- Frédéric Vuillod
Le monde associatif expérimente et étudie des solutions au cœur de la ville pour améliorer la vie des habitants. Souvent très riches d'enseignements, ces solutions méritent d'être partagées. Je m'appelle Frédéric Vuillon, je suis journaliste et je pars à leur découverte. Vous écoutez Ville solidaire, ville durable, le podcast de la Fondation des solidarités urbaines, le laboratoire des bailleurs sociaux de la ville de Paris, qui offre ici un espace de partage d'expériences aux projets qu'elle soutient. Aujourd'hui, je vous emmène rencontrer Lola Chevallier. Elle coordonne au niveau national les actions femmes de la FASTI, la Fédération des associations de solidarité avec tous les immigrés, et plus exactement avec toutes les immigrées, puisque dans cet épisode, on va parler de femmes étrangères enceintes, de mères de jeunes enfants en errance administrative, on va parler d'accès aux soins, d'accès aux droits. Bonjour ! Lola Chevallier.
- Lola Chevallier
Bonjour.
- Frédéric Vuillod
Alors, la FASTI a développé à Paris, il y a plus de dix ans, un dispositif qui s'appelle la Ronde des Femmes, sur lequel vous avez mené une expérimentation en 2020 et 2021. En quoi ça consiste, la Ronde des Femmes ?
- Lola Chevallier
Alors, la Ronde des Femmes, c'est un projet qui est territorialisé sur le quartier Belleville-Amandier, dans le 20e arrondissement de Paris. Et ce projet, il vise à améliorer le parcours de soins. et le parcours d'accès au droit des femmes en situation de périnatalité. C'est-à-dire des femmes soit enceintes, soit avec de très jeunes enfants, et qui sont en situation de précarité sur le territoire.
- Frédéric Vuillod
Alors on imagine bien dans cette dénomination, les femmes qui se tiennent la main, elles font la ronde. C'est ça un petit peu la philosophie qu'il y a derrière l'action que vous avez menée ?
- Lola Chevallier
Oui c'est ça, c'est l'histoire de, en tout cas l'objectif du projet, c'était de créer des espaces d'échange entre les femmes. À cette période-là, on recevait dans le quartier beaucoup de femmes qui étaient enceintes, qui avaient un suivi de grossesse qui était tardif dans la prise en charge, avec des problèmes de précarité administrative, d'absence de titre de séjour, d'errance aussi par rapport au logement, des hébergements qui étaient par le 115, mais pas des hébergements pérennes.
- Frédéric Vuillod
Donc le 115, c'est le SAMU social ?
- Lola Chevallier
C'est le SAMU social, oui, tout à fait. Donc voilà, une situation de précarité, des femmes qui cumulaient plusieurs situations de précarité. des situations d'isolement aussi. Et donc en fait avec plusieurs partenaires sur le territoire, on a essayé de réfléchir à comment on pouvait en tout cas se coordonner, faire une action. Et donc c'est comme ça qu'est née la Ronde des Femmes. Et nous à la FASTI, cette action en fait on l'a déclinée en plusieurs volets, dans une démarche aussi de santé communautaire, de santé globale, qui prend en compte aussi tous les déterminants de la santé, donc les conditions matérielles d'existence, les conditions de logement. le bien-être, voilà. Et aussi dans une démarche participative, parce qu'on est aussi une association d'éducation populaire, et voilà, notre objectif aussi, c'est d'avoir une solidarité, de faire avec les personnes, et pas pour les personnes. Et nous, dans ce projet, il y a eu plusieurs actions qui ont été mises en place. La première, c'était un groupe autosupport, où en fait, les femmes sont actrices, où elles peuvent, elles, agir sur leur santé, sur leurs conditions, et donc voilà, l'idée, c'était d'avoir ce groupe d'échange. entre femmes de solidarité et de faire intervenir des partenaires pour qu'elles puissent avoir des moments d'échange un peu privilégiés, avoir elles-mêmes les informations.
- Frédéric Vuillod
Je crois qu'au total, vous avez une quarantaine de partenaires sur cette expérimentation. C'est important.
- Lola Chevallier
Oui, on est sur un territoire aussi très dynamique.
- Frédéric Vuillod
Alors, vous avez dit que vous avez cinq axes d'action.
