- Christophe
Le premier chantier, c'est l'évolution de modèle économique. Questionner sa raison d'être, c'est un préalable. C'est un préalable dont on a impérativement besoin pour faire évoluer son modèle économique. Le renoncement, c'est le deuxième chantier. C'est un grand tabou, mais derrière la notion de renoncement se pose la question de l'éco-compatibilité ou de l'éco-incompatibilité d'un produit, d'un service, d'un process. Troisième chantier, apprivoiser la notion de limite. C'est reconnaître que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et qu'à un moment donné, il y a une bonne taille, que ce n'est pas toujours la plus grande taille qui est importante.
- Eric
Bienvenue dans CAP Regen, je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Nous avons lancé ce podcast il y a un an. Durant cette première saison, j'ai reçu 11 dirigeantes et dirigeants qui sont venus livrer chaque mois un exemple concret, authentique et pragmatique, ce qui donne l'acronyme CAP, sur la transformation de leur entreprise vers le cap régénératif. qu'on appelle aussi le « Regen » . Pour ce dernier épisode de la saison, nous allons nous replonger dans ces récits. On va analyser ces cheminements vers le régénératif avec un expert, un expert reconnu, que nous connaissons bien à la CEC, Christophe Sempels. Bonjour Christophe.
- Christophe
Bonjour Eric.
- Eric
Alors Christophe, tu es docteur en sciences de gestion de l'Université catholique de Louvain, en Belgique. Tu es le fondateur et dirigeant de Lumia, un acteur très actif dans le champ du régénératif en France et au-delà. Lumia, c'est un centre de recherche, de formation et d'innovation stratégique entièrement consacré à la transformation des organisations et qui contribue à la régénération écologique et sociale. Depuis plus de 20 ans, tu accompagnes des dizaines, je dirais même des centaines d'entreprises dans leur transformation vers des modèles économiques souhaitables. Alors Christophe, je me souviens de notre première rencontre à Lille En 2021, c'était la session 2 de la première CEC, tu as fait une conférence d'1h30 devant 300 dirigeants d'entreprise et je me souviens que tu les avais marqués, tu les avais même époustouflés. Donc merci pour ça, merci de te prêter au jeu de cet entretien. On va décrypter ensemble cette matière très riche de tous les podcasts de la première saison. Alors Christophe, on se lance ?
- Christophe
C'est parti !
- Eric
C'est parti ! Une première question... Où étais-tu hier ?
- Christophe
Et bien, écoute, hier, sachant que nous sommes à Paris pour l'instant, je n'étais pas très loin, j'étais à Boulogne-sur-Mer, et j'étais en session 2 de la CEC Océan. Et j'ai passé un moment absolument fabuleux. C'était une jolie intervention face à une très belle promo CEC thématique. J'ai pris énormément de plaisir. J'espère que les participants en ont pris autant que moi.
- Eric
Pour comprendre un petit peu d'où tu parles, est-ce que tu peux nous dire en quelques mots qu'est-ce qui t'a amené à travailler, à faire de la recherche sur les modèles économiques et puis plus particulièrement sur les modèles économiques à visée régénérative.
- Christophe
Je pense que j'ai deux traits personnels qui, naturellement, peuvent m'emmener là où ça m'a emmené. Le premier trait, c'est que j'ai un mode de pensée en arborescence. Je fonctionne assez naturellement en systémique et le systémique est un des marqueurs forts du Regen. Ça m'a souvent joué des tours parce qu'intégrer trop de variables dans la tête, parfois, c'est fatigant. Mais là, je pense que ça constitue plutôt un atout. Et naturellement, ça m'a amené à m'intéresser à de très nombreux sujets. Et comme le régénératif est un sujet qui mobilise beaucoup, beaucoup de dimensions, assez naturellement, je me suis laissé happer par lui. Le deuxième trait personnel, c'est que depuis tout petit, je pense être très sensible à ce qui me paraît juste ou ce qui me paraît manquer de justesse, et j'ai une relative intolérance à ce que je considère être en manque de justesse. Donc j'aime l'harmonie, j'aime la cohérence, j'aime ce qui me paraît juste. Et si je raccroche ça à mon champ disciplinaire qui est le champ des sciences de gestion, très vite j'ai considéré que les modèles économiques manquaient de justesse dans leur construction propre, dans leur capacité à embrasser les enjeux environnementaux, sociaux, territoriaux à leur juste dimension. Et donc parce que ça mobilisait plein de sujets, parce que ça manquait de justesse et parce que j'avais un attrait profond pour l'environnement, pour le vivant au sens large, j'ai voulu emboîter ce qui était peu emboîté à l'époque, à savoir le champ de l'économie avec le champ de la soutenabilité du vivant. Et puis j'étais passionné par ce que j'ai fait, donc j'ai cheminé, j'ai avancé, j'ai douté, j'ai appris, j'ai trébuché, je me suis relevé et puis j'en suis là où j'en suis aujourd'hui.
- Eric
J'ai envie de creuser un tout petit peu. De quel type de justesse tu parles ? Tu dis que tu es choqué quand il n'y a pas cette justesse dans les modèles économiques, et que quelque part ta raison d'être, ce serait d'aller chercher cette justesse. Dans quelle dimension en fait ? De quelle justesse parle-t-on ? La justesse pour maximiser des profits ou une autre forme de justesse ? Qu'est-ce que tu mets derrière ?
- Christophe
Pour moi, l'économie doit être au service de la vie et du vivant et pas l'inverse. Et donc pour moi, il y a une profonde dissonance à avoir fait de l'économique la finalité première de la grande majorité des organisations. Donc il y a un manque de justesse quant au sens. quant à l'utilité, quant à la finalité d'une organisation, ce qui renvoie à sa raison d'être. Et c'est quelque chose que j'ai beaucoup mobilisé dans le cadre de mes travaux. Le deuxième sujet, pour moi, dès le moment où un modèle économique dans sa configuration propre rend impossible ou quasi impossible la prise en charge d'enjeux environnementaux à leur juste niveau, C'est qu'il y a un problème, il y a un défaut de conception dans le modèle. Aujourd'hui, on a des modèles économiques qui encouragent la réduction de vie des produits. On a des modèles économiques qui encouragent le jetable. On a des modèles économiques qui encouragent la faible qualité. Et tout ça, ça s'explique effectivement par cette quête incessante au volume. Et donc tout ça rend inconciliables des choses qui devraient être conciliées. Et puis, l'humain, c'est souvent aussi la variable d'ajustement, il est pressé à bloc. Et donc tout ça manque cruellement de cohérence, en fait.
- Eric
J'en profite aussi pour te poser une question sur la nature de ton engagement. Parce que finalement, dédier sa vie aux modèles économiques, ça peut paraître comme ça, un peu se jeter dans quelque chose d'ardu, de complexe, ou pas forcément très sexy. Or, il me semble, en tout cas, c'est la nature de mon engagement, qu'il n'y a peut-être rien de plus important pour que notre civilisation aille dans une meilleure direction. Comment tu qualifierais, toi, justement, la nature de ton engagement ? Tu es à un endroit là, comme tu dis, qui te plaît. Tu es passionné par les modèles économiques, comment c'est possible d'être passionné par les modèles économiques ?
- Christophe
Écoute, j'ai l'impression que c'est la clé de voûte, enfin en tout cas, il n'y a jamais une clé de voûte, il n'y a jamais un élément pivot, mais j'ai l'impression que celui-là quand même, il concentre beaucoup d'enjeux. Dans sa configuration actuelle, il concentre beaucoup de problèmes et si on pouvait faire évoluer ces modèles, ça résoudrait pas mal de choses. En tout cas, ça permettrait vraiment à l'économique de peut-être retrouver un souffle nouveau pour contribuer davantage à la vitalité au sens très large. Donc, je te disais que j'étais sensible au sens, à la finalité. Le modèle économique, et innover sur son modèle économique, c'est probablement l'innovation la plus systémique dans une organisation. Donc, ça reboucle avec mon mode de fonctionnement très systémique. Et puis, je pense que quand on innove sur son modèle économique, on peut vraiment libérer des potentiels qui aujourd'hui sont complètement bloqués dans beaucoup de directions. Et on peut rendre possible ce qui, aujourd'hui, sur papier, paraît impossible. Et je trouve que c'est des défis assez intéressants. Et puis, c'est des aventures humaines. Toucher à un modèle économique, c'est des aventures humaines qui brassent de multiples parties prenantes. C'est un défi intellectuel et j'aime plutôt ça. Donc, effectivement, souvent, on me dit comment tu peux être passionné par un truc aussi ardu, ou en tout cas aussi rapeux sur le papier. Mais moi, c'est mon truc.
