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CAP Regen, le podcast qui concrétise l'économie régénérative !

#15 - Une autre agriculture est-elle possible ? avec Hélène Falise du Village potager

#15 - Une autre agriculture est-elle possible ? avec Hélène Falise du Village potager

38min |15/10/2025|

117

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Description

Découvrez Hélène Falise, ancienne directrice marketing devenue agricultrice engagée. En 2018, elle fonde avec son mari Le Village Potager, une ferme maraichère bio, au sud de l’Île-de-France dédié à la transition écologique et sociale.

Sur 17 hectares cultivés en agriculture biologique et de conservation, ils produisent plus de 160 variétés de légumes en circuits courts et accueillent entreprises et particuliers pour des séminaires en pleine nature.

Avec passion, Hélène prouve qu’une autre agriculture est non seulement possible, mais déjà en marche — plus régénérative, plus humaine, plus connectée au vivant.

« Travailler la terre, c’est du vrai travail… et c’est Noël tous les ans, au printemps. »

Un épisode inspirant à écouter pour (re)découvrir la puissance du vivant et du sens retrouvé au travail.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Hélène

    On se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. J'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est Noël tous les ans, au printemps, et ça, je ne m'en lasse pas. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça en fait.

  • Eric

    Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Dans cette saison 2 de Cap Regen, on va élargir les récits pour aborder de nouveaux modèles d'affaires, pour approfondir sur le social et sur la biodiversité. Bref, plus de régénération. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Hélène.

  • Hélène

    Bonjour Eric.

  • Eric

    Je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu'il en faut du courage quand on s'embarque dans l'aventure de la régénération. Authenticité, c'est l'authenticité de notre échange. Pragmatisme, on veut rendre très concrète cette nouvelle économie. On va essayer d'avoir le plus d'exemples possible. Voilà les trois initiales. Courage, authenticité, pragmatisme. Ça fait CAP. Alors Hélène, CAP ou pas CAP ?

  • Hélène

    Entièrement CAP.

  • Eric

    Alors Hélène, je vais te présenter. Tu as fait la première partie de ta carrière dans la relation client en créant une société de conseil, Cartago, qui a été une formidable aventure entrepreneuriale. Puis, tu as rejoint Keolis, où tu as occupé le poste de directrice marketing, Conquête et fidélisation. Mais tu as changé de vie en 2018 en créant le village potager. En 2022, tu as participé à la première édition de la CEC. Alors on va commencer par traditionnelle question. Est-ce que tu peux nous dire déjà un lieu de nature où tu aimes te ressourcer ?

  • Hélène

    Alors il y a deux endroits qui me viennent en tête. Le premier endroit, c'est la montagne, parce que moi je suis une petite fille de Savoyard. La montagne, c'est vraiment mon lieu de vacances quand j'étais petite, été comme hiver. Maintenant, la montagne, ce n'est pas hyper accessible quand on habite en région parisienne. Et donc, l'endroit plus local, c'est la forêt. Et la forêt, pour moi, c'est un peu un lieu magique. J'adore l'odeur, notamment, de me promener dans les sous-bois. Et j'adore les arbres. En fait, je suis un peu fascinée par les arbres, leur majesté. Et voilà, c'est un lieu qui me fait extrêmement du bien.

  • Eric

    Est-ce que tu peux... Nous présenter en quelques mots ou quelques chiffres ton entreprise qui est un peu particulière, qui s'appelle le Village Potager.

  • Hélène

    Alors le Village Potager, c'est un écolieu. Il est situé en région parisienne au sud de l'île de France. C'est un écolieu vraiment dédié à la transition écologique et sociale à travers deux grandes activités. Notre cœur de métier, c'est l'agriculture, le maraîchage, donc le maraîchage en agriculture bio et en agroécologie. On est une grosse ferme, on cultive sur 17 hectares, on emploie entre 15 et 25 personnes selon la saison. On cultive 160 variétés de légumes à l'année, qu'on distribue en circuit court. Et puis on a aussi un village, parce que dès le départ on voulait avoir un lieu pour parler de transition écologique et pour sensibiliser les gens. Donc le village il se traduit par un grand gîte, où on accueille des groupes le week-end et des entreprises en séminaire. Donc à la ferme, au verre, en semaine.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire finalement d'où t'es venue, ou vous est venue, cette idée de créer ce lieu et de vous lancer dans l'agriculture ?

  • Hélène

    C'est une histoire un peu familiale, puisque ce lieu je l'ai créé avec mon mari. On est tous les deux des entrepreneurs, puisqu'on avait créé il y a très longtemps, en 1996, une première entreprise de conseil spécialisée dans la relation client. Donc on a dirigé cette entreprise pendant une dizaine d'années, on l'a vendue. On a fait des trucs différents. Étienne a pris la direction générale d'une verrerie dans l'industrie et moi je suis parti chez Keolis pour faire du marketing. Et puis en 2015-2016, on a eu envie de recréer une boîte ensemble et donc on a cherché des idées et on a eu une belle opportunité. En 2016, on s'est retrouvés un peu libres tous les deux. On est partis faire un tour du monde, à la fois pour s'aérer l'esprit et pour rencontrer des entrepreneurs sociaux. parce que 2014-2015... C'est le début de la loi Hamon, le début de l'entrepreneuriat social et solidaire, où on se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. Et pendant ce voyage, on s'est arrêté un mois dans une grosse ONG aux Philippines, et là on a découvert l'agriculture. Ça s'appelait la ferme en chantier. On s'est rendu compte que l'agriculture, ça collait à nos deux envies. Etienne, il voulait créer de l'emploi et moi, je voulais avoir un impact environnemental. Et donc, on est revenu de ce voyage avec l'idée du village potager, en disant on va créer un lieu inspirant pour recultiver des légumes en circuit court, local, évidemment en mettant en place des méthodes d'agriculture durable et on pourra accueillir du monde pour parler de la transition.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire... Alors le terme, c'est tu es une NIMA, donc non-issue du milieu agricole. Et donc vous vous êtes lancée dans l'agriculture. Et justement, ce passage, comment vous l'avez franchi et quelles ont été les difficultés ?

  • Hélène

    Donc effectivement, se lancer dans l'agriculture quand on ne vient pas du milieu, ce n'est pas facile parce qu'on avait quand même des grosses étiquettes de Parisiens collées sur nos têtes. On l'a fait progressivement. On a mis déjà un an et demi à monter le projet. rencontrer des agriculteurs, rencontrer la chambre d'agriculture, rencontrer des experts sur ce sujet. Ce qui nous intéressait, c'est de savoir comment l'agriculture et le maraîchage pouvaient être rentables, parce que c'est quand même des activités très difficiles sur le plan économique. À un moment donné, on s'est lancé. Il fallait se lancer, donc on a un peu brûlé nos vaisseaux et on s'est dit on y va. Je pense qu'on était un peu fous à l'époque.

  • Eric

    Faut être fou, de toute façon, pour lancer un projet.

