- Speaker #0
Quand mon père me touchait, ou qu'il y avait pénétration, tout ça, il y avait toujours cette musique en fond. Il y a une série qui s'appelle « Amour, gloire et beauté » . Et en fait, moi, en grandissant, à chaque fois que je pouvais entendre cette musique, je me mettais dans un état de crise, à me rouler par terre, à vouloir me faire du mal, etc. Personne ne comprenait ça, je l'ai compris plus tard.
- Speaker #1
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le podcast 1.C'est tout, une émission à l'origine dédiée aux violences conjugales que nous choisissons désormais d'élargir au sujet des violences en général. Je suis Adrien Roland-Boulogne et j'ai cofondé la société HEYU. Nous développons dans le monde du travail et dans le milieu étudiant des actions de sensibilisation pour informer et accompagner les personnes qui vivent des situations de fragilité personnelle avec un retentissement dans leur vie étudiante et professionnelle. C'est l'exemple du handicap, de la santé mentale ou encore des violences conjugales. C'est en résonance avec cette activité que nous avons créé cette série de podcasts gratuits qui s'adressent à toute personne victime de violences ou intéressée par le sujet. L'objectif de cette émission n'est en aucun cas de juger ou d'établir des responsabilités, mais bien de donner la parole à celles et ceux qui souhaitent partager leur vécu dans un but d'information, de sensibilisation ou de réflexion collective sur les violences. Merci de nous écouter, vous êtes désormais plusieurs dizaines de milliers. Aujourd'hui, nous allons nous intéresser à un sujet très tabou dont on parle trop peu, l'inceste. Avec ce nouveau témoignage, nous allons plus loin sur la question des enfants victimes de violences sexuelles et les conséquences catastrophiques qu'elles ont tout au long de la vie. Rappelons un chiffre qui a explosé ces dernières années. Une personne sur dix, soit six millions de Français, sont concernés par l'inceste. 13% des femmes et 5,5% des hommes ont vécu des violences sexuelles durant l'enfance. Et enfin, toutes les 3 minutes, un enfant est victime d'inceste, de viol ou d'agression sexuelle. Nous sommes donc sur un phénomène majeur. Ce témoignage s'inscrit dans une nécessité de briser le tabou et le silence terrible qui musèlent la parole des enfants autour des violences sexuelles vécues. Ces enfants devront d'ailleurs se construire et devenir adultes avec des traumatismes dont la société tait trop souvent le nom.
- Speaker #0
Et c'est dans ce cadre que Masha accepte aujourd'hui courageusement de nous partager son histoire.
- Speaker #1
Bonjour Masha, vous avez accepté de témoigner, je vous en remercie. Alors vous venez de sortir un livre biographique qui raconte votre vécu. Il s'appelle « Le silence brisé de l'enfant désiré » . Pour commencer Masha, est-ce que vous pouvez vous présenter, nous en dire un petit peu plus sur votre histoire, pourquoi vous souhaitez témoigner et aussi pourquoi vous avez rédigé ce livre ?
- Speaker #0
Bonjour, je m'appelle Masha, donc j'ai 32 ans. J'ai écrit un livre pour expliquer à mon fils, quand il sera en âge, de me poser des questions, de comprendre la vie que j'ai pu avoir, l'enfance que j'ai pu avoir, et pourquoi, à l'heure d'aujourd'hui, il ne connaîtra jamais ses grands-parents, en tout cas de maternelle. Pour moi, je les appelle donc mes véniteurs. Voilà pourquoi je fais ce livre et pourquoi aujourd'hui je veux témoigner. pour expliquer un petit peu mon histoire et peut-être qu'à travers ce podcast et ce livre, des gens vont pouvoir comprendre ce que c'est de grandir avec des violences au sein de la famille et de connaître l'inceste aussi via mon père.
- Speaker #1
Je vous remercie en tout cas d'accepter de nous dévoiler tout ça, c'est évidemment pas facile. Alors est-ce que vous pourriez commencer par nous raconter un petit peu plus votre histoire dans le détail ? Comment s'est installée cette situation de violence ? J'imagine que ça a été progressif et durant l'enfance. Alors, qu'est-ce que vous pouvez nous dire dessus ?
- Speaker #0
Alors moi, en fait, mes parents, ils se sont mariés. Ensuite, ils ont désiré avoir un enfant. Ma mère a eu du mal à tomber enceinte. Donc, c'est pour ça que le titre de mon livre, c'est le silence brisé de l'enfant désiré, car j'ai été une enfant très désirée, puisqu'ils ont fait un schéma d'insémination artificielle. Ensuite, je suis arrivée et un an après ma naissance, mes parents ont décidé de se séparer. J'étais sous la garde de ma mère et un week-end sur deux et les vacances scolaires, j'allais chez mon père. Ma mère remarquait que je ne voulais plus aller chez lui, que je pleurais, tout ça. Elle ne comprenait pas forcément, elle exposait les faits à mon père en lui disant « je ne comprends pas, la petite ne veut plus venir chez toi, qu'est-ce qui se passe ? » se passe, donc bon, il a traité un petit peu de folle, que c'est elle qui disait un petit peu n'importe quoi. Et en fait, un jour, on a été invité, donc j'avais deux ans et demi. On a été invité chez des amis de ma mère. Et en fait, je jouais dans la chambre avec un copain. Et à un moment donné, les parents n'entendaient plus de bruit. Donc, ils sont venus dans la chambre. Et ils nous ont découvert, le petit garçon et moi, à poil, en train de se tripoter. Et donc, ma mère me demande « Mais qu'est-ce que tu fais ? » « Pourquoi vous faites ça ? » Et donc, moi, je réponds spontanément « Je fais comme avec papa. » Et donc, du coup, ma mère a été super surprise, choquée. Donc elle a appelé directement mon père pour lui dire, écoute, la petite, je ne comprends pas, sans fortement l'accuser, mais en lui expliquant un petit peu les faits. Et donc lui, à part dire qu'elle racontait n'importe quoi, tout ça, il a raccroché. Donc ma mère a voulu quand même m'amener, donc on est allé à la gendarmerie. J'ai été auscultée par des médecins, tout ça, qui ont bien attesté que j'avais subi... des violences au niveau des parties de devant et de derrière. Et en fait, mon père a disparu de la circulation du jour au lendemain. Plus de signe de vie. Donc, on a déposé plainte. Il n'a jamais été retrouvé. Il n'y a jamais eu de suite, malgré les suivis psychos que j'ai eus, via les dessins, via... Enfin, j'ai été auscultée, tout ça. Donc, il y a eu une plainte, mais sans suite. Voilà. aucun au suivi derrière. Et donc, de l'âge de mes 3 ans jusqu'à mes 16 ans, je n'ai plus de signe de vie de lui.
