- Speaker #0
Si nous habitions une ville qui prend soin de toutes et tous, si nous imaginons une société du lien, une société où nous avons du temps pour les autres et pour la planète, au-delà des soins médicaux, le prendre soin englobe tout ce qui permet de maintenir et réparer notre monde pour que nous puissions y vivre au mieux. Pour cette nouvelle rencontre Grenoble 2040, nous faisons intervenir Fabienne Bruget, philosophe spécialiste de l'éthique du care. Elle est l'une des premières en France à avoir travaillé sur cette notion et son articulation. avec les politiques publiques. Guillaume Pelletier, directeur des centres de santé AGESA à Grenoble. Il œuvre au quotidien pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé et l'amélioration de la proximité avec les populations des quartiers.
- Speaker #1
Bonsoir à toutes et tous. Je suis Antoine Bach, je suis adjoint au maire de Grenoble, en charge des risques et de la résilience territoriale, de la prospective, des nouveaux indicateurs, des relations au monde académique et de la stratégie. alimentaire. J'ai de quoi m'occuper. Grenoble 2040, quelques mots sur cette démarche lancée à la fin 2022, à la suite de l'année événement Grenoble Capitale Verte Européenne. C'est une démarche prospective, participative et globale pour visualiser d'où nous partons, dans quel futur collectif, c'est important, juste, soutenable et désirable nous voulons atterrir. en planifiant et en sécurisant une trajectoire de transition. Et pour cela, dans cette démarche Grendon 1040, il y a beaucoup d'études qui ont été menées, des études sur l'avenir des piscines municipales, sur la redirection écologique des métiers, sur la baignabilité dans l'Isère, sur les quartiers favorables à la santé, et j'en passe. Des événements ont été organisés, des expositions, des ateliers, notamment lors de la dernière biennale des villes en transition, où elle était au parc. et beaucoup de rencontres ont déjà été organisées, que ce soit sur les risques systémiques avec Arthur Keller, le temps avec Christian Clot, la robustesse avec Olivier Hamant. Je ne vais pas toutes vous les citer, mais c'était à chaque fois des très belles soirées. Plus d'informations, vous en trouverez sur le site grenoble.fr slash 2040. Mais ce soir, nous allons parler du soin. Le soin, c'est une thématique qui est à la croisée des chemins. lorsqu'on se projette dans le futur. Citons en pêle-mêle plusieurs choses qui nous tracassent, qui nous tourlupinent, qui nous interrogent, qui nous questionnent. Sur la question de l'exposition à la chaleur, à Grenoble on connaît bien ce sujet, et notamment pour les populations les plus vulnérables. Sur la question de la disponibilité des médicaments, où est-ce qu'on les produit, comment on les distribue, comment est-ce qu'on y a accès économiquement. La question des métiers aussi qui sont sous tension, les métiers du soin, et qui portent aussi une charge très... très genré. La question des infrastructures sociales, la question des échelles, les individus, les associations, les entreprises, les services publics. La question de l'ensemble du vivant qui est sous pression. Nous le savons, nous sommes entrés dans la sixième grande extinction des espèces. L'augmentation des maladies vectorielles, peut-être qu'on en parlera ce soir. Les questions de l'habitat, l'habitat indigne et insalubre particulièrement. Les questions liées à l'alimentation. Dans un futur d'une planète déréglée, c'est des vraies questions. La question assurancielle aussi, la question de la santé mentale et la démocratie sanitaire dans tout cela. Peut-être aborderons-nous ce sujet ce soir. Bref, autant de chemins, de questions au carrefour desquels positionne le soin. Ce soir, pour discuter de cette question, nous avons deux intervenants. Merci à vous d'être présentes et présents. Fabienne Brugère, vous êtes philosophe, enseignante à l'université Paris VIII. Vous êtes auteur d'une quinzaine d'ouvrages, dont l'éthique du care. dans la collection « Que sais-je ? » aux presses universitaires de France, qui est sortie en février 2011, mais qui a été réédité deux fois depuis. Et vous dirigez les collections « Lignes d'art » et « Care Studies » aux presses universitaires de France, toujours, et « Diagnostics » aux éditions du Bordeleau. Et vous êtes aussi chevalier de la Légion d'honneur depuis avril 2015. Merci à vous pour votre présence, madame. Guillaume Pelletier, vous êtes directeur général de l'association de gestion des centres de santé de Grenoble, plus connue sous le nom de AGEXA. qui est écrite en 1991 et qui gère cinq centres de santé pluridisciplinaire à Grenoble. Le premier centre de santé a été ouvert en 1973, si je ne me trompe pas, dans la galerie de l'Arlequin, dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble. Je tiens à remercier aussi très rapidement Annabelle Roux du collectif Futuron qui nous a accompagnés dans la conception de cette soirée et notamment pas mal d'éléments que vous allez découvrir au fur et à mesure. Alice Mébec, vous allez illustrer toute la conférence. avec des jolis dessins. Et merci beaucoup, ça nous aide aussi. Nous avons la partie du cerveau qui écoute et qui rationalise et la partie du cerveau qui imagine. Et le dessin, pour cela, c'est formidable. Je tiens évidemment à remercier les agents de la ville de Grenoble et du Centre communal d'action sociale qui ont participé aussi à la préparation de cette soirée. Je tiens particulièrement à remercier l'équipe modeste et géniale de Grenoble 2040, pilotée par la non moins modeste et géniale Périne Flouret, qui va conduire l'ensemble de cette soirée. Merci à toutes et tous pour votre présence. Une très très belle soirée Grenoble 2040. A toutes et tous.
- Speaker #2
Fabienne Brugère, vous êtes donc philosophe et vous avez écrit « L'éthique du care » , cet ouvrage qui fait référence et qui a été traduit dans plein de langues et réédité plusieurs fois, comme vous nous l'avez dit tout à l'heure. Est-ce que dans un premier temps, vous pouvez nous dire quand est-ce qu'est apparue cette notion du care ? Est-ce que vous pouvez expliciter un petit peu les concepts clés qui sont à l'intérieur, la vulnérabilité, l'interdépendance, le lien social, pour éclairer un peu le débat en ouverture ?
