- Roxane
Il y a eu surtout un tournant. Donc, quand je suis partie faire mon année sabbatique, déjà, oui, j'étais très intéressée par aller en Afrique. J'ai toujours eu un lien avec l'Afrique. Je ne suis pas partie en 2019 à la recherche de mes racines, comme peuvent penser ou dire certaines personnes. Mais non, j'ai toujours eu un lien avec l'Afrique. Mon père, donc, il est Camerounais, mais il a grandi. entre le Cameroun, la Côte d'Ivoire, et puis après en France, j'ai des oncles, comme je disais, au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Togo, etc. J'ai beaucoup voyagé avec mes parents dans plein de pays différents, et notamment en Afrique, Moyen-Orient, etc. Et donc du coup, le fait de partir pour moi au Nigeria, c'était vraiment parce qu'il y avait quelque chose qui qui m'intéressaient là-bas, de par la musique, même dans les marques de mode que je voyais. Je voyais quelque chose un peu de frétillant. J'étais super attirée. Et en fait, en voyageant comme ça entre plein de pays différents, j'ai été... On va dire qu'il y a une autre partie de mon identité qui était plus visible, c'était le fait d'être occidentale, bien sûr. donc avec tout ce que ça comporte. Donc, le fait d'être vue comme une occidentale en Afrique, c'est le fait d'être vue comme quelqu'un qui a des moyens, etc. Et puis en plus, je suis quelqu'un qui est vue comme métisse. Donc, ma couleur de peau, je suis claire de peau. Donc, en plus de ça, il y avait tout ce truc d'être vue comme une belle femme parce qu'en étant claire de peau en Afrique, dans des pays où des gens se décapent la peau pour s'engueuler à ça, c'est quand même quelque chose.
- Ramata
Bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast Africa Fashion Tour. Je vous emmène avec moi à la rencontre de créateurs basés sur le continent africain. Je vous invite à voyager à Abidjan, Dakar ou Bamako pour découvrir les parcours de professionnels talentueux, responsables et ambitieux. Au fil des interviews, je me rends compte que chaque entrepreneur veut contribuer au rayonnement de la créativité africaine sur le continent et au-delà. Ce podcast est un moyen de sortir des clichés du boubou et du wax pour représenter un éventail de tissus, de savoir-faire et de créativité trop souvent sous-représentés. Je suis Ramata Diallo, je suis professeure de marketing dans des écoles de mode parisiennes et je suis également consultante spécialisée dans l'accompagnement de porteurs de projets qui veulent lancer leur marque de mode. En 2017, j'ai attesté à ma première Fashion Week en Afrique et depuis, je voyage régulièrement sur le continent pour aller à la rencontre de ceux et celles qui font la mode en Afrique. Le podcast est le moyen que j'ai trouvé pour partager au plus grand nombre une autre vision de la mode africaine. Aujourd'hui, je suis en compagnie de Roxane Manga, qui est une artiste pluridisciplinaire d'héritage guadeloupéen, camerounais et français. Elle est basée à Paris. Sa pratique englobe la mode, le cinéma, le design graphique, la photographie, l'écriture et la performance. Je l'ai invitée aujourd'hui pour qu'elle puisse nous parler de son parcours et de l'évolution de sa carrière d'artiste. Bienvenue Roxane, comment vas-tu ?
- Roxane
Je vais très bien, merci beaucoup pour l'invitation.
- Ramata
Merci à toi, c'est un plaisir pour moi de te retrouver pour un enregistrement du podcast Africa Fashion Tour. On s'est déjà croisés en fait à... À Paris, alors que tu travaillais pour Boubou, la formatrice de la marque Aya Misigo. Et puis depuis, on est toujours un petit peu resté en contact. Et là, comme tu as une exposition dans une galerie parisienne, je trouvais que c'était le bon moment pour pouvoir échanger avec toi et que tu me parles un petit peu de l'évolution de ta carrière artistique, qui est toujours un peu liée à la mode. Donc, pour commencer, je vais le faire comme je le fais avec tous mes invités. Je vais te demander de te présenter.
- Roxane
D'accord, alors je m'appelle Roxane Bamba, je suis artiste pluridisciplinaire et je travaille aussi en tant que directrice artistique pour différents projets, donc toujours pour Ayam Isigo depuis 2019, qui est une marque de mode nigériane et aussi sur des films, des documentaires. plein de choses assez différentes. Donc voilà. Et en tant qu'artiste, ma pratique, elle est vraiment axée sur créer des espaces, des espaces de repos, de répit, des installations immersives et pluridisciplinaires.
- Ramata
Très bien. Alors moi, je vais te demander un petit peu de nous parler de...
- Roxane
dès le début.
- Ramata
Alors, on n'est pas obligé de remonter jusqu'à la date de naissance. L'idée, c'est de savoir un peu comment est-ce qu'elle s'est développée, ta vocation d'artiste. Est-ce que tu as toujours voulu être artiste et tu as toujours senti en toi de la créativité ? Comment est-ce que ça s'est fait ? À quel moment est-ce que tu t'es dit voilà, c'est vers ce genre de métier-là que tu avais envie d'évoluer ?