  • Hélène

    Surtout qu'on n'avait pas vraiment mis les mains dans la terre, on s'est lancé un peu comme ça. Moi je me souviens de la première fois où j'ai mis les mains dans la terre, où je suis allé aider un agriculteur qui avait besoin d'un coup de main, et je me suis dit, puisqu'on a décidé de faire ça, on va y aller quoi. J'ai eu une drôle de sensation, j'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est hyper bizarre, parce que moi j'étais entrepreneur toute ma vie, je suis plutôt habitué à des journées longues, travailler le week-end, le soir, un peu non-stop. J'ai eu cette sensation très bizarre que mettre les mains dans la terre, c'était du vrai travail. Et ça m'a vraiment confortée dans ce choix.

  • Eric

    Le regard des agriculteurs qui, eux, sont nés dans la terre, en fait, par rapport justement à des nouveaux venus, est-ce qu'il est bienveillant ? Est-ce qu'il y a de la méfiance ? Ou est-ce qu'ils vous regardent en disant, bon, ils vont se planter ? Quel est ce regard ?

  • Hélène

    Alors, évidemment, il y a eu beaucoup de méfiance, je pense, parce que Je pense qu'ils ont attendu de voir et puis au bout d'un an ça marchait, on a sorti nos premiers légumes. Donc là, on a commencé à être un peu crédibles. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à aller voir les autres agriculteurs parce que je pense que j'avais un petit sentiment d'imposteur. Et je me souviens, au bout de peut-être six mois, huit mois, on a rencontré un voisin, agriculteur bio. Et Karine, elle m'a dit, mais Hélène, on n'est pas concurrent en fait. Dans le bio, on soutient. On travaille ensemble, on coopère, on se rend des services. Et voilà, donc ça m'a fait beaucoup de bien. Et je me suis rendu compte qu'effectivement, notamment dans le monde du bio, qui est quand même un monde assez petit, il y a beaucoup d'entraide. Et donc, on a été assez bien acceptés assez vite, finalement.

  • Eric

    Alors, on va aller en profondeur sur l'activité de maraîchage. Mais pour aller en profondeur, on va aborder ça sous l'angle de la feuille de route de la CEC et aussi de l'aventure de la CEC. Est-ce que tu peux nous dire qu'est-ce qui t'a pris de te lancer dans la CEC ? Est-ce que tu peux nous dire un peu qu'est-ce qui s'est passé au début de l'aventure ?

  • Hélène

    J'ai vu un post sur LinkedIn, je crois, qui parlait de entreprise et climat. Et je me suis dit, ça, c'est pour nous, parce que c'est vraiment nous. On voulait créer une entreprise qui a un impact sur la transition écologique, sur le climat. Je suis un peu allée sans trop réfléchir. Je pense que j'ai été une des premières participantes à m'inscrire. Et ça a été un parcours assez incroyable. Moi, j'y allais un peu confiante en me disant « Bon, nous, on est quand même plutôt des bons élèves. On est une entreprise sociale, on est une entreprise d'insertion, on fait de l'agriculture bio, on est déjà hyper engagés. » Je n'y allais pas forcément pour apprendre des choses, mais plutôt pour contribuer. Et puis, comme tous les participants, je me suis pris ma claque. Et ça, je ne m'y attendais vraiment pas. Je ne m'attendais pas que ça allait autant détonner sur moi et autant me faire bouger et autant me faire prendre conscience que finalement, le chemin à parcourir était encore très, très long et qu'il y avait encore beaucoup de marches à franchir. L'autre particularité, c'est qu'on avait une fille qui, à l'époque, avait 16 ans et était très engagée dans la transition. Et donc... On a demandé à Margot d'être notre planète championne. Donc elle était vraiment la Benjamin, je pense, de l'écosystème CEC.

  • Eric

    Il y avait quelques couples en fait dans la CEC et Mère-Fille, c'était aussi la seule configuration. On s'en souvient et notamment Margot a fait un témoignage incroyable à la fin de la CEC, à toute fin, qui avait demandé à tous les entrepreneurs et dirigeants dans la salle de vraiment tenir leurs engagements. C'est intergénérationnel, ça transmet la fibre de l'engagement. Est-ce que sur la partie de la feuille de route, comme vous étiez déjà fortement engagé, quelles ont été peut-être les deux, trois grandes idées qui ont permis de rehausser la feuille de route de Village Potager ?

  • Hélène

    Déjà, tout simplement, on a fait notre bilan carbone. Moi, ça m'a sauté aux yeux en me disant comment ça se fait qu'on n'ait pas fait notre bilan carbone ? On l'a fait assez vite après la CEC. Ça nous a ouvert pas mal de pistes et d'idées, mis en avant des choses qu'on pouvait faire mieux, que ce soit dans la logistique décarbonée, dans l'énergie décarbonée. Et puis surtout, ça nous a remis en avant, ça a remis l'impact au sommet de la pile. En fait, je me suis rendu compte que finalement, On parlait beaucoup des billes d'art, mais pas tellement d'impact. On était un peu la tête dans le guidon de construire cette PME. J'en ai beaucoup parlé avec Étienne et on s'est dit, mais oui, l'impact, c'est ce qu'on veut faire. Il ne faut pas qu'on oublie ça, il faut vraiment qu'on le remette au sommet de la pile. Et notamment, notre envie, c'est vraiment que le lieu, il l'incarne et qu'on puisse vraiment incarner la transition. Et on passait beaucoup de temps sur le savoir-faire, le savoir-faire agricole. Et dans la feuille de route, on a mis beaucoup le faire savoir, c'est-à-dire inspirer et s'aimer pour que ce qu'on a vécu, ce qu'on vit au sein du village potager puisse servir au plus grand nombre.

  • Eric

    Est-ce que le concept et le schéma de viser la régénération, c'est quelque chose aussi qui vous a fait réfléchir, qui a pu avoir des inflexions sur vos actions, sur aussi votre vision ?

  • Hélène

    Nous, dès le départ, on voulait mettre en œuvre une agriculture durable. On parlait beaucoup d'agroécologie, donc l'agriculture bio, c'est-à-dire d'être conforme au cahier des charges, être certifié agriculture bio, c'est vraiment la ligne rouge qu'on ne voulait pas dépasser, mais on voulait aller beaucoup plus loin, préserver les sols, préserver la biodiversité. Donc dès le départ, c'est ce qu'on avait inscrit dans l'ADN du village potager et de nos pratiques agricoles. On a commencé à cultiver et puis quatre ans après... On a refait des analyses de sol et on s'est aperçu, boum, en fait, on a dégradé nos sols. Donc, on s'est dit, ah zut, il faut qu'on aille encore plus loin, il faut qu'on nourrisse plus nos sols, il faut qu'on revoie nos pratiques. Voilà, donc la régénération, c'est quelque chose qu'on apprend au fur et à mesure. Et petit à petit, on développe des techniques agricoles qui sont de plus en plus pointues et performantes sur ces questions de régénération.

  • Eric

    Donc ça veut dire que même en suivant tous les cahiers des charges du bio, on peut, d'année en année... dégrader la qualité organique des sols.

