- Christophe
Le leader ne doit pas suivre ce qui devient une évidence, le leader, il est aussi là pour donner le ton... Il n'y a pas d'âge pour grandir, il n'y a pas d'âge pour se transformer, il n'y a pas d'âge pour être curieux... L'essentiel est que les leaders acceptent la remise en cause profonde de ce qu'ils sont, pas nécessairement sur des valeurs, mais au moins sur la façon de voir le monde et d'accepter d'apprendre, de se confronter... Quel est le rôle des dirigeants ? Est-ce que c'est de sur- optimiser une performance court terme ou est-ce qu'on a un rôle de transmission, de pérennité d'une entreprise par rapport à une mission ?
- Eric
Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Éric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Christophe.
- Christophe
Bonjour Éric.
- Eric
Christophe, je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu'il en faut du courage quand on est chef d'entreprise. pour s'embarquer dans l'aventure de la régénération. Authenticité, l'authenticité de notre échange et le pragmatisme, parce qu'on essaie de rendre très concrète cette nouvelle économie et on va essayer de trouver des exemples ensemble les plus concrets, les plus pragmatiques possibles. Alors, les trois initiales courage, authenticité et pragmatisme, ça fait CAP. Alors Christophe, CAP ou pas CAP ?
- Christophe
Allez, CAP, je joue.
- Eric
Alors Christophe, tu es diplômé de l'EM Lyon Business School. Tu rentres chez Renault Trucks. Au début des années 90, tu y fais l'essentiel de ta carrière avec des passages dans la maison mère, le groupe Volvo. En 2018, tu deviens le directeur de Renault Trucks France et tu participes à la première CEC en 2021-2022. Tu deviens une des voix importantes de la CEC qui montre qu'une grande entreprise peut s'engager aussi vers l'économie régénérative. Alors on va commencer par la traditionnelle présentation d'abord de ton entreprise Renault Trucks. Les grandes lignes et puis quelques grands chiffres.
- Christophe
Ok, alors Renault Trucks, c'est une entreprise lyonnaise, j'y tiens, puisque je viens aussi de ce coin, qui a été fondée en 1894 par Marius Berlier. Donc, c'est une vieille dame, mais toujours dans le coup et qui essaye de l'être. Et qui a été rachetée en 2001 par le groupe Volvo, un groupe suédois. C'est une entreprise qui conçoit, produit, commercialise et entretient des camions. C'est une entreprise qui emploie... environ 10 000 personnes. Le groupe Volvo, c'est un peu plus de 100 000 salariés et ces ratios sont vrais également pour les chiffres d'affaires. Le groupe Volvo représente un chiffre d'affaires de 60 milliards et Renault Trucks, 6 milliards. Et moi, je suis en charge de Renault Trucks France, qui est le marché le plus gros de Renault Trucks, puisqu'on souhaite développer la marque en dehors de l'hexagone, qui représente en gros 40% de ce business.
- Eric
Alors, on va faire un tout petit retour en arrière sur ton enfance, Christophe. Qu'est-ce que tu voulais faire comme métier ? Est-ce que tu voulais déjà te lancer dans le business quand tu étais un enfant ?
- Christophe
Pas du tout. Je pense que mon rêve quand j'étais enfant, ça aurait été d'être joueur de foot. C'était une passion, ça allait toujours, alors ça allait moins sur le terrain, ça allait plus derrière l'écran ou dans un stade, mais j'étais un dingue de foot. Je pense depuis que j'ai eu 2-3 ans, j'avais toujours un ballon au pied et j'ai joué, on va dire, jusqu'à l'EM Lyon. Moins brillamment à l'EM Lyon parce que j'avais déjà un physique qui s'était un peu dégradé, mais un dingue de foot. Donc, je rêvais de jouer au foot, de jouer à l'Olympique Lyonnais.
- Eric
Alors, on ne va pas continuer sur le foot, sachant que moi, je suis stéphanois, donc on va bifurquer. Encore une question pour toi, peut-être justement sur ton enfance ou avant que tu sois engagé dans le monde de l'entreprise. Est-ce que tu avais une fibre écolo dans ta famille ?
- Christophe
Pas du tout. pas du tout baigné dans cette ambiance-là enfant. Alors, j'ai eu la chance de vivre dans un milieu plutôt favorisé, même très favorisé, avec des parents aimants, un frère et une sœur dont je suis toujours très proche. Donc, dans un environnement très favorisé, mais où l'écologie, l'environnement n'étaient pas au top de l'agenda. Non, je me sentais assez loin de tout ça, à vrai dire.
- Eric
Alors, on va aller dans le vif du sujet. Comment s'est passée ta rencontre avec le démarrage de l'aventure CEC ? Comment tu es venu finalement te lancer dans cette aventure ?
- Christophe
Alors, c'est peut-être ce qu'on appelle la sérendipité ou je ne sais pas. Mais enfin, en tout cas, c'est peut-être la chance tout court ou la vie. J'étais chez moi, je pense, une des rares fois où j'étais en télétravail. Et j'ai reçu un coup de fil d'une amie que j'ai connue à l'école pendant mes études, Kako Michel, qui m'a dit Christophe, il y a un truc de dingue qui est en train de se monter. Il faut à tout prix que tu regardes. Bon, c'était la CEC, c'était la Convention des entreprises pour le climat. Et il faut que tu aies un entretien. Alors, c'était avec Alexandre Chrétien. J'ai eu un coup de fil d'Alexandre. Et je dois dire que le coup de fil m'a un peu déstabilisé. C'était un moment de ma carrière où je me posais un peu de questions sur ce que je devais faire, pourquoi je devais le faire. J'étais aussi pas mal challengé par mes enfants, mes trois enfants, Baptiste, Louise et Madeleine. J'en ai discuté d'abord avec Marie, mon épouse, puis avec mes enfants. Et là, ils m'ont dit Papa, c'est super, il faut que tu sortes un peu de tes camions, il faut que tu t'aères Je suis allé au travail, j'en ai parlé avec des bons copains, voire des amis au travail, des gens en tout cas en qui j'ai vraiment une confiance totale. Et qui m'ont dit, mais c'est formidable, il faut que tu fonces. J'en ai parlé à mon patron qui m'a dit, écoute, si t'as le temps. Et puis j'ai dit, je plonge. Et puis il y avait cette histoire de Planet Champion. Et je suis allé voir quelqu'un qui m'est cher, Olivier Emedjer, que je connais depuis bien longtemps aussi, qui travaille dans l'entreprise depuis longtemps, on a vécu à Singapour ensemble. Et qui lui, en revanche, portait vraiment l'environnement en lui, le souci du vivant. Et je lui ai demandé s'il souhaitait m'accompagner. Et quand il a dit oui, là aussi, je me suis senti wow. C'est plus simple à deux. Et voilà, et on a plongé.
- Eric
Au niveau de l'aventure personnelle, d'abord, est-ce que tu te souviens peut-être des deux, trois grands moments où tu as ressenti quelque chose dans le parcours et peut-être dans la prise de conscience ? Comment tu as vécu cette aventure déjà au niveau personnel ?