- Roxane
Oui. Alors, oui, je pense que j'ai toujours été très... déjà très rêveuse et puis j'ai commencé aussi à me diriger vers l'artistique assez jeune finalement quand je devais avoir 14 ans quelque chose comme ça, c'est le moment où j'ai mon premier appareil photo et j'ai commencé à prendre des photos par-ci par-là et Et en fait, tu sais, au moment où on te demande ce que tu as envie de faire de ta vie à 18 ans, je savais que j'avais envie de faire quelque chose dans ce monde-là. Au début, je me disais que je ne pensais pas du tout à être artiste comme je le suis, ni forcément à travailler dans la mode. Je voulais être architecte, mais je n'aimais pas du tout les maths. Du coup, j'ai fait une prépa artistique à Paris. Mes parents m'ont toujours soutenue dans mes recherches, mes études, etc. Et c'est en faisant cette prépa artistique, où on pouvait un peu toucher à tout, le but de cette école-là, c'était de nous préparer au concours pour les grandes écoles. les arts déco de Paris, les beaux-arts ici et là, etc. Et puis, en côtoyant d'autres élèves, c'est là où j'ai entendu parler de l'école que j'ai faite à Amsterdam, qui s'appelle la Gerrit Rietveld Académie. Et en fait, la particularité de cette école, c'est qu'au début, il y avait une année, la première année, ça restait une année propédotique, où finalement, tu continues un peu à toucher à tout. entre le dessin, le design, etc. Et étant donné que je ne savais pas forcément vers où j'avais envie de... Enfin, je n'avais pas envie de faire de choix, en fait, dans toutes ces différentes disciplines. Du coup, je me suis dit que ce serait parfait. Et en plus de ça, j'avais envie de partir de Paris. Je suis née, j'ai grandi à Paris. Et j'ai toujours eu un peu envie de bouger, de découvrir des choses, etc. Donc, le fait d'étudier à Amsterdam, c'était incroyable. C'était le début d'une grande aventure. Et en étant dans cette école, finalement, je n'ai jamais choisi. C'est-à-dire que, certes, j'ai fait, comme je disais au début, une année pro-pédiotique. Après, je me suis plus spécialisée dans la mode. Et le fait de me spécialiser dans la mode, c'était plus par rapport à mon attrait du corps. tout ce que le corps peut dire, véhiculer le corps comme outil politique, etc. Et l'école que je faisais, que j'ai faite, c'est une école qui est aussi très conceptuelle, c'est-à-dire qu'en choisissant d'étudier dans le département mode, je pouvais quand même toujours continuer à... à travailler ce médium-là à travers la vidéo par exemple, etc. Donc voilà, et ce qui s'est passé, c'est qu'en 2019, quand on s'est rencontrés, c'est l'année où j'avais décidé de faire une césure, donc une pause dans mes études, pour un peu plus me confronter à la réalité du monde du travail. Et puis le monde qui m'intéressait, c'était... les espaces plus africains. Donc, j'ai décidé de faire une année en Afrique où j'allais travailler pour des personnes, notamment Bougou Ogisti, fondatrice de la marque Ayamissigo. Et donc, pendant un an, non, on a travaillé ensemble pendant quatre mois. Donc, j'ai commencé à Paris. en représentant la marque à la Fashion Week en septembre. Après, je suis partie au Nigeria pendant quatre mois. On est parties ensemble après en Côte d'Ivoire pour un pop-up. Et puis, c'est là où mon stage a pris fin. Et puis après, je suis allée au Bénin où mon oncle a une galerie d'art. Donc, je suis allée au Bénin. en Côte d'Ivoire encore pendant quelques temps. Et puis, j'ai terminé au Sénégal en mars 2020. Il y a eu le Covid et j'y suis restée pendant, je pense, pendant 6-7 mois dans une communauté spirituelle, dans un village Baïfal. Donc, voilà. Et après, je suis revenue terminer mes études en 2021. avec le projet Noir, qui est un projet que je continue depuis. En fait, Noir, c'est toute une série d'installations qui représentent ma maison rêvée, l'espace que j'aurais aimé avoir en étant jeune, en grandissant. Donc, un endroit qui réunit... qui réunit des femmes noires dans leur diversité, un endroit un peu de communion, où on peut se rencontrer, prendre le temps, discuter, etc. Et la manière dont je crée ces espaces-là, c'est en créant différentes pièces de cette maison. Donc j'ai déjà exposé... J'ai exposé à Amsterdam en 2021 le salon et l'arrière-cour de cette maison. Après, je suis partie à Londres pour exposer le balcon. Après Londres, il y a eu Yaoundé, où là j'exposais un espace extérieur, le marché. Ensuite, il y a eu Paris, l'année dernière, en 2024, où j'ai exposé la salle de bain. et deuxième version du salon. Et puis là, actuellement, à Paris encore, je suis en train de préparer deux prochaines pièces, qui seront la salle à manger ainsi que la terrasse, et qui seront exposées à la 193e galerie pas très loin de République, qui est du coup ma nouvelle galerie. J'ai signé avec eux il y a quelques mois. Et je présente actuellement un nouveau corpus d'œuvres dans cette galerie jusqu'au 31 mai, qui s'appelle « Spill the Tea » , et qui est une nouvelle série que je suis en train de développer, donc aussi en vue de mon exposition personnelle en novembre. Et cette série-là est vraiment née, encore une fois, du fait de se retrouver entre femmes, donc pour s'apporter. du soin et cette fois-ci en comérant, en se partageant des congossas, etc. Et en fait, c'était vraiment l'idée de dévoiler ce qui se passe dans notre intimité et de montrer ça aussi comme une force et pas forcément comme un hobby un peu. mal vues, entre guillemets. Je pense que le fait de se parler les unes les autres de « Ah, t'as vu, telle personne a fait ci » ou « Ah, la dernière fois, j'ai travaillé avec telle personne, voilà comment il m'a traité » , c'est aussi une manière de se protéger entre nous et de s'avertir aussi. Et c'est un moyen de ne pas supporter les choses seules, de ne pas porter les choses seules. et d'utiliser notre communauté pour faire face à des situations qui peuvent être aussi dérangeantes, pesantes, etc. Et donc ce nouveau corpus d'œuvres, je le développe à travers du dessin, du batik, donc des œuvres textiles et d'autres œuvres mix-médias. Il y a une fresque aussi. Et puis bien sûr, une partie de mon installation, les gens peuvent venir. et se prélasser.
- Ramata
Merci beaucoup pour cette présentation où tu nous as appelés. Paris, Amsterdam, il y a Houndé, Lagos. On sent qu'il y a quelque chose de très varié dans ton approche de ta carrière, que ce soit par rapport aux différents endroits dans lesquels tu as exposé, mais aussi de par les différentes disciplines où tu le dis, toi, les études que tu as choisis, tu as choisi une école dans laquelle tu n'as pas été obligé de faire le choix. Or, on est quand même souvent dans des environnements dans lesquels on doit choisir. En fait, c'est tes artistes peintres ou sculpteurs, mais tu dois forcément choisir un, comment dire, un médium, en fait, pour pouvoir t'exprimer. Et toi, tu revendiques le fait de ne pas choisir. Est-ce que tu as quand même peut-être une préférence ou est-ce que vraiment, toi, ce que tu aimes, c'est de pouvoir être comme ça, pluridisciplinaire et de pouvoir te dire que... Aujourd'hui, ce sera par le dessin. Demain, ce sera la photo ou le film. Et c'est comme ça que tu t'exprimes, en fait.
- Roxane
Oui, on me pose souvent la question. Et je dirais que j'ai vraiment pas de préférence, en fait. La manière dont je vois les choses, c'est que l'addition de ces différents médiums et le fait de travailler à la fois Oh ! la photo, la vidéo, un peu de design graphique et de présenter tout ça au sein de, par exemple, une pièce de théâtre, ça va être une manière pour moi de raconter une histoire. C'est-à-dire qu'au centre et au commencement de la création, il y a vraiment ce... Oui, cette idée de vouloir parler de quelque chose. Donc là, dans Spiral Duty, c'était vraiment cette idée de parler des histoires que j'entends souvent et qui peuvent me révolter dans le monde de la mode ou dans le monde de l'art, etc. Et du coup, je trouve mes moyens de m'exprimer à travers l'addition de ces différentes choses. et puis En plus de tout ça, je dirais que ce qui est commun entre toutes mes œuvres, c'est vraiment de vouloir créer des espaces, mais que ce soit des espaces physiques, donc de réflexion, ou des espaces qui vont vraiment envelopper tous les sens et le corps pour pouvoir être projetés dans des... Oui, dans des lieux différents, c'est-à-dire que même par exemple, quand je vais travailler le film, je vais vraiment faire en sorte à ce que de A à Z, on soit, on est quelque part. Et donc du coup, ça va vraiment aussi passer par la musique, le son, le rythme, etc. Donc oui, je pense toutes mes œuvres à travers la... la manière d'emmener le public avec moi, l'audience, comme on veut l'appeler.