  • Hélène

    Il y a deux grandes orientations en agriculture durable. Il y a l'agriculture bio, qui est surtout axée sur les pesticides, donc interdiction d'utiliser des pesticides de synthèse. Et puis, le deuxième grand point, c'est l'agriculture de conservation, c'est-à-dire qui est plus axée sur la conservation des sols, le fait d'avoir le sol toujours découvert végétaux, mais dans lequel les agriculteurs continuent d'utiliser des pesticides. Nous, ce qu'on fait au village potager, c'est le meilleur des deux mondes. C'est de l'agriculture biologique de conservation, où à la fois on n'utilise pas de pesticides et on préserve les sols. Donc pas ou peu de labours, un travail du sol minimal, c'est des choses qui sont aussi hyper importantes.

  • Eric

    On va en profiter, puisqu'on va parler de cette agriculture biologique de conservation. Pour parler de la position que tu as pu prendre, toi, en tant qu'agricultrice maraîchère, sur la loi Duplomb. Puisqu'il y a eu cette pétition qui est arrivée au cours de l'été contre la loi du plomb, qui a été signée par plus de 2 millions de Français. Et donc tu as pris position à ce moment-là. Finalement, pourquoi as-tu souhaité prendre position ? Et tu t'es exprimée sur les réseaux sociaux aussi. Et pourquoi as-tu souhaité le faire ?

  • Hélène

    J'ai toujours considéré que cette loi, c'était une loi à l'envers, en fait. qui était à l'envers de ce qu'il faut faire, puisque réduire les pesticides, ça me semble une évidence pour des tas de raisons que tout le monde comprend assez vite. Ça me semblait important de le faire en tant qu'agricultrice, puisqu'on avait l'impression que cette loi, elle fédérait tous les agriculteurs et j'avais envie de dire non. Il y a certains agriculteurs qui sont pour les pesticides et pour cette loi, mais il y en a d'autres aussi qui sont contre et qui arrivent, qui arrivent à cultiver san pesticide avec des bons rendements. Donc il fallait le faire savoir. Et quand je me suis exprimée sur les réseaux sociaux, j'ai été étonnée de recevoir plusieurs messages de gens qui disaient « Ah, ça fait du bien de se rendre compte qu'il y a des agriculteurs qui sont contre cette loi Duplomb aussi. »

  • Eric

    Et est-ce que tu as eu des réactions négatives aussi ? Puisqu'on sait qu'elle polarise énormément. Est-ce que tu peux comprendre ou dialoguer avec, je dirais, le camp d'en face des gens qui ont voté ou qui ont souhaité qu'elle soit votée ?

  • Hélène

    Alors moi, je n'ai pas eu de réaction négative. Je l'ai craind un peu, mais finalement, tout s'est bien passé. L'agriculture, elle est en phase de grands changements. Il me semble que tous les agriculteurs le savent et savent qu'il faut mettre en place des pratiques un peu différentes. Ça commence dès les formations agricoles, en fait, de proposer d'autres schémas. C'est une transition qui pourra se faire, très largement accompagnée par les pouvoirs publics.

  • Eric

    Alors justement, en regardant un peu en profondeur ce projet du village potager. On a l'impression qu'il arrive à cocher toutes les cases, puisque tu parles d'une agriculture biologique qui respecte les normes aussi de conservation, donc qui vont améliorer les sols d'année en année. Alors tu peux nous dire peut-être, est-ce qu'au niveau économique, malgré ce jeu de contraintes, est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé ce triangle entre l'impact social, écologique et économique ?

  • Hélène

    On est sur le bon chemin. On n'est pas encore arrivé, on n'a pas encore passé la ligne d'arrivée, mais en tout cas, on est sur le bon chemin. C'est vrai que c'est très difficile, que l'agriculture, enfin globalement le maraîchage, c'est une activité à très faible marge, qu'il y a de plus en plus d'aléas. Malgré tout, on est de plus en plus confrontés au changement climatique, qu'on vit vraiment dans nos chairs, nous, quand on est sur le terrain. Quand on a démarré en 2018, on pensait que c'était un boulevard, qu'enfin les gens allaient comprendre que manger sainement, c'était bien, qu'il y avait des super impacts sur la santé, sur les territoires. Et c'est vrai qu'avec le Covid et la crise du pouvoir d'achat, ça peine un peu plus en ce moment. Donc c'est un petit peu plus difficile que ce qu'on imaginait quand on a démarré. Mais malgré tout, on est sur le bon chemin et d'année en année, on progresse. Et donc l'année dernière, on a été rentable. Cette année, ça se présente plutôt bien. Les récoltes sont très prometteuses.

  • Eric

    On fait toujours attention dans l'agriculture parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.

  • Hélène

    Donc on pense qu'on est sur le bon chemin et qu'on voit la ligne d'arrivée avec plaisir.

  • Eric

    Est-ce que ça veut dire que ce modèle du village potager, vous pourriez soit l'exporter, soit partager aussi ce modèle avec d'autres entrepreneurs ? Est-ce que vous pourriez vous fédérer pour essayer d'être plus fort dans un réseau ou quelque chose ?

  • Hélène

    Ça, c'est la grande phase 2 du village potager. La phase 1, c'était vraiment ce qu'on est en train de faire. C'était vraiment de construire le modèle, d'avoir un lieu, un site pilote qui fonctionne et qui tourne bien. 2025, c'est une année importante pour nous parce qu'on arrive au taquet en termes de surface. D'année en année, entre 2018 et 2025, on a à chaque fois agrandi les surfaces, cherché des nouveaux clients. Là, on arrive à nos 17 hectares et on n'ira pas plus loin. Donc, on va pouvoir maintenant passer à cette deuxième phase. Et effectivement, l'envie d'essaimer, elle est forte parce qu'on a fait ça pour ça, pour trouver des nouveaux modèles, changer les choses. Et donc, on a très envie d'essaimer. On ne sait pas encore comment, il y a plein de façons différentes, mais ce sera un grand projet pour l'année prochaine, c'est sûr.

  • Eric

    Tu peux compter sur le soutien de la CEC, puisqu'on a lancé un parcours aussi agri-agro, avec 65 entreprises, et donc certaines seront sans doute intéressées de venir travailler avec toi.

  • Hélène

    Avec plaisir.

  • Eric

    Alors, tu as mentionné les effets du changement climatique, et peut-être, je ne sais pas, le stress hydrique que vous pouvez avoir. Très concrètement ? Est-ce que tu peux nous dire, vous dites que vous le ressentez, ce serait quoi ces sensations que vous avez, où vous sentez qu'il y a quelque chose qui change ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est très concret, c'est le nombre de journées canicules. Alors nous, dès qu'il fait plus de 30 degrés, on change les horaires typiquement pour que les équipes commencent beaucoup plus tôt. On a tout un process aussi vis-à-vis des légumes pour mieux arroser, plus arroser. Donc le nombre de journées canicules, on le compte. Et en 2018, il y en a eu cinq. Et d'année en année, On voit ce nombre de journées qui augmente. Cette année, je crois qu'il y en a eu plus de 25. Donc ça, c'est très concret. Et puis, il y a aussi l'impact sur les légumes, parce que quand il fait très chaud, typiquement, les fleurs de tomate fondent. Donc, s'il n'y a pas de fleurs, il n'y a plus de tomate. Donc ça aussi, il y a des impacts très concrets sur la productivité et les rendements de certains légumes.