- Speaker #1
Est-ce que vous vous êtes rendu compte, quand vous étiez toute petite fille, qu'il y avait quelque chose d'anormal vis-à-vis de votre père ?
- Speaker #0
Alors, en fait, on ne m'a jamais exposé forcément les faits. On va dire que quand mon père me touchait ou qu'il y avait pénétration, tout ça, il y avait toujours... cette musique en fond, si vous voulez. Je ne sais pas si vous connaissez, mais à un moment donné, sur la chaîne 2, il y a une série qui s'appelle Amour, Gloire et Beauté. Avec une musique, c'est un peu comme Les Feux de l'Amour, si vous voulez. En fait, moi, en grandissant, à chaque fois que je pouvais entendre cette musique, je me mettais dans un état de crise, à me rouler par terre, à vouloir me faire du mal, etc. Personne ne comprenait ça. Je l'ai compris plus tard. Je vous expliquerai plus tard. je ne comprenais pas ce qui m'arrivait et personne ne comprenait ma famille, tout ça donc comme je vous dis, on ne m'a jamais exposé les faits que j'ai subi tout ça, moi j'ai grandi en sachant qu'il y avait quelque chose de bizarre en moi, mais quand je posais des questions à ma mère en disant pourquoi il est parti, pourquoi je ne le vois pas elle m'expliquait juste qu'il nous avait abandonné et que c'était un enfoiré qui nous avait abandonné, c'est tout donc j'ai grandi comme ça avec eux. où je faisais des cauchemars, mais je ne savais pas ce qui m'était arrivé. Et en fait, à côté de ça, j'ai vécu aussi avec ma mère des violences physiques et psychologiques, parce qu'en fait, je ressemble énormément à mon père, vraiment. Et donc en fait, elle avait beaucoup de haine envers moi. Elle a refait sa vie. Donc, j'ai eu un beau-père où elle s'est remariée. J'ai eu une petite sœur, donc une demi-sœur. Il y avait beaucoup de différences entre elle et moi. Je devais un petit peu jouer la maman avec ma sœur. Je devais tout le temps m'occuper d'elle. Et si je ne m'occupais pas bien d'elle, je recevais des coups de ceinture ou j'étais enfermée dans la chambre, je n'avais pas le droit de manger. Voilà, plein de choses comme ça. Je n'ai pas la réponse à l'heure d'aujourd'hui de pourquoi j'ai subi tout ça. La seule réponse que j'ai venant d'elle, c'est que je ressemble énormément à mon père et que je la dégoûte. J'ai grandi sans père et avec une mère un peu très autoritaire qui me levait de la main dessus, qui me rabaissait souvent en me disant que je n'étais pas belle, que j'étais grosse, qu'elle aurait préféré avoir une autre fille, qu'elle aurait dû m'abandonner comme mon père. que j'étais bonne à rien. Enfin voilà, c'était beaucoup psychologique, tout ça. Et ensuite, j'ai grandi comme ça. Et après, je suis arrivée à l'école primaire. Et à l'école primaire, on avait une psychologue que j'ai demandé à voir. Parce que je voulais absolument retrouver mon père. Parce que j'avais besoin d'avoir, savoir qui il était, mettre un visage sur un nom. Parce qu'il faut savoir que je ne savais même pas à quoi il ressemblait. puisque ma mère avait jeté toutes les photos, donc je ne sais même pas qui il était, à part que je lui ressemblais comme deux bouts de l'eau. Et en fait, comme j'étais mineure, la psychologue m'a dit, il faut l'autorisation de ta mère. Sauf que ma mère m'a toujours dit que jamais elle ne m'aiderait à le retrouver et que je devais attendre mes 18 ans pour pouvoir le retrouver. Et donc, par la suite, j'ai grandi comme ça. Et ensuite est arrivé le réseau social Facebook. Et en fait, je savais que j'avais des cousins et des cousines. Donc, je connaissais le nom de famille puisqu'on avait le même nom. Et j'avais leur prénom. Et donc, j'ai tapé un jour sur les réseaux leur prénom. Et donc, je suis tombée sur leur profil. Et j'ai envoyé un message directement en disant « Bonjour, je suis Macha, je suis ta cousine. Est-ce que tu as le contact de mon père ? » Et donc, elle me répond en me disant que oui, elle a le contact de mon père, qu'actuellement, ils ne sont pas en contact, eux, mais qu'ils ont le numéro de téléphone. Donc, en fait, ni une ni deux, elle me donne le numéro et moi, je compose le numéro de mon père et je l'appelle. Donc, il répond. Je lui dis que je suis Macha, que je suis sa fille. Il me demande comment je vais, comme si de rien n'était, comme si on s'était vus la veille. Et je lui dis que j'ai besoin de le voir et que je veux discuter avec lui. Et il me dit qu'il n'y a pas de souci. Donc en fait, j'étais en seconde à ce moment-là. Donc il me demande de sécher les cours. Donc je sèche les cours et on se rencontre. Et bizarrement, devant l'unité, je le reconnais directement, alors que je ne l'ai jamais vu. Et donc on se voit comme si de rien. Bonjour, on va manger ensemble. Il ne me parle absolument de rien du passé. Il me demande juste ce que je fais aujourd'hui, si je vais bien, qu'est-ce que je fais comme études. Il ne me parle pas de ma mère non plus. Donc voilà, je le vois pendant plusieurs mois, je sèche les cours. Donc je le vois en cachette. Et sauf qu'un jour, je suis convoquée dans le bureau de la principale avec ma mère parce qu'on me demande pourquoi je ne suis pas là. Je suis absente, etc. Ce que je fais, ce que je ne fais pas. Et donc là, j'annonce dans le bureau que je ne suis pas là parce que je vois mon père. Donc forcément, ma mère tombe de 15 étages, me gifle et part directement du bureau. Donc je ne me retrouve plus. toute seule. Et le soir, en rentrant à la maison, elle a jeté toutes mes affaires par la fenêtre et elle m'a dit « Tu dégages de chez moi » . Donc moi, je n'avais personne qui appelait. Donc