undefined cover
undefined cover
Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité cover
Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité cover
Ville Solidaire, Ville Durable - Le podcast de la Fondation des solidarités urbaines

Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité

Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité

19min |27/05/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité cover
Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité cover
Ville Solidaire, Ville Durable - Le podcast de la Fondation des solidarités urbaines

Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité

Episode 2 - Nicolas Bonlieu et Noemi Stella nous parlent de l'accompagnement des jeunes LGBTQI+ en situation de précarité

19min |27/05/2024
Play

Description

Nicolas Bonlieu, administrateur de l’association Basiliade et Noemi Stella, docteure en sociologie, dévoilent au micro du journaliste Frédéric Vuillod les résultats du projet “L’Escale”, soutenu par la Fondation des solidarités urbaines à l’occasion de son premier appel à projets qui avait pour thème “Lutter contre l’isolement des personnes fragiles”. 


Ensemble, ils racontent comment ils ont mené un travail de recherche-action pour répondre aux problématiques rencontrées par les jeunes LGBTQI+ en situation de précarité, notamment en matière de logement. Au-delà d’un accompagnement global, ce projet a mené à la création d’une douzaine de colocations dans Paris, dans un environnement stable et sécurisant, point de départ vers l’autonomie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Nicolas Bonlieu, administrateur de l'association Basiliade, et avec Noémie Stella, qui est docteur en sociologie. Et ensemble, on va parler à la fois de lutte contre l'isolement, d'hébergement de personnes fragiles ou exilées, mais on va aussi parler de suivi médical et psychologique. Nicolas Bonlieu, bonjour d'abord.

  • Nicolas Bonlieu

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Expliquez-nous ce que fait l'association Basiliade, pour qu'on plante un petit peu le décor ensemble.

  • Nicolas Bonlieu

    Basiliade est une association issue de la lutte contre le sida, qui est née il y a 30 ans. et qui accueille, accompagne et héberge des personnes toujours en précarité et parfois malades avec un objectif qui est le retour à l'autonomie. Nous accueillons aujourd'hui environ 1000 personnes par an, dont 500 sont hébergées par Basiliade.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Sella, vous êtes donc docteur en sociologie. Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi consiste votre travail et ce que vous faites avec l'association Basiliade ?

  • Noemi Stella

    Oui, la rencontre avec l'association Basiliade s'est faite en janvier 2019. J'étais inscrite en thèse à l'ENS et à l'EHSS. Et avec l'association Basiliade, on a monté une recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Alors ça veut dire quoi une recherche-action ? Vous faites un travail de recherche et en parallèle, qu'est-ce qui se passe ?

  • Noemi Stella

    En fait, une recherche-action est une recherche en deux temps. Une première partie des diagnostics, où on va voir les problématiques des terrains rencontrés par la population ciblée. Et après, dans une deuxième phase, on va construire avec les personnes enquêtées et les collègues des Basiliades, une réponse concrète pour répondre à ces besoins identifiés dans la première phase. Donc moi, concrètement, quand en janvier 2019, j'ai intégré l'association, j'ai commencé avec un travail de terrain. Donc avec l'association Basiliade, il y a eu plusieurs associations LGBT qui ont été contactées et qui pris part à ce travail-là. Accepte Testé, Les Lesbiennes dépassent les frontières, L'Ardis, Afrique Arc-en-Ciel, les centres LGBT, etc. Il y a eu aussi des hôpitaux, il y a différents partenaires qui nous ont orientés des personnes LGBT en situation de précarité. Et... qui avait envie d'entamer cette recherche avec moi. Donc c'est une recherche longitudinale, ça veut dire que j'ai réalisé des entretiens et des observations participantes sur le long terme. Je n'ai pas vu les personnes une seule fois, je les ai vues à plusieurs reprises sur trois ans et demi pour identifier notamment les obstacles auxquels il et elle n'arrivaient pas à s'en sortir tout seul. Il y avait besoin d'un projet un peu structurel qu'on pouvait mettre en place pour répondre à ces besoins-là.

  • Frédéric Vuillod

    Donc vous êtes en train de recueillir la parole, à l'époque en tous les cas, parce que votre projet aujourd'hui est terminé, vous étiez en train de recueillir cette parole. Mais Nicolas Bonlieu, qu'est-ce qui vous a pris à l'association Basiliade de vouloir mener ce travail de recherche-action ? Qu'est-ce que vous cherchez à savoir et à propos de quel public précisément ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors, issu de la lutte contre le sida, Basiliade avait ce lien affectif avec le monde LGBT. Et notre président notamment et l'ensemble du conseil d'administration de Basiliade avaient à cœur... et d'essayer de mieux comprendre les parcours de ces jeunes adultes LGBT en précarité à Paris, ces parcours d'errance, et à partir d'une étude et d'une recherche d'expertise, en tirer des enseignements pour ensuite apporter des réponses.

  • Frédéric Vuillod

    Alors qu'est-ce que ça veut dire quand on s'appelle Basiliade et qu'on accueille une chercheuse qui vient faire un travail de terrain ? Comment se déroule le partenariat ?

  • Nicolas Bonlieu

    Le partenariat, c'est faire confiance à la chercheuse. Et donc la laisser travailler sur son travail de recherche et donc mener ses interviews, faire des points réguliers sur son avancement dans cette recherche. Et au fur et à mesure que cette recherche avance, c'est commencer à travailler et à imaginer des solutions et des réponses aux besoins exprimés par les personnes suivies.

  • Frédéric Vuillod

    Et pourquoi est-ce que vous avez voulu cibler en particulier cette population LGBTQI+.

  • Nicolas Bonlieu

    Parce qu'il nous a semblé que... ces populations avaient des critères de vulnérabilité précis qui accentuaient leur précarité. Et que donc, il était important de pouvoir les identifier pour ensuite apporter des solutions.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, vous avez donc mené de nombreux entretiens. Combien ?

  • Noemi Stella

    162 entretiens sur 48 personnes. Donc au total, il y a eu 48 enquêtés, participants et participantes à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce qui ressort de ces entretiens ? On a des tranches de vie sans doute extrêmement fortes.

  • Noemi Stella

    Oui, déjà, un premier élément, c'est que la majorité de ces personnes-là, c'est des personnes exilées. Donc, on a une majorité des personnes qui sont d'Afrique subsaharienne. Il y a aussi des personnes qui sont du Maghreb, donc Afrique du Nord, partie Asie, Bangladesh notamment. Et on a une partie aussi d'Amérique du Sud. Il n'y a que 8 Français et Françaises dans l'enquête. Donc, on parle vraiment des personnes LGBT exilées, en grande majorité. Les fils rouges, il y en a plusieurs, mais celui qui a été vraiment malheureusement transversal à tous les récits de vie a été la précarité résidentielle. Et donc la question de la précarité résidentielle des personnes LGBT est centrale parce que ça reste un point aveugle à la fois dans la recherche scientifique et à la fois d'un point de vue des terrains. Par exemple, on a tous les questionnaires des enquêtes sans domicile où on ne peut pas, par exemple, la question d'identité de genre et d'orientation sexuelle n'est pas posée, donc on ne sait pas aujourd'hui comptabiliser. combien de personnes LGBT il y a à la rue, alors que dans d'autres pays, aux États-Unis, au Canada, on a ce genre d'enquête. Donc aujourd'hui en France, on ne sait pas les spécificités des personnes LGBT à la rue ou prise en charge dans des dispositifs d'hébergement généraliste. Et donc finalement, mon travail de recherche a été de montrer qu'est-ce qui se passe pour les personnes LGBT exilées qui n'ont pas de logement personnel, qu'est-ce qui se passe quand elles arrivent à être hébergées dans des dispositifs généralistes, qu'est-ce qui se passe avec les réseaux informels. qu'ils arrivent à mobiliser, notamment la famille, les compatriotes hétérosexuels qui habitent dans la région d'Île-des-France, ou encore avec les réseaux LGBT mobilisables. Et donc, mon travail porte vraiment sur ce que ça fait d'être exilé, LGBT et en situation de précarité.

  • Frédéric Vuillod

    Pourquoi c'est important de creuser cette question-là chez ce public-là ? Parce qu'on pourrait dire, bon ben voilà, il y a des sans-abri, il faut apporter une réponse en matière de logement, qu'on soit LGBT ou pas.

  • Noemi Stella

    Ben en fait... pour les personnes LGBT exilées, on a vraiment un croisement des vulnérabilités spécifiques. Donc quand on a une personne LGBT visiblement LGBT, donc déviante en termes de genre, il y a des discriminations spécifiques à leur égard. Et donc en fait pour les personnes LGBT en errance, il y a beaucoup plus de risques d'agression quand elles n'ont pas de logement. Et aussi l'enquête VIRAGE menée par l'INED nous a montré que les personnes LGBT ont beaucoup plus de conflits intrafamiliaux que les personnes hétérosexuelles. Et donc il y a aussi beaucoup plus des ruptures familiales, des personnes qui sont mises à la porte de la part de leur famille.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, est-ce que ce public LGBTQI+, est nombreux parmi les personnes que vous accueillez chez Basiliade ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors le résultat de la recherche-action menée par Noémie nous a conduit à créer un dispositif et une maison spécifique pour accueillir ce public adulte LGBT en précarité. Donc cette maison s'appelle l'Escale, qui est donc, comme son nom l'indique, une escale dans leur parcours. et donc proposent de l'hébergement ainsi que de l'accompagnement global pour leur permettre de s'opposer et d'avancer dans leur parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Est-ce que l'adresse est secrète ?

  • Nicolas Bonlieu

    L'adresse n'est pas secrète, on a des locaux avec des espaces de convivialité et des salles de réunion rue Saint-Denis au cœur de Paris et ensuite le dispositif d'hébergement est un dispositif en diffus au travers d'une douzaine d'appartements répartis dans Paris. Donc c'est très novateur, notamment... avec un soutien de l'État via la DRIL, qui est le financeur à Paris de l'hébergement d'urgence et qui a accepté ce principe d'accompagner un centre d'hébergement d'urgence basé sur ces critères d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce que ces logements ont de particulier ?

  • Nicolas Bonlieu

    Ils ont de particulier d'être d'abord des colocations en diffus. En diffus,

  • Frédéric Vuillod

    ça veut dire un appartement par-ci, par-là, dans différents immeubles. Voilà,

  • Nicolas Bonlieu

    une douzaine d'appartements répartis dans Paris, 48 jeunes. des appartements de 3 à 9 chambres. C'est une vie relativement éloignée des équipes d'accompagnement, qui ne sont pas sur place dans les logements, et puis une équipe de bénévoles qui va également apporter une complémentarité des activités de convivialité pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Combien de bénévoles vous avez ?

