- Speaker #0
Bonjour, vous Ă©coutez le podcast de Virage. On vous donne des pistes pour aller de l'avant, parfois Ă contre-courant. Si face Ă un problĂšme, vous vous ĂȘtes dĂ©jĂ dit, j'ai tout essayĂ©, je ne sais plus quoi faire, vous ĂȘtes au bon endroit. Je suis Marina Blanchard, psychologue, formatrice et fondatrice de Virage. Mon Ă©cole s'inscrit dans la lignĂ©e de sel de Palo Alto, c'est-Ă -dire de la thĂ©rapie brĂšve systĂ©mique. Je suis avec Antoinette Van de Kerco aujourd'hui. Antoinette est neuropsychologue. et spĂ©cialisĂ© dans les traumatismes. Nous allons donc essayer de vous aider, de vous donner des pistes autour de ces problĂ©matiques de trauma que nous vivons tous un jour ou l'autre. Bonjour Antoinette. Bonjour Marina. On se retrouve pour cette fois-ci aller un peu plus loin et expliquer finalement. On peut se demander, chacun Ă un certain moment, est-ce que tel Ă©vĂ©nement m'a traumatisĂ©e Ă tel moment, j'Ă©tais petite et j'ai entendu mes parents se disputer trĂšs fort. Il se passe ça, est-ce que je suis traumatisĂ©e ou pas Et c'est une question, je trouve, qui est importante, parce que si on croit trop vite qu'on est traumatisĂ©, on va s'affaiblir, il me semble, en allant consulter, en disant, je ne suis pas capable de traverser des Ă©vĂ©nements difficiles. Et si, par contre, on ne le repĂšre pas, c'est un peu dommage, parce que du coup, on en souffre, alors qu'un psy qui est formĂ© lĂ -dedans pourrait nous aider Ă en souffrir moins, justement. Donc, voilĂ .
- Speaker #1
Effectivement, c'est une question importante et ce n'est pas facile d'y rĂ©pondre. Il faut savoir qu'il n'y a pas vraiment de consensus. Tout le monde n'est pas d'accord Ă la prĂ©cision. Ă partir de quand est-ce qu'on estime qu'on dĂ©veloppe un trouble de stress post-traumatique Mais on va dire qu'en tout cas, environ deux mois aprĂšs un Ă©vĂ©nement qui a Ă©tĂ© potentiellement traumatisant, si on sent qu'on a encore plein de symptĂŽmes de type des reviviscences, on va vraiment peut-ĂȘtre ressentir l'odeur du brĂ»lĂ© de la voiture ou peut-ĂȘtre... avoir des flashs visuels de ce que j'ai vu comme scĂšne, avoir des cauchemars Ă rĂ©pĂ©tition avec vraiment des fragments du traumatisme dans les cauchemars, avoir des sensations. Par exemple, des personnes vont vivre, je ne sais pas, une agression dans une rue ou sentir encore peut-ĂȘtre les mains de l'agresseur qui lui agrippe le bras. Tout ça, en fait, c'est comme vraiment des reviviscences Ă travers les cinq sens et on peut les sentir. dans les semaines qui vont suivre un Ă©vĂ©nement, mais si vraiment ça va au-delĂ de deux mois et que ça reste aussi intense qu'au dĂ©but, c'est comme si en fait notre cerveau bug. C'est comme s'il essaye de scanner et d'intĂ©grer l'information et le souvenir, mais c'est comme s'il reste vraiment, on appelle ça des noyaux pathogĂšnes, donc il reste bloquĂ© sur certains Ă©vĂ©nements prĂ©cis, enfin certains fragments de l'Ă©vĂ©nement prĂ©cis qui nous reviennent comme ça en continu dans le prĂ©sent. Et donc on va dire que vraiment, en tout cas au-delĂ d'un mois, on peut parler vraiment d'un dĂ©but de trouble de stress post-traumatique si ça ne diminue pas en intensitĂ©.
- Speaker #0
C'est vraiment cette idĂ©e de diminuer en fait. Parce que c'est vrai que moi je le dis souvent, souvent je prends des temps un peu plus longs. Peut-ĂȘtre que je suis trop optimiste sur les compĂ©tences de l'humain de rebondir lui-mĂȘme, mais j'ai l'impression que... Moi je dis souvent, si aprĂšs six mois vous ressentez toujours la mĂȘme chose qu'aprĂšs deux mois, qu'aprĂšs un mois... LĂ c'est qu'il y a quelque chose qui ne se soigne pas. tout seul en tout cas. Donc, il y a vraiment cette idĂ©e de diminuer, de sentir la diminution des symptĂŽmes.