- Eric
Et ce qui est sûr, c'est qu'on est au cœur du réacteur du monde économique quand on parle des moteurs des modèles économiques. Alors juste pour ceux qui ne te connaissent pas, peut-être une question un peu personnelle, tu as un ancrage territorial très fort. J'avais envie de te demander où est-ce que tu te ressources dans la nature, quand tu en ressens le besoin ? C'est quoi l'endroit vraiment où tu te sens le mieux dans la nature ?
- Christophe
L'endroit où je ressens un état de profond bien-être, c'est l'environnement marin. Ce qui explique peut-être pourquoi j'ai pris tant de plaisir à la CEC Océan hier. Mais l'environnement marin est pour moi mon environnement, mon écosystème de prédilection. J'aime la voile et donc j'ai la chance de passer beaucoup de temps sur l'eau. J'aime aller dans l'eau. Et puis c'est un environnement qui chez moi cultive l'humilité. Parce que la voile te rend complètement dépendant de l'élément. Et tu dois jouer avec l'élément qui se présente à toi. Et puis comme je fais pas mal de régates, ça reconnecte à l'instant présent de manière invraisemblable. Donc voilà, la mer, je peux rester assis des heures devant la mer et juste la regarder, la contempler, m'émerveiller.
- Eric
On va rentrer maintenant dans le vif du sujet et on va regarder ensemble, décrypter les dix premières entreprises, dirigeants qui sont venus témoigner dans ce podcast CAP Regen depuis un an. On a eu des dirigeants de tous les secteurs. Des dirigeants qui font des meubles, du café, de la cosmétique, de la finance, qui impriment des photos, qui produisent des camions. Et la question que j'ai envie de te poser, c'est quel regard tu portes sur les avancées de leurs feuilles de route ?
- Christophe
Alors un premier constat que j'ai fait à l'écoute de tous ces podcasts, c'est que j'ai eu l'impression de percevoir une valeur ajoutée supplémentaire ou peut-être une aventure singulière pour les entreprises qui avaient conscientisé, investigué, analysé leur dépendance, ou je préfère parler d'interdépendance aux écosystèmes. Quand Marie nous dit que son activité dépend tout entièrement du débit de la Seine dépend tout entièrement de la température, parce que quand il fait trop chaud, les touristes préfèrent aller dans les musées climatisés que de se faire rotir sur une vedette. Et bien quand elle fait ce chemin intellectuel, elle comprend que son entreprise et la bonne santé de son entreprise coévoluent avec la bonne santé de la Seine et plus largement de l'ensemble de l'écosystème dont elle dépend. Quand Alexandre chez Belco nous dit qu'à l'horizon 2050, 50% des surfaces cultivées en caféiculture dans les zones qui sont aujourd'hui les zones de culture, pourraient être menacées, avoir disparu. Eh bien, quand tu as ce niveau de conscience, ce niveau de conviction qu'il appuie par la science, et ça, je trouve ça très beau aussi, un dirigeant qui appuie cette conviction, non pas uniquement sur le vent qui passe, mais par la science, et bien, là, ça te donne un moteur énorme pour envisager une transformation assez profonde et stratégiquement profonde de ton organisation. Donc voilà, un premier constat, c'est de se dire : si j'analyse mes dépendances, je développe peut-être une puissance de feu supplémentaire. En tout cas, moi, je l'ai ressenti. Et puis, ça amène le dirigeant à poser un regard différent aussi sur le territoire qu'est le sien. Le territoire, son territoire de production, son ou ses territoires de production, son ou ses territoires de consommation. Sophie d'Expanscience l'a bien exprimé. Elle a dit, nous portons un regard nouveau sur Épernon, qui est le territoire au sein duquel l'usine est historiquement implantée. Et nous tissons des coopérations nouvelles. C'était là. Mais on ne regardait pas autour de nous. Aujourd'hui, on regarde autour de nous. Laurent, Photoweb, pareil, il a relocalisé un produit d'Asie vers une petite PME de son territoire, simplement parce qu'il regarde son territoire. Il le regarde, il le découvre ou le redécouvre, et en le redécouvrant il tisse des liens nouveaux avec lui. Je trouve ça très très fort. Et puis un deuxième constat, ça nous renvoie au grand mouvement stratégique du régénératif. Deux grands mouvements stratégiques pour aller vers le régénératif. Premier mouvement stratégique, un mouvement de réduction d'impact négatif. Et là, les dix entreprises qui ont témoigné, puisque j'en ai entendu dix à ce stade sur les onze, ont fait un sacré chemin sur ce sujet.
- Eric
Effectivement, cette vision transverse que tu as, je crois qu'on peut peut-être ensemble se dire que ce qu'ils ont en commun, les 10 pionniers de l'économie régénérative, c'est cet esprit d'aventure. Finalement, quand ils ont compris les enjeux, quand ils ont compris aussi le repositionnement sur un territoire, sur un écosystème que ça peut vouloir dire pour leur entreprise dans le futur, quelque part, ils ont envie de s'embarquer dans cette aventure et ça leur donne de l'énergie. Et c'est vrai que cette énergie est communicative. Donc, merci d'avoir vu ça. Là, maintenant, tu parles d'un enjeu majeur, c'est de réduire les impacts négatifs. Tu as senti que c'était bien engagé. Mais finalement, c'est quoi les grands chantiers de ce mouvement de la réduction des impacts négatifs ?
- Christophe
Alors, réduire les impacts négatifs d'une activité économique, ce n'est pas quelque chose de nouveau. On le trouve dans les politiques RSE depuis de nombreuses années. Il y a peut-être une singularité de la pensée régénérative sur ce vaste chantier, c'est d'amener les impacts négatifs aux seuils incompressibles, c'est-à-dire les seuils prescrits par la science pour rester dans les conditions d'équilibre du système Terre. Et ça, ça appelle à trois chantiers majeurs. Le premier chantier, c'est l'évolution de modèles économiques. Le deuxième, c'est le renoncement. Le troisième, c'est la construction d'un rapport spécifique à la limite. Alors, on trouve dans les dix entreprises qui ont témoigné, on trouve des traces de chacun de ces chantiers. Rares sont celles qui les embrassent tous les trois, mais il y en a. Et ça méritera de les relever.
- Eric
On va leur donner une médaille.
- Christophe
Voilà, on pourra leur donner une médaille. Mais donc, si t'es d'accord, on peut peut-être passer ça en revue.
- Eric
Alors, on va sur le premier chantier. Finalement, c'est vraiment le cœur de la transformation, c'est la raison d'être, la raison d'être de l'entreprise. Là, qu'est-ce qui t'a marqué quand tu as observé ces raisons d'être ?
- Christophe
Alors pour moi, questionner sa raison d'être, c'est un préalable. C'est un préalable dont on a impérativement besoin pour faire évoluer son modèle économique. Donc je relierai la réflexion et le questionnement sur sa raison d'être à la réflexion et l'innovation stratégique sur son modèle économique. Beaucoup ont insisté sur l'impérieux besoin de réévaluer la raison d'être de son entreprise. Laurence de Citizen Capital, elle dit d'ailleurs que ça devrait être le tout premier travail, le tout premier élément à mettre sur la table de travail. Sophie, elle utilise un terme un peu différent, elle parle évidemment de raison d'être, mais elle parle également de questionner l'utilité réelle de ses offres. Bertrand de Davidson, lui il dit, nous on est une ESN, on fait un ensemble de missions, on doit réinterroger le caractère vertueux ou non vertueux de nos missions. Alexandra de Serfim, elle appelle à réinventer la finalité de ses métiers. Donc, on voit que chaque fois derrière, il y a une question de sens profond. Et ce que je trouve très intéressant, c'est l'exemple de Laurent de Photoweb, qui a modifié la raison d'être de PhotoWeb dans le cadre de son parcours. Il est passé d'une raison d'être qui consistait à imprimer les moments de vie qui comptent, à une raison d'être qui porte désormais sur l'enjeu de conservation et de partage des moments de vie qui comptent. Et ça, je trouve très intéressant, parce qu'on voit que la raison d'être, ce n'est pas juste une phrase plaquée sur un mur. Mais quand on projette le potentiel d'innovation stratégique en restreignant son champ d'action à l'impression, on a un terrain de jeu infiniment plus petit que si on l'ouvre à la conservation et au partage. Parce que le moyen, l'impression, n'est plus au cœur du projet d'entreprise, il devient même potentiellement dispensable. Et ça, c'est un truc de dingue. Et donc, naturellement, travailler la raison d'être mène, quand c'est bien fait, à re-questionner le modèle éco. C'est en ça probablement, et Laurence a raison, je suis en phase avec elle, c'est en ça probablement que ça doit être le premier chantier. Et puis ensuite, il y a le modèle éco lui-même. Et là aussi, on a des jolis exemples. Arnaud de Tikamoon nous dit que l'avenir de Tikamoon, ce n'est probablement pas le produit. L'avenir de Tikamoon, c'est probablement le service. Et ce service, il doit permettre plusieurs choses. Il doit permettre d'abord, un, d'allonger la durée de vie de nos produits. Il doit favoriser la circularité des produits. Et donc, demain, Tikamoon, ce sera probablement une entreprise multilocale, une entreprise qui fera du recrafting, une entreprise qui fera de l'open source, c'est super enthousiasmant. Là, on a opéré une bascule en termes de modèle économique. La bascule est en chemin, ça va prendre du temps, mais le cap est dressé.