  • Nicolas Bonlieu

    Aujourd'hui, une quinzaine de bénévoles qui sont réguliers, qui proposent des repas de convivialité, des sorties culturelles, sportives, pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce qu'on apprend de votre travail, en particulier sur les leviers de lutte contre la précarité chez ces jeunes LGBTQI+, qui sont sans domicile fixe ?

  • Noemi Stella

    Donc déjà, peut-être un des résultats, c'était que les personnes qui arrivaient à être prises en charge dans un dispositif d'hébergement, j'ai dit qui arrivent parce qu'en Ile-des-France, il y a une saturation structurelle des centres d'hébergement généralistes et pour les personnes exilées en demande d'asile. Il n'y a que 30% des exilés en demande d'asile qui vont être finalement hébergés. Donc, pour ceux et celles qui arrivent à être hébergés dans des centres d'hébergement, j'ai eu énormément de témoignages de discrimination, d'agression et des craintes de subir des agressions LGBTQ. Donc, un premier constat, c'est qu'aujourd'hui, les centres d'hébergement sont structurés de manière binaire. Ça veut dire que la majorité sont divisés par sexe. Donc, ça fait que les personnes qui ne rentrent pas dans ces binarités-là, elles sont discriminées déjà tout de suite au niveau d'accès. On pense notamment aux personnes trans et aux femmes trans. qui, dans la thèse, sont celles qui ont reporté les plus de difficultés d'accès à un centre d'hébergement. Et aussi qu'une fois qu'elles rentrent dans les centres d'hébergement, ils et elles vont être discriminés par les autres personnes hébergées. Donc ça, c'est un des premiers résultats. Le deuxième résultat, c'est qu'on disait que c'est des personnes LGBT, mais c'est aussi des personnes exilées. Et donc, on a un peu une mise à l'écart institutionnalisée des personnes précarisées par leur statut juridique en France. Et donc, les personnes qui sont sans papier. elles sont souvent prises en charge dans les dispositifs les moins protecteurs. Ça veut dire les nuitées à un hôtel ou les centres d'hébergement d'urgence généralistes où il y a une durée de prise en charge plus courte et un suivi qui est un peu moins important qui est par exemple dans les CHRS ou dans les CHU spécialisées comme est l'ESCALE car il y a une équipe pluridisciplinaire sur place. Un deuxième résultat de la recherche, c'est qu'elle a montré l'importance de former les équipes des centres d'hébergement. Donc, en fait, là où il y avait des alliés au sein des équipes, l'accueil et l'accompagnement des personnes LGBT a été beaucoup plus important et positif. Donc, il y a vraiment un enjeu à former les équipes, à la fois les travailleurs et travailleuses sociales, mais toutes personnes qui travaillent dans les centres d'hébergement. Donc, aussi les personnes à l'accueil, les personnes qui font les ménages. Il y a parfois eu des alliances avec les personnes qui faisaient les ménages et qui permettaient à des personnes, par exemple, gays, très efféminés, d'aller prendre la douche. à des moments séparés que les autres, de manière à ne pas avoir des problèmes d'attouchement ou des violences sexuelles à ce moment-là. Et une troisième chose, c'est peut-être de concevoir des dispositifs avec les personnes concernées. Donc, on a conçu tous ensemble ces dispositifs-là et l'effet que l'ESCALE a pris cette forme, c'est parce qu'il et elle ne voulaient pas revivre les violences qu'ils avaient vécues dans les autres centres. Donc, c'est des appartements en colocation un diffus et ce n'est pas une structure, effectivement, un gros bâtiment où à chaque étage il y a plusieurs chambres, car ça a été une demande. Il y a aussi un droit à la vie affective et sexuelle qui est très important, qui est resté central, car dans la majorité des centres d'hébergement, les personnes ne peuvent pas recevoir dans leur chambre des visites. Donc cette partie-là, c'est des personnes qui sont donc minorées d'un point de vue des sexualités et des vies intimes, alors que à Basiliade, ça a été un peu un pilier de l'escale. Et aussi les respects de l'inconditionnalité de l'accueil, car... Dans la majorité des structures, comme on disait, les personnes sans papiers, elles ont un peu moins de place et c'est plus difficile d'accéder à des structures protétrices, alors que là, c'est une inconditionnalité véritable au-delà du statut juridique de la personne.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, comment est-ce que vous avez reçu ces observations ? Est-ce que ça reflète bien ce que vous vivez au quotidien sur le terrain ? Et qu'est-ce que vous allez en faire ?

  • Nicolas Bonlieu

    Complètement. Le premier renseignement, ça a été d'évidemment identifier le fait que l'hébergement est le point de départ. pour ces jeunes, pour construire leur avenir et leur parcours vers l'autonomie et qu'une fois dans cet hébergement stable, sécurisant, on peut attaquer les sujets d'accès aux droits, d'accès aux papiers, de santé, d'accès à une formation, à des revenus, à un travail, pour ensuite sortir de l'escale. L'escale, c'est encore une fois une escale, donc l'objectif c'est une fois arrivé, posé, et stabilisé la situation et travailler sur ce parcours. sortir de l'escale et aller vers un dispositif d'hébergement plus pérenne, qui va être un foyer de jeunes travailleurs, une résidence sociale, un appartement en Solibail par exemple. Et donc c'est vrai que depuis maintenant l'ouverture du premier appartement en septembre 2020, on a connu aujourd'hui plus d'une vingtaine de sorties positives de ces jeunes qui ont, j'allais dire, entre guillemets, réussi ce parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Alors si vous deviez retenir... Un ou deux éléments particulièrement forts de ce projet, ce seraient lesquels ?

  • Nicolas Bonlieu

    La colocation est un élément déterminant du projet parce qu'il vient renforcer l'autonomie des jeunes, notamment dans le vivre ensemble. Ces jeunes ne se choisissent pas et donc doivent apprendre à cohabiter et à respecter leurs différences. Ce sont des jeunes qui sont issus essentiellement de parcours migratoires. qui viennent de différents pays, de différentes cultures, de différentes religions, ne parlant pas souvent la même langue, n'ayant pas souvent la même orientation sexuelle ou identité de genre. Et donc cette colocation c'est un formidable creuset pour apprendre à vivre ensemble, avec aussi ses points plus perfectibles, parce que la colocation elle est éloignée des personnes qui accompagnent, des professionnels, et donc parfois peut créer des difficultés. Ce qu'on a aussi appris, c'est l'importance des... trauma psychologique vécu par ces jeunes dans leur parcours migratoire. Parce que ce sont souvent des jeunes qui ont vraiment fui leur pays pour sauver leur peau, parce que dans leur pays en danger de mort, souvent de par leur propre famille ou leur environnement proche. Et donc ces jeunes suivent des parcours de plusieurs mois, parfois plusieurs années, passent par différents pays de l'Europe de l'Est, des parcours qui sont parfois difficilement d'ailleurs entendables et très émouvants. Et donc quand ils arrivent en France... ils se retrouvent à la rue. Donc c'est vrai que l'escale, pour eux, c'est une bouée de sauvetage. Mais les traumapsies vont être un élément qui peut être parfois perturbant et en tout cas va ralentir le parcours vers l'autonomie. Donc on a un vrai travail sur la santé à Basiliade et notamment à l'escale avec une psychologue à mi-temps, une infirmière à mi-temps qui va coordonner les parcours de soins pour traiter ces sujets de santé.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce que vous retenez, vous ? comme élément le plus essentiel de votre travail de recherche à l'ESCALE ?

  • Noemi Stella

    Peut-être deux éléments. Le premier, c'est l'importance de la convergence des luttes. C'est-à-dire qu'effectivement, il y a à la fois les luttes pour les droits des personnes LGBT et aussi les droits pour les personnes exilées, notamment les personnes, enfin les deux, c'est des personnes qui sont marginalisées. Et donc, on se rend compte que souvent, les politiques d'hébergement et les politiques migratoires dans ces dernières années tendent malheureusement à converger. Et donc, quand on cherche à s'intéresser à ces thèmes-là, il faut vraiment mener une lutte transversale, je pense, et s'intéresser à ces deux causes qui sont vraiment entrelacées. Et le deuxième, c'est la force du collectif, c'est-à-dire que cette enquête a été menée avec des personnes concernées, avec une association médico-sociale, avec les mondes de la recherche, avec des associations LGBT militantes, dont la majorité, c'est des bénévoles. Et donc, c'est très important, cet équilibre et ces alliances. Et il faut vraiment faire trésor de ces réseaux. Quand il s'établit, il est très efficace et il apporte la parole des personnes concernées avec les ressources, les savoir-faire de l'association. Donc, je trouve que ça a été une formule gagnante.

  • Frédéric Vuillod

    Un tonnerre très riche en tous les cas. Alors, si vous deviez donner un conseil à d'autres porteurs de projets qui veulent eux aussi se lancer dans une recherche action, qu'est-ce que vous leur diriez ?

  • Noemi Stella

    Alors, moi, d'un point de vue de la recherche, je dirais que c'est très intéressant pour les chercheurs et les chercheuses de s'engager dans des enquêtes chiffres et des recherches actions avec des associations. Moi, de mon côté, j'ai énormément appris en travaillant à Basel Yad, car j'ai travaillé avec une équipe pluridisciplinaire, avec des travailleurs et des travailleurs sociaux, des infirmières, des médecins, des psychologues, des juristes. Et donc, ça apprend un savoir-faire concret des terrains qu'on n'a pas quand on vient du monde de la recherche. Et aussi, un avantage, c'est que dans le monde scientifique, on fait des enquêtes théoriques qui sont très importantes, mais on a rarement la chance d'arriver à des résultats concrets, à créer des dispositifs.

  • Frédéric Vuillod

    Parce que vous êtes dans la vraie vie, Nicolas Bonlieu, c'est ça ? Est-ce que vous, vous auriez un conseil à donner à d'autres porteurs de projets qui veulent aussi se lancer dans une recherche-action ?

  • Nicolas Bonlieu

    Baser une action sur une recherche et sur un travail d'analyse a permis de poser des bases solides et légitimes ensuite pour... Présenter le projet et entre guillemets le vendre aux financeurs. Et je pense que dans le monde associatif, on avance de manière parfois un peu trop empirique, alors qu'avec ce travail réalisé par Noémie, on a pu avancer sur des bases réelles, des analyses concrètes, une file active et des jeunes qui étaient déjà prêts à rentrer dans le dispositif. Et puis avec le soutien de la Fondation des Solidarités Urbaines, ça nous a permis vraiment d'aller... très vite ensuite dans le concret. Et donc je pense que c'est important de pouvoir comme ça avancer sur la base d'une recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Merci beaucoup à tous les deux pour ce très joli témoignage. Nicolas Bonlieu, Noémie Stella. C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat. la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

Description

Nicolas Bonlieu, administrateur de l’association Basiliade et Noemi Stella, docteure en sociologie, dévoilent au micro du journaliste Frédéric Vuillod les résultats du projet “L’Escale”, soutenu par la Fondation des solidarités urbaines à l’occasion de son premier appel à projets qui avait pour thème “Lutter contre l’isolement des personnes fragiles”. 