- Speaker #0
Bonsoir, bonsoir à toutes et à tous et puis merci à la ville de Grenoble pour cette invitation. Merci à Annabelle aussi pour le travail fait ensemble. Peut-être il faut commencer par dire que l'éthique du CAIR est au départ un courant anglo-américain qui naît aux États-Unis dans les années 1980. et en réaction au néolibéralisme, en particulier celui d'Origan. Vous savez, ce moment tout d'abord où Origan est gouverneur de la Californie, et puis ensuite président des États-Unis, et où petit à petit, à chaque fois, soit des finances de l'État de Californie, soit des finances fédérales, eh bien... Il inaugure ce qu'on peut appeler une forme de casse de l'état social. Et donc, à ce moment-là, dans plusieurs universités américaines, on va commencer à réfléchir à la possibilité de politiques sociales, mais qui seraient des politiques sociales qui prendraient en compte l'idéologie néolibérale pour pouvoir la concrétiser, pour faire vite. Le néolibéralisme se déploie autour d'un individu performant, compétitif, calculateur, avec cette différence par rapport au libéralisme classique que cet individu, toute sphère de vie, doit faire l'objet d'un calcul. Pas seulement les sphères de la vie publique, sphère du travail par exemple, mais aussi les sphères de ce qu'on appelle la vie intime, et aussi bien sûr les sphères qui correspondent au monde social, comme justement le domaine du travail social, mais aussi le domaine de l'éducation, le domaine de la santé. Tout doit pouvoir être chiffré et faire l'objet d'une rentabilité. Et donc, l'éthique du CAIR n'est dans l'idée que précisément, on ne peut pas tout rentabiliser. et et qu'il y a de plus en plus dans nos sociétés, on peut dire néolibérales, capitalistes, tardives, il y a de plus en plus des formes de vulnérabilité dont il faut justement prendre soin. Qu'il faut, pourrait-on dire, même si le mot n'est pas très beau, qu'il faut savoir traiter, qu'il faut savoir prendre en charge. Les vulnérabilités, elles sont globalement de trois ordres. Il y a des vulnérabilités vitales, la maladie, les maladies, dont les maladies chroniques par exemple. Il y a des vulnérabilités socio-économiques, la pauvreté, l'exclusion. Et puis il y a des vulnérabilités écologiques, un glissement de terrain, une inondation. Et donc l'idée, c'est qu'on peut croiser les trois. D'ailleurs, on peut cumuler les trois. la vulnérabilité C'est, je le définirais comme ça, c'est un concept vraiment essentiel qui surgit à ce moment-là, c'est l'exposition à un aléa. Un aléa, un accident qui est à la fois souvent individuel et collectif. Il est individuel parce qu'il m'affecte, moi, je me sens vulnérable face à une épreuve, qu'elle soit vitale, socio-économique ou écologique. Et souvent, d'autres se sentent aussi vulnérables. C'est bien la raison pour laquelle, du coup, il faut construire des politiques de prise en charge ou de traitement de la vulnérabilité. Et donc, je dirais que le CAIR surgit avec l'idée qu'il n'y a pas seulement... finalement les questions de pauvreté, mais qu'il y a un autre concept, celui de vulnérabilité, qui permet davantage de rendre compte de ce qui arrive aux individus et de la manière dont on peut se rapporter à ce qui leur arrive. Et deuxième, peut-être deuxième concept également important, c'est qu'en fait, il s'agit d'une certaine manière de critiquer, je dis bien l'injonction, l'injonction à l'autonomie. C'est-à-dire que... Nos sociétés occidentales sont des sociétés individualistes qui ont été longtemps structurées au XXe siècle autour du « soi autonome » . On peut même dire que ça commence au XVIIIe siècle avec la modernité et les lumières. Et le « soi autonome » , le problème c'est que ça fonctionne comme une injonction. Et on ne dit pas comment. Et les gens ne savent pas comment faire. Et les gens ne peuvent pas. Et donc... L'idée aussi de l'éthique du CAIR, c'est de mettre en avant la notion d'interdépendance et également la notion de dépendance. Il y a une très belle phrase de Richard Sennett à travers laquelle il dit « La dépendance n'a jamais semblé être un projet digne pour le libéralisme » . Et donc le CAIR s'intéresse à nos dépendances et dit « Les dépendances, ce n'est pas honteux » . Le handicap, ce n'est pas honteux. La précarité, ce n'est pas honteux, etc. Et donc, l'idée, c'est que prendre soin des dépendances et prendre soin des dépendances, c'est rendre aussi des formes de capacité aux dépendants, en les rendant dignes. Et dans la dignité qu'on leur rend, ils peuvent aussi se retourner vers nous. Et donc, l'idée derrière la dépendance, Merci. C'est le concept d'interdépendance. De toute façon, le concept d'interdépendance, c'est l'image même de la mondialisation, qu'elle soit heureuse ou malheureuse. Nous sommes tous, on le voit bien, avec ce qui nous arrive à partir d'un foyer américain et d'autres foyers, on voit bien que nous sommes tous et toutes, de toute façon, interdépendants à tous les niveaux. Voilà ce que je dirais, juste pour poser le... Le décor, en quelque sorte.
- Speaker #1
Pour poser le sujet, merci. Et vous, Guillaume, quand nous avons préparé cet entretien, vous nous avez dit que le sujet principal, c'était la ville qui prend soin. Comment la ville peut prendre soin, en fait ? Pas uniquement la notion du CAIR en général, on voulait contextualiser aussi. On ne parle pas de sujets forcément nationaux, mais concrètement, au niveau local, qu'est-ce que ce serait une ville qui prend soin ? Et vous nous avez dit que c'était un oxymore. Ville et soin, ça ne fonctionnait pas très bien. Est-ce que vous pouvez nous expliquer davantage ce que vous vouliez dire par cela ?
