise en charge pour adultes spécifique sur le vécu d'enfants co-victimes, j'en connais pas tant. En cherchant sur Google, j'ai trouvé que le groupe de parole de Elles Imaginent en France. Donc oui, j'aimerais conseiller à tout le monde d'aller parler à une association spécialisée. Mais je regrette qu'il n'y en ait pas plus.
- Speaker #0
ça va se développer avec ton témoignage en tout cas en parler à son entourage dans la mesure du possible et surtout s'il y a une écoute qui est empathique et bienveillante je me suis aperçue en parlant autour de moi il y avait un
- Speaker #1
peu trois catégories de personnes quand je parlais autour de moi et il y a les personnes quand je parle du sujet de mon podcast il y a celles qui vont me dire Pas grand chose, mais je sais qu'elles ont compris. Une espèce d'air entendu, je sais très bien ce qu'on parle, et donc c'est des personnes qui sont concernées à différents degrés, victimes, co-victimes, violence intrafamiliale de manière générale. Et souvent on va en parler, et c'est assez intéressant, très intéressant même. Elle va me confier des choses assez intimes sur elle. Deuxième catégorie de personnes, c'est des personnes qui vont passer à autre chose. Dire voilà, passe-moi le sel, on change de sujet, voilà, ok. Et après, il y a des personnes plus rares qui vont chercher à prendre la défense du père violent, spontanément.
- Speaker #0
Dans tous les cas, ça cogite chez ces trois types de personnes.
- Speaker #1
Oui, voilà. Mais dans tous les cas, je pense que c'est important de mettre le débat, enfin, il n'y a pas de débat, de mettre la parole sur la place publique.
- Speaker #0
Alors maintenant, et depuis un petit bout de temps maintenant, tu es devenue adulte, tu as un métier, tu es socialement insérée. Est-ce que dans ton quotidien professionnel, tu dirais que tes vécus ont eu des répercussions ?
- Speaker #1
Sûrement. Je dirais que oui. En fait, tout ce que je suis aujourd'hui est, pour le meilleur et pour le pire, lié à ce que j'ai vécu à ce moment-là. Pour le pire, c'est-à-dire des quelques séquelles que j'en ai gardées aujourd'hui. Et pour le meilleur, aussi l'empathie que j'ai développée, mon intérêt pour les questions sociales. Voilà, tout ça, je pense que c'est finalement des choses positives, si on peut dire, liées à mon vécu. Et donc, dans mon travail, je pense que de manière générale, à un moment donné, quand je suis rentrée dans la vie active, j'ai assez vite pris conscience d'une espèce d'urgence à vivre le présent, à vivre la vie, que plein de personnes peuvent avoir, pour plein de raisons. donc dont quotidien professionnel, ça m'a poussé à être assez exigeant et j'ai pas mal changé d'emploi assez régulièrement pour des raisons, soit parce que ça me satisfaisait pas ou parce que je tâtonnais, je cherchais, en tout cas j'avais envie de faire quelque chose qui me plaise. Alors d'autres personnes appelleraient ça une instabilité professionnelle. C'est une version négative de ça, plutôt une quête. C'est une première conséquence et après oui, je pense de manière plus générale, la difficulté à à dire des choses critiques, la volonté de faire plaisir.
- Speaker #0
Donc en tant que manager, ça peut être compliqué, donc j'ai été manager, de faire des retours négatifs à ces équipes parce que j'ai peur de blesser, j'ai peur de faire du mal.
- Speaker #1
On revient à l'idée de surempathie que tu détaillais tout à l'heure avec ton père.
- Speaker #0
Oui. En fait, je pense que c'est des choses qui sont assez répandues dans la population. C'est un retour que j'ai eu d'ailleurs sur mon podcast, c'est une parenthèse, mais j'ai eu des femmes qui se sont reconnues dans certaines des conséquences que je décris. Alors qu'elles ne sont pas co-victimes, mais elles sont socialisées comme femmes dans la société. Et en fait, il y a des points communs, et c'est là que je pense qu'il y a vraiment un continuum de la violence patriarcale. Moi, je suis encore toujours frappée par le point commun entre toutes ces violences, donc l'inceste, la violence conjugale, co-victime de violences, etc. Et violences éducatives, puisque c'est de ça dont on parle. Et donc, notamment... Bon ben... La manière dont les filles, les jeunes filles sont considérées parfois par leur père va induire une baisse d'estime d'elle-même, une faible confiance en elle, par le dénigrement du père. Et donc ça va se traduire par des conséquences assez similaires. Je pense que les conséquences à long terme du fait d'être enfant co-victime sont proches de d'autres types de victimes, que ce soit des victimes directes de violences éducatives ou de domination adulte. ou des victimes de violences conjugales.