  • Eric

    Et au niveau de l'eau, vous n'avez pas trop de soucis sur l'eau, justement, qui peut devenir une denrée rare dans certains territoires ?

  • Hélène

    Pour l'instant, on n'a pas de problème d'eau. On est sur une nappe, la nappe de Beauce, qui n'a pas eu trop de problèmes. On s'est quand même beaucoup adapté. Par exemple, on a mis en place des systèmes d'irrigation qui sont pilotés. Donc, on peut irriguer la nuit. Il y a eu certaines années où on a eu des restrictions d'irrigation de jour. Et on a pu continuer à irriguer nos légumes la nuit avec ces systèmes automatisés.

  • Eric

    Donc est-ce que tu peux nous parler de tes clients, de ta distribution et de la valeur perçue sur vos 160 variétés de légumes ? par rapport à d'autres qui seraient plus produits de manière industrielle.

  • Hélène

    On a un circuit de distribution qui est très diversifié, c'est ce qui nous permet d'être robustes. Donc vraiment, les premières filières de distribution sont nos AMAP. Donc on distribue 9 AMAP, principalement à Paris et en première couronne. On a aussi les marchés, la boutique à la ferme et les marchés locaux, des distributeurs engagés, c'est-à-dire des boutiques qui veulent s'approvisionner en direct producteur. Et puis un circuit long avec la coopérative Bio d'Île-de-France.

  • Eric

    Et est-ce que tu sens qu'il y a une valorisation ? Parce qu'en gros, tu arrives à vendre vos légumes plus cher ou finalement non, les gens veulent du bio, mais au même prix que le non-bio ?

  • Hélène

    C'est un peu les deux. Déjà, quand on est en circuit court, en vente directe, on garde toute la valeur pour nous. Donc ça, c'est bien. Dès qu'on est distribué, forcément, la marge part un peu aussi chez le distributeur. Donc c'est pas tellement une négo en fait, c'est une discussion avec nos distributeurs. Et en fait ça marche avec des distributeurs qui savent entendre ça, avec qui on peut avoir des discussions saines sur, voilà, nous notre prix plancher c'est ça, toi ton prix c'est quoi, et on peut discuter. Et sur certains légumes ça marche pas, et puis d'autres ça marche. Juste sur la valeur, indépendamment de la valeur financière, moi j'ai une anecdote, un truc qui m'a hyper touché il y a quelques années. On venait de démarrer... On venait d'ouvrir la boutique à la ferme et il y a une dame qui m'a interpellée sur le parking en me disant « Ah Hélène, merci, vos légumes ils sont bons, mais ils font aussi du bien à ma tête. » Et ça, ça m'a vraiment hyper touchée. Et je me suis dit « Ouah, mais en fait, moi je pensais que je faisais des carottes, des courgettes et des patates, mais en fait non, on ne vend pas que des légumes en fait. Je pense que quand on vend des légumes en circuit court, que les consommateurs connaissent le producteur. Qu'ils sont allés à la ferme, qu'ils ont mis les mains dans la terre, qui savent que ça a été produit avec « amour » . Ça change plein de choses. C'est une partie de la valeur qu'on distribue et c'est très fort dans le sens qu'on donne à ce métier.

  • Eric

    Mais c'est vrai, si on dézoome sur le secteur, qu'on a quand même l'impression qu'il y a une dissonance, qu'on a tous en tant que citoyens consommateurs. Oui, on voudrait des produits qui sont meilleurs à la santé, qui sont mieux produits, mais... finalement on consacre une toute petite partie, c'est 13% maintenant, c'est trois fois moins que dans l'après-guerre, à notre budget pour l'alimentation. Et ça, ça met en difficulté les agriculteurs qui mettent de l'amour et qui essayent de produire un légume avec plus que simplement le produire. Est-ce que là tu penses qu'il y a un chemin pour revaloriser et que cet exemple que tu nous donnais tout à l'heure puisse se diffuser un peu plus largement dans la société ? Et que donc on ait un cercle vertueux pour les agriculteurs qui soient mieux rémunérés quand ils font des produits de meilleure qualité.

  • Hélène

    Alors il y a une étude qui est un petit peu ancienne, mais qui montre la corrélation entre le fait de manger bio et de faire des économies dans son panier d'achat de nourriture. Alors ça paraît étonnant parce que les aliments bio, ils ont la réputation d'être un petit peu plus chers que les autres, même si ça a tendance à diminuer. Alors comment on explique ça ? C'est parce que ceux qui mangent bio, souvent, ils mangent aussi plus local. Peut-être qu'ils cuisinent un peu plus, qu'ils achètent des produits de saison. Peut-être qu'ils vont réduire un petit peu leur consommation de viande. Bref, tout ça fait qu'on fait des économies sur son budget nourriture quand on s'engage dans un chemin un peu plus vertueux sur le choix de ses aliments. Il faut que l'État nous aide là-dessus à montrer les bénéfices de l'agriculture bio, d'une alimentation saine, montrer qu'on peut mettre quelques euros de plus pour acheter ces légumes et montrer tous les bénéfices qu'il y a derrière.

  • Eric

    Et tu nous parles des légumes de saison, et moi c'est vraiment une question que je me pose souvent, donc tu vas pouvoir m'éclairer, c'est finalement la nature, on ne peut pas trop la programmer. Donc vous plantez, mais vous ne savez pas exactement quand va arriver la récolte. Comment vous faites quand il y a une grosse récolte qui arrive et comment vous gérez la distribution, la logistique par rapport à une production qui est difficile à planifier ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est une question très concrète puisque en ce moment, nos courges sont arrivées avec un mois d'avance. D'habitude, on les récolte début octobre. Là, on est en train de les récolter mi-septembre et on a des rendements de folie. C'est-à-dire qu'on attendait 35 tonnes de courges, on va en faire 50. Et donc là, c'est un peu le grand bazar au village potager. On ne sait pas où les stocker, on ne sait pas à qui les vendre.

  • Eric

    Oui, et là, en septembre, on n'a pas encore repris l'habitude de l'hiver et de cuisiner des courges.

  • Hélène

    Exactement. Donc, on est en train de modifier nos plannings. C'est vrai que c'est un métier qui demande beaucoup de réactivité. On a tout le temps trop de légumes, pas assez de clients, ou trop de clients, pas assez de légumes. Mais ça, ça fait vraiment partie du métier. Quand on fait du frais et de l'ultra frais et en circuit court. L'autre moment où on a souvent des surproductions, c'est en août. Puisqu'en août, c'est vraiment la pleine, pleine production des tomates, des concombres, des courgettes, etc. Et nos clients sont partis en vacances. Voilà, donc là, on donne beaucoup. On est en lien avec des associations et on fait beaucoup de dons. C'est un truc qu'on est assez fier, puisque ça permet à des tas de gens de profiter d'une agriculture saine. Et ça donne beaucoup de sens aussi à nos équipes de ne pas jeter. Évidemment, nous, quand on jette des légumes, c'est vraiment la catastrophe.