Ensemble, ils racontent comment ils ont mené un travail de recherche-action pour répondre aux problématiques rencontrées par les jeunes LGBTQI+ en situation de précarité, notamment en matière de logement. Au-delà d’un accompagnement global, ce projet a mené à la création d’une douzaine de colocations dans Paris, dans un environnement stable et sécurisant, point de départ vers l’autonomie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Nicolas Bonlieu, administrateur de l'association Basiliade, et avec Noémie Stella, qui est docteur en sociologie. Et ensemble, on va parler à la fois de lutte contre l'isolement, d'hébergement de personnes fragiles ou exilées, mais on va aussi parler de suivi médical et psychologique. Nicolas Bonlieu, bonjour d'abord.

  • Nicolas Bonlieu

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Expliquez-nous ce que fait l'association Basiliade, pour qu'on plante un petit peu le décor ensemble.

  • Nicolas Bonlieu

    Basiliade est une association issue de la lutte contre le sida, qui est née il y a 30 ans. et qui accueille, accompagne et héberge des personnes toujours en précarité et parfois malades avec un objectif qui est le retour à l'autonomie. Nous accueillons aujourd'hui environ 1000 personnes par an, dont 500 sont hébergées par Basiliade.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Sella, vous êtes donc docteur en sociologie. Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi consiste votre travail et ce que vous faites avec l'association Basiliade ?

  • Noemi Stella

    Oui, la rencontre avec l'association Basiliade s'est faite en janvier 2019. J'étais inscrite en thèse à l'ENS et à l'EHSS. Et avec l'association Basiliade, on a monté une recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Alors ça veut dire quoi une recherche-action ? Vous faites un travail de recherche et en parallèle, qu'est-ce qui se passe ?

  • Noemi Stella

    En fait, une recherche-action est une recherche en deux temps. Une première partie des diagnostics, où on va voir les problématiques des terrains rencontrés par la population ciblée. Et après, dans une deuxième phase, on va construire avec les personnes enquêtées et les collègues des Basiliades, une réponse concrète pour répondre à ces besoins identifiés dans la première phase. Donc moi, concrètement, quand en janvier 2019, j'ai intégré l'association, j'ai commencé avec un travail de terrain. Donc avec l'association Basiliade, il y a eu plusieurs associations LGBT qui ont été contactées et qui pris part à ce travail-là. Accepte Testé, Les Lesbiennes dépassent les frontières, L'Ardis, Afrique Arc-en-Ciel, les centres LGBT, etc. Il y a eu aussi des hôpitaux, il y a différents partenaires qui nous ont orientés des personnes LGBT en situation de précarité. Et... qui avait envie d'entamer cette recherche avec moi. Donc c'est une recherche longitudinale, ça veut dire que j'ai réalisé des entretiens et des observations participantes sur le long terme. Je n'ai pas vu les personnes une seule fois, je les ai vues à plusieurs reprises sur trois ans et demi pour identifier notamment les obstacles auxquels il et elle n'arrivaient pas à s'en sortir tout seul. Il y avait besoin d'un projet un peu structurel qu'on pouvait mettre en place pour répondre à ces besoins-là.

  • Frédéric Vuillod

    Donc vous êtes en train de recueillir la parole, à l'époque en tous les cas, parce que votre projet aujourd'hui est terminé, vous étiez en train de recueillir cette parole. Mais Nicolas Bonlieu, qu'est-ce qui vous a pris à l'association Basiliade de vouloir mener ce travail de recherche-action ? Qu'est-ce que vous cherchez à savoir et à propos de quel public précisément ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors, issu de la lutte contre le sida, Basiliade avait ce lien affectif avec le monde LGBT. Et notre président notamment et l'ensemble du conseil d'administration de Basiliade avaient à cœur... et d'essayer de mieux comprendre les parcours de ces jeunes adultes LGBT en précarité à Paris, ces parcours d'errance, et à partir d'une étude et d'une recherche d'expertise, en tirer des enseignements pour ensuite apporter des réponses.

  • Frédéric Vuillod

    Alors qu'est-ce que ça veut dire quand on s'appelle Basiliade et qu'on accueille une chercheuse qui vient faire un travail de terrain ? Comment se déroule le partenariat ?

  • Nicolas Bonlieu

    Le partenariat, c'est faire confiance à la chercheuse. Et donc la laisser travailler sur son travail de recherche et donc mener ses interviews, faire des points réguliers sur son avancement dans cette recherche. Et au fur et à mesure que cette recherche avance, c'est commencer à travailler et à imaginer des solutions et des réponses aux besoins exprimés par les personnes suivies.

  • Frédéric Vuillod

    Et pourquoi est-ce que vous avez voulu cibler en particulier cette population LGBTQI+.

  • Nicolas Bonlieu

    Parce qu'il nous a semblé que... ces populations avaient des critères de vulnérabilité précis qui accentuaient leur précarité. Et que donc, il était important de pouvoir les identifier pour ensuite apporter des solutions.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, vous avez donc mené de nombreux entretiens. Combien ?

  • Noemi Stella

    162 entretiens sur 48 personnes. Donc au total, il y a eu 48 enquêtés, participants et participantes à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce qui ressort de ces entretiens ? On a des tranches de vie sans doute extrêmement fortes.

  • Noemi Stella

    Oui, déjà, un premier élément, c'est que la majorité de ces personnes-là, c'est des personnes exilées. Donc, on a une majorité des personnes qui sont d'Afrique subsaharienne. Il y a aussi des personnes qui sont du Maghreb, donc Afrique du Nord, partie Asie, Bangladesh notamment. Et on a une partie aussi d'Amérique du Sud. Il n'y a que 8 Français et Françaises dans l'enquête. Donc, on parle vraiment des personnes LGBT exilées, en grande majorité. Les fils rouges, il y en a plusieurs, mais celui qui a été vraiment malheureusement transversal à tous les récits de vie a été la précarité résidentielle. Et donc la question de la précarité résidentielle des personnes LGBT est centrale parce que ça reste un point aveugle à la fois dans la recherche scientifique et à la fois d'un point de vue des terrains. Par exemple, on a tous les questionnaires des enquêtes sans domicile où on ne peut pas, par exemple, la question d'identité de genre et d'orientation sexuelle n'est pas posée, donc on ne sait pas aujourd'hui comptabiliser. combien de personnes LGBT il y a à la rue, alors que dans d'autres pays, aux États-Unis, au Canada, on a ce genre d'enquête. Donc aujourd'hui en France, on ne sait pas les spécificités des personnes LGBT à la rue ou prise en charge dans des dispositifs d'hébergement généraliste. Et donc finalement, mon travail de recherche a été de montrer qu'est-ce qui se passe pour les personnes LGBT exilées qui n'ont pas de logement personnel, qu'est-ce qui se passe quand elles arrivent à être hébergées dans des dispositifs généralistes, qu'est-ce qui se passe avec les réseaux informels. qu'ils arrivent à mobiliser, notamment la famille, les compatriotes hétérosexuels qui habitent dans la région d'Île-des-France, ou encore avec les réseaux LGBT mobilisables. Et donc, mon travail porte vraiment sur ce que ça fait d'être exilé, LGBT et en situation de précarité.

  • Frédéric Vuillod

    Pourquoi c'est important de creuser cette question-là chez ce public-là ? Parce qu'on pourrait dire, bon ben voilà, il y a des sans-abri, il faut apporter une réponse en matière de logement, qu'on soit LGBT ou pas.

  • Noemi Stella

    Ben en fait... pour les personnes LGBT exilées, on a vraiment un croisement des vulnérabilités spécifiques. Donc quand on a une personne LGBT visiblement LGBT, donc déviante en termes de genre, il y a des discriminations spécifiques à leur égard. Et donc en fait pour les personnes LGBT en errance, il y a beaucoup plus de risques d'agression quand elles n'ont pas de logement. Et aussi l'enquête VIRAGE menée par l'INED nous a montré que les personnes LGBT ont beaucoup plus de conflits intrafamiliaux que les personnes hétérosexuelles. Et donc il y a aussi beaucoup plus des ruptures familiales, des personnes qui sont mises à la porte de la part de leur famille.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, est-ce que ce public LGBTQI+, est nombreux parmi les personnes que vous accueillez chez Basiliade ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors le résultat de la recherche-action menée par Noémie nous a conduit à créer un dispositif et une maison spécifique pour accueillir ce public adulte LGBT en précarité. Donc cette maison s'appelle l'Escale, qui est donc, comme son nom l'indique, une escale dans leur parcours. et donc proposent de l'hébergement ainsi que de l'accompagnement global pour leur permettre de s'opposer et d'avancer dans leur parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Est-ce que l'adresse est secrète ?

  • Nicolas Bonlieu

    L'adresse n'est pas secrète, on a des locaux avec des espaces de convivialité et des salles de réunion rue Saint-Denis au cœur de Paris et ensuite le dispositif d'hébergement est un dispositif en diffus au travers d'une douzaine d'appartements répartis dans Paris. Donc c'est très novateur, notamment... avec un soutien de l'État via la DRIL, qui est le financeur à Paris de l'hébergement d'urgence et qui a accepté ce principe d'accompagner un centre d'hébergement d'urgence basé sur ces critères d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce que ces logements ont de particulier ?

  • Nicolas Bonlieu

    Ils ont de particulier d'être d'abord des colocations en diffus. En diffus,

  • Frédéric Vuillod

    ça veut dire un appartement par-ci, par-là, dans différents immeubles. Voilà,

  • Nicolas Bonlieu

    une douzaine d'appartements répartis dans Paris, 48 jeunes. des appartements de 3 à 9 chambres. C'est une vie relativement éloignée des équipes d'accompagnement, qui ne sont pas sur place dans les logements, et puis une équipe de bénévoles qui va également apporter une complémentarité des activités de convivialité pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Combien de bénévoles vous avez ?

  • Nicolas Bonlieu

    Aujourd'hui, une quinzaine de bénévoles qui sont réguliers, qui proposent des repas de convivialité, des sorties culturelles, sportives, pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce qu'on apprend de votre travail, en particulier sur les leviers de lutte contre la précarité chez ces jeunes LGBTQI+, qui sont sans domicile fixe ?