- Speaker #1
Surprenant que ce sujet parle de plus en plus à beaucoup de monde, même non concerné alors. En tout cas directement. Et dans tes relations plutôt amicales et familiales, tu dirais qu'il y a encore des conséquences maintenant ? J'imagine que c'est un peu du même ordre que ce que tu as évoqué là.
- Speaker #0
Oui, oui. Je pense plus globalement la peur de l'abandon. Encore une fois, c'est quelque chose d'assez commun, mais en même temps spécifique à des personnes qui ont grandi avec une ambiance émotionnelle qui n'est pas saine. Et oui, voilà, peur de l'abandon, volonté de bien faire, le fait de ne pas dire mon avis, le fait de ne pas dire ce que je pense. Voilà, ça c'est des choses sur lesquelles je travaille et sur lesquelles je pense que j'ai progressé, mais il reste toujours des petits résidus.
- Speaker #1
En tout cas, quand je t'écoute, je vois qu'il y a une vraie volonté de prendre conscience des vécus et de faire un travail sur toi-même. Et je pense que ton podcast et ce témoignage en sont la preuve. Pour finir, qu'est-ce que tu donnerais comme conseil s'il devait être simple et facile à mettre en application à une personne qui a été enfant victime de violences conjugales ? et qui maintenant est adulte ? Je dis facile à mettre en œuvre, mais c'est peut-être pas la bonne question parce que justement, c'est un travail qui est sur le long cours et qui n'a pas l'air simple.
- Speaker #0
Non, le travail est long, mais je pense de parler. Je pense de parler, c'est le meilleur conseil parce que c'est le début. D'en parler à quelqu'un, d'en parler à un ami, à une amie, je ne sais pas, n'importe qui. Ça peut être un inconnu dans une situation qui s'y prête, ça peut être un ou une thérapeute. Ça peut être un médecin, ça peut être tout un tas de personnes, compagnons, la compagne, dans un cas de couple. Enfin, oui, d'en parler, d'en parler, je pense, c'est le début de quelque chose, parce que c'est aussi une manière de se dire qu'on n'est pas seul là-dedans, une manière d'extérioriser ça, et donc de rompre cet espèce de cercle de pensée négative. Je prends du temps à rompre, mais de s'en ouvrir à quelqu'un, je pense que c'est le début. Et en même temps, ce n'est pas simple. Mais quelque part, c'est presque voir les choses à l'envers que de dire ça, j'ai l'impression. À partir du moment où on se dit qu'on a été un enfant co-victime de violences conjugales, on a déjà fait le travail. Le travail, il est fait. Le travail, c'est d'arriver à se dire qu'on est adulte, ex-enfant, co-victime de violences conjugales. Parce que souvent, les gens... On ne présente pas ça comme ça. Ils te diront « oui, mon père était un peu autoritaire, c'est vrai. Oui, il était très colérique. Des fois, il ne fallait vraiment pas trop le froisser. Il pouvait vite s'énerver. Mais bon, après, ça va. » C'est comme ça que les gens le présentent ou se le racontent. Et donc, il y a le travail de passer de cette représentation-là, qui est cette représentation du conflit, qui serait un conflit symétrique avec des choses à régler. où les deux personnes ont envie d'aboutir à une solution, la différence entre ça et de la violence, qui est une situation asymétrique, où il y en a un qui a le contrôle sur l'autre. et où le but est d'écraser l'autre et pas de résoudre le problème. Et donc, c'est ce travail-là qui est à faire. Donc je dirais, c'est de plutôt, j'aurais plutôt envie de dire, à tout le monde, parce qu'il faut rappeler que les vécus de violences, c'est une personne sur dix. D'après l'enquête Virage, une personne sur dix, c'est beaucoup. C'est plus que ça si on compte les autres types de violences, mais là, je parle juste des co-victimes. le conseil que je donnerais plutôt à tout le monde, c'est de se demander qu'est-ce que j'ai vécu quand j'étais enfant et de se demander si on n'a pas été soi-même enfant co-victime. C'est peut-être presque ça le premier conseil.
- Speaker #1
Merci Thomas, on a balayé ce sujet. Si je devais donner un conseil, c'est d'écouter ton podcast Mais c'était un bon père, qui est très riche, qui donne des clés concrètes et on entend plusieurs voix. Et puis on se rend compte que souvent les vécus sont les mêmes et les conséquences aussi dans la vie adulte. Un grand merci à toi.
- Speaker #0
Merci à toi Adrien, merci beaucoup.
- Speaker #1
Vous voulez témoigner en tant qu'expert ou que personne victime de violence ?
- Speaker #0
Vous voulez témoigner en tant qu'expert ou que personne victime de violence ?
- Speaker #1
Alors envoyez-nous un mail à hello.hu.
- Speaker #2
Alors envoyez-nous un mail à hello.hu.
- Speaker #1
N'hésitez pas à partager ce podcast car en parler c'est déjà avancé.
- Speaker #3
N'hésitez pas à partager ce podcast car en parler,
- Speaker #4
c'est déjà avancé.