- Lola Chevallier
Oui, on a ce groupe, Autosupport. À côté, parce qu'on ne peut pas tout régler dans un groupe autosupport, et puis l'idée c'est vraiment que les femmes en tout cas fassent des projets, donc on a aussi un accompagnement individuel sur les démarches administratives, les inscriptions à la maternité, les inscriptions en crèche, trouver des partenaires vers lesquels orienter, voilà, plutôt de l'accompagnement individuel. Et en 2020-2021, on a mis en place, grâce au soutien de la Fondation, une autre action d'art-thérapie aussi. parce que le défi de ce projet, c'est comment créer une dynamique de groupe, comment favoriser l'expression et la participation des femmes. Et voilà, l'art-thérapie, c'est aussi un autre média pour discuter. Et voilà, ça a permis aussi de faire émerger la parole des femmes, de construire des projets collectifs artistiques. Elles ont pu aussi présenter aux habitantes et aux habitants du quartier. Il y a eu des fresques qui ont été faites, il y a eu un livret pour qu'elles, à leur tour, puissent être relées des informations. dont elles ont bénéficié, dont elles se sont échangées, parce que l'idée c'est de s'appuyer aussi sur leurs compétences. Et aussi tout un travail, des rencontres avec les partenaires. Il y a des grosses rencontres qui sont une fois dans l'année, qui réunissent justement 40 à 50 personnes à ces rencontres-là, sur les thématiques du logement, sur les thématiques des violences aussi. On a fait la question de l'impact des violences aussi sur le parcours de soins des femmes. Et donc ça, l'objectif aussi, c'est le deuxième objectif du projet, c'est quand même de lever un peu les représentations sur c'est quoi le système de soins, comment ça fonctionne, mais aussi des professionnels qui vont se dire que les femmes ne suivent pas les traitements, ne suivent pas les recommandations et faire comprendre que quand on est enceinte, qu'on a été déménagée, qu'on est inscrite à la maternité du 20e, mais que finalement, notre hébergement s'est poursuivi. Dans le 91, ce n'est pas forcément facile de venir à des rendez-vous, d'autant plus quand on est dans une précarité financière et qu'on n'a pas de titre de transport. Essayer en tout cas que les professionnels du quartier puissent prendre en compte la réalité des femmes et adapter aussi leur posture par rapport à ces réalités.
- Frédéric Vuillod
Concrètement, comment ça se déroule cette expérimentation ? Vous allez chercher les femmes ou elles vous sont adressées par des dispositifs particuliers ? Et combien de personnel vous mettez en place pour les accompagner ?
- Lola Chevallier
Alors sur l'orientation des femmes, en tout cas dans ce local-là, notre association existe depuis plus de 50 ans, mais dans ce local-là, on y est depuis, je dirais, un peu plus de 25 ans. Donc on est bien identifié sur le quartier. On a des permanences juridiques concernant l'accès au droit. Donc il y a aussi par ce biais-là aussi où des femmes viennent à nos permanences et on les réoriente vers ce groupe autosupport. Les partenaires aussi, beaucoup de partenaires nous envoient des femmes. Et nous, tous les ans, on fait des petits flyers pour expliquer le projet, diffuser. On est aussi très en lien avec beaucoup de partenaires dans des projets collectifs. Et donc voilà, tout ça, c'est cette connaissance aussi qui permet d'orienter aussi les femmes et beaucoup le bouche à oreille.
- Frédéric Vuillod
Est-ce qu'il y a des imprévus, des enseignements que vous avez tirés de cette expérimentation ?