  • Noemi Stella

    Donc déjà, peut-être un des résultats, c'était que les personnes qui arrivaient à être prises en charge dans un dispositif d'hébergement, j'ai dit qui arrivent parce qu'en Ile-des-France, il y a une saturation structurelle des centres d'hébergement généralistes et pour les personnes exilées en demande d'asile. Il n'y a que 30% des exilés en demande d'asile qui vont être finalement hébergés. Donc, pour ceux et celles qui arrivent à être hébergés dans des centres d'hébergement, j'ai eu énormément de témoignages de discrimination, d'agression et des craintes de subir des agressions LGBTQ. Donc, un premier constat, c'est qu'aujourd'hui, les centres d'hébergement sont structurés de manière binaire. Ça veut dire que la majorité sont divisés par sexe. Donc, ça fait que les personnes qui ne rentrent pas dans ces binarités-là, elles sont discriminées déjà tout de suite au niveau d'accès. On pense notamment aux personnes trans et aux femmes trans. qui, dans la thèse, sont celles qui ont reporté les plus de difficultés d'accès à un centre d'hébergement. Et aussi qu'une fois qu'elles rentrent dans les centres d'hébergement, ils et elles vont être discriminés par les autres personnes hébergées. Donc ça, c'est un des premiers résultats. Le deuxième résultat, c'est qu'on disait que c'est des personnes LGBT, mais c'est aussi des personnes exilées. Et donc, on a un peu une mise à l'écart institutionnalisée des personnes précarisées par leur statut juridique en France. Et donc, les personnes qui sont sans papier. elles sont souvent prises en charge dans les dispositifs les moins protecteurs. Ça veut dire les nuitées à un hôtel ou les centres d'hébergement d'urgence généralistes où il y a une durée de prise en charge plus courte et un suivi qui est un peu moins important qui est par exemple dans les CHRS ou dans les CHU spécialisées comme est l'ESCALE car il y a une équipe pluridisciplinaire sur place. Un deuxième résultat de la recherche, c'est qu'elle a montré l'importance de former les équipes des centres d'hébergement. Donc, en fait, là où il y avait des alliés au sein des équipes, l'accueil et l'accompagnement des personnes LGBT a été beaucoup plus important et positif. Donc, il y a vraiment un enjeu à former les équipes, à la fois les travailleurs et travailleuses sociales, mais toutes personnes qui travaillent dans les centres d'hébergement. Donc, aussi les personnes à l'accueil, les personnes qui font les ménages. Il y a parfois eu des alliances avec les personnes qui faisaient les ménages et qui permettaient à des personnes, par exemple, gays, très efféminés, d'aller prendre la douche. à des moments séparés que les autres, de manière à ne pas avoir des problèmes d'attouchement ou des violences sexuelles à ce moment-là. Et une troisième chose, c'est peut-être de concevoir des dispositifs avec les personnes concernées. Donc, on a conçu tous ensemble ces dispositifs-là et l'effet que l'ESCALE a pris cette forme, c'est parce qu'il et elle ne voulaient pas revivre les violences qu'ils avaient vécues dans les autres centres. Donc, c'est des appartements en colocation un diffus et ce n'est pas une structure, effectivement, un gros bâtiment où à chaque étage il y a plusieurs chambres, car ça a été une demande. Il y a aussi un droit à la vie affective et sexuelle qui est très important, qui est resté central, car dans la majorité des centres d'hébergement, les personnes ne peuvent pas recevoir dans leur chambre des visites. Donc cette partie-là, c'est des personnes qui sont donc minorées d'un point de vue des sexualités et des vies intimes, alors que à Basiliade, ça a été un peu un pilier de l'escale. Et aussi les respects de l'inconditionnalité de l'accueil, car... Dans la majorité des structures, comme on disait, les personnes sans papiers, elles ont un peu moins de place et c'est plus difficile d'accéder à des structures protétrices, alors que là, c'est une inconditionnalité véritable au-delà du statut juridique de la personne.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, comment est-ce que vous avez reçu ces observations ? Est-ce que ça reflète bien ce que vous vivez au quotidien sur le terrain ? Et qu'est-ce que vous allez en faire ?

  • Nicolas Bonlieu

    Complètement. Le premier renseignement, ça a été d'évidemment identifier le fait que l'hébergement est le point de départ. pour ces jeunes, pour construire leur avenir et leur parcours vers l'autonomie et qu'une fois dans cet hébergement stable, sécurisant, on peut attaquer les sujets d'accès aux droits, d'accès aux papiers, de santé, d'accès à une formation, à des revenus, à un travail, pour ensuite sortir de l'escale. L'escale, c'est encore une fois une escale, donc l'objectif c'est une fois arrivé, posé, et stabilisé la situation et travailler sur ce parcours. sortir de l'escale et aller vers un dispositif d'hébergement plus pérenne, qui va être un foyer de jeunes travailleurs, une résidence sociale, un appartement en Solibail par exemple. Et donc c'est vrai que depuis maintenant l'ouverture du premier appartement en septembre 2020, on a connu aujourd'hui plus d'une vingtaine de sorties positives de ces jeunes qui ont, j'allais dire, entre guillemets, réussi ce parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Alors si vous deviez retenir... Un ou deux éléments particulièrement forts de ce projet, ce seraient lesquels ?

  • Nicolas Bonlieu

    La colocation est un élément déterminant du projet parce qu'il vient renforcer l'autonomie des jeunes, notamment dans le vivre ensemble. Ces jeunes ne se choisissent pas et donc doivent apprendre à cohabiter et à respecter leurs différences. Ce sont des jeunes qui sont issus essentiellement de parcours migratoires. qui viennent de différents pays, de différentes cultures, de différentes religions, ne parlant pas souvent la même langue, n'ayant pas souvent la même orientation sexuelle ou identité de genre. Et donc cette colocation c'est un formidable creuset pour apprendre à vivre ensemble, avec aussi ses points plus perfectibles, parce que la colocation elle est éloignée des personnes qui accompagnent, des professionnels, et donc parfois peut créer des difficultés. Ce qu'on a aussi appris, c'est l'importance des... trauma psychologique vécu par ces jeunes dans leur parcours migratoire. Parce que ce sont souvent des jeunes qui ont vraiment fui leur pays pour sauver leur peau, parce que dans leur pays en danger de mort, souvent de par leur propre famille ou leur environnement proche. Et donc ces jeunes suivent des parcours de plusieurs mois, parfois plusieurs années, passent par différents pays de l'Europe de l'Est, des parcours qui sont parfois difficilement d'ailleurs entendables et très émouvants. Et donc quand ils arrivent en France... ils se retrouvent à la rue. Donc c'est vrai que l'escale, pour eux, c'est une bouée de sauvetage. Mais les traumapsies vont être un élément qui peut être parfois perturbant et en tout cas va ralentir le parcours vers l'autonomie. Donc on a un vrai travail sur la santé à Basiliade et notamment à l'escale avec une psychologue à mi-temps, une infirmière à mi-temps qui va coordonner les parcours de soins pour traiter ces sujets de santé.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce que vous retenez, vous ? comme élément le plus essentiel de votre travail de recherche à l'ESCALE ?

  • Noemi Stella

    Peut-être deux éléments. Le premier, c'est l'importance de la convergence des luttes. C'est-à-dire qu'effectivement, il y a à la fois les luttes pour les droits des personnes LGBT et aussi les droits pour les personnes exilées, notamment les personnes, enfin les deux, c'est des personnes qui sont marginalisées. Et donc, on se rend compte que souvent, les politiques d'hébergement et les politiques migratoires dans ces dernières années tendent malheureusement à converger. Et donc, quand on cherche à s'intéresser à ces thèmes-là, il faut vraiment mener une lutte transversale, je pense, et s'intéresser à ces deux causes qui sont vraiment entrelacées. Et le deuxième, c'est la force du collectif, c'est-à-dire que cette enquête a été menée avec des personnes concernées, avec une association médico-sociale, avec les mondes de la recherche, avec des associations LGBT militantes, dont la majorité, c'est des bénévoles. Et donc, c'est très important, cet équilibre et ces alliances. Et il faut vraiment faire trésor de ces réseaux. Quand il s'établit, il est très efficace et il apporte la parole des personnes concernées avec les ressources, les savoir-faire de l'association. Donc, je trouve que ça a été une formule gagnante.

  • Frédéric Vuillod

    Un tonnerre très riche en tous les cas. Alors, si vous deviez donner un conseil à d'autres porteurs de projets qui veulent eux aussi se lancer dans une recherche action, qu'est-ce que vous leur diriez ?

  • Noemi Stella

    Alors, moi, d'un point de vue de la recherche, je dirais que c'est très intéressant pour les chercheurs et les chercheuses de s'engager dans des enquêtes chiffres et des recherches actions avec des associations. Moi, de mon côté, j'ai énormément appris en travaillant à Basel Yad, car j'ai travaillé avec une équipe pluridisciplinaire, avec des travailleurs et des travailleurs sociaux, des infirmières, des médecins, des psychologues, des juristes. Et donc, ça apprend un savoir-faire concret des terrains qu'on n'a pas quand on vient du monde de la recherche. Et aussi, un avantage, c'est que dans le monde scientifique, on fait des enquêtes théoriques qui sont très importantes, mais on a rarement la chance d'arriver à des résultats concrets, à créer des dispositifs.

  • Frédéric Vuillod

    Parce que vous êtes dans la vraie vie, Nicolas Bonlieu, c'est ça ? Est-ce que vous, vous auriez un conseil à donner à d'autres porteurs de projets qui veulent aussi se lancer dans une recherche-action ?

  • Nicolas Bonlieu

    Baser une action sur une recherche et sur un travail d'analyse a permis de poser des bases solides et légitimes ensuite pour... Présenter le projet et entre guillemets le vendre aux financeurs. Et je pense que dans le monde associatif, on avance de manière parfois un peu trop empirique, alors qu'avec ce travail réalisé par Noémie, on a pu avancer sur des bases réelles, des analyses concrètes, une file active et des jeunes qui étaient déjà prêts à rentrer dans le dispositif. Et puis avec le soutien de la Fondation des Solidarités Urbaines, ça nous a permis vraiment d'aller... très vite ensuite dans le concret. Et donc je pense que c'est important de pouvoir comme ça avancer sur la base d'une recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Merci beaucoup à tous les deux pour ce très joli témoignage. Nicolas Bonlieu, Noémie Stella. C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat. la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

Share

Embed

You may also like

Description

Nicolas Bonlieu, administrateur de l’association Basiliade et Noemi Stella, docteure en sociologie, dévoilent au micro du journaliste Frédéric Vuillod les résultats du projet “L’Escale”, soutenu par la Fondation des solidarités urbaines à l’occasion de son premier appel à projets qui avait pour thème “Lutter contre l’isolement des personnes fragiles”. 


