- François Bernard
S'autodéterminer, c'est être l'auteur de celle-ci.
- Martin Caouette
Je suis Martin Caouette, professeur et titulaire de la chaire Autodétermination et handicap de l'Université du Québec à Trois-Rivières et directeur scientifique du programme sur l'autodétermination du Centre de formation Campus en France.
- François Bernard
Je suis François Bernard, directeur général du GAPAS. Ensemble, agissons pour l'autodétermination des personnes en situation de handicap, mais pas que. Martin, aujourd'hui, je te propose qu'on puisse démarrer ce premier numéro d'Autodétermination et Handicap par la définition de ce qu'est l'autodétermination. Est-ce que tu peux nous dire ce qu'est l'autodétermination ?
- Martin Caouette
Quand on parle d'autodétermination, en fait, on parle d'une disposition chez une personne à agir libre d'influence externe indue. Donc, concrètement, ce que ça veut dire, en fait, c'est avoir la possibilité d'exercer du pouvoir et du contrôle sur des dimensions qu'on juge importantes de sa vie. donc Quand on fait des choix, quand on prend des décisions, quand on exerce du contrôle, qu'on fait valoir ses droits, on est en train d'exercer son autodétermination. Quand on parle en fait d'agir libre d'influence externe indu, ça ne veut pas dire qu'on se soustrait à toute forme d'influence. L'influence, au contraire, elle est positive dans notre vie. On est influencé par nos proches, on est influencé par les médias de différentes façons. mais c'est d'avoir la capacité à conserver son libre arbitre. par rapport à ces influences-là. Donc, d'avoir la possibilité finalement de, malgré tout, choisir sans se sentir obligé d'aller dans une direction ou une autre. Et quand on parle d'exercer du pouvoir et du contrôle, bien évidemment, ça va être sur des dimensions qui sont importantes de sa vie. Donc, évidemment, on a tous des dimensions pour lesquelles, par exemple, on ne laisserait personne prendre des décisions à notre place. L'endroit où on vit, la façon dont on occupe nos... notre temps. Les relations également qu'on peut nouer, c'est des domaines de vie sur lesquels on cherche tous à exercer du pouvoir et du contrôle.
- François Bernard
Donc ça, c'est la définition globale. Concrètement, une mise en œuvre de cette définition, comment elle peut se mettre en œuvre concrètement pour les professionnels de terrain ou pour des familles ou pour les personnels même d'ailleurs ?
- Martin Caouette
Oui, tout à fait. En fait, à chaque fois qu'on offre l'opportunité à une personne de pouvoir exprimer des préférences, par exemple, par rapport à ce qu'on va lui proposer, on est en train de la solliciter sur le plan de son autodétermination. Donc, quand on pense par exemple à des décisions comme le choix des vacances, le choix par exemple d'une activité de loisir qu'on veut pratiquer, on est en train vraiment de toucher cette possibilité-là pour une personne de s'autodéterminer. En même temps, ça peut aussi être dans des gestes tout simples du quotidien. Exprimer une préférence alimentaire, avoir la possibilité de donner son avis en fait sur ce qu'on a envie de prendre au goûter, on est en train de toucher encore une fois L'autodétermination. On va aussi penser à des décisions qui peuvent être plus importantes. Par exemple, une orientation professionnelle, le choix d'une activité de travail qu'on souhaite faire ou encore le type de milieu de vie, le type de milieu résidentiel, le lieu où on veut vivre. Ça va être des exemples où on est en train d'exercer son autodétermination. C'est aussi intéressant de le voir à travers, par exemple, des activités de défense de droits, donc d'être capable de faire la promotion de ses droits, être capable de faire valoir ses droits dans un domaine d'activité, par exemple les droits du travailleur ou être capable, par exemple, d'exercer son droit de vote. Encore une fois, on est en train de toucher cette dimension-là de l'autodétermination.
- François Bernard
Tu as parlé d'influence indue. Qu'est-ce que ça veut dire exactement l'influence indue auprès de la personne ?
