- Laura
Salut, moi c'est Laura, et dans A Feu Doux, je m'assieds avec des restaurateurs pour échanger sur ce qui compte tellement dans nos vies, et qui fait aussi le sel de leur métier, les relations et le partage. Ici, ils nous racontent les liens tissés, tant dans leur vie professionnelle que personnelle. Ceux qui les ont fait grandir, ou qui parfois les ont bousculés. Ceux qui ont forgé leur parcours, leur manière de recevoir, et qui continuent de les porter aujourd'hui. Toutes ces histoires qui rendent leur métier profondément humain. Alors, si toi aussi t'as toujours un peu de mal à refuser un dernier verre et t'aimes bien rester papoté en fin de service, viens t'asseoir avec nous. Aujourd'hui, je me rends chez Aldéhyde, à Paris, dans le 4e arrondissement. Ce restaurant, c'est l'histoire de quatre copains, Youssef, Louis, Julian et Thibaut. Ils se sont rencontrés dans les cuisines des palaces parisiens ou de restaurants étoilés et ont décidé en 2024 de créer leur propre restaurant. Un restaurant de copains, comme ils l'appellent. Et la magie opère très vite puisque, à peine quelques mois après l'ouverture, ils décrochent une étoile Michelin. Aujourd'hui, c'est Youssef, le chef, qui m'accueille chez eux. On évoque l'influence de ses parents dans sa vocation, la joie de retrouver ses copains tous les matins et la force du collectif dans une telle aventure. Youssef parle aussi de leur volonté de proposer une cuisine d'émotion et de créer des souvenirs chez ses clients. Un savoureux mélange dont ils n'ont pas changé la recette depuis qu'ils ont obtenu leur première étoile. Ils continuent ainsi d'accueillir leurs clients avec beaucoup de générosité, de gourmandise et de sincérité. Finalement, Aldéhyde, c'est un restaurant dans lequel on se sent bien, comme chez des copains. Bonjour Youssef, merci beaucoup de m'accueillir chez Aldéhyde aujourd'hui.
- Youssef
Je t'en prie, merci. Bonjour Laura.
- Laura
Comment tu vas aujourd'hui ?
- Youssef
Écoute, ça va, ça va. Les semaines se suivent, on ne se ressemble pas aussi, c'est ce qui... Je pense que c'est important dans notre métier pour ne pas avoir de lassitude, donc tout va bien.
- Laura
Tout va bien. Donc peut-être pour reprendre un petit peu sur le départ, donc effectivement, toi, après le bac, tu as fait des études de chimie.
- Youssef
Tout à fait.
- Laura
Mais assez rapidement, tu t'es réorienté vers la cuisine, puisque tu viens d'un milieu où ta maman était restauratrice, ton père était pâtissier.
- Youssef
C'est ça.
- Laura
À quel moment, en fait, tu as vraiment switché dans ta tête, où tu t'es dit, en fait, il y a peut-être un peu d'opposition familiale, mais j'y vais quand même ?
- Youssef
Du coup c'est pendant cette année où vraiment je me suis posé énormément de questions. Déjà avant ça, quand j'ai eu mon brevet de troisième, j'avais demandé à ce moment-là d'aller en cuisine. Je savais que c'était possible d'aller déjà en cuisine à ce moment-là et je voulais le faire. Sauf que quand on a 15 ans et que nos parents nous imposent un cursus à 15 ans, c'est compliqué de s'affirmer envers sa famille et ses parents en disant non. C'est ce que je veux faire, c'est ce que j'ai envie pour mon avenir. Et mes parents, comme tu le disais juste avant, connaissent le métier, ils ont connu la dureté du métier, que ce soit en termes de contraintes horaires, en termes de contraintes de vie sociale, à quel point c'est prenant, que physiquement c'est aussi un métier qui est difficile. Donc du coup, ils n'avaient pas du tout envie de ça pour leurs enfants. Donc avec mes sœurs, ils nous ont vraiment tous poussé vers des études, vers des études tout simplement, je vais dire scientifiques. Mais pour le coup, non, c'était plus moi et deux de mes sœurs, parce que ma plus grande sœur, elle est juriste. Donc ils nous ont vraiment plus poussé à ça. Donc à 15 ans, ils m'ont dit non, tu vas faire un bac général et on verra après. J'ai eu mon bac général, j'avais des facilités en chimie à l'époque, donc je me suis dit quitte à choisir quelque chose, autant aller vers quelque chose où j'ai des facilités forcément. C'est forcément plus simple. Donc j'ai continué en chimie et quand j'ai fait ma première année en chimie, je me posais beaucoup de questions pendant toute l'année. Je pense que ça a commencé dès le début de l'année de fac, où je me suis dit est-ce que je suis le bon chemin, est-ce que ça va me plaire ? Au fur et à mesure de l'année, je me rendais compte que j'étais bon dans ce que je faisais, j'étais bon dans ces études, mais je n'avais pas cette flamme en fait, moi je n'avais pas cette passion, je n'avais pas ce truc de se lever le matin et se dire « Ah, je suis heureux, je vais y aller, je vais faire les choses » .
- Laura
Tu avais cette conscience hyper tôt de savoir que tu avais besoin de passion, souvent à 18 ans.
- Youssef
Je pense que je l'ai compris assez tôt et dans un sens tant mieux. Je vois certaines personnes qui du coup se réorientent après plusieurs années et je pense que c'est compliqué aussi de... Quand on se réoriente, le plus dur je pense c'est de redescendre tout en bas de l'échelle on va dire et de devoir regrimper, enfin de refrendre des études. Surtout que c'est un métier, comme c'est quelque chose qui est très hiérarchisé, qui est très militaire, on démarre tout en bas et on monte au fur et à mesure. Et c'est pas comme d'autres métiers je dirais, où en fonction des études qu'on fait... On peut arriver dans le monde du travail en ayant déjà un poste un peu plus haut gradé. Quel que soit le métier, enfin là, quel que soit le diplôme qu'on fait en cuisine, on va arriver, on va forcément être commis pour apprendre. Donc là, redescendre tout en bas, quand on se réoriente, je trouve que des fois c'est assez dur. Et c'est peut-être pour ça que d'ailleurs, il y a des gens qui arrêtent aussi le métier quand ils se réorientent. Parce que je pense que, ouais, redescendre tout en bas pour... re-avoir des ordres.
- Laura
Surtout que c'est une profession où tout est très hiérarchique. C'est ça.
- Youssef
Et je pense qu'il y a pas mal de... Peut-être des fois aussi, je me dis, enfin, c'est mon point de vue, mais il y a peut-être des fois aussi un peu d'ego de se dire, par exemple, une personne qui a 32 ans qui se réoriente, qui reprend un travail à 33, 34 ans, qui est commis et qui se fait donner des ordres par un chef de partie qui en a 20. Des fois, c'est compliqué, je pense, aussi pour l'ego. Donc il y a tout un ensemble et c'est vrai que du coup je suis content d'avoir eu cette réflexion et de m'être dit très tôt non il faut que je me réoriente maintenant et il ne faut pas que je continue et que je fasse ça plus tard parce que je pense que ça serait compliqué donc dans un sens tant mieux. Donc à la fin de cette année je me suis dit donc non il faut que j'arrête. Et à ce moment là je me suis un peu plus imposé face à mes parents en leur disant que c'est ce que j'allais faire et que c'était mon choix, que c'était comme ça, que c'était pas autrement.
- Laura
Et tout ce qu'il t'avait dit en termes de contraintes et ce que tu as vécu toute ta vie, ça t'a pas effrayé en fait ?
- Youssef
À l'époque, pour le coup, non, ça m'a pas effrayé. Après peut-être quand on est jeune, on a peut-être aussi un peu ce côté tête brûlée et du coup, on n'écoute pas forcément les conseils des autres. Et de toute façon, je pense que c'est comme tout dans la vie. En fait, on peut nous conseiller, nos aînés peuvent nous conseiller ce qu'ils veulent. On a besoin de faire l'erreur entre guillemets avant pour comprendre. Malheureusement, des fois, ça c'est sûr et je le vois même maintenant quand... Je donne des fois des conseils à des gens un peu plus jeunes. Ils ont quand même besoin de faire l'erreur malgré tout. Mais non, à l'époque, ça ne m'a pas plus effrayé que ça parce que je suis quelqu'un de très passionné. Donc, je voyais plus la passion avant tout et les contraintes, ça passait un peu au second plan. Mais non, du coup, ça ne m'a pas plus effrayé que ça sur l'instant. Et donc, je me suis lancé. J'ai réussi à faire une mise de niveau, un BTS. à la fin de mon BTS, donc j'ai pu faire une année de mention complémentaire de dessert de restaurant, parce que comme t'as dit au tout début, maman qui cuisine papa qui pâtisse je peux pas choisir entre cuisiner et pâtisserie j'aime autant l'un que l'autre, c'est comme demander de choisir entre ses parents ce que t'avais littéralement fait du coup, donc voilà, c'est littéralement le cas, donc j'ai pu faire les deux et ensuite j'ai commencé à travailler dans des grandes maisons où je me suis dit qu'il fallait que Fallait que j'aille voir l'excellence et fallait que j'aille voir entre guillemets le haut niveau parce que je pense que la cuisine ça se compare à des sports de haut niveau dans tous les sens du terme. Donc moi j'avais envie d'apprendre le haut niveau donc je suis parti dans des maisons d'excellence pour voir ce que c'était le haut niveau.