Ensemble, ils racontent comment ils ont mené un travail de recherche-action pour répondre aux problématiques rencontrées par les jeunes LGBTQI+ en situation de précarité, notamment en matière de logement. Au-delà d’un accompagnement global, ce projet a mené à la création d’une douzaine de colocations dans Paris, dans un environnement stable et sécurisant, point de départ vers l’autonomie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Nicolas Bonlieu, administrateur de l'association Basiliade, et avec Noémie Stella, qui est docteur en sociologie. Et ensemble, on va parler à la fois de lutte contre l'isolement, d'hébergement de personnes fragiles ou exilées, mais on va aussi parler de suivi médical et psychologique. Nicolas Bonlieu, bonjour d'abord.

  • Nicolas Bonlieu

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Expliquez-nous ce que fait l'association Basiliade, pour qu'on plante un petit peu le décor ensemble.

  • Nicolas Bonlieu

    Basiliade est une association issue de la lutte contre le sida, qui est née il y a 30 ans. et qui accueille, accompagne et héberge des personnes toujours en précarité et parfois malades avec un objectif qui est le retour à l'autonomie. Nous accueillons aujourd'hui environ 1000 personnes par an, dont 500 sont hébergées par Basiliade.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Sella, vous êtes donc docteur en sociologie. Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi consiste votre travail et ce que vous faites avec l'association Basiliade ?

  • Noemi Stella

    Oui, la rencontre avec l'association Basiliade s'est faite en janvier 2019. J'étais inscrite en thèse à l'ENS et à l'EHSS. Et avec l'association Basiliade, on a monté une recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Alors ça veut dire quoi une recherche-action ? Vous faites un travail de recherche et en parallèle, qu'est-ce qui se passe ?

  • Noemi Stella

    En fait, une recherche-action est une recherche en deux temps. Une première partie des diagnostics, où on va voir les problématiques des terrains rencontrés par la population ciblée. Et après, dans une deuxième phase, on va construire avec les personnes enquêtées et les collègues des Basiliades, une réponse concrète pour répondre à ces besoins identifiés dans la première phase. Donc moi, concrètement, quand en janvier 2019, j'ai intégré l'association, j'ai commencé avec un travail de terrain. Donc avec l'association Basiliade, il y a eu plusieurs associations LGBT qui ont été contactées et qui pris part à ce travail-là. Accepte Testé, Les Lesbiennes dépassent les frontières, L'Ardis, Afrique Arc-en-Ciel, les centres LGBT, etc. Il y a eu aussi des hôpitaux, il y a différents partenaires qui nous ont orientés des personnes LGBT en situation de précarité. Et... qui avait envie d'entamer cette recherche avec moi. Donc c'est une recherche longitudinale, ça veut dire que j'ai réalisé des entretiens et des observations participantes sur le long terme. Je n'ai pas vu les personnes une seule fois, je les ai vues à plusieurs reprises sur trois ans et demi pour identifier notamment les obstacles auxquels il et elle n'arrivaient pas à s'en sortir tout seul. Il y avait besoin d'un projet un peu structurel qu'on pouvait mettre en place pour répondre à ces besoins-là.

  • Frédéric Vuillod

    Donc vous êtes en train de recueillir la parole, à l'époque en tous les cas, parce que votre projet aujourd'hui est terminé, vous étiez en train de recueillir cette parole. Mais Nicolas Bonlieu, qu'est-ce qui vous a pris à l'association Basiliade de vouloir mener ce travail de recherche-action ? Qu'est-ce que vous cherchez à savoir et à propos de quel public précisément ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors, issu de la lutte contre le sida, Basiliade avait ce lien affectif avec le monde LGBT. Et notre président notamment et l'ensemble du conseil d'administration de Basiliade avaient à cœur... et d'essayer de mieux comprendre les parcours de ces jeunes adultes LGBT en précarité à Paris, ces parcours d'errance, et à partir d'une étude et d'une recherche d'expertise, en tirer des enseignements pour ensuite apporter des réponses.

  • Frédéric Vuillod

    Alors qu'est-ce que ça veut dire quand on s'appelle Basiliade et qu'on accueille une chercheuse qui vient faire un travail de terrain ? Comment se déroule le partenariat ?

  • Nicolas Bonlieu

    Le partenariat, c'est faire confiance à la chercheuse. Et donc la laisser travailler sur son travail de recherche et donc mener ses interviews, faire des points réguliers sur son avancement dans cette recherche. Et au fur et à mesure que cette recherche avance, c'est commencer à travailler et à imaginer des solutions et des réponses aux besoins exprimés par les personnes suivies.

  • Frédéric Vuillod

    Et pourquoi est-ce que vous avez voulu cibler en particulier cette population LGBTQI+.

  • Nicolas Bonlieu

    Parce qu'il nous a semblé que... ces populations avaient des critères de vulnérabilité précis qui accentuaient leur précarité. Et que donc, il était important de pouvoir les identifier pour ensuite apporter des solutions.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, vous avez donc mené de nombreux entretiens. Combien ?

  • Noemi Stella

    162 entretiens sur 48 personnes. Donc au total, il y a eu 48 enquêtés, participants et participantes à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce qui ressort de ces entretiens ? On a des tranches de vie sans doute extrêmement fortes.

  • Noemi Stella

    Oui, déjà, un premier élément, c'est que la majorité de ces personnes-là, c'est des personnes exilées. Donc, on a une majorité des personnes qui sont d'Afrique subsaharienne. Il y a aussi des personnes qui sont du Maghreb, donc Afrique du Nord, partie Asie, Bangladesh notamment. Et on a une partie aussi d'Amérique du Sud. Il n'y a que 8 Français et Françaises dans l'enquête. Donc, on parle vraiment des personnes LGBT exilées, en grande majorité. Les fils rouges, il y en a plusieurs, mais celui qui a été vraiment malheureusement transversal à tous les récits de vie a été la précarité résidentielle. Et donc la question de la précarité résidentielle des personnes LGBT est centrale parce que ça reste un point aveugle à la fois dans la recherche scientifique et à la fois d'un point de vue des terrains. Par exemple, on a tous les questionnaires des enquêtes sans domicile où on ne peut pas, par exemple, la question d'identité de genre et d'orientation sexuelle n'est pas posée, donc on ne sait pas aujourd'hui comptabiliser. combien de personnes LGBT il y a à la rue, alors que dans d'autres pays, aux États-Unis, au Canada, on a ce genre d'enquête. Donc aujourd'hui en France, on ne sait pas les spécificités des personnes LGBT à la rue ou prise en charge dans des dispositifs d'hébergement généraliste. Et donc finalement, mon travail de recherche a été de montrer qu'est-ce qui se passe pour les personnes LGBT exilées qui n'ont pas de logement personnel, qu'est-ce qui se passe quand elles arrivent à être hébergées dans des dispositifs généralistes, qu'est-ce qui se passe avec les réseaux informels. qu'ils arrivent à mobiliser, notamment la famille, les compatriotes hétérosexuels qui habitent dans la région d'Île-des-France, ou encore avec les réseaux LGBT mobilisables. Et donc, mon travail porte vraiment sur ce que ça fait d'être exilé, LGBT et en situation de précarité.

  • Frédéric Vuillod

    Pourquoi c'est important de creuser cette question-là chez ce public-là ? Parce qu'on pourrait dire, bon ben voilà, il y a des sans-abri, il faut apporter une réponse en matière de logement, qu'on soit LGBT ou pas.

  • Noemi Stella

    Ben en fait... pour les personnes LGBT exilées, on a vraiment un croisement des vulnérabilités spécifiques. Donc quand on a une personne LGBT visiblement LGBT, donc déviante en termes de genre, il y a des discriminations spécifiques à leur égard. Et donc en fait pour les personnes LGBT en errance, il y a beaucoup plus de risques d'agression quand elles n'ont pas de logement. Et aussi l'enquête VIRAGE menée par l'INED nous a montré que les personnes LGBT ont beaucoup plus de conflits intrafamiliaux que les personnes hétérosexuelles. Et donc il y a aussi beaucoup plus des ruptures familiales, des personnes qui sont mises à la porte de la part de leur famille.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, est-ce que ce public LGBTQI+, est nombreux parmi les personnes que vous accueillez chez Basiliade ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors le résultat de la recherche-action menée par Noémie nous a conduit à créer un dispositif et une maison spécifique pour accueillir ce public adulte LGBT en précarité. Donc cette maison s'appelle l'Escale, qui est donc, comme son nom l'indique, une escale dans leur parcours. et donc proposent de l'hébergement ainsi que de l'accompagnement global pour leur permettre de s'opposer et d'avancer dans leur parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Est-ce que l'adresse est secrète ?

  • Nicolas Bonlieu

    L'adresse n'est pas secrète, on a des locaux avec des espaces de convivialité et des salles de réunion rue Saint-Denis au cœur de Paris et ensuite le dispositif d'hébergement est un dispositif en diffus au travers d'une douzaine d'appartements répartis dans Paris. Donc c'est très novateur, notamment... avec un soutien de l'État via la DRIL, qui est le financeur à Paris de l'hébergement d'urgence et qui a accepté ce principe d'accompagner un centre d'hébergement d'urgence basé sur ces critères d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce que ces logements ont de particulier ?

  • Nicolas Bonlieu

    Ils ont de particulier d'être d'abord des colocations en diffus. En diffus,

  • Frédéric Vuillod

    ça veut dire un appartement par-ci, par-là, dans différents immeubles. Voilà,

  • Nicolas Bonlieu

    une douzaine d'appartements répartis dans Paris, 48 jeunes. des appartements de 3 à 9 chambres. C'est une vie relativement éloignée des équipes d'accompagnement, qui ne sont pas sur place dans les logements, et puis une équipe de bénévoles qui va également apporter une complémentarité des activités de convivialité pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Combien de bénévoles vous avez ?

  • Nicolas Bonlieu

    Aujourd'hui, une quinzaine de bénévoles qui sont réguliers, qui proposent des repas de convivialité, des sorties culturelles, sportives, pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce qu'on apprend de votre travail, en particulier sur les leviers de lutte contre la précarité chez ces jeunes LGBTQI+, qui sont sans domicile fixe ?

