- Frédéric Vuillod
Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Eleftérios Kechagioglou pour parler d'évitement scolaire. Qui sont ces élèves qui désertent le lycée ? Comment les intégrer dans la société quand ils décident de se mettre en marge ? Et comment construire ou reconstruire un projet avec eux ? Alors nous partons à Bagneux, dans le futur écoquartier des Maturins, où un tiers lieu des savoirs, un lycée avant le lycée, a été pensé pour les jeunes, conçu et expérimenté avec eux par une association qui s'appelle Le plus petit cirque du monde. Bonjour Eleftérios Kechagioglou.
- Eleftérios Kechagioglou
Bonjour.
- Frédéric Vuillod
Alors vous êtes le directeur du plus petit cirque du monde. Parlez-nous d'abord de votre association et dites-nous quelle est la place du cirque dans la lutte contre l'évitement scolaire.
- Eleftérios Kechagioglou
Le plus petit cirque du monde est une association créée il y a 32 ans par les habitants de la ville de Bagneux dans le but d'utiliser les arts du cirque comme un moyen d'accompagner les enfants et les jeunes à la fois dans leur insertion, dans l'inclusion et dans la mixité. Les arts du cirque sont un outil puissant parce qu'ils permettent de penser le lien entre le corps, d'abord dans le temps scolaire, la question de la mixité et la question du risque comme un moyen d'éviter les dangers. Je m'explique. Le risque... est une donnée fondamentale qui permet de le maîtriser ensemble. Et dans ces quartiers-là, où effectivement il y a beaucoup de difficultés d'insertion, beaucoup d'échecs scolaires, le fait de valoriser aussi les compétences corporelles, de travailler sur le groupe, sur la mixité, amène aussi une transformation, un accompagnement. des 16 enfants et des jeunes, en lien évidemment aussi avec le corps enseignant, les éducateurs et les associations de quartier.
- Frédéric Vuillod
Alors à Bagneux, vous avez lancé ce projet, le lycée avant le lycée. En quoi ce projet consiste-t-il ?
- Eleftérios Kechagioglou
Alors le lycée avant le lycée est un projet qui est venu pour accompagner la construction du premier lycée général et technologique de la ville de Bagneux. Bagnou est une commune de 43 000 habitants dans le sud des Hauts-de-Seine, une ville populaire avec 75% de logement social et qui n'avait pas de lycée général et technologique, ce qui était considéré comme une injustice pour les habitants. En 2018, la région de France a inscrit les crédits pour ce lycée dans son plan pluriannuel d'investissement, mais une fois que c'est inscrit, vous n'êtes pas sûr que ce lycée va vraiment se réaliser. En lien avec une démarche nationale initiée par un grand architecte et grand prix d'urbanisme, Patrick Bouchain, nous avons interrogé la ville de Bagneux et la maire de Bagneux, Madame Amiable, pour pouvoir porter un projet commun et préfigurer ces futurs lycées en s'installant d'emblée sur le terrain des futurs lycées et en travaillant sur la façon de penser, de concevoir et de faire vivre ce lycée avant sa construction. en lien avec les enfants, les jeunes et les habitants de Bagneux et des villes environnantes.
- Frédéric Vuillod
Alors pourquoi vous avez décidé de lancer ce projet ?
- Eleftérios Kechagioglou
D'abord une question d'injustice sociale et de difficulté dans les quartiers prioritaires où les enfants et les jeunes sont assez rapidement en situation d'échec scolaire et que les meilleurs élèves évitent le secteur public pour aller souvent dans les écoles privées. Cette question donc s'est posée si on construit un lycée à Bagneux. Quel lycée pouvons-nous construire ? Est-ce que ça sera un lycée d'excellence ? Dans ce cas-là, il peut exclure les jeunes qui ont moins de facilité. Ou alors, est-ce que c'est un lycée bas de gamme dans lequel il n'y aurait que les mauvais élèves ? Du coup, on a pensé qu'il fallait repenser la situation. On est aussi dans une crise plus globale de l'éducation. Aujourd'hui, l'éducation doit se transformer, comme ça a pu se faire en Finlande ou au Japon, pour faire en sorte que les élèves soient partie prenante de l'éducation. et que cette question d'inclure les pensées et les savoirs des élèves est aujourd'hui plus importante qu'on le faisait avant. On avait un lycée très vertical, le lycée français a été pensé sous Napoléon. C'est d'abord un établissement pour former les futurs cadres de l'armée et aujourd'hui on est dans une situation où le monde a changé, où les savoirs sont partout, mais les connaissances manquent. C'est pour cette raison-là qu'on a dit qu'il faut repenser les choses, penser 1. l'architecture du lycée avec des lycéens, 2. penser de nouvelles façons de... inclure l'éducation artistique et culturelle dans les cas du lycée et enfin d'introduire de nouvelles manières plus horizontales de partager ses savoirs.