- Laura
Et est-ce qu'il y a des choses que tes parents dans leur manière d'exercer à l'époque ils t'ont un peu transmis ou toi en fait que tu as gardé que ce soit par exemple sur l'accueil ? Alors... Même au-delà de ce que juste tu sers, au-delà des influences, vraiment dans la manière de recevoir ou autre ?
- Youssef
Dans le sens où oui, ici ce qu'on fait quand on accueille les clients au restaurant, une des choses qu'on a mis en place avec tous les quatre du coup, ça a été de mettre un peu le sens de l'hospitalité à la maghrébine, dans le sens où quand le client arrive, c'est forcément inclus dans n'importe quel menu qu'il prend. où on va lui servir du pain, de l'huile d'olive, deux sortes de canapés différents, un amuse-bouche et un consommé en rapport avec son amuse-bouche. Donc ça fait des tables où, quand on commence, il y a beaucoup de choses à mettre sur la table pour débuter. Et en fait, c'est un peu comme moi quand je vais en Tunisie, que je vais chez une tante, je vais chez un cousin, je vais chez quelqu'un. En fait, on accueille toujours avec beaucoup de nourriture sur table, souvent des choses même pas très bonnes. pas souvent, c'est que des choses faits maison. On n'a pas ce côté... Quand j'étais en Tunisie, j'ai jamais vu ce côté où on ouvrait un sachet de chips, un paquet de cacahuètes ou un machin et qu'on met sur table. Non, c'est que des choses que la personne, quand elle sait qu'elle va recevoir, elle a toujours des choses dans son frigo qu'elle fait maison et qu'elle sort justement pour les hocaouges et des invités, comme ils appellent ça. Que ça soit en salé ou en sucré, d'ailleurs, c'est pour ça que... Chez mes tantes, il y a toujours des armoires remplies de gâteaux et des choses comme ça. J'ai toujours le cas où, si quelqu'un arrive, au moins, j'ai toujours des trucs à lui donner. Mais voilà, on a voulu mettre en avant ce sens de l'hospitalité, on va dire, ici au restaurant.
- Laura
Aujourd'hui, ils ont accepté. Maintenant, ils sont très contents. Ton père reste assez présent, en fait, dans ta cuisine. Tu continues d'aller faire des courses, je crois, avec lui. Qu'est-ce que ça change pour toi ? Est-ce que ça compte et de quelle manière ?
- Youssef
En fait, ça compte dans le sens où... Pour vous expliquer un peu le truc, quand j'étais jeune, quand mes parents tenaient le restaurant, parce que du coup ma mère tenait le restaurant physiquement, parce que c'est elle qui était sur place, et comme mon père travaillait avec un emploi à côté, mais mon père gérait aussi énormément tout ce qui était compta, toutes ces choses-là avec ma mère. En fait, les deux géraient, mais c'était ma mère qui tenait, on va dire, le restaurant en lui-même, physiquement, par sa présence. Mais quand j'étais jeune, moi, ce que j'expliquais, c'est que ma sortie du samedi, enfin... Le moment où je passais le plus avec mon père, c'est que mon père allait faire les courses pour le restaurant chez Métro, qui est un grand fournisseur pour les restaurateurs. Il faisait ça tous les samedis matins pour ensuite aller au restaurant le samedi pour le service du midi, donc décharger les courses et tout pour le resto. Du coup, moi, c'était ma petite sortie. C'était le moment de partage que j'avais avec mon père, de faire ses courses à Métro toutes les semaines avec lui. Du coup ce que j'ai trouvé marrant, c'est que quand on a pris le resto ici tous les quatre, j'avais donc aussi besoin de faire des courses chez Métro, que ce soit pour l'économat, enfin pas mal de choses qu'on peut trouver comme produits chez eux. Donc en fait moi j'avais besoin de faire des courses, et étant donné que je n'ai pas de voiture pour y aller, mon père étant à la retraite et ayant du temps et voulant s'investir aussi en fait. Dans la vie professionnelle de son fils, elle m'a dit « Moi j'ai une voiture, j'ai du temps libre parce que je suis à la retraite, donc si tu veux je viens avec toi. » Et au final, moi quand j'étais jeune, c'est moi qui l'accompagnais à métro pour faire les courses pour son resto. Et maintenant, c'est lui qui m'accompagne pour faire les courses aussi à métro pour le restaurant. Donc je trouve que la petite boucle est sympa et assez mignonne en fait. Et du coup, ça me permet aussi toujours de passer du temps avec lui, de le voir toutes les semaines. Parce que comme on disait, ça reste un métier qui est quand même très prenant. Donc, je n'ai pas forcément tout le temps le temps de le voir. Mais du coup, toutes les semaines, j'ai mon rendez-vous avec lui pour faire mes courses. Je bois mon café après avec lui avant de reprendre le soir le service.
- Laura
Vous avez votre rituel tous les deux.
- Youssef
C'est notre petit rituel à tous les deux de faire les courses toutes les semaines ensemble.
- Laura
Et du coup, tu sens que vraiment, tes parents ont basculé d'une réticence au départ à une vraie fierté aujourd'hui. Non,
- Youssef
complètement. La réticence, ça a été plus la première année où justement j'ai repris les études de cuisine, où je n'ai pas envie d'utiliser le terme dégoûté parce que je trouve que ça serait un peu trop fort, mais en tout cas ils ont essayé de me remettre dans leur droit chemin. Je dis bien leur droit chemin parce que ce n'était pas le mien, mais essayer de me repousser en disant fais ton année si tu veux, mais t'as vu c'est fatiguant, t'as vu c'est ça, t'as vu machin, t'as vu que tu rentres, tes vêtements ils sentent la bouffe. C'était que des petites choses comme ça, des petites remarques et au final ils ont vu que non je tenais le coup et que j'en avais envie et que aussi j'ai réussi c'est en fait j'ai réussi c'est aussi dans ces études là donc quand ils ont je pense que quand ils ont eu le déclic c'est à la première année de BTS où j'ai voulu faire un concours de cuisine et à quel point je m'investissais enfin tous les essais tout ce que je leur montrais et ce que j'étais capable de faire surtout c'est que Je pense que vu que c'est un métier manuel où on a besoin de voir ce que fait l'autre, quand ils ont vu ce que j'étais capable de faire, ils se sont peut-être dit à ce moment-là « Ouais, il a peut-être de l'avenir au final dedans et il peut peut-être réussir aussi dedans. Il a l'air de s'épanouir et être heureux. » Enfin, il a les yeux qui brillent quand il nous parle de ça. Donc, à un moment donné, on va peut-être le laisser faire les choses par lui-même. C'est un grand garçon. C'est à partir de ce moment-là où ils ont commencé à plus me soutenir et à plus aller dans mon sens à ce niveau-là. Et après, au fur et à mesure des années, avec les expériences que j'ai pu faire, les endroits où j'ai pu aller, les retours aussi, parce que du coup, ils venaient souvent manger dans les restos où j'allais bosser. Enfin, ils essayaient de s'investir aussi. Et à l'époque, mes patrons parlaient beaucoup aussi avec mes parents. Et je pense que ça a créé de plus en plus de fierté.
- Laura
Un peu comme les réunions par entre-offres à l'époque.
- Youssef
Non, des fois c'était clairement ça, j'étais dans le bureau, je me rappelle d'une fois où j'étais dans le bureau, je les avais emmenés du coup chez Tommy & Co où je travaillais, et on était dans le bureau avec le chef Tommy Gousset, mes parents et moi, et c'était un peu vraiment les parents qui demandaient du coup il travaille bien, il est assidu, il est machin,
- Laura
il n'est pas trop bavard.
- Youssef
Le chef Tommy qui répondait, ça faisait vraiment la réunion pour mon prof, on verra le deuxième trimestre et ainsi de suite.
- Laura
Continuez ainsi !
- Youssef
Continuez sur vos efforts, sur le prochain trimestre. Maintenant, il y a eu ce moment de fierté et au fur et à mesure des années, ils ont vu que je réussissais, que je m'améliorais, que je prenais du galon et ainsi de suite. Il y a eu cette fierté jusqu'à là du coup, l'étoile Michelin qui est tombée. Dès que j'ai commencé la cuisine, je leur ai dit qu'un jour je serai étoilé et au final, 12 ans après, je l'ai fait.
- Laura
Ouais, tu l'avais déjà en tête. Ouais,
- Youssef
je l'avais déjà en tête, je leur avais déjà dit à l'époque. Justement, ça faisait partie des trucs au début, je leur disais, oui, mais tu sais pas, c'est un métier dur et machin. Arriver à ce niveau, c'est une certaine élite. C'est un cuisinier sur je ne sais combien qui arrive à ça. C'est ce qui est vrai.
- Laura
Pour te protéger peut-être aussi d'une certaine manière.