si j'appelle, mon père, que j'ai vu deux fois dans ma vie, et donc je quitte ma ville pour vivre dans une autre ville. Du jour au lendemain, je quitte l'Odyssée et en plus de ça, j'apprends, j'arrive dans une famille où en fait, mon père a refait sa vie. Il est avec une autre femme et il a deux filles. Donc il a refait sa vie. Moi, il m'a abandonnée, mais il a refait sa vie avec cette femme. Et il a deux enfants. Donc très jeunes, elles sont. Parce que quand je les rencontre, on a plus de 12 ans d'écart, je crois. Et donc j'arrive dans cette famille où je ne connais personne, avec plein d'interrogations à 16 ans, plein de crises d'adolescentes. Et donc je vis avec eux. Je change de lycée, je n'ai plus d'amis, je n'ai plus personne. Et j'apprends à vivre avec eux. Sauf que j'apprends que quand j'arrive... Ma belle-mère et mon père, ça ne va plus du tout entre eux. Ils veulent même se séparer, mais ma belle-mère reste pour moi, entre guillemets, parce que j'arrive comme ça, elle ne voulait pas le quitter tout de suite. Et donc j'arrive dans une famille où c'est très violent, parce qu'en fait, mon père tape ma belle-mère. Il fait beaucoup de différences entre ces deux filles, parce qu'il a une fille qui est très forte en poids. Donc il la dénigre beaucoup et valorise plutôt l'autre. Moi, il ne me calcule pas forcément. En fait, je me rends compte qu'il n'est jamais là. Il part très, très tôt le matin et rentre très, très tard le soir. Donc, on ne se voit pas. On n'a jamais parlé de tout ce qui s'était passé. Moi, entre-temps, je vois des psychologues et je fais de l'hypnose aussi pour comprendre un petit peu tout ce qui s'est passé quand j'étais jeune. Et donc, avec l'hypnose, on se rend compte qu'effectivement, quand je subissais Et... les attouchements et le viol, ça se passait quand ils regardaient cette série sur France 2. C'est pour ça que quand j'entends encore à l'heure d'aujourd'hui cette musique, je tremble, j'ai les genoux qui tremblent, je ne me sens pas bien, etc. Et on arrive même à aller plus loin parce qu'on arrive à voir la pièce dans laquelle je me trouve, à avoir des détails, etc. Ces détails, pour moi, sont très importants parce qu'un jour, j'essaye d'avoir une discussion avec mon père et de... de jouer un petit peu le vice, de me dire, mais quand tu me gardais quand j'étais petite, on était où ? Donc, il me disait qu'on était chez sa mère, donc ma grand-mère, que je n'ai jamais connue. Enfin, que je ne l'ai plus connue, en tout cas, depuis que j'ai l'âge de 3 ans. Et en fait, je lui décris une pièce et je lui dis, mais je crois que dans mes souvenirs, il y avait une pièce qui était jeune, avec la télé en haut, il y avait la salle de bain. Et donc, effectivement, il me confirme cette pièce. Et donc là, je me rends compte que je ne suis pas folle. et que tout le travail qu'on a fait avec l'hypnose, ça a marché. Donc je me dis, OK, bon. Et un jour, on ne va manger que tous les deux et j'essaye de le confronter. Et je lui dis, pourquoi tu m'as violée ? Et donc là, il me regarde. Il faut savoir que mon père, dans la région où on est, c'est quelqu'un d'un peu connu, si vous voulez. Donc, il est toujours très... Il faut faire attention, si on a le téléphone, il a toujours peur qu'on l'enregistre, des choses comme ça. Donc, directement, il regarde mon portable. Et je lui dis, non, mais je ne t'enregistre pas. Regarde, j'ai éteint mon téléphone. Donc, j'éteins le téléphone, je le range dans le sac. Et je lui dis, pourquoi tu m'as violée ? Pourquoi tu m'as fait ça ? Etc. Et donc là, il me répond, mais qu'est-ce que tu racontes ? t'es folle comme ta mère, tu n'es qu'une PUTE, de toute façon je n'aurais pas dû te prendre à la maison, bref, des choses qui n'ont aucun rapport avec la question que je lui pose. Donc en fait, il ne me répond jamais clairement, ni en me disant oui, ni en me disant non, il tourne autour du pot, et après il me sort que, soit disant, c'est ma mère qui l'a interdit de me voir, ou qu'il m'a envoyé des cadeaux pendant des années. de l'argent, bref, encore une fois, des choses inutiles avec les questions que je pose. Donc, ça se finit comme ça. Et en fait, un an après où je vis là-bas, ma belle-mère décide de quitter mon père et donc, je me retrouve seule à vivre avec lui dans la maison. Donc, tout a basculé à ce moment-là, quand j'avais 17 ans. Donc, il a commencé à boire. Donc, il a commencé à me lever la main dessus. Donc moi, j'étais quand même une ado un peu rebelle, qui ne se laissait pas trop faire et qui avait un peu peur de rien, entre guillemets. Et en fait, un soir, il avait bien bu et il m'insulte encore comme à son habitude. Et je décide de me mettre face à lui. J'avais un couteau dans les mains et je lui dis « qu'est-ce que tu vas faire en fait ? » « Qu'est-ce que tu vas me faire en fait ? » Et bon, mon père, il fait deux fois… ma taille, mon poids, c'est un homme assez costaud. Et donc, il m'arrache le couteau et il me jette par terre, il me casse la chaise dessus. Donc, j'avais le cou cassé. Donc, il m'amène à l'hôpital, tout ça, comme si de rien. Je devais dire que j'étais tombée, enfin machin. Et quelques semaines après, en fait, il fallait savoir que je sentais qu'un jour, ce qui allait arriver, arriva. Ce que je vais vous dire. en fait je... Je ne me mettais que des vêtements un peu gros parce que je ne voulais pas trop qu'il me regarde, mais je sentais son regard sur moi quand je mettais des robes ou des jupes. Donc quand ma belle-mère est partie, on va dire que j'étais tout le temps en pantalon, je