- Ramata
Du coup, dans la manière dont les galeries viennent à toi, ou dont ton audience ou ton public viennent à toi, comment est-ce qu'ils appréhendent cette variété de de médias me proposer ? Est-ce que... Alors, je pense qu'au niveau du public, je ne pense pas qu'il y ait de sujet, mais peut-être plus, est-ce que tu as des galeristes qui essayent de te mettre dans des cases, finalement, en disant, en fait, nous, on a une galerie, on a besoin de tableaux, et toi,
- Roxane
tu arrives... En fait, je...
- Ramata
J'ai besoin d'une pièce, parce que je construis des pièces. Donc, est-ce que tu es confrontée, en fait, de par la spécificité de ta manière de créer ? parfois des situations incongrues où il y a un temps d'adaptation et vous devez trouver un terrain d'entente parce que tu proposes quelque chose qui n'est pas commun, qui n'est pas ce à quoi on est habitué. En général, les galeries, c'est des murs blancs pour poser des sculptures, c'est possible. On a un podium, des murs blancs, c'est possible. Mais quand c'est un peu différent, c'est vrai qu'elles peuvent être les premières à te challenger sur la manière dont tu proposes. pose ton art en fait ?
- Roxane
Oui, c'est... Ouais, là, cette question-là, c'est exactement ce à quoi je suis en train de... ce à quoi je fais face en ce moment. C'est-à-dire que, en ayant signé avec ma galerie, ça pose plein de questions. C'est-à-dire que, de base, la manière dont j'ai travaillé depuis 2021, ça a toujours été à travers des espaces non marchands. Donc des galeries non marchandes ou des musées, des fondations, etc. Et les musées, par exemple, mon travail est vraiment adapté aux institutions. C'est-à-dire qu'ils adorent le fait que je ramène du public, que mon travail est très politique et très contemporain. Donc voilà, maintenant, c'est sûr que je déborde complètement. C'est-à-dire que quand je crée des espaces, je vais recouvrir le sol de sable, de terre, de natte, etc. Je vais peindre tous les murs, parfois même je recouvre le plafond. Donc je travaille à partir d'une architecture. Et là, en... En ayant nos premières conversations avec Vincent 93, il y avait vraiment ce truc de... Eux, ils aiment beaucoup le fait que mon travail soit institutionnel, parce que ça leur permet aussi d'avoir des artistes plus dans des musées, etc., en institution, donc ça crée aussi une variété des propositions, etc., puis même pour l'achat. Mais c'est vrai que je n'ai pas de... pièces nécessairement qu'un collecteur, qu'une personne collectionneuse puisse acheter et juste exposer dans son salon sur un mur blanc, etc. Donc du coup, là, je suis dans une phase où au lieu de commencer à travailler dans l'espace, c'est comme ça que je fais d'habitude, c'est-à-dire que limite on me donne les clés de la dernière fois à la Fondation H, j'ai fait une résidence de trois mois. en amont de l'exposition. Donc, on m'a vraiment donné les clés du lieu. Et pendant trois mois, je venais tous les jours et je travaillais. Je peignais des murs, je créais sur place, etc. Et j'adore faire ça. Mais là, aujourd'hui, je développe plus une pratique de studio. J'ai un studio dans le 19e. Et donc, du coup, je reviens à quelque chose un peu comme ce que je suis. Une manière de travailler comme celle que j'avais quand j'étais à l'école, par exemple. C'est-à-dire que je n'ai pas forcément les clés de l'espace où je vais exposer. Et donc, du coup, je travaille sur des pièces en amont que je pense pour l'espace d'exposition, etc. Et donc, du coup, c'est vraiment une manière de travailler complètement différente. Et donc, en ce moment, j'essaye vraiment... je suis challengée par le fait de créer et de concevoir des œuvres de taille différente qui puissent être accrochées etc et c'est vraiment pas facile parce que c'est une manière de travailler, le processus de création est complètement différent et en même temps je suis quelqu'un qui adore les challenges et je le vois pas du tout comme Euh... Ça ne m'empêche pas. Je ne le vois pas comme un frein ou quoi que ce soit. Je le vois juste comme... C'est tout un plein de possibilités qui s'ouvrent à moi. Donc, voilà. Et donc, les œuvres que je présente aujourd'hui à la 193, en ce moment, c'est aussi, on va dire, un premier essai vers ça. Donc, vers le travail de studio, d'atelier et... comment créer des séries d'œuvres qui puissent s'accrocher, etc. Je suis aussi en train de travailler avec un encadreur en ce moment pour, au lieu de déborder sur les murs et les plafonds et le sol, essayer justement de faire en sorte à ce que, déborder sur le cadre, créer toute une œuvre, mais d'une taille plus réduite.
- Ramata
donc en tout cas c'est intéressant que tu exprimes ça c'est que tu arrives peut-être un peu dans un environnement comme un ovni mais que tu es parfaitement, en tout cas qu'aujourd'hui tu es en train d'apprendre à t'adapter pour comment dire, réussir aussi à intégrer les règles de ce milieu qui sont un peu strictes, même si on est en train de parler d'art, mais qu'à un moment donné, ça fait aussi partie, toi, d'un business model. C'est que les œuvres soient présentées de façon à ce que quelqu'un puisse les acheter. Et si toi, tu es dans la création d'œuvres un peu performance éphémère, c'est plus difficile à vendre. C'est un autre type de proposition que tu fais, presque plus de l'ordre du spectacle.
