- Laurence
L'économie n'est plus complètement au service des populations et de la société... On vit toujours sur des modèles économiques qui font l'hypothèse que la nature est infinie... Est-ce que c'est les anciens acteurs de l'ancien monde qui vont réellement apporter les solutions dont on a besoin ? On a besoin aussi de nouvelles solutions venant de personnes avec de nouvelles visions. L'entreprise est un puissant levier de transformation. Le capital peut être un outil très intéressant, orienté vers des projets qui font partie de la solution.
- Eric
Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Éric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Laurence.
- Laurence
Bonjour Éric.
- Eric
Alors Laurence, je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage. parce qu'il en faut du courage pour s'embarquer dans cette aventure de la régénération. Authenticité, l'authenticité de notre échange. Et puis le pragmatisme. On veut rendre le plus concret possible l'économie régénérative. Là, on va être sur le domaine de la finance. On va essayer d'être le plus concret possible, le plus pragmatique possible. Donc ces trois initiales, courage, authenticité, pragmatisme, ça fait CAP. Alors Laurence, CAP ou pas CAP ?
- Laurence
CAP !
- Eric
Alors on se lance. Laurence, tu as un parcours qui sort du commun. Tu as démarré ta carrière comme journaliste dans le groupe Moniteur. Tu t'intéresses au sujet de mobilité sociale et à la question de la diversité en particulier. Et tu deviens chercheur associé à l'Institut Montaigne. En 2004, c'est la publication de ton rapport sur les oubliés de l'égalité des chances. Tu fais un passage en cabinet ministériel en devenant conseiller technique au ministre délégué à l'égalité des chances. Tu fais le constat que le capital... est un puissant levier de transformation de nos sociétés. Et en 2008, tu fondes avec Pierre-Olivier Barène Citizen Capital, un des tout premiers fonds à impact en France. Tu as participé au parcours de la CEC dédiée au Monde Financier en 2023-2024.
- Laurence
Oui.
- Eric
Alors Laurence, pour commencer, est-ce que tu peux nous présenter en quelques mots, en quelques chiffres peut-être, cette entreprise, cette activité de Citizen Capital ?
- Laurence
Alors, Citizen Capital, c'est une aventure qu'on a démarrée en 2008, au cœur de la crise de 2008. C'est important, je pense, de le dire. Avec un objectif, de mon côté comme de celui de Pierre-Olivier. En fait, on a deux parcours très différents, mais on s'est rejoints sur une conviction qui était à la fois que l'entreprise est un puissant levier de transformation et qu'on ne relèvera pas les défis sans l'entreprise. Et moi, je pense que je n'ai pas forcément grandi dans cette culture-là. Et ensuite, que le capital pouvait être un outil très intéressant. pour orienter l'allocation du capital et pour l'orienter vers des projets qui font partie de la solution. C'est-à-dire des projets qui viennent avec un objectif clair d'utiliser l'entreprise d'une certaine manière, de s'appuyer sur l'entreprise pour résoudre un problème de nature sociale ou environnementale. Donc c'est une conviction que l'économie, probablement depuis un certain nombre de décennies, n'est plus complètement au service des populations et de la société. Alors qu'elle doit l'être en fait. Il nous semble, nous, que le rôle de l'économie et de l'entreprise, c'est d'être au service de la société. Donc c'est de répondre à des besoins fondamentaux. Et il y a un certain nombre de besoins auxquels on répond aujourd'hui, qui ne sont non seulement pas forcément très fondamentaux, mais massivement destructeurs.
- Eric
Donc aujourd'hui, Citizen Capital, en termes de nombre de projets, d'euros investis, vous arrivez à faire quoi aujourd'hui ? Alors,
- Laurence
on a levé six fonds depuis notre création, dont quatre qui sont en cours d'investissement. Nos quatre premiers fonds financent des startups et des PME qui sont contributives, c'est-à-dire qui sont dans les secteurs de la santé, de l'éducation, du climat, de l'économie circulaire, pour lesquels on se forge une conviction, et on peut mettre un peu de temps d'ailleurs à se forger cette conviction, qu'elles ont un vrai potentiel d'impact tangible, mesurable, et qu'on est face à des entrepreneurs qui ont une révision. Ça, c'est très important pour que tout ça soit pérenne. Et ces quatre premiers fonds sont sur des segments d'investissement qu'on appelle soit l'early stage, c'est-à-dire des entreprises très jeunes, soit des entreprises qui ont déjà quelques millions d'euros de chiffre d'affaires, mais qui sont sur un fort potentiel de croissance, un fort rythme de croissance. Donc, on est globalement sur des entreprises jeunes, ce que j'appelle des nouveaux entrants dans l'économie, ce qui n'est pas forcément la cible première de la CEC. On y reviendra peut-être, mais c'est intéressant. On est ce qu'on appelle des impact natives ou des mission natives. tant Citizen Capital en tant qu'organisation que les entreprises qu'on finance d'ailleurs. Et ensuite, en 2020, on a reposé la question de notre mission, pourquoi on est là, à quoi on sert, et on a décidé d'affirmer assez fortement le souhait de continuer à innover dans l'investissement à impact et de défricher des nouvelles voies de financement, considérant que l'entreprise et notamment la start-up à très fort potentiel de croissance, qui est globalement la tech, n'étaient pas l'unique réponse aux défis qu'on a devant nous. et qu'il y a des problèmes, en tout cas on a envie de s'autoriser de sortir des normes du private equity classique pour répondre à certains besoins qui ne nous semblent pas bien adressés par le marché. Et c'est comme ça qu'on a commencé à développer un premier fonds dans l'agriculture, on est en train de finaliser un deuxième. C'est un des sujets qui m'a beaucoup attiré à la CEC, je relie beaucoup l'agriculture évidemment à une forme d'économie régénérative. Ça nous raccroche aux vivants et on a développé aussi un fonds de contrat impact que j'aime beaucoup aussi parce qu'on travaille avec l'État et c'est un mode de financement un peu particulier où on prend le risque à la place de l'État de financer des programmes associatifs très ambitieux dont l'État reconnaît que ça apporte une vraie innovation, une vraie amélioration dans l'efficience de la dépense publique et l'État nous rembourse le risque qu'on a pris d'une certaine manière si... Et seulement si on a atteint l'objectif d'impact fixé au départ.
- Eric
Alors, on va juste aller un tout petit peu plus loin sur l'impact, puisqu'on parle d'un fonds à impact. Les chiffres qu'on peut voir sur votre site, c'est environ 250 millions d'euros investis. Et effectivement, comme c'était un fonds en 2008 qui était très novateur, et là, tu nous parles de nouveaux projets qui sont aussi novateurs et des secteurs qui ont des besoins forts sur l'impact de Citizen Capital. Est-ce que vous êtes sur votre impact direct aussi ? Vous avez cette réflexion de l'influence que vous pouvez avoir sur le secteur financier. Est-ce que c'était présent pour vous ça dès le départ ?
- Laurence
C'est une très bonne question. Je pense qu'on a deux clients dans notre métier d'une certaine manière. On a nos investisseurs, ceux qui nous confient de l'argent, et les entrepreneurs qu'on accompagne et qu'on finance. Je pense qu'on a été culturellement très tournés vers les entrepreneurs pendant au moins les dix premières années de notre vie, considérant que les apporteurs de capitaux, voilà d'ailleurs le terme le dit tout seul, étaient des apporteurs de capitaux. Et on est en train de beaucoup évoluer là-dessus. Et je dirais que la CEC a clairement contribué à la maturité de notre réflexion sur l'enjeu écosystémique de notre métier. Et qu'effectivement, on fait partie d'une chaîne de valeurs qui va du bénéficiaire final, les gens, jusqu'à l'épargnant qui place son argent. dans un certain nombre de comptes et que gèrent des grands investisseurs institutionnels comme la CNP, Allianz, Amundi, etc. Et ces gens-là nous confient de l'argent. Évidemment, un des nœuds pour moi du changement, de l'évolution systémique que moi j'attends en tout cas, qui me semble devrait apporter l'investissement à impact, est qu'on vit toujours sur des modèles économiques qui font l'hypothèse que la nature est infinie. et que donc la croissance peut toujours être plus forte. Et c'est extrêmement complexe de sortir de ce paradigme. Pas forcément pour tout d'un coup être en décroissance, c'est même pas ça. Mais ne serait-ce qu'imaginer qu'on peut avoir des modèles de fonds qui sont adaptés aux besoins auxquels on répond. On ne peut pas répondre avec un même modèle de fonds à une solution apportée par une entreprise tech qui peut faire x10 en quelques années qu'un agriculteur qui développe la première transformation sur sa ferme.