mettais des pyjamas amples, j'essayais quand même de me cacher, je m'apprêtais moins. Mais bon, je sentais au fond de moi qu'un jour, il allait passer à l'axe. Et en fait, le soir, souvent quand il rentrait, il ouvrait la porte de ma chambre. Il m'observait, il restait un moment. Donc moi, je faisais semblant de dormir, mais je le voyais. Et il me regardait, il restait, je ne sais pas. Pour moi, ça a l'impression que c'était une éternité, mais peut-être qu'il restait deux minutes. Et il m'observait. Et bon, après, il repartait, il fermait la porte. Et un soir, il n'a pas refermé cette porte. Il est rentré dans ma chambre et il s'est allongé dans mon lit. Donc moi, je faisais semblant de dormir. En me disant, bon, il va voir que je dors, il va partir. Et en fait, non, il s'est allongé derrière moi, donc dos à moi, en cuillère si vous voulez. Et donc je sens qu'il respire au niveau de mon oreille. Je sens son odeur, son raclement de gorge. Bref, il était un petit peu bourré aussi. Et je sens donc son pénis qui est tout dur au niveau de mes fesses. Et donc là, je me dis non, quand même pas. Mais je ne bouge pas. Je ne bouge pas en faisant semblant de dormir encore une fois. Et en fait, finalement, il a décidé de baisser le pantalon et d'y aller. Et en fait, moi qui ai toujours été forte, moi de base, je suis quelqu'un de... On me l'a toujours dit que j'étais quelqu'un de forte et que je ne me laissais jamais faire, etc. Et en fait, quand il est rentré en moi, je me suis sentie... Je ne pouvais plus bouger. C'est-à-dire que je ne pouvais même pas lever un bras. et il n'y avait aucun son de ma voix qui cortait. Et je pense qu'autant qu'on ne l'a pas vécu, on ne peut pas comprendre. Parce que quand j'en parle avec des amis autour de moi, tout le monde me dit « mais tu n'as pas pu le repousser, tu n'as pas pu crier, le mordre » . En fait, non, je n'ai pu rien faire, j'étais prête à être trichée. Et à un moment, j'ai réussi à hurler. Et j'ai hurlé tellement fort que je pense qu'il a vraiment pris peur et il est ressorti. Et par chance, il n'a pas fini à l'intérieur parce que ça, ça a été ma plus grosse crainte. Voilà, parce qu'après, on sait très bien comment ça peut terminer derrière. Donc, j'ai réussi à hurler. Et en fait, il est sorti et donc il est parti dans sa chambre comme si de rien n'était. Elle a refermé ma porte. Et le lendemain matin... Alors moi, il faut savoir que j'ai fini ma nuit dans la douche. Concrètement, je suis restée dans la douche presque toute la soirée. Lui, il est retourné dans sa chambre comme si de rien n'était. Et le comble, c'est que le matin, en me réveillant, j'avais une enveloppe sous ma porte avec de l'argent et avec écrit « Merci pour hier soir » . Et donc le lendemain matin, en me réveillant, il était déjà parti au travail. Et le soir, en rentrant, comme si de rien n'était. On mangeait à table comme si de rien n'était, tout allait bien. Il faut savoir que ma belle-mère m'appelait quand même souvent pour me demander... Quand elle a quitté mon père, elle m'a demandé de venir vivre avec elle. Je n'ai pas voulu parce qu'elle allait habiter encore plus loin de ce qu'on était et c'était compliqué pour aller au lycée. Mais elle m'appelait quand même souvent et elle savait au fond d'elle que ce jour-là allait peut-être arriver. Donc à chaque fois, elle me posait des questions et moi, je n'en ai jamais parlé à personne à part ma meilleure amie. Maintenant, tout le monde est au courant. Mais je veux dire, quand ça s'est passé, j'en ai parlé avec ma meilleure amie. Et donc, en fait, après ça, je suis allée vivre quelques temps chez ma meilleure amie pour finir l'Odyssée. Et après, je suis allée vivre chez ma belle-mère. Et après, j'ai continué ma vie. Voilà.
- Speaker #1
Merci beaucoup de vous être livrée à nous comme ça. C'est vraiment effroyable tout ce que vous avez vécu. Maintenant, pour prendre un peu de recul, j'ai envie de vous demander... Dans quel état émotionnel on se sent après avoir vécu tout ça ? Puisque vos violences, elles ne s'arrêtent jamais, en fait, depuis la toute petite enfant que vous étiez qui est violée, jusqu'à des violences avec votre mère, puis finalement, de nouveau, avec votre père. Alors, comment vous vous sentiez à ce moment-là ?
- Speaker #0
Je me sentais malheureuse. Je me demandais, alors je ne suis pas croyante, mais quand même, je me demandais, enfin, je demandais à la vie, mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Parce que j'étais toujours... Je pensais toujours qu'un jour ou l'autre, les gens allaient payer le mal qu'ils peuvent faire. Et moi, à l'heure d'aujourd'hui, ni l'un ni l'autre a payé quoi que ce soit. Au contraire, il n'y a que moi qui ai subi. J'étais très malheureuse, très triste. J'ai eu des envies un peu noires, on va dire. Après, par chance, je n'ai jamais sombré dans tout ce qui était alcool, même cigarettes, drogues, tout ça. Parce que je ne m'apitoyais pas non plus sur mon sort. et je me dis Je disais qu'il fallait que je rebondisse, parce que si je ne rebondissais pas, j'allais finir mal, je pense. Après, j'étais très bien entourée par ma meilleure amie, sa mère, qui ont été là, ma belle-mère.
- Speaker #1
Justement, pour parler de votre entourage, j'ai vu dans votre livre que votre grand-mère avait eu un rôle très important. Globalement, quelles ont été les réactions de votre entourage ? En tout cas, vous avez commencé à nous le dire, qu'il y a certaines personnes qui se doutaient de quelque chose, mais est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus ?