- Youssef
Je pense qu'ils avaient aussi peur pour leur enfant. C'était leur façon de protéger. En vrai, comme tout parent, je pense que tout parent a peur. pour ses enfants, donc ils veulent le meilleur pour ses enfants, donc c'est sûr. 12 ans après, je l'ai fait et quand j'ai eu l'étoile, c'est la première chose que j'ai fait quand je leur en avais parlé, je vous l'avais dit que je le ferais et je l'ai fait et ils se sont dit, t'avais raison.
- Laura
T'as pas eu de doute, toi, à un moment dans le début de ton parcours, de se dire, c'est trop difficile, justement, ou t'avais cette idée en tête et la passion qui te portait ?
- Youssef
Je pense qu'en fait, comme Merci. Comme toute personne et au final comme tout chef que je rencontre quand je discute avec eux, je pense que des doutes on en a tous. Tout du long de notre parcours, on en a tous, tout le temps. Ne dire qu'on n'en a jamais, qu'on a toujours su, ça serait complètement mentir. Ce qui fait du bien aussi notamment, c'est pour ça que j'ai accepté le podcast, c'est que j'adore les podcasts, c'est qu'il y a pas mal de chefs aussi qui font des podcasts et qui racontent un peu leur histoire. Et on se rend compte que même les chefs 3 étoiles, doutent énormément, veulent, on a tous je pense pensé une fois à arrêter le métier ou même plusieurs fois parce que c'est vrai que ça reste quelque chose de dur, c'est contraignant, enfin c'est vraiment compliqué et et en fait des fois on se dit ouais c'est peut-être moi qui suis différent, est-ce que les autres chefs ils ont eu toujours cette passion, ils ont eu toujours ça et en fait j'écoute aussi beaucoup le podcast de David Ordonneau, chef podcast et c'est quelque chose au final quand je l'écoute qui est assez récurrent où je vois plein de chefs trois étoiles, Dimitri Drano, enfin... qui disent à un moment donné j'ai arrêté, j'ai voulu arrêter. Dimitri Drono a même arrêté à un moment donné quand il est parti au Caraïbes. Il a arrêté, il a fait une pause. Ils ont tous eu des moments de doute et on en a tous pendant notre parcours. Je pense que c'est ça qui nous fait au final avancer. C'est se remettre en question qui fait qu'on avance au final. Il y a eu des doutes tout du long, même dès le début, les premières années. Quand mes parents me disaient c'est dur, c'est fatigant, je leur disais non, tout va très bien. Dans ma tête, j'étais crevé.
- Laura
Il faut garder la face.
- Youssef
Il fallait garder la face. Pareil, quand on commence comi, comme on disait, on va dans des étoilés, dans des deux, des trois étoiles. On voit un peu le rythme, la rigueur, les trucs. On se dit, c'est super dur, c'est plein de trucs. Est-ce que c'est fait pour moi ? On se pose toujours des questions. En tout cas, moi, je me pose tout le temps des questions. Il y a eu plein de doutes pendant ces 12 années. Mais je sais... Il y a l'instinct aussi qui disait, je savais que j'étais sur le bon chemin et qu'il fallait que je continue. Mais non, des doutes, il y en a tout le temps et je pense que tout le monde en a et c'est tout à fait normal d'en avoir.
- Laura
Oui, c'est presque sain sur certains aspects, en fait, de continuer à se remettre en question.
- Youssef
Je dirais même, si tu n'as pas de doute, c'est peut-être là qu'il y a un proche, c'est peut-être là qu'il y a un souci.
- Laura
Et est-ce que, alors que ce soit tes parents, tes proches ou même un mentor dans ton parcours, t'as donné un conseil qui aujourd'hui t'aide justement dans ces moments d'outres ou dans les moments plus difficiles ?
- Youssef
Franchement, j'en ai eu plusieurs. Des phrases qui me conditionnent, on va dire, un petit peu dans le sens où, quand j'ai justement ces moments de doute, ces moments de crainte, en fait, je repense à ces moments-là et c'est là où je me dis « Ouais, faut que tu continues » , mais j'en ai eu plusieurs, oui. Des mentors, je pense au Sheffra House, qui était un de mes premiers mentors, qui m'a toujours dit « Continue, tire à loin » , enfin, c'est des petites phrases comme ça. Et je pense, la première qui m'a le plus touché, vraiment, et que je me remémore assez souvent, c'était Laurent Jeannin, au Bristol. Le chef pâtissier à l'époque du Bristol et donc des piqûres 3 étoiles Michelin, chez qui j'ai fait un stage pendant quelques mois, pendant mon année de pâtisserie, qui à la fin de mon stage m'a pris dans le bureau et m'a offert son livre, me l'a dédicacé. Il a eu une longue discussion avec moi et dans sa discussion, à un moment donné, c'était de me dire que c'est un métier qui est très dur, c'est un métier qui est contraignant, qui est très difficile et tout. et j'ai... On ne va pas se cacher, le fait aussi que tu aies une origine différente fait que ça sera peut-être des fois un peu plus dur pour toi. Il m'a donné quelques exemples, que ce soit Eddy Benganem, le chef du Trianon Palace. Enfin, il m'a donné quelques exemples. Il m'a dit, voilà, ça sera des fois peut-être plus compliqué pour toi. Mais je vais te dire qu'une chose aujourd'hui, Youssef, c'est tiens le coup parce que tu es fait pour ça. Donc, quand tu as des moments de doute, ne lâche pas parce qu'en tout cas, tu es fait pour ça. Le fait que c'est quelqu'un que j'admirais énormément, le chef Jeannin, et c'est pour ça que je voulais travailler chez lui à l'époque, alors que c'est pareil, tout le monde me déconseillait. C'était mon premier 3 étoiles, je n'avais jamais fait 3 étoiles avant. J'avais été apprenti au Café de la Peu pendant des années, donc c'était une brasserie de luxe et je n'ai jamais fait d'étoilé avant. Et moi, je me suis dit, quitte à faire de l'étoilé, autant aller tester du 3 étoiles et voir ce que ça donne. Et du coup, le chef Raoult a pu me placer là-bas parce qu'il connaissait le chef et c'est grâce à ça que j'ai réussi à avoir mon stage chez lui. Mais du coup, j'ai voulu voir vraiment le plus haut niveau et tout le monde me déconseillait en me disant « Mais t'as jamais fait l'étoilé avant, va peut-être voir d'abord du 1 étoile avant, du 2 étoiles, des trucs comme ça et après tu verras du 3. » Et je me suis dit « Ouais, quitte à aller dans le grand bain, on doit aller dans le plus grand bain et voir un peu ce que ça donne. » Et c'est pour ça que j'étais fier aussi de me dire que... Quelqu'un que j'admire autant me donne ce conseil et me dit que l'avenir continue, ça pousse à continuer.
- Laura
Ça galvanise un petit peu et ça te porte dans les moments de doute. Il t'a mis un petit peu en garde sur tes origines, etc. J'ai l'impression que tu insistes sur le fait que tu as une cuisine française avec des touches tunisiennes. Pourquoi c'est important pour toi d'insister là-dessus ?
- Youssef
J'insiste beaucoup là-dessus parce que je ne veux pas qu'il y ait de méprise sur la marchandise. C'est un peu l'idée. Je ne veux pas que les gens viennent ici en se disant que c'est une cuisine tunisienne, une gastronomie tunisienne que je revisite. Je ne fais pas un couscous retravaillé, je ne fais pas une kamouni, je ne fais pas une molokhi, je ne fais pas ce genre de choses. J'ai la chance d'avoir la double culture et je veux mettre en avant les deux cultures. Mais j'ai surtout appris la cuisine française et c'est une cuisine qui me plaît énormément, que ce soit par le travail des sauces, des condiments, des choses comme ça. Et le côté tunisien, c'est plus quelque chose que je viens ponctuer partout, que je veux mettre en avant aussi. Mais que du coup, je ne sais pas comment l'expliquer, mais c'est plus quelque chose, je suis fier de qui je suis, de ce que je suis et je suis fier de faire un mélange des deux cultures. Mais je ne veux pas qu'il y ait d'amalgame où on pense que c'est un restaurant gastronomique tunisien. Parce que l'amalgame peut très vite être fait. Et c'est ce qui a été le cas au début, les premiers mois du restaurant. Il y a eu des fois où justement les gens pensaient venir dans un restaurant gastronomique tunisien. Alors que non, pas du tout. C'est aussi pour ça que je l'explique aussi. Tu l'insistes un peu dessus. J'insiste un peu dessus. C'est aussi pour expliquer aux gens qu'il n'y a pas de méprise et qu'ils ne soient pas déçus au final. Marion, qu'ils sachent un peu. dans quoi ils mettent les pieds.