- Roxane
Oui. Oui, exactement. Et oui, là, c'est vraiment ça. C'est-à-dire que, oui, comment créer des œuvres qui se vendent, qui se collectionnent et qui s'achètent. Mais c'est très intéressant. Et puis aussi parce que finalement, tu vois, en revenant sur l'aspect pluridisciplinaire, etc., on m'a dit que c'est quelque chose qu'il ne fallait pas dire, mais je le dis quand même. Je me suis, en commençant mon œuvre noire, etc., je ne me suis jamais dit que toute ma vie, j'allais être artiste. C'est-à-dire que je me vois tellement... Je me dis que tout peut arriver. C'est-à-dire que ça se trouve, dans deux ans, j'arrête. J'arrête cette série et je me consacre. essentiellement, je ne sais pas, à la mode ou alors au film, etc. Et puis, je vais apprendre d'autres règles sur d'autres marchés, etc. Mais là, aujourd'hui, concrètement, aussi, ma manière d'avoir des revenus, de gagner de l'argent, etc., elle est aussi très diverse. C'est-à-dire que je ne suis pas une artiste qui doit absolument vendre des tableaux pour vivre. C'est-à-dire que je fais... Je fais des ateliers comme je travaille, comme je disais tout à l'heure, en tant que directrice artistique pour des marques. J'ai plein de projets divers et variés. Et donc, c'est aussi ça, finalement, la force d'être pluridisciplinaire. C'est que je peux aussi être sur différents pôles, différentes industries en même temps. Aujourd'hui, c'est super le fait d'être accompagnée aussi par une galerie. Ça fait qu'il y a plein de choses qui ne m'incombent plus complètement. Je suis accompagnée avec eux, par eux. C'est aussi leur travail de trouver des acheteurs, etc. Mais parallèlement à ça, je continue à... faire plein d'autres choses. Donc, c'est génial. C'est juste que ça vient s'ajouter à toutes les myriades de choses que je sais faire.
- Ramata
Très bien. Donc, c'est intéressant et important de parler de sa dimension business model parce qu'on se demande toujours... On a souvent en tête un peu ces histoires d'artistes où finalement, c'est après leur mort que...
- Roxane
Non. Non.
- Ramata
Tu vois qu'elle devient...
- Roxane
Merci. Voilà,
- Ramata
il n'y a qu'une vie de misère, perdue, désespérée. Mais on se dit non, mais c'est comme ça quand tu es artiste de toute façon, tu as un job à côté parce que ce n'est pas l'art qui va te permettre de développer. Là, c'est intéressant de voir que toi, aujourd'hui, tu es vraiment dans cette phase où déjà, dès le départ, tu as plusieurs casquettes. Et puis, tu es en train d'intégrer cette dimension business model où tu cherches à rencontrer ton public. en fait. mais ton public d'acheteurs, pas juste ton public de personnes intéressées par ce que tu proposes. Donc, tu parlais de justement les différents métiers et sources de revenus que tu peux avoir. Donc, notamment dans la mode, ce que tu évoquais au début quand tu t'es présentée, c'est que tu étais directrice artistique sur différents projets et notamment des marques de mode. Est-ce que tu peux nous parler de ce volet-là, justement, du coup, de ton profil ? l'aspect direction artistique et notamment ton travail avec Boubou de la marque Ayamissigo.
- Roxane
Oui, alors du coup, avec Boubou, on s'est rencontrés en 2019. J'ai fait mon stage chez elle, etc. Et depuis, je travaille avec Ayamissigo sur des projets divers et variés. C'est-à-dire que hum... Là, en ce moment, on est en train de travailler, par exemple, pour la Fashion Week de Copenhague, qui a lieu en août. Les derniers projets sur lesquels on avait travaillé, c'était la Fashion Week de Lagos en 2023. Il y a eu un projet aussi avec Victoria's Secret. Un autre au Congo. Donc, c'est assez divers et varié. Ce que j'adore avec cette marque-là, c'est que... Elle aussi, elle est vraiment entre l'art et la mode. Donc, elle crée presque, j'ai envie de dire, parfois des costumes, des pièces qui ne sont pas forcément portables, métables, etc. Mais il y a tout un storytelling autour de sa culture, Yoruba. de l'aspect très spirituel aussi qu'elle a et qu'elle voit dans le corps. Le fait d'essayer de créer des ponts aussi entre le spirituel, le digital, le sacré, le corporel, etc. Ne pas forcément créer des habits pour la jante féminine, on va dire. Donc ne pas forcément voir le corps de la femme comme quelque chose de sexy, de sexuel, etc. Mais du coup, lui revêtir quelque chose de plus sacré, l'élever sur des rangs presque de déité, etc. Et donc mon travail avec elle, je le vois un peu comme... J'agis comme une caisse de résonance. C'est-à-dire que je... Je la suis depuis très longtemps, du coup, je comprends, je sais tous les revers, tout ce qu'elle est, tout ce qu'elle exprime, etc. Par exemple, là, sur le projet sur lequel on est en train de travailler, elle m'a fait un brief de 20 minutes et je savais très bien tous les aspects, où est-ce qu'elle voulait en venir, ce qu'elle veut pour la musique, pour le show, pour le stylisme, etc. Et donc, en gros, en tant que directrice artistique, je travaille presque comme un chef d'orchestre, c'est-à-dire qu'il y a toute une team de personnes, que ce soit le styliste, maquilleuse, la personne qui va faire du son, le photographe. vidéographes, etc., avec qui on va travailler, donc plein de collaborateurs divers et variés. Et moi, je veux faire en sorte à ce que ce qu'ils vont produire va vraiment entrer dans l'univers de Ayam Isigo. Et ouais, c'est vraiment ça, finalement. Mon travail, c'est d'être en lien avec toutes ces personnes-là. et de faire en sorte à ce que du début à la fin de la collaboration, de pouvoir les aiguiller dans cet univers-là qui est assez complexe et riche. Et je pense que notre collaboration marche aussi bien parce qu'on se comprend avec Gugu de manière artistique. C'est-à-dire, comme je disais, elle est vraiment à la lisière entre l'art et la mode. Et quand je parle d'art, elle est aussi beaucoup dans un certain storytelling. Elle s'intéresse à la musique, aux sons, aux vibrations, à plein de choses. Donc oui, voilà, c'est à peu près ça.
- Ramata
Et ce qui est particulier, c'est que toi, tu es basée à Paris et la marque Ayamissigo, ils sont basés à Lagos.