  • Eric

    J'aimerais bien qu'on parle un peu des équipes, puisque tu parlais que c'est un projet aussi de réinsertion, en tout cas avec une dimension sociale aussi. Et donc, parle-nous des équipes du village potager.

  • Hélène

    Déjà, c'est un métier absolument incroyable, le maraîchage. Nous quand on a démarré, Moi j'ai lu des bouquins, avant qu'on démarre, j'ai lu des bouquins sur des gens qui s'étaient reconvertis en maraîchage et qui racontaient à quel point ça prenait aux tripes. Et moi je me souviens de ma réaction d'ingénieur qui pensait « Ouais enfin bon, faut pas exagérer, c'est que des légumes » . Eh ben non. Et d'année en année, on a cette magie au printemps de la nature qui se régénère, des légumes qui se remettent à pousser, de tout ce foisonnement de vie. Et c'est Noël tous les ans, au printemps. Et ça, ça m'en lasse pas. Et donc, nos équipes, il y a beaucoup de gens qui se sont reconvertis et qui ont aussi senti, comme nous, ce besoin de travailler la terre. Après, c'est des métiers qui sont hyper diversifiés. On fait un peu tout, parce que quand on est maraîcher bio, on fait de la technique, on fait de la planification, on fait de la préparation de commandes, on fait de la livraison, on fait de la vente. Donc, on a plein, plein de métiers différents. Et chaque personne est un petit peu polyvalente, parce qu'on reste une PME. on a besoin que les gens soient polyvalents. Et je pense que c'est aussi ce qui intéresse les gens, c'est de voir ce cycle et d'aller du champ à l'assiette. Donc on est effectivement entreprise d'insertion, donc on accueille des gens qui sont une problématique sociale à résoudre ou qui sont débutants dans le métier. Et on a beaucoup de formations, on les accompagne dans la montée en compétences du maraîchage et la plupart restent dans ce métier au-delà de leur parcours d'insertion chez nous. Donc ça, ça nous fait vraiment plaisir. On se rend compte à quel point c'est un métier qui fait du bien. Parce que travailler la terre, ça fait vraiment du bien.

  • Eric

    Ce que tu disais au tout début, finalement, c'est du vrai travail. Justement, ça m'amène sur cette question de sensibilisation, puisque le village potager, c'est un lieu ouvert. Vous avez donc des gens qui peuvent venir en séminaire. Comment tu vois cette fonction sensibilisation ? Est-ce qu'elle est aussi importante que le projet ? Et comment tu vois cette évolution ? Est-ce que ça se passe bien ou est-ce que vous avez de plus en plus de demandes ? Quel est ton message ?

  • Hélène

    Moi, sur la sensibilisation, je suis toujours hyper étonnée de l'impact que ça a de faire visiter la ferme. Nous, quand on a des entreprises en séminaire, on leur propose d'aller visiter les champs. Moi, je me souviendrai toujours la première fois que je l'ai fait. C'était une grosse boîte de la tech et je me suis dit, oh là là, je vais me prendre un vent, mes courgettes, ils n'en ont rien à foutre en fait. Eh bien, pas du tout. Et à chaque fois que je fais visiter un groupe, il y a une espèce de magie qui s'opère. Je pense qu'ils sont étonnés, ils posent plein de questions. Alors il y en a un qui va parler des vacances avec son grand-père quand il était petit. Il y en a toujours un qui a vu le film Demain et ça l'a inspiré. Un troisième va parler de permaculture parce que c'est un concept qui interroge. Il y a toujours un avant et après la visite, en fait.

  • Eric

    Oui, et ça marche à tous les coups.

  • Hélène

    Et ça marche à tous les coups. Et c'est magique, en fait. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça, en fait. Et moi, je suis toujours étonnée même de les voir entre eux. Ils sont un peu différents après la visite. Comme s'ils avaient un peu posé leur valise.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus ou donner plus d'exemples ? sur ce moment de sensibilisation, de reconnexion collectif qui peut se passer chez vous.

  • Hélène

    Alors déjà, les entreprises qui viennent en séminaire chez nous, elles privatisent le lieu. Donc elles sont chez elles. En fait, elles sont dans une grande maison qui est immergée dans un parc avec des arbres incroyables, au milieu d'une forêt incroyable. Donc il y a déjà cet environnement de nature un peu brut, un peu foisonnant, qui libère un peu et qui favorise la créativité, qui favorise des liens authentiques entre les gens. Après, celles qui le souhaitent peuvent effectivement plus s'intéresser à la ferme. Donc on propose une activité de visite, on propose une activité de cueillette, où ils partent pendant une paire d'heures avec un maraîcher récolter des légumes qu'ils remportent chez eux, donc c'est vraiment sympa. Et puis il y a aussi naturellement ce mix en fait, parce que les tracteurs sont à côté, les maraîchers viennent, on est tous habillés en bottes, les maraîchers mangent à côté. Voilà, donc j'aime bien aussi ce mélange en fait. Je pense que quand on est une boîte parisienne, ou en tout cas... qui travaille dans des grandes villes, ça fait du bien de s'extraire un peu. C'est un vrai pas de côté, en fait. Un vrai lieu différent où on peut s'autoriser à penser différemment et donc à être plus créatif en équipe.

  • Eric

    Alors, ça nous amène sur des questions autour du futur de l'agriculture, futur aussi de la relation des citoyens, des Français, surtout les urbains, par rapport au monde agricole. Il y a beaucoup de tensions, actuellement. Quelle est peut-être ta vision d'espoir par rapport à ce que vous avez initié vous-même dans votre projet, et que ce projet, il soit éclaireur, et qu'il y ait un mouvement peut-être de plus grande ampleur vers une reconnexion, une réconciliation quelque part des citoyens avec leur agriculture et leurs agriculteurs.

  • Hélène

    Alors ça, c'est hyper important que ces demandes se parlent. Les AMAP servent à ça aussi, le circuit court, ça sert à ça. On m'a parlé d'une nouvelle maladie qui, paraît-il, apparaît, et qui s'appelle le syndrome du manque de nature. Les médecins alertent sur le fait qu'on a besoin de nature. Tout le monde a besoin de nature. Que la nature, elle a un impact hyper positif sur notre bien-être, sur notre santé. Donc ça peut passer par l'assiette. quand on achète des bons légumes, et ça passe aussi par des balades en forêt, par des rencontres avec des agriculteurs, par des visites à la ferme. Et c'est vrai qu'on a besoin de ça. Il faudrait développer des visites pour les enfants, par exemple, et plus de moments d'échange, que les fermes aussi aient plus de moments où elles ouvrent leurs portes. Mais c'est tellement important, et je pense qu'on n'arrivera pas à réconcilier les gens déjà s'ils ne connaissent pas la nature, s'ils ne connaissent pas la ferme, s'ils ne connaissent pas euh Et moi, je suis tellement émerveillée par l'impact que ça a quand on accueille des gens, qu'on leur fait simplement visiter les champs. C'est tout le temps magique. C'est incroyable.

  • Eric

    Du côté du bio, du côté de la restauration des sols, aujourd'hui, quelle serait ton estimation de ce que ça représente aujourd'hui de l'agriculture en France, en termes de surface cultivée ? Est-ce que c'est 2%, 5%, 10%, 15% ? Et est-ce que tu vois une perspective que ça se généralise ? Et comment ça pourrait se généraliser ?