  • Noemi Stella

    Donc déjà, peut-être un des résultats, c'était que les personnes qui arrivaient à être prises en charge dans un dispositif d'hébergement, j'ai dit qui arrivent parce qu'en Ile-des-France, il y a une saturation structurelle des centres d'hébergement généralistes et pour les personnes exilées en demande d'asile. Il n'y a que 30% des exilés en demande d'asile qui vont être finalement hébergés. Donc, pour ceux et celles qui arrivent à être hébergés dans des centres d'hébergement, j'ai eu énormément de témoignages de discrimination, d'agression et des craintes de subir des agressions LGBTQ. Donc, un premier constat, c'est qu'aujourd'hui, les centres d'hébergement sont structurés de manière binaire. Ça veut dire que la majorité sont divisés par sexe. Donc, ça fait que les personnes qui ne rentrent pas dans ces binarités-là, elles sont discriminées déjà tout de suite au niveau d'accès. On pense notamment aux personnes trans et aux femmes trans. qui, dans la thèse, sont celles qui ont reporté les plus de difficultés d'accès à un centre d'hébergement. Et aussi qu'une fois qu'elles rentrent dans les centres d'hébergement, ils et elles vont être discriminés par les autres personnes hébergées. Donc ça, c'est un des premiers résultats. Le deuxième résultat, c'est qu'on disait que c'est des personnes LGBT, mais c'est aussi des personnes exilées. Et donc, on a un peu une mise à l'écart institutionnalisée des personnes précarisées par leur statut juridique en France. Et donc, les personnes qui sont sans papier. elles sont souvent prises en charge dans les dispositifs les moins protecteurs. Ça veut dire les nuitées à un hôtel ou les centres d'hébergement d'urgence généralistes où il y a une durée de prise en charge plus courte et un suivi qui est un peu moins important qui est par exemple dans les CHRS ou dans les CHU spécialisées comme est l'ESCALE car il y a une équipe pluridisciplinaire sur place. Un deuxième résultat de la recherche, c'est qu'elle a montré l'importance de former les équipes des centres d'hébergement. Donc, en fait, là où il y avait des alliés au sein des équipes, l'accueil et l'accompagnement des personnes LGBT a été beaucoup plus important et positif. Donc, il y a vraiment un enjeu à former les équipes, à la fois les travailleurs et travailleuses sociales, mais toutes personnes qui travaillent dans les centres d'hébergement. Donc, aussi les personnes à l'accueil, les personnes qui font les ménages. Il y a parfois eu des alliances avec les personnes qui faisaient les ménages et qui permettaient à des personnes, par exemple, gays, très efféminés, d'aller prendre la douche. à des moments séparés que les autres, de manière à ne pas avoir des problèmes d'attouchement ou des violences sexuelles à ce moment-là. Et une troisième chose, c'est peut-être de concevoir des dispositifs avec les personnes concernées. Donc, on a conçu tous ensemble ces dispositifs-là et l'effet que l'ESCALE a pris cette forme, c'est parce qu'il et elle ne voulaient pas revivre les violences qu'ils avaient vécues dans les autres centres. Donc, c'est des appartements en colocation un diffus et ce n'est pas une structure, effectivement, un gros bâtiment où à chaque étage il y a plusieurs chambres, car ça a été une demande. Il y a aussi un droit à la vie affective et sexuelle qui est très important, qui est resté central, car dans la majorité des centres d'hébergement, les personnes ne peuvent pas recevoir dans leur chambre des visites. Donc cette partie-là, c'est des personnes qui sont donc minorées d'un point de vue des sexualités et des vies intimes, alors que à Basiliade, ça a été un peu un pilier de l'escale. Et aussi les respects de l'inconditionnalité de l'accueil, car... Dans la majorité des structures, comme on disait, les personnes sans papiers, elles ont un peu moins de place et c'est plus difficile d'accéder à des structures protétrices, alors que là, c'est une inconditionnalité véritable au-delà du statut juridique de la personne.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, comment est-ce que vous avez reçu ces observations ? Est-ce que ça reflète bien ce que vous vivez au quotidien sur le terrain ? Et qu'est-ce que vous allez en faire ?

  • Nicolas Bonlieu

    Complètement. Le premier renseignement, ça a été d'évidemment identifier le fait que l'hébergement est le point de départ. pour ces jeunes, pour construire leur avenir et leur parcours vers l'autonomie et qu'une fois dans cet hébergement stable, sécurisant, on peut attaquer les sujets d'accès aux droits, d'accès aux papiers, de santé, d'accès à une formation, à des revenus, à un travail, pour ensuite sortir de l'escale. L'escale, c'est encore une fois une escale, donc l'objectif c'est une fois arrivé, posé, et stabilisé la situation et travailler sur ce parcours. sortir de l'escale et aller vers un dispositif d'hébergement plus pérenne, qui va être un foyer de jeunes travailleurs, une résidence sociale, un appartement en Solibail par exemple. Et donc c'est vrai que depuis maintenant l'ouverture du premier appartement en septembre 2020, on a connu aujourd'hui plus d'une vingtaine de sorties positives de ces jeunes qui ont, j'allais dire, entre guillemets, réussi ce parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Alors si vous deviez retenir... Un ou deux éléments particulièrement forts de ce projet, ce seraient lesquels ?

  • Nicolas Bonlieu

    La colocation est un élément déterminant du projet parce qu'il vient renforcer l'autonomie des jeunes, notamment dans le vivre ensemble. Ces jeunes ne se choisissent pas et donc doivent apprendre à cohabiter et à respecter leurs différences. Ce sont des jeunes qui sont issus essentiellement de parcours migratoires. qui viennent de différents pays, de différentes cultures, de différentes religions, ne parlant pas souvent la même langue, n'ayant pas souvent la même orientation sexuelle ou identité de genre. Et donc cette colocation c'est un formidable creuset pour apprendre à vivre ensemble, avec aussi ses points plus perfectibles, parce que la colocation elle est éloignée des personnes qui accompagnent, des professionnels, et donc parfois peut créer des difficultés. Ce qu'on a aussi appris, c'est l'importance des... trauma psychologique vécu par ces jeunes dans leur parcours migratoire. Parce que ce sont souvent des jeunes qui ont vraiment fui leur pays pour sauver leur peau, parce que dans leur pays en danger de mort, souvent de par leur propre famille ou leur environnement proche. Et donc ces jeunes suivent des parcours de plusieurs mois, parfois plusieurs années, passent par différents pays de l'Europe de l'Est, des parcours qui sont parfois difficilement d'ailleurs entendables et très émouvants. Et donc quand ils arrivent en France... ils se retrouvent à la rue. Donc c'est vrai que l'escale, pour eux, c'est une bouée de sauvetage. Mais les traumapsies vont être un élément qui peut être parfois perturbant et en tout cas va ralentir le parcours vers l'autonomie. Donc on a un vrai travail sur la santé à Basiliade et notamment à l'escale avec une psychologue à mi-temps, une infirmière à mi-temps qui va coordonner les parcours de soins pour traiter ces sujets de santé.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce que vous retenez, vous ? comme élément le plus essentiel de votre travail de recherche à l'ESCALE ?

  • Noemi Stella

    Peut-être deux éléments. Le premier, c'est l'importance de la convergence des luttes. C'est-à-dire qu'effectivement, il y a à la fois les luttes pour les droits des personnes LGBT et aussi les droits pour les personnes exilées, notamment les personnes, enfin les deux, c'est des personnes qui sont marginalisées. Et donc, on se rend compte que souvent, les politiques d'hébergement et les politiques migratoires dans ces dernières années tendent malheureusement à converger. Et donc, quand on cherche à s'intéresser à ces thèmes-là, il faut vraiment mener une lutte transversale, je pense, et s'intéresser à ces deux causes qui sont vraiment entrelacées. Et le deuxième, c'est la force du collectif, c'est-à-dire que cette enquête a été menée avec des personnes concernées, avec une association médico-sociale, avec les mondes de la recherche, avec des associations LGBT militantes, dont la majorité, c'est des bénévoles. Et donc, c'est très important, cet équilibre et ces alliances. Et il faut vraiment faire trésor de ces réseaux. Quand il s'établit, il est très efficace et il apporte la parole des personnes concernées avec les ressources, les savoir-faire de l'association. Donc, je trouve que ça a été une formule gagnante.

  • Frédéric Vuillod

    Un tonnerre très riche en tous les cas. Alors, si vous deviez donner un conseil à d'autres porteurs de projets qui veulent eux aussi se lancer dans une recherche action, qu'est-ce que vous leur diriez ?

  • Noemi Stella

    Alors, moi, d'un point de vue de la recherche, je dirais que c'est très intéressant pour les chercheurs et les chercheuses de s'engager dans des enquêtes chiffres et des recherches actions avec des associations. Moi, de mon côté, j'ai énormément appris en travaillant à Basel Yad, car j'ai travaillé avec une équipe pluridisciplinaire, avec des travailleurs et des travailleurs sociaux, des infirmières, des médecins, des psychologues, des juristes. Et donc, ça apprend un savoir-faire concret des terrains qu'on n'a pas quand on vient du monde de la recherche. Et aussi, un avantage, c'est que dans le monde scientifique, on fait des enquêtes théoriques qui sont très importantes, mais on a rarement la chance d'arriver à des résultats concrets, à créer des dispositifs.

  • Frédéric Vuillod

    Parce que vous êtes dans la vraie vie, Nicolas Bonlieu, c'est ça ? Est-ce que vous, vous auriez un conseil à donner à d'autres porteurs de projets qui veulent aussi se lancer dans une recherche-action ?

  • Nicolas Bonlieu

    Baser une action sur une recherche et sur un travail d'analyse a permis de poser des bases solides et légitimes ensuite pour... Présenter le projet et entre guillemets le vendre aux financeurs. Et je pense que dans le monde associatif, on avance de manière parfois un peu trop empirique, alors qu'avec ce travail réalisé par Noémie, on a pu avancer sur des bases réelles, des analyses concrètes, une file active et des jeunes qui étaient déjà prêts à rentrer dans le dispositif. Et puis avec le soutien de la Fondation des Solidarités Urbaines, ça nous a permis vraiment d'aller... très vite ensuite dans le concret. Et donc je pense que c'est important de pouvoir comme ça avancer sur la base d'une recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Merci beaucoup à tous les deux pour ce très joli témoignage. Nicolas Bonlieu, Noémie Stella. C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat. la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

Description

Nicolas Bonlieu, administrateur de l’association Basiliade et Noemi Stella, docteure en sociologie, dévoilent au micro du journaliste Frédéric Vuillod les résultats du projet “L’Escale”, soutenu par la Fondation des solidarités urbaines à l’occasion de son premier appel à projets qui avait pour thème “Lutter contre l’isolement des personnes fragiles”. 