- Christophe
Pour moi, le vrai déclic, il est d'abord personnel. Il est très émotionnel. La première session sur le constat, je me rappelle avoir pris le train avec Olivier pour rentrer sur Lyon et on s'est regardé, waouh ! On était vraiment ébranlés et pourtant c'est pas faute d'avoir avant lu des magazines, vu des reportages, mais là d'être 48 ou 72 heures avec d'autres personnes, de voir des gens talentueux nous exposer la situation, d'en discuter entre nous. Et je pense que ça m'a fait prendre conscience et de l'urgence et de la magnitude de la situation. Donc ça, ça a été le premier moment, je trouve, c'est une claque nécessaire, je pense. Le deuxième moment émotionnellement fort que je retiens, c'est des témoignages d'entreprises et de personnes, surtout, qui ont basculé ou qui sont en cours de bascule, des histoires inspirantes, des histoires humaines, avec des gens que je sens alignés, heureux. et de se dire, mais il y a une forme de plénitude quand on y arrive. Donc ça, pour moi, c'était évidemment inspirant. Et puis, vraiment une session, alors là, j'en parle très souvent, qui m'a un peu bouleversé, c'est la boussole, la nouvelle boussole. Comptez ce qui compte vraiment. Et cette phrase, compter ce qui compte vraiment, ça, c'est la claque. Moi, j'ai toujours compté. J'adore les chiffres, j'adore les maths. Je suis un dingue de chiffres, je suis d'ailleurs pénible. Quand il y a une virgule qui n'est pas bonne, je suis un patron pénible. J'ai été habitué à compter des chiffres d'affaires, des parts de marché, des rentabilités, le cash. Peut-être pas compter ce qui comptait vraiment. Ça compte, mais c'est peut-être pas ce qui compte le plus. Voilà, donc ça, ça a été peut-être les trois moments forts qui m'ont touché à cœur et qui font que je me suis senti changé pendant le parcours.
- Eric
Toujours au niveau personnel, est-ce que tu as eu des... des changements, toi, sur ton empreinte et finalement dans ta famille, ce qu'ils ont senti en changement par rapport à ton mode de vie ?
- Christophe
Alors, c'est sûr qu'il y a eu un changement sur ma façon de vivre. Moi, d'abord, j'ai fait mon bilan et heureusement que je l'ai fait à Lyon et pas dans mon ancienne vie où j'étais responsable de l'Asie pacifique et où je ne me posais aucune question et j'en ai cramé. Ça, on ne peut pas dire. Donc, je me suis posé pas mal de questions. Les questions, elles ont commencé par un sujet qui est compliqué pour moi. Ça a été de me dire, allez, on arrête les voyages, longue distance. Tu as eu la chance de vivre des choses étonnantes sans trop te rendre compte, mais peut-être peux-tu voyager autrement. Donc ça, ça a été un premier changement majeur et un changement, je mentirais en disant que de temps en temps, il ne me coûte pas, parce que la rencontre dans des contrées lointaines, c'est quelque chose qui m'a construit aussi, qui m'a permis de mieux comprendre l'altérité et en fait tout ce qui nous rassemble. Mais donc ça, ça a été un changement majeur. Après, des choses plus basiques, me déplacer pour le travail. Et maintenant, il y a beaucoup de transports en commun, il y a beaucoup de covoiturage, il y a beaucoup de trains, il n'y a quasiment plus d'avions, sauf quand vraiment je n'ai pas le choix. Donc ça, ça a été un autre changement. Et puis un dernier changement qui a été un stretch, c'est mon alimentation. Je n'étais pas insensible à la côte de bœuf. Aujourd'hui, ça m'arrive d'en manger, mais ce n'est plus du tout de la même façon. C'est une approche différente. Donc, c'est des choses qu'on voit. Il y a mes enfants qui, parfois, en sourient, mais en sont fiers. Ça suscite des discussions quand on dit à des amis, Non, nous, on ne va pas le faire. On ne va pas faire un aller-retour pour aller deux jours à tel endroit en avion. Et je dois dire que c'est un mouvement qui est un mouvement partagé avec Marie, qui est plutôt, même en avance, sur moi, et qui a tendance à me le rappeler de temps en temps.
- Eric
On va aborder maintenant la question de ton business et de la rencontre avec le paradigme de l'économie régénérative. Donc déjà, première question, la première fois que tu as entendu parler d'économie régénérative, de régénération, sachant que tu fabriques et tu vends des camions, qu'est-ce que tu as ressenti ?
- Christophe
Alors d'abord, le thème régénératif, j'avoue que je n'étais pas à l'aise. Je ne le suis encore pas complètement. Et d'ailleurs, je pense avoir à peu près compris de ce dont on parlait. Je suis toujours assez vigilant dans les prises de parole, de peur qu'on essaie de me taxer de greenwashing ou autre. Donc, j'aime mieux raconter un peu ce qu'on essaye de faire. Mais en tout cas, de cause, pour moi, ce que j'ai vécu, ce que j'ai compris, c'est que le modèle que j'ai toujours connu, dans lequel j'ai baigné, modèle extractif de plus on produit, plus on vend, plus on vend, plus on gagne et que ce modèle n'était pas viable. Et donc, on devait repenser le modèle sur un modèle respectueux du vivant et, si possible, qui pouvait même régénérer le vivant. C'est évidemment une claque quand on travaille dans le poids lourd. Le poids lourd, c'est cette image quand même du camion qui pollue, du camion qui congestionne, du camion qui fait du bruit, tout ce qui est associé au camion. Mais bon, le fret, le transport de marchandises n'est pas une option. 89% des choses qu'on a... des médicaments, de la nourriture, de tout ce qu'on a. Ça vient à 89% en France par camion, donc il ne s'agit pas d'arrêter de transporter des marchandises, mais se poser la question de est-ce qu'on peut organiser ce transport de marchandises autrement ? Et est-ce qu'on peut, notamment en tant que leader sur le marché français, donner le ton d'une approche peut-être différente ? Et là, ça devient intéressant. Et là, on se dit peut-être qu'on peut revoir un modèle, peut-être que ce parcours CEC, c'est peut-être un signe. à 55 ans, alors à l'époque à 53, de se dire repensons et peut-être faisons le travail ou appréhendons cette mission différemment.
- Eric
Et on va préciser qu'en fait, on parle plus maintenant d'économie à visée régénérative, d'entreprise à visée régénérative. Mais effectivement, le mot régénératif peut sembler hyper ambitieux selon certains secteurs. C'est de ça qu'on va parler maintenant, de la visée régénérative de Renault Trax. Déjà, sur ta feuille de route, si tu avais à la présenter. Vraiment, en synthèse, les peut-être deux, trois grandes idées de redirection, les grands leviers qu'il peut y avoir dans cette feuille de route.