- Lola Chevallier
Oui, alors, on a eu un... Un imprévu assez important puisque ce projet s'est déroulé au moment où il y a eu la pandémie Covid. Donc voilà, ça a eu un impact très important sur notre projet. Il y a eu le confinement qui s'est mis en place, beaucoup de lieux ont fermé, dont la Fastif. On s'est retrouvés à devoir fermer nos locaux. Et donc tout le défi, ça a été aussi de comment maintenir le lien avec les femmes. Des femmes qui étaient plutôt dans des situations d'isolement, dans des logements pas adéquats pour un confinement. quand on est en chambre d'hôtel par le SAMU social, qu'on a une chambre et qu'on ne peut pas sortir les enfants, enfin voilà, toutes ces conditions. Et on a essayé, heureusement, on avait un groupe WhatsApp que les femmes ont décidé de créer, qu'elles ont appelé Paroles de Femmes. Ça sert pour s'envoyer des informations, pour se donner des bons plans, pour s'échanger là où on peut trouver des affaires de bébés, où il y a des distributions, mais aussi prendre des nouvelles. Et nous, dès qu'on a pu, on a repris les accueils individuels, on a fait de la solidarité concrète avec les besoins. qu'il y avait eu sur le moment, c'est-à-dire imprimer des fiches d'autorisation de sortie aussi, parce que tout le monde n'a pas accès à une imprimante.
- Frédéric Vuillod
On s'en souvient de ces fiches d'autorisation, oui.
- Lola Chevallier
Voilà. L'enseignement qui a été tiré de ce confinement, c'est que les inégalités ont été accentuées. Mais, j'allais dire le positif, parce qu'elles sont aussi justement très combatives et très fortes. Il y a eu cette idée aussi de se dire, après, on a envie de témoigner de comment nous, on a vécu le confinement. Et donc, elles ont fait tout un travail aussi de... de récits, de témoignages avec des dessins justement avec l'art thérapie. Et donc ça a donné un petit livret accompagné de leurs dessins et une expo qui s'appelle Confinés. Et tout ça, elles ont pu le présenter au Forum Femmes en Action qui met en avant les initiatives des femmes sur le quartier où elles ont pris la parole et elles ont pu aussi, voilà, elles parler de leur réalité.
- Frédéric Vuillod
Alors ça, c'est la période très particulière du confinement. Parlez-nous maintenant des résultats que vous avez constatés chez les femmes que vous avez accompagnées sur l'ensemble de cette période. Est-ce que votre projet a permis par exemple de rompre leur isolement ?
- Lola Chevallier
L'isolement s'est rompu de plusieurs manières. A la fois par la solidarité qui s'est créée dans le groupe, l'entraide qui s'est mise en place, mais aussi le fait qu'elles ont identifié sur le quartier des lieux ressources. Parce que nous l'idée c'est vraiment d'accompagner ces femmes vers le droit commun, de ne pas les laisser dans des espaces spécifiques. Nous on veut juste être un tremplin pour qu'elles puissent aller vers d'autres associations. Et donc on a tout un partenariat aussi avec deux centres sociaux sur le quartier. Et donc il y a eu cette rupture de l'isolement. C'est pas toujours évident, mais voilà, certaines ont obtenu leur titre de séjour, des demandes d'asile ont abouti, certaines sont parties en formation, ont eu des places en crèche, enfin voilà, tout ça c'est des victoires qui sont...
- Frédéric Vuillod
Des grandes victoires du quotidien. Voilà. Est-ce que vous avez aussi appris des choses sur la manière d'accompagner ces femmes, et sur la collaboration aussi entre les différents professionnels du secteur médico-social ?
- Lola Chevallier
Oui, sur la manière d'accompagner les femmes. Alors ça a plutôt renforcé des choses qu'on avait, mais vraiment sur cette idée de partir des besoins des femmes. Parce que nous, on est arrivé avec un projet en disant, il y a des besoins sur le quartier. Et donc on a fait un projet, et comme tous les projets, il faut qu'on le construise, on le fait. Mais oui, je dirais que ce que ça nous a en tout cas confirmé, c'est vraiment le fait d'avoir de la réflexivité sur les projets qu'on met en place et d'être capable d'adapter aux besoins réels identifiés. Parce que des fois, ce qu'on projette en tout cas, ce n'est pas les besoins. C'est primordiaux. Et je dirais que sur les méthodes, c'est vraiment la question de créer une dynamique de groupe, d'être dans la participation, dans le faire avec les personnes. Et ça, je pense que c'est quelque chose d'important. Et sur la dynamique partenaire, nous, ce que ça nous a montré, en tout cas, c'est qu'il y avait une envie. Des partenaires, en tout cas, de faire du lien sur ce sujet. Vraiment une envie de mieux accompagner, de mieux comprendre la réalité. Et c'est vrai que ces réunions, ces partenariats, on voit que ça a un effet quand même sur les femmes. Et c'est comme ça qu'on accompagne le mieux, parce que quand on se connaît, on oriente mieux. Et on sait que c'est important dans le parcours de soins de bien orienter, parce que si on oriente mal, les femmes après aussi ne nous font plus confiance. Donc il y a vraiment un intérêt à bien se connaître entre partenaires.