- Frédéric Vuillod
Alors pour monter ce projet vous avez dû trouver des partenaires, des partenaires opérationnels, des partenaires institutionnels, des partenaires financiers. Sur qui vous êtes-vous appuyé ?
- Eleftérios Kechagioglou
Alors on s'est appuyé évidemment d'abord sur la ville de Bannu qui a été partante pour expérimenter avec nous ce projet dans les cas d'une opération nationale qui s'appelle la preuve par 7. porté par le ministère de la Transition écologique, le ministère de la Culture, la Fondation de France et l'Agence nationale pour la cohésion des territoires, avec la région Île-de-France, parce qu'on a été lauréat du remède transitoire, mais aussi avec plusieurs fondations, dont la Fondation de solidarité urbaine, la Fondation Carasso, la Fondation RATP et la Caisse des dépôts.
- Frédéric Vuillod
Et à quelles problématiques, tous ensemble, vous souhaitiez répondre sur ce territoire-là ?
- Eleftérios Kechagioglou
La problématique c'est comment accorder une maîtrise d'usage à l'enfance et à la jeunesse. Alors ça peut paraître paradoxal dans un monde technocratique de dire on va questionner, on va interroger, mais on va aussi permettre de faire à des enfants et des jeunes pour construire des meilleurs lycées, des meilleurs établissements scolaires, mais aussi une meilleure ville. Or, ça marche, ça fonctionne. La ville de Paris l'a expérimenté en incluant l'enfance et la jeunesse sur la revégétalisation des cours.... Il y a beaucoup d'autres villes comme la ville de Rennes qui expérimentent l'implication des enfants et des jeunes, y compris sur la question de construire et aménager des parcs publics. Donc cette question effectivement des données à l'enfance et la jeunesse a une capacité de faire et très importante, d'autant plus que nous sommes sur des temps de transition écologique, qu'il est difficile de réussir et un des moyens de la réussir évidemment c'est d'impliquer l'enfance et la jeunesse, c'est-à-dire les futurs citoyens qui vont être le plus impliqués, le plus impactés par cette catastrophe écologique que nous traversons.
- Frédéric Vuillod
Donc ce que vous êtes en train de dire, c'est que les meilleurs experts d'un projet de territoire, finalement, ce ne sont pas forcément les experts sachants, mais ce sont les gens qui vivent le territoire, et cela à tous les âges.
- Eleftérios Kechagioglou
Tout à fait, parce que l'enfant, le jeune, les habitants ont évidemment ce qu'on dit une maîtrise d'usage, ils connaissent bien leurs besoins. Par exemple, les jeunes filles dans le primaire ont beaucoup exprimé l'envie de ne pas avoir une cour goudronnée où il n'y avait que les garçons qui pouvaient jouer au foot. mais avoir des endroits plus végétalisés avec plus de cheminement et dans lesquels effectivement il y avait aussi une plus grande mixité de genres du coup des possibilités d'activité et ça a transformé justement le rapport aussi filles et garçons tout est lié et je pense qu'effectivement ces erreurs qui étaient l'erreur un peu de l'échelle industrielle parce que on a reconstruit énormément de choses et on a traversé des périodes très difficiles sur l'après guerre donc c'est des erreurs c'est pas des fautes Il a fallu aujourd'hui les repenser. Et aujourd'hui, nous avons une enfance et une jeunesse et qui a aussi une capacité de comprendre très rapide. Donc, c'est aussi à elles qu'on doit s'adresser.
- Frédéric Vuillod
Alors concrètement, comment vous vous y êtes pris pour mener cette expérimentation et quelles ont été les différentes actions que vous avez menées sur le terrain ?