- Christophe
Le premier levier qui est évident, c'est que nous, la question qu'on s'est posée avec Olivier, qu'on a partagée avec nos collègues, c'était comment Renault Trucks peut accompagner l'évolution du transport de marchandises avec des solutions les plus décarbonées possibles, en limitant le nombre de kilomètres parcourus et le nombre de camions sur les routes. en travaillant le mieux possible avec toutes les parties prenantes. Donc, une des premières missions, évidemment, c'est l'évolution technologique des solutions qu'on offre. On peut offrir des camions, y compris diesel, qui consomment beaucoup moins que ce qu'ils consommaient par le passé. Et puis, surtout, la technologie, c'est le camion à batterie électrique qui présente beaucoup de vertus d'un point de vue environnemental. Donc ça, c'est le premier axe clé et qui est un axe de toute façon dans lequel il faut aller, puisqu'on peut faire le job. Le deuxième axe, c'est peut-être de repenser ce transport et cette logistique en se disant est-ce qu'on est obligé de faire par camion ? Est-ce que l'objectif, c'est de produire et de vendre le plus de camions possible ? Sûrement non, les camions roulent souvent à vide. Les camions ne roulent pas toujours. Donc en fait, on a une capacité de transport qui est sous-optimisée. Et donc en massifiant, en mutualisant, on doit pouvoir transporter les marchandises avec moins de camions. Et puis, dans le même temps, on peut réfléchir à d'autres modes de transport de marchandises, comme l'intermodal avec le ferroviaire, comme la cyclo-logistique. Donc, d'autres façons d'appréhender le transport de marchandises, pas nécessairement avec l'objectif de faire des camions. Et puis, le troisième axe qui est apparu de manière claire, c'est produire des camions neufs et vendre des camions neufs n'est pas la seule finalité. Fondamentalement, le principe du camion à obsolescence programmée ne fait pas de sens. On peut très bien envisager, et on commence à le faire, d'avoir des camions qui dépassent le million de kilomètres en les remettant à niveau, de la même façon pour les pièces de rechange, pour les organes. Donc peut-on donner une deuxième, une troisième vie aux camions, aux pièces de rechange, aux organes ? C'est vrai sur le monde diesel, ça le sera peut-être encore davantage sur le monde de l'électromobilité. Donc rentrer dans une logique qui n'aide pas de dire qu'il faut à tout prix faire tourner des usines de camions neufs, il y a peut-être une autre façon de le faire. Et puis tout ça, évidemment, je pense que ces leviers, ces axes de transformation ne sont possibles que si culturellement, l'organisation, et quand je dis l'organisation, c'est peut-être plus pompeusement l'écosystème est à bord. Puisque, en fait, ces transformations, je pense que si les gens ne l'ont pas dans le ventre, si les gens ne comprennent pas le, j'allais dire en anglais, c'est pas bon le endgame, mais la visée, pourquoi on fait ça, c'est peut-être pas évident de les entraîner. Donc... Donc, toute cette partie culturelle, je pense, c'est presque le ciment nécessaire pour pouvoir accompagner cette bascule.
- Eric
Alors, ça tombe bien. C'est ce qu'on a prévu maintenant, d'aller approfondir sur chacun des trois leviers que tu as mentionnés là. Et puis, ce que tu as appelé le socle, qui est l'ensemble du projet d'entreprise et de l'organisation. On va commencer par la logique volumique. Peut-être la première grande innovation dans la visée régénérative, c'est de sortir de la logique volumique. Tu as toi-même... fait des déclarations. On s'en souvient, au début de la CEC, tu as fait une déclaration autour de mettre fin au concept de camion Kleenex. C'est une formule que tu as trouvée, tu as des punchlines. Tu as aussi dit, ce qui est très courageux de la part d'un dirigeant d'entreprise de cette taille, je veux vendre moins de camions. Et là, tu vas nous expliquer ce qu'il y a derrière, bien sûr. Et donc, voilà, cette réflexion, est-ce qu'on peut creuser, finalement, comment ça se met en œuvre de vendre moins de camions ? mais tout en donnant ce service de mobilité à tes clients et à la société.
- Christophe
Ça part d'une réflexion assez simple qui est vraiment celle de se dire ces camions qui ne roulent pas la moitié du temps et ces camions qui roulent la moitié du temps à vide ou à moitié rempli, honnêtement, c'est une aberration. Et en fait, en discutant avec un de mes amis du comité de direction qui avait crevé son vélo et qui avait besoin d'une nouvelle roue, je ne sais, et qui... commande sur un site quelconque sa roue et sa roue est livrée le dimanche dans un fourgon vide et il n'y a que la roue. Et là, c'est de dire, mais ce n'est pas possible. Ce n'est pas entendable, ce n'est pas audible de se dire qu'on va faire des choses pareilles. Donc, dans cette logique-là, il y a un travail qui est fait de se dire, mais qu'est-ce qui fait du sens pour optimiser la logistique ? Et la réalité, c'est que nos clients et les clients de nos clients, les chargeurs, sont intéressés par cette démarche-là parce que c'est l'optimisation d'une flotte pour répondre à un besoin de transport de marchandises. Je vais prendre un exemple, c'est par exemple la collecte de déchets. Suivant comment on organise des tournées de collecte de déchets, on peut utiliser 10 camions, on utilisait 8 ou on utilisait 6. Suivant qu'on est en double poste, qu'on n'est pas en double poste, qu'on organise son travail différemment. Est-ce que la vocation de Renault Trucks, c'est de vendre 10 camions ? où c'est d'analyser le besoin avec le client et le client du client et de se dire quelle est la meilleure façon de le faire. Alors là, pour moi, l'intérêt, il est multiple. D'abord parce que ça fait du sens pour nos clients qui ont des niveaux d'investissement moindres et donc des coûts d'exploitation ensuite moindres aussi, qui les rend compétitifs. Ça fait du sens parce que notre rôle à nous, ce n'est pas d'en pondre le plus possible. C'est d'apporter de la sérénité à nos clients, leur permettant de gagner leur vie en faisant leur travail. Donc... Il y a cette logique-là. Et cette logique, je dirais qu'elle est encore multipliée dans l'approche de l'électromobilité, parce que les camions électriques sont significativement plus chers. Et donc, l'utilisation optimisée de ces camions fait encore plus de sens. Et de la même façon, et ça va dans le bon sens, et parfois il faut saisir la chance, dans la mesure où ces camions sont plus chers, les clients souhaitent les garder plus longtemps. Et honnêtement, un camion électrique, on peut s'engager sur 10-12 ans sans grand problème. Donc, cette logique de... On va en vendre moins, mais on va apporter des solutions peut-être complètes. Et nous, on est partenaire d'une société de location, de la location longue durée. Ça fait du sens et il y a un modèle qui peut exister avec une approche qui est plus d'accompagner le client dans sa mission plutôt que de dire je vais t'en planter le plus possible. Donc ça, c'est un premier élément. Le deuxième élément, on l'a vu pendant la période du Covid, on a eu d'énormes problèmes de supply chain et derrière des problèmes pénuriques. On a eu des clients, et ça arrive rarement dans une carrière, qui disaient il me faut à tout prix des camions pour travailler et nous, nous n'étions pas en mesure de les produire. Et de là est venue l'idée de se dire mais est-ce qu'on ne prendrait pas vos camions qui ont 3-4 ans, on les fait repasser dans un atelier chez nous avec un process bien clair et on les remet complètement à niveau en moins de 2-3 semaines pour qu'ils repartent pour une deuxième vie ? Et ce qu'on a vu, c'est que ça marchait super bien. Ça marchait bien pour l'utilisateur, ça marchait bien pour les conducteurs et les conductrices qui ne voyaient pas que ce camion était vieux. Et compte tenu de la pénurie de conducteurs et de conductrices, c'est important que ces camions aient une belle tête. Et puis économiquement, ça faisait du sens. Donc vraiment, on a vu en testant des solutions qui ne visaient pas à produire le plus de camions neufs, qu'on répondait à des attentes de clients ou de clients de clients avec une approche qui faisait du sens économiquement pour nos clients et qui faisait du sens pour l'environnement et pour laquelle Renault Trucks pouvait gagner sa vie. Alors, c'est des pistes. Ce n'est pas encore tout le modèle qui a basculé, mais je vois là des sources d'espoir en se disant peut-être que d'être pionnier avec cette approche de solution qui font du sens pour nos clients, c'est peut-être une façon d'anticiper le nouveau monde.
- Eric
Alors, on a commencé un peu à aborder le sujet. Donc, il y a effectivement à faire durer cette matière, les camions, cette mécanique le plus longtemps possible pour qu'elle transporte finalement le plus de mètres cubes possible dans sa durée de vie. Mais il y a aussi le mode de déplacement et la technologie qu'il y a derrière. Donc, sur la dimension électrification, c'est un gros sujet dans l'industrie automobile. C'est un gros sujet aussi pour les camions. Renault Trucks semble être, tu vas nous le dire, leader en la matière. En tout cas, il y a un article dans Le Monde qui est sorti il y a quelques jours sur le sujet. C'est peut-être encore une niche. Donc, est-ce que tu peux nous parler de cet axe d'électrification ? Comment tu vois l'avenir de ce segment ? et aussi les complexités qu'il peut y avoir à le mettre en œuvre ?