- Speaker #2
Bien sûr, bonsoir à tous. Effectivement, moi ça m'a semblé un oxymore, c'est-à-dire que la ville ne propose pas un environnement qui est particulièrement favorable à la santé. Et que du coup, il faut partir de ça pour imaginer comment on prend soin. Alors je vais enfoncer des portes ouvertes, on va redescendre un peu. d'après l'exposé brillant de Fabienne. Déjà, très simplement, c'est un endroit où il y a beaucoup de densité, où on a beaucoup de concentration de population et où les épidémies se développent. Les épidémies de peste, la dernière grande épidémie, c'était à Marseille en 1720, il y a encore eu des cas au XXe siècle. C'est aussi un endroit par lequel les flux passent. Et les flux aussi sont porteurs d'épidémies. par exemple un peu En 2008, dans un revue Nature, il y avait eu un article qui montrait que l'épidémie de grippe à Londres suivait les lignes du métro. Elle se diffusait le long des lignes du métro. Donc la densité, aussi les modes de vie ne sont pas forcément favorables à la santé. Vivre en ville, c'est souvent avoir un emploi de bureau, c'est souvent, pas tout le temps, on pourra le voir après, marcher peu, donc c'est être assez sédentaire. C'est aussi manger parfois pas très sainement. On parle parfois aujourd'hui de marécages alimentaires, des endroits et des quartiers entiers où ce n'est pas possible de trouver une tomate, où ce n'est pas possible de trouver des produits frais. C'est un endroit qui est saturé de lumière. Et on sait que la lumière, comme le bruit, sont des éléments qui nous perturbent. La lumière va avoir des effets sur notre rythme circadien. Et on sait que quand notre rythme circadien est mis à mal, ça a des effets très délétères sur la santé. Et c'est un endroit, c'est un peu paradoxal, là aussi, où on se sent seul. C'est là qu'il y a le plus de monde et c'est là où on se sent seul. Et l'isolement, la Fondation de France, il y a eu une étude en 2023 qui disait que 12% de la population française se sentait isolée et que c'était bien plus important dans les endroits où il y avait beaucoup de gens précaires. La précaire renforce l'isolement. Et il y a eu, pareil, dans la revue Nature, ça date d'un peu, Des études montrent qu'en étant isolés, les troubles anxieux augmentaient de 20% et les troubles de l'humeur de près de 40%. Cet isolement, il vient d'où ? Il vient de plein de choses. L'individualisme, qui est peut-être plus important. On se sent plus en communauté qu'en campagne. La digitalisation des relations, les rythmes de vie, ça peut être beaucoup de choses. Je poursuis, je suis très rapide. Ce n'est pas pour vous casser le moral, mais c'est pour voir d'où on part. Il y a l'environnement qui n'est pas très favorable. Antoine en parlait tout à l'heure. La ville, on connaît bien maintenant les îlots de chaleur. Les îlots de chaleur. Il y a des études qui ont montré qu'il n'y avait pas loin de 10% lorsqu'il y avait des nuits un peu tropicales d'AVC pendant ces temps-là. Alors, c'est des endroits aussi où la pollution de l'air se consomme, où on manque d'espace vert, forcément, chez les nuisances sonores, et tout ça, ça joue sur la santé mentale et somatique. C'est aussi un endroit où il y a plus de parasites. En ville, moi je travaille sur le quartier de Villeneuve. Souvent, les professionnels qui me reviennent de visite à domicile, soit des médecins ou des infirmiers, me parlent, pas partout, mais souvent de cages d'escalier qui sont envahies par les rats, d'appartements qui sont envahis par les punaises ou les puces de lit. Là aussi, j'ai trouvé une étude du Centre spécialisé du Vinatier de 2025 qui nous disait que deux tiers des personnes qui étaient exposées à ce type de parasite étaient orientées punaises et puces de lit. présentait des symptômes de stress post-traumatique. Donc vous voyez, ce n'est pas rien du tout en termes de santé mentale, et la campagne y est un peu moins soumise. Et puis la ville, c'est aussi l'endroit où se concentrent les inégalités. Si on regarde les moyennes, il y a un truc qui est pas mal, c'est l'Observatoire des inégalités, qui fait des études très poussées sur la question. Les campagnes... sont plus pauvres que les villes. Mais les moyennes ne disent rien. C'est-à-dire que dans les villes, c'est là qu'il y a les gens les plus riches et c'est là qu'il y a les gens les plus pauvres. Donc, pour donner un exemple, on va peut-être faire un petit focus sur les quartiers de Grenoble. Sur Villeneuve, je suis allé chercher, il y a 45% des gens de Villeneuve, des personnes qui habitent Villeneuve, sont sous le seuil de pauvreté. La moyenne française, c'est 15%. 22% des habitants sont au chômage. La moyenne, je ne sais plus à combien on est, autour de 7%. Donc on voit qu'on est sur du choix droit, sur des indicateurs importants de précarité. Et la précarité, ça veut dire qu'on gagne moins d'argent, ça veut dire qu'on est très enclavé. Moi, je travaille depuis un peu plus d'un an sur le quartier et je suis frappé, j'ai envie de dire même étonné, du peu de mobilité des personnes qui habitent ces quartiers. Il y a des activités, on a deux centres de santé sur Villeneuve, un sur Arlequin, un sur Géant. Il y a des activités différentes qui se passent sur les deux centres de santé. C'est difficile parfois pour certaines personnes d'Arlequin d'aller sur Géant et inversement. Pareil sur un vieux temple très cloître, un centre de santé, où on a été un peu en difficulté avec des médecins absents. Quand j'ai questionné la possibilité pour que les patients aillent sur Abijouo, on m'a dit que pour la grande majorité d'entre eux, c'est impossible. Moi, ça me paraît complètement fou, mais c'est la réalité. Donc, des personnes qui sont enclavées. donc pour moi voilà pourquoi j'ai réagi sur le fait en disant, vie, les santé c'est un oxymore du coup ça oblige à bien penser le prendre soin et plus qu'un oxymore c'est un défi parce que je vais un petit peu anticiper sur quelque chose que j'avais prévu de dire après mais il y a un effet ciseau terrible qui se passe pas que à Grenoble, pas que dans les villes un peu partout sur le territoire entre des besoins en soins qui augmentent, je ne vais pas dire qui explosent je vais être catastrophique, mais qui augmentent nettement et des ressources qui au mieux reste stable. Au mieux reste stable, peut-être diminue. Alors c'est quoi ces besoins qui augmentent ? Je vais être rapide. L'utilisement de la population, on est à 20% de plus 60 ans en 2020. Je crois que là, actuellement, on est à 23. On va être à 30% en 2030. En termes de soins, quand on a plus de 60 ans, c'est là que des problèmes arrivent. Puis quand on a 80 ans, on peut avoir besoin d'un EHPAD, etc. Sur le handicap, sur les mêmes évolutions, sur la protection de l'enfance également. Si vous avez des questions, je pourrais vous parler de ces sujets-là. Et en parallèle de ça, on a une population active qui va augmenter de 6% en 2030. On est sur des augmentations de 20-30% sur les besoins, augmentation de 6% sur la masse, et encore sur des métiers qui sont sous-valorisés. et dont on s'écarte de plus en plus. Et je pense qu'on y reviendra un peu. Donc il y a un effet ciseau terrible qui se passe. Donc non seulement c'est un oxymore, ville et santé, mais en plus, il y a un effet ciseau à gérer.
- Speaker #1
Et pour vous, Fabienne, à quoi pourrait ressembler une ville qui prend soin de ses habitants ? En fait, je pense qu'on évoquait toute la question de l'isolement,
- Speaker #0
de l'individualisme et de phénomènes qui se sont largement accrus. depuis la pandémie ou en tout cas qui sont devenus plus visibles. Donc une ville qui prendrait soin, ce serait d'abord une ville qui considérerait que dans cette ville, nous formons tous et tous un même organisme. Je pensais aux travaux de Durkheim, qui sont maintenant des travaux assez anciens, mais Durkheim expliquait que la société, c'était justement comme un organisme. où chaque organe remplit sa fonction au service du tout. Je crois que tout d'abord, une ville qui prend soin, c'est une ville qui effectivement se conçoit comme un tout. Et qu'est-ce qui structure ce tout ? À mon sens, dans une ville qui prend soin, ça n'est pas la compétition individualiste, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de compétition, mais la compétition doit pouvoir s'organiser le plus... collectivement possible. Mais c'est surtout une ville qui s'est instaurée aussi des phénomènes de solidarité, d'entraide, une société du lien. En fait, ce serait ça, une ville qui prend soin, ce serait une ville où justement on irait chercher les personnes qui sont isolées et on les emmènerait au revoir justement vers les autres. C'est par exemple une ville où il y aurait des tiers-lieux, où les gens pourraient se rencontrer de manière intergénérationnelle, avec des classes sociales différentes.
