- Speaker #0
S'autodéterminer, c'est être l'auteur de sa vie. Je suis François Bernard, directeur général du GAPAS et de l'organisme de formation Campus. Ensemble, agissons pour l'autodétermination des personnes en situation de handicap, mais pas que. Pour cet épisode sur l'autodétermination, j'ai le plaisir aujourd'hui de recevoir Sandrina Bourgeois. Bonjour Sandrina.
- Speaker #1
Bonjour François.
- Speaker #0
Merci beaucoup de consacrer du temps. Alors on va avoir plusieurs épisodes ensemble et donc dans cet épisode-là, je vais d'abord te demander de bien vouloir te présenter et puis aussi que tu puisses nous dire comment toi tu as été concernée par cette question de l'autodétermination.
- Speaker #1
D'accord. Donc je suis la maman, on va dire aussi aujourd'hui l'aidante facilitatrice de Mathias qui est un homme de 29 ans. Un grand gaillard de 29 ans et je suis aussi adjointe de direction dans un foyer de vie.
- Speaker #0
Donc tu as les deux casquettes.
- Speaker #1
J'ai les deux casquettes.
- Speaker #0
À la fois concernée en tant que parent. C'est ça. Et puis aussi en tant que maman. Oui. Juste Mathias, il vit où ? Il est chez toi ? Il est accueilli quelque part ?
- Speaker #1
Alors Mathias vit chez moi encore jusqu'à la fin de l'année. Potentiellement, il va avoir un appartement accompagné au dernier trimestre 2023. D'accord. Et il est accueilli à la journée à la ferme de Lamotte, à Kéry-Lamotte, dans un environnement rural avec des animaux et des légumes et des fruits. Il est très, très épanouissant pour lui depuis une dizaine d'années.
- Speaker #0
Voilà, donc Kéry-Lamotte, c'est dans le Pas-de-Calais, dans le nord de la France. Pour ceux qui ne connaîtraient pas assez la géographie nordiste. Alors, la première question, c'était effectivement de te demander comment toi, tu as commencé à être concerné ou à... à réfléchir sur cette question de l'autodé ?
- Speaker #1
Alors avant la question de l'autodé, il y avait déjà la question de l'autonomie. Parce que j'étais quand même éducatrice spécialisée à la naissance de Mathias. Quasiment en même temps, j'étais diplômée au moment de sa naissance. Donc j'avais déjà un bagage d'aide médico-psychologique, d'éducatrice spécialisée. Je travaillais déjà depuis plusieurs années cette question de la fameuse autonomie en foyer de vie. Et c'est venu un petit peu naturellement quand les troubles... de Mathias, les gros troubles anxieux de Mathias se sont apaisés. Donc tout petit, la question de l'autonomie et de l'autodé n'existait pas. On était dans l'apaisement des troubles, l'apaisement de l'anxiété. Et puis en grandissant, il y a eu des ouvertures. Le langage est arrivé petit à petit, la compréhension du monde aussi. Et partant du principe que Mathias voyait, marchait, physiologiquement il n'a pas d'atteinte, je me dis qu'il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas des choses à travailler. Sous-titrage FR 2021 Et en fait, quand il était à la ferme, c'est le directeur de la ferme, Adriano Marinelli, qui a mis en place une formation, qui avait déjà des contacts avec Martin Caouette, et qui a mis en place une formation ouverte aux professionnels de la ferme, aux familles qui étaient désireuses de faire cette formation, et aux fermiers volontaires. Et on s'est tous retrouvés autour de la table, et moi j'ai entendu parler du concept d'autodétermination pour la première fois, avec les quatre... piliers, je n'ai pas forcément bien compris pendant ces deux journées, mais j'étais curieuse en fait, et ça avait du sens en fait chez moi, ça venait confirmer certaines choses, ça venait, j'ai entendu parler de la prise de risque, des choses qui m'apaisaient quand même, que j'avais pas encore côtoyé, que j'avais pas encore entendu, ni dans le monde professionnel, ni dans la formation.