- Speaker #1
Oui, la diminution. Et puis, c'est aussi important de savoir qu'on peut avoir ça directement dans les seins, dans les mois qui suivent l'événement, mais on peut aussi, puisqu'on a déjà parlé briÚvement, mais on peut vraiment avoir des mécanismes de déni dans le traumatisme qui font qu'en fait, on va mettre complÚtement de cÎté et on ne va pas vraiment se rappeler. amnésié, oublié, sous-soutenir tellement il a été violent. Et donc, c'est un peu comme s'il y a une espÚce d'encapsulation. Moi, j'appelle toujours un peu une espÚce d'électron libre, comme ça, qui est là , quelque part prÚs de nous, mais on n'y a pas toujours accÚs. Et donc, parfois, pendant des années, en fait, aprÚs le traumatisme, du coup, le traumatisme, eh bien, on vit une vie tout à fait normale, et puis, en un coup, quelque chose vient, en fait, déclencher, et on va subitement avoir plein d'informations qui nous reviennent. Et là aussi, en fait, on va parler d'un trouble de stress post-traumatique, mais on parle alors de quelque chose qui est différé.
- Speaker #0
Oui, donc un peu...
- Speaker #1
Il y a deux façons de l'envelopper, pardon.
- Speaker #0
Non, pardon. Donc un peu comme si la digestion dont on parlait tout Ă l'heure, c'est-Ă -dire tous ces moments oĂč juste aprĂšs, je m'en souviens, ça me revient, je fais des cochons et tout ça, n'a pas lieu au moment oĂč ce serait sain que ça ait lieu, ce serait idĂ©al que ça ait lieu, mais... Parce que ça aurait Ă©tĂ© peut-ĂȘtre trop difficile de le faire Ă ce moment-lĂ pour la personne. Et donc, cet encapsulement, c'est un espĂšce de rĂ©flexe du corps ou du cerveau pour nous protĂ©ger. En fait, c'est ça.
- Speaker #1
C'est exactement ça. C'est vraiment une... Oui, une protection pour faire en sorte qu'on ne soit pas en lien ou en connexion avec ce qu'on trouve insupportable. Et c'est vraiment quelque chose qu'on fait de façon automatiste.
- Speaker #0
C'est un mot qu'on lui dit.
- Speaker #1
Ăvidemment, on parle toujours, ça se manifeste un peu sur un continuum. Ăa ne veut pas dire que les gens qui ont ça ne vont pas du tout vivre des reviviscences dans les semaines et les mois qui suivent l'Ă©vĂ©nement. C'est vraiment un peu au cas oĂč il y a un cas. Et ça dĂ©pend des gens. Mais effectivement, c'est possible de vraiment, on le sait par exemple sur... en intervention de crise, vraiment sur des lieux oĂč il y a eu un Ă©vĂ©nement potentiellement traumatisant, eh bien, on sait qu'il va y avoir des gens qui vont partir en pilote automatique et qui sont complĂštement dissociĂ©s. Donc, en fait, ils continuent leur journĂ©e comme si tout Ă©tait normal et comme si rien n'Ă©tait arrivĂ©. Et ils ont en fait un trou de mĂ©moire entre le moment oĂč c'est arrivĂ© et le moment oĂč ils reprennent connaissance. Et ça, c'est vraiment la grosse dissociation. C'est des gens qui vont vraiment encapsuler ça comme si de rien n'Ă©tait, comme s'il ne s'Ă©tait rien passĂ© pour continuer Ă vivre leur vie.
- Speaker #0
Et... J'ai une question un peu bizarre peut-ĂȘtre, mais les gens qui vivent ça comme ça, est-ce qu'il se peut que ça reste encapsulĂ© jusqu'Ă la fin de leur vie Tout Ă fait, oui, c'est ça. Donc, ce n'est pas forcĂ©ment un problĂšme.