- Martin Caouette
Quand on est dans l'influence indu, c'est-à-dire que l'influence est tellement forte, l'influence qui est exercée sur la personne est tellement forte que la personne ne se sent plus légitime d'aller dans une direction qui n'est pas celle finalement vers laquelle elle se sent forcée à aller. Donc, imaginons par exemple dans une situation où j'ai une pression telle qui est mise que je ne me sens pas capable de dire oui, de dire non. Je me sens obligé à aller dans une direction. Dans le cadre, par exemple, des interventions, quand la personne, finalement, plutôt que de donner son avis, donner son opinion, va chercher à donner la réponse qu'elle croit qu'on veut entendre d'elle, c'est un exemple, en fait, de cette influence externe induite. L'influence, elle est tellement forte. Donc, concrètement, par exemple, dans des interventions qui peuvent avoir une certaine insistance auprès de la personne, parfois, elle va se retrouver dans cette espèce de dilemme-là. ou plutôt que de chercher à donner son avis, elle cherche à donner la réponse attendue.
- François Bernard
Ça, ça vaut pour tout le monde. Par exemple, quand on dit, je pense que ça, ça serait bien pour toi que tu fasses ça, ou que tu fasses, par exemple, telles études, ou que tu ailles plutôt à tel ou tel endroit, ou tu ailles vivre en appartement ou en maison.
- Martin Caouette
Oui, tout à fait. En fait, l'autodétermination, ça concerne tout le monde. On cherche... tous à s'autodéterminer à différents temps de la vie, de différentes façons, en fonction des possibilités qui sont les nôtres. Et quand il est question de cette influence indue-là, on peut tous être soumis à différentes formes d'influence, mais on peut tous avoir aussi une capacité différente à s'en soustraire. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui vont être capables davantage de faire des choix en fonction d'eux-mêmes, d'autres vont avoir plus de difficultés, vont sentir des pressions plus fortes ou vont avoir plus de difficultés à résister à ces pressions-là. Donc, c'est de là l'importance aussi de considérer l'autodétermination des personnes en situation de handicap parce que quand on compare différents groupes de la population, on se rend compte que les personnes, notamment celles qui ont une déficience intellectuelle, vont avoir un niveau d'autodétermination qui va être un peu plus faible, notamment justement par cette espèce de défi que ça peut représenter pour eux d'exprimer leur préférence, de faire des choix, de faire valoir leurs droits. Donc, ça va poser un défi qui est plus particulier pour les personnes qui ont une déficience intellectuelle. Hum.
- François Bernard
C'est quoi ces défis, notamment ?
- Martin Caouette
En fait, le défi, c'est justement d'être capable, finalement, d'avoir accès à des occasions d'autodétermination, donc d'avoir la possibilité réelle de s'autodéterminer. Si une personne est capable de faire valoir ses droits, d'exprimer ses préférences, mais qu'il n'y a personne pour en tenir compte ou qu'on ne la sollicite pas sur ce plan-là, donc s'il n'y a pas l'occasion de s'autodéterminer qui existe, ça devient, en quelque sorte, très difficile pour elle de faire valoir ses préférences. Il y a des défis aussi sur le plan de la communication. Donc, Donc, pour les personnes qui ont notamment une déficience intellectuelle, ça peut être plus exigeant pour elles de communiquer. Donc, quand on pense par exemple à des personnes non-verbales et qui sont plus limitées sur le plan de la communication, s'autodéterminer peut être plus difficile également. Et il y a parfois aussi cette tendance-là qu'on appelle à soit l'infantilisation, c'est-à-dire de considérer que des adultes, par exemple, qui vont être en situation de handicap, d'avoir une attitude envers elle, une attitude qui est plutôt enfantine, où on va... pas les considérer comme des adultes à part entière, bien évidemment, ça va poser un défi important aussi.
- François Bernard
Tu as parlé des droits. Est-ce que ça veut dire que l'autodétermination, c'est un droit ?
- Martin Caouette
L'autodétermination, en fait, effectivement, on peut le voir comme un droit. Puis d'ailleurs, historiquement, la façon dont l'autodétermination a émergé, c'est beaucoup par le biais du droit à l'autodétermination. Le premier texte, en fait, qui a lié l'autodétermination au handicap, c'était justement par le biais du droit. C'est un texte, en fait, d'un Scandinave, Nerié, « The right to self-determination » , donc le droit à l'autodétermination, où au final, ce qu'il cherchait à faire par ce texte-là, ... c'est à faire reconnaître que les personnes en situation de handicap ont les mêmes droits que la population générale. Donc, évidemment, on est à la fin des années 60, à ce moment-là, début des années 70. Ça peut sembler à l'étroit, mais c'était quand même à ce moment-là une révolution dans la mesure où plusieurs personnes en situation de handicap se retrouvaient mises à part du reste de la société. Donc, ça a amené tout un grand courant de reconnaissance des droits. puis d'accès aux mêmes conditions de vie, donc une normalisation des conditions de vie des personnes pour leur permettre d'accéder aux mêmes opportunités que le reste de la population.
- François Bernard
L'autodétermination, c'est un nouveau concept qui est apparu récemment ou pas ?
- Martin Caouette
L'autodétermination, en fait, c'est un concept qui est là de façon importante depuis les années 60, début des années 70 finalement, où il y a eu… place de plus en plus importante qui a été accordée au concept d'autodétermination dans les années 90 notamment, par différents auteurs, donc différents auteurs qui provenaient de disciplines comme l'éducation, notamment aux États-Unis, donc toute l'équipe entre autres du professeur Michael One-Meyer qui a développé plusieurs outils autour de l'autodétermination. Et en même temps, il y a aussi tout le courant de la psychologie à travers les travaux de C. Ryan. qui nous ont amené à comprendre aussi comment l'autodétermination était liée intrinsèquement à la motivation d'une personne. Donc, agir à partir d'une motivation qui est autodéterminée versus le fait d'agir parce qu'on se sent contraint à prendre une décision ou à aller dans une direction. Ça a été deux grands champs, l'éducation et la psychologie, qui ont permis une émergence plus importante du concept d'autodétermination pour les personnes en situation de handicap.
- François Bernard
Je te propose qu'on termine ce numéro-là sur le mot de la motivation. Est-ce que ça veut dire que quand on travaille à l'autodétermination, la personne a plus de motivation ?
- Martin Caouette
En fait, ça va nous amener à qualifier la motivation plutôt qu'à chercher à la quantifier. Donc, en fait, on peut être très motivé quand on a une contrainte extérieure. En termes de quantité, on pourrait être très motivé parce qu'on se sent obligé d'aller dans une direction. Mais ce qui va nous intéresser, en fait, c'est avoir une motivation qui qualitativement va être intéressante. C'est-à-dire une motivation qui parle de la... qui part de la personne elle-même, parce que quand on a une motivation qu'on va qualifier d'autonome, on va avoir tendance davantage à persévérer, parce que ça part d'un champ d'intérêt qui nous est propre, ça part d'une passion, d'un intérêt, d'une motivation. Donc, on va valoriser le développement de cette motivation-là qui va être autonome. Donc, ce n'est pas tant un enjeu de quantité, mais un enjeu de persévérance, d'en arriver à développer une motivation qui va être plus intrinsèque, qui va partir de ses préférences et de ses intérêts.
- François Bernard
Merci Martin pour ce premier épisode et puis on se retrouve sur un prochain épisode sur autodétermination et handicap.
- Martin Caouette
Merci.
- François Bernard
Si vous voulez en savoir plus du côté de la France, contactez Campus Formation à l'adresse mail suivante contact@campusformation.org Toute équipe se fera un plaisir de vous monter un programme de formation, d'accompagnement ou de conseil sur mesure.
- Martin Caouette
Pour le Québec, découvrez les travaux de recherche en cours de la chaire Autodétermination et handicap au www.uqtr.ca.cah.
- François Bernard
Au plaisir, Martin.
- Martin Caouette
Au plaisir, François.