- Roxane
Oui. Donc,
- Ramata
comment est-ce que tu fais tout ça à distance,
- Roxane
en fait ? Oui, bonne question. La marque Ayamissigo est basée à Lagos et les personnes avec qui on travaille sont au Kenya, en Suisse, à Berlin, à Londres. Donc, on travaille tous à distance. il faut beaucoup de rigueur et beaucoup de temps, tout se passe par call. On se fait plein de... Enfin, on a mis en place des moments où, du coup, on s'appelle dans la semaine. Donc, on va avoir... Là, en ce moment, on a deux calls par semaine. Un call avec l'équipe et un call avec l'équipe interne de la marque A&C Go et un avec l'équipe externe de la Fashion Week, par exemple. Mais ouais, il faut beaucoup de rigueur, mettre en place des Google Docs, des trucs un peu chiants. Mais c'est pas la vingtaine de choses que je vais faire. Voilà,
- Ramata
mais il faut le dire, parce que parfois, on n'entend que des histoires où on ne dit pas, non, mais il y a une partie du boulot là, quand tu me racontes tout ce que tu fais déjà, quand on a des fonctions de direction artistique. au sein d'une marque et tout le monde est réuni on va dire au même endroit géographique c'est un job qui est plein de challenges mais quant à ne serait-ce que différents fuseaux horaires et puis qu'il faut réussir à connecter tout le monde autour d'une vision qui est très exigeante et très pointue le travail d'Aya Misigo, le travail de Bougou, c'est vraiment une expérience artistique à travers ses défilés à travers la manière dont elle appréhende son propos mode. Et donc, on n'est pas dans quelque chose où c'est si facile que ça est immédiat à faire comprendre, parce qu'elle est très exigeante, effectivement. Et vous êtes exigeant, en tout cas, dans le message que vous voulez faire passer. On va vraiment au-delà de juste une pièce de vêtement. Donc, pour faire vivre ça, je pense que... Il y a un travail et une ambition derrière qui est forte, en fait.
- Roxane
Oui, c'est ça. Après, c'est un travail qui est très intense, dans le sens où, comme tu dis, même par rapport aux différents fuseaux horaires, finalement, dans les voies qu'on a choisies, on ne travaille pas de 9h à 17h. C'est-à-dire qu'on est tout le temps disponible, finalement. Et puis surtout, quand tu travailles avec des artistes, et moi-même en tant qu'artiste, tu peux avoir une idée à deux heures du matin, à minuit, etc. Donc, on est constamment en contact et connectés les uns aux autres. Et c'est aussi pour ça que c'est important, à certains moments, de pouvoir se réunir, voir comment on avance tous, chacun de notre côté, quelle direction est-ce qu'on doit prendre. parler des deadlines, etc., prioriser certaines tâches. Mais, moi, c'est des choses que j'aime beaucoup, et puis, on me dit souvent que certaines personnes sont impressionnées parce qu'elles pensent que, oui, les artistes, comme on disait tout à l'heure, tu vois, il y a un peu ce truc de l'artiste est quelqu'un d'un peu fou, perdu dans sa tête, qui crée par passion qui vivra pauvre et sera reconnue après sa mort, etc. Mais non, pas du tout. En fait, être artiste aujourd'hui, c'est être auto-entrepreneur. Il faut travailler sa com, sa logistique, être autant sur les réseaux sociaux que sur LinkedIn, que sur SIC, que sur ça, avoir un site internet. Il faut être sur plein de tableaux en même temps. Et c'est pour ça que je pense que je peux aussi travailler avec d'autres personnes et apporter cette expertise-là de pouvoir être sur plein de choses en même temps, tout en gardant le cap, garder la ligne directrice. Et voilà, c'est vraiment ça. C'est très riche et en même temps, tout ce que je vais faire, par exemple, pour Ayami Sigo, ça m'apporte aussi énormément, moi, dans ma propre pratique, que ce soit par les thèmes qu'on va évoquer, travailler ensemble, etc., ou même la manière de travailler en groupe. Moi, je travaille toujours en collaboration avec les personnes, même pour mes propres œuvres, on va dire. Et ce n'est pas facile, parce que surtout avec des créatifs, il y a beaucoup d'égo. Il y a beaucoup d'égo. Les gens, enfin, c'est un peu... J'en parlais hier avec une amie. Tu as un peu l'impression que ta personne et ton travail ne peuvent pas être dissociés. C'est très difficile de penser comme ça. C'est assez violent même, finalement. Donc oui, travailler avec... 15-20 artistes en même temps sur des projets, ce n'est pas facile, mais c'est très, très, très enrichissant. C'est extrêmement enrichissant. Là, moi, ce que j'ai envie de...
- Ramata
On a parlé de ton profil, de ce que tu as mis en place et du caractère business model. Moi, c'est des choses que j'évoque parce que j'ai une spécialité en marketing, en stratégie. Donc, moi, j'aime bien aussi poser des questions aux artistes sur ces sujets-là parce que ça permet aussi aux jeunes générations de ne pas garder cette image de l'artiste qui souffre toute sa vie et qui sera connu post-mortem. mais aussi d'indiquer tout le travail que ça représente pour pouvoir être un artiste reconnu de son vivant qui vit de son art. Toi, tu es née à Paris, basée à Paris, tu as fait des études à Amsterdam et tu as un lien très, très fort avec l'Afrique, avec la communauté noire et diasporique africaine, mais pas que, Caraïbe, puisque tu es d'origine à la fois guadeloupéenne et camerounaise. Et on sent que ça, ça fait partie intégrante des grandes groupes. des sujets dont tu as envie de parler. D'ailleurs, l'un de tes thèmes, c'est noir. En tout cas, c'est comme ça qu'il s'appelle. Comment est-ce que ce cheminement, comment t'en es arrivé à vouloir, en fait, dans ton art, intégrer cette notion-là un petit peu identitaire, en fait ? Est-ce que c'est un truc qui a toujours été là où tu avais envie d'avoir un côté un peu militant, quelque part ? Est-ce que, voilà, déjà, après, je vais dire toute jeune, mais t'es pas spécialement âgée. Mais est-ce qu'il y a toujours eu cette volonté dans ton expression artistique de faire passer un message identitaire ?