- Speaker #1
Qui seraient ces personnes qui aideraient à faire du lien, à prendre soin ? On a parlé des travailleurs et des travailleuses du CAIR, un travail invisible, mal mis en valeur, si ce n'est pendant le Covid, quand tout le monde applaudissait. Est-ce que, Guillaume, vous avez des choses à nous dire, des constats, de là où vous êtes à l'Agexa ?
- Speaker #2
Oui, effectivement. Sur cet aspect, nous, ce qu'on essaie de développer, c'est effectivement des médiations. On va appeler ça comme ça. La médiation pour vous, vous imaginez la médiation dans les quartiers, on va dire, socio-éducatives. Il y a aussi de la médiation pour que les personnes puissent accéder aux droits et accéder à la santé. Parce qu'on accueille sur nos centres des personnes dont les droits ne sont pas ouverts. Quand on n'a pas de droits ouverts, c'est difficile de se faire soigner. Et puis, vous voyez bien, même si on n'est pas précaire, même si on est en pleine capacité, c'est parfois difficile d'avoir des rendez-vous. Donc, effectivement, on essaye de développer. Aujourd'hui, la question, c'est de solvabiliser ces médiatrices, de développer ces médiations pour que les personnes puissent avoir un accès aux droits et un accès à la santé. Je remondis un petit peu sur ce que disait Fabienne. Effectivement, je suis d'accord qu'elle dit comment on fait une ville où on prend soin. Mais la ville, c'est nous aussi. En fait, la ville, c'est un écosystème. Mais ce n'est pas un écosystème naturel, c'est un écosystème qu'on a construit. Et c'est un écosystème dont il faut aussi qu'on prenne soin. Pour que la ville prenne soin de nous, il faut qu'on prenne soin de la ville. Il faut qu'elle soit agréable à vivre. J'ai échangé hier avec un médecin sur l'intervention de ce soir. Je lui disais, tiens, est-ce qu'il y a un message à faire passer ? Et le médecin en question, je pense un peu provoque, mais il me disait... dis-leur bien que la santé, ce n'est pas une affaire de docteur. Et je trouve que c'est assez parlant. La santé, c'est être agréable les uns avec les autres, c'est effectivement avoir des endroits où on se rencontre, où on fait du lien. J'ai découvert aussi en préparant cette intervention un concept que je ne connaissais pas, qui était la ville du quart d'heure. Je ne sais pas si vous connaissez. Paris, a priori, a beaucoup travaillé là-dessus. C'est une ville où on habite. On a tout à un quart d'heure de chez soi en marchant. Et du coup, ça développe la socialisation, ça développe la marche, on est moins sédentaire. Et donc, il y a des choses intéressantes à travailler sur le sujet. Je ne sais pas si Fabienne a des choses à dire là-dessus.
- Speaker #0
Sur la ville du quart d'heure, il y a bien sûr eu ce que Paris a tenté de faire dans le développement d'îlots de déplacement. Mais il y a maintenant, avec Copenhague, qui vient d'ailleurs à nouveau d'être distinguée parmi les villes les plus agréables d'Europe, il y a l'idée même de la ville des cinq minutes. L'idée de la ville des 5 minutes, c'est que... C'est que dans un même périmètre, on peut avoir la crèche, on peut avoir des magasins, on peut avoir justement aussi un lieu pour les personnes âgées. L'idée des cinq minutes. Alors, ça fait peut-être un petit peu rire, cette idée des cinq minutes, mais ça dit quand même, le passage du quart d'heure aux cinq minutes, ça dit quelque chose. Ça dit le fait qu'une ville qui prend soin de nous, c'est une ville qui nous permet de réaliser certaines choses précisément là où on est. Et là où on est, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la ville, c'est pas seulement un lieu, une place, un quartier, un appartement que je... que je m'approprie, mais c'est aussi un lieu, d'ailleurs un écosystème artificiel effectivement, mais dans lequel on me donne les moyens que j'occupe une place. C'est-à-dire que le problème, à mon sens, si on essaie de construire des différences entre la ville et la campagne, je pense que l'un des angles de différence, c'est que la ville, elle est souvent... comprises comme un lieu d'expulsion, comme un lieu précisément où des gens tout d'un coup se retrouvent en dehors et n'ont pas leur place. Pourquoi ils n'ont pas leur place ? Pour plusieurs raisons. Parce qu'il y a énormément d'inégalités, il y a une captation des richesses, mais aussi parce que la vie l'attire. La vie, elle n'attire pas forcément sur la base de la volonté. Parfois, elle attire parce qu'on n'a pas le choix, parce que justement, à la campagne, il n'y a pas de travail, et donc on va aller en ville pour y travailler. Donc l'exode... L'exode urbain, si on peut appeler toujours ça, malgré les différences qui sont introduites ces dernières années, il continue. Et donc la question de la ville, c'est à la fois comment je vais pouvoir me faire une place, mais c'est aussi comment la ville va me donner une place. Et dans cette question de la ville qui me donne une place, qui me fait une place, qui fait que je peux me construire ma place, Je pense qu'il y a toute la dimension du soin. Et du soin au sens de la santé, mais au sens aussi de la culture, du divertissement, de tout ce qu'il y a à voir avec tout ce dont on a besoin, toute la question du sujet de besoin. La ville qui prend soin, c'est une ville qui arrive à prendre en compte les besoins de ses habitants.
- Speaker #2
Et je pense qu'on est passé un peu à côté de la vache dans le couloir aussi, mais du coup, Fabien m'y fait penser. Une ville qui prend soin, c'est une ville où on a des logements décents. En plus, on est en pleine actualité ici. Encore une fois, si vos logements sont mal isolés, qu'il fait 40 degrés l'été et 10 degrés l'hiver, s'ils sont remplis de cafards et de rats, ce n'est pas une ville qui prend soin. C'est une ville où vous aurez des syndromes post-traumatiques. Donc oui, une ville qui fait la place en ayant une place déjà physique qui soit digne, la place est dans les têtes. qu'on laisse aux autres, la place qu'on se laisse à chacun. J'avais mis sur cet aspect que c'est aussi comment on se raconte. On se raconte la vie ensemble, comment on se raconte la place qu'on se laisse les uns aux autres, la considération qu'on se porte. Je pense qu'on ne le fait plus beaucoup. Je ne sais pas pourquoi. Mais c'est ça qui fait société, c'est ça qui fait communauté, communauté dans le bon sens du terme. C'est... pas toujours des choses factuelles, pour le meilleur et pour le pire. Et moi, j'ai tendance à rappeler qu'il y a un effet performatif de la parole. Je ne sais pas si vous voyez ce que c'est l'effet performatif. Quand vous vous mariez, vous allez devant le maire et vous êtes marié à partir du moment où le maire dit « je vous déclare marié et femme » . Et là, tout d'un coup, ça devient réalité et ça part pourtant d'une parole. Moi, je crois que cette parole, elle est très puissante. Et raconter ce que nous sommes, comment on vit ensemble, se raconter une histoire, même si ce n'est pas basé sur des faits, à la fin, ça devient réalité. D'ailleurs, on voit bien, pour le meilleur et pour le pire, je dis, parce qu'on va... Je sais bien qu'aux Etats-Unis, aujourd'hui, il y a un président qui s'affranchit complètement de ça et que pourtant ça pèse dans la réalité quotidienne des Américains. Donc moi, je pense qu'il faut qu'on fasse communauté en se racontant un peu. Et pour le coup, la démarche de Grenoble avec la fresque, à mon avis, c'est quelque chose d'intéressant parce que ce qui se comprend se dessine. Et maintenant, je trouve que ce qui serait intéressant, on en a échangé tout à l'heure avant la conférence, Ce serait de partir cette fresque pour se raconter le monde où on veut vivre demain, dans la ville, et comment on prend soin les uns des autres.