- Eric
Oui, et quelque part, il avait, donc Arnaud, c'est le PDG Tikamoon qui fabrique des meubles, il a dit à un moment donné, on s'engage à faire des meubles qui durent 100 ans. Donc quand on part comme ça sur un engagement, alors c'est très aspirationnel pour toutes ses équipes, mais effectivement, ensuite derrière, il faut savoir faire du service pour les faire durer, ces meubles, jusqu'à 100 ans. Tout à fait.
- Christophe
Absolument. Mais on a plein d'autres cas. On a Marie. Marie, vedette de Paris. Alors, elle, elle le dit explicitement. Elle dit, nous, notre enjeu, c'est de sortir d'une logique de volume de passagers à transporter. Avant, on essayait de prendre tous les passagers qui passaient devant nous. Aujourd'hui, on raisonne davantage en termes de valeur. On va travailler davantage sur le taux de remplissage de nos bateaux. Mais on va également questionner la possibilité d'offrir des valeurs nouvelles à des publics, à des clients nouveaux. On commence à s'intéresser à la logistique du dernier kilomètre sur Paris. On envisagerait peut-être demain, grâce au chantier d'électrification de la flotte, de devenir fournisseur d'énergie. Et donc, on voit là aussi que le modèle économique est en train de bouger, que ses fondamentaux, son ADN historique, volumique est remis en question. Et ça, il faut quand même le souligner parce que c'est courageux. C'est courageux, il n'y en a pas beaucoup qui le font. Et puis Renault Trucks, pareil, Renault Trucks, bon, fabricant bien connu de camions. Si Renault demain veut effectivement vendre moins de camions et faire en sorte que ces camions fassent moins de kilomètres, il n'a pas d'autre choix que de faire évoluer son modèle économique. Sinon, il se tirerait une balle dans le pied. Et puis alors, il y a ce sujet de transformation de modèle, mais il y a aussi la possibilité de faire émerger de nouveaux modèles. De nouveaux modèles comme Sophie d'Expanscience nous y invite pour rendre solvable, rendre économiquement viable l'impact. L'impact positif, la régénération, le renforcement des conditions propices au bon développement du vivant, qui est un marqueur fort du régénératif. Laurence de Citizen Capital le dit, nous en tant que fonds, notre premier métier c'est de faire émerger des modèles économiques qui placent l'impact, puisque c'est un fonds à impact, qui placent l'impact au cœur. du processus de création et de monétisation de la valeur. Et si tu arrives à visser l'impact dans ton modèle éco, c'est gagné.
- Eric
Oui, ça débloque tout le reste derrière. On s'aperçoit qu'avec ce préalable, finalement, de requestionner la raison d'être, on a un accélérateur formidable de la transformation de l'entreprise. Il y en a un deuxième accélérateur formidable, on va en parler ensemble. C'est sans doute le grand impensé pour aller vers l'économie de demain. C'est presque un mot tabou à certains endroits, c'est le mot renoncement. Alors on va en parler, juste une donnée, puisqu'on a émis le baromètre CEC qu'on mettra dans les ressources de ce podcast. Dans la CEC, 130 entreprises ont répondu et 40% d'entre elles ont déclaré avoir déclenché des renoncements suite au parcours CEC. C'est quand même beaucoup, ce 40%. Et moi, je me souviens pour l'anecdote, justement, de cette intervention que tu avais faite à Lille en octobre 2021. Et tu avais dit à un moment donné, devant 300 dirigeants d'entreprise, cette question, avez-vous le droit d'exister ? Est-ce que toutes vos activités économiques ont le droit d'exister ? Et donc, qui appelle forcément la question d'un renoncement possible. Tu les avais marquées et cette vidéo, on la mettra aussi en ressource sur cet épisode du podcast. Vous verrez les réactions dans la salle quand tu avais posé cette question. Donc, on est sur une notion majeure. Toi, comment tu l'appréhendes, cette notion du renoncement ? Et qu'est-ce que tu as vu là dans les exemples de la CEC ?
- Christophe
Le renoncement, c'est le deuxième chantier pour aller au seuil incompressible. Parce que le seuil incompressible, pour donner une idée de la hauteur de la marche, si je ne regarde que le carbone, et Dieu sait que je suis plutôt vigilant à ne pas uniquement mobiliser ce sujet du carbone, mais en moyenne intersectorielle, une entreprise devrait réduire de 42%. son bilan carbone entre 2020 et 2030 de 90% entre 2020 et 2050. Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le seuil incompressible à horizon 2050, c'est 10% seulement des émissions. Et donc ça, mécaniquement, ça rend un ensemble d'activités éco-incompatibles de par leur intensité carbone. Et la logique vaut, est exactement la même pour la biodiversité, pour l'eau. pour l'utilisation des sols, etc. Et donc, ce renoncement, effectivement, est un grand tabou. Mais derrière la notion de renoncement se pose la question de l'éco-compatibilité ou de l'éco-incompatibilité d'un produit, d'un service, d'un process, d'une pratique, d'une activité, d'une manière de faire, d'une manière de rayonner dans le monde. Je trouve qu'elle fait peur, mais elle est incroyablement vivifiante, cette question. Elle est vivifiante parce qu'elle force là aussi à l'innovation stratégique. Et là aussi, on a de très, très beaux exemples dans les témoignages qui nous ont été offerts à travers le podcast. Alors évidemment, l'exemple emblématique, la première qui est sortie du bois, c'était Sophie, qui a annoncé publiquement vouloir stopper l'activité lingettes. Je ne vais pas en parler parce qu'on en a déjà tellement parlé que je pense qu'il est bien connu, il est dans le champ. Mais il y a eu pas mal de témoignages de renoncement. Marie a une flotte de bateaux. Marie, c'est les Vedettes de Paris. qui, historiquement est propulsée de manière classique, carburant, elle renonce à cette pratique. Elle renonce à cette pratique pour électrifier les bateaux. Et ça coûte des ronds. Je ne l'ai plus en tête, mais ça coûte assez cher. Laurent, Photoweb, ils font des photos, ils renoncent à la technique de l'argentique qui est pourtant la technique la plus qualitative, la plus productive. Et il se dit, ça ne peut plus exister. L'argentique, ça ne peut plus exister. Malgré les qualités intrinsèques de cette technique. Anne-Catherine d'EasyCash, et là je trouve ça très beau parce que en se revissant à sa raison d'être, en se revissant à l'essence même d'EasyCash qui est l'économie du réemploi, En se rappelant sa raison d'être, elle dit « mais en fait, on vend du neuf dans nos magasins, mais ça n'a juste aucun sens, nous devons renoncer à cette pratique » . Donc effectivement, je me réjouis de ce chiffre de 40% que tu annonces ici, il est enthousiasmant et espérons que dans 10 épisodes, ce taux monte à 60.
- Eric
Oui et Christophe, tu as aussi repéré pas mal d'actions sur un troisième chantier, est-ce que tu peux nous en parler ?