- Christophe
Moi, je suis convaincu. Alors déjà, en termes d'impact carbone, en gros, entre un camion diesel et un camion électrique, si on prend tout le cycle de vie du matériel, on a une économie en gros de 85% d'émissions de CO2. Donc, il y a un vrai impact, et un impact qui est à la fois environnemental, certain, mais qui est aussi social pour les personnes qui sont derrière le volant. Et pour les citoyens qui sont autour, j'étais il y a 24 heures ou 48 heures à l'hôtel de logistique urbaine des Gobelins où on mettait à disposition un véhicule électrique assez révolutionnaire qui permet de charger et décharger pour la ville des rolls, des caisses sur un modèle un peu d'un pressing qui va chercher les caisses au bon moment. Et je discutais avec le conducteur qui me disait mais je le kiffe ce camion électrique C'est du bonheur. Alors pour nous, c'est important parce qu'on a une vraie problématique de trouver des conducteurs et des conductrices. La pyramide des âges est très défavorable. La plupart des conducteurs et conductrices ont entre 50 et 60 ans et la tranche d'âge 20-30 ans n'est pas vraiment là. Donc, ces camions électriques, ils font vraiment du sens d'un point de vue de l'impact environnemental. Ils font du sens pour la société. Ils font du sens pour la qualité de l'air et c'est essentiel. Alors aujourd'hui... Le marché se développe doucement, puisque le marché français, en gros, qui fait entre 45 000 et 50 000 camions, en 2023, il s'est immatriculé seulement 600 ou 700 camions électriques, dont 80 d'entre eux étaient des Renault Trucks. Cette année, il devrait s'en immatriculer à peu près 900 et 75 d'entre eux seront des Renault Trucks. Et la volonté affichée qu'on a, c'est de dire en 2030, il faut qu'un camion sur deux qu'on vendra soit un camion électrique. Alors la pente est raide et effectivement... Ce n'est pas gagné, puisqu'on a des soucis au niveau, d'abord, des infrastructures de recharge qui sont nécessaires pour que nos clients puissent exploiter. Leur force est de constater que pour les véhicules de distribution urbaine ou régionaux, ou de collecte de déchets, avec des véhicules qui chargent la nuit, avec des recharges lentes, en fait, ça fonctionne. Et donc, nous, ça représente, en gros, on vend 14 000 camions en France. 6 000 camions sont de cet ordre-là. Donc déjà... Si on arrive à transformer ces 6000 camions en camions électriques, ce ne sera pas ridicule. Mais il y a les infrastructures de recharge, il y a les CAPEX. Un camion électrique est plus cher qu'un camion diesel. Et c'est sûr que ça fait un peu mal au cœur, puisque les clients qui jouent le jeu aujourd'hui de solutions qui font du sens écologiquement sont ceux qui payent plus cher. Alors ça, c'est toujours un peu problématique. On a heureusement, et ça fait partie pour moi du travail qui résulte de la CEC, on a heureusement des partenaires dans notre réseau de distribution. qui sont de plus en plus engagés, et des clients qui sont dans une démarche analogue à la nôtre et qui sont pionniers pour se lancer. Il y a des aides de l'État qui ont contribué à rendre la solution économiquement viable, mais on se doute bien que les aides publiques, il ne faut pas, pour moi, trop compter dessus sur la durée, puisque la réalité des réalités, c'est que dans un pays très endetté, croire que la bascule va se faire exclusivement grâce aux deniers publics, j'ai du mal à y croire. Donc il faut... Tous les acteurs prennent leurs responsabilités et il faut vraisemblablement aussi rentrer dans un système un peu plus coercitif pour forcer le système. Mais donc nous, l'objectif, c'est vraiment d'être pionniers, d'être les plus forts. On a 30% de parts de marché en véhicules diesel, on a près de 80% en véhicules électriques. Donc pour moi, c'est essentiel de rentrer dans cette nouvelle façon de transporter de manière forte. Et ce qu'on fait... En parallèle, et qui me semble essentiel, c'est qu'on s'assure que l'expérience de nos clients avec les solutions électriques est un super succès pour qu'ils soient nos premiers ambassadeurs. Et je dois dire qu'aujourd'hui, le retour qu'on a est hyper positif, notamment via cette population des conducteurs et conductrices qui est clé pour nous.
- Eric
On va creuser un tout petit peu sur les modèles d'affaires autour justement de cette offre électrique. Est-ce que vous avez commencé à interroger vos modèles d'affaires entre, je dirais, vendre un camion et puis ça s'arrête là, avec la pré-vente, ou justement envisager des modèles d'affaires un peu différents, puisque vous avez un usage qui est un peu différent, et une durée de vie qui est différente, des coûts d'entretien qui sont différents ? Où en êtes-vous sur cette interrogation des modèles d'affaires ?
- Christophe
Il y a un vrai changement. Pour faire simple, quand on vend un camion diesel, je dirais... assez simplement, on vend un camion diesel et on vend une solution électrique. Donc le camion diesel, on était beaucoup dans la transaction. En fait, les camions diesel, je n'oserais pas dire que les Renault Trucks sont les meilleurs, mais les camions diesel se ressemblent quand même étrangement. Nos clients connaissent tous les metrics. Ils négocient un prix, un volume. Et il y a des différences de prestations, mais en franchise, c'est surtout par le service après-vente qu'on fait la différence. Quand on rentre dans le modèle électrique, et compte tenu d'investissements qui sont très lourds, l'approche d'une solution globale en garantissant une disponibilité des matériels et des coûts d'exploitation sur un nouveau monde devient clé. Et donc, ce qu'on a vu avec nos clients, c'est que d'une approche qui était très transactionnelle, on rentre, et c'est un vrai bonheur, dans une approche de partenariat qui nous oblige à beaucoup mieux comprendre leur métier et le métier de leurs clients. Il y a deux jours, j'étais avec le groupe... Jackie Perreno et son président Philippe Givonne et avec le groupe Intermarché, avec un directeur général Pierre-Yves Escarpie. Et on discutait de comment on pouvait ensemble repenser cette logistique avec des véhicules électriques, mais qui conditionnent les infrastructures de recharge, à quel moment ils doivent charger, où ils doivent charger, le financement, les assurances. Et donc on commence à rentrer dans des systèmes de prestations globales. On est plus dans le service et la solution que dans la vente de produits. On a la chance d'avoir une société de location dont on est capable de faire de la location full service, incluant du financement, de l'assurance, du véhicule relais, du conseil, du pilotage de la disponibilité des matériels. Donc des solutions qui sont plus globales, où on vient avec une approche totale, où on est moins à dire est-ce que le camion il vaut 100 000 ou 105 000, c'est moins ça. Donc ça, c'est une approche. La réalité, quand même, et il ne faut pas se raconter l'histoire, c'est qu'aujourd'hui, ces solutions sont plus chères que les solutions diesel, sauf si elles sont incentivées par l'État. Mais le pari qu'on fait, c'est qu'avant la fin de la décennie, on devra avoir une compétitivité. Et peut-être entrera-t-on demain dans un modèle où, à l'instar de la médecine chinoise, on ne paiera pas quand on est malade, mais on paiera pour ne pas tomber malade. Ce que je veux dire par là, c'est... Je rêve d'un modèle où on dit au client, tant que mon véhicule tourne, tant que la solution marche, tu me payes tant par mois. Le jour où elle ne marche pas...
- Eric
Mais aussi Christophe, ce que tu dis sur la solution complète électrique, qui coûte encore plus cher aujourd'hui à mettre en œuvre que la solution diesel, c'est parce qu'on ne compte pas tout ce qui compte vraiment. Parce que tu parlais de qualité de l'air, tu parlais de CO2, toutes ces externalités ne sont pas prises en compte. Avec la mise en œuvre de la CSRD et d'autres paires de lunettes sur... toutes les externalités d'une entreprise, peut-être que l'offre électrique va devenir gagnante pour vous, pour vos clients et pour la société.
- Christophe
Alors, je suis 100% aligné avec toi et c'est exactement le discours qu'on avait hier avec le groupe Jackie Perreno et avec Intermarché. On est dans une approche exclusivement économique de calcul de coût d'exploitation et autres, mais quand on regarde tout le bien induit environnemental, social de notre prestation, évidemment que c'est une prestation qui fait du sens. Et donc, tant qu'on n'aura pas effectivement des... taxes, une taxe CO2 ou des contraintes sociales plus lourdes. Évidemment que la comparaison des deux solutions, elle est entre guillemets pas faire, elle n'est pas très honnête. Donc je te rejoins complètement. Force est de constater qu'on y va, mais on y va doucement et qu'aujourd'hui, nous, la chance qu'on a, c'est d'avoir des partenaires pionniers qui sont déjà dans cette démarche, même si les réglementations ne sont pas complètement mises en œuvre et qui jouent le jeu. Et je pense d'ailleurs que ces clients qui jouent avec nous, et les clients des clients qui jouent avec nous, ils prennent un temps d'avance. En fait, ils découvrent, mais ils découvrent avec nous et je pense qu'on est en train de progresser beaucoup plus vite que celles et ceux qui disent on attend le moment où on n'aura pas le choix.
- Eric
On va parler de ce temps d'avance et on va parler peut-être de toi, ton business, ton entreprise à l'intérieur du groupe
- Christophe
Volvo Trucks.
- Eric
Est-ce que tu dirais aujourd'hui que vous êtes des pionniers pour Volvo Trucks, par exemple sur ce sujet de l'électrification ou sur d'autres, et en quelque sorte que vous apportez... Ce coup d'avance potentiellement au sein de Volvo Trucks ? Ou est-ce que vous êtes vu comme un peu des fous sur ces sujets-là et que vous prenez des risques par rapport au business installé ? Quelle est, toi, ton image dans le groupe Volvo Trucks ?
- Christophe
Alors, le groupe, c'est plutôt le groupe Volvo. Volvo Trucks, c'est une des marques, mais ta question est valable. Le groupe Volvo, c'est un groupe suédois qui a dans son ADN l'environnement. C'est une société, en gros, social-démocrate, historique. Et donc la démarche d'aller vers des solutions respectueuses de l'environnement et du vivant, ça fait quand même partie du groupe et ça c'est une chance d'appartenir à ce groupe-là. Et par ailleurs, je mentirais en disant que le cadre réglementaire européen, dès 2025 et encore davantage en 2030, nous impose de faire cette transformation, et peut-être pour le meilleur, puisque si nous n'émettons pas 15% de CO2 en moins en 2025 par rapport à 2019, et si nous n'émettons pas... 45% de CO2 en moins en 2030 par rapport à 2019, nous nous exposons à des pénalités monstrueuses. Mais pour moi, évidemment que le cadre réglementaire, il incite à aller, et force est de constater d'ailleurs que ces contraintes réglementaires sont aujourd'hui exclusivement sur les constructeurs, et je pense que si on voulait que ça bouge, il faudrait que les clients, les transporteurs et les clients de nos clients soient aussi dans la boucle, puisqu'il ne faut pas qu'il y ait un seul acteur, il faut que tout le système soit incité à y aller. Mais indépendamment des contraintes réglementaires qui sont nécessaires, moi, ce que je souhaite, c'est la philosophie de ce qu'on fait. Et oui, c'est moins 15%, mais si on peut faire moins 25% plus vite, allons-y. Même si ça coûte de l'argent, il faut qu'on y aille, il faut qu'on montre l'exemple, c'est le rôle d'un leader. Et alors, par rapport à ta question, Renault Trucks, je le disais au début, c'est seulement 10% du chiffre d'affaires du groupe. Et Renault Trucks France, 40% de Renault Trucks. Donc, Renault Trucks France, c'est 4% du chiffre d'affaires du groupe Volvo. Donc un peu moins de 2,5 milliards. Le fait est que c'est Renault Trucks France qui est le pays et la marque qui vend le plus de camions électriques du groupe Volvo. Et ça, moi, je le vis comme une immense fierté. Je montre que c'est possible. Alors, c'est possible aussi parce qu'il y a eu des aides de l'État, mais il y en a eu encore davantage en Allemagne. Il y en avait beaucoup en Europe du Nord. Et Renault Trucks France a pris le lead et a montré l'exemple et montre que c'est possible. On y a mis beaucoup d'énergie. Économiquement, aujourd'hui, ça ne fait pas... complètement de sens. Et évidemment, ça, c'est une contrainte, puisque se dire qu'on part bille en tête pour transformer quant à court terme, ça ne paye pas, ça nécessite d'avoir un discours en vérité en expliquant que, certes, aujourd'hui, ce n'est pas complètement rentable, mais c'est la bonne voie. Et donc, de plus en plus, quand on présente notre performance, on la distingue bien en deux piliers. Un pilier qui est la performance de ce que j'appelle l'ancien monde, qui rapporte de l'argent nécessaire pour financer la transformation du Nouveau Monde. Mais le Nouveau Monde, pour moi, c'est montrer qu'on y va bien avec la bonne part de marché, les bons volumes sur ce nouveau métier et la formidable expérience client et les effets collatéraux positifs que ça crée. Et oui, si ça dégrade à court terme un peu notre rentabilité, vivons avec, vivons fièrement avec parce qu'on monte la voie et encore une fois, je crois que celles et ceux qui attendraient le dernier moment en croyant que Quand tout sera fait, ils arriveront dans la course, je pense qu'ils se trompent. Donc, il y a même d'un point de vue stratégique, pour moi, la nécessité de donner le ton. Et c'est pour moi aussi le rôle d'un leader. Le leader ne doit pas suivre ce qui devient une évidence. Le leader, il est aussi là pour donner le ton et parfois en y laissant quelques plumes.
- Eric
Alors, il y a un mot qui revient souvent chez toi, c'est le mot fierté. Tu parlais de la fierté des équipes de Renault Trucks, notamment sur ces nouvelles offres. Fierté aussi des clients qui se lancent, puis fierté aussi des chauffeurs. Et on sait que dans cette industrie du transport, le chauffeur routier, c'est la clé. Et donc, c'est finalement la fierté de toute la chaîne. Est-ce que tu peux nous dire d'où vient cette fierté ? Comment est-ce que toi, c'est en conscience que tu l'as fait grandir ? On parle de leadership. Comment elle a grandi dans ton entreprise, dans ton écosystème ? Et comment tu vois ce levier de la fierté, fierté des équipes pour le futur ?
- Christophe
Alors, autant le... l'environnement, le vivant, c'est venu assez tard dans mon histoire personnelle. Autant l'humain au cœur d'un projet, ça c'est vraiment en moi depuis tout petit. Je crois que je suis tombé dedans quand j'étais petit. Je ne conçois un projet, une aventure, que si c'était une aventure humaine, où tout le monde a sa place et où on est ensemble pour un projet. Et ce que j'ai pu voir, et la CEC n'a pas été neutre là-dedans, c'est quand on a parlé du projet et avec les employés de Renault Trucks et au-delà des employés de Renault Trucks, avec les gens de notre réseau, de ce qu'on voulait faire, quelle était notre vision de ce qu'on voulait devenir à terme et de profiter de cette transformation de l'industrie comme une chance de revoir aussi notre position sur l'échiquier. J'ai senti un vrai intérêt des équipes et de rappeler aux équipes qu'on a tous des rôles différents dans le projet. Et ça, c'est comme en sport, comme en foot, il y a le gardien de but, il y a les arrières, il y a les avant. Qu'on a tous notre rôle dans le projet et qu'on peut tous porter le projet et que chacun a sa place dans le projet, dans sa diversité. Et ce que je vois maintenant, et on évoquait cette fameuse nouvelle boussole, c'est que quand on discute avec les salariés du projet et qu'on continue de parler évidemment d'économie, de performance opérationnelle. mais qu'on parle aussi de comment on développe l'organisation, comment on forme les gens, comment on rend les gens qui expriment leur curiosité plus grands et comment on développe des solutions décarbonées qui font du sens. Les gens disent, mais moi, ce projet, je veux en être. Je veux en être. Et donc, on passe beaucoup de temps ensemble. On a, je crois, créé un environnement de santé, de sécurité psychologique où les gens peuvent donner leur avis. peuvent confronter, peuvent dialoguer. Après, on a maintenant une feuille de route assez claire et je demande aux équipes d'être focalisées sur la feuille de route pour qu'on ne se perde pas. Mais le dialogue, la confrontation et la participation au projet pleinement, ça fait partie du deal. Donc, c'est vrai avec les équipes Renault Trucks France et je suis vraiment content. Je parlais de fierté de voir les retours qu'on a, le niveau d'engagement qu'on a, qu'on mesure chaque année. On a eu les résultats. pour 2024 sont assez exceptionnels. Et j'ai pas mal d'amis qui ont des entreprises, qui sont venus visiter Renault Trucks, chaque fois ils me disent mais c'est fou la passion qu'on voit dans le regard des gens, les sourires qu'on voit. Ça pour moi, c'est un driver énorme. En tant que responsable de cette organisation, ça fait vraiment que je me lève le matin parce que je ressens ça. Et puis, la bonne humeur, l'engagement, la fierté, ça se diffuse. Donc quand on va voir nos partenaires du réseau, quand on va voir nos clients, Et quand on voit qu'ils montent à bord, j'avais récemment le patron d'une entreprise, Bruno Klockner, de XPO Logistique, qui me disait Mais Christophe, l'aventure qu'on mène, c'est un truc de fou. On est en train de changer l'histoire, de changer le game. Bon, ça, pour moi, ça n'a pas de prix. Et quand j'essaie de faire le bilan de 30 ans de carrière chez Renault Trucks, je ne me rappelle que d'aventures humaines. J'ai du mal à me rappeler du cashflow de Renault Trucks en Asie-Pacifique. Ça, j'ai un peu oublié. Donc ça, pour moi, c'est un vrai moteur. Et oui, je crois que c'est une des grandes fiertés, c'est de voir les gens grandir, de se faire aussi déborder. J'ai dans mon équipe des personnes super talentueuses dont je sens qu'elles peuvent largement prendre ma place. Voilà le type de satisfaction qu'on peut avoir, je trouve, de voir une entreprise grandir.
- Eric
Alors tu sais, Christophe, ou tu ne sais pas encore, mais tu détiens un record du monde. Ton entreprise qui est le nombre de Planet Champions à l'intérieur de ton entreprise. Et encore une fois, le Planet Champion, c'est dans une entreprise et dans les parcours CEC, les personnes qui accompagnent le dirigeant ou la dirigeante pour mettre en œuvre, expliquer à l'intérieur de l'entreprise la feuille de route de transformation. Est-ce que tu peux nous parler de ton réseau des Planet Champions chez Renault Trucks ?
- Christophe
Chez Renault Trucks, on a environ 80 Planet Champions et on va dire qu'on a deux typologies de Planet Champions. On a les Planet Champions de Renault Trucks et on a les... Planète Champions de Renault Trucks France. Et je connais mieux ceux de Renault Trucks France, mais je connais ceux de Renault Trucks aussi. Leur vocation, c'est au moins ceux de Renault Trucks, donc il y en a 80, c'est d'acculturer, de partager. Bon, il y a évidemment les fresques du climat, mais fresques de la circularité, des séminaires sur ce qu'on fait en éco-conception, d'invitations de gens inspirants. Il y a tout ce travail qui est fait à une régularité. À peu près tous les mois, il y a des événements. Donc, c'est tout un système d'acculturation et de mise en avant d'initiatives de l'entreprise pour aller dans le bon sens, pour susciter des idées. Donc, ça, c'est le premier élément. Ça, c'est au niveau Renault Trucks. Au niveau Renault Trucks France, on est allé, entre guillemets, un peu plus loin. En tout cas, on a voulu dire qu'est-ce qu'on peut faire, nous, dans notre société, que ce soit en termes de mobilité, en termes d'alimentation, en termes... de voyage, que ce soit l'événementiel, que ce soit notre façon de travailler ensemble, notre ouverture sur l'écosystème. Et ça a ouvert des discussions qui sont allées au-delà du Planet Champions, qui sont allées sur un peu du People Champion aussi. C'est-à-dire qu'on voit bien qu'en fait, cette approche de respect du vivant, elle va vers l'environnement, mais elle va vite vers les personnes aussi. Donc il y a eu en parallèle toute une démarche autour de l'inclusion. et du bien-être des salariés au travail pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, qu'ils soient bien, qu'ils soient eux. Donc, tout ça, elle est ensemble. Donc, aujourd'hui, c'est Planet Champions. On voit au chapitre, tous les trois mois, de manière officielle, il y a un turn-all qu'on a. Il nous explique ce qui a été fait par l'entreprise, ce qu'on va faire derrière. Alors ça, on l'a fait aussi en se faisant aider d'entreprises externes qui nous ont permis de faire notre bilan carbone, qui nous ont permis de voir des pistes de progrès. Donc, c'est un réseau, une communauté qui vit et qui inspire. Et ce qui est génial aussi, je trouve, c'est que certaines personnes... qui n'étaient pas nécessairement dans la locomotive ou dans le premier wagon, dans le projet d'entreprise, sont remontés à bord. Et je pense à l'un ou l'une d'entre eux qui sont maintenant dans le premier wagon. Donc, ça a permis aussi de redonner du sens à des salariés qui se posaient quelques questions.
- Eric
On continue à brosser le portrait de cette feuille de route. Tu as évoqué tout à l'heure, on revient un peu sur les leviers opérationnels, l'évolution de la logistique. Tu parlais de cyclo-logistique. Donc, deux questions. Est-ce que tu peux nous... parler de cette évolution-là. Et puis aussi, s'il y a d'autres leviers que tu vois dans ta feuille de route qu'on n'aurait pas abordé, qu'est-ce que tu as envie de nous partager pour qu'on ait vraiment vu l'intégralité de ta feuille de route ?
- Christophe
Alors, sur la logistique urbaine, on essaie de réfléchir à comment on peut transporter les marchandises en respectuant et l'environnement et la vie dans la ville. Parce qu'on le sait, que ce soit la qualité de l'air, que ce soit les émissions de CO2, que ce soit les nuisances sonores qui sont... C'est un vrai problème pour les citoyens. Donc c'est de re-réfléchir à comment on peut le faire. Donc effectivement, on avait identifié la cyclo-logistique comme un des axes intéressants. On a eu la chance de signer un partenariat avec le groupe Jeanlin pour assembler dans notre usine des triporteurs, qui s'appellent Frigone Cluster, qu'on a commencé à commercialiser à travers le réseau Renault Trucks. Alors le démarrage se fait doucement, mais moi je crois à cette solution. On est d'ailleurs en train de réfléchir à une deuxième solution. un peu plus accessible financièrement et peut-être encore plus efficace. Mais ça, c'est une façon de se dire, il n'y a pas nécessairement besoin de gros camions pour aller dans les villes. Il y a des endroits congestionnés où la cyclo-logistique peut faire du sens. Donc, on s'est lancé dans cette aventure qui a mobilisé les équipes. On a même un membre de Renault Trucks qui a pris la direction générale de cette société pour essayer de le doper. Donc, ça, c'est un élément. Évidemment, dans la logistique urbaine, j'évoquais l'électromobilité, mais... tout ce qui est véhicules utilitaires, la bascule vers les véhicules électriques est évidente pour moi. C'est-à-dire que la question ne se pose même pas. Ensuite se pose la question et là on n'a pas craqué le système, c'est de se dire est-il complètement normal, notamment que des particuliers se fassent livrer des colis un peu n'importe comment. Donc là, il y a à mon avis une refonte plus globale à réfléchir de comment on veut consommer, qu'est-ce qu'on veut consommer. Et là, pour l'instant, on n'a pas craqué le système. Mais ce souci de réviser et la massification du transport et ensuite ce dernier kilomètre fait potentiellement par des matériels autres en tout cas que des fourgons diesel, ça, on a commencé à avancer sur cette piste. Est-ce qu'il y a d'autres choses auxquelles on a pensé ? Ce que j'ai évoqué sur la circularité, par rapport à ces véhicules électriques, on est quand même en train de se dire ces véhicules vont durer quand même assez longtemps. Qu'est-ce qu'on va faire de ces véhicules et des batteries, notamment dans une deuxième vie ? Est-ce qu'on va pouvoir les appliquer sur des véhicules qui auront peut-être des kilométrages moindres, voire une troisième vie en stationnaire avant de les recycler ? Donc on est déjà en train de réfléchir à comment on donne du sens à cette filière pour la rendre soutenable et souveraine.
- Eric
Elle est très riche cette feuille de route. On a évoqué les trois leviers plus opérationnels, modèle d'affaires, aussi le socle d'engagement et cette fierté qu'on sent dans toute l'entreprise. Mais ce n'est pas simple. Il y a sans doute des obstacles. Ce seraient quoi les plus grands obstacles que tu rencontres aujourd'hui qui font que parfois ça manque de vent dans les voiles ?
- Christophe
Les obstacles, j'en vois deux. Le premier obstacle, c'est cette transformation ne peut pas être gratuite. Et le passage du modèle ancien au modèle nouveau, par définition, il y a une période pendant laquelle on ne peut pas sortir les rentabilités analogues d'un système éprouvé suroptimisé à tout niveau. Quand on se cherche, quand on se transforme, il est évident qu'on doit mettre au pot, on doit investir, on doit accepter l'échec, on doit retenter. Et ça, ce n'est pas nécessairement quelque chose d'évident à faire passer comme message, parce qu'il y a une volonté de rentabilité qui se légitime sur la nécessité pour réinvestir dans ce modèle de transformation. Mais je pense qu'il faut qu'on accepte qu'il y ait une période où on gagne moins bien notre vie. si on a la conviction que ce qu'on fait est juste. et que ce sera le modèle robuste et pérenne de demain. Alors ça, c'est quand même un discours pas facile, parce que quand on arrive à la fin d'un trimestre, quand on arrive à la fin d'une année, on revient assez vite sur nos réflexes un peu pavloviens de mais on en est où de la facturation ? On en est où des stocks ? On en est où des marges ? Et je ne dis surtout pas qu'une entreprise ne doit pas être rentable et en capacité d'investir, mais peut-être les niveaux de retour sur investissement et peut-être les niveaux de profitabilité qu'on attend. sont peut-être trop compliquées à atteindre dans des périodes de transformation. Donc ça, je pense que c'est des discussions qu'on a en interne. Moi, j'ai mes convictions personnelles et j'appartiens à une entreprise, donc j'essaie de défendre ce mouvement, mais je mentirais en disant que c'est simple. Et donc, on est sur la crête. Et puis, la deuxième contrainte, c'est qu'on a certains clients et certains clients de clients qui vraiment sont courageux, qui sont des alliés. Dans ces clients et clients et clients, il y a beaucoup d'entreprises qui ont fait la CEC. Donc, un petit bonjour à Alexandra, Mathieu, Londres, Serfim. Un petit bonjour à d'autres amis qui jouent le jeu avec nous, notamment au niveau régional, qui disent économiquement, ce n'est pas complètement ça, mais on y va. C'est ce qu'on doit faire. C'est ce qu'on doit faire. Et parfois, ce qu'on doit faire, si on compte ce qui compte vraiment, ça ne se voit pas tout de suite en bas de page, en fin de mois, mais c'est quand même ce qu'il faut faire. Mais si vraiment, là, dans les tripes, si vraiment, on sent que c'est ça qu'on doit faire, alors je pense qu'il faut y aller à fond. Et puis, des doutes sur est-ce que le modèle qu'on promeut, est-ce que ça peut vraiment marcher ? Mais plus on travaille le modèle et plus on travaille en transparence, je pense que ça aussi, c'est nouveau. C'est de travailler à livre ouvert, de partager ces données avec nos partenaires, de dire mais ensemble, on doit y arriver. Comment on partage cet effort en se disant on fait tout ça, mais derrière ce qu'il y aura, ça vaut le coup ? Donc voilà peut-être les vents de face.
- Eric
Petit moment réflexif sur ton style de leadership. On réfléchit beaucoup au leadership régénératif. Finalement, en se disant qu'une entreprise a visé régénérative, elle doit petit à petit aller vers un management lui aussi régénératif. On a besoin de cette cohérence. On peut sentir ton leadership en mettant l'humain au cœur de tes actions. Tu as aussi évoqué cette notion du coup d'avance au niveau de la vision stratégique. Est-ce qu'il y a d'autres inflexions ou bonifications qu'il y a eu dans ton style de leadership sur ces 3-4 dernières années ? Ou des confirmations ?
- Christophe
En fait, la CEC m'a été utile et puis j'ai eu un autre moment qui m'a été utile. J'ai eu la chance d'aller en Suisse en formation il y a quelques mois et où on a beaucoup travaillé sur soi, sur sa remise en cause. Et il y a deux choses qui me sont sorties comme une évidence. La première, c'est que... Il n'y a pas d'âge pour grandir, il n'y a pas d'âge pour se transformer, il n'y a pas d'âge pour être curieux. Et je pense que dans un monde en transformation, pour des sociétés qui doivent se transformer, il est essentiel que les leaders acceptent la remise en cause profonde de ce qu'ils sont et pas nécessairement sur des valeurs, mais au moins sur la façon de voir le monde et d'accepter, d'apprendre, de se confronter. Donc pour moi, cette notion de curiosité... et d'ouverture, ça c'est quelque chose auquel je crois beaucoup et quand on discute avec l'équipe de direction sur les profils qu'on souhaite mettre en avant pour demain, la notion de curiosité, d'écoute, de capacité à travailler en réseau sort de manière flagrante. Deuxième idée qui est sortie, qu'on reprend souvent à la CEC, c'est bienveillance et exigence. Et je pense que la bienveillance, je l'ai toujours eu un peu naturellement en moi, l'exigence peut-être pas assez. Et je suis convaincu, le respect qu'on peut avoir avec les gens avec qui on travaille, c'est aussi d'être exigeant avec eux. Donc ça, c'est un peu nouveau pour moi. Et donc d'avoir cet équilibre et ces deux jambes, exigence et bienveillance. Et puis le troisième élément, j'ai la chance encore une fois d'être entouré par des gens qui me bousculent. Et je pense qu'on a créé un climat de confiance qui fait que j'ai pas peur aussi de parler de mes fragilités, de ma vulnérabilité et donc de me faire... bousculé par des gens qui m'entourent, dont je sais qu'ils me veulent du bien et qu'ils veulent surtout du bien à l'entreprise, mais ça va ensemble. Et ça, pour moi, c'est, je pense, un vrai progrès. La première personne qui m'avait permis de grandir comme ça, c'est Olivier Medjer, en 2005 à Singapour, donc le Planet Champion de Renault Truck, et qui m'avait donné un feedback courageux, qui m'avait un peu frotté, mais courageux. Donc ça, je pense que ça aussi, c'est... Pour moi, ça fait partie du chemin. On est leader, mais on est leader ensemble et on a le droit de se faire bousculer.