Ensemble, ils racontent comment ils ont mené un travail de recherche-action pour répondre aux problématiques rencontrées par les jeunes LGBTQI+ en situation de précarité, notamment en matière de logement. Au-delà d’un accompagnement global, ce projet a mené à la création d’une douzaine de colocations dans Paris, dans un environnement stable et sécurisant, point de départ vers l’autonomie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Frédéric Vuillod

    Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, nous sommes avec Nicolas Bonlieu, administrateur de l'association Basiliade, et avec Noémie Stella, qui est docteur en sociologie. Et ensemble, on va parler à la fois de lutte contre l'isolement, d'hébergement de personnes fragiles ou exilées, mais on va aussi parler de suivi médical et psychologique. Nicolas Bonlieu, bonjour d'abord.

  • Nicolas Bonlieu

    Bonjour.

  • Frédéric Vuillod

    Expliquez-nous ce que fait l'association Basiliade, pour qu'on plante un petit peu le décor ensemble.

  • Nicolas Bonlieu

    Basiliade est une association issue de la lutte contre le sida, qui est née il y a 30 ans. et qui accueille, accompagne et héberge des personnes toujours en précarité et parfois malades avec un objectif qui est le retour à l'autonomie. Nous accueillons aujourd'hui environ 1000 personnes par an, dont 500 sont hébergées par Basiliade.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Sella, vous êtes donc docteur en sociologie. Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi consiste votre travail et ce que vous faites avec l'association Basiliade ?

  • Noemi Stella

    Oui, la rencontre avec l'association Basiliade s'est faite en janvier 2019. J'étais inscrite en thèse à l'ENS et à l'EHSS. Et avec l'association Basiliade, on a monté une recherche-action.

  • Frédéric Vuillod

    Alors ça veut dire quoi une recherche-action ? Vous faites un travail de recherche et en parallèle, qu'est-ce qui se passe ?

  • Noemi Stella

    En fait, une recherche-action est une recherche en deux temps. Une première partie des diagnostics, où on va voir les problématiques des terrains rencontrés par la population ciblée. Et après, dans une deuxième phase, on va construire avec les personnes enquêtées et les collègues des Basiliades, une réponse concrète pour répondre à ces besoins identifiés dans la première phase. Donc moi, concrètement, quand en janvier 2019, j'ai intégré l'association, j'ai commencé avec un travail de terrain. Donc avec l'association Basiliade, il y a eu plusieurs associations LGBT qui ont été contactées et qui pris part à ce travail-là. Accepte Testé, Les Lesbiennes dépassent les frontières, L'Ardis, Afrique Arc-en-Ciel, les centres LGBT, etc. Il y a eu aussi des hôpitaux, il y a différents partenaires qui nous ont orientés des personnes LGBT en situation de précarité. Et... qui avait envie d'entamer cette recherche avec moi. Donc c'est une recherche longitudinale, ça veut dire que j'ai réalisé des entretiens et des observations participantes sur le long terme. Je n'ai pas vu les personnes une seule fois, je les ai vues à plusieurs reprises sur trois ans et demi pour identifier notamment les obstacles auxquels il et elle n'arrivaient pas à s'en sortir tout seul. Il y avait besoin d'un projet un peu structurel qu'on pouvait mettre en place pour répondre à ces besoins-là.

  • Frédéric Vuillod

    Donc vous êtes en train de recueillir la parole, à l'époque en tous les cas, parce que votre projet aujourd'hui est terminé, vous étiez en train de recueillir cette parole. Mais Nicolas Bonlieu, qu'est-ce qui vous a pris à l'association Basiliade de vouloir mener ce travail de recherche-action ? Qu'est-ce que vous cherchez à savoir et à propos de quel public précisément ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors, issu de la lutte contre le sida, Basiliade avait ce lien affectif avec le monde LGBT. Et notre président notamment et l'ensemble du conseil d'administration de Basiliade avaient à cœur... et d'essayer de mieux comprendre les parcours de ces jeunes adultes LGBT en précarité à Paris, ces parcours d'errance, et à partir d'une étude et d'une recherche d'expertise, en tirer des enseignements pour ensuite apporter des réponses.

  • Frédéric Vuillod

    Alors qu'est-ce que ça veut dire quand on s'appelle Basiliade et qu'on accueille une chercheuse qui vient faire un travail de terrain ? Comment se déroule le partenariat ?

  • Nicolas Bonlieu

    Le partenariat, c'est faire confiance à la chercheuse. Et donc la laisser travailler sur son travail de recherche et donc mener ses interviews, faire des points réguliers sur son avancement dans cette recherche. Et au fur et à mesure que cette recherche avance, c'est commencer à travailler et à imaginer des solutions et des réponses aux besoins exprimés par les personnes suivies.

  • Frédéric Vuillod

    Et pourquoi est-ce que vous avez voulu cibler en particulier cette population LGBTQI+.

  • Nicolas Bonlieu

    Parce qu'il nous a semblé que... ces populations avaient des critères de vulnérabilité précis qui accentuaient leur précarité. Et que donc, il était important de pouvoir les identifier pour ensuite apporter des solutions.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, vous avez donc mené de nombreux entretiens. Combien ?

  • Noemi Stella

    162 entretiens sur 48 personnes. Donc au total, il y a eu 48 enquêtés, participants et participantes à l'enquête.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce qui ressort de ces entretiens ? On a des tranches de vie sans doute extrêmement fortes.

  • Noemi Stella

    Oui, déjà, un premier élément, c'est que la majorité de ces personnes-là, c'est des personnes exilées. Donc, on a une majorité des personnes qui sont d'Afrique subsaharienne. Il y a aussi des personnes qui sont du Maghreb, donc Afrique du Nord, partie Asie, Bangladesh notamment. Et on a une partie aussi d'Amérique du Sud. Il n'y a que 8 Français et Françaises dans l'enquête. Donc, on parle vraiment des personnes LGBT exilées, en grande majorité. Les fils rouges, il y en a plusieurs, mais celui qui a été vraiment malheureusement transversal à tous les récits de vie a été la précarité résidentielle. Et donc la question de la précarité résidentielle des personnes LGBT est centrale parce que ça reste un point aveugle à la fois dans la recherche scientifique et à la fois d'un point de vue des terrains. Par exemple, on a tous les questionnaires des enquêtes sans domicile où on ne peut pas, par exemple, la question d'identité de genre et d'orientation sexuelle n'est pas posée, donc on ne sait pas aujourd'hui comptabiliser. combien de personnes LGBT il y a à la rue, alors que dans d'autres pays, aux États-Unis, au Canada, on a ce genre d'enquête. Donc aujourd'hui en France, on ne sait pas les spécificités des personnes LGBT à la rue ou prise en charge dans des dispositifs d'hébergement généraliste. Et donc finalement, mon travail de recherche a été de montrer qu'est-ce qui se passe pour les personnes LGBT exilées qui n'ont pas de logement personnel, qu'est-ce qui se passe quand elles arrivent à être hébergées dans des dispositifs généralistes, qu'est-ce qui se passe avec les réseaux informels. qu'ils arrivent à mobiliser, notamment la famille, les compatriotes hétérosexuels qui habitent dans la région d'Île-des-France, ou encore avec les réseaux LGBT mobilisables. Et donc, mon travail porte vraiment sur ce que ça fait d'être exilé, LGBT et en situation de précarité.

  • Frédéric Vuillod

    Pourquoi c'est important de creuser cette question-là chez ce public-là ? Parce qu'on pourrait dire, bon ben voilà, il y a des sans-abri, il faut apporter une réponse en matière de logement, qu'on soit LGBT ou pas.

  • Noemi Stella

    Ben en fait... pour les personnes LGBT exilées, on a vraiment un croisement des vulnérabilités spécifiques. Donc quand on a une personne LGBT visiblement LGBT, donc déviante en termes de genre, il y a des discriminations spécifiques à leur égard. Et donc en fait pour les personnes LGBT en errance, il y a beaucoup plus de risques d'agression quand elles n'ont pas de logement. Et aussi l'enquête VIRAGE menée par l'INED nous a montré que les personnes LGBT ont beaucoup plus de conflits intrafamiliaux que les personnes hétérosexuelles. Et donc il y a aussi beaucoup plus des ruptures familiales, des personnes qui sont mises à la porte de la part de leur famille.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, est-ce que ce public LGBTQI+, est nombreux parmi les personnes que vous accueillez chez Basiliade ?

  • Nicolas Bonlieu

    Alors le résultat de la recherche-action menée par Noémie nous a conduit à créer un dispositif et une maison spécifique pour accueillir ce public adulte LGBT en précarité. Donc cette maison s'appelle l'Escale, qui est donc, comme son nom l'indique, une escale dans leur parcours. et donc proposent de l'hébergement ainsi que de l'accompagnement global pour leur permettre de s'opposer et d'avancer dans leur parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Est-ce que l'adresse est secrète ?

  • Nicolas Bonlieu

    L'adresse n'est pas secrète, on a des locaux avec des espaces de convivialité et des salles de réunion rue Saint-Denis au cœur de Paris et ensuite le dispositif d'hébergement est un dispositif en diffus au travers d'une douzaine d'appartements répartis dans Paris. Donc c'est très novateur, notamment... avec un soutien de l'État via la DRIL, qui est le financeur à Paris de l'hébergement d'urgence et qui a accepté ce principe d'accompagner un centre d'hébergement d'urgence basé sur ces critères d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

  • Frédéric Vuillod

    Qu'est-ce que ces logements ont de particulier ?

  • Nicolas Bonlieu

    Ils ont de particulier d'être d'abord des colocations en diffus. En diffus,

  • Frédéric Vuillod

    ça veut dire un appartement par-ci, par-là, dans différents immeubles. Voilà,

  • Nicolas Bonlieu

    une douzaine d'appartements répartis dans Paris, 48 jeunes. des appartements de 3 à 9 chambres. C'est une vie relativement éloignée des équipes d'accompagnement, qui ne sont pas sur place dans les logements, et puis une équipe de bénévoles qui va également apporter une complémentarité des activités de convivialité pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Combien de bénévoles vous avez ?

  • Nicolas Bonlieu

    Aujourd'hui, une quinzaine de bénévoles qui sont réguliers, qui proposent des repas de convivialité, des sorties culturelles, sportives, pour ces jeunes.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce qu'on apprend de votre travail, en particulier sur les leviers de lutte contre la précarité chez ces jeunes LGBTQI+, qui sont sans domicile fixe ?