- Roxane
Pas toujours. Je pense que... Mais déjà, en étant en école, les écoles d'art, je trouve que c'est assez difficile émotionnellement parce qu'on te demande sans cesse d'aller chercher en toi. C'est-à-dire que c'est vraiment ça. va creuser en toi, dans tes thèmes, etc. Je pense que c'est l'expérience d'avoir vécu à Amsterdam pendant presque dix ans, ça m'a beaucoup confrontée à mon identité et mon identité à ce que je représentais aux yeux des gens. J'ai toujours travaillé à côté de mes études et donc du coup, dans des... dans des taffes de service. Je travaillais dans des bars, restaurants, etc. Et donc, j'étais beaucoup confrontée aux personnes, aux habitants d'Amsterdam qui sont majoritairement blancs, classe sociale plus ou moins aisée, etc. Et donc, en venant de Paris, il y avait toujours cette question. à... Je suis très avenante comme personne, les gens disent que je suis assez ouverte, même solaire parfois. Et donc du coup, en discutant avec les personnes, il y avait toujours ce truc de « Ah, tu viens d'où ? Je viens de Paris. Non mais tu viens vraiment d'où ? » Et j'avais l'impression qu'en France, je n'avais pas forcément ce truc-là. Et surtout à Paris, c'est des environnements dans lesquels j'étais très multiculturelle, etc. Bref. C'est là où j'ai vraiment commencé à être touchée par ces questions-là et à ne pas forcément comprendre pourquoi est-ce qu'on ne me laissait pas choisir ce que j'avais envie de dire dans ces interactions-là sur ma personne, sur mon identité. Je n'ai pas forcément envie de te raconter toute ma lignée de mes aïeux et tout, alors que... Je suis juste en train de te servir ton verre de vin. Donc, voilà. Je pense qu'au début, ça a commencé là. Et puis, comme ça. Et après, il y a eu surtout un tournant. Quand je suis partie faire mon année sabbatique, déjà, oui, j'étais très intéressée par... en Afrique, j'ai toujours eu un lien avec l'Afrique, je ne suis pas partie en 2019 à la recherche de mes racines, comme peuvent penser ou dire certaines personnes, mais non j'ai toujours eu un lien avec l'Afrique mon père, donc il est Camerounais, mais il a grandi entre le Cameroun, la Côte d'Ivoire et puis après en France, j'ai des oncles comme je disais au Bénin, en Côte d'Ivoire au Togo etc j'ai beaucoup ou... J'ai beaucoup voyagé avec mes parents dans plein de pays différents, et notamment en Afrique, Moyen-Orient, etc. Et donc, du coup, le fait de partir pour moi au Nigeria, c'était vraiment parce qu'il y avait quelque chose qui... qui m'intéressaient là-bas, de par la musique, même dans les marques de mode que je voyais. Je voyais quelque chose un peu de frétillant. J'étais super attirée. Et en fait, en voyageant comme ça entre plein de pays différents, j'ai été... On va dire qu'il y a une autre partie de mon identité qui était plus visible, c'était le fait d'être occidentale, bien sûr. donc avec tout ce que ça comporte donc le fait d'être vue comme une occidentale en Afrique c'est le fait d'être vue comme quelqu'un qui a les moyens etc etc et puis en plus je suis quelqu'un qui est vue comme métisse donc ma couleur de peau, je suis claire de peau donc en plus de ça il y avait tout ce truc de être vue comme une belle femme parce que en étant claire de peau en Afrique, dans des pays où des gens se décapent la peau pour ressembler à ça, c'est quand même quelque chose. Et donc, en fait, au fur et à mesure, il y a quelque chose qui se dessinait et qui est toujours là dans mon travail, c'est comment est-ce que la manière dont les autres vont te percevoir euh euh va t'affecter toi dans ton intime. Et en fait, c'est quelque chose qui a toujours été très présent dans ma vie. C'est-à-dire qu'ici, en France, je suis vue comme quelqu'un de noir. Après, quand je suis entourée de noirs, on me voit comme une métisse. Quand je suis au Nigeria, on m'appelle Yellow, like my skin is yellow. Donc, il y a toujours eu ce truc-là. Et puis, avec tout ce que ça comporte aussi de politique. le fait que pour une femme les métisses sont plus vues que les noirs etc il y a aussi la notion du cheveu il y a tellement de choses différentes qui sont là qui existent et moi j'ai aussi dans mon travail et ce qui m'intéresse en général c'est vraiment les interactions avec les gens, le côté aussi euh Mon travail, je le vois presque comme quelque chose de très social. Pour moi, je fais plein d'études sociales dans mon taf. Donc, j'avais envie de dire, de mettre tout ça en avant. Mais tout ça part aussi, comme je disais au début, du fait que oui, en tant qu'artiste, tu vas vraiment chercher les choses qui te touchent profondément. Et pour moi, c'est l'intime. C'est l'intime, et l'intime est politique. Et pour moi, c'est très important aussi de faire des choses qui puissent être... Pour moi, dans la création, c'est important d'avoir des messages. C'est important de ne pas juste faire du beau. C'est important de pouvoir dire des choses. du monde dans lequel on vit, etc. Et de pouvoir partager ces choses-là. Donc voilà, j'ai l'impression de m'être un peu perdue dans la réponse.
- Ramata
Non,
- Roxane
c'est que tu as appris beaucoup de choses.
- Ramata
Mais de toute façon, comme je le dis, je le répète toujours souvent à mes invités, c'est que cette ère de discussion est pour toi. Donc tu peux aller prendre tous les chemins que tu veux, tu ne te perds pas. En tout cas, c'est intéressant. J'ai beaucoup tombé. ton retour sur il y a finalement quelque part ton art c'est un prolongement aussi de ton identité, de choses qui te sont arrivées, qui font partie de ton parcours et que tu vas retranscrire à travers ton art donc c'est un ensemble d'expériences vécues qui à un moment donné font que ce sont les sujets dont tu as envie de parler est-ce que tu peux nous parler justement de l'exposition Noir qui est vraiment un petit peu le cœur de ton de... de ton travail aujourd'hui, en tout cas, l'un des cœurs, c'était quoi un peu le point de départ et comment elle évolue ? Puisque de ce que je comprends, c'est comme si c'était une série avec plusieurs saisons, peut-être, et chaque fois, tu vas sortir une nouvelle saison qui va être exposée aujourd'hui, c'est Paris, avec un thème particulier de cette expo, puis après, il y en aura encore potentiellement d'autres. Est-ce que tu peux nous parler de la manière dont tu construit comme ça cette série.