- Eric
Alors, on va revenir un petit peu dans ta sphère plus personnelle. Tu parlais du regard de tes enfants au moment où tu t'es lancé dans l'aventure CEC. Il en est où le regard de tes enfants aujourd'hui ?
- Christophe
D'abord, je ne suis pas objectif. On ne peut pas être objectif quand on a un papa. Mes enfants, c'est marrant. On est à un âge où Baptiste a 27 ans, Louise 25 et Madeleine 20 ans, où ce sont mes enfants, ce sera toujours mes enfants, mais ce sont des adultes. Et ils ont un regard d'adulte. Et donc, eux, pour le coup, ce que je disais sur la vulnérabilité et le feedback... Ça, ils l'ont toujours eu, ils l'ont encore davantage aujourd'hui. Donc je pense qu'ils ont un mélange de fierté de leur papa, je pense, de l'acceptation du chemin que je fais, de ce que ça me coûte parfois, en énergie, en temps passé, pour cheminer un peu en dehors des sentiers que j'avais. Je pense qu'ils sont contents de voir que je remets en cause ce que j'ai fait pendant longtemps. Alors j'ai un fils qui m'a dit un jour quelque chose qui m'a marqué, Baptiste. Il m'a dit, toi, papa, le truc, c'est que tu te lèves le matin, tu as deux rails, tu es sur une piste et tu y vas à fond. Il dit, moi, je me lève le matin, il y a de la poudreuse. Et il m'a dit, ce serait bien que tu mettes un peu de poudreuse sur la piste. Alors, c'est peut-être là où il m'aide, mais je crois qu'ils sont globalement contents du changement, plutôt fiers de leur père. Moi, je suis très fier d'eux.
- Eric
Alors, on arrive à la fin de cette conversation. On se rend compte qu'avec le mouvement CEC, c'est... que finalement, là où c'est le plus difficile d'embarquer les dirigeants et les dirigeants d'entreprise, c'est quand on va vers des grandes entreprises. Il y a plein de raisons à ça. Comment toi, puisque tu es sur une entreprise d'une taille considérable, qu'est-ce que tu pourrais dire à un dirigeant, un patron du CAC 40, du SBF 120, sur pourquoi s'engager, pas forcément dans la CEC, mais en tout cas sur une remise en question profonde des modèles d'affaires ? Quels seraient les arguments que tu essaierais d'utiliser ?
- Christophe
Je pense que ce que je me dirais, c'est de manière pragmatique, projetons-nous en 2040, si on ne change pas les choses, ce qui va nous arriver. Et donc, les risques qu'en tant que dirigeant, vous faites prendre à votre entreprise si vous restez dans l'ancien modèle. J'aime beaucoup, évidemment, Olivier Hamant et cette opposition de la performance et de la robustesse. Pour moi, quel est notre rôle de dirigeant ? Est-ce que c'est... de sur-optimiser une performance court terme ? Ou est-ce qu'on a un rôle de transmission, de pérennité d'une entreprise par rapport à une mission ? Et évidemment, c'est sûrement un peu plus compliqué dans des grosses entreprises où les personnes peuvent valser assez vite, où les mandats sont parfois de courte durée. C'est l'approche au niveau du temps. La temporalité n'est pas la même. Les entreprises familiales qui se transmettent d'une génération à l'autre. ont souvent plus naturellement le sens de ce qu'il faut faire pour transmettre. Mais si on se projette, et j'étais avec Tariel Chameurois de France Supply Chain qui a essayé de parler de ce que serait le transport et la logistique en 2040, si on laissait faire, et les premiers éléments évoqués avec la montée des eaux, avec des tempêtes, avec des risques dans la supply, quand on se projette et qu'on dit si on laisse le modèle comme ça, voilà ce qui va se passer. Et on commence à le voir. Et on commence à le voir, je veux dire. Et plus vite qu'on ne le croyait, bon ben, arrêtons, quoi. Arrêtons, sortons la tête du guidon, projetons-nous sur ça veut dire quoi en 2040 si on laisse filer. Et si on se dit ça, la responsabilité d'un dirigeant, c'est quand même de penser au-delà de la fin du trimestre, au-delà de la fin de l'année. C'est de raisonner à 15 ans. Donc, ce serait ça, ce message. C'est notre mandat, c'est pas un mandat court terme. Alors, c'est sûr. que quand on est une entreprise cotée, quand on a les marchés financiers qui demandent. Donc, ça nécessite pour moi d'expliquer l'histoire, d'expliquer pourquoi on le fait, de passer du temps. Mais ce n'est pas simple dans une grande entreprise. Mais encore une fois, robustesse plutôt que performance. C'est ça qui me vient.
- Eric
Et on se rend compte que tous ensemble, on est sur un chemin de compréhension d'à quoi ressemble l'économie de demain. Est-ce qu'elle est possible ? Nous, on appelait ça l'économie régénérative. Et en fait, on se rend compte que c'est hyper important de savoir rendre plus simple ce nouveau modèle économique. Donc, si tu avais expliqué à un enfant de 10 ans, qu'est-ce qu'une entreprise a visé régénérative ? Quelle est la différence avec l'ancien paradigme ? Quels seraient les mots que tu utiliserais ?
- Christophe
Je pense que ce qui me viendrait, c'est... Je partirais de compter de ce qui compte vraiment, et en commençant par le vivant. C'est une entreprise qui doit respecter le vivant. Et prendre soin du vivant en se projetant sur la durée. Je ne saurais pas nécessairement très bien le formuler pour un jeune, mais ce serait mon travail consiste à faire ça en respectant le vivant, voire lui permettre de se développer. Il y a quelque chose autour de ça. Mais question qui n'est pas préparée, qui me chope. Mais c'est ça que je ressens au plus profond de moi. Respect du vivant. Et dans le vivant, il y a évidemment la nature et les personnes.
- Eric
Alors, il me reste à te dire merci, Christophe. Merci pour ton courage. Courage d'un dirigeant qui prend des options difficiles. Pour l'authenticité, je crois qu'on s'est parlé à cœur ouvert. Et merci aussi pour ton pragmatisme. Parce qu'on se rend compte que c'est hyper concret ce qui se passe chez Renault Trucks. Et j'ajouterais le mot fierté qui est vraiment ressorti et qui est peut-être cet ingrédient qui peut donner une accélération dans ton entreprise, mais aussi dans le monde économique. Encore un grand merci et en route pour le Capregen.
- Christophe
Merci Eric. Cette rencontre qui a eu lieu il y a 2-3 ans, elle a quand même changé ma vie. Comme je le dis souvent, il y a un avant et un après CEC pour le meilleur. J'ai une dizaine d'années devant moi à travailler, j'espère pour Renault Trucks. 10 ans, ça semble long, mais ce n'est pas grand-chose. C'est 10 ans où on retrousse ses manches et on y va. Donc, merci pour tout.