- Speaker #0
Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expérience aux projets qu'elle soutient. Alors aujourd'hui nous sommes avec Lucille Vigouroux pour parler de transition écologique sur un territoire très jeune où le taux de pauvreté est élevé. Je vous emmène dans le quartier nord de Bondy, dans le département de Seine-Saint-Denis, où il y a très peu d'espace vert mais où l'on trouve quand même une parcelle de 5 hectares qui sert de zone expérimentale. Et c'est ici que l'association Lab3S aménage depuis 5 ans un tiers lieu agroécologique dédié à la transition alimentaire. Bonjour Lucille Vigouroux.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors vous êtes chargée de projet au Lab3S. En quelques mots d'abord, est-ce que vous pouvez nous parler de votre association et nous dire pourquoi il y a 3S dans Lab3S ?
- Speaker #1
Oui bien sûr. Alors le Lab3S, les 3S c'est pour sol, savoir et saveur. L'association, elle construit des projets de recherche-action et d'expérimentation autour des thématiques de l'environnement, de l'écologie en milieu urbain. puisqu'on est abondi, qui est très urbanisé, et également autour de l'alimentation et l'accessibilité à l'alimentation. Donc, parmi les expérimentations qu'on a, il y a le sol, les saveurs, le lien avec l'alimentation, et le dernier qui est savoir, c'est puisque on mène des expérimentations, on valorise la construction de connaissances et le partage des connaissances existantes aussi entre les différents acteurs avec lesquels on travaille, à savoir l'écosystème de la recherche. les acteurs de l'économie sociale et solidaire et également les collectivités.
- Speaker #0
Alors, l'Aptroise, c'est un laboratoire, vous expérimentez et vous avez lancé un projet qui s'appelle Du potager à la marmite à Bondy Nord. Est-ce que vous pouvez nous raconter pourquoi vous avez choisi ce territoire et pourquoi ce projet-là ?
- Speaker #1
Parce qu'on est implanté sur ce territoire, qu'on voulait mener un projet de terrain auprès des habitants et des acteurs de la ville et du quartier. Le quartier Nord de Bondy, c'est un quartier prioritaire de la ville. On est sur une des communes qui a été classée comme les plus denses et ayant le plus de risques de précarité alimentaire par une étude récente de l'ANSA et du CREDOC. On est aussi sur un taux de pauvreté sur la ville de Bondy qui est de 31%. Et on est aussi sur une des troisième villes les plus peuplées d'Est Ensemble.
- Speaker #0
Donc ça veut dire beaucoup de difficultés sociales, problèmes de revenus.
- Speaker #1
beaucoup de risques de précarité alimentaire et de situations effectives de précarité alimentaire. Et pour revenir un petit peu à l'historique du potager à la marmite, c'est un projet qui a été co-construit avec la chaire agriculture urbaine d'Agro-Paris Tech, qui depuis déjà 2018 s'intéressait aux cuisines collectives et travaillait sur le lien entre cuisine collective et autoproduction, via notamment des jardins partagés. pour favoriser la lutte contre la précarité alimentaire et l'accessibilité à une alimentation choisie, saine et durable. Et de tout ça a émergé du coup le projet du potage de la marmite.
- Speaker #0
Alors, qu'est-ce que vous voulez démontrer avec ce projet-là ?
- Speaker #1
Une fois qu'on a expliqué le contexte, l'idée c'était de tester la mise en place de cuisine collective, de cuisine partagée je vais plutôt dire, ce sera moins confusant. C'est un concept qui nous vient du Pérou et du Canada. du Québec. C'est des espaces de cuisine qui sont mis à disposition des habitants. Les habitants se réunissent, s'organisent en groupe, font des courses ensemble, cuisinent ensemble. Donc ça crée du lien social en premier temps et le coût de la portion revient à un prix plus intéressant.
- Speaker #0
Elle ressemble à quoi cette cuisine ? C'est plutôt une cuisine familiale ? C'est plutôt la cuisine d'une école, une cantine de restauration collective ?
- Speaker #1
Alors nous dans notre cas, on a travaillé avec des acteurs qui étaient déjà implantés sur Bondy. Donc les cuisines qu'on a utilisées sont celles de la Marmite, l'association La Marmite. Celle de la maison de quartier. Et en fait, au fur et à mesure du projet, puisque c'est un projet qui s'est étalé sur deux années, on ne l'a pas précisé tout à l'heure, on a improvisé une nouvelle cuisine. Ça, c'est venu vraiment à l'initiative des habitants et des participantes. Mais à côté du jardin du Lab 3S, on a une grande pièce qu'on a aménagée petit à petit, qu'on utilise pour stocker du matériel et qu'on a aussi utilisée pour cuisiner. On est allé acheter des plaques, du matériel de cuisine et on s'est installé là.