- Roxane
Oui. Elle Noire a débuté en 2021 et en fait, il y a quelque chose d'autre qui s'est passé pendant mon année sabbatique, c'est qu'il y a eu Black Lives Matter. La deuxième vague est le fait que, quand tout ça s'est passé, j'étais au Sénégal, chez les Baïphales, assez loin de l'Occident, mais très proche à travers les réseaux sociaux, etc. Et j'ai été beaucoup touchée, comme beaucoup de personnes, par cette vague de... de... C'était... En fait, il y avait cette impression d'avoir enfin notre propre MeToo, en tant que personne noire, c'est-à-dire d'être vue, d'être crue dans nos réalités, le racisme en Occident, etc. Le fait que des personnes meurent de ce racisme-là. Et en même temps, il y avait un peu ce truc de « bon voilà, on va être utilisés, tokenisés » . Donc, il faut aussi se préparer à ça. Et littéralement, c'est aussi ce qui m'est arrivé, dans le sens où j'avais travaillé avec un photographe il y a très longtemps. J'avais 18 ans, donc là, maintenant, ça fait déjà 10 ans. Et j'avais travaillé avec un photographe. Il avait pris des portraits de moi, assez jolis, etc. Et il a décidé de... publier cette série de photos des années plus tard, à ce moment-là, avec le hashtag Black Lives Matter. Le photographe est blanc, c'est un homme. Et sans me consulter, sans me demander mon avis, ni quoi que ce soit. Donc, en gros, vraiment utiliser mon image à un moment qui le correspondait, tu vois, pour scander qu'il était... il était avec la cause, etc. Et j'ai trouvé ça, mais d'une violence inouïe, parce que je suis là en mode, mais putain, comment est-ce que moi, une meuf qui a grandi à Paris, dans un environnement privilégié, qui, en ce moment même, était en train d'utiliser son privilège avec son passeport Schengen à l'autre bout du monde, etc. Comment est-ce que... Pourquoi est-ce que tu décides que... que tu peux utiliser ma tête, mon image, ma personne comme un espèce de drapeau, je ne sais pas quoi. Et en fait, j'ai trouvé ça très violent. Je lui ai demandé gentiment d'enlever ma photo de ses réseaux. Et ce à quoi il me répond que non, que c'est un artiste, qu'en tant qu'artiste, tu vois L'image ne m'appartient pas vraiment, elle ne lui appartient pas non plus vraiment. On est dans une espèce de flou artistique, je ne sais pas quoi. Et j'ai vraiment dû le call-out pour qu'ils finissent par enlever cette image-là. Et puis à côté de ça, il se passait plein de trucs sur les réseaux où je vois que des Rokai à Diallo et des Mabula Supaoro sont confondus. sur les plateaux télé en France, que les gens ne veulent pas entendre que le racisme existe en France. Il y a plein de choses assez... Tout est mélangé, tu vois. Et moi, je suis à Dakar quand je vois ça. Non, pas à Dakar, à Mbakekadior. Quand je vois ça, j'étais en train de vivre ma meilleure vie et tout d'un coup, c'est comme si je redescendais un peu. je redescendais en mode je suis complètement face à ma réalité et au fait que j'appartiens à ces espaces-là. Et donc à ce moment-là, je me posais même la question de, mais est-ce que je vais vraiment rentrer et continuer mes études ? Et donc là, c'était même plus une question. J'étais obligée de rentrer à Amsterdam. mais donc du coup de... dans mes œuvres de parler de mon histoire, c'est-à-dire d'apporter un peu une pierre à l'édifice finalement. Et donc voilà, c'est comme ça que Noir a commencé au début. Au tout début, je le voyais comme un espace, donc comme je disais, un espace de paroles où je vais partager des savoirs, des connaissances donc à travers mes œuvres. à travers des interviews de femmes, etc., des expériences sociales, plein de choses comme ça. Et je le voyais presque comme... Maintenant, aujourd'hui, quand j'y pense, je souris. Je le voyais presque comme un... un espace où les Blancs pourraient aussi... Je me disais, peut-être qu'ils vont finalement comprendre. Peut-être qu'ils vont finalement... Donc, au début, je me disais, ouais, noir, ça pourrait être un espace où les Blancs pourront aussi aller piocher du savoir et ça leur aidera à comprendre les réalités. que vivent les différentes communautés noires. Donc, les diasporiques en Europe, les Noirs en Afrique, dans les Caraïbes, etc. Et en fait, je me suis rendue compte que non, en fait, tu ne peux pas comprendre quelque chose quand tu ne l'as pas vécu. Et je pense que ça ne sert à rien d'essayer de... d'essayer de... Ouais, ça sert à rien d'essayer de faire comprendre aux Blancs la réalité des personnes, que vivent les personnes noires ici et là dans le monde. Et donc, les espaces que je crée à travers cette installation-là, je me suis dit que non, en fait, ça allait être des espaces pour nous, pour nous voir, pour nous rencontrer. pour nous retrouver. Et c'est des espaces dont on a besoin. Je pense qu'en tant que femme noire, aujourd'hui, on n'a pas forcément de lieu ou juste de lieu de répit, en fait, où on peut enlever nos masques, nos armures, etc. cinq secondes et se reposer. Du coup, c'est à ça que servent mes installations. Et concrètement, comme tu disais, noire, qui s'écrit ES à la fin, c'est C'est une série d'installations que je crée dans différents espaces et lieux artistiques et culturels dans le monde. L'idée, c'est vraiment de me balader avec cette maison nomade pour recueillir la parole. des femmes, donc à travers des vidéos, par exemple, vidéos style un peu documentaire, pour proposer dans mes installations, je les active toujours par des ateliers. Là, récemment, la dernière manière dont j'ai activé à la 193, c'était en organisant un tea time, donc pour Spirit of Tea, avec une vingtaine de femmes issues de la culture. de l'art, de la mode, etc. à Paris. Juste pour qu'on se voit, pour qu'on se rencontre, pour qu'on puisse parler de travail ou d'autres choses. Et en fait, c'est vraiment l'idée d'avoir un endroit à nous, un peu un endroit fait par nous et pour nous. Donc voilà, voilà ce que je dirais par rapport... à ce projet-là. Et puis, au tout début, le fait de vouloir faire voyager cette maison Nomad, c'était un peu pour redonner aux personnes qui m'ont accordé leur confiance à travers des interviews ou le fait d'avoir travaillé avec moi sur des designs, etc. Comme je disais, je travaille beaucoup. beaucoup en collaboration. Je suis toujours travaillée en collaboration, mais avec des personnes qui n'habitent pas forcément dans la même ville, le même pays que moi. Et donc, je me disais, voilà, je travaille avec des gens au Nigeria, au Sénégal, en Angleterre, en Allemagne. Je vais leur redonner, les remercier en rapportant ce travail-là dans la ville où ils sont. Donc, au tout début, il y avait vraiment cette notion-là de faire voyager l'œuvre pour redonner et remercier. Et c'était aussi le même moment où j'avais découvert le travail de Koyoko, qui nous a quittés récemment, Paix à son âme. Et c'était la première fois que... Donc, le travail dont je parle, en l'occurrence, c'était Body Talk, une exposition sur laquelle elle avait travaillé. Si je me souviens... Je pense que l'exposition réunissait des femmes noires, africaines et issues de la diaspora. Et l'exposition avait voyagé justement en Belgique, en Suisse et dans d'autres espaces. Et j'avais trouvé ça super. Et du coup, je voulais vraiment... Enfin, il y avait un peu ce truc-là de... À travers son travail, je me suis dit, putain, mais ça aussi, c'est possible, en fait. On peut aussi construire des choses, des lieux, des espaces qui voyagent, etc. Et qui vont à la rencontre du public, en fait, que tu veux. et... Et il y a aussi cette notion-là, le fait de finalement d'aller vers mon public et vers les personnes qui m'intéressent, d'avoir un peu ce côté-là proactif de j'ai envie d'aller rencontrer les gens, les communautés noires dans les Caraïbes, en Afrique, aux États-Unis, au Brésil. J'ai envie de voir comment est-ce que mon travail là-bas résonne. Est-ce qu'on vit les mêmes choses ? Etc. Et donc, du coup, c'est comme ça que tout a commencé, je dirais.