  • Hélène

    Je n'ai pas les chiffres exacts, mais ce n'est pas un gros pourcentage d'agriculture bio, malheureusement. Même si ça continue à progresser, doucement, trop doucement. Il y a quelques initiatives qui commencent à émerger, qui pourraient favoriser les choses et qu'il faudrait favoriser. La première initiative, c'est les PSE, les paiements pour services environnementaux. C'est le fait de rémunérer les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Très concrètement, en agriculture bio, il n'y a pas de pesticides de synthèse, donc on préserve la qualité des nappes phréatiques. Donc derrière cette préservation de l'eau, il y a moins de dépollution à faire pour avoir de l'eau potable. Donc typiquement, ça c'est des services qui aujourd'hui ne sont pas rémunérés, alors qu'ils sont concrètement faits par les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Donc il y a l'eau, mais il y a aussi la préservation de la biodiversité, la préservation des paysages. Il y a beaucoup de services qui devraient être rémunérés et qui pourraient favoriser le passage à l'acte et le passage à une agriculture plus durable. Le deuxième sujet qui mériterait aussi d'être développé, c'est la sécurité sociale de l'alimentation. Il y a quelques expérimentations à droite à gauche, mais il faut que ça se développe en fait. On pourrait imaginer d'avoir un cercle vertueux où on favorise le déploiement d'une alimentation plus saine et ça permet à des agriculteurs d'avoir des revenus plus sécurisés et donc d'être plus confiants dans l'avenir.

  • Eric

    Oui, parce que bien s'alimenter, ça diminue les coûts de santé.

  • Hélène

    Exactement. Voilà, donc ça, c'est deux initiatives qui sont balbutiantes aujourd'hui et qui mériteraient d'être développées, si on veut, développer cette agriculture régénérative.

  • Eric

    Génial, tu me fais une super transition sur une question. On va tout doucement vers la fin de cet épisode. Nous, on parle beaucoup d'économie régénérative à la CEC. mais je pense que là, on est plutôt sur l'agriculture régénérative. C'est souvent difficile de décrire ce concept, c'est complexe, ça embarque beaucoup de choses, la régénération, le social, l'écologie, les limites planétaires. Et donc, l'exercice, c'est d'essayer de dire en quelques phrases à une enfant de 10 ans, si tu avais à lui dire l'agriculture régénérative à une enfant de 10 ans, c'est quoi ?

  • Hélène

    l'agriculture régénérative. C'est une agriculture qui préserve les insectes, préserve la biodiversité, qui préserve la nature d'une manière générale, qui fait en sorte que la nature reste belle, peut-être.

  • Eric

    Merci beaucoup. Alors peut-être une toute dernière question. Justement, par rapport aux générations futures, qui parfois sont désemparées ou très inquiètes sur leur futur, quel message tu aurais envie de leur faire passer sur ce qui vient, ce qui est à venir, et aussi sur ces nouvelles générations, sur leur reconnexion à la nature et éventuellement à devenir agriculteurs ?

  • Hélène

    Alors en agriculteur, il y a des sujets de reprise, oui. Il y a beaucoup d'agriculteurs qui font partir à la retraite, donc c'est un vrai sujet en fait, qu'il y ait une nouvelle génération d'agriculteurs qui s'installent. Moi j'ai envie de leur dire que c'est un métier passionnant, que c'est un métier hyper concret, qui est concret, moi j'aime bien ça, cet aspect très concret qui est vraiment au cœur du vivant. Et on a besoin d'entrepreneurs, on a besoin de gens qui ont une vision un peu globale de l'entreprise. Parce que ça reste un métier quand même difficile, qui a plein de challenges à faire et qui est très valorisant parce qu'on est au cœur du quotidien des gens. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Voilà, j'appelle tous ceux qui sont intéressés à venir visiter des fermes, en savoir un peu plus et monter des projets.

  • Eric

    Merci beaucoup Hélène, justement, pour cet appel aux nouvelles générations. Effectivement, il y a des dizaines de milliers de fermes qui vont être à reprendre dans les dix années qui viennent. Donc, on a besoin que la nouvelle génération arrive avec une nouvelle approche. Donc, merci pour cette conversation. Moi, j'ai retenu cette phrase qui m'a vraiment marqué. Tu as dit, c'est Noël tous les ans au printemps quand on travaille avec la terre. Donc, merci beaucoup, Hélène, pour le courage de tout ce que tu as fait et que tu continues de faire. Pour l'authenticité, tu nous as parlé à cœur ouvert et puis le pragmatisme c'était hyper concret et je crois qu'on a tous un peu mieux compris ce que c'était vraiment que l'agriculture donc en route pour le Cap Regen. Merci à toi aussi. J'espère que cet épisode vous a inspiré si c'est le cas, vous pouvez nous aider en laissant un avis sur votre plateforme d'écoute et en partageant l'épisode autour de vous. Vous contribuerez ainsi à rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Merci.

Description

Découvrez Hélène Falise, ancienne directrice marketing devenue agricultrice engagée. En 2018, elle fonde avec son mari Le Village Potager, une ferme maraichère bio, au sud de l’Île-de-France dédié à la transition écologique et sociale.

Sur 17 hectares cultivés en agriculture biologique et de conservation, ils produisent plus de 160 variétés de légumes en circuits courts et accueillent entreprises et particuliers pour des séminaires en pleine nature.

Avec passion, Hélène prouve qu’une autre agriculture est non seulement possible, mais déjà en marche — plus régénérative, plus humaine, plus connectée au vivant.

« Travailler la terre, c’est du vrai travail… et c’est Noël tous les ans, au printemps. »

Un épisode inspirant à écouter pour (re)découvrir la puissance du vivant et du sens retrouvé au travail.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Hélène

    On se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. J'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est Noël tous les ans, au printemps, et ça, je ne m'en lasse pas. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça en fait.

  • Eric

    Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Dans cette saison 2 de Cap Regen, on va élargir les récits pour aborder de nouveaux modèles d'affaires, pour approfondir sur le social et sur la biodiversité. Bref, plus de régénération. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Hélène.

  • Hélène

    Bonjour Eric.

  • Eric

    Je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu'il en faut du courage quand on s'embarque dans l'aventure de la régénération. Authenticité, c'est l'authenticité de notre échange. Pragmatisme, on veut rendre très concrète cette nouvelle économie. On va essayer d'avoir le plus d'exemples possible. Voilà les trois initiales. Courage, authenticité, pragmatisme. Ça fait CAP. Alors Hélène, CAP ou pas CAP ?

  • Hélène

    Entièrement CAP.

  • Eric

    Alors Hélène, je vais te présenter. Tu as fait la première partie de ta carrière dans la relation client en créant une société de conseil, Cartago, qui a été une formidable aventure entrepreneuriale. Puis, tu as rejoint Keolis, où tu as occupé le poste de directrice marketing, Conquête et fidélisation. Mais tu as changé de vie en 2018 en créant le village potager. En 2022, tu as participé à la première édition de la CEC. Alors on va commencer par traditionnelle question. Est-ce que tu peux nous dire déjà un lieu de nature où tu aimes te ressourcer ?