- Speaker #0
Est-ce que tu as des éléments de vie qui... qui t'ont amené justement à réfléchir à partir de ce que tu avais vu en formation avec Mathias. Tu me contais tout à l'heure justement cette expérience au supermarché.
- Speaker #1
Alors il y a plusieurs petites choses, même en tant qu'éducatrice spécialisée, j'ai pas tout vu. On fait pas tout bien, on fait du mieux qu'on peut, c'est ce qu'on dit à chaque fois, donc j'ai pas tout vu. Et Mathias était un tout petit enfant, quand on le mettait dans le caddie, quand il s'asseyait dans le caddie, en fait il mettait une cagoule sur la tête. été comme hiver, même au mois d'août, et il fallait que je mette une veste. Il attrapait les pans de ma veste et il mettait sa tête au milieu. Il détestait les portes, il détestait le monde. Et je l'emmenais quand même. Je savais qu'il n'y avait pas de danger. Moi, c'est ce que je disais. Il n'y a pas de danger. Il faut y aller. Il faut qu'il nous fasse confiance que s'il y a un danger, on va le protéger. Mais là, il n'y en a pas. Donc, on y va. Et donc, il y a toujours eu un contact. Et puis, à 14 ans, il continuait de me donner la main au supermarché. Et moi je lui donnais la main, ça ne me dérangeait pas, j'entendais son besoin de donner la main, sauf que j'ai commencé à avoir les regards des gens dans la galerie marchande sur nous. Et là je me suis interrogée en disant il y a quelque chose que je suis en train de louper, on ne donne plus la main à un gaillard de 14 ans qui presque fait la même taille que moi. Et donc j'ai expliqué à Mathias qu'il fallait qu'on ait une autre attitude. plus donner la main. Il m'a demandé s'il pouvait mettre la main sur l'épaule. Et puis après, je lui ai confié le caddie. Et puis voilà, il s'est séparé comme ça petit à petit.
- Speaker #0
C'est une manière finalement de travailler les codes sociaux, les habiletés sociales aussi avec Mathias. Parce que ça fait partie aussi de tout à chacun de pouvoir s'adapter à la société et être le plus inclus aussi finalement.
- Speaker #1
Absolument, d'autant que Mathias ne comprenait rien. Des codes sociaux, il les a compris sur le tard, là, en tant qu'adolescent et jeune adulte, parce qu'il m'a posé beaucoup de questions sur le tu, le vous, on fait la bise et pourquoi on serre la main ? Qui on fait la bise, à qui on serre la main ? Comment on serre la main ? Je lui ai serré 170 fois la main sur une soirée pour qu'il dose. La fermeté, parce qu'il tendait une main molle, je disais, ce n'est pas possible, et comme ça, et comme ça, pour qu'il apprenne. Et puis, il ne savait pas pourquoi il faut faire la bise aux femmes et serrer la main aux hommes. Il y avait vraiment, et à chaque fois, j'étais sa facilitatrice, en fait, c'est ce que je dis, je dirais, là tu serres la main, là tu peux faire la bise. Tu peux, ce n'est pas tu dois, ce n'est pas il faut, c'est tu choisis, ce que j'ai déjà dit devant une vieille dame. Là, tu peux faire la bise, il me dit, ah non, très très moche. Bon, il faut composer avec ça. Et ça fait partie de son naturel. C'est spontané. Il n'y a pas un gramme d'hypocrisie dans son attitude. Et ce n'est certainement pas moi qui vais l'encourager.
- Speaker #0
Quel moment de vie où tu as senti qu'il lui-même a voulu s'autodéterminer ? Tu as proposé qu'on parle du tatouage. Parce qu'à un moment donné, il voulait se faire tatouer, c'est ça ? Est-ce que tu peux nous raconter comment c'est arrivé cette demande-là ?
- Speaker #1
Alors, il y a eu le tatouage. Avant, il y a eu le piercing à l'oreille. Donc, il y a du... Ça, c'était moins compliqué pour moi. Parce que la demande, sa demande n'est pas compliquée à entendre. Il veut ci, il veut ça. C'est l'effet que ça me fait à moi de répondre à ça. Donc, le piercing, le tout, c'était de trouver un endroit. Je savais que ça allait aller vite, ça allait piquer un peu, peut-être ou pas. Mais je lui explique toujours la douleur et tout ça potentiellement. Et donc, ça s'est fait. Donc, je me dis, le piercing, ça s'est fait ouf. on est tranquille.
- Speaker #0
C'est réversible. Oui,
- Speaker #1
aussi.
- Speaker #0
On parle en connaissance de con. C'est vrai,
- Speaker #1
c'est vrai. Et puis, quelques mois après, il m'a dit, je veux faire un tatouage. Dans ma tête, ça se dit, super, la demande. Et dans mon ventre, ça fait, eh merde. Parce que je sais que un tatouage, justement, c'est définitif. Et puis, c'est toute une démarche. pique, voire ça fait mal au bout d'un certain temps. Et donc, j'ai fait durer, savoir est-ce que c'était une demande comme ça. Je suis tatouée. L'entourage, il voit bien qu'il y a des gens qui sont tatoués. Il n'y a pas de raison. Puis de toute façon, il avait 19 ans. Je me souviens, j'ai dit, il a 19 ans. Il est majeur. Je n'ai même plus à donner mon avis. J'ai juste à organiser, il demande.
- Speaker #0
Alors, comment tu as fait ça, justement ? Combien de temps tu as pris pour... finalement construire sa demande et l'amener à ce qu'il aurait. Tu me diras d'ailleurs s'il l'a fait ou pas. Oui,
- Speaker #1
il l'a fait, bien sûr.
- Speaker #0
Alors comment tu as travaillé sur ce temps-là ? Ça a duré combien de temps ?
- Speaker #1
Six mois. J'ai attendu que la demande se réitère une fois ou deux. Pas forcément sur la même semaine, d'ailleurs. Et puis, je lui ai demandé qu'est-ce qu'il voulait se faire tatouer et où quand même, pour savoir. Donc il m'a dit le bras. Je veux un dragon, un lézard, un dragon à lézard.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Donc j'ai sorti sur Google images libres de droits, une soixantaine d'images de dragons et de lézards, de salamandres en tout genre, colorés ou noirs. Et je lui ai mis dans une pochette en disant, ben voilà, tu regardes ça, tu choisis quelque chose qui te plaît. Et puis après, on est allé à la rencontre d'un tatoueur. Parce qu'il fallait aussi que la rencontre se passe bien. Ce n'est pas le tout de faire le dessin. C'est un moment qui va être un peu pénible, je le sais. Et donc, on est allé... On habite à Aliévin, dans le Pas-de-Calais. Donc, on est allé au tatoueur qu'il y avait à Aliévin, dans le Pas-de-Calais, chez Jérémy. Et la rencontre s'est super bien passée. Et moi, je m'attendais... J'annonce à son papa, quand même, on ne vit plus ensemble. Et je dis, voilà, Mathias veut se faire tatouer le bras. Il me dit, ah oui ! Ça va être un petit tatouage alors. Ça va être un petit petit. J'ai dit, écoute, apparemment non. Ça va être un grand tatouage. Et on verra bien. Et moi, j'ai négocié avec Jérémy en disant, peut-être Jérémy, ce serait bien de commencer par la tête du dragon.
- Speaker #0
Jérémy, c'est le tatoueur. C'est le tatoueur.
- Speaker #1
Ce serait bien de commencer par la tête. Parce que s'il s'arrête, au moins, ça ressemble à quelque chose. On ne fait pas le contour avec plus rien dedans. Il fallait quand même réfléchir à ça aussi. J'avais expliqué à Mathias que ça allait piquer un peu. Sauf qu'un tatouage... ça pique un peu au début, ça fait très très mal au bout d'une heure et demie le corps ne fabrique plus d'endorphine donc ça devient un supplice chinois, les gens qui ont un petit tatouage ouais j'ai même pas eu mal, normal je veux dire c'est au bout de quelques heures et son tatouage a duré 4h30 Le tatoueur a proposé d'arrêter. Mathias se crispait. Il faisait une petite grimace. Il a dit, Mathias, on arrête, on reprend la semaine prochaine. Non, on continue. Et là, il m'a épaté aussi par sa persévérance. Je veux dire, il a été fort. Et là, je me suis rendu compte encore une fois que mon fils était fort. D'assumer, et on est revenu un mois après pour... pour mettre le rouge là où il fallait dans les ongles et tout ça du dragon.