- Eleftérios Kechagioglou
Alors, nous avons choisi trois grands axes d'action. Le premier axe qui est autour de la question de l'architecture, de la construction et de l'urbanisme. Nous avons choisi plusieurs établissements, notamment quatre lycées professionnels qui travaillent avec nous. Donc des collectifs d'architectes, des designers urbanistes interviennent auprès de ces lycéens pour déjà chercher et introduire des changements positifs dans leur établissement, améliorer une classe, créer un espace de convivialité, repenser leurs cours. Mais du coup proposer aussi comment est-ce qu'on pourrait penser un futur lycée comme le lycée de Bagneux et parfois... construire des prototypes qui peuvent s'installer sur notre terrain. À Bagneux, nous avons fait appel par des collectifs d'architectes et designers urbains qui sont venus construire de façon 100% écologique, avec du réemploi, et faire des prototypes en partant de containers qui allaient être jetés pour construire des salles de réunion, des salles de classe, des salles d'activité. Le deuxième axe, c'est un axe justement, comment est-ce que l'éducation artistique culturelle, le cirque, la danse, la vidéo, peuvent permettre à ces jeunes, de s'exprimer, d'exprimer leurs envies. On a fait une vidéo avec un grand vidéaste qui s'appelle Yves Rien, un ex sur mon futur lycée. Comment est-ce que chaque jeune voit le lycée idéal ? Mais on a fait aussi un travail autour du corps. Comment est-ce que le corps du lycéen est contraint dans les espaces actuels, ou de la lycéenne évidemment, et comment est-ce qu'on peut repenser ces espaces de circulation ? Et le troisième volet, c'est un volet de partenariat avec beaucoup d'autres expérimentations. Par exemple, L'école dehors, comment est-ce qu'on repense l'éducation en marchant, en visitant des espaces, en étant ouvert sur son territoire ?
- Frédéric Vuillod
Et alors quels enseignements vous tirez de cette expérimentation ?
- Eleftérios Kechagioglou
D'abord que ce sont des expérimentations qui transforment les rapports au niveau de l'école. Et ça on le voit, ce sont les enseignants et les élèves qui en ont parlé, puisque tout le monde se met à ce qu'on appelle le mode projet. travailler ensemble sur une question des partages de savoirs, sur une question aussi où on laisse aux élèves l'initiative de la conception et on les accompagne pour que leurs savoirs ne soient pas des savoirs vides, mais des savoirs dans lesquels on leur permet de construire. Ce qui finalement se rapproche de l'enseignement de l'architecture en France, où quand vous êtes à l'école d'architecture, vous avez cet avantage-là, l'enseignant de l'architecture est au service de votre projet et pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas se faire aussi en lycée professionnel. Deuxième enseignement, c'est qu'effectivement... Dès qu'on transforme le rapport de l'enseignement entre les maîtres et les élèves, on crée des systèmes plus horizontaux, les jeunes se relèvent beaucoup plus motivés. Ils ont beaucoup plus envie de faire. Et évidemment, on peut aussi acquérir des savoirs différents. Par exemple, ils ont travaillé avec un artiste de cirque pour construire des bancs, mais ils ont aussi à prendre un manier et des couteaux pour construire des makis et des sushis. Donc c'était une autre façon de dire finalement dans le... processus d'apprendre des savoirs, il y a aussi plusieurs niveaux de savoirs et on peut aussi apprendre autre chose que les savoirs classiques. Et un troisième niveau c'est effectivement le fait qu'aujourd'hui il y a beaucoup de partenaires, de personnes qui commencent à être aussi intéressés par ces sujets là, nous ne sommes pas les seuls. En tout cas il y a un réel besoin, une réelle envie aujourd'hui d'aller plus loin et de chercher ces solutions qui nous permettront, on l'espère, de repenser l'éducation dans notre pays.
- Frédéric Vuillod
Alors vous avez aussi mené une étude d'impact en 2022. Qu'est-ce qu'elle a permis de mettre en lumière ?