- Laura
Et ta cuisine tunisienne, est-ce que tu cuisines en dehors du resto tunisien ? Et ça te vient de ta mère qui t'a appris ? Oui,
- Youssef
ça vient de ma mère qui cuisinait beaucoup, qui était très bonne cuisinière et mon père aussi. Mon père aussi cuisinait beaucoup, voire même des fois, ma mère n'aimait pas que je disais ça, mais mon père des fois cuisinait certains plats mieux que ma mère. Mais du coup, j'ai eu la chance donc de... de goûter à pas mal de choses de la cuisine tunisienne de mes parents. Ils nous faisaient souvent des plats traditionnels. qu'on mangeait toutes les semaines. Il y en a, par exemple, ça me fait rire, j'entends beaucoup de chefs qui parlent du coup du poulet rôti du dimanche chez eux. Moi, c'était le couscous. J'avais un couscous tous les dimanches chez moi et en fonction des saisons, des moments, ça changeait de garniture, enfin de légumes, de protéines aussi. Parce que du coup, en Tunisie, on a ce couscous au poisson. On pouvait avoir une semaine un couscous à base de volaille, la semaine d'après, partir sans remport. couscous de poisson, la semaine d'après un couscous de calamaire revenir après sur un couscous avec du bœuf, enfin ça changeait vraiment toutes les semaines. Mais couscous du dimanche c'était une tradition chez moi et je pense que limite on n'était pas content avec mes sœurs si on n'avait pas de couscous du dimanche c'était obligatoire.
- Laura
Oui pas de lassitude même enfant parce que parfois tu peux avoir le côté pas du tout,
- Youssef
je pense que c'est pareil pour les gens quand on leur parle du poulet rôti du dimanche les frites c'était vraiment le truc tous les dimanches ils sont contents nous c'était pareil ... Mais du coup, j'avais plus cette culture tunisienne au fur et à mesure des années. Et quand j'ai commencé la cuisine, j'ai travaillé dans des grands restaurants de cuisine française et classique. J'ai pu à ce moment-là, on va dire, un peu plus découvrir la gastronomie française. Et j'ai beaucoup aimé aussi le poulet rôti, gratin dauphinois, enfin tous ces plats-là. Certains que j'ai adorés, certains beaucoup moins, je ne vais pas le cacher.
- Laura
Qu'est-ce que tu n'aimes pas ?
- Youssef
L'ironion, je ne peux toujours pas. Je suis quelqu'un qui est très téméraire et je peux goûter à tout, ça ne me dérange pas de goûter aux choses. Au contraire, j'adore essayer. Je n'aime pas dire que je n'aime pas sans que je n'ai pas goûté. Mais l'ironion, j'ai essayé de toutes les manières, avec toutes les sauces possibles, moutarde, rouge, ce que vous voulez, ça ne passe jamais. Ça ne m'est jamais passé pour l'instant et personne n'a réussi à me faire aimer ça. Et ouais, il y a des odeurs, enfin, il y a des odeurs aussi, les pieds aussi. J'ai beaucoup de mal aussi avec ça. C'est quelque chose que je commence, on va dire, à peu près à apprécier par petites touches. Mais ouais, sur les pieds de veau, les pieds d'agneau, c'est encore compliqué pour moi.
- Laura
Ça reste assez clivant pour tout le monde.
- Youssef
Même pour moi, je pense que c'est assez clivant. Si quelqu'un arrive à me le faire aimer, franchement, il est fort parce que là, c'est quand même compliqué. Il part avec un sacré handicap.
- Laura
Et à la maison, quand tu retournes chez tes parents, qui est-ce qui cuisine maintenant ? Tes parents gardent le lead ? Oui,
- Youssef
ils gardent le lead. Le seul moment où je cuisine chez mes parents, c'est pour Noël. Où là, ils me laissent carte blanche et c'est moi qui fais le repas le plus gros du monde. C'est moi qui fais quasiment tout le repas, c'est un peu mon cadeau de Noël à ma famille. Ça a toujours été ça d'ailleurs, chez moi. Tous les ans, préparer le repas, faire le menu et de tout cuisiner. Mais non, il garde le lead. Et notamment, mon père aussi, il a son petit plaisir de la semaine. En plus de venir faire les courses toutes les semaines avec moi, c'est que du coup, il nous ramène à manger toutes les semaines aussi pour toute l'équipe. Donc, ça fait que toute l'équipe mange une fois par semaine. Donc du coup, un plat préparé pour mon père, ça soit un couscous, ça soit... Peu importe, mais c'est son truc à lui de nous faire à manger et il est content. Il me demande toutes les semaines, du coup ils ont aimé, ils ont aimé. Ça leur a plu.
- Laura
La petite review. Et donc en parlant de choses un peu clivantes et peut-être pour venir sur Aldéhyde. Donc Aldéhyde, c'est le nom de la molécule de la coriandre. C'est quand même hyper clivant la coriandre. Pourquoi ?
- Youssef
Bah du coup, voilà, l'idée c'était de... Quand on a réfléchi au concept tous les quatre, c'était aussi de se dire qu'est-ce qu'on aime faire, qu'est-ce qu'on n'aime pas faire. Au fur et à mesure des années, notre cuisine s'est quand même très portée sur les vinaigres, les herbes. Quand on a commencé, après moi du coup, j'ai apporté peut-être un peu plus le côté épicé parce que j'ai réussi, de par ma culture et de par mon palais au fur et à mesure des années avec mes parents, ce qui me cuisinait. réussir un peu plus à travailler ça et j'adore aussi les différents saveurs et goûts que ça peut apporter. Et donc ce travail des épices en plus, c'est moi qui l'ai peut-être plus apporté que les deux autres. Quand je dis les deux autres, c'est vinaigre et herbe. Mais donc on réfléchissait un petit peu à tout ça et c'est vrai qu'on s'est rendu compte que le côté clivant aussi, c'est quelque chose qui nous plaisait en fait, de faire des choses déjà d'un qui est différent, de faire aimer aux gens ce qu'ils n'aiment pas. C'est ça aussi le côté clivant, c'est que quand on a travaillé dans nos différents restaurants avant avec Louis et Julian, on aimait bien ce côté où des fois les gens disaient « j'aime pas la betterave, vous m'avez fait aimer la betterave, j'aime pas le chou-fleur, vous m'avez fait aimer le chou-fleur » , enfin ainsi de suite. Donc c'est vraiment avoir ce côté très clivant et de se dire… Un peu comme une cuisine d'auteur, en fait. On se revendique un petit peu cuisine d'auteur, même si ça peut paraître un peu surfait. Mais on voulait proposer quelque chose de différent, avec des goûts francs, des choses assez marquées, qui peuvent plaire ou ne pas plaire, donc un peu comme l'Aldéhyde. Mais en tout cas, c'était la proposition qu'on avait envie de donner.
- Laura
Ok, bien intéressant. Et donc, effectivement, Aldéhyde, vous le présentez comme un restaurant de copains. Quand est-ce que tu as rencontré, du coup, Louis, Julian et Thibaut ? Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ces rencontres ?
- Youssef
Au final, ça s'est fait de manière assez naturelle, parce que je pense qu'on est quatre personnalités assez complémentaires, même si on a chacun nos individualités, on est quand même assez complémentaires au final. Louis, c'est le premier que j'ai rencontré pendant mes expériences, c'était à la réouverture du Ritz Paris, où à l'époque il était apprenti et moi j'étais deuxième commis. Le feeling est passé directement. entre lui et moi et avec lui on s'est suivi au fur et à mesure du coup de nos expériences moi quand je suis parti du ritz je suis allé chez tommy enko lui est resté au ritz mais on continuait donc de se parler de se voir louis habiter juste à côté de chez tommy gousset donc temps en temps il passait me voir même des fois il passait juste avant service en disant passer le bonjour à youssef et il allait bosser donc on est resté en contact après ça donc Il y a eu l'ouverture du cheval blanc Paris.
- Laura
par nos anciens chefs du coup du Ritz. Donc Louis était de la partie, et donc moi j'ai rejoint l'ouverture Cheval Blanc Paris, donc on s'est retrouvés là-bas avec Louis. Et là on a rencontré Julian, le deuxième acolyte à cette époque. Moi j'ai fait un peu plus de deux ans au Cheval Blanc, et Louis et Julian pareil, et au final pareil, l'alchimie s'est créée entre nous trois. Quand j'ai pris ma première place de chef, je voulais être épaulé justement par des gens à qui j'avais confiance. que je connaissais bien. Louis et Julian m'ont suivi quand j'ai pris ma première place de chef. C'est là où j'ai rencontré Thibaut, qui était au restaurant Jacques Fossa, là où j'ai pris ma première place de chef exé, dans un restaurant d'une étoile Michelin. Pareil, nos personnalités ont matché à l'époque avec Thibaut. On a travaillé pendant un an et demi chez Jacques ensemble. Ça s'est vraiment fait naturellement. Quand on a eu la possibilité d'ouvrir le restaurant ici, qu'on a eu la proposition...
- Youssef
Ça a été assez évident.
- Laura
Ça a été évident, on ne sait même pas. Quand on a eu la proposition avec Louis et Julian, et qu'on savait qu'il fallait quelqu'un en salle, on n'a même pas cherché ailleurs. Le jour même, on est parti voir Cibaud, on a dit voilà, on a cette proposition, ça te dit qu'on fasse ça tous les quatre.
- Youssef
Vous en aviez parlé un peu d'un projet de ce type-là avant ensemble ? Pas du tout.
