- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 2, un podcast de la Caisse des dépôts. « Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime » . Ces mots de Victor Hugo, extraits du poème « Aux arbres » , évoquent une forêt robuste, protectrice et apaisante. Mais au chevet de ces écosystèmes plus fragiles qu'il n'y paraît, des protecteurs aussi discrets qu'attentifs œuvrent chaque jour à écarter les menaces qui les guettent. Avec Damien Lovin, chargé d'études à la Société Forestière de la Caisse des Dépôts, nous allons tenter d'explorer les voies qui mènent à la résilience de nos forêts. Mais avant ça, j'aimerais savoir, Damien, comment et pourquoi la forêt est devenue l'objet de votre attention et de votre affection ?
- Speaker #1
Alors, la forêt a toujours été très particulière pour moi. Je pense que j'y suis allé dès ma plus tendre enfance. Mes premiers souvenirs en forêt remontent à l'âge de 3 ou 4 ans, lorsque je marchais dans les bois avec mon grand-père et qu'il devait me porter dans ses bras pour passer au-dessus des ronces que je rencontrais sur mon chemin. Et les années ont passé, j'ai été beaucoup dans les bois pour avoir quelques activités récréatives. Mais j'ai également eu des activités qui m'ont demandé de transpirer un peu plus, à faire le bois de chauffage pour se chauffer pendant l'hiver. Et c'est vraiment ce qui m'a donné goût à aller en forêt.
- Speaker #0
Si on devait, Damien, dresser un panorama de la forêt en France aujourd'hui, en termes d'étalement, en termes de dynamique, en termes de type de propriétaire, qu'est-ce que vous nous diriez de principal à retenir ?
- Speaker #1
En quelques chiffres, la forêt représente près de 17 millions d'hectares sur le territoire français. En l'état, ça ne doit pas vous parler beaucoup, mais il y a près de 30% de la surface française qui est boisée. On trouve de la forêt sur tous les départements de la France. Elle est vraiment omniprésente dans nos vies. Près des trois quarts de ces forêts sont des forêts privées. Elles sont détruites. détenu par plus de 3 500 000 propriétaires. Donc de très nombreuses personnes sont propriétaires de forêts en France.
- Speaker #0
On a évoqué en introduction la force de la forêt dans nos imaginaires collectifs, largement encouragée par le travail des auteurs de tout temps, mais de façon un petit peu plus pragmatique. s'il fallait énumérer les... principaux rôles que jouent les forêts dans nos vies et qu'on ne voit peut-être pas de nos fenêtres respectives, lesquels citeriez-vous en priorité ?
- Speaker #1
La forêt française est dite multifonctionnelle, c'est-à-dire qu'on réalise sur une même forêt, la forêt répond à différents services, ce sont des puits de biodiversité auxquels on peut penser assez rapidement. Mais les forêts sont également capables de stocker du carbone qu'elles captent dans l'atmosphère et stockent dans le bois. Au sein de la forêt, une fois que le bois est valorisé et mis en œuvre dans la construction, par exemple, ce carbone est séquestré plus longtemps. et ça aide notamment la France à répondre à ces engagements en termes de... de préservation du climat.
- Speaker #0
Et l'eau aussi, la forêt joue un rôle dans le cycle de l'eau ?
- Speaker #1
Exactement, la forêt est capable un petit peu de stimuler les pluies, et a une action de régulation du climat. Et les sols forestiers jouent le rôle de filtre pour épurer l'eau qui traverse les racines, le sol, avant de se rendre dans la nappe phréatique.
- Speaker #0
Alors on avance encore un peu, après le rôle des forêts, il y a le rôle du forestier que vous êtes. Est-ce qu'on peut considérer que le forestier est garant de ses fonctions primordiales que vous venez de citer ? Et si oui, comment décrirez-vous votre rôle et votre intervention pour les préserver, ces fonctions de la forêt ?
- Speaker #1
Le forestier surveille ses forêts un peu comme un médecin pourrait le faire avec ses patients. Donc il y a tout un tas, un médecin généraliste par exemple, a tout un tas de patients qui sont en bonne santé, et ça c'est important de l'avoir à l'esprit, et lorsqu'un patient est malade, il l'aide à identifier sa maladie et à le guérir pour qu'il soit de nouveau en bonne santé. C'est un peu ce que fait le forestier au quotidien.
- Speaker #0
Quand vous dites le médecin généraliste a beaucoup de patients en bonne santé, vous voulez dire que globalement nos forêts sont en bonne santé ?
- Speaker #1
Globalement, les forêts françaises vont bien, la forêt française gagne du terrain. En France, on n'a pas un modèle à l'américaine. Le modèle à l'américaine, il consiste à être ultra-productiviste sur certaines zones, à mettre d'autres zones en réserve nationale et à les mettre complètement sous cloche. Et en fait, justement, la forêt française, qui est dite multifonctionnelle, c'est une forêt sur laquelle on fait tout sur le même territoire. Et donc le travail du forestier français, c'est vraiment d'organiser la gestion la plus compatible avec tous les objectifs qu'on donne à la forêt. Et donc globalement, les forêts françaises vont en bonne santé, même si évidemment on observe des effets du changement climatique, notamment ces dernières années, ces derniers étés, avec des sécheresses à répétition qu'on a pu avoir. et qui ont pu être source de dépérissement d'arbres, d'incendies en 2022. Et on a évidemment quelques grosses tempêtes en mémoire, même si nous n'en avons pas reçu billes ces dernières années.
- Speaker #0
Et alors concrètement, comment est-ce qu'on anticipe ? Comment est-ce qu'on anticipe par exemple la sécheresse ? Comment est-ce qu'on anticipe les risques d'incendie ? Comment est-ce qu'on anticipe les coups de vent ?
- Speaker #1
Justement, en menant des actions particulières dans la gestion quotidienne de nos forêts, prenons peut-être dans l'ordre une par une, les étés secs de ces dernières années, je pense à l'année 2018, 2019, 2020, 2022 également, ont pu favoriser le dépérissement de certains arbres. Alors évidemment pas tous, certains ont très bien résisté. Mais j'ai notamment en tête une essence, l'épicéa, qui était abondamment présente sur le territoire français, dans tout le quart nord-est de la France principalement. Et l'épicéa a souffert d'attaques d'insectes en particulier, qu'on appelle le scolite, qui sont des petits coléoptères qui piquent l'écorce de l'arbre au niveau du tronc. et qui grignote ensuite un tout petit peu de bois juste sous l'écorce, ce qui a pour effet d'affaiblir l'arbre. Et lorsque ces insectes sont trop nombreux à attaquer l'arbre, ils peuvent finir par ne plus avoir suffisamment d'énergie vitale et peuvent mourir très rapidement. Il y a eu tout un travail qui a été fait en amont par les forestiers où lorsqu'il était possible d'introduire d'autres essences à la place des piscéas, Ciao ! on le faisait systématiquement, on introduisait d'autres essences et un mélange d'essences pour essayer de repartir sur une forêt plus résiliente aux changements climatiques. Et lorsque des épicéas ont été touchés, on surveille nos forêts comme du lait sur le feu et au premier signe de dépérissement localisé de l'essence, on intervient, on sauve. tout le bois qui peut être sauvé, afin que ce dernier soit valorisé par toutes les PME locales et transformé en bois d'oeuvre utilisé en construction. Et ensuite, cette forêt, on la reconstitue à l'aide de plantations et en utilisant également des essences qui peuvent pousser naturellement sur le terrain.
- Speaker #0
Comment vous procédez d'ailleurs pour la phase de recherche, de laboratoire, pour décider quelles essences vont aller où, pour anticiper la façon dont elles vont se comporter ?
- Speaker #1
On s'appuie sur différents sujets, donc on regarde de très près nos sols, histoire de savoir concrètement comment est ma terre sur mon terrain. On pourrait avoir l'impression que c'est de la simple terre et que tout le monde a la même terre en France. Mais on se pose la question, est-ce que mon sol ne reste qu'en surface ? Est-ce qu'il est au contraire très profond ? Est-ce que c'est difficile pour les racines d'y pénétrer ou pas ? Est-ce que j'ai de l'eau qui stagne ? Et on regarde tous ces critères un à un pour choisir quelles espèces d'arbres sont les plus à même de s'installer dans ces terrains. On regarde également le climat. Le climat actuel et futur, pour voir est-ce qu'on a de la pluie toute l'année, est-ce que cette pluie est abondante, est-ce qu'elle se fait rare à certains moments. Et là pareil, quelles essences sont les plus à même de s'adapter à ce climat local.
- Speaker #0
Et on parlait des tempêtes ou des coups de vent pour les moins grosses, est-ce qu'il y a des choses à anticiper pour solidifier la forêt, la prévenir de ce genre d'événement ?
- Speaker #1
Toute la gestion forestière qu'on met en œuvre au quotidien sur nos forêts, qui consiste à prélever périodiquement quelques arbres dans la forêt, ça a pour effet de renforcer la robustesse des arbres qui restent après coupe, et au lieu d'avoir des cure-dents ou des allumettes d'alignée, qui vont être très sensibles au vent. On a des arbres beaucoup plus costauds qui sont capables de résister à des vents de forte intensité. Et on a eu quelques tempêtes d'annoncées aux informations ces dernières années qui ont fait très peu de dégâts sur les forêts, notamment parce que les arbres étaient assez résistants pour y se porter.
- Speaker #0
Et les incendies, c'est un sujet qui revient chaque année de plus en plus violemment, de plus en plus fréquemment. Comment vous travaillez sur l'anticipation de ces événements climatiques ?
- Speaker #1
Alors le sujet des incendies, il faut rappeler que 9 incendies sur 10 ont une origine humaine. Donc vraiment c'est un sujet qui est l'affaire de tous. Tout le monde doit faire attention de ne pas avoir un comportement susceptible de déclencher un feu. Par contre, nous, en tant que forestiers, on mène un certain nombre d'actions de débroussaillement de nos terrains pour limiter la matière combustible sur les terrains susceptibles d'accélérer et d'amplifier un départ de feu. On fait également en sorte d'avoir un réseau de desserte complet sur nos forêts, ce qui permet aux pompiers de circuler assez facilement.
- Speaker #0
Comment vous mesurez l'évolution de la biodiversité dans les forêts dont vous vous occupez et comment vous la favorisez là où vous sentez que vous devez le faire ?
- Speaker #1
Alors pour le coup, chacune des actions qu'on mène au quotidien est au service de la biodiversité. On est très précautionneux lors de chacune de nos interventions en forêt et justement on essaye de mesurer notre impact sur le milieu en s'appuyant sur l'IBP. L'indice de biodiversité potentielle est un indicateur qui permet, comme son nom l'indice, de nous donner un certain nombre d'indices sur la biodiversité qu'on peut trouver sur le milieu. En repérant par exemple du bois mort en forêt, puisqu'il y a du bois mort dans une forêt gérée, il y a du bois mort dans une forêt en bonne santé, il ne faut surtout pas s'en inquiéter. Le forestier laisse volontairement du bois mort en forêt. dans le cadre de sa gestion. On va regarder également peut-être les milieux humides qu'on peut trouver sur la forêt, trouver quelques habitats particuliers comme un trou de pique dans un arbre. On va avoir tendance également à laisser vieillir davantage les peuplements, à produire des arbres plus gros, plus hauts, plus vieux. Et s'ils ont quelques défauts qui peuvent être... Le défaut n'est pas un bon terme, mais s'ils ont quelques singularités favorables à la biodiversité, ils pourront ainsi être conservés. Il y a quelques zones qu'on va également laisser en îlot de sénescence, c'est-à-dire qu'on ne va plus réaliser localement la moindre action sur cette zone au service de la biodiversité. Et parfois, effectivement, on va être plus proactif sur des actions au profit de la biodiversité, du moins on va être plus direct. Je pense notamment dans la Brenne, où nous avons implanté des nids de balbusards pêcheurs, ce qui a permis à certains oiseaux de s'y établir et de se reproduire. il y a eu des conséquences euh Les conséquences intéressantes et imprévues qu'on a eues, puisque la Cigogne-Ile-Noire s'est également reproduite sur Séni. Et donc, ponctuellement, en plus de ce genre d'action, on les mène en collaboration avec des associations environnementales locales, avec qui on a des partenariats depuis quelques années, et qui nous aident, qui peuvent nous appuyer sur la connaissance. ponctuelles de la biodiversité sur le massif qui nous tiennent informés de ce qui se passe sur nos massifs.
- Speaker #0
Alors, comme vous le savez Damien, dans Virage, on aime prendre des virages et on aime savoir ce que vous prenez. Si je vous demande le virage le plus important que vous ayez eu à négocier jusqu'ici, lequel serait-ce ?
- Speaker #1
Le virage le plus important serait peut-être justement celui que je suis en train de faire là, de sortir de ma forêt. pour communiquer auprès d'un public moins averti. Le forestier n'a pas été habitué à être regardé de près par ses concitoyens et c'est un virage qu'on doit prendre et être en mesure de montrer qu'on existe, d'expliquer ce qu'on fait pour être mieux compris.
- Speaker #0
Merci beaucoup Damien d'avoir partagé un peu avec nous votre forêt et de nous avoir éclairé sur le métier de forestier. Virage est un podcast de la Caisse des dépôts et c'était le deuxième épisode de la deuxième saison. A très vite.