  • Hélène

    Alors il y a deux endroits qui me viennent en tête. Le premier endroit, c'est la montagne, parce que moi je suis une petite fille de Savoyard. La montagne, c'est vraiment mon lieu de vacances quand j'étais petite, été comme hiver. Maintenant, la montagne, ce n'est pas hyper accessible quand on habite en région parisienne. Et donc, l'endroit plus local, c'est la forêt. Et la forêt, pour moi, c'est un peu un lieu magique. J'adore l'odeur, notamment, de me promener dans les sous-bois. Et j'adore les arbres. En fait, je suis un peu fascinée par les arbres, leur majesté. Et voilà, c'est un lieu qui me fait extrêmement du bien.

  • Eric

    Est-ce que tu peux... Nous présenter en quelques mots ou quelques chiffres ton entreprise qui est un peu particulière, qui s'appelle le Village Potager.

  • Hélène

    Alors le Village Potager, c'est un écolieu. Il est situé en région parisienne au sud de l'île de France. C'est un écolieu vraiment dédié à la transition écologique et sociale à travers deux grandes activités. Notre cœur de métier, c'est l'agriculture, le maraîchage, donc le maraîchage en agriculture bio et en agroécologie. On est une grosse ferme, on cultive sur 17 hectares, on emploie entre 15 et 25 personnes selon la saison. On cultive 160 variétés de légumes à l'année, qu'on distribue en circuit court. Et puis on a aussi un village, parce que dès le départ on voulait avoir un lieu pour parler de transition écologique et pour sensibiliser les gens. Donc le village il se traduit par un grand gîte, où on accueille des groupes le week-end et des entreprises en séminaire. Donc à la ferme, au verre, en semaine.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire finalement d'où t'es venue, ou vous est venue, cette idée de créer ce lieu et de vous lancer dans l'agriculture ?

  • Hélène

    C'est une histoire un peu familiale, puisque ce lieu je l'ai créé avec mon mari. On est tous les deux des entrepreneurs, puisqu'on avait créé il y a très longtemps, en 1996, une première entreprise de conseil spécialisée dans la relation client. Donc on a dirigé cette entreprise pendant une dizaine d'années, on l'a vendue. On a fait des trucs différents. Étienne a pris la direction générale d'une verrerie dans l'industrie et moi je suis parti chez Keolis pour faire du marketing. Et puis en 2015-2016, on a eu envie de recréer une boîte ensemble et donc on a cherché des idées et on a eu une belle opportunité. En 2016, on s'est retrouvés un peu libres tous les deux. On est partis faire un tour du monde, à la fois pour s'aérer l'esprit et pour rencontrer des entrepreneurs sociaux. parce que 2014-2015... C'est le début de la loi Hamon, le début de l'entrepreneuriat social et solidaire, où on se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. Et pendant ce voyage, on s'est arrêté un mois dans une grosse ONG aux Philippines, et là on a découvert l'agriculture. Ça s'appelait la ferme en chantier. On s'est rendu compte que l'agriculture, ça collait à nos deux envies. Etienne, il voulait créer de l'emploi et moi, je voulais avoir un impact environnemental. Et donc, on est revenu de ce voyage avec l'idée du village potager, en disant on va créer un lieu inspirant pour recultiver des légumes en circuit court, local, évidemment en mettant en place des méthodes d'agriculture durable et on pourra accueillir du monde pour parler de la transition.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire... Alors le terme, c'est tu es une NIMA, donc non-issue du milieu agricole. Et donc vous vous êtes lancée dans l'agriculture. Et justement, ce passage, comment vous l'avez franchi et quelles ont été les difficultés ?

  • Hélène

    Donc effectivement, se lancer dans l'agriculture quand on ne vient pas du milieu, ce n'est pas facile parce qu'on avait quand même des grosses étiquettes de Parisiens collées sur nos têtes. On l'a fait progressivement. On a mis déjà un an et demi à monter le projet. rencontrer des agriculteurs, rencontrer la chambre d'agriculture, rencontrer des experts sur ce sujet. Ce qui nous intéressait, c'est de savoir comment l'agriculture et le maraîchage pouvaient être rentables, parce que c'est quand même des activités très difficiles sur le plan économique. À un moment donné, on s'est lancé. Il fallait se lancer, donc on a un peu brûlé nos vaisseaux et on s'est dit on y va. Je pense qu'on était un peu fous à l'époque.

  • Eric

    Faut être fou, de toute façon, pour lancer un projet.

  • Hélène

    Surtout qu'on n'avait pas vraiment mis les mains dans la terre, on s'est lancé un peu comme ça. Moi je me souviens de la première fois où j'ai mis les mains dans la terre, où je suis allé aider un agriculteur qui avait besoin d'un coup de main, et je me suis dit, puisqu'on a décidé de faire ça, on va y aller quoi. J'ai eu une drôle de sensation, j'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est hyper bizarre, parce que moi j'étais entrepreneur toute ma vie, je suis plutôt habitué à des journées longues, travailler le week-end, le soir, un peu non-stop. J'ai eu cette sensation très bizarre que mettre les mains dans la terre, c'était du vrai travail. Et ça m'a vraiment confortée dans ce choix.

  • Eric

    Le regard des agriculteurs qui, eux, sont nés dans la terre, en fait, par rapport justement à des nouveaux venus, est-ce qu'il est bienveillant ? Est-ce qu'il y a de la méfiance ? Ou est-ce qu'ils vous regardent en disant, bon, ils vont se planter ? Quel est ce regard ?

  • Hélène

    Alors, évidemment, il y a eu beaucoup de méfiance, je pense, parce que Je pense qu'ils ont attendu de voir et puis au bout d'un an ça marchait, on a sorti nos premiers légumes. Donc là, on a commencé à être un peu crédibles. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à aller voir les autres agriculteurs parce que je pense que j'avais un petit sentiment d'imposteur. Et je me souviens, au bout de peut-être six mois, huit mois, on a rencontré un voisin, agriculteur bio. Et Karine, elle m'a dit, mais Hélène, on n'est pas concurrent en fait. Dans le bio, on soutient. On travaille ensemble, on coopère, on se rend des services. Et voilà, donc ça m'a fait beaucoup de bien. Et je me suis rendu compte qu'effectivement, notamment dans le monde du bio, qui est quand même un monde assez petit, il y a beaucoup d'entraide. Et donc, on a été assez bien acceptés assez vite, finalement.

  • Eric

    Alors, on va aller en profondeur sur l'activité de maraîchage. Mais pour aller en profondeur, on va aborder ça sous l'angle de la feuille de route de la CEC et aussi de l'aventure de la CEC. Est-ce que tu peux nous dire qu'est-ce qui t'a pris de te lancer dans la CEC ? Est-ce que tu peux nous dire un peu qu'est-ce qui s'est passé au début de l'aventure ?