- Speaker #0
Est-ce qu'il a posé des questions aux tatoueurs ? Comment il s'est comporté, Mathias, justement par rapport au fait d'aller rencontrer la personne qui allait le tatouer ? Est-ce que tu as pu mesurer ou voir un comportement particulier ?
- Speaker #1
Non, pas du tout, parce que Mathias, il est dysphasique, donc il a une dysphasie de développement. Donc c'est vraiment un déficit de la fonction langagière, réceptive et expressive. Et chez Mathias, c'est très, très profond. Donc, tout ce qui est autour du langage est très compliqué. Il se rend compte de son handicap. Donc, il approche avec des inconnus. Il ne la tente pas. Il attrape des plaques sur le cou. Il faut toujours que je sois l'intermédiaire. Après, je n'ai plus besoin d'être là. Les gens se sont saisis de sa différence et de son côté quand même très sociable. Ça va. Mais arriver chez quelqu'un et parler avec un inconnu... en premier lieu, ce n'est pas possible. Sans intermédiaire, aujourd'hui encore, ça n'est pas possible.
- Speaker #0
Est-ce qu'il en parle encore de ce tatouage-là, de comment ça s'est passé ? Est-ce qu'il en dit quelque chose ou pas ?
- Speaker #1
Oui, il veut en faire un deuxième, sur l'autre bras. On est en train de travailler ça. Il va faire une boule orange Dragon Ball Z, je ne sais pas quoi, un truc avec des étoiles.
- Speaker #0
Une boule de cristal.
- Speaker #1
Oui, c'est ça un truc. Il me fait ça avec les mains. Il me montre une ouverture. Et donc je lui dis, est-ce que tu veux le refaire chez Jérémy ? Ce qu'on connaît, parce qu'il va chez le barbier. Mathias, maintenant, il a une barbe. Il va chez le barbier toutes les cinq semaines. Et donc je lui dis, il y a un tatoueur aussi chez le barbier. Est-ce que tu veux aller chez un autre tatoueur ? Ou est-ce que tu veux encore aller chez Jérémy ? Et il me dit, non, c'est chez Jérémy. Je sais que ça va être... Il a connu cette expérience. Il va vouloir... Il n'y a pas d'ouverture vers la nouveauté chez Mathias. Si je n'insuffle pas. Une nouvelle expérimentation, il n'est pas en demande.
- Speaker #0
De lui-même, il ne va pas le faire ? Non. Est-ce que, juste sur ça, on va terminer sur cette question de tatouage, mais est-ce que toi, tu as une limite personnelle, justement, par rapport aux demandes qu'il pourrait faire ? Sur cette question du tatouage.
- Speaker #1
Non, je ne me suis pas posé la question de la limite. Je pense que ce sera en discussion avec lui. S'il me disait, oui, j'ai une limite. Oui, effectivement, j'en avais même parlé avec Martin. C'est s'il veut se faire tatouer une croix gammée. Un symbole comme ça, qui est complètement en dehors des valeurs. de valeur de la famille, des valeurs de... Non, il faudrait qu'il m'argumente. Pourquoi ? Et quoi qu'il en soit, je continuerai de dire que je ne suis pas d'accord. Après, il fait ce qu'il veut, mais je ne suis pas d'accord.
- Speaker #0
Merci Sandrina.
- Speaker #1
De rien François, merci.
- Speaker #0
Si vous voulez en savoir plus sur les programmes de formation Agir pour l'autodétermination, vous pouvez contacter l'organisme de formation Campus à l'adresse mail contact campusformation.org Toute équipe se fera un plaisir de vous proposer un programme, un conseil, un accompagnement ou une formation adaptée à votre besoin.