- Laura
Moi, j'ai toujours voulu... J'ai toujours eu cette envie d'être chef de mon restaurant un jour. Ça a été un peu ma ligne d'arrivée, on va dire, quand je me suis réorienté après la fac. Donc moi, ça a toujours été une envie pour moi. Je ne sais pas si pour Louis, Julian et Thibaut, ça a toujours été une envie. Mais je pense qu'au fur et à mesure, oui, ils avaient envie en tout cas d'être... Tous les quatre, je pense qu'au fur et à mesure, on s'est rendu compte qu'on ne voulait plus avoir quelqu'un au-dessus de nous. On a toujours travaillé pour des grands groupes, LVMH, Ritz, enfin tout ça. On a toujours voulu un jour être chez nous. Moi, ça a été verbalisé par « je veux un jour mon restaurant » . Là, on a eu l'occasion d'être chez nous, donc c'est sûr qu'on a sauté sur l'occasion. À l'époque, on s'était dit tous les quatre... Au début, on se pose des questions, on a des doutes, on accepte, on n'accepte pas. Et on se rend compte que des propositions comme ça, en fait, il n'y en a pas tous les quatre matins. Et je pense qu'on aurait été frustrés de la refuser à l'époque juste par de la peur.
- Youssef
Oui, et généralement, ce qui te fait peur, c'est ce dont tu as vraiment envie et donc il faut y aller. Et ça change quoi de travailler avec ses amis ou en tout cas d'être associé avec ses amis ?
- Laura
Ça change que déjà, ça fait du bien. On arrive le matin, on n'a pas de boulot au ventre, on est content de voir des gens, on est content de voir ses amis, c'est un peu comme si je te disais que tu es content d'aller en soirée voir tes amis, forcément.
- Youssef
Sauf que toi il est 8h30.
- Laura
Sauf que nous du coup il est 9h30 et qu'on se voit, donc c'est sûr que ça soulage, ça fait du bien, ça enlève aussi un poids supplémentaire. Mine de rien, quand on a ouvert le resto, il y avait beaucoup de stress. Ouvrir un restaurant, ça reste quand même beaucoup de pression, ça reste beaucoup de choses à gérer. L'avantage d'être quatre quand on fait ça, c'est ce que je te disais la dernière fois, c'est qu'au final, on divise la charge par quatre aussi. Tant mieux parce qu'il y a forcément beaucoup de choses à gérer pour une ouverture, que ce soit élaborer la carte. de cuisine, les menus, la carte des vins, les tables à choisir, quelle chaise on veut, quel vaisselle on veut, quel truc, enfin il y a tout un truc qui nous tombe dessus et je pense que être seul pour gérer ça, ce que je dis à chaque fois, je tire mon chapeau aux autres chefs que je connais qui ouvrent leur resto en étant seul ou en ayant juste un associé avec eux parce Parce qu'il y a trop de choses à voir, il y a trop de choses à gérer. Et là... Diviser tout par quatre, c'était plus simple. Ce n'était pas facile, mais c'était plus simple. Donc là, ça fait un an qu'on a ouvert et avec du recul, on se dit s'il aurait fallu faire ça seul, waouh !
- Youssef
Et quand tu dis pas facile, tu dis sur le fait de prendre des décisions collectivement. Parfois, c'est peut-être plus compliqué.
- Laura
Bah oui et non. Pour le coup, oui et non, parce que ça a été très rare, les décisions. On n'était pas d'accord. Et on a toujours réussi à trouver justement une décision qui convenait à tout le monde ou qui arrivait à combler tout le monde. Mais il y a des choses sur lesquelles c'était quand même beaucoup plus simple d'être skates.
- Youssef
Et comment tu dirais que vous complétez quels sont les atouts de chacun qui fait qu'aujourd'hui ça fonctionne si bien ?
- Laura
C'est qu'on s'est dit aussi quels sont les points forts et les points faibles de chacun. Quand tu mets ça sur une feuille et que tu poses les choses à plat, forcément tu... Un peu comme un entraîneur d'équipe qui sait que si quelqu'un est très bon attaquant mais mauvais défenseur, il ne va pas le mettre en défense. On a vu les forces et les faiblesses de chacun et au final on s'est tous dit que si on a la force, on va être occupé de ça. Moi je présente bien, je parle bien, donc forcément être la tête d'affiche. Après j'avais plus d'expérience que les trois avec moi, c'est aussi pour ça que j'ai pris ce rôle-là et ce lead-là. Mais j'ai plus d'aisance à parler face caméra, pour des interviews. Donc oui, être tête d'affiche, c'était aussi pour ça.
- Youssef
C'est lourd à porter parfois ?
- Laura
Des fois, oui. Forcément, oui. Parce que ce que je dis aussi, c'est quand tout va bien, c'est moi qui prends tous les lauriers, c'est sûr. Mais quand tout va mal, c'est moi qui vais prendre les lairs, c'est moi qui prends aussi. Il y a pas mal de choses sur lesquelles c'est pas forcément facile d'être une tête d'affiche aussi, ça c'est vrai. Mais ouais, on a tous nos forces. Louis est quelqu'un, on dit souvent, quand on vient au restaurant, on dit, ouais, les assiettes sont super belles, c'est trop bien dressé, c'est très esthétique et tout. Ça, c'est la grande force de Louis, par exemple, qui a un vrai don pour moi à ce sujet. Julian, c'est quelqu'un qui est très, très technique aussi en termes de cuisine et qui est très pointu sur la technique en cuisine. Donc, c'est sa grande force aussi et c'est en ça qu'il nous aide. Enfin, je dis... Je dis les grandes lignes, bien sûr, ils ont énormément de qualité chacun. Thibaut, c'est quelqu'un qui est très fort aussi sur le vin, alors qu'il n'a pas une formation de sommelier de base, mais c'est quelqu'un qui joue beaucoup sur l'émotion de ce qu'il ressent sur le vin. Et ça, c'est de très grande force aussi, parce qu'au final, on a une vraie cuisine d'émotion et qu'on essaie de transmettre. Et des fois, on fait des plats avec des choses. très spécial dedans et des fois on se regarde et on se dit le pauvre trouver un accord sur ça, ça ne va pas être facile et il arrive toujours à trouver quelque chose d'incroyable. Donc c'est aussi dans ça qu'il est très fort à ce sujet Chibou. Donc non, on a tous nos forces et justement on s'est tous dit autant persévérer sur nos forces. Et c'est ça qui est bien, c'est qu'au final les forces de chacun comblent les faiblesses des autres. Le fait qu'on soit quatre fait que forcément au final on arrive à... combler beaucoup plus les choses à quatre.
- Youssef
Et au-delà de la technique, de chacun, où effectivement chacun excelle dans son domaine, est-ce qu'il y a quelque chose chez chacun d'eux que tu admires plus dans la personnalité, etc. ? Où tu te dis, en fait, je sais pourquoi c'est mon ami.
- Laura
Oui, clairement. C'est pas du tout leur sens de l'humour. Julian et Louis ont en sens de l'humour. Assez développé justement, je te parlais de stress, de choses à gérer, de pas mal de trucs et des fois dans une journée on se rend compte qu'il y a un truc qui pète, qu'il y a un fournisseur qu'il faut appeler, qu'il y a ci, il y a ça et en fait au final on s'alourdit les épaules un peu pour rien. Et ils ont toujours la blague pour te faire sourire, pour te faire décompresser à ce moment-là donc c'est aussi en ça que ça fait du bien et c'est pareil, c'est des gens sur qui en fait on peut chacun compter l'un sur l'autre, c'est ça qui fait du bien aussi. c'est que Quand il y en a un qui va mal, les trois autres le poussent vers le haut. Et inversement, si on a un souci de famille ou quelque chose comme ça, on sait qu'on peut compter les uns sur les autres. C'est une vraie amitié. On n'est pas juste des collègues, on est des amis. C'est pour ça que je dis qu'on est des copains. Et ça se ressent, parce que les gens, quand ils viennent manger, au final, quand ils nous regardent, ils disent « Déjà, on vous voit, vous parlez presque... » « C'est calme, vous parlez presque pas, parce qu'à force, on se comprend en se regardant. La cuisine est ouverte, donc il y a des fois où je ne vais pas faire le chef et dire je réclame 4 poissons, je réclame machin, je réclame tel ou tel truc. Ils ont les bons devant eux, ils savent qu'il y a un accord, ils savent qu'il n'y a pas d'accord ou quoi que ce soit. Ils disent ok, il vient de débarrasser les poissons, il est en train de redresser, pareil à côté, donc ça veut dire que je peux faire 4 viandes. Au final, nous on passe des fois avec Thibaut, on regarde, on voit 4 à 7 viandes de sortie, on se dit bon, ils ont compris qu'il faut faire 4 viandes, on ne va pas dire il faut faire 4 viandes. On peut dire genre je veux soumettre mon autorité ou quelque chose comme ça, il n'y a pas besoin de se le dire, donc ça ne sert à rien. Et surtout, pendant le service, on rigole, on se regarde, on se fait des sourires, on se fait des petites blagues, des choses comme ça. Donc au final, les gens, ils voient juste quatre personnes en train de bosser avec le sourire. Et c'est ce qui rend, je pense, encore plus l'expérience cool pour le client.
- Youssef
Oui, tu as la complicité qui ressort vraiment.
- Laura
Exactement, on voit la complicité de chacun.
- Youssef
Il n'y a pas de chef, tout ça. fin de... Ils n'utilisent pas le mot chef ? Non,
- Laura
pas du tout. Ça serait trop bizarre.