- Christophe
Alors ce troisième chantier, premier chantier : innover sur le modèle éco, deuxième chantier : renoncement, troisième chantier : apprivoiser la notion de limite. Alors ça, c'est un chantier sacrément difficile, parce que dans notre inconscient, dans nos cultures, dans nos représentations, la limite est souvent associée à de la faiblesse, à du manque d'ambition, à une absence même de progrès. Or, il y a un déconditionnement à faire. Apprivoiser la limite, c'est reconnaître que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et qu'à un moment donné, il y a une bonne taille, que ce n'est pas toujours la plus grande taille qui est importante, que ce n'est pas toujours l'unité de plus, le volume de plus, mais qu'à un moment donné, on a atteint un niveau satisfaisant. Donc, ça s'appuie un peu sur un principe de suffisance, le principe de limite. Et là aussi, on le retrouve. Et ça a été assez magique pour moi de voir qu'on le retrouve. Alors, évidemment, Christophe, Renault Trucks, place la limite au cœur de sa question générative. Quand il dit « comment limiter le nombre de camions ? » Et comment limiter le nombre de kilomètres qu'ils parcourent en réinventant une logistique avec nos clients et les clients de nos clients ? La limite est intégrée au cœur de sa réflexion. Donc ça, je trouve que c'est très ambitieux. Parce que ça, on a là l'expression d'une question générative extrêmement ambitieuse qui ne peut déboucher que sur une transformation très profonde. de l'entreprise, du modèle économique, et qui force à penser de manière très latérale. Laurence, j'ai trouvé ça aussi intéressant, Laurence, Citizen Capital, elle a quand même bien insisté sur le fait que quand elle a créé Citizen Capital, elle voulait démontrer que les fonds à impact pouvaient afficher des mêmes rendements, des rendements comparables et compétitifs par rapport aux fonds plus classiques. Mais elle a quand même témoigné du fait que sur certains sujets, sur certains fonds, notamment les fonds qu'ils ouvrent actuellement, dans le champ de l'agriculture, en particulier ceux qui visent à faire évoluer les pratiques agricoles, que ceux-là, l'enjeu serait peut-être plus raisonnablement de préserver le capital plutôt que d'aller chercher du rendement, ce qui implicitement appelle à limiter les exigences de rendement auprès des investisseurs et à accepter l'idée qu'un beau projet sans rendement, mais en préservant le capital, vaut la peine d'être mené. Et puis j'ai trouvé, et là aussi de manière peut-être un peu plus subtile, j'ai trouvé très intéressant quand elle parlait des modèles aspirationnels, des modèles de demain, elle a dit, moi je crois beaucoup dans l'essor, l'émergence des modèles économiques locaux, hyper locaux, à l'échelle d'une biorégion, à l'échelle d'un bassin versant, à l'échelle d'un bassin de vie. En fait, elle n'a pas mobilisé le concept de limite là, mais implicitement, elle délimite un modèle économique, elle le limite à son périmètre territorial par rapport à des modèles totalement débridés et hyper globalisés. Donc, cette notion de limite, on peut l'attraper de plein de manières différentes, mais j'ai trouvé en tout cas que ces illustrations sont des jolies manières de les attraper.
- Eric
Est-ce que tu dirais, pour ceux qui nous écoutent, que la notion de limite pour une entreprise, c'est un petit peu comme la notion de sobriété pour un consommateur ?
- Christophe
Complètement. La notion de limite c'est reconnaître que la croissance est incompatible avec les enjeux environnementaux et sociaux, et que la quête du toujours plus est pathologique en fait. Dans les systèmes vivants ce qui croit de manière indéfinie est amené à mourir. L'exemple le plus intéressant c'est les cellules cancéreuses.
- Eric
Alors, tu nous as dressé le portrait ou plutôt la mosaïque de portraits de toutes ces actions que tu peux voir dans le domaine de la réduction des impacts négatifs. Et évidemment on sait que l'économie régénérative, elle vise à créer des impacts positifs, nets. Donc là on va passer sur la deuxième partie. Et c'est le mouvement pour créer des impacts positifs. Et là, tu étais un petit peu plus mitigé dans ce que tu as vu dans les dix premiers épisodes de CAP Regen. Donc, qu'est-ce que tu as envie de nous partager sur cet aspect-là ?
- Christophe
Alors, effectivement, l'ambition régénérative s'articule autour de ces deux grands mouvements stratégiques. Le premier que tu as rappelé, qu'on vient d'explorer ensemble. Et ce deuxième qui vise, communément, on dit générer des impacts positifs. En fait, si on rentre vraiment dans la soute fine, il s'agit plutôt d'être capable de créer ou de recréer les conditions propices au bon développement du vivant. Du vivant humain, on parlera de régénération sociale, de régénération humaine, du vivant non humain, de la vie des écosystèmes, on parlera de régénération écologique. Et donc, la question qui se pose dès lors aux entreprises est la suivante. Est-ce que je fais peser sur les écosystèmes ? Est-ce que je fais peser sur les collectifs humains ? des conditions propices à l'expression de leur vitalité ? Ou à l'inverse, est-ce que je fais peser des pressions allant contre l'expression de vitalité de ces écosystèmes ou de ces parties prenantes ? Et là, je dis souvent dans les sessions CEC, il y a deux grands cas de figure en fait, et on le retrouve très bien dans les témoignages. Il y a les entreprises qui sont en prise directe ou qui sont en lien indirect, mais relativement étroit avec les écosystèmes, si on regarde vraiment la régénération environnementale. Et là, on a bien évidemment Belco, on a Tikamoon, on a Expanscience, et là, on voit que le régénératif, loin d'être une aventure tranquille, est intuitif. On voit par où ça passe, on voit comment on peut l'attraper. J'ai beaucoup aimé le témoignage d'Alexandre de Belco. Il rappelle que 80% de son empreinte carbone aujourd'hui, ça vient de l'agriculture. Le sujet, c'est l'agriculture, et par extension, les conditions, les pratiques, les systèmes de production qui conditionnent la fabrication du café ou du cacao. Et donc, il dit, si je veux être un peu sérieux, en fait, je dois être capable de remonter à la source.
- Eric
Oui, il nous a emmenés en Éthiopie, il nous a emmené en Colombie.
- Christophe
Et d'engager un dialogue nouveau avec les producteurs pour les aider, les accompagner, les valoriser dans l'évolution de leurs pratiques. Pour qu'ils mettent en œuvre des pratiques régénératives. Et là, c'est un bouleversement. Et c'est presque l'ADN de Belco, en fait. C'est presque l'ADN de Belco de dire on doit complètement repenser notre chaîne d'intermédiation, parce que quand on achète à des brokers, à des courtiers, en fait le producteur il est invisible, on ne sait pas ce qu'il y a derrière. Et on peut nous raconter n'importe quelle salade, on ne sait pas si la salade est bonne ou pas bonne. Et donc j'ai trouvé très intéressant, dans le récit d'Alexandre, la manière dont il reconstruit ses chaînes de valeur, pour développer de la traçabilité vers le producteur et pour ensuite engager avec lui un travail de refonte de ses pratiques. C'est évidemment ongoing, c'est un travail très fastidieux. Pareil chez Expanscience, c'est exactement la même chose. La très grande majorité des produits formulés par Expanscience le sont au départ de matières premières agricoles. Donc on est exactement sur le même sujet. Et là, de manière pragmatique, les équipes se focalisent aujourd'hui sur dix matières premières. Et là, j'ai trouvé ça intéressant de dire, nos métiers sont réinterpellés. Les métiers sont réinterpellés, par exemple le métier de l'acheteur, qui lui aussi va devoir créer des conditions de dialogue, des conditions d'investigation, des conditions d'achat différentes de ces pratiques actuelles, ne fût-ce que pour créer ce must-be qu'est la traçabilité. Alors après, on a des choses un peu différentes. Tikamoon, facile aussi, Tikamoon ce sont des meubles en bois massif. Qui dit meubles en bois massif, dit l'écosystème forestier qui n'est pas loin. Et c'est comme ça d'ailleurs qu'Arnaud a commencé. On a redécouvert... que notre métier était profondément connecté à la forêt. Et nous avons fait le constat que nous la connaissions très mal. Et donc nous devions retourner en forêt, apprendre à redécouvrir là où tout commence en fait pour Tikamoon. C'est dans l'arbre qui pousse. Et quel est le système forestier ? Quel est le système sylvicole qui est mis en œuvre ? Parce que bois massif, ça veut tout dire et rien dire. Si c'est un bois massif qui vient d'une sylviculture intensive mono-espèce, il n'y a pas de vie là-dedans, c'est un désert biologique en fait, c'est de l'agriculture intensive d'arbres. Et donc, quel est le modèle sylvicole derrière ? Alors après, il y a des choses peut-être un peu moins intuitives. J'ai beaucoup aimé quand Marie, Vedettes de Paris, dit « Nous aujourd'hui, on engage des dialogues et des discussions avec des gens avec qui on n'aurait jamais imaginé discuter, des associations de pêcheurs, pour voir dans quelle mesure il serait utile de relâcher du poisson dans la Seine. » Je disais tout à l'heure en introduction Marie, elle a complètement conscientisé et intégré l'idée que la bonne santé de la Seine influe sur la bonne santé de son activité. Elle porte un regard différent sur cet écosystème aquatique. Donc ces entreprises pour lesquelles il y a un lien avec les écosystèmes, on voit par où ça passe. Alors ce n'est pas parce qu'on voit par où ça passe que c'est facile à mettre en œuvre. C'est des chantiers incroyables, il faut repenser l'intermédiation, il faut assurer la traçabilité, il faut engager un dialogue direct avec les producteurs, il va falloir trouver les modèles économiques qui soutiennent tout ça, et c'est souvent des modèles économiques qu'il faut reconstruire, non pas à l'échelle de l'entreprise, mais à l'échelle de la chaîne de valeur. J'ai eu l'occasion de travailler avec des entreprises dans la filière lait ou dans le chocolat, où l'innovation de modèles économiques tient moins au périmètre d'un acteur qu'à la chaîne de valeur tout entière, avec des dynamiques de coopérations nouvelles pour faire tenir un modèle économique de chaîne de valeur, de filière. Il faut évidemment faire évoluer ces métiers en interne, beaucoup en ont parlé. Il faut former les acteurs de la chaîne de valeur, etc.