- Eric
Alors on y reviendra, parce qu'on sera au cœur de la discussion sur le changement de paradigme et des modèles économiques. Effectivement, est-ce qu'on veut toujours plus de rendement ? Et est-ce qu'on peut trouver ce que cherchent beaucoup d'investisseurs, c'est-à-dire à la fois avoir des très bons rendements et bonne conscience en se disant qu'on est sur des modèles qui font du bien au bien commun. Donc on va y revenir. Ce que je te propose, c'est de passer un petit peu plus par toi, savoir d'où te vient cette énergie de transformation que tu as et cet engagement. Donc déjà, quand tu étais enfant, quand tu étais jeune, quel métier tu voulais faire ? Est-ce que tu te projetais sur ce genre de métier ?
- Laurence
C'est une très bonne question. En fait, très vite, je ne me suis pas projetée. Moi, je viens d'une famille de politique, en fait, où mon père faisait de la politique. Et je pense qu'il m'avait identifiée comme, je ne dirais pas son successeur, mais en tout cas, il estimait que j'avais toutes les qualités pour faire de la politique. Et j'ai été un peu, j'ai eu une sorte d'injonction comme ça pendant pas mal d'années. Et j'ai dû faire un détour par pas mal de chemins, on va dire. pour finalement décider que ma manière de m'engager ne passerait pas forcément par la politique au sens strict ou classique du terme. Je dirais, de la sixième jusqu'à mes trente ans, je ne savais absolument pas ce que je voulais faire. Mais du coup, j'ai fait plein de choses, dont de la musique. J'ai fait beaucoup de musique dans ma vingtaine, en même temps que mes études, qui m'a en fait ouvert énormément l'esprit. Je pense que je me suis forgée beaucoup de convictions à ce moment-là, parce que j'ai vécu dans un Paris multiculturel, et j'ai vu la chance inouïe. qu'on a de vivre dans une société de ce type-là, qui est ouverte et diverse. Et donc, c'est très progressivement que je me suis projetée dans un monde professionnel. Et j'avoue que, même aujourd'hui, j'ai jamais eu un plan de carrière, par exemple. La démarche de créer Citizen Capital, c'était, je pense, une vraie envie d'entreprendre. Après cinq ou six années passées dans le monde, on va dire la sphère publique, que ce soit en cabinet ministériel ou à l'Institut Montaigne. Et j'ai fait vraiment deux découvertes, je dirais l'une c'est que l'entreprise était capable de se saisir d'un sujet et d'avancer assez vite, et ça m'a impressionnée. J'ai vraiment découvert la puissance de l'entreprise après l'Institut Montaigne, parce qu'on a beaucoup travaillé avec l'entreprise après la publication du rapport, notamment sur une charte de la diversité, et à contrario, la faiblesse du moteur des pouvoirs publics. C'est-à-dire que moi j'attendais beaucoup, d'ailleurs ce rapport pour moi était destiné aux politiques, c'était vraiment le but. Et sur tous les sujets, les rapports de l'Institut Montaigne ont des recommandations très concrètes, donc on peut vraiment s'en emparer. Et sur tous ces sujets, l'État est resté extrêmement attentiste, quasiment tous. Et j'ai été très déçue. Et je me suis dit, mais je ne peux pas me projeter dans une organisation où ça va si lentement, c'est si incertain, on ne voit pas où on va. Et j'ai commencé à me dire, non, en fait, je ne suis pas énarque, je ne vais pas devenir dircab. Donc, c'est quoi ma voie ? Et j'ai commencé à rencontrer des fonds anglais et américains qui avaient déjà un petit segment d'investissement qu'on appelait le social venture ou le community venture, qui commençaient à avoir cette vision d'un double objectif de performance à la fois financière et autre, sociale, environnementale et que sais-je en fait. Parce que ce qui est vraiment intéressant, c'est de sortir d'une vision unilatérale finalement, de maximisation d'une chose en fait. Et c'est en ça que pour moi l'investissement à impact est... peut être un vrai game changer dans le monde de la finance parce qu'on sort d'une vision unique, d'un objectif unique. On devient un peu plus holistique.
- Eric
Et justement, on va peut-être aller sur ta fibre ou ton élan. Ton élan premier, ce qu'on peut voir dans ton parcours, c'est plutôt un élan social et d'égalité des chances et donc social. Là, tu nous parles d'agriculture aussi, de fonds d'agriculture, donc d'enjeux qui sont peut-être plus dans la catégorie écologique ou nature. Donc, est-ce que c'est une majeure, une mineure ? Est-ce qu'aujourd'hui tu sens que c'est équilibré ? Est-ce que tu as toujours eu la fibre sociale et la fibre écolo ? Où est-ce que tu te positionnes par rapport à ça ?
- Laurence
Non, j'ai clairement grandi plutôt avec une fibre sociale, c'est-à-dire comment on change le monde pour améliorer la société pour les êtres humains. Et je n'ai pas grandi dans un environnement d'engagement écologique, et donc il est venu progressivement. Je dirais qu'après les premières années de financement d'entreprise, on a commencé... Avoir arrivé des projets qui avaient une vocation de transformation plutôt écologique. Et progressivement, la conscience de l'urgence écologique est venue, je dirais pour moi, durant ces 15 dernières années, quelque part il y a 10 ans. Mais ce n'est pas mon premier drive, effectivement. Et aujourd'hui, on a un marché, c'est l'inverse. On a un marché qui est, en tout cas dans notre marché d'entreprise plutôt jeune, il est massivement sur des sujets environnementaux. Quand je dis massivement, je dirais que 70 à 80% des projets qu'on reçoit, j'exagère, peut-être 70%, sont sur des thèses d'impact environnemental. Et la question qu'on se pose, c'est comment ne pas disparaître, que le marché ne disparaisse pas sur les sujets sociaux. Et les sujets sociaux ont d'autres enjeux. En plus, il y a une certaine complexité sur les thèses sociales. Les indicateurs sont plus complexes. La mission de l'entreprise peut être sociale et en même temps avoir des externalités négatives fortes, etc.
- Eric
Donc on revient un peu dans le donut en fait, où on a à la fois besoin de prendre soin des limites planétaires et aussi du plancher social.
- Laurence
Mais c'est intéressant parce que le donut, moi j'ai mis beaucoup de temps à réellement adhérer au donut, parce que moi mon but c'était plutôt de l'exploser le donut. Comment je dirais, c'était pas de rester dans un plancher. Alors le plancher c'était l'élevé et les solutions écologiques, j'étais vraiment dans une culture d'apporter des solutions nouvelles. Je suis pas dans une culture de réduction des impacts négatifs. Et c'est vrai qu'évidemment, il y a un gisement d'impact énorme dans la réduction des impacts négatifs, et c'est un des gros enjeux. Mais c'est vrai que culturellement, nous, on est arrivé avec Citizen Capital avec des solutions nouvelles. Il y a une dimension un peu schumpeterienne, c'est-à-dire, est-ce que c'est les anciens acteurs de l'ancien monde qui vont réellement apporter les solutions dont on a besoin ? Moi, je suis convaincue qu'on a besoin aussi de nouvelles solutions venant de personnes avec de nouvelles visions.
- Eric
Oui, et qui visent des impacts. positifs.
- Laurence
Et qui visent des impacts positifs et qui partent effectivement à ces vierges d'un passif écologique.
- Eric
Il y en a qui doivent revenir dans le donut et puis il y en a qui doivent permettre de générer des impacts positifs. Alors une dernière question peut-être un peu personnelle. Est-ce que tu aurais en tête une de tes dernières expériences de connexion à la nature qui t'a vraiment marqué, qui t'a imprégné ?
- Laurence
Oui, la mer, pour moi, c'est l'océan. C'est être dedans. Et c'est être plutôt seule et nager. Et je pense que c'est le moment de bonheur le plus intense pour moi. C'est d'être dans la mer. Même si elle est un peu froide. Je suis bretonne d'origine. Et d'avoir le sentiment d'infini, d'horizon. D'être enveloppée. D'avoir le sel sur ma peau. Je pense que l'océan, la mer, sont l'élément qui me comble le plus d'un point de vue. On va dire, vie dans la nature.
- Eric
Alors, une question pour toi sur, finalement, comment tu es arrivé dans le parcours CEC Monde Financier, puisque tu es déjà très engagé. Ce parcours s'est lancé en 2023-2024. Et quel a été ton point de raccordement sur le parcours CEC ?
- Laurence
C'est vrai qu'on est des animaux un petit peu, peut-être, particuliers dans la cible première de la CEC, puisqu'en tant qu'organisation, on va dire, impact native, ça fait 15 ans, je pense qu'on se pose en permanence la question de l'utilité quand on rencontre des dirigeants et quand on commence à analyser un projet d'investissement. Et il y a des gens d'ailleurs qui m'ont dit « mais pourquoi tu vas faire la CEC ? Tu connais déjà tous ces sujets ? » J'ai trouvé étrange cette question en fait, mais j'ai dit « non, moi ce qui m'intéresse à la CEC, c'est de continuer à apprendre. J'estime que je ne connais au contraire pas grand-chose, d'ailleurs j'ai énormément appris. Ça m'intéresse de rencontrer mes pairs. » Je suis curieuse de savoir où en sont les autres. Et puis moi, je suis toujours intéressée pour être aux avant-postes des enjeux d'impact. Et je considère que le régénératif, qui est un terme assez nouveau pour moi, on y reviendra peut-être, il est ambivalent pour moi, mais nous pousse plus loin dans notre vision de l'impact. On pourra y revenir, mais on a beaucoup d'enjeux dans l'impact. On a des impacts qui sont juste améliorer l'existant. Est-ce qu'on est là juste pour améliorer des systèmes existants ? Dans notre métier, l'IA va devenir un énorme sujet d'investissement. Qu'est-ce que des gens comme nous ont à faire dans l'IA ? Est-ce qu'on se dit qu'il faut investir dans des IA éthiques ou frugales et qu'il faut se poser la question de ce que l'IA peut vraiment apporter à la condition humaine ? Ou est-ce qu'il faut se dire, en fait, l'IA c'est une telle puissance de calcul que c'est une économie extractive en puissance ? Je trouve qu'il y a beaucoup de questions complexes auxquelles moi je n'ai pas forcément la réponse. Donc j'ai énormément appris. dans les séances de CEC sur l'eau, sur toute la question autour des métaux m'a beaucoup intéressée. Et puis, je dirais que l'enseignement, enfin un des gros enseignements pour moi, il y en a plusieurs, mais un des premiers, c'est le potentiel de la coopération. Et je n'étais pas du tout convaincue au départ. C'est ça qui est drôle, c'est-à-dire que quand la CEC a commencé à nous dire « Ah, mais il y a des projets coopératifs et vous pouvez travailler sur tel ou tel sujet » , je me suis dit « Ah, on ne va jamais y arriver, ça va être vaseux » . Et heureusement, nous on était trois à la CEC. Il y avait moi, un associé en charge d'une stratégie growth chez nous, Jonathan, et puis Clara qui est notre planète championne. Et Clara, elle s'est passionnée pour le sujet coopératif, donc elle s'est beaucoup investie. Et au fur et à mesure des semaines qui passaient, je me disais, mais dis donc, c'est drôlement intéressant ce qu'elle fait. Donc ils ont abouti avec un projet d'alliance des investisseurs pour le vivant qui continue. dans lequel elle est impliquée. Il y a eu le manifeste. Enfin, c'est des projets qui, en fait, donnaient lieu à des choses extrêmement intéressantes. Et depuis la fin de la CEC en octobre dernier, je dirais qu'on a déjà progressé. On y reviendra peut-être sur ce sujet. L'autre chose qui, moi, m'intéressait beaucoup dans la CEC, c'est votre méthode. Tête, corps, cœur. Et dans la finance, on est tellement loin de ça. C'est-à-dire qu'on est tellement... En fait, ce que valorise notre secteur, c'est le rationnel, un cerveau analytique. Le moins connecté possible à ses émotions et à son corps, parce que c'est des distractions. Je pousse un peu le trait, mais moi je ne viens pas de là en fait. Il y a une partie de moi qui aurait besoin justement de réconcilier la moi musicienne d'il y a 15 ans.
- Eric
La moi nageuse.
- Laurence
La moi nageuse, exactement, et la moi financière. Donc moi j'étais très intriguée et intéressée et je trouve que c'était très intéressant en fait ce que vous nous avez irrigué chez nous. Sur la prise en compte des émotions, de la présence du corps, je pense que dans la CEC Monde Financier, ça n'a pas été le plus simple pour un certain nombre de gens. Mais moi, j'ai fait des magnifiques rencontres grâce à ça, je pense. Et la troisième chose très intéressante, c'est la difficulté pour des gens comme nous à faire ce que moi j'appelle le dernier kilomètre, qui est passé du contributif au régénératif. C'est vrai que beaucoup de gens nous disaient, mais vous, qu'est-ce que vous allez mettre dans votre feuille de route ? Vous êtes déjà à impact, il faudrait surtout que vous grossissiez en fait. Ce qui est tout à fait vrai, nous notre enjeu majeur, c'est de ne pas disparaître, c'est de continuer à grossir et on est dans une tension évidente entre des modèles de fond qui sont assez loin du régénératif. mais qui nous permettrait d'atteindre des montants sous gestion élevés. Et puis notre souhait de rester aux avant-postes. Et c'est toute la tension permanente qu'on a chez nous entre l'innovation et le fait de grandir. Et donc, ce n'était pas simple pour nous du tout, en fait, de faire cette feuille de route du dernier kilomètre.
- Eric
Alors, tu nous as offert les pistes qu'on va aller creuser un petit peu plus maintenant. Alors, on va faire un petit peu de pédagogie, si tu en es d'accord, Laurence. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la finance, est-ce que tu peux ... nous expliquer, comme je dirais un enfant de 10 ans, c'est quoi un fonds à impact, hyper concrètement, et comment ça fonctionne sur un nouveau projet, et ce flux d'argent, comment il circule.
- Laurence
Quand on rencontre des dirigeants et des équipes dans une perspective d'investissement, on se pose toujours la question de la pérennité du modèle économique. Donc on est des financiers traditionnels de ce point de vue-là, c'est-à-dire que je pense qu'on a un vrai potentiel d'analyse poussé. sur les enjeux économiques et financiers, et on va se poser la question du potentiel d'impact de l'entreprise. Et les deux sont très liés pour nous. On essaye d'ailleurs de ne pas les dissocier. L'impact d'une entreprise, pour nous, participe pleinement de la création de valeurs stratégiques qu'elle va apporter à son marché et à la société. Donc on se pose en gros six questions. Est-ce qu'elle répond à un besoin fondamental ? Chez nous, il y a beaucoup de débats par rapport à la majorité, je pense, des fonds, parce qu'évidemment, rien n'est noir ou blanc. Donc il y a une certaine complexité dans les réponses, mais ces six axes nous permettent de parler un peu le même langage entre nous. Est-ce qu'on répond à un besoin fondamental ou est-ce que la solution qui est apportée, typiquement un emballage recyclable de rouge à lèvres, si on considère que la question de l'emballage est un sujet majeur, c'est peut-être pas par l'emballage d'une marque de rouge à lèvres qu'on va répondre à l'enjeu, par exemple. Donc on est sur des secteurs assez résilients, nous, la santé, l'éducation,
- Eric
le climat. Peut-être on peut prendre un exemple sur ces six questions. On a vu sur Open Classroom que vous avez financé. Donc, par exemple, là, c'est un accès à l'éducation, aux transmissions de savoirs. Donc, c'était assez clair qu'il y avait du sens, il y avait un impact positif sur la société, sur cet exemple-là, par exemple.
- Laurence
On a mis beaucoup de temps à se faire une vraie conviction chez Open Classroom que le modèle était réellement accessible. C'est-à-dire, on a beaucoup questionné l'accessibilité. Et la mission d'Open Classroom, c'est rendre l'éducation accessible pour tous. Ils forment des gens au métier du numérique au sens large, avec un modèle totalement numérique, d'ailleurs à distance, mais avec beaucoup d'humains dedans. Et d'ailleurs, ça a été leur force. Et on s'est questionnés sur qui est-ce qui forme vraiment et qu'est-ce que deviennent les gens qui forment. Et il n'y avait pas tant de données que ça. Et la question de la donnée, d'ailleurs, en impact, est une question vraiment difficile. Mais on a conclu qu'ils avaient développé une... pédagogie qui était totalement dirigée vers le fait de pouvoir accéder à leur module de formation sans aucun prérequis d'éducation. Et on l'a vu d'ailleurs beaucoup dans les commentaires, et ça c'est massivement commenté dans Open Classroom, il y a énormément d'échanges en ligne, et la donnée est venue progressivement. Ils forment énormément de gens qui sont peu qualifiés, mal qualifiés, qui ont des vrais besoins d'upskilling ou de formation qui leur permettent de retrouver un emploi. Et ils sont aussi accessibles financièrement, puisqu'ils ont développé un modèle économique qui repose assez peu sur le financement des étudiants eux-mêmes. Et c'est un modèle qu'ils ont par ailleurs développé en B2B, en proposant de placer, ils ont fait beaucoup de placements en alternance, mais de placer les gens qui forment dans les entreprises. Donc c'est un modèle finalement, je ne dirais pas circulaire, mais qui est très vertueux. Et ce qu'on a beaucoup apprécié chez les dirigeants, c'est qu'en fait depuis le début, ils ont créé ça à 11 ans et 13 ans, c'est une histoire incroyable, mais ils ont vraiment une vision mais chevillée au corps. C'est-à-dire qu'ils ont une vraie vision, d'accessibilité. Et ils considéraient d'ailleurs que les livres, et tout le temps, dans les débuts des années 2000, tous ces livres sur le numérique, pour apprendre à créer son site, à devenir data scientist, tout ça était d'une complexité incroyable et que leur vocation était vraiment de simplifier, de démocratiser l'accès au numérique. Et ils ne se sont jamais départis de ça, c'est culturel. Bon, ils ont été les premiers à devenir société à mission. Ça a été une très belle histoire de relations entre investisseurs et...
- Eric
Et là, le fonds Citizen Capital, vous êtes arrivé à quel moment et qu'est-ce que vous avez débloqué pour eux ? Vous avez apporté des fonds à quel moment ?
- Laurence
On est arrivé, ils faisaient 2-3 millions d'euros de chiffre d'affaires, ils étaient une trentaine. Et 4-5 ans plus tard, ils étaient 500. Ils ont connu une croissance très rapide. Bon, après, d'autres fonds sont rentrés beaucoup plus gros que nous. Mais nous, ce qu'on a apporté à ce moment-là, je dirais que c'est de les aider à structurer leur mission, c'est-à-dire ce positionnement qu'ils avaient d'accessibilité pour qu'ils se déclinent dans tous les aspects opérationnels de leur métier. Comment ils recrutent ? qui recrutent, et d'ailleurs ils l'ont très très bien fait, ils avaient un MOOC pour aider les gens qui recrutaient à s'insérer dans la culture de l'entreprise, comment ils construisent leurs marques, comment ils font évoluer leurs produits. On a eu beaucoup de débats, enfin de discussions très intéressantes sur l'évolution ou non du modèle économique. À un moment, ils étaient très tentés, surtout les commerciaux chez eux étaient très tentés, d'avoir des produits qui répondent, Total vient et dit moi j'ai besoin de former. 150 cadres, est-ce que vous le faites ? Non. Open Classroom a dit non, en fait. Nous, ce n'est pas notre vocation. On n'est pas là pour former des cadres. On est là, on a des produits sur étagère.
- Eric
Donc, ils savaient aussi faire des renoncements. Ils n'ont pas fait de la croissance à tout.
- Laurence
Ils ont su faire des renoncements pour être excellents sur leur positionnement. Mais donc, pour moi, c'est des vrais visionnaires. C'est vraiment, pour moi, un exemple de dirigeant visionnaire, Open Classroom.
- Eric
Donc là, on est sur un exemple où le fonds impacte. arrive, vous avez débloqué...
- Laurence
Alors attends, parce que je voudrais quand même dire, parce que j'ai l'impression d'avoir pas fini quelque chose, mais je vais aller vite. Ces six questions qu'on se pose, elles collent très bien à Open Classroom, comme à d'autres, mais besoin fondamental, l'éducation est un besoin fondamental en l'occurrence, est-ce que les dirigeants ont une vraie intentionnalité ? C'est-à-dire, est-ce qu'ils savent pourquoi ils sont là ? On a quand même vu des dirigeants qui avaient de l'impact au moment où ils viennent nous voir, mais deux ans plus tard, il peut ne plus y en avoir, surtout dans une start-up, les choses change très vite. Troisièmement, est-ce qu'il y a une additionnalité ? Est-ce que cette innovation vient changer quelque chose sur leur marché et changer quelque chose au bénéfice des personnes ou de la planète, en tout cas de la cible qu'ils ont d'impact ? Et quatrièmement, est-ce que c'est accessible ? Sujet qui est un peu différent pour les thèses environnementales. On a vu beaucoup de projets qui étaient, par exemple, autour de l'éducation, l'aide aux devoirs, par exemple, qui, en fait, si on creusait... un peu la géographie du public. Par exemple, on découvrait que c'était quand même très implanté dans l'Ouest parisien, très peu dans l'Est de l'Île-de-France. Tous ces sujets sont pour nous des signaux qui peuvent prendre un peu de temps. Mais est-ce que vraiment, on cherche à adresser le bas de la pyramide ? Ou est-ce qu'on est dans quelque chose qui, au final, même si on ne le veut pas, finalement sert quelque chose ? Il faut vraiment le vouloir pour adresser le bas de la pyramide. Oui,
- Eric
et ça, c'est peut-être votre facteur différenciant. Par rapport à d'autres sourceurs de financement qui vont se dire, tiens, c'est juteux, on y va. Là, vous, s'il n'y a pas cette dimension sociale au bas de la pyramide, ce n'est pas là où vous allez vous positionner.
- Laurence
Non, par exemple...
- Eric
Vous faites vos renoncements, quoi.
- Laurence
On ne pourra pas faire, par exemple, du tourisme écologique, qui peut être très chouette, mais qui sera pour quelques-uns. Là, il faut qu'il y ait des croisements à un moment. OK.
- Eric
Oui, c'est le Citizen de Citizen Capital. Donc ça, c'est quatre questions. Tu parlais de six questions.
- Laurence
Il y en a six et les deux dernières sont l'alignement entre la mission et le modèle économique. Est-ce que l'impact est vraiment en train de créer de la valeur stratégique ? Et inversement, si le modèle économique va contre le projet d'impact, on va y confronter un sujet. Et le dernier, c'est les externalités négatives. Est-ce que c'est une société qui a bien identifié ses éventuels biais et impacts négatifs ? Il y a des sociétés qui ont un impact génial et qui ont des externalités très fortes aussi.
- Eric
Oui, ça aurait été le cas si Open Classroom nécessitait une énergie énorme ou polluait dans son business model et donc créait des externalités négatives hyper fortes. Et dans ce cas-là, vous auriez renoncé à les aider. Oui,
- Laurence
et sur des sujets environnementaux, il y en a un certain nombre aussi. On a financé une entreprise qui travaille sur le recyclage de fibres de carbone, qui est difficile à recycler. avec un certain nombre de nuisances potentielles liées à cette activité.
- Eric
Et est-ce que vous avez un modèle qui vous permet de mesurer, finalement, les impacts positifs et négatifs ? Parce que toute activité a des impacts négatifs, consomme des ressources, des matières, de l'énergie, qui vous permet de dire, ok, c'est tellement bien au niveau social, c'est tellement bien sur ce que ça va apporter en impact positif, qu'on admet Quelques impacts négatifs. Vous arrivez à mesurer finalement ? Comment vous faites ? Parce que c'est très complexe.
- Laurence
Alors oui, en fait, ça fait dix ans qu'on travaille sur nos méthodologies de mesure d'impact. Et je considère qu'on n'est qu'au début par ailleurs. La société en général n'est qu'au début sur cette question. Mais on travaille à un business, ce qu'on appelle un business plan impact avec tous les entrepreneurs. Et on essaie au maximum que ce soit eux qui le construisent. mais c'est Comment le business plan financier sur lequel on est en train de se mettre d'accord, donc ça c'est en amont de l'investissement, se traduit d'un point de vue impact ? C'est quoi votre mission et quels sont les quelques indicateurs ou accomplissements clés qui vont témoigner que vous êtes bien en train d'accomplir votre mission ? Et donc, ce n'est pas du tout de l'ESG, on n'est pas du tout sur la notion de responsabilité, on est vraiment sur la notion de contribution. Donc, on ne va pas être sur 140 indicateurs, c'est plutôt 4 ou 5 indicateurs qu'on va être capable de mesurer et qu'on va considérer. comme étant ceux qui comptent vraiment pour ce qu'apporte l'entreprise à la société. Ça, on demande aux dirigeants de se projeter à cinq ans, à peu près l'échelle d'un business plan, et de dire en fait, vous êtes là aujourd'hui. Alors, des indicateurs, il y en a quasiment autant que de business plan pour nous, mais sur l'environnement, un peu moins, parce qu'on revient quand même beaucoup à de l'économie de CO2 pour le moment. Mais c'est de se projeter par rapport à où on en est aujourd'hui, par rapport à l'ambition qu'on a, où on va être dans cinq ans. Et ça, on le suit ensuite tous les ans. Et puis, on a un certain nombre de chantiers qu'on ouvre avec les entreprises en disant, là, ça ne va pas être si simple. Il y a un chantier sur ces sujets-là. Je peux donner l'exemple de Caroz, par exemple, une entreprise dans laquelle on a investi récemment, qui est un des leaders du court voiturage. Donc, c'est du covoiturage de courte distance entre le domicile et le travail. Et il irrigue en fait toutes les zones où on sait que ce ne sera jamais rentable pour l'État de créer une ligne de bus, par exemple. Donc des sortes de zones mortes qui créent vraiment des problèmes de mobilité pour les gens. Le projet est très intéressant parce qu'il a une double... Et plus ça va d'ailleurs, plus les projets que je considère les plus intéressants ont un double impact social et environnemental. Et donc Caros va à la fois permettre aux gens d'être plus mobiles, va créer un peu de pouvoir d'achat. Pour des gens qui sont dans leur voiture en général seuls, je crois que c'est 85% de gens qui voyagent seuls tous les jours en voiture, et évidemment une économie de carbone est une vraie solution pour les collectivités locales, et puis même du lien social. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce projet. Tout n'est pas mesurable, mais un certain nombre le sont. Normalement, l'impact net dans les entreprises dans lesquelles on investit est toujours positif. Si il n'est pas positif, il y a un problème. Mais effectivement, quand je te parlais de l'IA tout à l'heure, là c'est une question que je me pose. Je ne sais pas dire s'il peut y avoir des projets d'IA demain qui, malgré un impact négatif clair sur le plan de la consommation d'énergie, méritent quand même. Et d'ailleurs, je pense que ça va être très difficile d'arbitrer ce type de choix. Pour l'instant, les entreprises dans lesquelles on investit, comme tu dis, toutes ont des impacts négatifs, le simple fait d'exister. Mais on a une culture de plutôt mesurer les impacts positifs. On a du mal à mesurer les impacts négatifs. Mais on commence à le faire, d'ailleurs, dans le cadre de SFDR. Maintenant, on reporte nos impacts négatifs aussi.
- Eric
Pour boucler un peu sur la chaîne de valeur, donc par rapport aux apporteurs de capitaux, vous choisissez des projets dont vous essayez de déterminer les impacts et d'avoir des impacts nets positifs, et aussi une rentabilité économique. Mais il y a des risques associés. Est-ce qu'au niveau des rendements que vous avez aujourd'hui sur votre portefeuille, par rapport à d'autres fonds qui ne se poseraient pas autant de contraintes sur les choix de projet, est-ce que les rendements que vous apportez sont bons ? Est-ce qu'il y a eu aussi des défauts des entreprises qui ne sont pas allées jusqu'au bout ? Finalement, quel est votre bilan de tous ces investissements ?
- Laurence
Je pense que les dix premières années de notre existence, on a consacré beaucoup d'énergie à montrer qu'on était capables. de rendre de l'argent à ceux qui nous en avaient confié et de montrer qu'on pouvait avoir une performance financière tout à fait honorable. Et sinon, je pense qu'il n'y aurait pas eu de marché de l'investissement impact. Il fallait démontrer, et comme on était un des premiers acteurs, je pense que c'était attendu de nous qu'on soit capable de démontrer qu'on pouvait, et d'ailleurs, c'était un peu le leitmotiv, pour moi, des dix premières années, c'était on peut conjuguer un impact tangible avec une performance financière. Notre deuxième fonds qui s'est terminé il y a deux ans, s'est très bien passé, on a fait des super investissements. Open Classroom en est un, c'était un très bel investissement. Voilà, on en a fait une douzaine. Et aujourd'hui encore, même si la période est quand même plus rude, ça reste un beau fond du point de vue des investisseurs. C'est-à-dire que globalement, on dit qu'on est capable de rendre deux fois ce que les gens ont mis, globalement. Et je pense qu'on va tout à fait honorer cette... voire peut-être le dépasser si tout va bien. Maintenant, la philosophie qu'on a, et depuis la création de Sissine Capital, c'est que le capital sert à... pas à gagner de l'argent sur de l'argent. Il sert à répondre à des besoins et on ne va pas répondre à tous les besoins juste avec des entreprises tech à très fort potentiel de croissance. Donc, on considère aujourd'hui que, et c'est la qualité de la discussion qu'on veut créer avec nos investisseurs, c'est comment, en fait, on aborde les 15 prochaines années si on veut vraiment relever certains défis sur la biodiversité, la nature. Il n'y a pas de client au bout. Il y a beaucoup de choses qu'il faudrait faire où il n'y a même pas de modèle économique. Donc, est-ce qu'on n'y va pas ? On ne fait rien ? On se dit que c'est le rôle de l'État ? Et donc, nous, on a tendance à se dire aujourd'hui que le rôle de la finance, c'est aussi d'être capable de créer des modèles économiques qui sont évidemment moins rentables, mais avec une palette. Sur l'agriculture, par exemple, évidemment, le fonds n'a pas les mêmes objectifs de rentabilité du tout, beaucoup moins élevés. On finance des projets portés par des agriculteurs. Le but n'est pas qu'un autre fonds vienne acquérir nos parts quand on sort. C'est évidemment que l'entrepreneur reste maître chez lui, l'agriculteur, qui sont aussi des entrepreneurs, reste maître chez lui. Et les contrats impact, c'est carrément un objectif plutôt de préservation du capital. Donc, les gens qui mettent de l'argent dans ce fonds mettent 100 et l'objectif, l'ambition qu'on a, c'est de leur rendre 100, plus ou moins. Ce sera peut-être 101 ou 102 si tout va bien. Donc c'est ce qu'on appelle la préservation du capital, ce qui n'est pas complètement de la philanthropie, parce que ça permet de recycler l'argent que vous investissez dans d'autres projets. Donc je trouve que ça démultiplie l'impact potentiel de l'euro que vous mettez dans un projet. Mais c'est notre vision aujourd'hui d'une plateforme en investissement à impact, c'est d'être capable d'adresser toute la palette des besoins fondamentaux avec des modèles qui vont avec. Évidemment, ça intéresse beaucoup à l'agriculture en ce moment. Les enseignements qu'on a du premier fonds qui investit dans des projets portés par des agriculteurs, avec une logique d'une part qui capte plus de valeur dans la chaîne, ce qui est un vrai sujet de revenus pour les agriculteurs, donc leur permettre de faire de la première transformation. On éteint de la production d'énergie renouvelable à la ferme, par exemple. Ça, c'est le type de projet qu'on finance aujourd'hui. Mais on a du mal à être sur la question de l'exploitation et des pratiques agronomiques. Et évidemment, on sait que 70% de la perte de biodiversité au niveau mondial est liée à l'agriculture. Donc, on est en train de se poser la question de comment on peut créer un fonds qui s'attaque vraiment à la question des pratiques agricoles et qui aide les agriculteurs à opérer cette transition vers des pratiques agroécologiques. avec une difficulté qui est qu'il n'y a pas vraiment de modèle. C'est de l'accompagnement beaucoup, mais il n'y a pas un actif à financer forcément. Mais il y a peut-être un mix de choses à faire avec peut-être une communauté d'entreprises, qui peuvent être aussi des coopératives ou autres, de gens qui favorisent dans la chaîne de valeur la transition des agriculteurs, qui en amont ou en aval, en fait, qui les débouchent pour leurs produits. Et puis un certain nombre d'accompagnements qui peuvent aller du prêt au don. D'avoir une vision très large, d'être très adapté aux besoins et d'être capable d'apporter cette granularité.
- Eric
Oui, ça donne envie de te faire rencontrer Nicolas Chabanne de C'est qui le patron ? Puisqu'il y a aussi cet enjeu de la chaîne de valeur. Et aujourd'hui, on a beaucoup d'acteurs, agriculteurs ou éleveurs, qui sont tellement resserrés sur des marges tellement faibles, que cette perspective de prendre soin des sols de plus long terme, ça ne peut pas leur parler aujourd'hui. Donc, il y a vraiment à réinventer la chaîne de valeur. En coopération ? Oui. Ok, juste une dernière question. Est-ce que ça veut dire que vous pourriez avoir sur ce fonds-là, un fonds où vous dites à vos investisseurs, à vos importeurs de capitaux, eh bien vous aurez moins de rendement ? Vous pouvez avoir, je ne sais pas, 10% de rendement sur tel fonds, et là c'est le fonds juteux quelque part, mais ça veut dire aussi qu'on ne peut pas attaquer certains domaines de notre économie, et puis un fonds qui aurait peut-être, allez, 2% seulement. peut-être avec un capital garanti et autres, mais en disant là, on s'attaque à des sujets fondamentaux de régénération, de plus long terme. Et est-ce qu'il y aurait des investisseurs qui seraient prêts à avoir moins de rendement, mais s'ils sont convaincus du bien fondé, du projet qu'il y a derrière ? Est-ce que c'est réaliste ou pas la question que je pose ? Ou simplement tout le monde veut les 10 pour 100 ?
- Laurence
Je ne suis pas sûre d'avoir encore la réponse. Je te confirme que c'est bien l'objectif qu'on a. Maintenant, un investisseur vient dans un véhicule. Il ne prend pas la totalité, il ne fait pas une mutualisation chez toi. Donc, chaque projet que tu lui présentes, il le regarde en tant que tel. Donc, un projet sur, par exemple, la biodiversité... En fait, je peux te parler du projet qu'on est en train de finaliser, qui est du portage de fonciers agricoles, pour aider à l'installation de la nouvelle génération d'agriculteurs, qu'on va accompagner sur des sujets de transition agroécologique. Ça, c'est un fonds à 30 ans. Donc, ça, c'est un fonds très innovant et très difficile d'un point de vue modèle économique parce que donc une liquidité à 30 ans et un rendement, si on est un peu au-dessus de 2%, on est content. Et normalement, on va faire le premier closing au moment du salon de l'agriculture. Je croise les doigts parce que ça fait quand même quelques temps qu'on est dessus. Donc oui, j'ai envie de te dire oui, mais pas forcément à des échelles où on en a besoin. Il y aura toujours, il y a toujours une niche d'investisseurs qui est intéressée pour explorer. Des modèles, soit parce que, par exemple, ils servent la communauté des agriculteurs et ils sont intéressés d'être sur un sujet, même si, pour des raisons commerciales, d'images, etc., ils veulent être sur ce sujet. Mais le problème, c'est que c'est souvent quand même une petite poignée de gens, donc ils ne permettent pas de faire des fonds importants. Et donc, le modèle des sociétés de gestion aujourd'hui, c'est un modèle qui est basé sur des frais de gestion. Donc, plus vous faites un gros fonds et mieux vous vous portez. Nous, on a fait le choix de faire pas mal de petits fonds parce qu'on aime bien l'innovation. Mais à un moment, vous êtes en tension sur le modèle économique du fonds. Parce qu'il n'y a pas forcément énormément de synergie entre les différents véhicules que vous gérez. Et donc, ça pose quand même la question de la taille critique. Et je ne suis pas sûre encore de pouvoir te répondre sur est-ce qu'on peut faire, par exemple, un fonds à 100 millions d'euros, qui est aujourd'hui un petit fonds à l'échelle de ce qu'on sait faire, de ce que fait notre métier. Sur ce sujet, c'est l'ambition qu'on a, je te le dirai dans quelques mois ou dans un an peut-être.
- Eric
Ça me donne envie de creuser un sujet que tu as abordé tout à l'heure, qui est justement sur les coopérations. Puisqu'au sein de la CEC du monde financier, vous avez eu l'occasion de travailler sur des projets de coopération. Au départ, on nous avait dit que ce serait impossible de faire travailler des financiers ensemble, entre eux. Ils sont tous dans leur silo et en concurrence aussi. Donc, en fait, c'était un pari un petit peu audacieux. Mais on sait qu'il y a de très belles coopérations qui ont commencé à se nouer et qui sont encore en train de se nouer encore plus fort. Notamment l'Alliance des Investisseurs pour le vivant. Est-ce que finalement, par rapport à ce que tu nous décris là, la difficulté sur des projets qui ont peut-être moins de rendement, notamment sur l'agriculture, mais qui sont essentiels pour notre futur, est-ce que justement c'est par des coopérations, par des groupements, que vous pouvez amortir peut-être les frais fixes que vous avez ? Et ça peut être une des solutions pour dépasser ce dilemme de la taille, en fait, et essayer d'avoir des effets d'échelle.
- Laurence
Alors, je ne suis pas encore arrivée à craquer le sujet de ce que tu appelles l'amortissement des frais fixes. J'y crois, je pense qu'on peut faire des choses avec d'autres fonds, mais pour l'instant, a priori, ça n'amortit pas les frais fixes. Puisque si tu répartis la gestion de ces fonds entre plusieurs maisons, d'une certaine manière, tu retombes dans l'écueil.
- Eric
Oui, l'idée c'était de mutualiser pour avoir quelque chose de plus grand et que votre collecte soit mutualisée et éventuellement d'amortir les frais fixes comme ça.
- Laurence
Oui, mais ça veut dire qu'on crée une société ensemble.
- Eric
Oui, tout à fait. Ou une alliance, un pacte d'investisseurs. pour justement avoir une taille critique et arriver à faire basculer ces projets du côté positif.
- Laurence
On a commencé à avoir un tout début de discussion sur ça. On va voir. C'est vraiment le début. On a déjà avancé en matière de coopération avec des non-financiers. C'est-à-dire, je trouve que les deux derniers fonds qu'on a créés sont en coopération. Le fonds agriculture est en coopération avec la Fondation Avril. Le fonds de contre-impact est en coopération avec des spécialistes des contrats qui sont SB Factory. On est en train de travailler avec 60 fonds européens sur la question de la mesure d'impact. Et c'est beaucoup Clara qui porte ça, qui s'appelle United for Impact, en train de se dire en fait comment on aide les investisseurs à mieux agréger l'impact. Parce qu'on a un retour quand même qui est ce que vous faites est un peu compliqué. Et donc je trouve très positif qu'on se mette, non seulement avec des fonds français, mais des fonds européens, 60 fonds d'impact dans une trentaine de pays. sur la question d'une forme d'uniformisation de la mesure. Donc ça, c'est un très beau projet coopératif. Et l'étape d'après, comme tu le dis, serait d'être sur des projets de fonds montés en commun.
- Eric
Vu que vous êtes pionnier chez Citizen Capital, on compte sur vous. Justement, on comprend les grands leviers que tu as dans ta feuille de route CEC et comment le fonds Citizen Capital va essayer de mettre en œuvre ces leviers sur le type d'investissement, sur le levier coopératif, sur aussi tout ce secteur. Dans la feuille de route CEC, il y a tout l'aspect embarquement et aussi gouvernance de ce fonds. Est-ce que vous avez quelque chose sur cette feuille de route ? Vous êtes aussi entreprise à mission. Sur cet aspect gouvernance et pour bien reboucler et garder la continuité, qu'est-ce que vous faites chez Citizen Capital ?
- Laurence
D'abord, la feuille de route de la CEC est très liée à nos objectifs de mission. Et donc, on a quatre leviers de redirection qui répondent et se parlent avec nos quatre objectifs de mission. Ça, c'était très important pour nous, pour créer de la cohérence, notamment au sein des équipes, parce que sinon, on peut avoir quand même beaucoup de choses qui créent justement de la surcharge mentale. Moi, j'invite les gens qui ont fait ou vont faire la CEC à se poser en même temps la question de la raison d'être et de la mission, parce que c'est très complémentaire. Et de se poser la question de pourquoi on est là. pour moi me semble nécessaire et conduit à une gouvernance qui est intéressante et qui, pour moi, est une forme de renforcement dans l'univers du coopératif. C'est-à-dire que le comité de mission, c'est des gens extérieurs qui viennent porter un regard sur l'accomplissement de ta mission, slash potentiellement de ta feuille de route CEC pour moi, et qui viennent challenger en permanence des éventuels renoncements, non-renoncements, oublis. et Ça, ça apporte énormément. Pour moi, c'est une forme de coopération dans le sens où c'est des gens de l'extérieur de l'entreprise. Je trouve ça très riche.
- Eric
Oui, je comprends tout à fait. D'ailleurs, vous, vous étiez déjà entreprise à mission. Donc finalement, vous avez recalé votre feuille de route sur les enjeux de suivi en termes de mission et puis votre comité de mission. Dans la CEC, il y a beaucoup d'entreprises qui n'étaient pas encore entreprises à mission et qui ont choisi de le devenir justement pour ancrer leur feuille de route dans leur gouvernance. Et une question sur ton style de leadership. Puisqu'on a démarré, on a parlé de diversité, d'égalité des chances. Donc, bien sûr, ça fait penser masculin, féminin. Est-ce que ton style de leadership, tu le caractériserais de haut féminin aujourd'hui ? Ou est-ce que dans la CEC, tu t'es questionnée aussi sur cet enjeu-là ? Puisqu'on s'aperçoit qu'il y a un besoin de cohérence aussi entre ton leadership et puis la visée que peut avoir ton entreprise.
- Laurence
Je me centrais dans un leadership féminin, même si je ne l'ai pas forcément théorisé. Et je ne suis pas forcément, je ne suis pas une engagée féministe par exemple. Moi je ressens très fortement une forme de féminisation du monde qui est intersectionnelle avec la conscience de la crise écologique, de l'acceptation et de la reconnaissance qu'on est une nation pluraliste, diverse. Et aujourd'hui c'est la France, mais c'est aussi au niveau mondial. Et je le vois en particulier avec ce sursaut masculiniste là, qu'on commence à voir poindre, qui est fort inquiétant. Et à contrario, je ressens que le monde de demain pourrait être beaucoup plus féminin. Aujourd'hui, la question que je me pose, c'est que je trouve que le pouvoir est encore très masculin. Et on n'a pas forcément, en tant que femme, envie de prendre le pouvoir, en fait. C'est ça que... Moi, j'ai du mal à prendre le pouvoir. Et donc, il y a un certain nombre de convictions que j'ai du mal à imposer, parce que j'ai une vision très partenariale, peut-être horizontale, et de prise de décision collective et collaborative. Et j'ai conscience que ça peut être perçu... par des gens, soit comme l'occasion de prendre le pouvoir, soit comme une forme de complexité inutile. Et donc, je trouve qu'il faut se battre pour une forme de pouvoir féminin aussi.
- Eric
Oui, et féminin, en tout cas, c'est vrai qu'on le voit dans beaucoup d'organisations, d'arriver à trouver un équilibre entre l'horizontalité et l'engagement de tous, et que tous les égaux puissent cohabiter, mais avec aussi une certaine verticalité parfois pour faire avancer les organisations. Et donc c'est cet équilibrage horizontal-vertical qui est vraiment très difficile à doser dans la durée.
- Laurence
Je suis d'accord.
- Eric
Peut-être maintenant, on va parler un peu plus de l'économie régénérative. Tu as dit tout à l'heure sur le régénératif que tu étais ambivalente, donc on va creuser un peu là-dessus. Nous, ce qu'on découvre dans la CEC, c'est qu'il y a deux déclics pour les participants de la CEC. Il y a le déclic des constats des limites planétaires, que souvent on appelle la claque, pour ceux qui ne savent pas, qui découvrent ça. Et puis le déclic de la coopération. Et donc ce déclic de, oui, c'est possible de coopérer dans le monde économique. Et finalement, pour aller d'une économie contributive à une économie régénérative, on sent que c'est vraiment cette coopération qui peut permettre de franchir cette étape et d'aller encore plus loin. Est-ce que toi, au niveau du régénératif, justement, où est-ce que tu en es sur le passage d'être contributif vers le régénératif ? Comment tu le qualifies ? Et voilà, quel est ton point de vue sur l'économie régénérative ?
- Laurence
La question générative qu'on a, c'est comment initier la transition d'un modèle d'investissement à impact qui contribue à résoudre des problèmes isolés qu'on pourrait appeler le... problem fix. Exactement. Et à un modèle de financement qui cherche à résoudre des problèmes systémiques type system shift. Aujourd'hui, ayant lu des gens comme Christophe Sempels, j'ai une vision assez pure de ce qu'on appellerait l'économie régénérative. C'est-à-dire que pour moi, c'est une économie qui est connectée au vivant. Et je pense que sur tout sujet qui est directement en lien avec le vivant, et maintenant on a quelques fonds qui sont directement en lien avec le vivant, qui sont dans l'agriculture, je vois assez bien quel est le chemin. Là où j'ai plus de difficultés à m'approprier le terme d'économie régénérative, et j'insiste pas mal sur le "à visée régénérative" que vous avez, je trouve très justement utilisée, c'est que pour toutes les économies qui restent sur des modèles extractifs, pour moi, c'est des modèles économiques qui ne reposent plus sur l'extraction. Et en fait, dans le monde économique, aujourd'hui, j'en vois très, très peu. Et même Christophe Sempels, quand il nous a présenté ces quelques exemples à la CEC, je ne me suis pas dit "Tiens, quel réservoir pour investir dans l'économie régénérative !" Je me suis dit, là, on est loin. Maintenant, je vois évidemment un potentiel, parce que tout ce qui est économie de la fonctionnalité, économie de l'usage, économie servicielle, tous ces modèles où on n'est plus propriétaire, mais on est plutôt dans l'usage. Je pense qu'on est au tout début, et donc je pense qu'il va y avoir un marché qui va se développer, mais qui est encore ultra émergent, c'est-à-dire que je ne suis pas sûre qu'on soit à un dossier par an sur ce type de sujet. Donc, on ne serait pas capable aujourd'hui... Et d'ailleurs, on a mis... Tu sais, il y a une petite question sur est-ce que d'ici 2035, vous serez à économie régénérative ?
- Eric
Oui, tout à fait.
- Laurence
Et on n'avait pas coché. En fait, on avait une certaine humilité sur le fait de dire pour moi, tant qu'on finance des entreprises qui ne sont pas directement connectées au vivant, on ne sera pas dans l'économie régénérative. Parce que pour moi, la tech et ce que va devenir la tech dans les prochaines années, d'ailleurs, ça m'effraie un peu. On va utiliser de plus en plus de puissance de calcul. Je suis un petit peu perplexe sur la possibilité, même à 2035, je trouve qu'il n'y a pas un monde économique régénératif aujourd'hui. Donc c'est très difficile pour des financiers de se projeter dans une économie à visée régénérative quand il n'y a pas de marché. Ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est nous on a un ADN social assez fort. Je trouve qu'on a financé des projets assez passionnants dans la santé par exemple, qui sont sur des zones où il n'y a plus de médecins. qui sont beaucoup plus sur la prévention que sur la guérison, enfin un modèle un peu traditionnel français où il y a beaucoup de choses à repenser. Et je trouve qu'il y a une réflexion sur le modèle régénératif de modèles sociaux qui est intéressante. En fait, on était très orientés quand même, Donut, mais pas tellement sur le plancher, puisque la France est déjà au plancher. Donc en fait, on n'accorde pas énormément d'attention à l'avenir, à l'innovation qu'il peut y avoir dans des modèles sociaux en faveur d'une forme de soin de l'être humain qui n'est pas directement forcément lié au vivant au premier abord. Et là, je suis un petit peu sur ma faim aussi. Du coup, j'ai du mal en interne à convaincre de l'utilisation de ce terme des régénératifs, je pense, pour ces deux raisons-là.