- Youssef
Vous arrivez à avoir des moments ensemble en dehors du resto ? Et est-ce que vous arrivez à ne pas parler du resto ?
- Laura
Ça, des fois, c'est compliqué. J'avoue que c'est compliqué. Justement, c'est ce qu'on se dit des fois aussi ensemble. On évite de se voir les week-ends, les choses comme ça, parce qu'on se voit déjà suffisamment dans le resto. On n'a déjà pas beaucoup de temps, on va dire, entre guillemets, pour nous, pour nos familles, pour nos conjointes. La liste est longue. Donc non, on se voit peu, on va dire, en dehors. C'est aussi, je pense, ça qui nous aide à garder un équilibre. Si en plus de ça, je pense qu'on se voyait tous les week-ends et tous les trucs, je les aime bien. Enfin, je pense qu'ils diraient pareil. On s'aime bien tous, mais... Cinq jours sur sept, c'est déjà pas mal. Cinq sur sept, quatre jours et demi sur sept, c'est déjà bien. Ça devrait suffire.
- Youssef
Et tu disais, tu évoquais justement une cuisine d'émotions. Qu'est-ce que ça signifie pour vous ?
- Laura
Ça signifie plusieurs choses. C'est que déjà, on essaye de créer des souvenirs aux clients. Ça, c'est une des premières choses qu'on essaie de faire. On est content de se dire, quand je vais parler à la fin du repas à une table, et qu'ils te disent à ce moment-là... tel plat, je m'en rappellerai longtemps parce que je l'ai trouvé incroyable. Ça, pour nous, c'est quand même très gratifiant de se dire on a créé un souvenir à quelqu'un, on a créé une émotion à quelqu'un où il va en parler autour de lui ou s'il revient un an après, il peut nous redire ce plat-là, je m'en rappelle, il était incroyable.
- Youssef
Le brillat savarin.
- Laura
Le brillat savarin. Pour toi, par exemple, le fromage qu'on avait fait à l'époque. Enfin voilà, c'est ce genre de choses. Donc ce genre d'émotion-là, c'est aussi Et... Des fois, des personnes redébloquaient des souvenirs aussi, où j'ai déjà eu des clients qui me disaient « Ma grand-mère me faisait aussi tel ingrédient étant jeune, et du coup, ça m'a rappelé ce que me faisait ma grand-mère, ça m'a rappelé ma mère, ça m'a rappelé ma tante, ça m'a rappelé ce genre d'émotions-là. » Et aussi, du coup, moi, je mets aussi beaucoup de mes émotions dans certains plats, notamment les deux desserts signatures du restaurant, où il y en a un, c'est... J'ai réinterprété mon petit déjeuner d'enfance avec ma mère. Là, j'ai vraiment joué sur cette émotion-là. Et le deuxième, c'est le dessert préféré de mon grand-père, l'after-eight, que je mangeais avec lui aussi. C'est ces émotions-là aussi que je travaille ou que j'essaie de faire travailler au restaurant. Et du coup, ce qui apporte le petit supplément d'âme, on va dire en plus, c'est d'expliquer aux gens... Comment j'ai conçu ce plat et qu'est-ce qui a fait que j'ai créé ce plat et pourquoi je le propose ? Quand je parle du pré-dessert aux gens et que j'explique que c'était mon petit déjeuner d'enfance avec ma mère, j'explique comment je le mangeais, qu'est-ce que je mangeais, que si je mets des pétales sur le dessert, c'est pas juste mettre des fleurs pour mettre des fleurs, mais c'est parce que du coup je viens verser après dessus une eau de géranium et que ça rappelle la rosée du matin que j'avais avec ce petit déjeuner avec ma mère quand on avait la vue sur le jardin. C'est ce côté-là d'émotion aussi qu'on rajoute en plus au client.
- Youssef
Comment a réagi ta mère la première fois que tu lui as présenté ce dessert ?
- Laura
Elle a pleuré. Elle a goûté, elle a pleuré. Quand je lui en ai parlé la première fois à la maison, elle a pleuré. Et après, quand elle l'a goûté, elle était très heureuse. Mais la toute première fois, je lui ai expliqué le pourquoi du comment, l'histoire de ce que j'ai fait. Je lui ai montré les photos. Elle a pleuré. Et surtout, pour elle, c'était... Ah, tu te rappelles de tout ça ? Je lui ai dit, je m'en rappelle. Je me suis fait rappeler. Elle était très fière de ça.
- Youssef
Pour eux, ça peut paraître insignifiant sur le moment. C'est le petit déjeuner. Ils ne se rendent pas forcément compte que ça te marque autant.
- Laura
Que des choses, qu'il y ait des souvenirs qui puissent autant nous marquer et qu'on puisse garder aussi longtemps. Et surtout, les souvenirs. C'est pareil, quand je lui ai parlé de l'after-eight, la première fois que je l'ai testé, que je l'ai fait, que je lui ai montré. On me dit tu t'en rappelles et tout, je parle de tout ça et quand je dis du coup pour aller plus loin dans le souvenir, je te rappelle que papy sentait souvent la fumée et tout quand on était jeunes et tout, il dit ouais c'est vrai. Du coup j'ai fait une ganache au chocolat fumée pour rappeler le côté fumé de papy et tu te rappelles de ça aussi, je me rappelle. Vraiment ça l'a beaucoup touché aussi, ce côté émotion l'a beaucoup touché de se dire ah oui t'es vraiment allé à fond dans le souvenir et au plus long en fait.
- Youssef
Et est-ce que tu continues de t'en servir un peu comme exultoire peut-être parfois de la cuisine, des moments difficiles ou des émotions positives justement ? Est-ce que tu sens que parfois ça t'aide vraiment à un peu extérioriser ?
- Laura
Je ne sais pas si ça aide à extérioriser, mais en tout cas c'est sûr que quand je prépare, je fais les préparations pour ces deux desserts, je n'arrive pas à mal les faire. Je ne peux pas faire moins bien parce que du coup j'ai envie que ça soit toujours bien, toujours bon, que l'explication soit toujours au rendez-vous, que le goût soit toujours pour que le client le comprenne. Et en fait c'est aussi dans ça que je disais des fois que faire des cuisines de souvenirs, en fait ce qui est bien avec ça c'est qu'on n'arrive pas à faire moins bien que ce que c'est habituellement. Quand on fait des recettes au fur et à mesure des années, dans les différentes expériences que j'ai pu avoir, C'est aussi pour ça que les chefs goûtaient assez souvent, c'était pour éviter ce qu'ils appellent une recette des vies. C'est que quand ils font d'abord une première recette, qu'au fur et à mesure on prenne, ce qui est tout à fait normal, des raccourcis pour essayer de gagner du temps sur nos mises en place, sur nos journées qui sont quand même très longues et à rallonge. Mais du coup il y a des fois où on prend des raccourcis et ces raccourcis font que la recette change un petit peu et que le goût peut changer un petit peu. Cette accumulation des fois de raccourcis fait qu'une recette passe d'un point A à un point B. Et sur les cuisines ou les recettes d'émotions, de souvenirs comme ça, je trouve qu'on n'arrive pas à prendre de raccourcis ou de choses comme ça parce que ça nous tient tellement à cœur qu'on n'arrive pas à faire moins bien que ce que ça peut être.
- Youssef
Et cette volonté de cuisiner les émotions et les souvenirs, tu sais d'où ça te vient ?
- Laura
Je pense que ça vient du fait que de base je suis quelqu'un de très émotif aussi, je suis quelqu'un qui suis très émotif, qui a beaucoup d'émotions, qui donne beaucoup. Donc c'était aussi cette envie de donner une part de moi aux gens, c'est un peu ce côté-là. On a un métier un peu artistique, on a un métier où justement on a besoin. Je crois que c'était Xavier Pincement, j'avais vu dans son interview, qu'il disait qu'on ne se rend pas compte, mais nous les cuisiniers, on est des gens très émotifs et les gens pensent des fois qu'on est un peu méchant, qu'on est un peu renfermé, qu'on est tout ça, parce qu'on voit des dérives ou des choses comme ça, des interviews. Et non, on ne se rend pas compte à quel point on est des gens émotifs, que ce soit dans nos façons de créer, de faire, de dresser. On a besoin d'émotion en fait. Et moi, du coup, étant très émotif, forcément que c'est... Ça s'est ressenti auprès des clients parce que du coup, tu te dévoiles un peu d'eux, tu donnes une part de ton âme aux gens quand ils viennent. Je pense que c'est ce qui plaît aussi énormément au restaurant.
- Youssef
Oui, tu as beaucoup de sincérité qui passe aussi par ta cuisine et ce que tu as envie de transmettre.
- Laura
Oui, c'est ça.
- Youssef
Et justement, quand tu évoques un peu les dérives, est-ce que toi, tu y as été confronté dans ton parcours ?