- Speaker #0
Alors ma grand-mère, c'est la mère de ma mère, elle a toujours su au fond d'elle que j'avais subi tout ça. On n'en avait jamais vraiment parlé, en tout cas pendant des années. Il y a juste à la fin de sa vie, on va dire peut-être les deux ans avant qu'elle parte, où on a pu en discuter. Elle s'en est beaucoup voulue parce que forcément, elle aurait aimé peut-être me protéger à ce moment-là. Mais bon, vous savez, c'est une mamie un peu d'avant, entre guillemets, qui a subi aussi des choses elle aussi et qu'elle n'avait pas le droit à la parole, on va dire, en tant que femme, en tout cas avec son mari, mon grand-père. Donc du coup, elle n'a pas fait grand-chose, si vous voulez, mais je ne lui en veux pas non plus, même si elle savait. beaucoup, je pense, savaient autour de moi, même étant, parce que j'ai appris. Donc, j'en veux un peu, à l'infini, du côté de ma mère, qui pensait, enfin, qui savait qu'il passait des choses et que personne n'a rien fait. Enfin, voilà.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui vous donne la force aujourd'hui, Macha, d'écrire, de partager votre histoire ?
- Speaker #0
C'est mon fils, parce que maintenant, mon fils, il a 4 ans. Et on va dire que, en fait, son... tous ses âges, depuis qu'il est né jusqu'à 4 ans, me rappellent moi, en fait, quand j'étais petite et que j'ai subi tout ça. Et en fait, maintenant, il est en âge de comprendre, il me pose beaucoup de questions, il se rend compte que je n'ai pas de papa et de maman, donc il me pose beaucoup de questions. Il m'a même dit une fois, mais moi, j'aimerais bien les rencontrer, mais ils ne sont pas morts, alors pourquoi on ne les voit pas ? Donc, on va dire que j'ai voulu écrire ce livre pour que quand il sera en âge de pouvoir comprendre. qu'ils lisent le livre et qu'après, si vraiment ils souhaitent les rencontrer, parce qu'en fait, ma plus grande peur à l'heure d'aujourd'hui, c'est qu'ils souhaitent les rencontrer, parce qu'au final, regardez, moi, ma mère m'a interdit de voir mon père et finalement, je l'ai fait toute seule derrière son dos. Et je pense que si elle m'avait accompagnée, je pense que je n'aurais pas subi ce que j'ai subi après. Pour moi, elle m'a clairement envoyée dans la gueule du loup. Si elle avait fait son rôle de mère, même si elle n'était pas forcément d'accord que je le retrouve, pas de souci, mais si elle avait été là pour moi, j'aurais pu le voir que les week-ends. On aurait pu apprendre à se connaître petit à petit. et je suis sûre que... On n'est jamais sûrs, mais à 99%, ça ne serait peut-être pas passé. Et donc, ma peur, c'est que mon fils essaye de les contacter derrière mon dos. Et c'est ce que je ne veux absolument pas. Donc, c'est pour ça que j'écris ce livre. Et après aussi, écrire, pour moi, ça me fait du bien. Pour moi, c'est une façon d'extérioriser, de mettre noir sur blanc tout ce qui s'est passé. Puis de raconter, parce que je me rends compte que même autour de moi, Il y a des gens qui ont subi ça, des connaissances. Quand je parle avec quelqu'un, on me dit « Ah, mais tu sais, moi, ma cousine, tu sais, moi, une amie. » Et en fait, je me rends compte qu'on est beaucoup, mais énormément. Et je ne pensais pas. Et en fait, on m'a poussée à écrire ce livre aussi pour… Peut-être qu'il y a des personnes qui vont se reconnaître et puis montrer que moi, je m'en suis sortie au final à l'heure d'aujourd'hui. Je suis mariée, j'ai un enfant, je suis plus ou moins heureuse. C'est ce que je dis dans mon livre. en fait je ne serai jamais heureuse à 100% Je suis mi-heureuse et mi-malheureuse. Et j'explique aussi que ce n'est pas les personnes qui m'entourent qui font que je vais être malheureuse ou heureuse, mais c'est moi, en fait, autour de... Enfin, au fond de moi, je ne serai jamais 100% heureuse, mais que la vie, elle est quand même belle et qu'il faut la vivre et qu'il faut avancer parce que sinon, voilà.
- Speaker #1
Oui, j'entends dans votre discours que, d'une part, vous, c'est votre enfant qui vous a donné la force de témoigner. Et puis aussi, ce qui est assez beau, c'est de voir que vous faites en sorte, par tous les moyens, de ne pas reproduire quelques schémas de violence que ce soit. Donc ça, ça mérite d'être souligné. C'est intéressant ce que vous dites. En fait, on se rend compte quand on en parle qu'il y a beaucoup plus de personnes qui vont être concernées. Et merci à vous d'avoir le courage de témoigner, puisque c'est... Libérer un peu la parole sur ce sujet-là, c'est essentiel quand on voit le tabou que c'est à l'échelle de notre société. Je le disais en introduction, on a une personne sur dix quand même qui... qui a vécu des faits assez similaires. C'est bien loin d'être neutre. On parle beaucoup dans cette chaîne de la notion d'emprise. Est-ce que vous pouvez dire que vous avez vécu de l'emprise, que ce soit de la part de votre mère ou de votre père, je devrais dire, de vos géniteurs ?
- Speaker #0
Mon père, je dirais non, parce que vu que je ne l'ai pas vu pendant des années, donc pas forcément. Ma mère, oui, oui. Elle a eu de l'emprise sur moi parce qu'elle jouait beaucoup avec la peur, elle parlait beaucoup d'abandon. Elle me disait que si je ne faisais pas tout ce qu'elle me disait, qu'elle allait aussi m'abandonner. Donc oui, j'ai grandi dans de la peur. Et je le vois à l'heure d'aujourd'hui, j'ai encore des séquelles de stress, de situations qui vont me mettre mal. Honnêtement, comment je suis à l'heure d'aujourd'hui, c'est l'emprise de ma mère qui fait que toutes les réactions que je peux avoir aujourd'hui.
- Speaker #1
Oui. Vous avez commencé à aborder la notion des conséquences sur votre vie en tant qu'adulte. Maintenant, vous avez 32 ans, une vie de famille. Quelles sont les conséquences ?