- Eric
Alors c'est vrai, Christophe, on le voit souvent dans les parcours CEC, on a des entreprises de tous les secteurs qui se rencontrent. Il y en a qui disent, c'est pas juste, parce que mon voisin qui est justement dans le mobilier, qui est dans l'agroalimentaire, voire dans le tourisme, il est en prise directe avec le vivant, il est en prise directe avec les écosystèmes naturels. Et donc la régénération, ça veut dire quelque chose de concret. Alors que moi, je suis une boîte qui est dans le service, par exemple le service informatique, je n'arrive pas à me raccrocher aux vivant et donc le régénératif, ce n'est pas pour moi. Et donc, ça ressort souvent, qu'est-ce que tu leur dirais et comment on peut relier aux vivants des entreprises qui ont l'air d'en être très très loin à la base ?
- Christophe
Alors, je leur dirais qu'effectivement, le sentiment de vide est légitime parce que c'est moins intuitif. C'est plus compliqué, mais ce n'est pas parce que c'est plus compliqué que ce n'est pas possible. Là, c'est un message extrêmement important. Alors d'abord, peut-être qu'une chose qui va être importante à dire, c'est qu'une entreprise comme Renault Trucks, dans sa configuration actuelle, on ne va pas se raconter d'histoires, sauf à faire des diversifications stratégiques majeures, elle ne sera jamais régénérative sur son périmètre propre. Elle peut générer des impacts positifs, aller jusqu'aux impacts positifs nets, ça va être très très compliqué, sauf si elle le fait à l'échelle d'un écosystème coopératif d'acteurs, c'est-à-dire des acteurs avec lesquels elle va coopérer ou des coopérations nouvelles avec son territoire. Premier sujet pour ces entreprises, parce que souvent on va distinguer l'industrie et le service. Dans l'industrie, on est souvent dans des entreprises qui sont en prise avec un modèle très extractiviste. Ils se situent dans des chaînes de valeur très extractivistes. J'ai beaucoup aimé quand Laurence de Citizen Capital a exprimé son pas ses doutes, mais ses interrogations quant au terme même de régénératif, elle a dit une chose fort intéressante, elle a dit l'extractivisme est incompatible avec le régénératif. Et donc autant dans le domaine agricole, etc., je projette le régénératif, autant dans le domaine industriel c'est plus compliqué pour moi. En disant ça, elle met le doigt sur un chantier prioritaire sortir de la pensée extractiviste, de la pratique extractiviste. Et ça, ça renvoie au premier chantier, donc je ne vais pas redévelopper. Ensuite, il y a ce qu'on appelle volontiers, nous, à Lumia, les portes de reconnexion aux écosystèmes. Par exemple, toutes les entreprises disposent de foncier, en tout cas une grande majorité d'entreprises disposent de foncier, disposent d'infrastructures. Elle peut agir sur ce foncier ou sur cette infrastructure. C'est même au cœur d'un métier comme Serfim, par exemple. Serfim gagnerait à s'intéresser au champ émergent de l'urbanisme à visée régénérative. L'urbanisme à visée régénérative, c'est quoi ? C'est repenser la conception des infrastructures, repenser la question de l'aménagement d'un site, de l'aménagement d'un territoire. De manière à ce que, un, il renforce les conditions propices au bon développement du vivant, deux, qu'il renforce les services écosystémiques, les services rendus par les écosystèmes. Si je peux faire une petite digression, on a mené un travail très intéressant sur un centre hospitalier, un site de 12 hectares, 12 hectares au sein duquel on a été capable de qualifier un état initial sur des services écosystémiques et sur les conditions qui étaient rendues disponibles aux vivants non humains. Et puis on a mis en évidence un ensemble d'aménagements qui s'appuyait prioritairement sur le vivant. Il y avait des dispositifs techniques, mais on peut penser de végétalisation de toiture, de végétalisation de façade, on peut penser à des ombrières végétales, etc. On avait fait 44 scénarios d'évolution de site et on a vu que la mise en œuvre de ces 44 scénarios venait renforcer les conditions propices au bon développement du vivant, renforcer les services écosystémiques. Donc ça, c'est au cœur du métier de Serfim. Donc Serfim pourrait, en tout cas au cœur de certains de ses métiers, puisque Serfim est un groupe très diversifié, comme Alexandra nous l'a bien expliqué. Autre élément, Renault Trucks. Renault Trucks nous dit, moi je suis un industriel, je suis à des années-lumière de l'affaire régénérative. Effectivement, c'est assez normal qu'il aie du mal à l'attraper. Maintenant, Renault Trucks regarde son camion. Un camion a besoin d'un environnement pour évoluer. Donc en fait, si tu dézoomes, le camion est complètement encastré dans les écosystèmes urbains qu'il ne cesse de traverser. Et donc, le camion dépend tout entièrement de l'écosystème urbain. Est-ce que nous pourrions élargir la réflexion en se disant, mais tiens, finalement, est-ce qu'un camion pourrait laisser une trace positive dans un écosystème urbain traversé ? De la même manière que Marie essaie de raisonner à ce que ces navettes fluviales laissent une trace positive sur la Seine, par exemple en coopérant avec des pêcheurs. Alors c'est évidemment, quand je le dis comme ça, ça paraît presque irréel, et ça peut atterrir de manière un peu concrète. En France aujourd'hui, alors je ne suis pas complètement sûr du chiffre, mais il me semble qu'il y a 1000 aires de service et ou de repos sur le réseau routier. Les principaux usagers de ça, c'est qui ? C'est les camionneurs. Alors évidemment, tous les automobilistes, mais les camionneurs. Les camionneurs, ils passent leur vie dans leurs camions, ils dorment dans ces endroits nombreux. Ça représente des hectares et des hectares et des hectares de terrain. Il y a un sujet, il y a un sujet là qui peut relier la qualité d'un environnement pour un chauffeur avec un espace foncier sur lequel on pourrait agir. Est-ce que c'est à Renault Trucks de le faire ? Il peut être un acteur parmi d'autres.
- Eric
Alors je pense, là Christophe, c'est hyper important et on va peut-être dézoomer un petit peu justement sur cet enjeu-là et puis on reviendra ensuite sur les autres exemples. Mais là, tu nous parles d'infrastructures, d'infrastructures routières, autoroutières, donc sous la charge de l'État. Tu nous as parlé d'un centre hospitalier, donc finalement on est sur du semi-public. Et finalement, est-ce que la question, c'est pas où place-t-on la visée régénérative ? Est-ce que c'est un acteur dans son silo qui peut avoir la visée régénérative ? Ou est-ce que c'est à l'échelle d'un territoire, d'un pays, d'une société, où en fait l'économie régénérative peut devenir un nouveau récit, une nouvelle cible, un nouvel horizon ? Mais c'est qu'en y allant tous ensemble, en faisant système tous ensemble, en s'aidant les uns les autres, qu'on ne peut vraiment toucher du doigt la transformation que peut procurer l'économie régénérative.
- Christophe
La régénération est forcément une aventure collective. Alors déjà, c'est une aventure physiquement ancrée, physiquement au sens environnement physique. Parler de régénération écologique n'a de sens que quand on raccroche ça à un écosystème bien réel. On régénère un écosystème territorialement situé. Donc, penser la régénération, ça nous fait réatterrir. Ça nous fait réatterrir les deux pieds dans nos écosystèmes. Et un écosystème, il n'est jamais dépendant d'un usager, d'un seul usager. Il n'est jamais dépendant d'un seul acteur. Il est forcément à la croisée d'une multitude d'acteurs publics, privés, associatifs, citoyens et donc forcément engager un travail sur un écosystème, c'est une aventure collective. Un agriculteur qui met en œuvre une agriculture régénérative doit trouver pour ses produits régénératifs des débouchés. S'il n'a pas de débouchés, le système de production n'a aucune chance de perdurer. C'est une aventure collective. Le consommateur que nous sommes, quand il achète au supermarché, il légitime un système de production ou un autre système de production. C'est une aventure collective. Et effectivement, la régénération a fortiori, pour les entreprises qui sont un peu plus distantes des écosystèmes, ça ne peut passer que par du collectif, par de la coopération, avec des acteurs qui peuvent paraître loin de nous, mais qui finalement, une aire d'autoroute pour un fabricant de camions, c'est un point d'intérêt. Parce qu'on sait, il me semble que Christophe avait exprimé le fait que le métier de chauffeur aujourd'hui pourrait devenir pénurique, en tout cas dans certaines zones de France. Ça veut dire quoi ? Les conditions de vie, ça ne doit quand même pas être super simple. J'ai du mal à me projeter dans la vie d'un chauffeur de poids lourds, mais ça ne doit quand même pas être super évident. Et donc, si on est capable d'offrir à ces hommes et ces femmes, au volant de ces camions, des environnements qui sont plus propices à l'expression de leur propre vitalité et qui, de ce fait, contribuent à la vitalité du vivant non humain autour d'eux, j'ai l'impression que c'est tout bénef, en fait.