- Laura
Je pense que comme tout cuvier, oui, on en a vu. Mais là où les choses changent depuis plusieurs années, c'est ce qui est bien, c'est qu'on est une génération où on arrive à comprendre que ce que nous on a pu voir ou ce que d'autres ont pu voir et subir, on ne le fait plus. On arrive de plus en plus, on a de plus en plus une génération de jeunes chefs qui brisent cette chaîne justement et qui veulent que les choses changent. Ce que je dis des fois, c'est que ce n'est pas parce qu'un enfant battu ne va pas forcément battre ses enfants derrière. En fait, il ne faut pas reproduire ça. Et ça a été le cas pendant un moment. C'est de moins en moins le cas et dans un sens, tant mieux, parce que notre métier a besoin d'évoluer.
- Youssef
Ou s'évoluer, en fait.
- Laura
Dans le bon sens, oui.
- Youssef
Et peut-être pour revenir un petit peu sur l'étoile. Donc, effectivement, vous l'avez obtenu très vite. Est-ce qu'à un moment, vous vous êtes dit, est-ce que ça ne va pas trop vite ?
- Laura
Franchement, je ne sais pas. Ça, je ne sais pas trop. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est ce que je dis souvent aux gens quand ils nous demandent « est-ce que vous la vouliez aussi vite ? Est-ce que vous vouliez l'étoile sept mois après l'ouverture ? » Franchement, pour se dire la vérité, quand on avait ouvert, on s'est regardé et on s'est dit « oui, on a envie d'une étoile parce qu'on a toujours travaillé que dans des maisons étoilées, on a toujours travaillé dans l'excellence. » Et du fait qu'on ait toujours travaillé dans l'excellence, fait qu'on arrive. On ne sait pas faire autrement. Ça peut paraître péjoratif, mais on ne sait pas mal faire. C'est-à-dire qu'en ayant forcément appris le haut niveau, on ne fait que ça. On se fait plaisir bien évidemment en faisant ça, mais on ne s'était pas dit qu'il fallait aller chercher l'école dans 7 mois quand on ouvre. On s'était d'abord dit qu'on ouvre. Il faut rendre paire à l'entreprise aussi, parce que du coup, ce n'est pas juste d'avoir une étoile, il faut remplir le restaurant. Il y a des responsabilités derrière. Donc déjà, c'était le but premier, c'était de se dire qu'il faut qu'on lance les choses, qu'on arrive à être paire, qu'on arrive à se créer une clientèle, qu'on arrive à se créer une réputation pour que le restaurant se remplisse sur une année. C'est ce qui est le plus dur. Et on voulait d'abord se faire plaisir, avant tout. On s'est dit, voilà, on se fait plaisir. Pour nous, le projet, c'était plus de dire qu'on ne l'aura pas dans 7 mois parce qu'on s'était dit que c'était trop rapide et que jamais de la vie on n'aurait une étoile en 7 mois. On s'est dit peut-être l'année d'après ou peut-être dans 2 ans ou quelque chose comme ça. Mais déjà, on lance le resto, on lance tout ça et que nous, en fait, on se fasse plaisir. C'était ça le but premier. Et au final, on s'est fait plaisir, on a réussi à lancer le resto, on s'est fait plaisir. Et l'étoile est tombée parce qu'au final... Notre travail a été récompensé, c'est tout ce qu'on s'est dit, c'est qu'on s'est juste dit ok donc notre travail a été récompensé pour ce qu'on a fait et tant mieux et on est super fiers de ça. Mais on n'a pas ouvert comme d'autres personnes ou en se disant les gars faut que dans cette mois l'objectif c'est dans cette mois on a une étoile.
- Youssef
Vous avez juste transposé votre exigence de l'étoilé. Au départ, malgré peut-être la petite pression qu'il y a du fait d'avoir l'étoile maintenant, est-ce que vous arrivez à garder le même plaisir ?
- Laura
On a gardé la même ligne de conduite, c'est ce qu'on s'est dit. Quand on a eu l'étoile, il y a eu beaucoup de personnes qui nous demandaient qu'est-ce qu'on allait changer, qu'est-ce qu'on allait faire en plus. Non, franchement, nous, ce n'était pas le but. On s'est dit, à un moment donné, notre travail a été récompensé tel quel, pourquoi on va changer notre façon de faire ? C'est ce qui a été récompensé. Donc ça serait bête de vouloir en fait changer les choses et de se mettre une pression supplémentaire et de se dire ouais il faut qu'on fasse ça parce que maintenant on est des étoiles, parce que non, si on l'a eu tel quel, autant continuer. Le but nous de cela c'est de maintenir notre ligne de conduite, c'est ce qu'on fait d'ailleurs, c'est continuer de se faire plaisir, c'est continuer de transmettre des émotions aux clients, de créer des plats qui nous conviennent. ont des côtés des fois un peu clivants, enfin rester vraiment sur la ligne de conduite qu'on s'était mise, qu'on s'est mis au départ et de ne pas changer les choses et du coup de maintenir l'étoile grâce à ça mais en tout cas on ne se rajoute pas de pression en plus ou de choses comme ça parce qu'on a une étoile maintenant.
- Youssef
Oui, ça reste le restaurant de copains, vous prenez plaisir tout en ayant vos exigences mais en fait avec lesquelles vous êtes arrivé déjà ici pour maintenir et qui... Donc effectivement, je pense que ça répond un peu à ma question d'après qui était, est-ce que toi tu sens que ça t'a changé cette exposition peut-être liée à l'étoile, etc.
- Laura
Non, franchement je reste le même. Et je pense que c'est ce qui est bien aussi d'être avec des amis, c'est qu'ils me connaissent suffisamment et je pense que si je me mettais à prendre la grosse tête, je pense qu'ils me la dégonfleraient très très vite, il faut dire ce qu'il y a, parce que je reste leur... potes et ils n'ont pas envie de ça, je pense, avec eux. Et justement, c'est ce qui fait aussi que je reste autant terre à terre, c'est d'être avec eux et de ne pas penser que je suis une super star ou je ne sais quoi parce que je suis exposé maintenant. Non, je reste qui je suis, je reste le même et je n'ai pas envie de changer parce que les choses sont comme elles sont maintenant.
- Youssef
Et donc ça n'a pas altéré non plus le lien entre vous ? Non,
- Laura
non plus parce que je reste le même et je reste toujours qui je suis. Et il y a des choses sur lesquelles je ne m'en rends même des fois pas compte. Ça peut paraître bête, mais c'était il y a quelques mois où j'étais à un événement, il y avait pas mal de monde et il y avait des jeunes de lycée hôtelier qui disaient « Oh regarde, il y a un chef étoilé ! » Et moi je me tourne la tête en disant « Où ça ? » Et en fait je dis « Ah putain, c'est moi ! » Je dis « Ouais, je comprends. » Donc voilà, il y a vraiment ce côté où je reste qui je suis parce que ça ne sert à rien de changer parce que les choses sont comme elles sont maintenant.
- Youssef
Oui, ça n'a pas changé qui tu étais. Et finalement, ça vient juste peut-être ajouter quelque chose sur ta tenue.
- Laura
Mais ça vient valider mon travail, c'est sûr. Mais oui, ça ne va pas changer ma personnalité en tout cas.
- Youssef
J'ai peut-être juste quelques petites questions pour terminer. Qu'est-ce que la restauration t'a appris sur les relations humaines ?
- Laura
C'est plus là en termes de management, je dirais en tout cas. Mais chaque personne est différente et qu'il faut... Aussi toujours adapté en fonction de la personne qu'on a en face de nous. Pas de se dire qu'une méthode fonctionne avec tout le monde et qu'il y a autant de méthodes qu'il n'y a de personne en face de toi. Ça m'a aussi appris à connaître des fois un peu plus en profondeur les gens, justement de comprendre qui ils sont et des fois de se dire, j'ai déjà vu des chefs, grandes barbes, tatoués de partout, côté un peu... Je dirais motard ce qu'on veut et avoir une cuisine ultra féminine, ultra dans le détail, très très belle, très politique, très portée sur au final l'inverse de ce qu'ils pouvaient refléter. Ne pas se fier aux apparences en fonction de qui on a et des fois inversement, d'avoir des fois des mecs qui ont une cuisine ultra brutale alors que... Tu les regardes et tu te dis « il a l'air doux comme un agneau » . Ça m'a vraiment appris ça aussi, à ne pas juger les gens en fonction des apparences. Et d'apprendre aussi, de connaître beaucoup plus les gens à l'intérieur de qui ils sont en fonction de ce qu'ils cuisinent.
- Youssef
Quel est ton moment préféré dans la journée chez Aldéhyde ?
- Laura
Mon moment préféré ?
- Youssef
Si il y en a un.
- Laura
Je pense quand même que c'est la mise en place le matin.
- Youssef
C'est vrai ? Pourquoi ?