- Frédéric Vuillod
Est-ce que ce projet est réplicable ou est-ce que vous pensez qu'il est très attaché à la sociologie, à la population du 20e arrondissement de Paris ?
- Lola Chevallier
Non, ce projet, il est réplicable. Et alors, nous, on encourage la réplication de ce projet. Nous, on l'a diffusé dans notre réseau parce qu'on a plusieurs associations un peu partout en France. Donc, on l'a présenté à plusieurs reprises. Et ce projet, il est réplicable parce que la question de la précarité et de l'accès aux soins, en tout cas pour les femmes enceintes, c'est quelque chose qui est national. Là, on le voit dans les dernières enquêtes, montre aussi que la mortalité infantile réaugmente en France aujourd'hui. On sait qu'il y a aussi des endroits où les maternités sont éloignées, que ce n'est pas accessible. Je pense que ce projet, il est vraiment réplicable. Il a tout son sens dans plein de territoires. Après, le conseil que je donnerais, c'est vraiment de connaître son territoire, d'identifier vraiment les besoins. Et après, de construire avec les participants de ce projet.
- Frédéric Vuillod
S'il n'y avait qu'une seule chose la plus essentielle à retenir de ce projet, ce serait quoi selon vous ?
- Lola Chevallier
Je pense que c'est le fait que les femmes se sentent autorisées et légitimes à prendre la parole dans des événements publics, à parler. Et je trouve que c'est quelque chose qui est très important et c'est une grande réussite pour moi, parce que c'est aussi des femmes dont on parle beaucoup et qui n'ont pas forcément la parole. Et que ce projet puisse aussi leur permettre de visibiliser leurs paroles, de visibiliser leurs combats, parce que c'est des femmes combatives. Ça, je pense que c'est quelque chose que je trouve très important du projet.
- Frédéric Vuillod
Et aujourd'hui, pour finir, il y a une suite à ce projet ? Il y a des perspectives ?
- Lola Chevallier
Oui, ce projet continue. Il continue parce que l'expérimentation a montré qu'il était pertinent. Donc, il continue en évoluant. On a eu tout un travail autour du corps cette année. C'était quelque chose qu'on identifiait depuis un moment sur le fait que beaucoup de femmes qui participaient à ce projet ne faisaient pas d'accompagnement de préparation à l'accouchement. Et donc cette année on a mis en place avec une doula, ce n'est pas une professionnelle médicale mais qui fait de la préparation à la naissance. On a travaillé sur tout ce qui était aussi les droits des patients, le consentement dans le suivi médical, puis aussi tout ce qui était l'accueil de l'enfant, la préparation, comment ça se passe. Et tout ça, ça a eu un impact très positif. Et donc, on continue avec des séances yoga aussi. Donc, c'est vraiment tout un travail qui s'est recentré un peu autour du corps. Parce que les femmes disaient, oui, on a couché, mais maintenant, il y a aussi la question du corps, de la remise en forme. On n'a pas de temps avec les enfants, on a des appartements où on n'a pas l'espace. Donc, on fait ça en s'appuyant aussi sur les compétences justement des femmes. Parce que dans le groupe, on a une femme qui... fait du yoga aussi chez elle. Et donc, c'est aussi comment on construit ça ensemble, ces activités.
- Frédéric Vuillod
Et donc, l'aventure de la Ronde des Femmes continue. Merci beaucoup, Lola Chevallier.
- Lola Chevallier
Merci beaucoup.
- Frédéric Vuillod
C'était Ville solidaire, Ville durable. Vous pouvez retrouver cet épisode et tous les autres sur toutes les grandes plateformes de podcast, sur le média de l'économie sociale et solidaire Mediatico.fr et sur le site internet de la Fondation des Solidarités Urbaines fondée par les bailleurs sociaux Paris Habitat, la RIVP, E logie-Siemp, Aximo, l'habitation confortable et l'habitat social français. A bientôt !