- Speaker #0
Les conséquences, déjà, c'est que moi, je ne voulais jamais avoir d'enfant. Jamais, jamais, jamais. Parce que j'avais tellement peur de pouvoir reproduire ce qu'on m'a fait vivre. Alors, pas le viol, bien évidemment, mais les comportements que ma mère a pu avoir envers moi. J'ai été beaucoup suivie par des psychologues pendant des années. Et mes psychologues me faisaient comprendre que non, je n'allais jamais reproduire ça parce que déjà, j'en étais consciente. Et que d'ailleurs, je ne faisais qu'en parler. Et que j'avais peur de tout ça. Mais après, une fois que je suis devenue maman, malheureusement, certes, je ne reproduis pas les mêmes schémas. Mais on va dire que j'appelle ça des rechutes. Parce que malheureusement, moi, je n'ai pas grandi dans l'amour. Je ne supporte pas, par exemple, qu'on me touche, ne serait-ce que même mon mari. C'est très compliqué. Bon, à l'heure d'aujourd'hui, ça va un peu mieux, mais il comprend les choses. Mais moi, par exemple, je ne supporte pas qu'on mette ma main sur mon genou, qu'on me donne la main, qu'on me touche, en fait. Et avec mon fils, malheureusement, j'essaie de prendre sur moi pour pas qu'il le ressente. Mais voilà, c'est un petit garçon très affectueux qui vient toujours vers moi en me disant « Maman, je t'aime, je veux te faire un câlin, un bisou. » Et moi, en fait, j'essaye des fois de dire « Ah, bah attends, maman, elle finit de faire à manger » ou « Ah, attends, maman, je vais aller aux toilettes alors que je n'ai pas du tout envie » pour essayer qu'il oublie. et qu'on passe à autre chose. Et en fait, non, il n'oublie pas. Même quand je sors des toilettes, il me redemande le câlin. Donc du coup, je prends sur moi et je fais ce câlin. Mais en fait, c'est me combattre avec moi-même. Et avec mon mari, c'est pareil. Bien évidemment, nous avons des rapports et ça se passe super bien. Il est très compréhensif. Tout va bien. Mais on va dire que quand il a besoin d'un câlin, pareil, je dois prendre sur moi. Et en fait, c'est lui faire. plaisir à lui, mais moi, c'est me faire du mal à moi. Je ne sais pas si vous comprenez. Je dois un peu jauger avec tout ça. Et en même temps, je ne peux pas être aussi froide, aussi glaciale. Parce qu'on me dit de moi que je suis très froide, très glaciale, mais en fait, je ne le fais pas exprès. C'est qu'on ne m'a jamais appris à aimer, à comment on devait aimer. J'ai toujours grandi dans la violence, dans le négatif, dans la méchanceté. Et donc, j'ai dû apprendre ce que c'est d'aimer. Et en fait, j'apprends tous les jours aussi parce que mon fils me fait apprendre. Donc voilà les conséquences qu'il y a pu avoir avec tout ça, déjà.
- Speaker #1
Oui, c'est bien normal que vous soyez construit une carapace aussi solide. Et sur l'aspect relationnel en général ou sur d'autres aspects, est-ce que vous avez des conséquences au-delà de votre famille ?
- Speaker #0
Oui, alors comme je vous le disais, je suis perçue. Par exemple, même sur mon travail. Déjà, c'est un travail où je dois être autoritaire, entre guillemets. donc moi je suis déjà de base très autoritaire je veux toujours tout contrôler je veux tout que ce soit carré j'ai un côté un petit peu maniaque, tout ça donc c'est vrai qu'au travail par exemple mon surnom c'est Terminator si vous voulez j'ai appris ça alors bon après je me suis appréciée il n'y a pas de soucis mais c'est vrai que je suis très froide on me dit que je souris rarement on me disait pas que je suis hautaine aussi alors que je ne le suis pas du tout Et en même temps, je peux comprendre, parce que c'est une carapace que je me suis créée depuis que je suis rentrée au lycée. En fait, je préfère qu'on me déteste quand même. Je préfère qu'on ne m'aime pas. Je préfère qu'on me critique. Je préfère qu'on dise tout l'opposé de moi. De toute façon, j'ai toujours eu cette étiquette au lycée. Alors, c'est très drôle. Au lycée, j'ai eu cette étiquette de petite bourgeoise, fille à maman et fille à papa. Alors que je n'avais ni l'un ni l'autre. Mais ce n'est pas grave, ça m'allait bien parce qu'au moins, les gens ne s'imaginaient pas ce qu'il y avait derrière. Et donc, j'en jouais aussi. Donc, c'est vrai que je joue beaucoup peut-être de ça aussi, que je préfère qu'on me déteste quand même. Après, au niveau de mes amis, ils savent tout. Donc forcément, ils me disent que c'est dommage que je montre ça de moi parce que quand on me connaît un peu plus en intimité, c'est vraiment l'opposé. Mais j'ai besoin de montrer ça parce que je ne veux pas qu'on ne sache tout en fait.
- Speaker #1
Et vous parliez du travail, est-ce que vous pensez que vos collègues aient pu percevoir quelque chose ?
- Speaker #0
Non, je ne pense pas. On me dit que je suis très réservée sur ma vie, même ne serait-ce que sur mon mari, mon fils. Pour moi, je n'aime pas mélanger le travail et l'intime. Donc c'est vrai que quand on peut prendre un café, une petite pause ou même déjeuner ensemble, tout le monde raconte un petit peu, ah ben mon mari, mon fils. Moi, je suis très à écouter et quand on me dit et toi, je ne réponds pas forcément. j'ai pas envie. En fait, je ne saurais pas quoi dire et j'ai peur de mentir si on va me poser des questions sur, par exemple, mes parents ou des choses comme ça. Je préfère rien dire parce que j'ai peur de me perdre dans des mensonges parce que je ne dirai jamais la vérité, je pense. Donc voilà.
- Speaker #1
Oui, d'où l'intérêt en tant que collègue de ne pas juger trop activement puisqu'on ne connaît pas les vécus de chacun. Est-ce qu'au-delà de ça, vous avez aussi des conséquences sur votre activité professionnelle de ces vécus sans l'avoir exprimé ?