- Laura
Parce que... Parce que du coup on est tous les quatre ensemble, qu'on arrive à faire notre mise en place tout en rigolant pas mal, en se lâchant des anecdotes, des petites vannes, des choses comme ça. On arrive toujours à avoir nos petits moments où on rigole et tout. Donc c'est peut-être ce moment-là, soit celui-ci, soit sinon je dirais la petite fringale qu'on a toujours après le service du midi. On sort un petit peu ce qu'on a dans les frigos et qu'on se met à se faire des sandwiches, des choses comme ça, avec un peu ce qu'on a tous dans les frigos, des trucs comme ça. C'est peut-être ces petits moments-là que j'aime bien chez Aldéhyde. Je parle là du coup peut-être plus sur le côté travail avec Louis, Jou et Ichibo. Et après, dans le moment de service, je pense que ce que j'aime bien, c'est la fin d'un repas. à une table et d'aller les voir et discuter un petit peu avec eux, de prendre le temps d'échanger avec chacun des clients sur ce qu'ils ont aimé, ce qu'ils n'ont pas aimé, parce que ça peut arriver aussi. Des fois, leur expliquer aussi un peu plus la conception de certains plats ou des fois, ils se demandent un petit peu qu'est-ce qui nous est passé par la tête pour imaginer tel ou tel plat ou telle association ou telle chose. Donc, prendre le temps de leur expliquer, prendre le temps de parler avec eux, d'échanger, c'est quand même un moment qui est cool.
- Youssef
Est-ce qu'il y a des retours clients qui t'ont marqué ou qui t'ont ému particulièrement ?
- Laura
Oui, il y en a eu. Après, j'en ai eu dans des expériences précédentes, mais je pense qu'une des celles qui m'a le plus ému chez Aldéhyde, enfin qui m'a le plus ému chez Aldéhyde, c'était un jeune couple, enfin jeune, une trentaine d'années. C'est jeune,
- Youssef
trente ans.
- Laura
Oui, c'est vrai que c'est jeune. Mais qui m'expliquait qu'en fait chaque année ils économisaient au fur et à mesure de l'année et qu'ils s'offraient pour Noël à chaque fois un restaurant qu'ils choisissaient. Et du coup ils mettent de l'argent de côté pour ce repas et quand ils sont venus ils nous ont clairement dit on veut tout prendre. Ils ont pris un verre d'apéritif, ils ont pris un verre de champagne, ils ont pris le grand menu, ils ont pris la cormée et vin. Ils ont pris le supplément fromage, enfin vraiment tous les suppléments qui existaient, ils ont voulu prendre parce qu'ils voulaient vraiment goûter à tout. Et à la fin du repas, quand je leur demande comment ça s'est passé, la dame me dit à ce moment-là qu'elle est très contente, qu'elle a passé un super moment et que ces derniers temps, elle était un peu déprimée parce qu'elle voyait quand même l'actualité dans le monde, que ce soit les guerres, les choses comme ça, la guerre en Ukraine. Israël, le conflit israélo-palestinien, tout ça, et qu'elle perdait un peu de foi en l'humanité, et que ce soir, avec le repas qu'on lui a donné, les histoires que j'ai pu lui raconter par mon enfance, la cuisine et la proposition qu'on avait eues ce soir... On lui avait un peu redonné espoir en l'humanité.
- Youssef
C'est très beau.
- Laura
C'était sa phrase et sur le coup, elle m'a dit ça avec beaucoup d'émotion et je n'ai pas su quoi lui répondre à part je vous remercie. C'est vrai que sur l'instant, ça m'a un peu...
- Youssef
Tu restes un peu bouche bée.
- Laura
Je reste un peu bouche bée, ça m'a donné quand même beaucoup d'émotion quand elle m'a dit ça.
- Youssef
Oui, c'est très beau. Effectivement, là, tu te dis, je peux susciter autant d'émotion via Makefizine et c'était du coup important pour toi de garder un pied dans la salle. Et de garder le lien avec le client, parce que souvent, parfois, on a les chefs qui veulent rester en cuisine.
- Laura
Ici, en tout cas, oui, c'est l'avantage qu'on a. C'est ce qu'on a voulu aussi. C'était casser aussi un peu cette barrière cuisine-salle, où tu as les cuisiniers d'un côté et la salle de l'autre. Les deux se séparent, ne se croisent pas. Et qu'un cuisinier ne va pas en fait en salle, c'est dommage. Parce que souvent, ce qu'on disait, c'est que pour moi, il n'y a personne d'autre. Un cuisinier peut mieux t'expliquer ce qu'il y a dans ton assiette étant donné que c'est lui qui l'a préparé et qu'il a toutes les subtilités de ce que tu as dans l'assiette et qu'il peut te l'expliquer au mieux. Ce qui est cool du coup, le fait que la cuisine soit ouverte et qu'on aille tous en salle et qu'on échange beaucoup, c'est qu'il y a des fois où moi et Thibaut par exemple on peut être occupé avec une autre table et qu'on voit un client qui a une question. Et t'as Julian ou t'as Louis qui observent la salle et qui se disent « attends, je crois qu'il se pose une question » . Et des fois, ça fait un peu école où t'as le client qui lève la main en mode « j'ai une question » . Et du coup, t'as quelqu'un qui va le voir en disant « dites-moi, j'ai pas compris, ça vous le faites comment et ça c'est quoi ? » Et on réexplique, on prend le temps. Et c'est vrai que c'est ce côté-là qui est cool de casser cette barrière salle-cuisine et d'aller au plus près des clients et de leur parler.
- Youssef
De pouvoir leur présenter ta cuisine, d'avoir le retour immédiatement.
- Laura
Ça fait partie des choses que j'avais vues. La première fois que j'ai vu ça, c'était chez Christophe, quand j'y avais mangé à Des Étoiles Michelin, où tout le monde, pareil, il y a un cuisinier qui vient souvent présenter un plat. L'autre fois, j'en parlais avec Omar Diab aussi, où on me disait que c'est vrai que l'avantage d'avoir une cuisine ouverte où les clients puissent voir les cuisiniers et que les cuisiniers aussi puissent voir les clients, c'est que... Ça casse aussi on va dire des codes et c'est vrai que pour nous c'est plus simple aussi des fois de mettre des noms sur des visages ou quand on a bossé dans les hôtels on se disait ça avec Omar, ce qu'il disait quand on était chez France Culture, quand on était à la radio où pendant un moment t'en avais qui disait tel client, tel nom, table soignée, VIP machin parce qu'il vient souvent, parce que si, enfin on connaissait ses habitudes, ses machins mais... Moi, j'ai eu plein de clients comme ça quand j'étais au Ritz ou au Cheval Blanc, mais je ne savais pas à quoi ils ressemblaient en fait. Je connaissais de noms, je connaissais toutes leurs restrictions alimentaires, ce qu'ils aimaient, ce qu'ils n'aimaient pas. Enfin, je les connaissais limite énormément.
- Youssef
Dans des détails très personnels.
- Laura
Voilà, dans des détails très persos, sans pouvoir mettre un visage justement sur tous ces détails. Et là, au moins, c'est possible. Et c'est vrai que du coup, pour la suite, même si un jour on a quelque chose de plus grand ou quoi que ce soit, Je pense qu'on va vouloir garder cet esprit où la cuisine va en salle et inversement. Même là, quand je dis qu'on fait tous de tout, c'est qu'il y a des moments où Thibaut il dresse avec nous aussi. C'est pas juste, non, non, moi je suis en salle et je ne touche pas. Il y a des moments où il prend des peluches, il met des trucs avec nous, il fait des trucs. Donc c'est ce qui rend le truc cool et collaboratif. Oui,
- Youssef
il y a moins cette frontière nette en fait.
- Laura
C'est ça.
- Youssef
Merci beaucoup. Alors j'ai une toute dernière question. Si tu devais recommander un restaurant ? Étoilé ou non étoilé, comme tu veux.
- Laura
Oh j'en ai plusieurs, j'en ai pas qu'un seul à recommander.
- Youssef
Tu peux en donner deux ou trois.
- Laura
Du coup, j'aime beaucoup ce que fait Omar Diab, là notamment chez Elbi. Je suis allé trois fois, j'ai beaucoup aimé ce qu'il fait. J'ai mon ancien collègue et ami de chez Tomienko, Michael Bui, qui a ouvert aussi son restaurant il y a quelques années qui s'appelle Godaï, qui est vraiment, vraiment, vraiment top. J'aime vraiment ce qu'il fait. Là récemment j'ai aussi fait Maslow Temple que j'ai beaucoup aimé, Faubourg des Mans aussi que j'ai fait aussi, j'ai beaucoup aimé, j'ai rencontré le chef Erwan, il est vraiment cool. Donc là il y a plein de petites pépites comme ça je pense dans Paris qu'on peut se dénicher, mais ouais si je devais en mettre deux en avant, enfin si je devais en mettre certains en avant, Mickael chez Godaï, allez-y, allez-y les jeux fermés, vous allez vous régaler.
- Youssef
Merci beaucoup Youssef.
- Laura
Je t'en prie Laura, merci à toi.
- Youssef
Si pour une belle occasion, tu souhaites découvrir la cuisine de Youssef, Louis et Julian et savourer les accords mévins concoctés par Thibaut, je t'invite alors à rendre visite chez Aldéhyde, 5 rue du pont Louis-Philippe à Paris. Je ne doute pas que tu repartiras avec l'estomac bien rempli et la tête pleine de souvenirs. J'espère que tu as passé un bon moment et que tu as apprécié cet échange. Pour découvrir les coulisses du podcast et rester informé des prochains épisodes, tu peux suivre afedou.podcast sur Instagram. En attendant, je te souhaite de bons petits plats mijotés, beaucoup de douceur, et te dis à très bientôt pour une nouvelle rencontre. Toujours à FEDOU.