- Speaker #0
Au cœur de la boulange, le podcast de l'édition 10.71, le média qui donne la parole à celles et ceux qui façonnent la boulange. Bienvenue à tous et à toutes dans cette deuxième partie de l'interview de Rémi Elouard, journaliste et consommateur, créateur de Paris Vien et de Céréaliste.fr. Dans la première partie, nous avons évoqué la question de la viennoiserie dans l'offre boulangère et plus précisément du retour de la viennoiserie maison. Nous avons ensuite discuté de l'évolution de la demande des consommateurs depuis le décret Pain de 1993 et donc de la possible perte de terrain de la baquette de tradition en boulangerie artisanale. notamment depuis l'arrivée massive de la concurrence des boulangeries de rond-point. Et justement, nous reprenons cette interview avec la question des franchises et des réseaux d'artisans. Mais avant, je vous rappelle que vous pouvez retrouver la première partie, ainsi que tous les autres épisodes, sur www.e1071.com, ainsi que sur votre plateforme d'écoute habituelle. On parlait de la baguette, on parlait de la concurrence, qui était vue comme... les boulangeries de Rompoint et tout ça, on voit quand même qu'il y a des artisans qui se développent de cette façon-là. On parlait tout à l'heure de Nicolas Beckham qui reprend un peu le même schéma. Il le dit lui-même. Vous parliez de boulangerie des riches et boulangerie des pauvres. Est-ce qu'il n'y a pas cette troisième évolution qui est un peu ce qu'ils appellent néo-boulanger ? C'est un peu les boulangeries de rond-points, mais un peu plus haut de gamme, si on veut dire. Est-ce que ça, c'est une vraie évolution ? se tourner vers la diversification et aller à fond vers la diversification ?
- Speaker #1
Moi, sur la diversification, je pense qu'il faut faire attention aux conséquences. Je le disais tout à l'heure, mais quand on fait très peu de pain, les activités qui sont liées au cœur du métier de la boulangerie représentent une part faible de l'activité, on y attache moins d'importance. Donc ça a forcément des conséquences sur le savoir-faire qu'on y met. Il faut faire attention à ce qu'on fait. Moi, là-dessus, je ne suis pas arrêté. Je pense que pour pas mal d'artisans, ça a été une planche de salut. Moi, je le vois notamment sur le marché parisien que je connais bien. Si aujourd'hui, il n'y avait pas eu cette diversification, il n'y aurait plus de boulangerie dans le quartier. Après, il faut voir ce que c'est devenu. Forcément, il y a écrit boulangerie sur la façade, mais derrière, c'est souvent des entreprises de restauration rapide. Donc je pense qu'il faut faire attention à ce qu'on fait. Après, très clairement, je pense qu'il y a de nouvelles voies à tracer, et Nicolas Bécam, je pense qu'il l'a bien compris, mais il n'est pas le seul, pour développer sans doute des marques, des enseignes qui sont puissantes, avec une offre qui est moderne. Je pense que l'enjeu, c'est d'arriver à placer le curseur entre la diversification et le respect des fondamentaux métiers parce que ça a un impact business aussi. Il faut voir que quand on se diversifie trop, quand on a un modèle trop hybride, trop proche de la restauration, on n'est plus du tout lisible auprès du consommateur et de toute façon on ne fait que perdre en chiffre d'affaires sur des produits tels que le pain qui sont quand même assez rentables donc c'est un peu dommage. Donc là dessus il y a un vrai sujet et je pense qu'il y a un vrai sujet aussi à trouver de nouveaux modèles. qui ne sont pas forcément des modèles nationaux, qui s'inscrivent quand même sur un territoire, que ce soit à l'échelon départemental ou régional, je pense qu'on peut avoir un bon artisan indépendant qui se développe il y a peut-être 15, 20, 25, 26, qui est reconnu sur le plan régional, qui est du coup, il y a une relation affective de la clientèle avec cet artisan, parce que... on connaît un peu l'histoire du bonhomme, on sait un peu qui c'est. Je pense que c'est intéressant et si on est suffisamment habile sur le plan communication, ça peut trouver un prolongement assez intéressant. Mais il ne faut pas rester pour autant à dire qu'on va faire peu de produits, on ne va pas développer d'autres produits tels que la restauration. Aujourd'hui, c'est compliqué. dans certains emplacements, en tout cas dans certaines typologies de commerce, de faire uniquement du pain, de la viennoiserie. Alors ça fonctionne dans certains cas, mais encore une fois, ce n'est pas une solution miracle.
- Speaker #0
Comme on dit, tout dépend du contexte, tout dépend de l'environnement, tout dépend du type de clientèle qu'on a. Ce sont des actifs ou pas ?
- Speaker #1
C'est ça, et ça même, les gens qui se développent en réseau aujourd'hui l'ont bien compris. Ils sont en train de multiplier les formats. Récemment, je visitais l'atelier de Bécam, il nous annonçait qu'il allait lancer un format de 600 m², en plus de son format classique à 300 m², qu'ils allaient lancer un format café. Il y a clairement une diversification des formats qui répond à diverses attentes et à divers positionnements. Donc là-dessus, ils l'ont bien analysé. Moi, ce que je regrette, c'est que les artisans ne soient pas forcément, encore une fois, bien accompagnés pour mener ces réflexions-là. Et eux-mêmes pourraient diversifier leur format par rester centré uniquement sur leur boulangerie traditionnelle. Mais il y en a qui réussissent très bien, des artisans indépendants qui réussissent très bien. en développant d'autres formats, en allant par exemple sur des ronds-points, parce qu'ils ont envie de le faire, parce qu'ils sentent qu'ils ont les moyens de le faire, et qu'ils ont un ancrage local suffisamment fort. On a un exemple dans le Val d'Oise, la famille Rouget, ils avaient une relativement petite boulangerie à Beaumont-sur-Oise, aujourd'hui ils en ont trois, c'est des entreprises, justement ils ont des entreprises en plus dans des ronds-points, c'est une réussite assez phénoménale, parce que ce sont des entreprises qui ont plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires. parce qu'ils ont senti qu'il y avait du potentiel, qu'ils avaient cette ancrage locale, qu'ils étaient reconnus par la clientèle et qu'ils ont su être malins pour avoir un positionnement adapté à leur clientèle. Ce ne sont pas des gens qui ont été dans le premium à tout fin. Ils sont restés bien positionnés sur les produits, ils ont une baguette de tradition à l'euro, ils ont une prestation en boutique qui est vraiment très solide. Je pense qu'il y a des choses à faire, c'est juste qu'encore une fois, il faut y mettre du temps, de la réflexion. C'est des choses que beaucoup d'artisans n'ont pas les moyens aujourd'hui de employer. Ça, je regrette.
- Speaker #0
Donc diversification mesurée, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que le pain devienne une activité à 15% du chiffre d'affaires. Et sinon, on ne met pas boulangerie, mais on met restaurant. C'est à peu près ce que je comprends.
- Speaker #1
Oui c'est ça, et même, de toute façon sans forcément changer le nom sur la façade. Il suffit de rentrer dans la boutique pour le comprendre. C'est-à-dire que le pain, il est invisible. Et ça, ça a un impact très fort dans l'esprit du consommateur. Il va rentrer dans ce point de vente, il va se dire, non, mais c'est plus dangereux. À la limite, c'est un coffee spot. C'est toutes les appellations qu'on peut utiliser pour qualifier ces entreprises de restauration rapide. Mais clairement, dans l'esprit du consommateur, on perd du terrain. Et puis, on a des exemples. Moi, je suis en quartier parisien. On a quand même Eric Kayser qui a été un des premiers à mener cette diversification vers la restauration rapide. Mais il a été suffisamment habile pour faire en sorte que dans ses points de vente, on rentre dedans, on voit encore énormément de pain, on voit la viennoiserie, même si ça représente une part faible de son activité. Il a quand même pu garder le marqueur qu'il a différencié face aux autres acteurs de la restauration rapide. Et ça c'est super précieux. Il ne faut pas le perdre de vue. peut-être que... ces produits qui sont riches d'un savoir-faire, qui sont attachés à notre identité culturelle française, le pain, la viennoiserie, il faut que ça reste des marqueurs omniprésents dans les points de vente. Sinon, on devient juste un restaurant comme les autres.
- Speaker #0
Et comme vous dites, les enseignes commencent à développer d'autres formats en parallèle. Vous parliez de Nicolas B2cam qui pensait lancer un café. Vous avez Fayette qui a lancé Fayette Café. Vous avez Mamat qui a lancé Mamat Café. Vous avez quand même... Tout le monde a compris...
- Speaker #1
Ils ont compris deux choses. Ils ont compris qu'ils avaient besoin d'exister aussi dans les centres vides. Ils ont compris que leur partenaire francisé avait envie d'avoir des formats qui soient plus faciles à déployer. Donc en fait ça rejoint énormément de problématiques auxquelles ils sont confrontés. Parce qu'il ne faut pas voir que le développement de ces réseaux est tout rose, ce n'est pas quelque chose de simple et ça sera encore moins demain. Les 20 premières années qu'ils ont connues étaient quand même relativement simples parce qu'il y avait assez peu d'acteurs. Aujourd'hui il y a beaucoup de monde qui veut monter à bord, je suis pas sûr qu'il reste tout le monde à la fin. Aujourd'hui c'est en train de se complexifier et qu'il faut voir que derrière eux, eux ils ont une fille problématique qu'on ne connaît pas en boulangerie indépendante, c'est qu'ils doivent gérer des franchisés. Ça, c'est quand même pas une mince affaire. Gérer un réseau de franchisés avec des gens qui ne sont pas forcément du métier, qui ont une vision très axée business, on peut comprendre. Aujourd'hui, il faut arriver à les fidéliser, il faut arriver à les emmener dans la direction dans laquelle on a envie de les emmener. Et puis, il faut arriver à trouver des gens qualitatifs pour faire le job au quotidien. Et ça, c'est un peu le casse-tête de tous ces réseaux-là.
- Speaker #0
Franchiseur est un métier à part entière, ça c'est sûr.
- Speaker #1
C'est un métier à part entière et c'est un métier d'autant plus dans la boulangerie. Si on fabrique, tel que c'est le cas pour tous ces réseaux, c'est extrêmement compliqué. Parce qu'il faut avoir des gens qui comprennent un minimum le produit, qui comprennent un minimum l'humain. Il y a quand même des facteurs de complexité qui sont vraiment poussés à l'extrême dans des concepts un peu premium, justement, tels que feuillettes ou des câbles. Là, ils mettent quand même des couches de complexité supplémentaires. Donc, pour eux, il faut voir que le modèle café, c'est à la fois un moyen d'être plus proche des consommateurs, de diversifier les formats, mais aussi de simplifier l'exploitation pour une partie des franchisés. Quand on fait, comme son nom l'indique, quand on fait de la boisson chaude, du café, on fait un petit peu de snacking, on met de la viennoiserie, c'est facile à fabriquer parce que ce n'est pas fabriqué sur place. Voilà, c'est beaucoup plus simple à exploiter. Et ça, c'est un enjeu qui est assez majeur pour eux de simplifier dans certains cas. Pour eux, nous, on le voit assez mal dans la filière artisanale, mais ils ont des enjeux qui sont bien différents. de l'artisan indépendant. Donc, il y a des raisons profondes qui les poussent à aller sur ce terrain-là.
- Speaker #0
Sans compter que la première crainte pour un boulanger qui veut faire des multiboutiques sans être dans chaque fournil, c'est de sortir la même qualité dans tous les points de vente. Et c'est pour ça que certains n'y pensent même pas à se développer plus que 3 ou 4 boutiques. Parce qu'ils veulent que leurs produits ce soit leurs produits avec leur qualité. Et ils conçoivent mal ... qu'à Rennes, à Paris ou à Lyon, ce soit la même qualité.
- Speaker #1
Oui, mais oui, après c'est juste qu'il faut accepter que quand on commence à se développer, on ne fait plus exactement le même métier.
- Speaker #0
Non, c'est vrai.
- Speaker #1
Il faut porter de rationaliser les process. Donc forcément, la qualité de produit n'est plus tout à fait la même. Ça s'entend, je veux dire, c'est pas quelque chose, il ne faut pas considérer que c'est le mal absolu. C'est juste qu'il y a une évolution, on devient chef d'entreprise, on doit gérer un environnement qui est complexe avec de l'humain, avec des difficultés de recrutement qui sont parfois très marquées dans certaines régions. Donc on s'adapte après, effectivement, la qualité de produit peut ressentir. Je pense qu'il faut juste arriver à placer le curseur. Après, oui, il y en a qui n'y arrivent jamais parce qu'ils sont prêts à tester le produit et effectivement, du coup, il reste à... Mais ce n'est pas quelque chose de mal de ne pas se développer aussi. Il y a des gens qui ont une boutique toute leur vie et qui sont très heureux comme ça parce qu'ils ont une boutique qui est rentable. Il n'y a pas une approche qui est meilleure que l'autre. Aujourd'hui, on valorise énormément les gens qui se développent et qui deviennent des entrepreneurs. Moi, je connais des artisans qui sont très contents. Ils sont restés dans leur coin, ils ont une seule boutique et ils font ça très bien parce qu'ils sont attachés à ça et ils ont une vie qui est confortable. Il faut voir que quand même, aller chercher le développement, c'est quand même un petit problème potentiel. Il n'y a pas une vérité. Aujourd'hui, on essaie de nous faire croire qu'il y aurait effectivement des gens qui réussiraient mieux. Il faut voir au moins ce qui compte. C'est la ligne qui est en bas du bilan. Le compte de résultat, c'est de voir s'il y en a plus ou moins sur la dernière ligne. Ça fait quand même beaucoup de choses.
- Speaker #0
L'essentiel, c'est de faire vivre les gens. Après, c'est du plus. Vous pour vous, vous m'aviez dit qu'il y a un seuil un peu dans le multi boutique, c'est soit on a 3-4 boutiques en multi boutique, soit on en a 10-15, sinon on s'use pour rien.
- Speaker #1
Oui, parce qu'en fait, quand on est assez petit, on n'a pas les moyens de structurer suffisamment, on n'a pas le moyen d'avoir des équipes. et ça fait que forcément, le... le chef d'entreprise est extrêmement sollicité parce qu'il n'a pas les moyens de passer un cap qui est nécessaire à certains moments, que ce soit en termes d'investissement, d'équipement ou même de responsabilisation des équipes. Ils n'ont pas les moyens d'avoir des personnes forcément très qualifiées pour exercer des fonctions opérationnelles. Donc oui, clairement, pour moi, le pire, c'est effectivement celui qui a... qui est dans l'entre-deux, qui commence à dépasser effectivement 3-4 boutiques où là il ne peut plus être dans chacune des boutiques du jour. Quand il y en a 7-8, c'est trop et c'est pas assez. Donc il y a des choix à faire. C'est soit effectivement on passe un cap, mais il faut qu'encore une fois, ce soit pensé très en amont, il faut qu'on ait des personnes qui soient prêtes à le faire, qui comprennent bien les enjeux, sinon ça ne marche pas en fait. Et ce n'est pas accessible à tout le monde, ce n'est pas quelque chose qu'il ne faut pas considérer que c'est une voie pour tout le monde. C'est vraiment, chaque individu est différent, et ça dépend du projet de vie de chaque artisan. Moi, là-dessus, il n'y a pas de réponse toute faite. Mais clairement, je pense qu'il faut faire attention et ne pas se sucer pour une velléité de développement qui ne répond pas à grand-chose en définitive. Pourquoi se développer ? Pour se développer, si c'est pour sucer, c'est pour se sucer. Et j'en vois, franchement, j'en vois. Moi, j'ai parfois de la peine de voir des gens qui ont aujourd'hui 5, 6 boutiques et qui... qui ne sont pas bien. Et ça ne sert à rien. C'est terrible. Parce qu'encore une fois, ils sont au service d'un environnement et d'un système dans lesquels ils sont juste embrayés.
- Speaker #0
Mais moi, j'ai remarqué, c'est quand les gens ont deux, trois, quatre boutiques et qu'ils ont du mal à en vendre une ou deux. C'est impressionnant.
- Speaker #1
Oui, ils sont attachés à ce qu'ils ont. Oui. Ils ne comprennent pas qu'il y a un moment où il faut l'accès et que si ça ne marche pas, ça ne marche pas. Parce que le risque, c'est que si ça ne marche pas bien, ça finisse par s'effondrer en totalité. Et là, ça devient très problématique parce qu'il y a tout ce qui passe. Et ce n'est pas uniquement l'entreprise qui passe, c'est personnel. Ça peut aller très très vite et il faut faire très attention aux premiers signes. Et là-dessus, je pense qu'il n'y a pas suffisamment de sensibilisation et on a tendance à concilier un peu. les êtres humains dans cette filière sont des machines. Alors que ce n'est pas des machines, c'est des êtres humains, et ils ont leurs failles, ils ont leurs problèmes, et ces problèmes peuvent devenir assez fous et complètement effondrer une structure qui est assez fragile. Donc ça, il peut être un bâtiment.
- Speaker #0
Et ce qui est impressionnant, c'est qu'on ne met jamais les artisans dans la catégorie des dirigeants. C'est impressionnant, alors que ce sont des dirigeants comme les autres. Oui,
- Speaker #1
oui, c'est ça. Oui, mais là-dessus, je pense qu'il y a une vraie évolution. culturelle et je pense qu'on est on est tous impliqués de faire évoluer cette vision là de l'artisan que ce soit le grand public la presse professionnelle les fournisseurs il ya une vraie effectivement vision de l'artisan qui doit changer parce que c'est en train de se faire malgré tout on l'a bien vu aujourd'hui, on a prs conscience que l'artisan ne devait plus être uniquement... un fabricant qui devait être aussi un gestionnaire, qui devait comprendre aussi comment fonctionnait le management, etc. On mesure un peu mieux la complexité du métier d'artisan, mais c'est encore très embrayonnaire malheureusement. Alors que l'évolution, il faut la mener aujourd'hui parce qu'on est dans un environnement qui est de plus en plus complexe. On a des difficultés réglementaires, on a des chances qui sont très élevées. Donc ça nécessite qu'il y ait un changement de vision. Mais moi ce que je crains c'est que ces évolutions soient trop lentes vis-à-vis des enjeux en fait. Parce que ces enjeux ils nous percutent aujourd'hui. Si demain on n'est pas capable de faire évoluer les artisans et la vision qu'on en a, ça fait qu'on restera en décalage et on ne va pas évoluer assez vite. Moi j'entends des discours que j'ai entendus assez techniques et régulières. On me dit que c'est un métier de tradition, qu'il faut prendre le temps, etc. Les choses ne changent pas aussi rapidement que ça. Aujourd'hui, on n'a pas d'autre choix que de changer rapidement. On vit dans un monde très éteigné, très rapide, pas habile, pas disparaître.
- Speaker #0
C'est encore un argument en faveur de la concurrence. Malgré tout, quoi qu'on en dise, les boulangeries de rond-points, enfin les grands groupes qui ont été créés quasiment par des financiers genre Boulangerie Ange, Louise et tout ça, ils font bouger les choses. Et on voit bien qu'en parallèle de ces gens-là, il y a des gens comme Jean-François Feuillette, comme Nicolas Becam, comme Sophie Lebreuilly, qui ont développé et qui ont poussé un peu le métier. Oui,
- Speaker #1
mais beaucoup. Oui, ça remet en question. Et puis aujourd'hui, on a des gens qui... De toute façon, la seconde phase, historiquement, ils étaient tous très positionnés sur le prix. des acteurs très financiers. Là, aujourd'hui, on a des gens qui commencent à développer des positionnements plus différenciants, plus clairs. C'est très positif, mais il ne faut pas que ça crée de l'uniformité. Il faut quand même maintenir la diversité de la société.
- Speaker #0
Moi, c'est le danger que je voyais. Le flou que ça mettait sur ce qui était une baguette, et aussi, si on n'a que des anges Louise et Blachère, on va voir que la même baguette partout. Et on n'aura plus de temps le pain, on n'aura plus de croissant.
- Speaker #1
C'est ce qu'il faut à tout prix éviter. Et j'irai plus loin. Même si demain, on a justement cette montée en puissance des gens qui sont structurés, qui ont des... qui ont des réseaux, des mini-réseaux, on les appelle comme on veut, mais il faut que chacun d'entre eux ait un positionnement très clair et singulier, il faut qu'ils soient accompagnés justement très en amont pour développer vraiment leur identité, leur ADN, et que ce ne soit pas juste un copycat d'un feuillette, d'un Marie Blachère, d'un Ange. On l'a trop vu, il y a un effet un peu mimétisme, on ne fait pas toujours l'effort de... de réfléchir à son identité, à son positionnement et on a tendance à reproduire ce que fait le voisin, ce qui est un peu dommage. Je pense que chacun peut très bien avoir son créneau, son positionnement mais il faut être très exigeant sur cet impératif de diversité. Et là-dessus, je pense que c'est en train de bouger, il y a quand même une prise de conscience mais encore une fois, est-ce qu'il y a des solutions pour rappeler ?
- Speaker #0
L'avenir nous le dira. Oui,
- Speaker #1
l'avenir, c'est nous qui le faisons aussi. Donc, on doit tous être engagés pour faire en sorte que ça se produise. Donc, j'essaie de le prendre sous cet angle-là. Je ne peux pas me dire juste, ah oui, ça va se faire. Non, je veux dire, je suis un observateur et même un peu de temps. C'est quand même une responsabilité pour moi que ça évolue dans ce sens-là et que ça évolue dans le sens de... de préserver la filière et de la faire progresser, de faire progresser l'adéquation entre son offre et ce qu'attend le public. Donc il y a un vrai travail et là-dessus on doit tous être engagés, qu'on soit de simples observateurs ou qu'on ait les mains dedans.
- Speaker #0
Oui, mais comme l'avenir est une œuvre collective, on peut quand même dire l'avenir nous le dira.
- Speaker #1
Complètement.
- Speaker #0
Juste un dernier point, parce que je trouve ça intéressant, votre regard sur les labels. Parce que là, on a parlé justement de tradition, on a parlé de tout ça. Votre position, elle est quand même claire. C'est un peu comme on disait par rapport aux enseignes. Les enseignes, il faut qu'on sache qui est derrière. Là, les labels, c'est en fait pas vraiment la demande des clients. Pour vous, c'est pas...
- Speaker #1
Non, mais je pense que les clients aujourd'hui, ce qu'ils attendent quand ils vont dans un artisan indépendant, ils vont parce qu'ils ont confiance en l'artisan. C'est-à-dire que le premier label, c'est le nom de l'artisan, c'est la confiance en lui. On a utilisé les labels pour recréer de la confiance là où elle s'était étiolée. Et ça, c'est notamment le cas en grande distribution ou en industrie. parce que forcément il n'y a pas d'humain pour défendre le produit, il n'y a pas cette relation forte qui peut exister en artisanat. Nous dans la filière boulangerie, c'est sûr que les labels ont énormément de place, et puis on le voit bien, on a quand même des labels qui ont essayé de devenir des barres consommateurs, au CRC, c'est très compliqué. Aujourd'hui il y a deux grands labels qui existent, le bio et le label rouge. Au-delà de ça, c'est très compliqué de les faire exister et ça sera encore plus compliqué de les faire exister demain parce qu'un label, ça veut dire un cahier des charges et un cahier des charges avec les enjeux du changement climatique. Est-ce qu'on arrivera suffisamment à faire évoluer ces cahiers des charges, à les faire évoluer suffisamment rapidement face aux problématiques qui sont à nos portes ? On le voit notamment avec... avec l'année 2024 où les récoltes sont très mauvaises à cause du surplus d'eau, je sais que ça pose des problèmes pour certains de ces labels. En termes de volume, ils auront du mal à répondre à la demande. Donc la question de la pérennité des labels dans la boulangerie, elle se pose à divers niveaux. ça sera compliqué de les faire vivre demain. Moi, si demain j'étais installé, je serais sans doute client de ces labels, parce que c'est ma conviction, parce que j'ai envie de proposer à mes clients un produit le plus qualitatif possible, et je n'en ferais pas la publicité. Parce que ce label, potentiellement, je le partagerais avec des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs que moi, et qui n'auraient pas le même niveau de qualité que celui que je serais en capacité de proposer à mes clients. Et ça, c'est quelque chose que je ne voudrais surtout pas faire. je mettrais un label rouge sur une baguette et je me dirais mais peut-être que mon voisin il est label rouge aussi mais il n'a pas du tout le même produit que moi le consommateur il se dira bah les deux baguettes sont label rouge donc c'est un peu les mêmes quoi sauf que non pas du tout donc là dessus ouais ouais de toute façon c'est l'artisan qui fait le produit la matière première elle a un impact bien sûr mais il faut pas négliger le fait que c'est la transformation finale qui a un impact gros impact sur la qualité du produit fini et ça ne n'autorise aucun label vraiment en artisanat c'est très compliqué de les faire vivre on voit des gens qui ont essayé c'est quand même compliqué ils ont du mal oui c'est un label ça veut uniformiser un produit qui n'est pas uniformisable en gros c'est ça oui c'est des questions j'ai eu des réflexions des bacs j'ai pu avoir des gens qui me disent non, le label n'est pas là pour uniformiser, il a pour sensualiser une démarche de qualité, etc. Pour ne pas les citer, les gens de chez Bagatelle qui défendent la tradition label rouge, eux ils ont la logique de dire non, nous on n'uniformise pas, mais on va mettre en place des critères de qualité objectifs, on est une démarche qualité, etc. Oui, mais bon, au final il y a un cahier des sages, et effectivement le cahier des sages, et qui ne participent pas à la crée de l'uniformité. parce que oui, il impose 5 coups de lame, il impose un pécrissage en première vitesse, il impose l'emploi du levain naturel. Oui, forcément, il y a des facteurs d'uniformité qui sont indéniables. Après, si j'avais un label qualité entre les mains, pour moi, clairement, ça ne serait pas une marque consommateur, parce qu'en boulangerie artisanale, c'est beaucoup trop glissant. par expérience pour l'avoir vu moi-même, il y a des gens qui étaient montés à bord de ces labels et qui n'étaient clairement pas au niveau. Et donc là, ça dessert tout le monde. Donc au-delà de l'aspect uniformité, que oui, c'est un risque, pour moi, ce n'est pas le risque le plus grand, c'est juste qu'il y ait des passagers clandestins qui veulent bénéficier de l'attrait du label et qui ne font pas le job derrière. Et au final, tout le monde en pâtit. C'est ça, pour moi, le risque le plus fort. quand on est sur un produit artisanal quelque part.
- Speaker #0
Et c'est vrai, je n'ai pas fait l'expérience, mais poser la question à chaque personne qui rentre dans une boutique avec un label, je ne suis pas sûr que ce soit le label qu'ils viennent chercher.
- Speaker #1
Non, clairement, de toute façon, non. Il y a des gens qui prétendent le contraire. Encore une fois, les défenseurs de ces labels, ils vont vous dire que ça va développer votre notoriété. Je pense que c'est assez anecdotique. Encore une fois, c'est... C'est la capacité de l'artisan à créer de la confiance et à prouver qu'il est engagé, qu'il fait la différence, ce n'est pas de la même.
- Speaker #0
Oui, parce que même dans les boulangeries qui travaillent exclusivement bio, ce n'est plus vraiment mis, c'est mis sur les petites étiquettes parce que les artisans doivent le mettre. Mais ce n'est pas en grand, ce n'est pas marqué boulangerie bio.
- Speaker #1
Une météo en grande, c'est des gens qui étaient forcément dévancés par la chose. C'était un peu, encore une fois, des passagers clandestins, ils ont le purité tendance. Donc ils y ont été, ils se sont dit « Ah, c'est bien, ça va développer mon activité » . Oui, non, c'est les premiers qui ont disparu quand le bio a connu un trou d'air. Donc aujourd'hui, effectivement, les gens qui restent, c'est des gens, encore une fois, qui sont convaincus du fait que le bio est une démarche d'avenir. Il y a plein de raisons pour la santé des sols, pour la santé humaine, ça rejoint pas mal d'enjeux. Donc ils le font, ils le font sans effectivement faire du prosélytisme, sans l'afficher partout. Ils le font juste parce que pour eux c'est normal et c'est très bien de le faire comme ça.
- Speaker #0
Il n'y a rien de pire que de faire quelque chose juste pour de la communication. Je trouve ça un peu triste. Ils font les choses sainement de leur côté. Ils disent, moi, ça fait partie de mes fondamentaux, c'est mes convictions. Je les mets au cœur de mon projet, mais ils n'en font pas non plus des tonnes. Et puis, il faut voir que ça n'a pas toujours été comme ça, le label. Moi, je témoignais d'un boulanger, Franck Desperlé à Nantes. Lui, il a toujours voulu faire du pain bio. Un des trucs qu'il m'a dit, c'est qu'à l'époque, quand il s'est installé, il fallait surtout pas dire que le pain était bio. C'était plutôt un repoussoir qu'autre chose. Donc voilà, je pense qu'il ne faut pas trop en faire. Il y a des gens qui sont sensibles au fait qu'un produit soit bio. Ces gens-là savent, de toute façon, ils vont dans une boulangerie où la farine est bio, etc. Donc tant mieux. Mais pour la plupart des gens, ce n'est pas un enjeu. Il ne faut pas trop en faire. Encore une fois, ce qui compte, c'est la relation concrète avec le client, la qualité du service, la qualité de la prestation globale, la qualité du produit. Parce que dire un label, même si le produit est génial, même si on a une démarche en amont sur l'approvisionnement, si le produit n'est pas bon ou s'il n'est pas régulier, on a tout raté. Moi, je le vois encore plus aujourd'hui. On a eu, au-delà des labels, on a eu un peu cette tendance des paysans boulangers, etc. Oui, super, la démarche derrière, elle est géniale, on raconte une belle histoire, etc. Sauf que derrière, il y a une promesse qui se crée. Et si on n'est pas au rendez-vous de la promesse, c'est quand même extrêmement déceptif. On se rend compte des jolies choses. Puis le produit qu'on met sur la table, on se dit, ouais, tout ça pour ça, quoi. Donc ça peut être parfois très déceptif parce que du coup... on a payé un produit potentiellement plus cher, on a raconté plus de choses, et si on n'est pas au rendez-vous, c'est un peu double peine.
- Speaker #1
Transformer ses convictions en marketing, c'est quand même très dangereux.
- Speaker #0
Oui, c'est très dangereux, et c'est effectivement assez glissant. Donc non, il faut faire attention. Mais là, je pense que maintenant, c'est rentrer quand même globalement dans l'esprit des boulangers, notamment des nouvelles générations, qui comprennent l'intérêt d'avoir des matières premières qualitatives, mais qui ne font pas trop en faire. ont bien compris que c'est leur savoir-faire qui a fait la différence. Et je pense que c'est en train d'évoluer de façon assez saine, sans qu'on ait forcément besoin de ça de façon assez naturelle. Et ça, je pense que c'est assez positif.
- Speaker #1
Très bien. Merci en tout cas pour ce long entretien. On en sait beaucoup plus sur les boulangeries de rond-point et sur le fait que ce soit une concurrence, mais une concurrence saine. Que la confiance en l'artisan, c'est quand même ce que recherche en premier le client, le consommateur. L'artisanat, c'est la confiance. On peut résumer ça comme ça.
- Speaker #0
Aujourd'hui, de toute façon, il faut continuer à la préserver et à faire ce qu'il faut pour qu'elle existe et qu'on la préserve et qu'on la transmette. Parce qu'aujourd'hui, on a un enjeu, c'est en sorte que cette confiance en l'artisanat, elle se transmette aux nouvelles générations. et qu'on arrive tous à faire vivre la cibière.
- Speaker #1
En espérant qu'on n'arrive pas à deux boulangeries, une boulangerie des riches et une boulangerie de pauvres, et qu'on verra si la baguette reste un produit d'artisan. Tout à fait. En tout cas, merci Rémi pour le temps que vous nous avez accordé.
- Speaker #2
Merci. Et puis pour tous ceux qui veulent... Pour en savoir plus sur l'exemple de Nicolas Beckham sur son métier de franchiseur, le podcast est à retrouver sur www.e1071.com. Merci beaucoup. À bientôt. Merci. Au revoir.