- Speaker #0
Après, oui, moi, je suis très dure avec moi-même. Concrètement, je ne m'aime pas. Je ne me trouve pas jolie. J'ai un problème avec mon corps. Je me trouve toujours grosse. Je n'aime rien sur mon corps. Je ne m'aime pas tout court. Quand je me regarde dans la glace, je n'aime pas ce que je vois. Alors ça, apparemment, les psychologues me disent que c'est normal. et que déjà, ils me disent que ce n'est pas le cas, mais que ça, c'est un long travail et ça fait des années que je travaille dessus, donc on va dire que ça va un petit peu mieux. Mais voilà, comme je dis, il y a toujours des rechutes. En fait, ça sera toujours comme ça. Il y a des moments où ça va très, très bien et il y a des moments où ça va très, très bas. Mais avec moi, oui, je suis très dure. Oui, je suis très dure avec moi-même. Et avec les autres aussi. Oui, je suis très exigeante aussi, avec mon mari, mon fils. Avec toutes les personnes qui m'entourent, je suis très exigeante.
- Speaker #1
Je perçois entre les lignes que vous faites un travail pour vous reconstruire progressivement. Quel travail vous réalisez ?
- Speaker #0
Je voyais des psychologues de base deux fois par semaine. pendant des années. Et là, ça fait trois ans qu'on a fait progressivement. On est passé à une semaine, on est passé à une fois toutes les deux semaines, une fois tous les mois, les six mois. Et donc là, nous sommes à une fois par an. Après, s'ils ont besoin, j'appelle et on se voit. Et donc, je fais un travail sur moi-même. L'écriture, en fait, j'écris. Mon travail, en fait, c'est l'écriture. L'écriture, être au moins dur avec moi-même. accepter aussi que je n'aurais jamais de réponse parce que ça a été très dur aussi vu que mon père n'a jamais assumé ce qu'il m'a fait pour moi c'est très dur j'aimerais en fait qu'il me dise dans le livre à un moment donné je le dis quand j'ai une question avec Suzy je lui dis carrément juste pour qu'il me dise oui que je lui pardonne et que je veux juste en fait d'entendre oui et en fait ce oui là je l'aurais jamais donc j'apprends à vivre avec ça et que je n'aurai jamais la réponse à mes questions Merci. Et ça, c'est dur parce que je pense que ça me ferait du bien. Alors, ça ne répare à rien du tout. Mais juste de me dire au fond de moi, je ne suis pas folle. J'ai quand même subi ça. Donc, la dernière fois, ma soeur me dit, mais qu'est-ce que tu aimerais ? Je lui dis, le jour où il meurt, peut-être que s'il part d'une maladie, je ne sais pas, qu'il me laisse une lettre en écrivant deux ans. J'assume tout ce que j'ai fait. Donc forcément, tout le monde me dit que je rêve qu'il n'est pas comme ça et qu'il ne fera jamais ça. Mais voilà, j'ai toujours cet espoir au fond de moi, ou même ma mère, qu'elle assume tout ce qu'elle m'a fait subir. Alors j'apprends à me dire que je n'aurai jamais ces réponses et qu'il faut que je vive avec ça.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a un deuil quand on vit tout cela à faire vis-à-vis de la relation qu'on a ou qu'on a espéré avoir de ses parents ?
- Speaker #0
Oui, il y a un deuil, mais il y a un deuil qui ne se fait jamais au final. Parce que moi, comme je dis autour de moi, je n'ai pas un parent. qui est complètement fou. J'ai les deux. Donc, généralement, on a toujours un des parents qui sort du lot, etc. Et moi, en fait, je me rends compte que j'ai les deux. Et que j'ai eu des moments de vie où je n'avais aucun des deux parents. J'ai eu un mariage. Je n'avais personne à mon mariage. J'ai eu la naissance de mon fils. J'ai eu ma grossesse. Tous les moments de vie te rappellent que tu n'as personne qui est là, en fait. Donc, il y a un deuil, oui et non. La vie, en fait, te rappelle tout le temps que tes parents sont là, mais que... mais qui ne sont pas là et que ça te rappelle toujours tout ce que tu as vécu.
- Speaker #1
Je comprends que l'écriture et le travail psychologique vous a aidé à vous en sortir. Est-ce que vous avez d'autres clés à nous partager pour se reconstruire ?
- Speaker #0
Alors moi, ce que je fais des fois, c'est que je me parle à moi-même devant le miroir. Ma psychologue m'a demandé tous les matins de me regarder dans le miroir et de me dire quelque chose de positif, que ce soit physiquement... ou mentalement, quelque chose de positif, en gros, pour m'apprendre à m'aimer, en fait. Et donc, c'est ce que j'essaye de faire le matin. Et je vous avoue, c'est très, très dur. En fait, c'est facile de faire des compliments à des gens. Donc, je fais ça. Après, je discute beaucoup avec mon mari, mon fils aussi. Je lui explique beaucoup les choses. Pourquoi maman, elle ne vient pas trop vers toi ? Pourquoi elle ne te fait pas de bisous ? Pourquoi je suis comme je suis ? Il est au point que j'ai écrit un livre. Donc la dernière fois, en rigolant, il m'a dit « Tu peux me le lire ? » Donc forcément, non. Je lui explique qu'on pourra le lire ensemble quand il sera en âge. Moi, je pense que le plus important, c'est la communication. Si on est en couple, c'est communiquer. Si on a des amis de confiance, c'est communiquer. De se faire aider, d'aller voir des psychologues. Et le temps, il faut le temps. Il faut beaucoup, beaucoup de temps. Et essayer d'être moins dur avec soi-même. Et surtout de se dire que ce n'est pas de notre faute.
- Speaker #1
Oui, je sens dans votre discours qu'il y a quand même une volonté d'avoir un peu plus de douceur avec vous-même.
- Speaker #0
Oui, j'essaie parce qu'au final, je pense que mon corps a assez souffert, même mon esprit a assez souffert. Mais c'est contradictoire ce que je vous dis, parce que là, je suis dans une période où je suis bien. Mais demain, si je ne suis pas bien, je vais tout voir en noir. Je vais être encore dure avec moi-même. Donc c'est vraiment des up and down et c'est pour ça qu'il faut être bien entouré. Parce que dans ces moments de down, on a la famille, les amis qui sont là, qui nous reboussent et voilà.