- Eric
Alors, si on revient à un cas qu'on rencontre beaucoup dans notre économie, dans la CEC, c'est très courant, c'est les entreprises de services. C'est un challenge pour les entreprises de services de se lancer dans la visée régénérative. Est-ce que tu peux nous donner quelques pistes ?
- Christophe
Absolument. Et puis bon, là, je n'ai pas été exhaustif pour les industriels, on pourrait dire plein d'autres choses, mais effectivement, zoomons sur le service. Sur les entreprises de services, je dirais que la porte de reconnexion la plus naturelle, c'est la capacité à faire bouger son système d'acteurs, la capacité à faire bouger ses parties prenantes, en premier chef desquelles les clients. Si je reprends Bertrand de chez Davidson, Davidson, entreprise de services numériques, il nous dit à un moment donné, je crois que je l'ai déjà évoqué, 2.700 missions, 137 sont vertueuses. Le sujet, il est là, en fait. Le sujet, il est là, c'est comment chacune des missions contribue de manière directe, indirecte, à renforcer les conditions propices à la bonne expression du vivant. Est-ce qu'une entreprise comme Davidson pourrait intégrer de manière systématique, par exemple, dire, eh bien, chacune de nos missions va s'accompagner d'une évaluation de l'impact sur la biodiversité, des couches numériques mises en œuvre. On introduit une graine de vivant dans un projet ultra technique. C'est un cheval de Troie, mais c'est super intéressant et on reviendra sur la notion de biodiversité sans doute plus tard. Anne-Catherine d'EasyCash, alors elle aussi on se dirait, waouh, distributeur de seconde main, pas évident. Elle dit à un moment donné quelque chose de très intéressant. Elle dit, nous notre sujet aujourd'hui c'est d'aider les acteurs du neuf à organiser la seconde main de manière rentable. Alors ça, j'ai trouvé ça intéressant. Alors, tu vas probablement me dire, Christophe, c'est pas regen ça. Et tu aurais parfaitement raison de me le dire. Sauf que, si tu crées une activité solvable chez les fabricants de neuf autour du réemploi, et que par ailleurs, tu mènes, comme elle le mentionne, une étude sur les effets rebonds, ça voudrait dire quoi ? Ça veut dire que tu crées des poches de rentabilité nouvelles auprès des acteurs du neuf, et que, si tu vas au bout du geste, tu peux éventuellement faire en sorte que ces poches de rentabilité supplémentaires soient mises au service de projets régénératifs dont tu pourrais même être une des parties prenantes. Alors là tu vas me dire c'est un coup de billard à trois bandes. Il en faut. Donc voilà, là ça se joue de manière effectivement plus indirecte, ça se joue par des bandes de billards un peu différentes, mais il y a probablement là des choses à faire. Et puis, toutes les entreprises sont ancrées territorialement. Ça n'existe pas une entreprise qui n'a pas de point d'ancrage, que son territoire soit son territoire de production ou ses territoires de consommation. Derrière un territoire de production, il y a un bassin de vie pour les salariés. derrière un territoire, l es salariés, les co-traitants, les sous-traitants, derrière un territoire de consommation, il y a un bassin de vie pour les clients, pour les consommateurs. Et donc, une entreprise pourrait légitimement aussi s'intéresser à ce qui se passe sur son territoire, dans une perspective de contribuer à sa mesure, à sa capacité, à l'ordre de sa capacité à régénérer ce territoire. Et Expanscience en parle très bien.
- Eric
Donc, on est en train de creuser vraiment toutes ces pistes. C'est vrai que notre économie, elle en est au balbutiement sur cette connexion à la régénération, mais on espère que petit à petit, il y aura un effet d'entraînement. Il y a quand même une question clé pour le monde économique, c'est la relation à la technique. Et toujours ce débat avec le technosolutionnisme. Toi, quand tu regardes les feuilles de route et les exemples de la CEC, sur ce rapport à la technique, qu'est-ce que tu as perçu ?
- Christophe
On perçoit que ça reste un premier réflexe quand même. On perçoit que ça reste un premier réflexe. L'innovation technique est quand même brandie comme action number one. Et elles sont souvent liées à la décarbonation. Pas toujours, mais presque toujours. Alors évidemment, dans une optique de limitation d'impact négatif, il faut reconnaître que c'est nécessaire et que c'est probablement souhaitable. Maintenant, pour moi, à minima, il y a deux limites dans l'approche technique. La première, c'est qu'elle adresse le plus souvent un seul sujet, un problème à résoudre, pas un système à changer. On va décarboner, et pour décarboner, on va électrifier nos bateaux, on va électrifier nos camions. C'est du problem solving, comme problem fixing, comme Laurence l'avait mentionné. Or, on a besoin d'une bascule systémique, on a besoin d'un system shift, si je reprends les mots de Laurence. Et là, la techno, elle adresse pas ça. La techno nous enferme dans le problem fixing, là où on a besoin de system shift. Donc ça c'est une première.
- Eric
Là, Christophe, c'est fondamental ce qu'on est en train de se dire, parce que toi et moi nous en sommes convaincus, et je pense que maintenant les observateurs aussi, c'est qu'en fait ça fait une bonne vingtaine d'années qu'on est à la course à la décarbonation, mais si on décarbone nos activités humaines sans faire un changement de paradigme, tous les autres sujets qu'on a évoqués, on ne sera pas sorti d'affaire. Et c'est ça le truc, ça ne va pas le faire.
- Christophe
Tu mets le doigt sur le deuxième problème, la deuxième limite. La deuxième limite, c'est que la technologie procède presque toujours d'un déplacement de problème. Presque toujours. Tu évoques la décarbonation. Si demain, Renault Trucks électrifie l'intégralité de sa flotte de camions, et si, alors ce n'est pas le cas, mais s'il ne remet pas en question la course au volume, que se passe-t-il ? Il faut dix fois plus de ressources métalliques pour les batteries que sur du thermique. Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire que tu multiplies par dix sur la chaîne de valeur le besoin d'extraction de matières premières métalliques, dont on connaît le poids délétère sur les sols, sur la biodiversité, sur l'eau. Problem fixing. Je règle un problème. Absence de raisonnement systémique. En réglant un problème, je génère d'autres problèmes.
- Eric
C'est comme les biocarburants sur l'aviation.
- Christophe
Voilà, c'est exactement la même histoire. Et donc, moi, peut-être qu'un élément qui m'a manqué dans les témoignages, c'est peut-être qu'en fait, paradoxalement, tu vois, le GIEC, et Dieu sait que j'honore les gens du GIEC, vraiment, j'ai énormément de respect pour cette institution scientifique, mais ils ont peut-être fait trop bien leur boulot, en fait. Et l'IPBES, qui est l'équivalent pour la biodiversité de ce qu'est le GIEC pour le climat, si l'IPBES avait pu faire aussi bien, et si la biodiversité pouvait avoir le même niveau de présence, d'importance stratégique dans les feuilles de route stratégiques des boîtes, les raisonnements seraient plus systémiques par essence. Parce que la biodiversité, par définition, est systémique. Elle est systémique par définition parce qu'elle a besoin de multiples conditions pour prospérer. Elle a besoin qu'on relâche de multiples pressions pour se dynamiser.
- Eric
On est gagnant à tous les coups si on laisse de la place au vivant.
- Christophe
Et puis elle génère plein de bénéfices dans tous les sens. Et donc j'appelle de mes voeux à ce qu'il y ait un peu moins d'innovation technique et un peu plus d'innovation fondée sur le vivant. un peu plus d'innovation fondée sur la puissance du vivant.
- Eric
Oui, on le sent. Et d'ailleurs, les témoignages qu'on a des participants à la CEC, c'est tous les sujets autour du vivant, de la biodiversité. Ça leur donne de l'enthousiasme. C'est beaucoup plus motivant que de limiter les rejets de carbone. Et puis,
- Christophe
tu sais, la biodiversité, elle a ça de merveilleux. Si je reviens à un truc très, très haut, les neuf limites planétaires. Dans les neuf limites planétaires, tu as des limites de périmètres mondiaux, le climat, que les émissions de gaz à effet de serre soient émises à Paris ou à Caracas. In fine, ça va dans la même atmosphère. La biodiv, c'est une limite planétaire locale. Quand on s'assied dans son jardin, si on a la chance d'avoir un jardin, on entend les oiseaux, on respire le parfum des fleurs, on entend le bruissement des feuilles. La capacité de connexion directe. à la biodiv, la capacité à s'émerveiller, à s'émouvoir, à en ressentir les bienfaits et les plus directs. Donc je comprends que c'est un sujet plus d'enthousiasme en fait.
