- Pauline Leroux ArtEcoVert
Bonjour et bienvenue dans le podcast ArtEcoVert, le podcast qui vous parle d'art, d'écologie et de verdure.
- Cardon Dominique
Je suis Pauline Leroux,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
ingénieure agronome passionnée de plantes, et je vous emmène à la découverte de la couleur végétale et de toutes ses applications.
- Cardon Dominique
Que ce soit dans le textile,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
l'ameublement, l'artisanat, la décoration et dans d'autres domaines, chaque jeudi et samedi à 7h30, je vous propose des épisodes riches avec des invités passionnants pour approfondir le sujet de la couleur végétale sur toute la chaîne de Valo.
- Cardon Dominique
Mon but,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
fédérer et démocratiser la couleur végétale dans le monde. Alors, c'est parti !
- Cardon Dominique
Bonne écoute !
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver pour la partie 2 de l'épisode avec Dominique Cardon, chercheuse émérite au CNRS, qui revient ici sur les travaux de recherche à poursuivre, la sortie de son livre, mais également la poursuite de son partage. Je vous laisse avec l'épisode, bonne écoute ! Pour vous Dominique, aujourd'hui, qu'est-ce qui reste comme sujet sur la teinture végétale ? Qu'est-ce qui reste comme sujet à investiguer ? Je me doute qu'il y en a plein, mais est-ce que vous pourriez en citer un prioritaire selon vous ?
- Dominique Cardon
Ça me fait toujours rire ce genre de questions. Ce n'est pas du tout, ce n'est pas une moquerie, mais que vraiment… Non, mais parce que c'est une question qu'on me… C'est une réflexion qu'on me fait souvent à la fin d'une de mes conférences. Les gens viennent me dire Ah, mais on ne se doutait pas, on pensait que tout était connu. Vous savez, on est à une époque où… on pense qu'on tape n'importe quoi sur Google et puis voilà, on a tout ce qu'on peut savoir et en fait, on peut aussi trouver ce qu'on ne devrait pas savoir, c'est-à-dire plein d'idées fausses. Voilà, bon, il reste, je ne dirais pas qu'il reste tout, mais en fait, ce qu'on connaît et ce qu'on a publié, c'est vraiment la pointe de l'iceberg. On n'a pas, je crois qu'il n'y a aucun pays… peut-être sauf aux Philippines, où il y a un institut de recherche qui est vraiment consacré aux teintures naturelles. Le peu de manuscrits anciens, de documents anciens sur la teinture, le peu de recherches sur les possibilités tinvtoriales de telle ou telle flore, le peu de recherches sur les composants chimiques de telle ou telle plante, c'est inimaginable. Je veux dire, il y a du travail pour une armée de chercheurs. Je dirais principalement... en biochimie et en botanique. Ce qu'on a commencé à faire en Nouvelle-Calédonie, je l'ai poursuivi ensuite avec Madagascar, on a eu une co-direction de thèse, il vient d'y avoir une thèse et une habilitation dirigée de recherche et un programme de recherche européen sur la flore de l'île de la Réunion. À chaque fois, à chacune de ces travaux, soit thèse, soit projet de recherche, on aboutit d'une part à une meilleure… compréhension et une meilleure connaissance des plantes tectoriales traditionnelles, on va dire, et à chaque fois à la découverte de nouvelles espèces avec des potentialités tectoriales extrêmement intéressantes en termes de tonalité de couleur, en termes de solidité et en termes d'une relation qui m'intéresse actuellement énormément, c'est-à-dire les relations entre les pouvoirs colorants et l'activité biologique et ou médicinale d'une plante. Il faut savoir que 80% des plantes sectoriales ont une activité biologique. Ça ne veut pas dire que toutes les plantes tectorielles sont médicinales, elles peuvent aussi être toxiques, voire mortelles. Je n'en connais pas de mortelles. Mais donc, la même prudence vis-à-vis des plantes tectoriales à activité biologique que pour les plantes médicinales, attention, mais il y a des liens qui sont encore à finir d'explorer et surtout dont il faut explorer les possibilités de double exploitation. des propriétés colorantes et de l'activité biologique. C'est surtout intéressant du point de vue des activités anti-UV, anti-oxydantes. alors il y a beaucoup de plantes colorantes qui sont aussi anti-cancer mais là c'est évidemment une grosse grosse prudence et voir quels sont les liens, alors ça c'est plutôt fondamental pour l'application mais je pense que c'est pas innocent c'est pas inintéressant donc il y a encore du un immense champ d'exploration qui reste et qui reste à financer parce que la recherche c'est justement
- ArtEcoVert Pauline Leroux
C'est justement ça mes deux questions suivantes, c'était est-ce que du coup la relève pour vous est assurée ? C'est-à-dire est-ce qu'il y a encore beaucoup de gens qui se lancent dans la recherche ? Et deuxième question, est-ce qu'il y a des fonds ou des associations de particuliers qui aident à financer les recherches ?
- Cardon Dominique
Première chose, moi je suis partie, pourquoi je suis émérite ? C'est parce que j'ai eu plusieurs doctorants qui ont des thèses, qui n'ont pas eu de poste, qui ont dû se recycler ou trouver d'autres moyens de gagner leur vie. Il y a un manque criant de reconnaissance de ce domaine de recherche et un manque criant de poste pour des gens qui se lancent dans ces recherches et ça je dirais que c'est un phénomène mondial et ça n'exclut pas la France. première chose, qui prennent la relève dans le domaine des recherches biochimiques, qui sont peut-être les plus, mais aussi techniques. Il manque d'ingénieurs qui s'appliquent à trouver des solutions pour une meilleure intégration des colorants naturels dans notre économie actuelle, pour faire revenir les colorants naturels dans notre vie de tous les jours, on va dire. Donc ça, ça manque beaucoup. Mais il y en a peut-être plus dans le domaine des sciences que dans notre domaine de recherche, de science humaine et sociale, où c'est vraiment… Vous savez, on parle beaucoup d'interdisciplinarité, mais alors quand on est dans… On est obligé de se faire… mettre dans une des boîtes qui existent encore. Donc, si je suis historienne, je ne peux pas faire de recherche en botanique. Ou alors, si je me présente à un concours, je ne suis pas assez historienne, je suis trop botaniste, et c'est vrai pour tout le monde. Un chimiste qui va s'intéresser à l'histoire des teintures, il est trop historien, il n'est pas aussi bon que tel ou tel chimiste. Et puis, voilà, c'est un phénomène comme ça. Il faut reconnaître beaucoup plus les champs interdisciplinaires, parce que ça n'est le cas même en France, où on est quand même... un des pays à la pointe de ce genre de recherche, il faut le dire aussi. Oui, vous parlez de financement. Dans le financement, il y a les financements publics et les financements privés. Financement public, il faut répondre à des appels d'offres, ils sont rarement ciblés de manière à ce qu'on puisse s'intégrer à ce genre de domaine. C'est une espèce de cercle vicieux, tant qu'un domaine n'est pas assez développé ou reconnu, on a peu de chances d'obtenir ces financements, sauf pour des exceptions, c'est le projet Plantin dont je parlais pour la Réunion, il y a un progrès dans ce domaine-là, de plus en plus les colorants naturels sont obligatoirement une des possibilités qui sont envisagées comme alternative aux colorants chimiques ou synthétiques. Et malgré le lobbying des firmes chimiques qui se sentent bizarrement menacées par cette nouvelle émergence des teintures naturelles, malgré ça, il y a de plus en plus d'ouverture vers les offres de recherche dans le domaine des colorants naturels. Mais c'est loin d'être encore suffisant. Alors pour le privé... Pour le privé, c'est tout le problème du financement privé en France et en Europe. Je sais moins, mais les mécènes privés en France qui viennent de contribuer de manière magnifique à la publication de mon dernier livre, en matière générale, ils sont largement frileux vis-à-vis de ce genre de recherche, malheureusement.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Et il n'y a pas de fonds qui existent pour soutenir la teinture végétale ? Ça n'existe pas ce genre de...
- Cardon Dominique
Non, non, ça reste à créer.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Ok.
- Cardon Dominique
Il ne faut pas désespérer. Je pense que cette interview contribuera peut-être à débloquer la situation. On ne sait jamais. Selon vous,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
c'est quoi encore les verrous qui doivent sauter pour qu'il y ait plus de personnes, que ce soit des artisans ou des fabricants, des petites entreprises, qui passent à la pratique de la teinture végétale ? On en a cité quelques-uns,
- Cardon Dominique
mais… Il y a deux types de verrous dans deux domaines. On va commencer par le plus simple. Les verrous techniques, technologiques. En fait… Ça fait un siècle et demi que les colorants synthétiques ont complètement remplacé les colorants naturels dans la plupart des domaines d'application industrielle. À ce moment-là, on a complètement arrêté toute recherche fondamentale et technologique concernant les colorants naturels. Donc on a un très gros retard, il reste beaucoup à faire. Et il est vrai qu'à l'heure actuelle, on a besoin de beaucoup de recherche et de mise au point pour arriver à faire revenir les colorants naturels pour lesquels on a énormément de connaissances techniques prêts. les colorants synthétiques, pour les faire revenir à l'échelle industrielle. Il faut savoir qu'aussi bien au XVIIIe siècle qu'encore plus au XIXe siècle, donc la première moitié du XIXe siècle, avant les colorants synthétiques, on était passé à un niveau d'application des colorants naturels à une échelle qui est largement supérieure à celle de l'industrie textile actuelle en Europe. À l'époque, l'industrie textile européenne, c'était quelque chose d'énorme. Là, avec la chute catastrophique de l'industrie textile en Europe, dernièrement finalement, récemment à l'échelle de l'histoire, on a des niveaux... d'industries textiles actuelles qui sont à peine égaux ou inférieures souvent à ce qui se pratiquait en Europe au moment où on n'utilisait que des colorants naturels parce qu'on n'avait que ça. Donc il y a tout ce trésor de connaissances, mais ça c'est vraiment du passé. Il suffirait de partir de là. et non pas de repartir à zéro, mais de partir de là et de voir comment on peut appliquer tout ce qui a été découvert depuis en matière d'application industrielle dans le domaine du textile et de la teinture. Alors il y a eu un break through on dit en anglais, je cherche le terme pour l'instant en français, une espèce de déblocage complet dernièrement avec les extraits de colorants naturels, c'est-à-dire que... au lieu de prendre une plante, de la réduire même en poudre fine et de faire une décoction de cette plante, un genre de tisane, et d'utiliser le liquide de cette décoction pour faire un bain de teinture, on extrait uniquement ce qu'il y a comme pouvoir colorant dans la plante. Et on obtient une poudre qui est totalement soluble et qui va pouvoir être utilisée dans l'équipement, dans toutes les machines et dans toutes les installations utilisées actuellement pour les colorants synthétiques. Alors ça, c'est une véritable révolution dans le domaine. Donc il y a ce niveau technique. Il y a ça, et puis j'ai visité des grands industriels du textile, qui sont d'un courage extraordinaire, qui maintiennent le textile en France et qui sont des acteurs du renouveau de la filière avec des innovations. J'essaie de relancer des filières pour ne pas le nommer, Velcorex en Alsace qui relance toute une filière du lin, du flou de lin et je vais visiter les ateliers de teinture là-bas avec des chaînes de teinture absolument impressionnantes et le défi c'est d'arriver à appliquer les colorants naturels à ces procédés de teinture qui marchent avec les colorants synthétiques et il faut arriver à trouver. Mais ça, ça demande vraiment… un gros travail, ça demande de l'invention, de l'innovation, du génie technique. Il nous manque des ingénieurs techniques qui se focalisent sur ce genre de recherche. Bon, ça, c'est une chose. Le plus gros verrou, je dirais, c'est un verrou psychologique, social et de communication médiatique. Il nous faut plus... Bon, il nous faut à la fois aussi... Il nous faut plus de producteurs et plus de consommateurs. Donc, il faut savoir que si... Pour avoir plus de consommateurs, il faut changer les mentalités. Il faut remettre en question des idées comme on a évoqué plus tôt, c'est-à-dire les colorants naturels, c'est nul, grosso modo.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Les recueils pour les personnes.
- Cardon Dominique
C'est impossible. Déjà, il faut remettre en question ces idées. Ensuite, il faut convaincre les consommateurs qu'il faut changer d'approche, que ce n'est plus possible de s'acheter un... qui sortent à rouge vif à 1 euro, parce que ça représente la surexploitation de femmes et d'enfants dans les pays du tiers-monde, leur empoisonnement par des effluents qui sont hautement toxiques, et donc il faut savoir en même temps... On a ce problème du coût de la vie actuellement. Comment on va réussir à convaincre des gens qui ont peine à nourrir leur famille ou à boucler leur budget que maintenant il faut s'acheter des vêtements ? plus cher, mais qui dureront plus longtemps. Ça, je pense que c'est... Et puis que c'est possible et que ce sera plus beau et plus durable. Tout ça, c'est une chaîne pédagogique. Alors, il faut que les colorants naturels soient enseignés, présentés dans les écoles, que les designers, les créateurs de mode et que les fabricants de vêtements soient convaincus qu'ils vont trouver des clients pour des textiles plus chers et plus durables. et puis il faut que les gens soient conscients que de toute façon c'est plus possible et qu'au fond des océans on est en train d'entasser des tonnes de déchets de microfibres synthétiques qui ne se dégradent pas est-ce qu'on veut continuer à faire ça ? est-ce qu'on est prêt à comprendre que c'est une question de survie ? Je ne sais pas moi je suis vieille mais j'ai des enfants, des petits-enfants je ne veux pas qu'ils soient en train de mourir empoisonnés ou intoxiqués par tout ça, mais c'est leur choix, c'est pas le mien. J'ai fait ce que j'ai pu, je sais pas. Donc,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
la technique, tout l'aspect, les idées reçues à lever, donc je pense que pour lever des idées reçues, il faut communiquer et il faut apporter des preuves actuelles, parce que il y a que ça qui va convaincre les gens, et il faut ressasser, répéter, répéter, parce qu'en face de nous, entre guillemets, qui essayons de porter une voix, il y a des lobbies. beaucoup plus importante. Il y a la fast fashion avec 24 collections maintenant chez les... Enfin, plus de 24, en d'ailleurs, collections. Et en fait, je pense que c'est un message qu'il faut marteler. Et j'ai l'impression que l'univers de la teinture digitale et de la couleur naturelle est un peu... inaudible dans le sens où vous êtes beaucoup, il y a plein de petits artisans qui travaillent mais c'est pas forcément il n'y a pas comme une fédération en fait j'ai l'impression que vous êtes peu entendus j'ai ce sentiment là de mes quelques interviews là depuis le début donc c'est très récent, moi je commence la teinture végétale depuis décembre donc ça fait deux mois que je suis sur le truc à peau et j'ai ce sentiment qui me manque une étape de fédération, de porte-voix, peu importe l'approche de la peinture végétale, il faut en parler, il faut lever les dérefus.
- Cardon Dominique
Alors, à ce sujet-là, j'aimerais citer un exemple justement, l'exemple de Kermer. C'est un projet qui est porté par Martina Planti et qui va être lancé la semaine prochaine, en même temps que mon dernier livre. Martina Planti, avec son projet Kermer, veut proposer une structure, un porte-parole de ce qui est possible de faire hors fast fashion, de proposer une fédération d'acteurs d'une mode responsable et qui intègre justement les peintures naturelles au sein de toute une filière où on examine absolument à chaque étape la production des textiles. Donc retenez ce...
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Dominique, vous m'avez parlé de votre nouveau livre, les 157 couleurs de Paul Gou. Si je ne m'abuse, c'est le 15e livre que vous publiez.
- Cardon Dominique
Probablement, oui. Et du coup,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
je voulais savoir ce que vous pouviez m'en dire. Quel est le sujet ? Qu'est-ce qu'on peut retrouver dans ce livre ? Et est-ce qu'il est disponible ? Je pense qu'il est sorti là, en janvier 2023. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
- Cardon Dominique
Alors d'abord, je reviens en arrière, si j'avais un livre à recommander pour s'introduire à ce monde des teintures naturelles, il faudrait commencer, y compris pour comprendre l'intérêt de mon tout récent livre, je voudrais commencer par lire le livre que j'ai voulu écrire, qui s'appelle Le monde des teintures naturelles qui compare l'histoire des civilisations au niveau mondial. Il faut lire la deuxième édition parce que chaque fois que je publie ce type de livre synthétique, j'ajoute tout ce qu'on peut connaître au niveau interdisciplinaire sur le sujet. Et donc c'est un livre qui présente l'ensemble des connaissances botaniques, historiques, chimiques, anthropologiques dans le domaine et en comparant à chaque fois ce qui s'est fait dans telle et telle partie du monde. Et donc cette connaissance... permet de mieux situer chaque nouvelle avancée. Alors, ce qu'apporte mon tout récent livre, il faut savoir qu'il est le deuxième de ce que j'ai conçu comme une série. Alors la série, c'est que je me suis rendue compte que justement il y avait des savoirs techniques qui pouvaient être utiles pour notre époque, en termes de précision des recettes, des procédés de teinture, et en termes de sélection des colorants les plus utiles, pour arriver à des teintures grandins et solides à la lumière et au lavage, et que tout ça n'était pas facile à... à maîtriser pour des néophytes. Et donc, je me suis trouvée face à des manuscrits que j'ai eu la chance de rencontrer qui sont le type de document idéal dans ce domaine. C'est-à-dire que non seulement on a ces descriptions de procédés, les noms des couleurs qui sont souvent magnifiques, mais pour certains, on ne savait même pas de quoi... qu'est-ce qu'il désignait réellement comme couleur en réalité, comme gorge de pigeon, ça on peut l'imaginer, mais ras sur noisette, feuilles mortes, tabac, olives pourries, enfin des choses comme ça. Et je me suis retrouvée face à deux manuscrits du XVIIIe siècle produits par des teinturiers languedossiens qui teignaient un... journellement des 8 à 10 pièces de teinture de 20 mètres de long sur 1,40 mètre de large, plusieurs dizaines de kilos, et donc à niveau industriel. Alors je me suis dit, ces manuscrits ne pouvaient pas être multipliés à l'époque parce que chaque couleur est représentée par un échantillon de tissu. On ne peut pas s'amuser à couper des centaines de mètres de tissu. pour faire une publication en grande quantité. Et donc, j'ai entrepris de publier des éditions critiques de ces manuscrits, c'est-à-dire le texte intégral, les photos de toutes les planches à échantillons. Voilà, ça c'était fait. Et puis, je me suis aperçue que finalement, il y avait des praticiens pour qui ce n'était pas suffisant parce que les procédés sont exprimés avec des mesures anciennes, des volumes en mesures anciennes. Donc, les dernières publications que j'ai faites, c'est une espèce de traduction de toutes ces informations en données assimilables directement. par des professeurs, des étudiants, des designers, des coloristes, des industriels de notre époque. Donc, ça voulait dire aussi ajouter les mesures colorimétriques. À l'heure actuelle, dans l'industrie textile, si on commande un bain de laine à tricoter de telle couleur et qu'il vient à être épuisé et qu'on en redemande, la manière dont on s'assure… de la conformité du deuxième bain avec le premier, c'est par des mesures colorimétriques, traduction par des données Cielarbre, qui ont été créées par la Commission internationale de l'éclairage, donc CIE, et ça permet, on fait des mesures spectrophotométriques, donc c'est une manière de mesurer complètement non-destructive, on appuie un appareil de mesure sur un échantillon textile, et ça va. On projette une lumière qui est standardisée selon un angle standardisé pendant une durée standardisée sur une surface limitée. Et ça donne des données de luminance selon les axes A et B, c'est-à-dire rouge, vert et bleu, jaune. Et c'est trois. Ces trois coordonnées situent très précisément n'importe quelle nuance de couleur dans un espace colorimétrique, celui du Cielab. Donc ces données qui sont mesurées ainsi, elles vont permettre de reproduire ou de vérifier la conformité d'une couleur avec une autre couleur. Donc j'ai publié ça dans mes dernières publications, ces données Cielab sont fournies. et ça permet de vérifier la conformité de chaque expérimentation qu'on fait de reproduction des couleurs avec l'original. Et c'est très très important, ça permet aussi d'identifier, par exemple, on prend une couleur qu'on trouve dans un échantillonnier de n'importe quelle époque, on va pouvoir le rapprocher de la couleur appelée, je ne sais pas, écarlate par tel ou tel teinturier. Est-ce que l'écarlate de tel ou tel autre teinturier est proche ou distant de l'autre ? Je peux aussi partager ces données avec un teinturier japonais. Comparer un bleu du XVIIIe siècle d'un teinturier français avec le bleu d'un maître de la teinture japonais de n'importe quelle époque. Donc ça ouvre un domaine de recherche passionnant, mais qui démarre, qui débute.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
et c'est un des besoins qu'on m'a remonté quand j'ai eu des entreprises justement sur le sujet de la teinture végétale c'était l'histoire de la couleur d'avoir une couleur précise qui soit reproductible en grande quantité etc mais d'avoir des couleurs qui soient identifiées J'ai l'impression que votre livre, si j'en comprends bien ce que vous me dites, c'est vraiment plus pratico-pratique, même pour les professeurs, pour mettre en pratique la teinture végétale, mais de manière et avec un vocabulaire accessible et concret de notre temps.
- Cardon Dominique
Oui, c'était le but. Mais par exemple, mon spectrophotomètre que j'utilise pour toutes les mesures des fantillons, je l'ai calibré, si vous voulez. chez Proverbio, avec les collègues de Proverbio, qui est une des entreprises de teinture au nord de Lyon, qui continue à pratiquer la teinture à façon, sur mesure, et qui a relancé dernièrement une ligne de soirée, de soirée en teinture naturelle. Donc là, on a calibré nos spectrophotomètres, on sait que si je donne une donnée scélable, elle est semblable à celle qu'ils emploient. et on peut calibrer ainsi toutes les personnes qui utilisent ce type de technique on peut se mettre en relation les uns avec les autres grâce à un calibrage d'accord ok super un peu comme le référencement pantone qu'on peut avoir dans l'industrie synthétique je crois que c'est le référencement pantone ouais c'est ça d'accord ok c'est une autre manière mais c'est moins précis si vous voulez d'accord ok super j'irai regarder de l'oeil de l'oeil humain Là, on a une mesure objective. D'accord, ok, top.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Alors, qu'est-ce que vous pouvez aussi nous dire d'autre sur votre livre ? Pourquoi 157 couleurs, du coup ?
- Cardon Dominique
Oui, voilà. Alors, c'est, dans mon esprit, c'est le second d'une série. Alors, c'est une série où j'ai identifié déjà un tas de manuscrits, enfin, il n'y en a pas tant que ça, mais ça fait longtemps que je les cherche, des manuscrits qui présentent toutes ces informations, c'est-à-dire qui complètent... les procéder par l'illustration grâce à un tissu teint, un échantillon de tissu teint. D'accord. On est comme document rare et précieux. Mais j'ai identifié une série qui me permet d'aller du début du XVIIIe siècle avec les carnets d'Antoine Jeannot que j'ai déjà publiés aux éditions du CNRS. qui représente pour moi l'âge classique de la teinture européenne, parce que tous les procédés et échantillons correspondants suivent les règlements sur la teinture institués par Louis XIV et Colbert, qui reflètent le savoir-faire des teinturiers européens depuis le Moyen-Âge. Ils ont été établis en concertation avec les maîtres teinturiers. Donc ça, c'est l'âge classique, c'était le premier volume. Paul Gould y représente. Le deuxième âge de la teinture, c'est-à-dire une époque qui est influencée par la philosophie de l'encyclopédie, c'est-à-dire on a une ouverture sur les lumières, on veut comme le premier partager, sinon ils n'écriraient pas de même écrit, mais où Paul Gou ose, pour la première fois, glisser vers des expérimentations qui s'écartent petit à petit et très prudemment et très, je dirais, empiriquement. d'une manière scientifique presque, des règlements en introduisant petit à petit des doses de plus en plus grandes de colorants qui étaient soit pas connus, soit interdits par les règlements de la nature du Colbert. C'est-à-dire qu'il introduit une grande partie des bois tanctoriaux qui sont importés de pays non européens. Il introduit de plus en plus d'indigos. Et il introduit de nouveaux colorants comme le bleu de Saxe, qui est une nouvelle manière de préparer l'indigo qui va se révéler fugace, mais il faut quand même se donner la peine d'expérimenter. Donc c'est vraiment un esprit de recherche et il introduit toutes ces couleurs. Et ce qu'il introduit aussi, c'est ce recyclage systématique des bains de mordantage et des bains de teinture. Et ça, c'est un modèle d'écologie et d'économie pour notre époque. Parce que certes... Il obéit au règlement, par exemple, pour l'écarlate, qui est un rouge extrêmement vif obtenu avec la cochine. la cochemie il en faut beaucoup il faut beaucoup d'insectes c'est le colorant le plus cher à l'époque et donc on est obligé pour obtenir ce rouge vide d'en avoir un minimum dans le bain de teinture mais il a il crée toute une cascade de colorants moins intenses qui rendent très beau quand même parce qu'il introduit un autre colorant le bois de fusté et donc ce qu'on perd en rouge on le gagne en orangé et il exploite ça jusqu'à des roses pâles qu'il va appeler chères.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
chair pâle, chocolat au lait chocolat au lait pâle et le résultat de tout ça c'est que les eaux les effluents de cette intubérité contrairement à une des idées reçues qu'il faut combattre à notre époque, elles ne sont pas rouge vif, elles ne sont pas polluantes elles sont claires, c'est de l'eau qui s'attache à fixer chaque molécule de colorant et de mordant sur la fibre super merci L'essence de cette couleur, c'est ça, parce que justement, à partir d'une couleur répertoriée dans les règlements, il en crée une infinité d'autres et j'ai voulu les publier. Ce que je voudrais dire aussi, c'est que parmi mes projets, je vais continuer parce que c'est une série. Après, il y a un troisième volume qui concernera les manuscrits aussi avec des échantillons teints et ça, ce sera la période post-révolutionnaire, donc comment les industriels du textile rebondissent. après tous les bouleversements dus à la révolution aussi les progrès de la chimie en partie dû justement à cette recherche de nouveaux colorants donc il y aura un troisième volume, première moitié du XIXe siècle et le dernier volume ou l'un des derniers volumes c'est l'arrivée des colorants synthétiques donc un ouvrage où il y a de très nombreux échantillons de teinture certains teints encore avec des colorants naturels et d'autres avec des colorants synthétiques Et une des possibilités d'ouverture, c'est aussi sur des documents du même type que j'ai identifié, alors cette fois-ci dans d'autres langues comme en Angleterre où on trouve des documents semblables. donc c'est un chantier en cours j'avais une question,
- Cardon Dominique
est-ce que vous pouvez me parler de vos prochains prochains projets donc il y a ces deux livres mais est-ce que vous avez d'autres projets à part l'édition on va dire qu'est-ce que vous pouvez nous dire absolument,
- ArtEcoVert Pauline Leroux
oui oui alors j'ai des projets déjà des buts de réalisation dans le domaine de la diffusion et de la transmission donc je suis impliquée dans la co-direction d'une J'ai deux projets en collaboration avec le Centre de recherche en chimie verte du département de conservation et restauration de l'université Nova de Lisbonne. qui a pris mes publications tout à fait au pied de la lettre. Donc, on a d'une part une recherche en cours sur les jaunes, les teintures jaunes des teinturiers languedossiens du XVIIIe siècle, c'est-à-dire ceux que j'ai déjà publiés, Antoine Laveau et Jean-Louis, avec l'application de nouvelles méthodes d'analyse des échantillons. et la même méthode qui est la microspectrofluorimétrie, qui est une nouvelle méthode d'identification des colorants sur les textiles, qui est totalement non-destructive, non-invasive. Donc on va appliquer des essais de cette nouvelle méthode sur les jaunes des teinturiers du Languedoc du XVIIIe siècle, et l'autre projet de recherche, c'est une thèse, qui va être faite sur les insectes à lacs, c'est donc des insectes comme la couchenille, comme le kermesse, qui ont des sautes de teinture rouge très belles. et qui ont donné des chefs-d'œuvre d'artistique. Donc, on va essayer de voir si on peut les identifier et en même temps identifier, déceler l'usage de différentes espèces d'insectes à lacs. Il y en a 36 connues, mais on n'en a jusqu'ici identifié qu'une seule sur des documents anciens. Donc, on va voir si cette méthode de la microspectrofluorimétrie permet d'aller plus loin dans notre connaissance de cette source animale de teinture. On y arrive.
- Cardon Dominique
Si je comprends bien, cette méthode vous permettrait d'identifier sur un tissu s'il est teint à partir de ces espèces d'insectes ? Oui, d'accord, ok.
- ArtEcoVert Pauline Leroux
Parallèlement, on est en train de réunir, de rassembler des échantillons de toutes ces espèces d'insectes et on va faire leur caractérisation chimique. Donc il y a toujours l'aspect fondamental qui va servir à nos collègues zoologistes. en parallèle à leur classification en différentes espèces, on va donner le profil chimique de chaque nouvelle espèce et en même temps chercher à les identifier sur des textiles anciens ou même modernes et les identifier de manière non invasive avec éventuellement ce nouvel appareil. Donc, il faudrait sur plusieurs fronts. Et l'autre domaine... dans lequel je suis impliquée, mais ça va commencer maintenant, c'est vraiment du tout nouveau, c'est une information de première fraîcheur on va dire c'est que avec le Covid on a été obligé de renoncer temporairement à ces réunions périodiques mondiales des amoureux et des acteurs des colorants naturels et donc on prépare la prochaine qui avec un peu de chance sera en France. On commence déjà à solliciter des supports financiers de tous Azimut, y compris les mécénats privés qui peuvent se manifester, qui me contactent et seront reçus à bras ouverts. Voilà.
- Cardon Dominique
Le message est passé. Quelles sont les personnes à qui vous avez passé le flambeau et des personnes que vous me recommanderiez d'interviewer pour ce podcast ?
- Dominique Cardon
Alors, passer le flambeau, malheureusement, pas beaucoup, parce que, enfin, du point de vue obtention de postes et de mode d'existence, passer le flambeau, je pense à mes anciens étudiants. dont Marie Marquet par exemple qui donne des stages de teinture naturelle dans le sud des Alpes près de Dix qui a aussi écrit le livre Dix de la teinture naturelle absolument voilà et le deuxième qui était sur les teintures obtenues avec des lichens et des champignons Marie donne des stages c'est une ressource d'autres étudiants pas tellement, il y en a qui font des recherches, il y en a un qui démarre avec moi l'édition d'un de ses manuscrits qui porte à la fois sur les techniques textiles et la teinture un arte della lana florentin du début du 15ème siècle qui est en cours d'édition critique mais sans échantillon malheureusement euh... Je pense que plusieurs des acteurs actuels de la filière colorant naturel se sont basés sur mes livres, mais sinon en termes de postes au CNRS ou universitaires, il n'y a personne malheureusement. et puis alors comme personne à qui vous adresser il y aurait en plus de Patrick Brenac il y a Anne de la Sayette qui est la directrice du Crit Horticole de Rochefort-sur-Mer où elle a eu la vision pionnière de créer un département colorant naturel il y a déjà 30 ans et non seulement ça mais elle a supposé des recherches agronomiques de fond pour la remise en culture de plantes territoriales. Mais elle a, grâce au succès de ses recherches, elle a pu créer un département colorant naturel qui est une société qui s'appelle Couleurs de Plantes. Tout ça est logé à Rochefort-sur-Mer. Et du point de vue des partenariats avec des industriels, Anne a une expérience irremplaçable. Je pense que c'est vraiment un secteur majeur de renouveau. du point de vue de la recherche oui, j'étais trop pessimiste, pour le flambeau ça a été repris par Delphine Talbot qui est directrice de l'ISCID à Toulouse, qui est un département qui dépend de la section Beaux-Arts de l'Université de Toulouse, où elle dirige tout un département de création et de design à partir des colorants naturels. Et j'étais au jury de sa thèse, donc on peut dire qu'elle a repris le tambour. C'est super. C'est important dans ce domaine-là. Il y a un clandrine rosier. qui est une amie et collaboratrice et collègue de Clément Bautier.
- Cardon Dominique
Bon, écoutez, Dominique, je vous remercie énormément pour ce temps et ce partage.
- Pauline Leroux ArtEcoVert
Je vous invite à me rejoindre sur ma page Instagram ArtEcoVert, A-R-T-E-C-O-V-E-R-T, pour y découvrir le nom des prochains invités. Je me permets de vous rappeler que la seule manière de soutenir ce podcast et de le noter et le commenter sur la plateforme d'écoute de votre choix C'est ainsi qu'on arrivera à faire porter la voix de ces passionnés de la couleur végétale. Merci à tous !
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