- Eleftérios Kechagioglou
Alors elle a permis de mettre en lumière le fait que ce sont des processus longs, qu'il faut aussi prendre le temps, comprendre comment les choses se mettent en place, que la co-construction du projet avec les enseignants et avec les jeunes permet effectivement sur ces temps longs de trouver les endroits d'amélioration. que l'implication des jeunes ne peut se passer aussi que par ce biais-là, sur le temps long, et sur un savant mélange entre le temps scolaire et le temps périscolaire, puisque si vous impliquez des jeunes sur le temps scolaire, vous avez beaucoup plus de chances qu'ils viennent de leur propre gré après, et l'inverse étant plus difficile, parce qu'effectivement, si on n'a pas connu ça dans son système éducatif, c'est beaucoup plus difficile de venir de son propre gré. sur une démarche qui parlait un peu étonnante. Alors, est-ce que je dois vraiment participer à la construction d'un futur lycée ?
- Frédéric Vuillod
Alors, quand vous racontez, on imagine les interactions avec les jeunes, les élèves, mais aussi les parties prenantes autour. Est-ce que vous avez des exemples ou des témoignages qui vous ont marqués et que vous pourriez partager avec nous ?
- Eleftérios Kechagioglou
Oui, tout à fait. On a eu un groupe d'élèves dans un lycée professionnel à Bagneux qui travaillait sur la question des panneaux photovoltaïques. Il y a un artiste qui est intervenu avec eux, Philippe Villas-Boas, et il y avait des idées très diverses et variées, et le principe c'était à la fin, les élèves votaient et réalisaient leurs idées. Donc ils ont voté et ils ont réalisé une salle de musique, justement électrifiée par des panneaux photovoltaïques, pour que les jeunes enregistrent ou écoutent de la musique, et ça c'était vraiment quelque chose d'assez exceptionnel, qui a très bien réussi.
- Frédéric Vuillod
Alors quel est l'avenir aujourd'hui de ce projet ? Quelle trace doit-il laisser lorsque le lycée aura vu le jour et qu'il accueillera véritablement des élèves ?
- Eleftérios Kechagioglou
Alors nous allons entrer en phase de construction réelle de ce lycée parce que les crédits définitifs ont été votés. Il y a le concours de maîtrise d'oeuvre qui a été lancé donc il y aura bientôt l'équipe qui sera choisie. Notre premier souhait évidemment ça sera d'être en collaboration étroite avec cette équipe de maîtrise d'oeuvre pour pouvoir travailler avec eux et faire en sorte que les enfants et les jeunes... De notre ville et des villes environnantes puissent travailler avec cette équipe. Évidemment, on souhaiterait que ce lycée avant le lycée devienne d'abord un lycée pendant le lycée, mais aussi un lycée après le lycée, c'est-à-dire un tiers lieu de savoir qui pourra être à côté du lycée et qui pourra accueillir à la fois les jeunes sur leur temps scolaire, pour des actions d'éducation artistique et culturelle, sur le temps entre les deux, entre deux cours, où ils peuvent venir. se reposer, discuter, échanger, écouter la musique, lire un livre, mais aussi après l'école, sur un programme sur lequel on peut repenser la question du tiers-lieu, destiner et co-gérer avec des jeunes.
- Frédéric Vuillod
Alors il faut dire aussi que le lycée avant le lycée a été choisi par le ministère de l'Éducation nationale et le conseil régional d'Île-de-France comme une démarche exemplaire, réplicable au niveau régional. Alors comment ça se traduit concrètement, cette idée de réplicabilité ? Et quel conseil vous donneriez à d'autres acteurs qui voudraient répliquer votre démarche ?
- Eleftérios Kechagioglou
Pour répliquer justement, il faut d'abord se réunir. Je pense que c'est parce que nous avons aujourd'hui d'exemples, des projets réussis, que nous transformons progressivement évidemment la façon de faire des administrations, de l'État. Ce sont des machines importantes où les transformations ne sont pas si simples. Plus on va avancer... plus on va avoir d'exemples, des réussites, plus ça sera simple et plus ça sera peut-être inscrit, c'est ce qu'on espère dans la loi, que l'implication des territoires des enfants et des jeunes dans la construction mais aussi dans la rénovation des équipements scolaires doit être une obligation et qu'on doit trouver des moyens de le faire.
- Frédéric Vuillod
Merci beaucoup, Eleftérios Kechaglioglou.
- Eleftérios Kechagioglou
Merci à vous.
- Frédéric Vuillod
C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des solidarités urbaines fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP et Logisiemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt.