- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Au cœur de la boulange, le podcast de l'édition 1071, le média qui donne la parole à celles et ceux qui façonnent la boulange. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Au coeur de la boulange, le podcast de l'édition 1071. Je suis Hugues du Boisbaudry et je reçois dans cet épisode François Soignier. Bonjour François.
- François Soignier
Bonjour Hugues.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Vous êtes artisan boulanger mais vous êtes aussi entrepreneur. dans d'autres secteurs comme celui de la vanille. Vous proposez par exemple des extraits, des sirops, des jus, des sucres à base de vanille. Mais ce qui nous intéresse aujourd'hui c'est votre métier d'artisan boulanger. En 2022 vous créez à Châteaubourg en Ille-et-Vilaine la boulangerie artisanale d'Eurémy. Cette création est orientée autour du pain, ce qui n'est pas normal pour une boulangerie mais à l'heure actuelle c'est bien de le préciser vu tous les métiers que propose aujourd'hui une boulangerie. Et d'ailleurs, quand on entre dans la boutique chez vous, on ne voit que cela, la gamme importante de pains. Vous avez aussi voulu encourager l'échange entre l'artisan, vous-même et le consommateur, notamment avec la proximité entre le magasin et le four, voire le fournil, parce qu'on a quand même vu sur le fournil. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous avez réfléchi votre boutique, comment vous avez pensé tout ça ?
- François Soignier
D'une manière toute simple, c'est-à-dire que... Je voulais avoir un contact très proche avec la clientèle, d'une manière simple, pour pouvoir leur expliquer le travail que l'on fait tout au long d'une partie de la nuit, de la journée. Et puis c'est toujours aussi intéressant de voir les clients interagir avec le boulanger parce qu'il est en train de mettre au four, donc il y a un échange qui se crée naturellement. Et les questions fusent aussi naturellement de la part des clients vers le boulanger. Donc c'est vrai que ça a un vrai impact sur l'artisanat encore aujourd'hui. Donc je pense qu'il faut mettre ça en valeur. Il y a tellement de gros faiseurs dans le métier aujourd'hui que c'est très important d'avoir cette proximité avec le client. Savoir comment on travaille, avec des matières premières simples, etc. Mais l'échange est important.
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Les gens sont importants parce que les gens doutent sur le côté artisan, doutent sur ce qu'il y a dans le pain, doutent sur beaucoup de choses, ou c'est juste pour faire découvrir ?
- François Soignier
Je pense que les clients peuvent douter, parce qu'ils peuvent se demander pourquoi chez les uns, toute la gamme de pain est faite à l'heure, pourquoi chez moi, les pains arrivent d'heure en heure. Pourquoi dans les grosses chaînes, c'est pareil, il y a une multitude de pains et finalement sans forcément d'intérêt, en tout cas à mes yeux. Donc je pense qu'il faut rassurer le consommateur, justement il faut rapprocher le consommateur avec l'artisan aujourd'hui.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Comment vous travaillez votre offre ? Quand on entre dans votre boutique, on voit quand même du volume, même si, comme vous le dites, ça arrive petit à petit. D'ailleurs, vous disiez, vous prenez toujours l'exemple du pain, le minire qui n'arrive qu'à 11h, quelque chose comme ça, 11h, 11h30 même.
- François Soignier
Oui,
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
c'est ça. Déjà, comment vous expliquez ça ? Et ensuite, comment vous travaillez votre offre ? Parce que ce qui peut être... Ce qu'on peut trouver ailleurs, c'est le côté original, mais chez vous, ces pains dits originaux ailleurs, c'est quasiment la base chez vous. Et ce qui est très original chez vous, on ne le trouve pas ailleurs. Alors je pense par exemple au pain au maïs, et là il y a beaucoup de boulangers qui nous écoutent qui vont dire « moi aussi je propose du pain au maïs, mais quand on goûte le vôtre et quand on goûte les autres, on voit une réelle différence, sans critiquer qui que ce soit. » Mais le vôtre, il y a vraiment le goût de maïs, il y a quasiment des grains de maïs à l'intérieur, il y a quand même un vrai travail qu'on ne retrouve pas ailleurs. Comment vous avez mis ça en place ? Comment vous travaillez ? Et comment vous faites travailler votre équipe d'ailleurs ? Parce qu'il n'y a pas que vous, il faut que ça marche avec tout le monde.
- François Soignier
C'est très simple. On travaille comme les anciens travaillaient dans le temps, c'est-à-dire qu'on prend le temps de faire les choses. simplement et on va chercher des longues fermentations pour justement développer tous ces arômes et c'est pour ça que chez moi quand on arrive quand j'ouvre la boutique à 7 heures du matin Eh bien, il y a une toute petite gamme alors que mon rayon est quand même assez grand et le pain arrive au fil du temps. Mais il est hors de question que je me dépêche à faire du pain au maïs, du pain au sarrasin, du complet, du ceci, du cela, pour satisfaire une poignée de clients à ces heures d'ouverture qui sont attirés par une offre de viennoiserie. Donc, les gens s'habituent avec tout ça. ils comprennent et c'est pour ça que je voulais que la boutique soit ouverte avec le labo pour que justement il y ait cet échange parce que les gens ne comprennent pas forcément pourquoi chez les uns il y a toute une gamme dès l'ouverture et chez moi c'est beaucoup plus restreint et c'est vrai qu'au fil de la matinée ça s'amplifie parce que encore une fois j'ai envie de travailler les choses simplement, on a des belles matières à travailler. Et la base de la boulangerie, c'est quand même la fermentation. Et tout le monde a tendance à vouloir se dépêcher pour satisfaire le consommateur. Mais quand on prend le temps de faire son travail correctement, avec les bases de la boulangerie comme on les a appris il y a 20 ans ou 30 ans pour certains, on a le temps aussi d'échanger avec le client et de lui faire comprendre nos valeurs et comment on travaille toutes ces bonnes matières premières. Et la base de la boulangerie pour moi, c'est la fermentation.
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Et donc ça ne dérange pas vos clients d'avoir très peu de types de pains à 7h ou 8h et d'avoir leur fameux pain au menhir à 11h, 11h30 seulement ?
- François Soignier
Au début ça dérange, mais justement le fait que je sois juste devant eux et que je puisse leur expliquer pourquoi le pain au menhir n'est pas prêt à cette heure-là, parce qu'il a besoin de temps pour... pour avoir toutes ces saveurs qu'ils vont retrouver à table à midi. Donc le minière par exemple, ce fameux pain au sarrasin, que je travaille d'une façon bien particulière, les gens le réservent, c'est le pain le plus réservé chez moi, mais finalement les gens s'adaptent très très bien. Et puis quand ils le retrouvent à midi sur la table, on a un pain qui est quasiment sorti du four il y a une demi-heure ou trois quarts d'heure, et quand on le déguste, on a vraiment toutes ces sensations de bonheur. de fermentation, d'odeur. C'est formidable, toi. Il n'y a plus qu'à mettre un bout de beurre dedans.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et vous disiez qu'il est vendu avant d'être fabriqué.
- François Soignier
Ah oui, c'est le pain vraiment le plus réservé chez moi. Les gens me téléphonent pour m'en mettre deux de côté, un de côté, quatre de côté. Des fois, la fabrication n'est même pas encore finie que je sais que tout est déjà vendu. Mais je me tue encore. Encore une fois, avec ma façon de travailler, je ne veux pas en faire des quantités monstrueuses pour que tout le monde soit satisfait le mardi et puis que je vais en jeter quatre à la poubelle. J'en fais à peu près les mêmes quantités chaque jour parce que c'est un pain qui est, de la façon dont je le travaille, c'est un pain qui est assez difficile à travailler. Et je préfère en faire un peu moins, que les gens soient contents tous les jours et qu'il y ait les mêmes rigueurs sur le pain, tout simplement.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Donc finalement, vous... Enfin, pas finalement. De ce que je comprends, vous ne pratiquez pas la course au volume. Vous, ce n'est pas vendre le plus, le plus, le plus tout le temps. C'est le respect du produit. Vous faites le volume en fonction des moyens que vous avez. Et surtout que les clients soient satisfaits.
- François Soignier
Surtout le client. On est artisan avant tout. Si les gens veulent du volume, avoir un tas de baguettes, il y a des gros faiseurs dans le métier aujourd'hui qui sont capables de faire ces choses-là. Moi j'ai un petit labo, on a une capacité de travail qui est assez limitée, donc plutôt que de produire en masse et puis faire des heures à n'en plus finir, je préfère avoir un peu moins, mais par contre une qualité constante. Et chaque jour les clients sont contents de retrouver certains pains au magasin. Ils retrouvent le goût de leur enfance dans tous les produits qu'on fabrique. On peut juste aller voir les avis Google, par exemple, ou les gens de passage, c'est quelque chose de très intéressant. On est quand même sur la route Paris-Brest. Les gens qui descendent de Paris souvent s'arrêtent chez nous parce qu'à Châteaubourg, on est comme un village étape. Donc, quand ils sont venus à la boulangerie en descendant... sur Brest ou ailleurs, 95% des gens quand ils retournent sur Paris s'arrêtent chez moi.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Vous êtes dans le Guide du Routard ?
- François Soignier
Je ne suis pas dans le Guide du Routard, mais ça, c'est la plus belle récompense. Franchement, quand les gens s'arrêtent chez vous et qu'ils ont pris un bout de pain pour pique-niquer ou pour manger le soir, arriver au camping ou autre, et puis qu'une semaine après, quand ils retournent chez eux, ils s'arrêtent et vous prennent des grosses quantités de pain parce qu'ils veulent retrouver ce goût-là pendant une semaine ou dix jours chez eux, c'est la récompense de ce travail simple, lent, avec les valeurs du métier, tout simplement.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et vous disiez, avec votre outil de production, votre fournil, même si vous le vouliez, vous ne pourriez pas faire énormément de volume. Il faut quand même préciser que vous, c'est une boulangerie assez petite. Enfin, c'est une boutique assez petite. La superficie, elle est de 80 mètres carrés, ce n'était pas ça ?
- François Soignier
Oui, c'est ça,
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
exactement.
- François Soignier
Tout confondu.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Oui c'est ça, boutique et fournil c'est 80 mètres carrés. On imagine très bien que le fournil est petit. Et vous êtes au maxi, vous pouvez travailler à combien dans le fournil ?
- François Soignier
3, mais déjà 3 ça commence à être compliqué. Pour travailler correctement, 2 ça suffit amplement.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Oui, un dans le fournil et un devant le four, c'est quasiment ça.
- François Soignier
Oui c'est quasiment ça, après le four aussi c'est petit. On a toujours un petit poste de travail pour continuer à faire quelque chose. Mais il ne faut pas être plus de deux. Après, on se marche dessus.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Ce qui m'a surpris au niveau production, c'est le fameux emploi. C'est votre dada sur la préfermentation. C'est votre signature un peu.
- François Soignier
C'est un petit peu ma signature, c'est vrai.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Donc là, on rappelle. Si vous pouvez y rappeler d'ailleurs. pour éviter que je dise des bêtises. Ce que c'est ?
- François Soignier
L'emploi, c'est tout simple. C'est un mélange d'eau chaude avec de la farine. Ça nous fait une espèce de pâte semi-dure. Et puis, c'est quelque chose qu'on peut incorporer facilement dans une pâte de tradition pour aller chercher des goûts et une facilité de travail surtout avec les goûts. tous les goûts qui peuvent nous passer par la tête quoi. Je veux dire avec cette façon de travailler là, on peut tout imaginer.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et donc c'est l'eau très chaude qui apporte cette fonctionnalité de développer un peu les arômes et de la farine.
- François Soignier
Oui complètement parce que là, avec cette façon de travailler en fait, on peut s'amuser à tout mélanger, tout imaginer, on peut faire toaster nos farines, on peut faire toaster nos céréales. faire de l'emploi de lait, faire de l'emploi de miel. Récemment, j'ai fait un emploi de framboises, avec une confiture de framboises qu'on a faite maison, et quelques framboises qui nous restaient. On a fait un pain avec ça, franchement, pour le petit déjeuner, c'était sublime. On s'amuse à faire des petites créations. Tout ce qui peut nous passer par la tête, tout ce qu'on a envie de déguster, tout ce qui a envie de nous faire plaisir, on peut le faire facilement, finalement.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et jusqu'à il n'y a pas longtemps, vous n'utilisiez pas de levain. Et aujourd'hui, vous utilisez le levain parce que vous avez eu la fâcheuse idée de concourir au pain au levain. C'est ça, au meilleur pain au levain, c'est ça.
- François Soignier
C'est ça, c'est ça. Alors, je ne faisais pas de levain parce que c'est quelque chose que je n'aime pas spécialement. C'est une bonne raison pour pas le faire. Voilà, c'est ça. De toute façon, tout ce que je n'aime pas moi personnellement, je ne donne pas à mes clients. Raison de plus pourquoi je ne fais pas de pain blanc aussi chez moi. Parce que je n'aime pas ça, donc il n'y a aucune raison que j'en fasse manger à mes clients. Donc oui, j'ai eu cette bonne idée de concourir au pain au levain. Donc on a créé une recette spécialement pour ce concours. Et on a fini deuxième. J'ai été obligé, pour satisfaire ma clientèle, de faire un petit peu de pain au levain sur le pain qui a concouru. Mais par contre, je le fais que le vendredi, samedi et dimanche. Encore une fois, je limite les produits. Ce n'est pas un produit qu'on retrouve tous les jours chez moi. Ce n'est pas possible.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et c'est levain pâteux, levain liquide ?
- François Soignier
Lavain liquide.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et justement, j'ai vu que vous… Tous les ans, vous participez à 2-3 concours à peu près, entre viennoiserie, pain, baguette, c'est à peu près ça ?
- François Soignier
Oui, c'est à peu près ça, oui.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et pourquoi ce goût du concours ? C'est simplement pour le sport ? C'est pour rompre la routine ? Ou il y a autre chose derrière ?
- François Soignier
C'est pour aller toujours chercher plus loin les capacités, motiver aussi les équipes. Puis comme on est formateur aussi, on a des jeunes qui travaillent avec nous, donc c'est pour leur donner aussi cette envie de se dépasser. Et puis c'est quand même une grande satisfaction de gagner un prix sur un produit qu'on a réalisé. C'est une satisfaction aussi pour le client de voir que chaque année, il y a des prix qui sont remportés et se disent que l'artisan, justement, fait l'effort d'avoir toujours un produit de qualité et qu'on ne retrouve pas dans des grandes chaînes. Donc, je trouve que c'est super important et c'est très valorisant.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Vous le retrouvez un peu dans la conversation avec vos clients, le côté « ah bah tiens, vous avez gagné ceci, vous avez gagné cela, vous êtes vraiment bon, vous vous dépassez » . Enfin, j'imagine un peu ce qui peut être dit comme ça.
- François Soignier
Les gens ne disent pas qu'on est bon ou qu'on se dépasse, mais par contre, les gens sont super contents. J'ai des petits anciens « ah bah tiens, j'ai vu mon boulanger dans le journal, qu'est-ce que je suis fier de voir mon boulanger dans le journal » . C'est fantastique. Donc voilà, c'est des retours comme ça. Et puis, ça apporte aussi une plus-value aux personnes qui ne sont pas habituées chez nous. C'est vrai que quand j'ai des clients de passage qui peuvent voir le macaron sur le pain au levain ou sur la baguette de tradition chez moi, qui a gagné des prix, systématiquement, ils ont envie de la goûter. Donc, c'est des clients aussi convaincus par… par l'artisan et c'est des clients qui reviennent s'ils sont satisfaits du produit.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et est-ce que ça rassure les nouveaux clients finalement ? Tiens, je rentre dans cette boulangerie, normalement ça ne devrait pas être mauvais.
- François Soignier
Complètement, complètement. Mais on a un challenge supplémentaire, c'est-à-dire que plus on gagne de prix... plus il faut que la qualité soit au top parce que les gens ont vite tendance à vous jeter la pierre si le jour où ils ont acheté la baguette elle est un petit peu moins bien parce que on a eu un taux d'humidité qui était extrême parce qu'elle a moins séché au four voilà donc on a intérêt quand même d'avoir une sacrée rigueur c'est un challenge au quotidien le pain.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
La meilleure sécurité c'est de ne rien faire comme ça vous n'êtes pas critiqué
- François Soignier
C'est ça, exactement.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Oui, ça entretient un peu le côté proximité. Tiens, je discute avec mon boulanger, c'est mon boulanger que je vois dans le journal. Il y a ce côté un peu appropriation, pas le consommateur quand même. C'est mon boulanger. Bien sûr.
- François Soignier
C'est mon boulanger, c'est ça.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et justement, on parle presse, on parle communication. Qu'est-ce que, et vous disiez tout à l'heure... Je travaille simplement de la farine, de l'eau. Qu'est-ce que vous pensez de tout ce qui est évolution de la boulangerie ? On donne toujours comme prétexte l'évolution de la boulangerie, de l'arrivée des grandes chaînes il y a 10-15 ans, Ange Blasher, Louise, il y a tout ça. Qu'est-ce que vous pensez de tout ça ? Vous êtes plutôt à contre-courant si on dit que Marie Blachère et tout ça c'est dans le sens du vent, vous c'est plutôt à contre-sens, mais est-ce que vous disiez quand même que l'artisan c'est le pain ? Comment vous voyez un peu tout ça, l'évolution, le boulanger commence à devenir plus un spécialiste mais un généraliste ?
- François Soignier
Je pense que l'artisan doit continuer à se battre et à se démarquer de tous ces gros acteurs. Tous ont une place à jouer. Il y a tout un panel de consommateurs, que ce soit dans nos métiers ou dans d'autres, mais on doit défendre les valeurs de l'artisanat, même si c'est de plus en plus compliqué avec l'énergie, avec les matières premières. Mais justement… L'artisan doit toujours aller chercher plus loin des goûts, des saveurs, des produits originaux. Tout ce que ne fait pas finalement toutes ces grosses chaînes, ou même s'ils le font, vont le faire d'une qualité médiocre. Parce que l'artisan va plutôt privilégier une idée qu'il va mettre en valeur, qu'il va travailler avec ses mains, qu'il va mettre en avant au magasin. plutôt que de rentrer justement dans un système de production pour faire du chiffre. Donc, je pense que l'artisan aura toujours une place à jouer. Il va falloir que l'artisan évolue en fonction de toute cette nouvelle demande. Et il faut aller chercher cette clientèle qui est demandeuse de bons produits. et plus de produits similaires à la grande chaîne. Parce que si l'artisan boulanger fait une baguette blanche comme chez Ange ou Marie Blachère, alors pourquoi le consommateur irait chez l'artisan plutôt que là-bas, alors qu'il va en avoir une gratuite ou deux peut-être chez Marie Blachère, qu'il ne pourra pas se permettre. Donc il faut aller chercher des choses complémentaires à notre métier, le faire évoluer dans le bon sens. Je sais que c'est des belles paroles, ce n'est pas toujours évident dans les labos. Il y a beaucoup d'heures à effectuer, il y a beaucoup de travail, mais l'artisan doit rester un artisan. Tout simplement aller chercher toute cette notoriété que l'artisanat fait de nous des vrais artisans.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Vous parlez de se démarquer sur les produits. Là, on enregistre, on est le 7 octobre 2025. Le mois dernier, il y a eu un reportage sur Capital où ils montraient les gros artisans qui voulaient concurrencer Marie Blachère, Ange, etc. Ils concurrençaient via la restauration, ils concurrençaient via les pains spéciaux. Il était d'ailleurs dit que les ventes de baguettes étaient en chute libre et que les spéciaux, c'était la baguette magique, sans jeu de mots, pour sauver l'artisanat. Et je voyais un artisan qui... voulait tout le temps qui avait pour objectif de changer sa gamme, enfin apporter une nouveauté, je ne vais pas dire toutes les semaines, mais une nouveauté tous les mois ou quelque chose comme ça. Un artisan, il ne peut pas... Si on commence à raisonner comme ça, on raisonne grande chaîne, on raisonne marketing et on ne raisonne plus artisan aussi.
- François Soignier
C'est une autre vision de l'artisanat. À partir du moment que l'artisan... Même s'il essaie de concurrencer les grandes chaînes à partir du moment où il le fait correctement, je n'y vois pas d'inconvénient. Si l'artisan fait bien les choses, qu'il travaille ses produits comme un artisan doit le faire, il n'y a pas de raison qu'il n'ait pas envie de concurrencer ces grandes chaînes. Mais moi, je serais d'avis plutôt à faire tout le contraire, c'est-à-dire qu'ils ont pris une place tellement énorme et ils ont un tel volume de communication et de marketing que pour un artisan tout seul, c'est compliqué d'aller concurrencer ces grands chaînes. On le voit bien dans plein de domaines différents. Un gars tout seul, c'est toujours plus compliqué. Donc moi, je serais plutôt d'avis à faire le contraire, à faire des petites boutiques ouvertes sur la clientèle, avec moins de personnel, moins de pression, moins de charge. et puis de travailler ces produits simplement parce que finalement si on réfléchit bien avec la conjoncture actuelle pour moi ça sert à rien d'aller chercher des gros chiffres d'affaires c'est des problèmes supplémentaires c'est du personnel à gérer le personnel c'est très compliqué dans nos métiers parce que justement tous ces gros acteurs prennent une grosse partie du personnel en place aujourd'hui. qui peuvent gérer à leur maître des week-ends, des samedis, des dimanches facilement avec un turnover dans leur commerce. Nous, c'est plus compliqué. Quand on est un petit artisan dans une petite ville de proximité, écoutez, moi je suis d'avis à travailler moins, à faire les choses plus correctement, plus simplement et puis retrouver cette passion. Quitte à fermer une journée de plus parce qu'on court tous après un chiffre d'affaires mais finalement le chiffre d'affaires c'est pas ce qui nous rend viable vaut mieux faire des petits chiffres avec une bonne rentabilité travailler son produit simplement et puis quand on regarde le résultat à la fin de l'année et qu'on a une clientèle d'habitués qui sont là tous les jours ou tous les deux jours écoutez c'est le plus beau des cadeaux je pense
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et quand tout est vendu avant même que le premier pain est en cuisson, c'est quand même pas mal.
- François Soignier
C'est quand même pas mal, c'est une satisfaction, c'est super.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et courir aussi après la nouveauté, c'est le risque de trouver dans les mix ou dans les choses comme ça, non ? Parce qu'à un moment donné, vous...
- François Soignier
Bien évidemment, il y a un moment donné, les gars, ils ne peuvent pas se démultipliquer. Si on doit faire 8 heures de travail, que ce soit chez un artisan ou dans une grande chaîne. bien évidemment qu'ils vont utiliser des méthodes de travail beaucoup plus simples, beaucoup plus efficaces. Voilà, prendre un mix, je mets un litre d'eau dedans, je mets ça à tourner, ça fait du pain. Mais c'est bourré de conangues.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Vous êtes petite boutique, enfin par rapport à beaucoup d'autres, vous êtes une boutique normale de province, vous êtes axé sur le pain, je ne vais pas dire que ça devient rare, mais c'est vrai que les médias nous bassinent avec les restaurations et tout ça, mais vous faites quand même un peu de snacking. Un petit peu de snacking ? C'est un vrai pôle pour vous ou c'est plus un service ?
- François Soignier
Non, c'est un vrai pôle quand même, même si on n'en fait pas beaucoup, on fait du snacking simple, mais il y a une vraie demande sur le snacking aujourd'hui. Alors encore une fois, on le fait simplement, correctement, mais les ventes de pain sont quand même en chute libre depuis longtemps, donc il faut quand même aller, on a quand même des entreprises à faire vivre, il ne faut pas non plus faire n'importe quoi, il y a des salaires à payer. il faut aller chercher quand même un petit peu de sous pour faire tourner tous ces boutiques. Faire du bon pain et vivre de son rêve, ça ne rapporte pas d'argent. Il y a quand même une réalité économique à respecter.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Donc vous, c'est un pôle indispensable, même dans votre cas, même dans la ville où vous êtes, là où vous êtes placé, c'est quand même indispensable d'avoir la partie snacking.
- François Soignier
C'est indispensable, surtout sur les jours de semaine. Le français est encore très attaché le dimanche matin à sa baguette et son croissant pour son petit déjeuner. Mais les gens ont changé leur façon de vivre, leur façon de consommer parce que les époques évoluent. Donc il faut s'adapter aussi quand même à un mode de consommation. Mais il faut le faire dans le respect de l'artisanat, avec des bonnes matières premières. et respecter toujours son client, quel que soit le produit qu'on propose.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Donc, vous me dites, le pain, c'est votre métier, le snacking est indispensable comme complément, mais vous avez quand même axé toute votre boutique visuellement sur le pain, parce que finalement, le snacking, il faut tourner la tête un peu pour voir qu'il y en a un petit peu. C'est sur la droite, là. Et à gauche, c'est un mur. De toute façon, il n'y a pas le choix. Mais vous avez quand même tout axé visuellement sur le pain, mais le snacking est indispensable. Mais comment vous communiquez justement ça ? Parce que finalement, le pain est tellement visible que... Est-ce qu'on entre chez vous pour un sandwich ?
- François Soignier
Oui, parce qu'en fait, aujourd'hui, on peut rentrer dans une boulangerie pour aller acheter un sandwich parce que c'est complètement démocratisé. Donc, le consommateur ne se pose même pas la question de savoir s'il y en a ou s'il n'y en a pas. Quand un client a faim, il dit qu'il y a une boulangerie, je vais m'arrêter et manger un sandwich. Pour lui, c'est une évidence aujourd'hui qu'il y ait des sandwiches.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et vous proposez des sandwiches, vous proposez des tarteries, un peu de pizza quiche ?
- François Soignier
Un petit peu de tarterie simple, une petite pâtisserie boulangère pour accompagner, pour faire une petite formule avec son sandwich. Une petite tartelette abricot avec une crème vanille. Des choses encore une fois toutes simples à mon image, à l'image de la boutique.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Et il y a aussi le côté petit-déj qui se développe. Mais chez vous, vous avez mis ça quand même en place avec le café, la viennoiserie et tout ça, avec les petites manches de boue, mais ça ne prend pas forcément ?
- François Soignier
Non, on n'est pas acteur de ça. Il y a un petit peu de demande. Les gens de passage forcément s'arrêtent un petit peu pour prendre un... Un petit café croissant. Encore une fois, on est village et table. Les gens s'arrêtent plus facilement sur les périodes de vacances. Mais ce n'est pas quelque chose... Hors période de vacances, ce n'est pas quelque chose qu'on fait beaucoup.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Justement, vous parliez d'évolution des mentalités des clients. Quand on s'est vus pour le reportage, vous m'aviez dit... On avait discuté d'évolution d'un... un peu d'associer l'évolution de la boulangerie et l'évolution du rythme de travail. Est-ce que vous pourriez nous dire un peu comment vous voyez les choses, enfin ce que vous observez et comment vous voyez les défis presque d'aujourd'hui de la boulangerie au niveau recrutement, au niveau formation, au niveau même... Comme vous disiez, vous ouvrez le dimanche mais maintenant c'est difficile de trouver. Même justement sur Châteaubourg, je crois que vous me disiez que vous étiez la seule boulangerie ouverte le dimanche.
- François Soignier
Quand on s'était rencontré, on était la seule et j'ai le collègue qui est en face, collègue ou concurrent, on peut l'appeler comme on veut, qui vient de réouvrir et de changer ses horaires de travail justement pour réouvrir le dimanche.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
D'accord.
- François Soignier
Donc maintenant nous sommes là.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle.
- François Soignier
Ça m'arrange bien. Encore une fois, on a une toute petite capacité de travail et il y a un moment donné, ça arrive à saturation. Donc si vraiment on voulait répondre à cette demande, il faudrait commencer à cuire à 22 heures, ça ne m'intéresse pas. Donc voilà, encore une fois, je préfère limiter, avoir... La réelle satisfaction, c'est de faire un pain... un pain ou quand les gens sont sur la table disent tiens j'ai acheté ça ma baguette chez ce boulanger là mais si cette baguette là il a été cuite à 22h ou 23h la veille automatiquement elles seront pas la même interprétation donc non non je préfère voilà je préfère limiter les produits et satisfaire les clients et quand il y en a plus il y en a plus et je me suis même vu Je me suis même vu limiter le nombre de baguettes parce qu'il y avait trop de monde qui attendait. Donc, pour que tout le monde ait un peu de pain, j'ai limité à une chacun. Et cette proximité fait que ça fonctionne. Quand on explique aux gens que celui qui attend depuis 20 minutes dehors n'aura pas de pain et qu'il n'y en aura plus à venir, si tout le monde est sympa, tout le monde pourra avoir un bout de pain à midi. Et les gens le comprennent encore une fois.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Donc pour revenir sur l'évolution du métier, là vous me disiez que c'était quand même de plus en plus compliqué, que même si les méthodes de production ont quand même évolué ces dernières années, enfin ces 10-20 dernières années, c'est quand même difficile d'accès avec la mentalité actuelle, avec l'évolution de la société, avec la place que prend le loisir quand même, les loisirs dans la vie des gens. Est-ce que vous pouvez nous faire part de votre vision des défis de la boulangerie sur ce plan-là ?
- François Soignier
Moi, ma vision, comme je disais tout à l'heure, j'ai eu un reportage il n'y a pas très longtemps sur une petite boulangerie à Nantes où un couple de jeunes ont fait le choix de fermer 3 jours ou 4 jours par semaine et d'ouvrir vendredi, samedi ou dimanche, je ne sais plus exactement. comment c'était leur jour d'ouverture. Ils ont fait ça pendant quelques mois et le retour en fait est très satisfaisant parce qu'ils ont privilégié la qualité à la quantité. Du coup, qu'est-ce qui se passe quand on fait ça ? C'est vrai qu'on fait des plus petits chiffres d'affaires, mais on s'en sort mieux, on a moins de charges, on a moins de pression de travail, on peut adapter ses produits aux heures d'ouverture et à la demande. le travailler complètement différemment. Et les gens, encore une fois, s'habituent et s'adaptent aux artisans de confiance. Donc moi, je pense qu'il est préférable de changer complètement cette méthode de travail où on commence à 2h du matin. Alors c'est vrai que comparé à 20 ans ou 30 ans, on a du confort du travail par rapport aux outils. Mais maintenant, ce que ne veulent plus les gens, et c'est pour ça qu'il y a un problème de recrutement, Les gens ne veulent plus travailler le dimanche, ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, parce que les gens privilégient le loisir plutôt qu'au salaire, souvent. Donc, il faut adapter des méthodes d'ouverture, de travail et changer, revisiter un petit peu tout ça. Laissons toutes les grandes chaînes ouvrir 7 sur 7, de 6 heures du matin à 21 heures le soir, s'ils en ont envie. Eux, ce qu'ils ont besoin, c'est de faire des gros chiffres d'affaires. Mais l'artisan, il n'a pas besoin de faire des gros chiffres d'affaires pour s'en sortir, sans rentrer dans des chiffres, mais des petits artisans boulangers, quand on travaille en couple ou avec un petit apprenti parce qu'on a envie de former, même je suis sûr que moi à Châteaubourg, je pourrais ouvrir que 4 jours et finalement les gens comprendraient les valeurs et ma façon de travailler et viendraient chercher leur pain finalement que sur 4 jours, plutôt que sur 6.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Mais c'est vrai que c'est... Enfin, il faut tout revoir. Il faut revoir la gamme de produits, il faut revoir les pôles de produits, enfin, j'ai plus le terme, mais entre le pain, la pâtisserie, le snacking, il faut revoir tout ça. Et effectivement, la plus grosse difficulté, c'est de communiquer. et de surtout faire comprendre ça à la clientèle.
- François Soignier
Mais c'est pour ça qu'on a besoin de cette proximité avec le client. Le boulanger, celui qui fabrique le pain, aura toujours plus d'impact sur ses paroles que la vendeuse, même si elle l'expliquera certainement bien. Mais on a toujours plus de points forts. Voilà, celui qui fait le produit, s'il l'explique au client correctement et simplement, les gens comprennent et s'adaptent. Et souvent, les artisans... les boulangers aujourd'hui ont peur de modifier ou d'orienter la boulangerie parce que dès qu'il y a du changement, il y a des craintes parce que peut-être qu'on se dit, tiens, j'arriverai moins à vendre, je ferai moins de chiffre d'affaires, je ferai moins de ceci. Mais il faut oser le pas. Il faut changer, revisiter. Il faut aller chercher du monde pour travailler. Et justement, il ne faut pas… dégoûter les gens et moi c'est ce que j'essaye de faire avec mes petits jeunes voilà j'essaye de leur donner du temps quand ils vont à l'école j'ordonne quatre jours ils ont samedi dimanche lundi mardi comme ça ils peuvent profiter et puis profiter de leur jeunesse aussi parce que nous quand on était en apprentissage il fallait travailler souvent très dur et puis il n'y avait pas les 35 heures souvent on était fils d'artisans ou de commerçants donc Il y avait une espèce de compréhension et aujourd'hui, quand on parle de 35 heures en tant qu'apprentissage, moi, personnellement, je n'ai jamais connu ça. Donc, on allait à l'école la semaine et puis le samedi, il fallait retourner travailler, le dimanche aussi. Bon, c'était différent. Aujourd'hui, ça a complètement évolué, mais je pense qu'il faut encore le rebasculer, le faire évoluer pour justement attirer de nouveaux jeunes. Mais il faut changer, il faut… Si on veut que les jeunes aujourd'hui adhèrent à l'artisanat, il faut le changer complètement. Parce que les gens ont besoin de temps plus que d'argent. Ils ont besoin de loisirs, ils ont besoin de s'évader, ils ont besoin de voyager, ils ont besoin de beaucoup de choses. Mais il faut travailler bien sûr, parce que je suis pour le travail. Mais il faut réévaluer le travail dans la boulangerie. Aujourd'hui, l'artisan qui travaille 15-16 heures par jour, C'est compliqué, au bout d'un moment, voilà, il tourne en boucle, il fait tout le temps la même chose. Le chiffre, le chiffre, le chiffre, le chiffre, le chiffre, il se bat que contre ça. Et je ne suis pas sûr qu'au final, il vive mieux que moi.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
En fait, moi, ça me fait penser à une époque où j'avais croisé des boulangers qui faisaient les marchés. Et en fait, il y en a un qui faisait sa production deux fois par semaine. C'était Madame qui allait vendre. Lui, il travaillait la nuit, deux nuits, deux nuits dans la semaine, et c'est Madame qui allait faire les trois, quatre marchés dans la semaine. Et finalement, ça revient à ça. Ça revient à... Et là, je rebondis sur ce que vous disiez pour le snacking, il faut bien faire tourner la boutique. Mais finalement, si je reviens sur ce que vous dites, on pourrait avoir le format 100% pain qui pourrait fonctionner. Ça me fait penser un peu au reportage que j'ai fait et au podcast que j'ai tourné avec Frédéric Lalos, qui lui, finalement, en deux heures, il fait la tournée des villages avec son camion et en deux heures de vente, il n'a tout vendu que du pain, un petit peu de flan, un petit peu de viennoiserie et hop. Et finalement, il pourrait vivre, il travaille trois, quatre jours dans la semaine. J'exagère peut-être, mais 3-4 jours dans la semaine. Finalement, on en revient à trouver de nouveaux schémas. C'est un peu ça, ce que vous dites.
- François Soignier
Oui, c'est complètement ça. J'ai même dans la tête en ce moment de faire une création de boutique avec uniquement du pain et de la viennoiserie. En fait, notre métier, c'est la boulangerie. Pâtissier, c'est un autre métier. la petite restauration c'est un autre métier encore et en fait on cherche à tout regrouper dans une même structure et finalement qu'est-ce qui se passe c'est que on a de plus en plus de volume, de plus en plus de clients il faut de plus en plus de gens pour travailler, pour satisfaire toute cette demande alors que finalement que si on revenait au métier pur de la boulangerie à faire du pain de la viennoiserie pense que ça conviendrait voilà très bien et on aurait cette proximité encore une fois avec le client et avoir une boutique peut-être ouverte de 18 heures à 16 heures ou 17 heures et changer un peu cette façon de dire ben moi je joue à 6 heures du matin parce que je vends du café avec mes croissants et je ferme à 19h30 parce qu'il y a le gars qui travaille et qui a envie de passer et puis d'acheter une baguette. Mais je crois que les gens s'adaptent aussi à la façon de travailler des artisans et puis les gens se déplacent quand le produit est bon. Donc ça ne sert à rien d'aller chercher une multitude de produits et je pense de plus en plus à ça, peut-être faire ma semaine sur 4 jours ou 5 jours et d'avoir cette petite boutique où je serai toujours en proximité et en contact avec le client. et faire beaucoup moins et vendre moins directement mes produits que j'ai faits. Moi je pense que c'est... Voilà, les boulangeries redeviendraient boulangeries, le pâtissier, le client qui a repris sa baguette chez moi, irait chez le pâtissier chercher son petit gâteau, et ainsi de suite. Et on aurait de plus en plus d'artisans peut-être, d'ici 15-20 ans, parce que les gens se diraient, tiens c'est vrai que c'est pas bête, ça fonctionne, moi je suis charcutier, je fais de la charcuterie. et je laisse la boucherie au boucher. Vous voyez ce que je veux dire ? Peut-être que c'est un peu exagéré, mais c'est dans mon idéal, et je pense qu'on peut y arriver.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Moi, je pense que, pour être honnête, je trouve qu'on est écartelé entre ce qu'ils appellent le néo-boulanger qui est devenu un artisan de bouche généraliste et l'hyper-spécialiste, comme vous évoquez, 100% pain. J'évoque Frédéric Lalos qui ne fait quasiment que du pain. Et dans son camion boulanger, il fait 3-4 jours dans la semaine en Mayenne. Vous avez aussi Richard Ruyant à Angers qui fait quelques petits sandwiches. Parce que comme vous, c'est business parce que c'est une des deux jambes. Mais lui, c'est pour rendre service parce qu'il a des gens qui demandent des sandwiches. Donc il fait quelques sandwiches. Mais il a une table, une toute petite table, sur laquelle il met ses références de gâteaux de voyage. Donc il en a 10-12. Dès qu'il veut faire une nouveauté, il faut qu'il en enlève une. Qu'il enlève une gamme. Et c'est que des gâteaux de voyage. C'est du pain, des gâteaux de voyage. Et entre 11h30 et 13h30, il a quelques sandwiches. Et c'est tout. Et sa boutique fait 25 ou 30 mètres carrés. Avec le fournil. Il a une petite cuisine maintenant de 10 mètres carrés, ça s'est agrandi depuis mais le reportage est d'ailleurs à retrouver sur www.107011.com. C'est pour ça que quand j'entends dire que la boulange maintenant c'est néo-boulanger avec 4-5 métiers, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment vrai.
- François Soignier
Pas sûr non plus, vraiment pas sûr. Moi je pense qu'il faut retourner aux sources. et adapter l'offre. Le boulanger qui a envie de faire du snacking, il n'a qu'à créer une petite boutique dédiée au snacking, simplement, et il en sera de plus satisfait. Et le boulanger qui a envie de faire du pain et un peu de pâtisserie boulangère, il n'a qu'à faire que ça, et il s'en sortira beaucoup mieux que d'avoir 15 personnes et de faire des 2 millions de chiffres d'affaires. qui n'a aucun sens. Il gagnera mieux sa vie et puis il sera beaucoup plus satisfait du résultat à la fin de l'année et il pourra aussi profiter un petit peu de sa femme et ses enfants.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Alors, la question, quand vous disiez le pain, la viandiserie, est-ce que la viandiserie, c'est de la pétisserie ou c'est de la boulangerie ?
- François Soignier
Pour moi, c'est de la boulangerie. On travaille encore une base de pâtes. C'est vrai qu'on pourrait dire aussi que c'est de la pâtisserie, mais quand on prend dans les années 60-70, les petits artisans boulangerie, il y avait du pain et des croissants et des pains au chocolat. Les pains aux raisins sont arrivés quelques années plus tard parce que les pâtissiers ont mis certainement leur grain de sel dedans, avec leur crème pâtissière, mais le croissant a toujours fait partie de la gamme de la boulangerie. Moi, je me rappelle quand j'étais en apprentissage, je travaillais dans une toute petite boutique. On traversait encore la cour pour aller dans le magasin. Qu'est-ce qu'on retrouvait ? La boutique faisait 6 ou 7 mètres carrés. C'était vraiment extrêmement petit. On avait 300 pains au chocolat et du pain. Voilà, c'est tout ce qu'on avait. C'était formidable.
- Hugues du Boisbaudry - L'édition 10.71
Très bien. Merci pour cet échange. La question est quand même toujours ouverte. L'avenir de la boulangerie artisanale, est-ce que c'est le... Un métier d'artisan de bouche généraliste ou spécialiste 100% pain, ça je pense que chacun a sa définition, chacun a sa réponse. Mais les deux se dessinent quand même fortement, aussi bien l'un que l'autre, de mon point de vue. Eh bien, merci à vous de nous avoir écoutés. Merci François Saunier pour tous ces renseignements, toutes ces informations sur la création de Doremi et votre vision de l'artisanat. Vous pouvez retrouver les autres épisodes de Au coeur de la boulange sur www.e1071.com ainsi que tous les reportages évoqués et même d'autres, bien d'autres. Merci beaucoup et à bientôt.