- Speaker #1
Non, ce n'est pas forcĂ©ment un problĂšme, c'est une bonne question. Et en fait, c'est ça que je voulais dire. Et ça me ramĂšne Ă ce qu'on se disait prĂ©cĂ©demment, c'est qu'en fait, de nouveau, ça, c'est un peu thĂ©oriquement, qu'est-ce qui fait qu'en fait, on va avoir un trouble de stress post-traumatique C'est quoi C'est le fait de revivre ces choses-lĂ au-delĂ de deux mois, un mois, deux mois aprĂšs l'Ă©vĂ©nement. Mais ça ne veut pas dire qu'on ne va forcĂ©ment... tous consultĂ©s quand on vit des choses comme ça. En fait, la condition, je dirais, s'il y a une condition pour venir consulter, c'est en fait quand vraiment c'est quelque chose qui nous fait souffrir en prĂ©sent. Donc on peut peut-ĂȘtre parfois avoir des reviviscences, se rappeler certaines choses, mais en fait ça ne nous handicap pas dans le prĂ©sent et dans le quotidien. Donc en fait, il n'y a pas forcĂ©ment une raison de venir consulter. On vient consulter et on vient faire une thĂ©rapie parce que vraiment, ce qui nous revient prĂ©cisĂ©ment dans le prĂ©sent, en fait, est extrĂȘmement difficile Ă gĂ©rer et insupportable.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Donc, c'est vrai que si, je ne sais pas, un impair avec des petits pois bleus me fait du mal, mais en fait, je ne suis jamais confrontĂ©e. Finalement, ça me rappelle un sale souvenir. Et chaque fois que j'en vois, c'est vrai que je pourrais ĂȘtre trĂšs, trĂšs mal. Mais en fait, je ne vais pas consulter pour ça. Parce que finalement, oui, c'est probablement trop mal liĂ© à ça. Mais je vis avec ou plutĂŽt sans impair un petit pois. Et j'en sors bien. Enfin, je crois qu'un exemple, ça fait un peu lĂ©ger, mais c'est un peu ça l'idĂ©e.
- Speaker #1
Et je pense qu'Ă l'inverse, c'est aussi important de prĂ©ciser que souvent, en fait, quand on a vĂ©cu aussi des choses traumatiques, surtout quand elles ont Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©es, parce qu'Ă©videmment, il y a le fait de vivre une fois quelque chose, mais alors on a tellement des ressources personnelles parce qu'en fait, on a Ă©tĂ© Ă©duquĂ©s d'une certaine façon, on a Ă©tĂ© aimĂ©s, on a Ă©tĂ© chĂ©ris. Donc, mĂȘme s'il nous arrive quelque chose d'extrĂȘmement violent un jour, on a vraiment... des choses sur lesquelles rebondir, en fait, parce qu'on a plein de capacitĂ©s Ă l'intĂ©rieur qu'on peut se reconnaĂźtre. Le problĂšme, c'est quand des personnes ont eu, Ă rĂ©pĂ©tition, par exemple, de la maltraitance dans l'enfance, c'est vraiment au niveau identitaire qu'ils vont se construire sur des bases qui ne sont pas solides, oĂč en fait, ils n'ont pas de confiance, ils n'ont pas d'estime personnelle, ils n'ont pas eu de ressources. Et donc, lĂ , ça va ĂȘtre un travail qui est souvent plus long en thĂ©orie, qui est souvent beaucoup plus complexe. Mais je rebondis par rapport Ă ce qu'on se disait il y a deux minutes, c'est que c'est aussi important que parfois, C'est pas parce qu'on n'a pas vĂ©cu un Ă©vĂ©nement extrĂȘmement important et violent qu'on n'est pas traumatisĂ©. Oui,
- Speaker #0
c'est vrai que c'est un peu ce qu'on devait dire.
- Speaker #1
C'est vrai parce qu'il y a plein de gens qui arrivent en thĂ©rapie et qui ne se sentent pas lĂ©gitimes d'ĂȘtre lĂ , qui ont l'impression qu'ils n'ont pas vĂ©cu des choses si graves et qu'ils ne devraient pas ĂȘtre aussi mal. Alors qu'Ă©videmment, il y a un peu certains Ă©vĂ©nements qui peuvent ĂȘtre assez impressionnants, mais il y a aussi le fait d'avoir vĂ©cu plein de petites choses qui sont en fait... qui enlĂšvent de l'estime, qui font qu'on n'arrive pas Ă se construire une confiance en soi qui est vraiment solide. Et ça, ça peut aussi ĂȘtre traumatique, une ambiance dans une famille, quelque chose d'un petit peu dĂ©valorisant. Et donc c'est important aussi de se dire, effectivement, tout le monde ne doit pas forcĂ©ment aller consulter s'il ne souffre pas en tout cas de l'Ă©vĂ©nement dans le prĂ©sent. Mais par contre, il y a aussi plein de personnes qui parfois ne se sentent pas lĂ©gitimes de venir consulter. Alors qu'elles ont Ă©videmment leur place en thĂ©rapie, si elles souffrent, c'est qu'en fait, elles ont de la place en thĂ©rapie.
- Speaker #0
C'est ça la dĂ©finition, Ă©videmment, de la place en thĂ©rapie, c'est la souffrance. Et c'est vrai que, moi ça me fait penser Ă quelqu'un, et c'est pourtant un trauma qu'on va qualifier de simple, puisque c'est un seul Ă©vĂ©nement, mais qui est venu me voir, parce qu'ayant perdu un match de tennis, elle Ă©tait traumatisĂ©e, ça a pu reprendre une raquette. Et donc, c'est un peu interpellant qu'on voit que des gens survivent aux attentats et sans ĂȘtre traumatisĂ©s. Mais ça montre aussi que c'est vraiment par rapport Ă comment la personne traverse et vit l'Ă©vĂ©nement, plus que par rapport Ă l'Ă©vĂ©nement lui-mĂȘme. Et puis effectivement, la rĂ©pĂ©tition de phrases blessantes ou des choses comme ça, peut ĂȘtre pire finalement qu'un abus sexuel unique, pour dĂ©structurer une personnalitĂ©. Donc c'est vrai que ça paraĂźt un peu... AprĂšs, je ne veux pas dire des pires ou moins pires. Je ne suis pas en train de minimiser quoi que ce soit, mais c'est important de le dire.
- Speaker #1
En tout cas, c'est vrai qu'on va parler de trauma sain, c'est quand c'est un Ă©pisode, une fois, forcĂ©ment, en gĂ©nĂ©ral, on a plus de chances de rebondir aprĂšs, puisqu'en fait, c'est comme si notre cerveau l'enregistrait. A priori, quand mĂȘme, le monde est sĂ©cure. Oui, il y a eu un jour oĂč ça a Ă©tĂ© trĂšs difficile et dangereux, mais a priori, ce que j'ai expĂ©rimentĂ© de la vie, c'est que c'est sĂ©cure. Alors que des gens qui ont eu plein de petites choses... ou bien des grosses choses dans leur temps, ils ont la naissance, en fait, leur cerveau est enregistrĂ©. C'est qu'en fait, le monde est insĂ©cure, les autres ne sont pas fiables et donc, c'est extrĂȘmement anxiogĂšne. Et donc, c'est plus difficile effectivement de rebondir.
- Speaker #0
Super. Ăcoute, merci de toutes ces informations. Donc, ça permettra effectivement Ă nos auditeurs en Ă©coutant cet Ă©pisode de pouvoir un peu se dire, est-ce que j'ai potentiellement ou pas un trauma ou est-ce que je suis simplement en train d'encaisser un coup dur et peut-ĂȘtre prendre le temps aussi et se faire confiance. Parce que moi, ça me fait toujours un peu peur d'aller trop vite consulter et du coup, de se dire en fait, je n'ai pas Ă©tĂ© compĂ©tent pour gĂ©rer un truc alors qu'en fait, on aurait peut-ĂȘtre pu traverser l'Ă©pisode. Maintenant, il ne faut pas non plus attendre des plombes et se faire trop de mal. Comme tu le disais trĂšs justement, la souffrance est quand mĂȘme dĂ©terminante. Mais en mĂȘme temps, je pense que qu'on doit accepter aussi, que dans la vie, il y a des moments de souffrance parce qu'on vit des trucs difficiles et que c'est normal de souffrir et que on ne peut pas Ă©chapper Ă toutes les souffrances et nous, comme psychologues, on ne peut pas aider les gens Ă ne pas souffrir. On peut les aider Ă gĂ©rer autrement la souffrance pour en faire quelque chose de peut-ĂȘtre un peu moins pire, moins difficile, etc. Mais bon, la vie restera toujours une forme de challenge, de dĂ©fi et de coup dur. Donc, voilĂ pour plomber un peu l'ambiance. Eh bien, je te dis Ă bientĂŽt, Antoinette. Allez, merci beaucoup. Bonne semaine. Merci de votre Ă©coute. Ăa nous encourage de voir le nombre d'Ă©coutes qui augmente de semaine en semaine. Donc, nous vous remercions du fond du cĆur et nous espĂ©rons vous retrouver trĂšs bientĂŽt.