  • Noemi Stella

    Donc déjà, peut-être un des résultats, c'était que les personnes qui arrivaient à être prises en charge dans un dispositif d'hébergement, j'ai dit qui arrivent parce qu'en Ile-des-France, il y a une saturation structurelle des centres d'hébergement généralistes et pour les personnes exilées en demande d'asile. Il n'y a que 30% des exilés en demande d'asile qui vont être finalement hébergés. Donc, pour ceux et celles qui arrivent à être hébergés dans des centres d'hébergement, j'ai eu énormément de témoignages de discrimination, d'agression et des craintes de subir des agressions LGBTQ. Donc, un premier constat, c'est qu'aujourd'hui, les centres d'hébergement sont structurés de manière binaire. Ça veut dire que la majorité sont divisés par sexe. Donc, ça fait que les personnes qui ne rentrent pas dans ces binarités-là, elles sont discriminées déjà tout de suite au niveau d'accès. On pense notamment aux personnes trans et aux femmes trans. qui, dans la thèse, sont celles qui ont reporté les plus de difficultés d'accès à un centre d'hébergement. Et aussi qu'une fois qu'elles rentrent dans les centres d'hébergement, ils et elles vont être discriminés par les autres personnes hébergées. Donc ça, c'est un des premiers résultats. Le deuxième résultat, c'est qu'on disait que c'est des personnes LGBT, mais c'est aussi des personnes exilées. Et donc, on a un peu une mise à l'écart institutionnalisée des personnes précarisées par leur statut juridique en France. Et donc, les personnes qui sont sans papier. elles sont souvent prises en charge dans les dispositifs les moins protecteurs. Ça veut dire les nuitées à un hôtel ou les centres d'hébergement d'urgence généralistes où il y a une durée de prise en charge plus courte et un suivi qui est un peu moins important qui est par exemple dans les CHRS ou dans les CHU spécialisées comme est l'ESCALE car il y a une équipe pluridisciplinaire sur place. Un deuxième résultat de la recherche, c'est qu'elle a montré l'importance de former les équipes des centres d'hébergement. Donc, en fait, là où il y avait des alliés au sein des équipes, l'accueil et l'accompagnement des personnes LGBT a été beaucoup plus important et positif. Donc, il y a vraiment un enjeu à former les équipes, à la fois les travailleurs et travailleuses sociales, mais toutes personnes qui travaillent dans les centres d'hébergement. Donc, aussi les personnes à l'accueil, les personnes qui font les ménages. Il y a parfois eu des alliances avec les personnes qui faisaient les ménages et qui permettaient à des personnes, par exemple, gays, très efféminés, d'aller prendre la douche. à des moments séparés que les autres, de manière à ne pas avoir des problèmes d'attouchement ou des violences sexuelles à ce moment-là. Et une troisième chose, c'est peut-être de concevoir des dispositifs avec les personnes concernées. Donc, on a conçu tous ensemble ces dispositifs-là et l'effet que l'ESCALE a pris cette forme, c'est parce qu'il et elle ne voulaient pas revivre les violences qu'ils avaient vécues dans les autres centres. Donc, c'est des appartements en colocation un diffus et ce n'est pas une structure, effectivement, un gros bâtiment où à chaque étage il y a plusieurs chambres, car ça a été une demande. Il y a aussi un droit à la vie affective et sexuelle qui est très important, qui est resté central, car dans la majorité des centres d'hébergement, les personnes ne peuvent pas recevoir dans leur chambre des visites. Donc cette partie-là, c'est des personnes qui sont donc minorées d'un point de vue des sexualités et des vies intimes, alors que à Basiliade, ça a été un peu un pilier de l'escale. Et aussi les respects de l'inconditionnalité de l'accueil, car... Dans la majorité des structures, comme on disait, les personnes sans papiers, elles ont un peu moins de place et c'est plus difficile d'accéder à des structures protétrices, alors que là, c'est une inconditionnalité véritable au-delà du statut juridique de la personne.

  • Frédéric Vuillod

    Nicolas Bonlieu, comment est-ce que vous avez reçu ces observations ? Est-ce que ça reflète bien ce que vous vivez au quotidien sur le terrain ? Et qu'est-ce que vous allez en faire ?

  • Nicolas Bonlieu

    Complètement. Le premier renseignement, ça a été d'évidemment identifier le fait que l'hébergement est le point de départ. pour ces jeunes, pour construire leur avenir et leur parcours vers l'autonomie et qu'une fois dans cet hébergement stable, sécurisant, on peut attaquer les sujets d'accès aux droits, d'accès aux papiers, de santé, d'accès à une formation, à des revenus, à un travail, pour ensuite sortir de l'escale. L'escale, c'est encore une fois une escale, donc l'objectif c'est une fois arrivé, posé, et stabilisé la situation et travailler sur ce parcours. sortir de l'escale et aller vers un dispositif d'hébergement plus pérenne, qui va être un foyer de jeunes travailleurs, une résidence sociale, un appartement en Solibail par exemple. Et donc c'est vrai que depuis maintenant l'ouverture du premier appartement en septembre 2020, on a connu aujourd'hui plus d'une vingtaine de sorties positives de ces jeunes qui ont, j'allais dire, entre guillemets, réussi ce parcours vers l'autonomie.

  • Frédéric Vuillod

    Alors si vous deviez retenir... Un ou deux éléments particulièrement forts de ce projet, ce seraient lesquels ?

  • Nicolas Bonlieu

    La colocation est un élément déterminant du projet parce qu'il vient renforcer l'autonomie des jeunes, notamment dans le vivre ensemble. Ces jeunes ne se choisissent pas et donc doivent apprendre à cohabiter et à respecter leurs différences. Ce sont des jeunes qui sont issus essentiellement de parcours migratoires. qui viennent de différents pays, de différentes cultures, de différentes religions, ne parlant pas souvent la même langue, n'ayant pas souvent la même orientation sexuelle ou identité de genre. Et donc cette colocation c'est un formidable creuset pour apprendre à vivre ensemble, avec aussi ses points plus perfectibles, parce que la colocation elle est éloignée des personnes qui accompagnent, des professionnels, et donc parfois peut créer des difficultés. Ce qu'on a aussi appris, c'est l'importance des... trauma psychologique vécu par ces jeunes dans leur parcours migratoire. Parce que ce sont souvent des jeunes qui ont vraiment fui leur pays pour sauver leur peau, parce que dans leur pays en danger de mort, souvent de par leur propre famille ou leur environnement proche. Et donc ces jeunes suivent des parcours de plusieurs mois, parfois plusieurs années, passent par différents pays de l'Europe de l'Est, des parcours qui sont parfois difficilement d'ailleurs entendables et très émouvants. Et donc quand ils arrivent en France... ils se retrouvent à la rue. Donc c'est vrai que l'escale, pour eux, c'est une bouée de sauvetage. Mais les traumapsies vont être un élément qui peut être parfois perturbant et en tout cas va ralentir le parcours vers l'autonomie. Donc on a un vrai travail sur la santé à Basiliade et notamment à l'escale avec une psychologue à mi-temps, une infirmière à mi-temps qui va coordonner les parcours de soins pour traiter ces sujets de santé.

  • Frédéric Vuillod

    Noémie Stella, qu'est-ce que vous retenez, vous ? comme élément le plus essentiel de votre travail de recherche à l'ESCALE ?

  • Noemi Stella

    Peut-être deux éléments. Le premier, c'est l'importance de la convergence des luttes. C'est-à-dire qu'effectivement, il y a à la fois les luttes pour les droits des personnes LGBT et aussi les droits pour les personnes exilées, notamment les personnes, enfin les deux, c'est des personnes qui sont marginalisées. Et donc, on se rend compte que souvent, les politiques d'hébergement et les politiques migratoires dans ces dernières années tendent malheureusement à converger. Et donc, quand on cherche à s'intéresser à ces thèmes-là, il faut vraiment mener une lutte transversale, je pense, et s'intéresser à ces deux causes qui sont vraiment entrelacées. Et le deuxième, c'est la force du collectif, c'est-à-dire que cette enquête a été menée avec des personnes concernées, avec une association médico-sociale, avec les mondes de la recherche, avec des associations LGBT militantes, dont la majorité, c'est des bénévoles. Et donc, c'est très important, cet équilibre et ces alliances. Et il faut vraiment faire trésor de ces réseaux. Quand il s'établit, il est très efficace et il apporte la parole des personnes concernées avec les ressources, les savoir-faire de l'association. Donc, je trouve que ça a été une formule gagnante.

  • Frédéric Vuillod

    Un tonnerre très riche en tous les cas. Alors, si vous deviez donner un conseil à d'autres porteurs de projets qui veulent eux aussi se lancer dans une recherche action, qu'est-ce que vous leur diriez ?

  • Noemi Stella

    Alors, moi, d'un point de vue de la recherche, je dirais que c'est très intéressant pour les chercheurs et les chercheuses de s'engager dans des enquêtes chiffres et des recherches actions avec des associations. Moi, de mon côté, j'ai énormément appris en travaillant à Basel Yad, car j'ai travaillé avec une équipe pluridisciplinaire, avec des travailleurs et des travailleurs sociaux, des infirmières, des médecins, des psychologues, des juristes. Et donc, ça apprend un savoir-faire concret des terrains qu'on n'a pas quand on vient du monde de la recherche. Et aussi, un avantage, c'est que dans le monde scientifique, on fait des enquêtes théoriques qui sont très importantes, mais on a rarement la chance d'arriver à des résultats concrets, à créer des dispositifs.

  • Frédéric Vuillod

    Parce que vous êtes dans la vraie vie, Nicolas Bonlieu, c'est ça ? Est-ce que vous, vous auriez un conseil à donner à d'autres porteurs de projets qui veulent aussi se lancer dans une recherche-action ?

  • Nicolas Bonlieu

    Baser une action sur une recherche et sur un travail d'analyse a permis de poser des bases solides et légitimes ensuite pour... Présenter le projet et entre guillemets le vendre aux financeurs. Et je pense que dans le monde associatif, on avance de manière parfois un peu trop empirique, alors qu'avec ce travail réalisé par Noémie, on a pu avancer sur des bases réelles, des analyses concrètes, une file active et des jeunes qui étaient déjà prêts à rentrer dans le dispositif. Et puis avec le soutien de la Fondation des Solidarités Urbaines, ça nous a permis vraiment d'aller... très vite ensuite dans le concret. Et donc je pense que c'est important de pouvoir comme ça avancer sur la base d'une recherche.

  • Frédéric Vuillod

    Merci beaucoup à tous les deux pour ce très joli témoignage. Nicolas Bonlieu, Noémie Stella. C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines, fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat. la RIVP et Elogie-Siemp, Aximo, l'Habitation confortable et l'Habitat social français. A bientôt !

Share

Embed

You may also like

undefined cover
undefined cover