- Speaker #0
Bon, alors racontez-nous comment vous partagez cette cuisine. Est-ce que c'est du partage de temps ? Est-ce que c'est du partage d'espace dans la cuisine ?
- Speaker #1
Alors, on est du potager à la marmite. L'idée, c'est de cultiver, donc de produire au sein du jardin les légumes qu'on va ensuite cuisiner, transformer ensemble. Donc, on a fait ce programme sous forme d'atelier. On avait des temps en jardin, des temps en cuisine. Les cuisines, on a réservé des créneaux avec nos partenaires et on a amené des groupes.
- Speaker #0
Et alors, puisque vous parlez du jardin, qu'est-ce qui produit votre jardin ? Quelle quantité de légumes et pour combien de familles ?
- Speaker #1
Tout ce qui est semé au jardin est décidé avec les bénévoles qui viennent régulièrement. Notre jardin est ouvert deux après-midi par semaine. On fait tout pousser en suivant les techniques de l'agroécologie, donc aucun intrant chimique. Et on va avoir des choses assez classiques, comme des carottes, pommes de terre, des poireaux, des fraises. Et je ne vais peut-être pas tout vous énumérer, mais on a aussi des productions plus originales, on va dire, comme du gombo, on fait de la patate douce aussi, on a fait des bread mafan.
- Speaker #0
Et alors si on arrive à la cuisine, qu'est-ce qu'on prépare comme type de plat et pour combien de personnes ?
- Speaker #1
Les plats, ils sont vraiment proposés par les habitantes et par les participantes. Je parle féminin parce qu'on est sur de la cuisine et on a quand même principalement des femmes.
- Speaker #0
Principalement ou exclusivement ?
- Speaker #1
La première année, on a eu quelques hommes, la deuxième année, exclusivement des femmes. Elles proposent des plats, on les cuisine ensemble. Et l'idée, c'était de partir du panier de ce qu'on avait récolté au jardin et de proposer des recettes.
- Speaker #0
Alors, vous avez donc conduit cette expérimentation. Est-ce que vous pouvez nous dire quelles ont été les principales étapes de sa mise en place ?
- Speaker #1
On a co-construit la première année avec les partenaires de terrain, les acteurs du quartier. Il y a eu une phase ensuite de mobilisation. On est allé parler auprès des habitants du quartier de ce projet-là. Et puis on a lancé les ateliers. Petit à petit, ça c'était pendant la première année, au fur et à mesure des ateliers, on a invité certains participants à des réunions avec les partenaires acteurs. Et puis on a eu un bilan en fin de première année, où là on a invité autant de participants qui souhaitaient venir à cette réunion de bilan. Et là ils ont vraiment pris la parole, on a quelques personnes, en tout cas il y a quelques personnalités qui sont ressorties, qui ont vraiment pris la parole et qu'on a pu impliquer au début de la seconde année. dans une nouvelle phase de co-construction. Ça a vraiment été un projet qui a évolué tout au long des deux années.
- Speaker #0
Et comment vous faites pour les mobiliser, pour les convaincre ? Parce qu'en fait, on peut lancer des appels, mais les gens peuvent rester sourds à vos appels.
- Speaker #1
Tout à fait. C'est la grande difficulté de ces projets qui sont initiés par des acteurs qui ne vivent pas au quotidien dans le quartier. On s'est lancé. On a mobilisé via les partenaires. sont des partenaires assez historiques et qui sont implantés depuis longtemps dans le quartier. Ça, ça nous a aidés. Petit à petit aussi, les personnes qui participaient, qui ont pris un petit peu plus de place, notamment parce qu'on les a impliquées dans des temps de co-construction, qui ont compris aussi l'énergie dans laquelle on était et la volonté de co-construire, de donner de la place, la parole et aussi dans les décisions de leur donner de la place, ont été assez fédérateurs et ont ramené de nouveaux participants et de nouvelles participantes plutôt. Parce que on a notamment Radija qui est très très motrice au sein de la ville de Bondy, qui a une page Facebook qui s'appelle Bondy ma ville, qui est extrêmement suivie, qui a relayé toutes nos communications, qui nous a fait une pub d'enfer, et qui des fois en venant au jardin a vu des mamans qui étaient sur la place, et leur a dit, ah venez, vous faites quoi cet après-midi, vous traînez là, ben venez avec moi, on va au jardin.
- Speaker #0
C'est une super ambassadrice.
- Speaker #1
Absolument. C'est aussi un des enseignements du projet, se reposer sur des personnes moteurs et ambassadeurs comme ça.
- Speaker #0
Alors qu'est-ce que vous retenez de ce travail collaboratif et comment cette collaboration a permis de faire évoluer votre projet ?