- Speaker #1
À propos de la fresque, oui, c'est un travail qui va continuer et dont les résultats seront proposés dans une exposition à l'automne prochain. Et donc là, il y a des propositions contributives. C'est une fresque pour les personnes qui ne le sauraient pas, qui a été présentée à la Biennale et qui était une proposition sur la ville de Grenoble pour... des quartiers favorables à la santé. Dessinés en 2040, les quartiers et la ville de demain, juste par une grande fresque de 26 mètres dessinée. Voilà, petite fin de la parenthèse pour savoir de quoi on parle. Alors quelles seraient maintenant les voies vers cette ville du Caire ? Et quand on a discuté en préparation, il y a deux sujets qui ont émergé. Enfin, il y en a eu plusieurs, mais qu'on a retenus. C'est notamment d'un côté comment on soutient ceux qui soutiennent, on soutient les travailleurs, on soutient les aidants qui sont de plus en plus nombreux. Et de l'autre côté, pour les aider eux-mêmes, cette question d'encapacitation dont vous avez parlé. Alors je ne sais pas de quel sujet vous voulez parler en premier, mais c'est deux sujets dont il faudrait que vous discutiez un petit peu.
- Speaker #0
Sur la question des aidants qui sont surtout des aidantes dans beaucoup de domaines, parce qu'on sait que les métiers de care sont quand même largement... accomplies par des femmes. On sait que par exemple, dans le métier d'infirmier, il y a plus de 70% de femmes, quasiment 80%. C'est pareil pour les assistantes sociales. On pourrait citer d'autres exemples. Ce que j'aimerais dire là-dessus, c'est qu'en fait, on fait face à un phénomène concernant les aidants et les aidantes. En tout cas, tout ce qui est travailleuse et travailleur du CAIR, qui est propre aux villes et qui est un phénomène particulièrement difficile dans ce qu'on peut appeler les très grandes villes, ce qu'on a parfois appelé les villes-monde, des villes justement comme Paris, New York, où un maire justement différent de Trump a été élu hier, ou Londres ou d'autres. Le problème, il est que dans les métiers de CAIR, précisément, Les salaires ne sont pas suffisants, à part bien sûr si on prend le domaine de la santé, les médecins, mais on a quand même tout un personnel du CAIR qui va des infirmières aux auxiliaires de vie, aux médiatrices familiales, etc. Enfin tout un domaine où les salaires sont extrêmement bas. Ils sont souvent extrêmement bas parce que, comme ils sont beaucoup accomplis par des femmes, On nous dit souvent, mais en fait, il y a une nature aidante des femmes. Et donc, les femmes, finalement, quand elles travaillent dans ces métiers-là, elles suivent ce qu'elles font déjà dans l'espace domestique. Et alors, c'est quand même un peu curieux comme discours. Non, elles font un travail qui demande beaucoup de compétences. Par exemple, faire la toilette intime de quelqu'un de très âgé. tous les jours, avec en plus souvent un chiffrage, par exemple dans les EHPAD, c'est quand même très difficile et ça demande des compétences. Tous ces métiers-là demandent des compétences. Des compétences qui sont aussi d'ailleurs relationnelles. Et en fait, ces métiers-là, on les remunère. très peu. On les rémunère très peu, mais à tel point qu'on se met en danger. Nos villes se mettent en danger. Parce que dans une ville comme Paris, je suppose qu'il y a des choses à peu près similaires à Grenoble, forcément les infirmières, les auxiliaires de vie, parfois même d'ailleurs les profs, parfois même d'autres professions, les travailleurs sociaux, etc. Ils peuvent de moins en moins vivre dans des logements, surtout s'ils ont une famille. Donc comment on fait ? Comment on fera le jour où toutes celles et ceux qui assurent ce qui fait nos forces de vie ? Parce que nous travaillons, parce que certains soutiennent nos vies, parce qu'il y a des gens qui, justement, des soutenants qui nous soutiennent. Comment on va faire ? Parce qu'on en est là. Ça, c'est l'avenir. indésirables qui se dessinent. L'avenir indésirable qui se décide, c'est de moins en moins justement de personnes qui travailleront dans ces domaines-là. Et donc, comment on va faire ? Comment on va faire quand on aura de plus en plus de personnes très âgées qui ne pourront pas s'en sortir toutes seules ? Comment on fera quand nos enfants, on ne pourra plus justement les confier dans des... dans des crèches, comment on fera quand tout ce qui est du registre de l'exclusion de la précarité ne correspondra plus à des travailleurs sociaux qui peuvent travailler là, quand il n'y aura plus d'infirmières pour aider les médecins ou les chirurgiens. Parce que vraiment, on en est là. Donc la question, c'est bien ça, c'est-à-dire que les aidants et les aidantes ont besoin d'être soutenus et ils ont besoin d'être soutenus par des politiques. par des politiques publiques, par un programme politique qui reconnaît, parce que tout le monde le sait bien, que sans eux et sans elles, on ne peut pas vivre. On ne peut pas produire. Alors c'est très drôle parce qu'on dit souvent, en fait, les métiers de soins, c'est des métiers non productifs. Ah bon, c'est des métiers non productifs ? C'est quand même assez drôle parce que de toute façon, sans eux, on ne peut pas produire. Je veux dire, l'humain n'existe pas. Donc, voilà, il y a vraiment un soutien à penser de toutes les personnes qui prennent soin des autres. La question, c'est ce sur quoi j'aimerais insister, c'est qu'on ne peut pas l'organiser uniquement dans les relations interpersonnelles. Bien sûr que c'est bien dans une institution du prendre soin. d'être quelqu'un qui fait attention à son personnel dans la mesure du possible, etc. Je dis bien dans la mesure du possible parce qu'il y a des organisations qui rendent très difficile cela, mais quoi qu'il arrive, on ne peut pas en rester aux relations interpersonnelles. Il faut qu'il y ait de véritables politiques qui puissent avoir conscience de notre avenir, de ce qui va nous arriver, en plus dans des pays où on vieillit.
- Speaker #1
Et justement, Guillaume, alors... Merci. Vous travaillez avec des médecins, il y en a d'ailleurs dans la salle, je crois. Comment vous faites pour qu'ils travaillent avec vous ?