- Speaker #1
Oui, et d'ailleurs même si vous avez vécu des choses absolument horribles, ce n'est pas une fin en soi que de ne pas avoir vécu dans un cadre sécure durant l'enfance. Votre témoignage le montre bien avec une cellule familiale qui est sûrement très solidaire et proche de vous. Qu'est-ce que vous pourriez donner comme conseil concret à des personnes qui nous écouteraient, qui comme vous auraient vécu des violences sexuelles durant l'enfance ? Comment ils peuvent s'en sortir comme vous l'avez fait ?
- Speaker #0
Alors, de parler, de ne pas garder les choses pour elles. Moi, mon regret à l'heure d'aujourd'hui, c'est qu'il ne sera jamais puni. parce que je ne suis pas allée porter plainte. Et en même temps, je suis désolée de dire ça, mais quand on voit la loi en France, moi, je suis beaucoup des témoignages de personnes qui ont subi le viol, l'inceste, même les violences conjugales, enfin tout. Quand on voit qu'on envoie encore les enfants chez les personnes qui les maltraitent, etc., je peux comprendre qu'on n'ait pas envie d'aller porter plainte. Et moi, ça a été mon cas, sachant, comme je vous disais, mais mon père c'est quelqu'un de... de gens inconnus là où on habite. Donc pour moi, je savais très bien qu'il avait une armée d'avocats et qu'il n'y avait pas forcément de vraies preuves, à part lui et moi, qu'on sait ce qui s'est passé. Donc pour moi, je n'ai pas fait les démarches. Mais à côté de ça, il ne faut pas faire comme moi. Il faut aller porter plainte, même si c'est un chemin très long et que des fois, on n'est pas pris au sérieux et qu'on a l'impression de douter, de se dire « Mais pourquoi on ne m'écoute pas ? Pourquoi on ne m'aide pas ? » Il faut le faire. Ou ne serait-ce qu'en parler à notre entourage. Aller voir des psychologues. Et vraiment se dire que ce n'est pas de notre faute, que nous, on n'a rien fait et qu'on est coupable de rien. Et vraiment ne pas se laisser faire, en fait. Ne pas se laisser faire.
- Speaker #1
Est-ce que finalement, quand vous en parlez à votre entourage ou à d'autres personnes, il y a une main tendue derrière ?
- Speaker #0
Oui, ne serait-ce que ma belle-mère, quand elle a appris dans le livre. que ce qui s'est passé. Donc, elle a été profondément mal. Et elle m'a dit qu'elle... Alors, elle m'en veut, entre guillemets. Elle m'a dit, mais pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? Pourquoi ? Elle m'a dit, parce qu'on aurait pu... Donc, oui, je t'aurais accompagnée, je t'aurais forcée à aller porter plainte, on aurait trouvé des solutions. Elle me dit, s'en sort encore une fois. Et donc, mon entourage, ils sont très énervés. Très énervés, pas contre moi. En fait, ils sont énervés que je ne leur en ai pas parlé. Et en même temps, ils comprennent aussi. Comme je leur ai dit, ce n'est pas un truc beaucoup. Il s'est passé ça. Donc, ils comprennent. Et en même temps, ils sont très énervés. Il y a beaucoup de haine, en fait, quand ils ont eu connaissance de mon livre. Il y a beaucoup, beaucoup de haine, de tristesse. Mais après, mon entourage est là. J'ai la main tendue. Ils sont là pour moi. Ils ne me jugent pas. Même s'ils ne comprennent pas forcément, des fois, mes choix. Mais non, je suis très bien entourée.
- Speaker #1
Vous avez eu la possibilité, depuis votre premier témoignage, de discuter avec d'autres personnes qui ont été concernées ?
- Speaker #0
Oui. Sur Instagram, j'ai une page Instagram où je parle un peu de tout, de rien. Et donc, là, depuis que mon livre est sorti, je reçois beaucoup... Donc, il y a une adresse mail aussi pour qu'on puisse m'écrire. Et je reçois pas mal de mails et de témoignages. Et c'est ce que je vous disais, je suis quand même choquée du nombre de personnes... qui ont vécu ne serait-ce qu'un viol, de l'inceste, des violences. Vraiment, je ne me rendais pas compte avant. Et donc, on discute entre nous. Il y a une jeune fille avec qui je discute depuis quelques semaines, qui a subi ça il y a quelques mois. Donc, je la pousse à aller porter plainte. On s'appelle. J'essaye de l'aider du mieux que je peux. Et en même temps, je me revois en elle il y a quelques années. peur qu'elle a d'aller porter plainte. C'est compliqué. Ça me fait du bien et en même temps, ça me fait beaucoup de mal de lire autant de témoignages. On a l'impression qu'il n'y a que des femmes, mais si vous voyez le nombre d'hommes aussi qui ont pu subir ça, ça me choque. Vraiment, ça me choque.
- Speaker #1
C'est génial ce que vous faites sur Instagram. Puisqu'on voit que le tabou est énorme et même si les réseaux sociaux ont beaucoup de défauts, au moins ils permettent de libérer un petit peu la parole et de pouvoir partager des témoignages comme le vôtre. Est-ce que vous avez un dernier mot à ajouter après ce témoignage ? En tout cas, je vous remercie d'avoir eu le courage de le faire et ce n'est pas simple quand on voit tout ce que vous nous avez décrit. Donc bravo surtout parce que ça va aider d'autres personnes nécessairement.
- Speaker #0
Ce que j'ai à dire, c'est qu'on n'est pas tout seul. qu'il y a quand même des gens qui peuvent nous entourer, même si on n'a pas la famille, même si on ne veut pas en parler à la famille. Il y a aussi des associations. Il y a beaucoup de personnes qui peuvent nous aider, des psychologues, mais qu'il faut parler, qu'il ne faut pas garder les choses pour soi. Tout ce qui peut nous arriver, ce n'est pas de notre faute. Il ne faut pas être trop dur avec soi-même. Et aussi se dire que, je mets bien des guillemets, tout passe. tout passe, ça met beaucoup de temps bien évidemment comme je disais il y a des refutes et ça c'est normal et il y en aura je pense tout le long de la vie mais qu'il faut tirer quand même du positif il faut aller de l'avant et être accompagné et que quoi qu'il arrive la vie elle est belle et qu'il ne faut pas sombrer et voilà
- Speaker #1
Merci beaucoup pour votre témoignage qui est très poignant
- Speaker #0
Merci à vous
- Speaker #1
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