- Eric
Alors ça nous fait une bonne transition sur un autre grand sujet qu'on aborde dans la CEC. Souvent les participants de la CEC nous disent on a trois déclics dans le parcours CEC. On a un déclic, c'est le déclic du constat. Parce que le constat des limites planétaires, des risques sociaux, quand on le regarde et on regarde l'état d'urgence de la planète, il y a un déclic. voire une claque parfois qui est ressentie. Il y a un deuxième déclic, c'est celui de la connexion au vivant ou de la biodiversité, où là, on s'attache dans les parcours CEC à reconnecter les participants. Chacun de nous, d'ailleurs, on a besoin de plus se connecter au vivant pour essayer justement de se remettre à sa juste place. Et puis, il y a un troisième déclic, qui est le déclic de la coopération. Parce qu'on sait que l'économie régénérative, on le disait tout à l'heure, on va pas arriver à se lancer dans la régénération, dans nos silos et en étant isolés. Il faut vraiment qu'on arrive à déployer des coopérations. Qu'est-ce que tu as senti sur cet angle-là dans les épisodes que tu as écoutés ?
- Christophe
Tous en font un axe central en fait. Il n'y a pas une entreprise qui ne parle pas de coopération. Il n'y a pas une entreprise qui est capable de projeter sa transformation stratégique sans engager de nouvelles coopérations, au sein de sa chaîne de valeur ou avec des acteurs hors chaîne de valeur. Là aussi, si on reprend quelques exemples de témoignages qui nous ont été fournis, Christophe, Renault Trucks, donc lui je rappelle, question générative, moins de camions, moins de kilomètres. Donc ça veut dire réinterroger la logistique. Ça, ça ne se fait pas sans bosser avec les logisticiens, notamment la grande distribution. Voilà, c'est ce qu'il fait. Ils se mettent autour d'une table, ils commencent ensemble à réfléchir à la manière de réorchestrer la logistique de manière plus intelligente. On ne peut pas, sans dézoomer et sans coopérer, la question générative est une impasse. Elle est dead end. On ne peut pas la penser. Easy Cash pareil. Il a dit, en engageant des coopérations, je pense que c'était sur le territoire de Bordeaux, en engageant des coopérations avec des associations, avec des écoles, on est capable d'augmenter de manière très significative le reconditionnement des téléphones portables. Une activité est capable de se doper par une dynamique de coopération. Et puis, bien évidemment, Belco nous montre que coopérer, c'est réorchestrer de manière plus harmonieuse, de manière plus juste, si je reprends ce mot qui m'échappe, de manière plus juste les agencements dans une chaîne de valeur pour faire les choses mieux, mieux répartir la valeur, mieux valoriser les efforts de chacun. Expanscience, et ça vaudrait également pour Photoweb, quand je disais tout à l'heure que en regardant le territoire, ils redécouvrent qu'il y a des forces en présence avec lesquelles ils peuvent s'associer, avec lesquelles ils peuvent engager des coopérations, pour atteindre des résultats qu'ils n'auraient pas été capables d'atteindre seuls. Donc, je crois que la coopération, c'est probablement l'élément qui est le plus naturellement présent dans le discours de chacun des dirigeants, des dirigeantes qui témoignent.
- Eric
Et justement, parlons de ces dirigeantes et de ces dirigeants. Alors, chez Lumia, vous avez deux grands pans d'action, les modèles économiques régénératifs et le leadership régénératif. Et en fait, on le sait, il faut qu'il y ait une cohérence entre les deux. On ne peut pas avoir une entreprise qui se dit à visée régénérative, qui a des nouveaux modèles régénératifs, si ce n'est pas incarné au niveau du management, du leadership, de l'organisation, qu'elle soit cohérente avec des principes aussi régénératifs. Qu'est-ce que là tu as senti sur ces dix personnalités dans leur style de leadership ?
- Christophe
Alors j'ai senti qu'il y avait une conscientisation extrêmement profonde chez la plupart, sinon chacun et chacune de celles et ceux qui ont témoigné. La reconnaissance de l'impérieux besoin d'ouvrir comme chantier prioritaire, soit en fait. La transformation du monde va passer par la transformation de moi-même, en tout cas elle va présupposer que je me mette moi-même en mouvement. Que je me mette moi-même en mouvement pour renouer avec mon essence de vivant parmi les vivants. Parce qu'en fait on a perdu la compréhension profonde de ce que signifie être vivant autour de vivant être inséré dans la trame du vivant deuxièmement peut-être pour venir interroger ces trois grandes fractures la première fracture c'est la fracture de soi à soi est ce que je suis au clair avec moi même quant à savoir ce qui fait circuler la vie en moi ou est ce que j'ai en moi des processus, des freins, des peurs, des limites, des croyances, des représentations du monde qui empêchent la vie de pleinement circuler en moi. Et puis il y a la fracture entre soi et l'autre qui va notamment être nécessaire pour engager la confiance, le préalable indispensable à la coopération, l'écoute véritable, la communication bienveillante, le partage de valeur. Et puis, il y a la fracture de soi à l'environnement. Est-ce que je me sens faire partie d'un grand tout ? Est-ce que j'ai l'impression d'avoir une position haute par rapport à ce qui m'entoure ? Et donc, tout ce travail, je trouve que... Alors, dans les témoignages, je pense qu'il y a de la pudeur. Certains en parlent. Il y en a certains qui ont exprimé un besoin d'évolution. Alors forcément, j'ai été très touché par l'exemple quand il a évoqué la voile, puisque on a cette passion commune pour la voile. Visiblement, il a fait quelques parallèles entre la voile et son propre cheminement personnel. Et je le comprends parce que moi, la voile, ça m'a bien fait bouger aussi. Mais on sent quand même qu'il y a une mise en mouvement, mais qu'il y a de la pudeur encore, que c'est un sujet peut-être qui mériterait d'être davantage travaillé. Et nous, on le constate. On constate souvent chez Lumia, tu rappelais qu'on a ces deux champs d'intervention. on sent que les modèles économiques, alors ça fait un peu peur parce que c'est un truc un peu technique, compliqué, etc. Mais précisément, c'est parce que c'est un peu compliqué, technique, que ça rassure aussi. Mais le leadership, on a souvent tendance à dire « Ouais, mais ça, c'est pas la priorité. » Alors que si, c'est une sacro-sainte priorité. C'est vraiment une sacro-sainte priorité. Donc, il y a ce premier sujet. Ce deuxième sujet, c'est de se dire : moi, en tant que dirigeant, en fait, est-ce que je suis modélisant sur la manière de faire circuler la vie en moi et autour de moi, autour de moi, auprès de mes parties prenantes internes, auprès de mes parties prenantes externes, et puis auprès plus largement des écosystèmes naturels qui m'entourent. C'est peut-être ça en fait le leadership à visée régénérative. C'est de se dire, je vais essayer de mettre la vitalité au cœur de mon action de dirigeante, de dirigeant. En tout cas, je vais essayer de promouvoir cette vitalité. Et je trouve qu'il y en a qui le manifestent de manière vraiment admirable. Après, il y en a que j'ai eu le privilège de m'être rapproché de certains ou de certaines. Sophie est une dirigeante qui rayonne la vie. Elle transpire la vie, elle transpire la vitalité et je pense qu'elle donne des élans de vitalité autour d'elle. Je trouve que c'est très modélisant. Moi, j'ai beaucoup d'admiration, beaucoup de gratitude pour ces rôles modèles là.
- Eric
C'est ce qu'on essaye de faire aussi tous ensemble dans l'écosystème de la transition. Et nous, la CEC, on a la chance de côtoyer beaucoup de dirigeants, puisqu'on fait des parcours pour dirigeants, d'avoir de nouveaux rôles modèles, aussi pour les écoles de management, pour les nouvelles générations. Alors justement, si on te demande là maintenant quelques questions un peu rapides sur la CEC, on parle de ce côté leadership justement, on a ce témoignage de dirigeants qui disent « Ouais, dans la CEC, vous nous faites enlever l'armure, justement, on devient plus nous-mêmes » , ce qui nous permet de lancer des transformations plus profondes. Toi, de ce que tu as pu observer en côtoyant la CEC, et puis, tu étais là depuis déjà une vingtaine d'années dans ce monde-là, qu'est-ce que ça a pu apporter à l'écosystème ?