- Eric
Donc c'est un débat qu'il faudra suivre. effectivement sur la visée régénérative, la transition écologique ou la transition socio-écologique, comment on intègre la dimension sociale des impacts de certaines entreprises s'il n'y a pas de connexion vivant, comment on intègre aussi toutes ces entreprises qui sont en train de shifter ou de se réinventer de l'intérieur, mais qui sont très loin aussi du vivant ou de la nature. Donc, on est sur cette trajectoire-là, tous ensemble en fait, c'est systémique, et se dire quel est le marché du régénératif. Et c'est vrai que là, dans ta définition, il est très petit. Il est sans doute plus grand que ça si on prend en compte le vivant humain aussi, et donc toutes ces dimensions sociales.
- Laurence
Mais tu vois la peur que j'ai aussi, parce que j'ai vécu 15 ans d'évolution du terme de l'impact, et il y a eu plusieurs termes comme ça qui se sont galvaudés avec le temps. Et le monde économique a une capacité à s'approprier des concepts à la vitesse de la lumière, avant de forcément les mettre en œuvre. Et donc, j'ai toujours une forme de crainte qu'on met derrière le terme. Donc, je préfère être puriste dans la vision et rester... Il faut protéger le terme,
- Eric
il y a déjà un peu de « regenwashing » qui circule. Donc, on est aussi conscient de ça. Alors, on va basculer un peu sur la fin de notre conversation. Deux dernières questions sur la régénération. Toi qui es au contact d'investisseurs et de projets d'entrepreneurs, est-ce que tu vois des pistes pour flécher de manière plus puissante ? des envies d'investissement vers cette économie à visée régénérative, qui a encore rapport le social. Qu'est-ce qui pourrait faire que ça va plus vite et que votre fonds ou d'autres puissent grandir par rapport à des masses d'investissement qui restent sur l'économie mainstream, qui est très extractive aujourd'hui ? Qu'est-ce que tu verrais comme vent porteur potentiellement au niveau de l'investissement ?
- Laurence
Je vais parler en premier des projets qu'on a dans le régénératif ou autour du vivant, donc autour de l'agriculture, de la biodiversité. Je vois clairement un potentiel parce qu'il y a un appétit pour ce sujet. Je pense que chaque être humain, y compris au sein des grands asset managers, a envie de contribuer d'une manière ou d'une autre. à cette question. Et c'est toute la difficulté de créer artificiellement un modèle pour des fonds, type avec des crédits carbone ou des futurs crédits biodiversité, dans un modèle qui en fait n'a pas de... où il n'y a pas de modèle économique intrinsèque. Il n'y a pas de client au bout qui paye pour la biodiversité.
- Eric
Pour que les sols soient plus régénérés.
- Laurence
Moi je crois beaucoup dans tout ce qui est autour des paiements pour services environnementaux. Et je pense qu'il peut y avoir un modèle de financement et d'accélération des paiements pour services environnementaux, idéalement avec les pouvoirs publics, c'est-à-dire un peu dans un modèle contrat-impact. Je ne suis pas sûre que ce soit le moment, mais j'en parle quand même parce que je crois beaucoup dans le partenariat public-privé. Je pense qu'on a beaucoup à faire ensemble sur ce type de sujet, où les pouvoirs publics restent quand même garants de l'intérêt général et de la régulation... Donc je pense qu'il y a la possibilité de faére des choses où l'État joue un rôle de levier, ou des formes de mécanismes publics qui font un effet de levier et qui permettent aux privés de créer un modèle. Ça c'est une première possibilité. Je regarde de plus en plus les modèles locaux. Je crois beaucoup dans la dimension locale de tout ce qui est biorégion, tout ce qui peut se faire à un niveau...
- Eric
Bassin de vie.
- Laurence
Bassin versant, bassin de vie. Aujourd'hui, ce n'est pas du tout un modèle pour des financiers. Au contraire, on essaie toujours d'être globaux et plutôt au niveau monde, d'avoir des géographies mondes plutôt que des géographies locales. Mais je trouve intéressant de creuser ça parce que je pense que c'est l'avenir, en tout cas sur des sujets de régénération. Je pense qu'il faut être très... Il faut avoir la capacité de voir les résultats. sur un territoire. Et puis après, c'est la dimension coopération qui va nous permettre, je pense, de trouver des modèles. C'est-à-dire que pour nous, créer un fonds tout seul, vu les compétences et les ressources dont on a besoin, par exemple pour aider des agriculteurs à faire leur transition agroécologique, on a besoin de plein de gens. On a besoin de gens qui sont capables de faire des audits des sols, qui sont... légitime du point de vue des agriculteurs pour être écouté, on a besoin d'agences de l'eau, sans doute, on a besoin de tout un tas de gens. C'est presque comme un plancton sociétal, et je crois beaucoup dans l'association de poches de financement, qui peuvent aller du prêt au fonds propre, qui fonctionnent ensemble avec des communautés constituées pour apporter des compétences et des ressources complémentaires sur un problème complexe. En fait, c'est assumer la complexité et résoudre ce type de problème est forcément complexe et nécessite beaucoup de ressources différentes et de compétences.
- Eric
Et là, tout ce que tu nous décris, ça nous ramène à cette feuille de route que tu décrivais tout à l'heure de passer de problem fix à system shift. Exactement. Mais quand on pense système, bien sûr, c'est plus complexe et c'est complexe aussi au niveau des coopérations qu'il faut arriver à nouer. Mais c'est sans doute ce pas qu'il faut qu'on arrive à franchir collectivement. Merci pour tout ça. Peut-être une dernière question intergénérationnelle par rapport à la jeunesse. Il y a beaucoup d'éco-anxiété chez les jeunes. Tu en rencontres fréquemment. Tu as des conversations aussi dans certaines instances. Qu'est-ce que tu dirais à la génération qui arrive en ce moment sur le marché du travail ? Quel serait ton message d'espoir pour cette génération-là ?
- Laurence
Oui, il y a énormément à faire. Et il y a beaucoup de créativité. En fait, on rentre souvent sur le marché du travail avec l'idée qu'il faut se conformer à un système existant. Et là, en fait, la génération qui rentre dans le monde du travail, elle va devoir détricoter le système existant pour reconstruire autre chose. Donc, il faut venir avec quand même beaucoup de culot et d'assurance, probablement beaucoup plus qu'on en a eus nous. Mais moi, par exemple, je vois moi être arrivée dans le monde de la finance avec aucun background financier. J'ai vu des choses à changer, peut-être que quand on est dans le secteur, on ne voit pas. Et donc, moi, j'inviterais les jeunes à ne pas avoir peur de rentrer dans des mondes, y compris dans lesquels ils ne se sentent pas légitimes au départ. Ils ont toute la légitimité pour reconstruire des systèmes qui fonctionnent. Et il ne faut pas qu'ils aient peur de leur ignorance.
- Eric
Donc, en gros, pour la jeunesse, il faut qu'ils soient détricoteurs et rebâtisseurs.
- Laurence
Et audacieux évidemment.
- Eric
Et audacieux. Donc, merci pour ce message. Merci beaucoup, Laurence, pour cette conversation. Merci pour ton courage. Le courage de tout ce que tu as fait. sur différents engagements et tout ce que tu vas continuer à faire. Merci pour l'authenticité de l'échange et aussi pour le pragmatisme. On a essayé de rendre la finance la plus concrète possible. On sait que c'est un grand levier dont on a besoin. Donc voilà, courage, authenticité, pragmatisme, en route pour le Cap Regen. Merci beaucoup.
- Laurence
Merci Eric.