- Speaker #2
Alors là aussi, j'aimerais aussi rebondir sur ce qu'a dit Fabienne. Je travaille depuis un peu plus d'un an à l'Agexa. Avant, j'ai travaillé 15 ans sur une structure qui gérait des établissements pour personnes en situation de handicap. Je m'étais amusé, pour le terme, en tout cas, par curiosité, j'avais pris une fiche de paye d'un moniteur éducateur en 89. Moniteur éducateur, hein, donc... Alors, après, c'est trois ans d'études, c'était deux. À l'époque, à 89, il touchait 1,8 SMIC de l'époque. En 1989, 1,8 SMIC. Quand j'avais calculé, c'était en 2020, je crois, il en touchait plus que 1,15. On passe de 1,8 SMIC à 1,15. Quand on parle de paupérisation des métiers, on est du prendre soin, on n'est pas sur des soignants. On est sur du prendre soin, le mot n'est pas trop fort. Juste pour aussi rajouter ce que disait Fabienne sur le fait qu'ils ont des compétences, ils ont des compétences relationnelles, le travail en équipe, le ripro dans ces établissements n'est pas simple. Il y a aussi des contraintes. Quand on travaille en EHPAD ou en pays d'accueil médicalisé, on commence à 6h du matin, on finit à 21h parce qu'il faut prendre les douches, les coucher, ça prend du temps, c'est là qu'on a besoin de monde. on travaille un week-end sur deux. Les week-ends dans les conventions entre 16 ou 51 sont très mal payés. Donc, honnêtement, effectivement, quand on a été interviewé, je dis, mais c'est une honte, je ne veux pas passer de bons termes, c'est dégueulasse de payer comme ça des gens qui ont des compétences et des contraintes telles sur leur métier. Autre chose sur la féminisation, pareil, je pense que c'est encore pire que ce que vous disiez, Fabienne. Oui, c'est des métiers féminins, mais surtout, c'est des métiers de... de plus en plus féminins. Les anciens éducateurs, ceux qui avaient 50 piges, il y avait des hommes. Ceux qui arrivaient, c'était plus ceux, c'était que celles. Aujourd'hui, chez les soignants, c'est pareil. Les études de médecine aujourd'hui, je parle sous contrôle des médecins dans la salle, c'est 90% des promos, c'est des femmes. Alors, pourquoi ça se féminise ? Ça se féminise sûrement parce que justement, c'est des métiers qui sont moins rémunérateurs qu'avant. Les métiers du prendre soin. Quand ça précarise, ça se féminise. Enfin, je... Je pense, peut-être qu'il y a d'autres raisons, mais voilà. Et puis, il y a une question de valorisation, pas que financière, mais aussi symbolique. Aujourd'hui, vous êtes dans un dîner de famille, la personne qui vend des t-shirts à Decathlon, c'est chouette, on va poser des questions. La personne qui s'occupe, qui accompagne des personnes âgées en Ehpad, souvent, on ne lui pose pas trop de questions, ça n'a pas l'air très gay, alors qu'en fait, c'est un métier passionnant. Ce que j'ai à dire sur ces métiers-là, c'est que ce n'est pas un sujet de société, le prendre soin non médicales, les urgences, tout le monde s'y intéresse. Et ça fait la lune des gens d'eau tout le temps. On nous annonce des maisons médicales France Santé qui vont fleurir de partout et ça va réguler le livre de Castelet sur les faux soyeurs. On n'en a pas tant entendu parler que ça. Alors que c'est un scandale. Aujourd'hui, on a de fortes chances de finir en EHPAD tous. Donc c'est un sujet qui nous concerne tous ou qui nous concernera tous un jour. Ce n'est pas nous avec nos parents, ce sera nous directement très bientôt. Donc effectivement, la ville, le soin, notre affaire à tous et à toutes, c'est aussi ça.
- Speaker #1
Et du côté des soignés ou des personnes vulnérables qui ont besoin de soins, vous aviez évoqué la possibilité, en tout cas Cynthia Fleury le dit aussi, de recapacitation. Il ne faut pas assigner à la vulnérabilité, il faut rendre les gens acteurs de leur parcours aussi. Quelle est la façon dont vous avez envie de partager à ce sujet ?
- Speaker #0
Oui, justement, je pense que là-dessus, c'est intéressant de mobiliser le terme d'éthique, de manière de faire. Parce qu'en fait, on peut très bien se prendre soin de quelqu'un. Il y a un très bon texte de John Tronto, d'ailleurs, dont le livre est là-bas, là-dessus. on peut très bien prendre soin de quelqu'un par une suite d'abus de pouvoir. C'est-à-dire, effectivement, on peut très bien, face à des formes de vulnérabilité, profiter de cette vulnérabilité pour justement étouffer la personne qui est en face et édicter soi-même ses besoins. Ça, c'est un vrai risque. Et donc, pourquoi éthique ? du care, pourquoi éthique du prendre soin ? Parce qu'effectivement, l'idéal dans le prendre soin, c'est de redonner une forme de capacité à celui qui est soigné. L'idée, c'est qu'en quelque sorte, la personne soignée, elle puisse justement réagir, agir, elle puisse, suite Merci. justement à la relation, elles puissent vraiment faire quelque chose. Je veux dire par là que quand on dit, par exemple, que les politiques sociales, c'est de la cistana, c'est une mauvaise compréhension des politiques sociales. Parce qu'une politique sociale, c'est une politique qui permet de faire revenir dans le jeu les individus. Et comment on revient dans le jeu, on revient dans le jeu si on se sent sollicité c'est ça que je pense que le terme c'est ça, c'est si on se sent sollicité et quand on se sent Quand on se sent sollicité, on va soi-même pouvoir en quelque sorte agir à nouveau. On va pouvoir peut-être, alors qu'on n'a plus de travail, trouver tout d'un coup sur les annonces qui vont pouvoir coller. On va pouvoir recréer des liens qu'on n'avait plus du tout. alors qu'on dort à la rue on va pouvoir se dire que retrouver un lieu où on fait son lit, etc., dans un endroit fermé, une pièce à soi, en fait, c'est retrouver de la motivation, mais c'est aussi considérer la liberté des individus. C'est-à-dire que celui dont on prend soin, celui ou celle dont on prend soin, c'est un individu avec sa liberté. Et donc, avec sa liberté, de pouvoir revenir vers un accomplissement, de pouvoir revenir vers une activité, de pouvoir revenir aussi vers ses rêves et de pouvoir justement faire quelque chose de ses rêves. J'avais en tête au moment de la crise d'accueil des migrants en Europe ce jeune Syrien qui était passé par l'Allemagne, qui s'est retrouvé en fait en Suède et qui n'aurait vécu d'une chose, c'est de devenir cuisinier. En fait, ce rêve de devenir cuisinier, si on arrive dans un pays où précisément des politiques de prendre soin, c'est-à-dire d'accueil, peuvent se déployer, peut-être que justement, il va pouvoir devenir cuisinier, parce que peut-être que justement, il va pouvoir déployer ses capacités.
- Speaker #2
L'incapacitement, le pouvoir d'agir, l'autodétermination, ce ne sont pas tout à fait les mêmes mots, ce ne sont pas tout à fait les mêmes choses. Moi, je viens à la base d'un secteur, le handicap, où on a beaucoup travaillé sur l'autodétermination parce que les personnes en situation de handicap, considérées comme vulnérables, pendant des dizaines d'années, ce qui était demandé aux professionnels, c'était de les protéger, les entourer de ouate, de coton pour pas qu'ils s'abîment. Ça allait loin. Donc, on leur disait non à tout dès qu'il y avait un risque. Voilà, conduire, ça prend un risque, donc pas de permis. Tomber amoureux, on se fait mal quand on tombe amoureux, donc surtout pas de relation. affectives et encore moins sexuelles, etc. Et du coup, effectivement, il manquait le style de la vie et du coup, ça avait des effets très délétères sur leur santé. Il y a des études qui l'ont montré. Donc là, on n'est pas tout à fait sur le même sujet, sur le sujet de la précarité, mais quand même, moi, je suis très touché par ce que dit Fabienne sur le fait qu'il faut laisser les gens avoir leurs rêves. On est quand même sur le même sujet parce que c'est ça qui fait avancer dans la vie. Moi, je suis très attaché aussi au concept de travail. Je pense que le travail, ça reste un élément extrêmement important en termes de fierté, d'incapacitation. Ce n'est pas simple pour une personne précaire d'arriver au travail. Donc oui, il faut l'accompagner. Je vais chercher la définition des lumières de l'encyclopédie de Diderot sur le travail. Je vous la livre. C'est l'occupation journalière à laquelle l'homme est condamné par son besoin. C'est pas très gay pour l'instant, on est condamné par son besoin. Et à laquelle il doit en même temps sa santé. C'est la première chose qu'il racontait, c'est pas inintéressant. Donc, occupation journalière à laquelle l'homme est condamné par son besoin, à laquelle il doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens. Il nous parlait presque de santé mentale, là. Sa vertu peut-être. C'est rigolo, dans une définition, il y a même le doute. Il y a travail et travail. Keynes disait qu'on ne peut pas comparer tous les travails. Je pense que c'est sûr que quelqu'un qui travaille dans le BTP, qui pose le carrelage, quand il s'arrête de travailler, j'imagine que sa santé va mieux. Après, tous les travails n'ont pas ce degré de pénibilité. Mais n'empêche que j'ai recherché un petit peu sur Google, tout simplement, s'il y avait des études sur travail et santé. Alors je suis tombé au contraire de ce que nous disait Diderot. que sur des questions de risques psychosociaux, de souffrance au travail, des choses très négatives. Des conseils de travailler si vous allez sur Google. Donc j'ai tapé chômage et santé pour voir s'il y avait d'autres choses. Et effectivement, j'ai trouvé Lirdez qui a sorti cette étude qui disait qu'il y avait des effets qui étaient réciproques, parce que des fois on est au chômage parce qu'on est en mauvaise santé, mais des fois on est en mauvaise santé parce qu'on est au chômage. Les statisticiens ont fait leur travail et ils considèrent quand même que le chômage... a des effets très délétères sur la santé, aussi en termes de valorisation de soi, puisque ça reste très important, et qu'il considère clairement qu'il y a 14 000 décès par an en France causés par le chômage. Donc le fait d'avoir une activité, une activité qui valorise, ce n'est pas forcément le travail, ça peut être un travail bénévole, ça peut être d'autres activités, en tout cas avoir une occupation saine. Et avec Fabienne, quand on a préparé, on a échangé, on a assez découvert, pas une passion, moi j'ai beaucoup moins lu qu'elle, mais on aime beaucoup un psychosocialiste du travail qui s'appelle Yves Clot, qui a beaucoup travaillé sur le sujet. et sur l'occupation saine. Yves Collot nous dit à plusieurs reprises qu'il y a un lien très direct, et qu'il le prouve dans ses bouquins, entre le bien-être et le bien-travailler. Le bien-travailler, c'est être bien. Et c'est quoi le bien-travailler ? Justement, c'est avoir une capacité d'action dans son travail, c'est pouvoir échanger, pouvoir s'engueuler un peu. Il parle de controverses positives. voilà Et effectivement, il s'oppose à ce qu'on appelle le traitement compassionnel des difficultés de travail. La compassion, ça n'aide pas. Ce qui aide, c'est dire les choses, les poser, échanger, s'engueuler, tout ça. Donc, le travail peut faire du bien également s'il est bien fait.
- Speaker #0
Pour aller un petit peu plus loin sur cette question du travail, je pense moi aussi qu'elle est essentielle. Elle est essentielle d'autant plus qu'avec ce qui nous arrive, l'intelligence artificielle, il va quand même falloir repenser notre rapport au travail. Parce qu'il y a des métiers qui vont disparaître, qui vont changer de nature et on risque des formes de déshumanisation. Et chez Yves Clon, il y a quelque chose que j'avais beaucoup aimé dans son analyse du travail, c'est qu'à un moment, il repart du moment où les conducteurs de... de métro, de train, sont passés d'une conduite manuelle à une conduite automatique. Et il explique que dans la conduite manuelle, ils avaient une forme de capacité d'invention, en tout cas d'écart par rapport à la norme. Ils pouvaient subjectiviser leur conduite. Alors que précisément, au moment où on passe à la conduite automatique, justement Il y a au départ plus cette possibilité-là. Et donc, il y a une perte de bien-être dans le rapport au travail. Et l'idée de Clos, c'est de dire qu'il faut toujours pouvoir s'investir subjectivement dans son travail. Pour avoir de la satisfaction, il faut pouvoir se l'approprier. Il faut pouvoir, en quelque sorte, en faire son affaire.
- Speaker #2
Encore sur Yves Clos. Je crois qu'il était très critique sur tout ce qui était tarification dans le secteur du soin. Tout ce qui était tarification à l'acte et protocolisation, ça coupe le débat, ça coupe les engueulades. Il n'y a plus besoin de s'engueuler, il y a la procédure. Donc voilà, ça peut aussi mettre en résonance avec la crise qu'on traverse aussi sur le secteur du soin.
- Speaker #1
On vous remercie. On va passer à la deuxième phase de cette soirée. On vous propose, Guillaume et Fabienne, de faire un petit rapport d'étonnement de la soirée, avant qu'Antoine Bach fasse lui-même un petit rapport d'étonnement pour conclure cette soirée. Un mot de conclusion, plutôt.