- Christophe
Écoute, déjà, j'ai envie de t'exprimer ma gratitude. Je bénis ton idée d'avoir voulu mettre cette incroyable aventure sur pied et d'avoir été en capacité de fédérer autant de belles personnes autour de toi. Et en te disant ça, je mets en évidence le caractère ô combien utile de la CEC. La CEC est vraiment incroyablement utile dans l'écosystème qui est le nôtre et dans le fait de faire bouger les lignes. Alors d'abord, ce que je constate, c'est que la CEC est une aventure qui booste les ambitions et qui, j'ai l'impression, cheville l'impérieux besoin de transformation stratégique au cœur, au corps, aux tripes des dirigeants, des dirigeantes et des planete champions qui y participent. J'ai l'impression que quand on a fait la CEC, on est passé sur un autre engrenage. On n'a pas juste cliqué d'un cran, on est passé sur un autre engrenage. Et ça opère à des degrés divers chez les uns et chez les autres. Mais ça, j'ai trouvé ça très, très beau. Pour moi, ça booste l'ambition et ça porte une énergie de mise en mouvement. La CEC, elle sollicite la plénitude de l'être. Tête, cœur, corps. C'est au cœur de votre travail, au cœur du travail des cofas, des incroyables équipes qui participent. Et on ne fera la bascule que si on sort de notre tête, si on sort de notre mode cognitif et qu'on se relie par le cœur à la beauté du vivant. Il faut d'abord réapprendre à aimer le beau, à aimer à nouveau ce qui nous entoure. Donc je pense que la CEC, c'est un game changer. Au moins, il y a des cliquets qui se franchissent. C'est un parcours orienté solution, tu l'as dit. Quand on demande aux dirigeants vraiment ce qui reste chez eux, il y a d'abord la claque. Donc on les fait plonger brutalement dans le U, mais on ne les laisse pas dans le trou. On les fait prendre la glissade, mais après on les prend par la main et puis on les remonte. Et on leur apporte beaucoup de solutions. Vous êtes très solution-based. Et puis, il n'y a pas de langue de bois. Il n'y a pas de compromission. Et moi, c'est ce que j'ai beaucoup aimé. J'ai aimé l'absence totale de compromission. Je ne me suis jamais senti non autorisé à dire quelque chose à la CSC. Au contraire.
- Eric
Écoute, on est dans les deux dernières questions, un peu traditionnelles de CAP Regen. La première, c'est, on a décidé, toi, moi, toutes nos équipes respectives, de prendre notre destin entre nos mains. Et on n'attend pas que ce soit le gouvernement qui nous sauve. Toutefois, il y a quand même un pouvoir politique dans notre pays. Et la question, c'est si tu avais une baguette magique et que tu pouvais changer des ingrédients ou des paramètres au niveau législatif ou réglementaire en France, qu'est-ce que tu ferais pour essayer de changer la donne ?
- Christophe
Alors, si tu m'y autorises, deux choses. Alors, il y en aurait évidemment tout plein, mais deux. Une chose, je crois, qui serait un game changer au niveau systémique. Ce serait de rendre obligatoire et normatif la comptabilité multicapitale. Parce que si tu rends normatif la comptabilité multicapitale, ça veut dire qu'une entreprise n'a plus pour seule obligation de maintenir son capital financier, mais elle a également pour obligation de maintenir son capital naturel et son capital social. Et elle pourrait même être déclarée en faillite si elle n'arrive pas à maintenir son capital naturel. Ça, ce serait un sacré game changer quand même. Techniquement, ce n'est pas simple. Et puis là, nous, je peux te dire que si on avait la compta multicapitale, notre job d'innovation de modèle économique, il serait sacrément facilité. Ce serait quand même beaucoup, beaucoup plus simple. Et puis, peut-être si je vais sur un champ un peu moins technique, moi, j'appelle vraiment de mes voeux, j'ai espoir que soient réhabilitées les sciences de la Terre et les sciences du vivant dans l'enseignement dès le plus jeune âge. Et j'aspire à ce que ce ne soit pas une matière de plus, parce que les matières, c'est un peu... Non, j'aspire vraiment à ce que ce soit offert aux jeunes et aux moins jeunes comme étant une expérience sensible. Une expérience sensible de ce que c'est qu'être vivant. Une expérience sensible de ce que veut dire appartenir à la grande trame du vivant. Co-évoluer avec plein d'espèces. Et là, je pense que si on réinstallait, on réinstillait les sciences du vivant dans les programmes d'enseignement dès le plus jeune âge, Je pense que ça pourrait apporter beaucoup de choses. Et si je peux, je partage un témoignage rapide que j'ai eu hier à la CEC. Quelqu'un a levé la main à un moment donné dans la séance d'interaction. Et c'était un dirigeant d'entreprise, je pense, qui était biologiste marin de formation. Et il m'a relaté le fait qu'en Allemagne, je crois, mais je ne peux pas complètement l'assurer, mais en Allemagne, je crois, il m'a dit, il y a de plus en plus de dirigeants qui sont issus des sciences du vivant. Et en fait, ça donne des résultats de dingue. Et donc, je trouve ça, j'ai été touché par son témoignage, parce qu'on a plutôt tendance à réserver les hautes fonctions aux sciences de l'ingénieur. Et je trouverais que ce serait sympa de voir des gens issus des sciences du vivant occuper des hautes fonctions, en fait.
- Eric
Merci pour ça. Tu nous amènes à la dernière question, justement, puisqu'on parle de cette nouvelle génération. Sans doute, finalement, aujourd'hui, un des plus grands problèmes de société auxquels on fait face, c'est la santé mentale. de nos adolescents, enfin de la jeunesse en général. Elle est très anxieuse pour son avenir, cette jeunesse. Toi, c'est quel message que tu voudrais donner pour cette nouvelle génération ?
- Christophe
J'aurais envie de partager ma propre expérience. Avec les sujets qu'on manipule, on est en contact quotidien avec des données extrêmement anxiogènes. Et moi, je ne trouve mon salut que dans l'action. Quand on est très anxieux, on trouve son salut dans l'action. En tout cas, moi, c'est mon expérience personnelle.
- Eric
Ça me fait penser à cette phrase que j'ai en tête depuis quelques semaines, l'action dissout l'anxiété.
- Christophe
Voilà, écoute, j'adore, je prends. Moi, vraiment ça, mais je mets un bémol, l'action ne doit pas être sacrificielle. Il faut trouver son espace d'action juste, il faut trouver l'espace d'action qui nous met du vent dans les voiles, c'est-à-dire un espace d'action dans lequel on trouve plaisir à agir et pas uniquement plaisir dans l'atteinte du résultat de l'action. Moi, j'ai été pris par ça à mes débuts. À mes débuts, en fait, c'était davantage l'impact de mon action que l'action elle-même qui donnait du sens, qui me donnait du sens. Et comme l'impact sur nos sujets est long, lent et ne dépend pas entièrement de nous-mêmes, à un moment donné, j'étais plongé dans du doute, en fait, dans du découragement. Et c'est peut-être aussi une des beautés du régénératif, que quand on travaille avec un matériau aussi beau que le régénératif, eh bien en fait on trouve du sens dans l'action elle-même, du plaisir dans l'action elle-même, de la joie dans l'action elle-même. Aujourd'hui, écrire un article sur le régénératif, réfléchir, mener des recherches, des études, donner des conférences sur ce matériau, me donne un plaisir indicible. J'ai de la joie à faire ce que je fais. Et donc, agissez. dans l'espace qui vous met du vent dans les voiles et pas dans une posture sacrificielle. Agissez pour, n'agissez pas contre.
- Eric
Christophe, ce que je te propose, c'est qu'on se retrouve dans un an pour analyser ensemble la saison 2 de CAP Regen. On espère qu'il y aura encore plein d'histoires, plein de pépites. On espère aussi qu'il y aura un vent d'accélération. On peut rêver aussi que peut-être que le contexte politique, géopolitique sera un peu plus favorable. Et finalement peut-être question bonus, qu'est-ce que tu aimerais qu'on constate ensemble dans un an ?
- Christophe
Plus d'innovation fondée sur la puissance du vivant.
- Eric
Ok, rendez-vous est donné. Un très grand merci Christophe. Moi j'ai envie de te remercier pour ce regard que tu nous as apporté, la profondeur de ce regard, pour aussi comment tu montres la voie à la recherche dans notre pays sur ces modèles économiques régénératifs. On a un écosystème et on peut se réjouir en France avec plein d'autres personnes, des chercheurs qui ont fait beaucoup d'avancées. Donc on est aussi dans ce collectif ensemble et on espère que le mouvement va être irrésistible. Donc voilà, en route pour le Cap Regen.
- Christophe
On y va ensemble. Merci à toi Eric, merci beaucoup.