- Speaker #1
Pour les habitants, la seconde année par exemple, avant même de commencer de parler du potage à la marmite, de commencer les ateliers, on a organisé des visites du jardin et un goûter convivial. Et pendant ce temps de goûter, après avoir fait tout le tour du jardin, avoir déjà créé une dynamique, un intérêt, une curiosité, on se posait autour de la table, on prenait un thé, un café, des petits gâteaux, et là, on se mettait à parler. Et du coup, ça nous a permis de faire ressortir des thèmes d'atelier, et c'est des thèmes qui ont été ensuite appliqués durant les ateliers de cuisine notamment. Comment est-ce qu'on peut faire une assiette équilibrée, mais plus végétale ? Comment est-ce qu'on peut faire des recettes dites fast-food qui font plaisir aux enfants, puisqu'on avait beaucoup de mamans, mais un peu fait maison ?
- Speaker #0
Alors au départ vous aviez des objectifs, au final vous avez des résultats. Est-ce qu'il y a une différence entre vos objectifs et les résultats ?
- Speaker #1
Oui, oui, oui, je pense que c'est obligatoire dans tout projet, en tout cas de co-construction et dans lequel on vise à impliquer les habitants. Au départ, l'idée c'était vraiment d'avoir au bout de deux ans des groupes totalement autonomes qui se constituent, qui fassent leurs courses ensemble et qui se partagent les espaces de cuisine, qui réservent des créneaux. auprès de la cuisine de la maison de quartier par exemple, c'était un petit peu ambitieux ou un petit peu utopiste. Ça n'a pas marché comme ça, c'est quelque chose qui prend beaucoup plus de temps et qui nécessite de développer l'idée avec les habitants. Il faut que l'idée vienne d'eux.
- Speaker #0
Vous ne dites pas que ça ne marche pas, vous dites que ça prend du temps.
- Speaker #1
Ça prend du temps, mais il faut vraiment avoir l'implication des habitants dès le début. Ça c'est un des premiers écarts en termes d'objectifs. On a fait un gros travail aussi à un moment donné entre la première et la seconde année. On a réinterrogé nos objectifs. Nous, c'était vraiment pauvreté, précarité alimentaire, mettre un dispositif en place qui permette de lutter contre la précarité alimentaire.
- Speaker #0
Et là, vous avez été surpris ?
- Speaker #1
Et là, on a été surpris parce que les premiers éléments, enfin ceux qui ressortirent le plus fort, c'est la convivialité et le partage de connaissances et de savoirs. Et du coup, toute la seconde année, on a vraiment réaxé notre manière de communiquer autour de cette envie-là, en tout cas.
- Speaker #0
Et en fait, vous aviez un regard biaisé. La problématique première, ce n'était pas celle du pouvoir d'achat. Si d'autres acteurs voulaient répliquer ce type de projet, quels conseils vous leur donneriez ?
- Speaker #1
Déjà, avoir la plus grande proximité possible entre la zone de production, le jardin, et la cuisine. La cuisine de la marmite et de la maison de quartier était vraiment à 5 minutes à pied, donc c'est à côté. Pour autant, c'était un frein, les comportements changeaient, on revenait dans un espace plus urbanisé. Idéalement, si on est à proximité du jardin, on garde vraiment ce lien très direct et très fort. Deuxième enseignement, anticiper le temps de co-construction avec les habitants et les impliquer dès le début. Mais je pense qu'il y a un... Un travail à faire du côté des associations et des structures de l'ESS à aller justifier cette nécessité d'avoir ce temps de co-construction à Monts qui nécessite aussi des financements qui doivent être financés passé du temps homme. C'est les deux plus gros enseignements.
- Speaker #0
Et aujourd'hui, Lucille Vigouroux, quelles suites ont été données à ce projet et comment vous le voyez évoluer à l'avenir ?
- Speaker #1
Alors l'objectif c'est de se diriger vers un projet de coordination de l'alimentation sur la ville de Bondy et sur le quartier nord de Bondy. Je vais illustrer un petit peu pour que les auditeurs puissent se rendre compte, mais ça pourrait être des groupements d'achats, des collectifs d'acheteurs, la mise en place d'une vraie cuisine partagée, qui soit vraiment accessible même les week-ends par exemple aux habitants. Ça peut être des programmations d'ateliers de cuisine, parce qu'en fait c'est ce dont les habitants vivent. La construction d'une épicerie sociale est solidaire. Mais en tout cas, utiliser une méthodologie, aller plus loin dans la co-construction avec les habitants et avoir un travail inclusif.
- Speaker #0
A beaucoup de perspectives encore. Merci beaucoup Lucille Vigorou pour vos témoignages. Merci. C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Logisiemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt.