- Speaker #0
S'autodéterminer, c'est être l'auteur de ses vies. Je suis Martin Caouette, professeur et titulaire de la chaire Autodétermination et handicap de l'Université du Québec à Trois-Rivières et directeur scientifique du programme sur l'autodétermination du Centre de formation Campus en France.
- Speaker #1
Je suis François Bernard. directeur général du GAPAS. Ensemble, agissons pour l'autodétermination des personnes en situation de handicap. Mais pas que. Pour ce nouvel épisode de Agir pour l'autodétermination, on va maintenant évoquer la question de la déficience intellectuelle et de l'autodétermination, Martin.
- Speaker #0
Oui, bien c'est intéressant de regarder l'autodétermination et la déficience intellectuelle. D'abord pour se dire qu'historiquement, en fait, dans le champ de l'éducation, on a beaucoup abordé la question de l'autodétermination spécifiquement pour les personnes qui ont une déficience intellectuelle. Donc entre autres aux États-Unis, dans les années 90, ailleurs également dans le monde, il y a... plusieurs programmes d'intervention qui ont été développés qui visaient à développer chez les élèves, les adolescents qui ont une déficience intellectuelle, des capacités à s'autodéterminer. Et quand on regarde en fait les défis que ça pose, l'autodétermination pour les personnes qui ont une déficience intellectuelle, il y a tout le volet dont on a parlé dans un autre épisode, le volet de l'empowerment, donc de développer une perception, un pouvoir d'agir qui pose vraiment un défi particulier. pour les personnes qui ont une déficience intellectuelle.
- Speaker #1
Alors, comment ça se caractérise, cet enjeu-là du pouvoir d'agir ?
- Speaker #0
Il y a parfois, en fait, certaines attitudes à l'endroit des personnes qui ont une déficience intellectuelle, notamment des attitudes d'infantilisation. Donc, on va considérer que même si la personne est adulte, elle a un mode de fonctionnement ou des comportements qui sont plus des comportements associés à un enfant. Parfois, d'ailleurs, on va entendre des expressions comme le fait que la personne, elle a un... Un mode de fonctionnement d'un enfant de 3 ans alors qu'elle est adulte et tout ça, tout ça, ça peut donner l'impression en fait que la personne, elle est un éternel enfant. Donc évidemment, quand va venir le temps de donner des occasions d'autodétermination, si le regard que je pose sur cet adulte-là qui a une déficience intellectuelle, c'est un regard comme s'il était toujours un enfant, bien ça vient bien sûr limiter beaucoup ces différentes possibilités-là.
- Speaker #1
Comment ça se caractérise alors au quotidien pour un professionnel qui souhaiterait à la fois pour des enfants et des adultes de travailler à l'autodétermination ?
- Speaker #0
La notion d'accompagnement d'une personne qui a une déficience intellectuelle devient extrêmement importante. Et quand on s'arrête et on pense au fait que lorsqu'on accompagne, imaginez que vous accompagnez quelqu'un même physiquement, vous accompagnez quelqu'un sur la route et tout ça, vous allez avancer au même rythme que la personne. Donc, ça, c'est déjà un des premiers éléments, en fait. Respecter le rythme de la personne qui a une déficience intellectuelle, l'accompagner en lui laissant le temps de faire ses choix, d'analyser les situations. Il y a une tendance très forte qui est la tendance à la prise en charge, à faire à la place de la personne, à faire pour elle. Et ça, il y a toujours ce risque-là. Plus je fais à la place de la personne, plus la personne va aussi s'attendre à ce que je fasse pour elle. Donc, elle va s'installer dans davantage de passivité parce qu'elle s'attend à ce que les autres fassent pour elle, mais qu'elle apprend également qu'elle n'est pas en mesure de faire par elle-même et que d'autres savent mieux faire qu'elle. Et ça, c'est une espèce de cercle vicieux qui peut s'installer. Je fais à la place de la personne, la personne apprend qu'elle n'est pas capable de le faire, elle en fait, de moins en moins, elle se laisse porter par d'autres qui vont faire pour elle, et là s'installe une certaine forme de dépendance aussi où la personne sera... de plus en plus passives, moins engagées pour répondre à ses propres besoins.
- Speaker #1
Oui, voire même à la rigueur d'être dans le conformisme.
- Speaker #0
Être dans le conformisme, tout à fait, sachant que le fait d'être conformiste aussi à certains moments de la vie, ça peut être une stratégie aussi qui a été efficace pour elle. Je suis conformiste, donc je n'attire pas l'attention sur moi, on est content de moi. Donc plutôt qu'à chercher à faire ce que je souhaite faire ou à prendre des initiatives, je tente davantage de répondre finalement. Est-ce que l'accompagnateur, par exemple, qui est devant moi, veut de moi ? Donc, concrètement, une des façons qu'on peut l'observer et qui est fréquemment rapportée par des professionnels, c'est par exemple ces personnes qui ont une déficience intellectuelle qu'on accompagne et qui vont constamment chercher à venir se valider. Est-ce que tu es content de moi ? Est-ce que tu es fier de moi ? Est-ce que ce que j'ai fait, c'est bien ou ce n'est pas bien ? Si moi, comme accompagnateur, en fait, je tombe toujours dans le piège de dire « Oui, tu as bien fait. Oui, c'est correct. Oui, je suis content de toi. » À ce moment-là, c'est comme si c'est moi qui détermine la personne. Elle ne s'auto-détermine pas, c'est moi qui la détermine. Donc, c'est un peu comme si c'est moi qui la régulais plutôt qu'elle apprenne elle-même à s'auto-réguler. Donc, c'est là que ça va devenir intéressant d'accompagner la personne qui a une déficience intellectuelle à se poser les questions. Donc, tu viens de me demander, par exemple, tu as fait le ménage de ta chambre, tu viens me demander si c'est correct, si c'est bien fait. Bien, est-ce que tu as, par exemple, fait ton lit ? Est-ce que tu as bien passé le balai sous ton lit ? Est-ce que tu as rangé ce qui était dans ta chambre ? Alors, si tu as fait tout ça, est-ce que tu as bien fait ton travail ? Donc, plutôt que de lui donner les réponses, encore une fois, je lui donne les questions pour que la personne puisse elle-même en arriver à savoir pour elle-même si elle est satisfaite ou pas.
- Speaker #1
Comment on peut faire quand on a une personne qui nous dit « j'aimerais faire tel métier » et on sait que ce n'est pas possible ? On va prendre un exemple peut-être.
- Speaker #0
Oui, mais ça, c'est quand même quelque chose qui est fréquent des adolescents, des jeunes adultes qui rêvent de devenir policiers, qui rêvent de devenir pompiers ou encore des fois des projets comme le fait d'avoir un permis de conduire ou donc des projets qui, parfois, objectivement, ne sont pas réalistes. Évidemment, on pourrait rapidement dire à la personne, bien écoute. pour toi, ce n'est pas possible d'être pompier, ce n'est pas possible pour toi d'être policier ou peu importe le projet. Si on s'inscrit dans cette dynamique-là, ça veut dire que moi, comme accompagnateur, je dicte, je dis à la personne que ce n'est pas possible pour elle et là, le risque, c'est que pour cette personne-là, finalement, si elle ne devient pas policier ou elle ne devient pas pompier, par exemple, c'est parce que mon intervenant, mon accompagnateur ne veut pas. S'il voulait, je pourrais, mais si puisqu'il me dit non, en fait, c'est à cause de lui que je ne peux pas devenir, par exemple, policier. Prenons cet exemple-là. Donc, c'est là, en fait, que tout le défi, ça va être d'accompagner la personne et de la soutenir, en fait, pour aller chercher les informations. En qui tu souhaites devenir policier, qu'est-ce que ça veut dire, devenir policier ?
- Speaker #1
Alors, attends, ça veut dire que d'abord, au début, on ne dit pas non.
- Speaker #0
On accueille, c'est le projet de la personne. Fait que la première étape, c'est de dire, accueillons ce projet-là. Donc, quoi tu souhaites devenir ? Pompier, t'aimerais devenir policier, mais qu'est-ce que ça veut dire devenir pompier ? Qu'est-ce que ça veut dire devenir policier, par exemple ? Ben, allons chercher l'information. Parce qu'on ne veut pas que la personne s'installe dans de la passivité. Elle a un projet. On est d'accord que le projet n'est peut-être pas réaliste, mais la première étape, c'est d'accompagner et d'avancer avec elle dans ces différentes étapes-là. Comment tu t'imagines le travail du pompier ? Comment tu t'imagines le travail du policier ? Peu importe, en fait, le projet. Comment est-ce que tu vois ça ? Comment est-ce que t'aimerais... que ce soit possible. Qu'est-ce que... Donc, d'être capable d'accompagner la personne dans les différentes étapes et en même temps, de la confronter à des éléments de la réalité. Tu sais que, par exemple, les policiers doivent écrire des rapports. Est-ce que toi, tu es à l'aise d'écrire des rapports ? Est-ce que tu es à l'aise, par exemple, de conduire une auto de policier ? Est-ce que tu aimerais conduire la voiture des policiers ? Est-ce que tu aimerais... Est-ce que tel élément du travail, c'est quelque chose que tu aimerais faire pour amener la personne à se confronter ? petit à petit à la réalité et l'accompagner dans cette démarche-là. C'est possible que la personne qui a une déficience intellectuelle en arrive à un certain moment à se confronter à la réalité que je ne pourrais pas le faire, qu'elle vive un deuil aussi, de la déception par rapport à ce projet-là. Mais à ce moment-là, c'est en se confrontant à la réalité qu'elle va en arriver à découvrir en fait puis à s'ajuster par rapport à cette réalité-là qu'elle découvre, et non pas parce que l'accompagnateur lui a dit c'est pas pour toi ou c'est pas possible pour toi. Je t'accompagne dans l'exploration de ce projet-là pour voir dans quelle mesure il est réaliste. Et je suis sûr que les gens qui nous écoutent, on a tous eu un jour ou l'autre des projets qu'on aurait aimé mener puis qui n'ont pas abouti. Peut-être que certains de ces projets-là aussi nous ont déçus ou on a été déçus de ne pas les réaliser, mais ça fait partie de la vie et on n'a pas à enlever. Les personnes qui ont une déficience intellectuelle, bien oui, eux aussi peuvent à certains moments. vivent des deuils, des déceptions. C'est là qu'on peut les accompagner dans la façon de vivre ces événements-là de la vie.
- Speaker #1
Ça me fait penser à un jeune que j'ai accompagné au tout début de ma carrière, un jeune avec une déficience intellectuelle et il voulait devenir monteur de chapiteaux, donc monter des chapiteaux de cirque. Et donc effectivement, on avait accueilli cette demande et on était allé voir aussi une entreprise qui monte des chapiteaux et qui forme aussi sur des CAP. Monteur de chapiteaux et effectivement le fait d'avoir rencontré ces personnes-là, que le jeune discute avec les professionnels, ça lui a permis de se rendre compte de l'exigence du métier, du fait de devoir quitter sa famille et de devoir aller sur les routes de France pour monter des chapiteaux en fonction des lieux de représentation. Et ça l'a amené finalement à prendre une décision par lui-même.
- Speaker #0
voilà et à ce moment là quand il prend une décision par lui-même qu'il prend conscience de ce que ça Ça veut dire que c'est une décision qui est dirigée, qui part de soi. Ils n'ont pas le sentiment d'une injustice où on nous a imposé le fait de ne pas faire ce qu'on voulait.
- Speaker #1
Mais je me souviens très bien de sa réaction quand on lui a dit « Ok, le fait qu'on l'ait amené sur le lieu où il y avait des chapiteaux, il n'y croyait presque pas qu'on pouvait l'amener même jusque-là. »
- Speaker #0
Oui, et c'est ça qui est intéressant parce que ça permet aussi de... se confronter à la réalité. Puis les personnes qui ont une déficience intellectuelle ont ce besoin-là aussi d'être en contact avec des éléments concrets, tangibles de la réalité visuelle pour pouvoir prendre des décisions qui sont plus adaptées.
- Speaker #1
Merci Martin.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Si vous voulez en savoir plus du côté de la France, contactez Campus Formation à l'adresse e-mail suivante contacte.campusformation.org. Toute l'équipe se fera un plaisir de vous montrer un programme de formation, d'accompagnement ou de conseils sur mesure.
- Speaker #0
Pour le Québec, découvrez les travaux de recherche en cours de la chaire Autodétermination et Handicap au www.uqtr.ca.cah.
- Speaker #1
Au plaisir, Martin.
- Speaker #0
Au plaisir, François.