- Ramata
Très bien. De toute façon, je mettrai en note de l'épisode, en fait, le lien vers ton site Internet et le lien vers la galerie, puisque tu peux nous rappeler, en fait, pendant combien de temps on peut encore aller voir l'exposition qui est actuellement en cours ?
- Roxane
C'est jusqu'au 31 mai 2025. OK,
- Ramata
donc là. L'épisode sera sorti évidemment tôt pour que vous puissiez encore regarder si vous l'écoutez au mois de mai 2025. Et puis après, de toute façon, tu as une autre exposition au mois de novembre. Donc, j'aurai sûrement l'occasion de, en amont de l'expo, écrire un article et peut-être refaire une petite interview. Donc, comme ça, il y aura les updates de ton actualité pour qu'on puisse vraiment se rendre compte. Parce que c'est pour... Là où il y aura les limites d'un podcast audio, c'est que pour moi, pour des œuvres artistiques, c'est Merci. Moi, j'aime bien donner envie. Et puis après, il faut se déplacer, il faut aller voir. Même, j'aime bien donner les comptes Insta. Mais moi, j'essaie de vraiment inviter les gens à aller dans les musées, déplacer Vaud, aller voir. L'expérience de l'art, ça doit vraiment être quelque chose qu'on sent, qu'on voit. Ça doit être une expérience en son réel où on fait participer tous les sens. Donc, moi, c'est vraiment quelque chose pour lequel je milite. Et je dis, il faut commencer tôt aussi. Les gamins, il faut les inviter à... avoir de l'art très tôt pour qu'ils soient habitués à ces environnements-là et qui déconnectent un petit peu des portables et autres outils pratiques, mais qui ne te permettent pas forcément de développer un certain œil artistique. Toi, comment tu vois l'évolution ? C'est quoi le rêve de Roxane demain, en fait ? Tu te vois évoluer ? Comment ? Tu auras une galerie à toi avec des artistes que toi, tu choisirais, des curations à toi et un univers bien identifié. Est-ce que tu as... Déjà, est-ce que c'est des choses que tu as envie de partager avec nous ? En tout cas, moi, ça m'intéresse de voir demain, qu'est-ce que tu imagines ? Et le demain, ça peut être demain, littéralement demain, ou alors demain, dans cinq ans, dans dix ans.
- Roxane
Merci pour cette question. si tu n'as pas de réponse tu as le droit non non j'ai une réponse en fait Noir c'est la prémisse d'un plus grand projet que j'ai qui serait de créer un espace culturel justement où on pourrait un espace culturel qui mettrait en avant les différents savoir-faire des différentes communautés noires, africaines, caribéennes, diasporiques, etc. Un espace où les personnes pourraient apprendre de ces cultures-là à travers l'histoire. En fait, j'ai une idée très claire de ce lieu-là où justement, il y aurait aussi... Enfin, ce serait... Ce serait donc un lieu culturel où on pourrait manger, boire, se cultiver à travers des expositions, se cultiver à travers des cours aussi sur l'histoire de différentes communautés, etc. où on pourrait réapprendre les langues de nos aïeux, de nos parents qui n'ont pas forcément pu nous les transmettre. Un espace vraiment où on pourrait reconnecter avec nos cultures et puis avec tout ce que cette fameuse traite triangulaire a. a fait, a causé comme tort, après colonisation, néocolonisation, tout ça. Mais du coup, ce serait vraiment de créer un espace à moi, un lieu qui, je pense, sera basé en Afrique, où du coup, on pourrait continuer toutes les conversations que j'amorce dans mes installations. Et toujours en collaboration avec des personnes qui en savent plus sur certains sujets que moi. Et voilà, j'ai plein d'idées, mais je ne veux pas tout dire non plus. Donc, je pense que je vais m'arrêter là.
- Ramata
Tu vas t'arrêter là ? Très bien, tu en as dit beaucoup déjà. Du coup, écoute, j'ai été inspirée par cette question parce que je... Moi, j'imaginais un lieu, j'imaginais quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Mais je me suis dit, voilà, j'imagine vraiment un bel espace. Et ça ne m'étonne pas que tu veuilles le faire en Afrique. Écoute, ça se fera quand ça se fera, mais en tout cas, on sera là. On sera là pour soutenir, pour être là, pour faire partie de cette histoire-là. Parce que je pense que c'est une belle histoire. Il faut prendre le temps de l'écrire. Voilà, c'est petit à petit qu'on se... qu'on se construit ces grands projets-là. Mais c'est vrai que c'est bien de les avoir en tête, que ce soit en business ou au niveau artistique. C'est à chaque fois, on construit une première, on pose une première pierre de l'édifice. Mais c'est bien d'avoir en tête la grande maison qu'on veut construire à la fin. Et se dire que chaque fois, il y a une brique qui vient se rajouter pour pouvoir construire la maison.
- Roxane
Exactement.
- Ramata
Donc, j'aime beaucoup. Et ça, ça correspond complètement en plus à toi. la manière dont tu crées ton art. Donc, écoute, on arrive à la fin de cet échange. Moi, j'ai été ravie d'avoir l'opportunité d'échanger une heure avec toi sur vraiment ton parcours, ton histoire, parce qu'on s'est déjà croisés. Mais je n'avais pas eu le temps ou l'opportunité de pouvoir échanger plus intimement avec toi. Et moi, c'est vraiment pour ça que j'ai construit ce podcast. C'est pour pouvoir avoir des discussions passionnées, passionnantes avec... des profils d'artistes, de créatifs, de gens qui ont des liens forts avec l'Afrique, avec la noiritude, je dirais, et avec des propos qui sont importants et qui méritent d'être mis en lumière. C'est un peu le travail que je fais avec ce podcast. J'ai été vraiment ravie de te donner l'opportunité de t'exprimer et ravie aussi que toi, tu aies... et t'es aussi généreuse et authentique dans ton partage.
- Roxane
Merci beaucoup, c'était vraiment super et puis merci de m'avoir donné cette opportunité-là, cette plateforme, cet endroit où je peux vous en dire un peu plus et puis ça me permet aussi moi-même de faire un pas de côté et puis de voir aussi tout ce que j'ai fait finalement. On ne le fait pas tous les jours, donc merci à toi, vraiment.
- Ramata
Ben écoute, je te dis à très vite, en Afrique ou ailleurs.
- Roxane
Avec plaisir. À bientôt, bye bye.
- Ramata
Merci d'avoir écouté l'épisode jusqu'au bout. Je vous invite à pratiquer quelques petits gestes à impact fort pour m'aider à gagner de la visibilité sur ce podcast. Vous pouvez partager l'épisode à trois de vos amis. Vous pouvez laisser un commentaire sur Apple Podcasts ou Spotify. Je vous invite également à cliquer sur les 5 étoiles pour donner de la force. Je vous dis à très vite, en Afrique ou ailleurs.