- Speaker #0
Peut-être commencer par cette question dans tout ce qui a été dit de l'éducation. Parce qu'en fait, je trouve que l'éducation, on en parle de moins en moins, comme un facteur de transformation. On en parle de plus en plus à travers les structures existantes, l'éducation nationale, l'enseignement privé, l'enseignement public, mais on parle de moins en moins, je trouve, de ce qu'on pourrait transformer dans nos manières d'enseigner. pour que précisément les élèves ne soient pas seulement des élèves, mais qu'ils soient aussi des citoyens, et qu'ils construisent justement une capacité à être attentifs aux autres, à être attentifs à la planète, mais être attentifs d'ailleurs aussi à eux-mêmes, mais en un sens positif, au sens de se soucier de soi. Et donc, je trouve que c'était bien que cette question de l'éducation, elle surgisse. Moi, j'aimerais revenir sur la question des machines. Parce que c'est vrai qu'il y a un certain nombre de pays, en particulier en Asie, où se développent déjà beaucoup ce qu'on appelle des robots affectifs. Alors justement, ce qui se développe surtout, c'est des robots affectifs. C'est-à-dire ? des robots qui vont apporter de l'affection, qui vont être là quand on est seul. Mais vous, ce qu'il y a d'intéressant dans ce que vous dites, mais je pense qu'on ne va pas du tout dans ce sens-là, c'est qu'effectivement, ça serait la question d'un bon usage des nouvelles technologies, d'un bon usage des robots, de l'intelligence artificielle, du fait que justement, ça pourrait nous libérer pour être plus humain et pour passer plus de temps, quand on est soignant, dans ce qui est proprement relationnel. Ça, c'est bien, mais je pense que, globalement, nos gouvernants ne réfléchissent pas du tout de cette manière-là. Donc, ça va être très, très dur. La question du bon usage des machines, c'est toujours quelque chose de très, très compliqué. Donc oui, ce serait bien, ça serait une belle vision de l'avenir, que les machines, pour faire vite, soient enfin libératrices, qu'elles nous aident à constituer des liens qui libèrent. Sinon, j'ai bien aimé l'idée aussi du climat de soins, parce que le climat de soins, c'est difficile à décréter, difficile d'en faire réellement l'objet de politique. Et pourtant, c'est quelque chose qui existe ou qui n'existe pas. Et ça peut tenir dans des lieux. À mon avis, pour qu'il y ait un climat de soins dans un lieu, il faut à la fois qu'il y ait des choses très formelles, mais il faut aussi qu'il y ait une place pour l'informel. Il faut que précisément, il y ait des gestes. qui n'est pas totalement été prévu, calculé, des gestes d'entraide, des sourires, des rires. Enfin bref, le climat de soins, c'est intéressant parce que ça fait appel au fait que dans le prendre soin, il y a aussi des choses qui relèvent d'un climat, c'est-à-dire de quelque chose qu'on ne peut pas totalement identifier, qu'on ne peut pas totalement fixer et qui en même temps est comme un antre, E-N. T-R-E, qui passe entre les individus. Quel autre étonnement ? Vous dire quand même, ça c'est mon étonnement quotidien, qu'on est quand même très très loin d'une société du care, ou d'une société du prendre soin, que souvent on en est de plus en plus loin quand on voit comment les choses se passent mondialement, et qu'en même temps, beaucoup de choses sont quand même en notre pouvoir et en notre puissance. et qu'on peut aussi fabriquer à notre niveau des politiques publiques qui soient des politiques du prendre soin.
- Speaker #2
En vous écoutant, je pensais à Olivier Hamon. Je ne sais pas si il y en a qui sont venus le voir un soir, le soir qu'il est passé ici. Il vous a parlé de robustesse. Moi, je n'étais pas là, mais je l'ai déjà écouté. Et j'ai pensé à lui parce qu'il vous a peut-être parlé un peu des marges dans le vivant. c'est les marches qui donnent la direction. Moi, quand j'avais écouté, il avait parlé de ça. Les bancs de poissons ou les vols des tourneaux, c'est les oiseaux ou les poissons qui sont sur la marche qui donnent la direction. Je pensais à ça parce que ce qui s'est passé ce soir, j'espère qu'on fait un peu la marge et qu'on va donner un peu la direction de d'où va aller l'ensemble du banc d'humains de cette ville demain. J'espère qu'on fait marge. Et puis, si jamais on ne le fait pas, on peut faire colibri. C'est-à-dire, chacun amène sa petite goutte d'eau pour éteindre l'incendie. Peut-être qu'on y arrivera. Voilà, merci à vous. Antoine ?
- Speaker #3
Entre rapport d'étonnement et conclusion, je ne sais pas que choisir. Je ferai plutôt un étonnement conclusif. J'ai été étonné d'une certaine similitude dans le vocabulaire qui a été beaucoup employé dans le domaine du soin avec le domaine de la gestion des risques. On a parlé de vulnérabilité, d'aléas. On aurait pu parler aussi de fonctions euphoriques. C'est tout ce qui nous porte, c'est toutes les fonctions qui nous portent en tant qu'individu et en tant que société. L'injonction à l'autonomie qui fait aussi écho à l'injonction à la résilience qui a été où le néolibéralisme a beaucoup pénétré cette notion-là. Et donc, il y a aussi une autodéfense à faire vis-à-vis de cela, une autodéfense sémantique et dans les pratiques. Donc voilà, c'était cet étonnement et j'ai trouvé ça très intéressant. Je vais processer ça pas mal. Je vous tiens vraiment à vous remercier, Fabienne Brugère et Guillaume Pelletier, pour ce dialogue entre théorie, éthique et pratique. En fait, cette articulation, cette praxis peut-être, c'est pour sortir des jolis mots, vous voyez. Cette praxis du soin fait qu'il y a une théorie qui s'affiche sur la pratique, une pratique qui se nourrit de la théorie. Et je tenais aussi beaucoup à vous remercier toutes et tous d'avoir choisi cette soirée, plutôt que les rencontres aussi des montagnes, qui sont vachement bien, c'est sûr, mais merci d'avoir venu ici. Et à partir de vos réflexions, parce qu'on a passé un très agréable moment ici, un peu frais, certes, mais très agréable. Et tout ce que vous avez produit, les techniciennes et techniciens de la ville et du Centre Communal d'Action Sociale. vont aussi les processer. Parce que quand on pense le futur, ça nous aide à prendre soin du présent. Et c'est vraiment cela qui est important. C'est des premières pistes. Et tout ça, c'est du matériau qui va nous servir pour travailler au sein des services de la ville et du Centre communal d'action sociale. Et vous nous avez aidé aussi à penser en dehors de la boîte. Et ça, c'est quand même très utile. Ça nous permettra aussi de construire jour après jour une ville qui prend soin. Merci à toutes et tous. Très bonne soirée. Très bonne fin de soirée. A très bientôt.
- Speaker #4
Les nouveaux chemins du futur. Une série de rencontres proposées par Grenoble 2040 afin de se questionner et imaginer des alternatives inspirantes. Construire de nouveaux récits collectifs pour se préparer au monde de demain. Ici, maintenant, ensemble, plantons les graines d'un futur collectif juste et désirable.