  • Hélène

    J'ai vu un post sur LinkedIn, je crois, qui parlait de entreprise et climat. Et je me suis dit, ça, c'est pour nous, parce que c'est vraiment nous. On voulait créer une entreprise qui a un impact sur la transition écologique, sur le climat. Je suis un peu allée sans trop réfléchir. Je pense que j'ai été une des premières participantes à m'inscrire. Et ça a été un parcours assez incroyable. Moi, j'y allais un peu confiante en me disant « Bon, nous, on est quand même plutôt des bons élèves. On est une entreprise sociale, on est une entreprise d'insertion, on fait de l'agriculture bio, on est déjà hyper engagés. » Je n'y allais pas forcément pour apprendre des choses, mais plutôt pour contribuer. Et puis, comme tous les participants, je me suis pris ma claque. Et ça, je ne m'y attendais vraiment pas. Je ne m'attendais pas que ça allait autant détonner sur moi et autant me faire bouger et autant me faire prendre conscience que finalement, le chemin à parcourir était encore très, très long et qu'il y avait encore beaucoup de marches à franchir. L'autre particularité, c'est qu'on avait une fille qui, à l'époque, avait 16 ans et était très engagée dans la transition. Et donc... On a demandé à Margot d'être notre planète championne. Donc elle était vraiment la Benjamin, je pense, de l'écosystème CEC.

  • Eric

    Il y avait quelques couples en fait dans la CEC et Mère-Fille, c'était aussi la seule configuration. On s'en souvient et notamment Margot a fait un témoignage incroyable à la fin de la CEC, à toute fin, qui avait demandé à tous les entrepreneurs et dirigeants dans la salle de vraiment tenir leurs engagements. C'est intergénérationnel, ça transmet la fibre de l'engagement. Est-ce que sur la partie de la feuille de route, comme vous étiez déjà fortement engagé, quelles ont été peut-être les deux, trois grandes idées qui ont permis de rehausser la feuille de route de Village Potager ?

  • Hélène

    Déjà, tout simplement, on a fait notre bilan carbone. Moi, ça m'a sauté aux yeux en me disant comment ça se fait qu'on n'ait pas fait notre bilan carbone ? On l'a fait assez vite après la CEC. Ça nous a ouvert pas mal de pistes et d'idées, mis en avant des choses qu'on pouvait faire mieux, que ce soit dans la logistique décarbonée, dans l'énergie décarbonée. Et puis surtout, ça nous a remis en avant, ça a remis l'impact au sommet de la pile. En fait, je me suis rendu compte que finalement, On parlait beaucoup des billes d'art, mais pas tellement d'impact. On était un peu la tête dans le guidon de construire cette PME. J'en ai beaucoup parlé avec Étienne et on s'est dit, mais oui, l'impact, c'est ce qu'on veut faire. Il ne faut pas qu'on oublie ça, il faut vraiment qu'on le remette au sommet de la pile. Et notamment, notre envie, c'est vraiment que le lieu, il l'incarne et qu'on puisse vraiment incarner la transition. Et on passait beaucoup de temps sur le savoir-faire, le savoir-faire agricole. Et dans la feuille de route, on a mis beaucoup le faire savoir, c'est-à-dire inspirer et s'aimer pour que ce qu'on a vécu, ce qu'on vit au sein du village potager puisse servir au plus grand nombre.

  • Eric

    Est-ce que le concept et le schéma de viser la régénération, c'est quelque chose aussi qui vous a fait réfléchir, qui a pu avoir des inflexions sur vos actions, sur aussi votre vision ?

  • Hélène

    Nous, dès le départ, on voulait mettre en œuvre une agriculture durable. On parlait beaucoup d'agroécologie, donc l'agriculture bio, c'est-à-dire d'être conforme au cahier des charges, être certifié agriculture bio, c'est vraiment la ligne rouge qu'on ne voulait pas dépasser, mais on voulait aller beaucoup plus loin, préserver les sols, préserver la biodiversité. Donc dès le départ, c'est ce qu'on avait inscrit dans l'ADN du village potager et de nos pratiques agricoles. On a commencé à cultiver et puis quatre ans après... On a refait des analyses de sol et on s'est aperçu, boum, en fait, on a dégradé nos sols. Donc, on s'est dit, ah zut, il faut qu'on aille encore plus loin, il faut qu'on nourrisse plus nos sols, il faut qu'on revoie nos pratiques. Voilà, donc la régénération, c'est quelque chose qu'on apprend au fur et à mesure. Et petit à petit, on développe des techniques agricoles qui sont de plus en plus pointues et performantes sur ces questions de régénération.

  • Eric

    Donc ça veut dire que même en suivant tous les cahiers des charges du bio, on peut, d'année en année... dégrader la qualité organique des sols.

  • Hélène

    Il y a deux grandes orientations en agriculture durable. Il y a l'agriculture bio, qui est surtout axée sur les pesticides, donc interdiction d'utiliser des pesticides de synthèse. Et puis, le deuxième grand point, c'est l'agriculture de conservation, c'est-à-dire qui est plus axée sur la conservation des sols, le fait d'avoir le sol toujours découvert végétaux, mais dans lequel les agriculteurs continuent d'utiliser des pesticides. Nous, ce qu'on fait au village potager, c'est le meilleur des deux mondes. C'est de l'agriculture biologique de conservation, où à la fois on n'utilise pas de pesticides et on préserve les sols. Donc pas ou peu de labours, un travail du sol minimal, c'est des choses qui sont aussi hyper importantes.

  • Eric

    On va en profiter, puisqu'on va parler de cette agriculture biologique de conservation. Pour parler de la position que tu as pu prendre, toi, en tant qu'agricultrice maraîchère, sur la loi Duplomb. Puisqu'il y a eu cette pétition qui est arrivée au cours de l'été contre la loi du plomb, qui a été signée par plus de 2 millions de Français. Et donc tu as pris position à ce moment-là. Finalement, pourquoi as-tu souhaité prendre position ? Et tu t'es exprimée sur les réseaux sociaux aussi. Et pourquoi as-tu souhaité le faire ?

  • Hélène

    J'ai toujours considéré que cette loi, c'était une loi à l'envers, en fait. qui était à l'envers de ce qu'il faut faire, puisque réduire les pesticides, ça me semble une évidence pour des tas de raisons que tout le monde comprend assez vite. Ça me semblait important de le faire en tant qu'agricultrice, puisqu'on avait l'impression que cette loi, elle fédérait tous les agriculteurs et j'avais envie de dire non. Il y a certains agriculteurs qui sont pour les pesticides et pour cette loi, mais il y en a d'autres aussi qui sont contre et qui arrivent, qui arrivent à cultiver san pesticide avec des bons rendements. Donc il fallait le faire savoir. Et quand je me suis exprimée sur les réseaux sociaux, j'ai été étonnée de recevoir plusieurs messages de gens qui disaient « Ah, ça fait du bien de se rendre compte qu'il y a des agriculteurs qui sont contre cette loi Duplomb aussi. »

  • Eric

    Et est-ce que tu as eu des réactions négatives aussi ? Puisqu'on sait qu'elle polarise énormément. Est-ce que tu peux comprendre ou dialoguer avec, je dirais, le camp d'en face des gens qui ont voté ou qui ont souhaité qu'elle soit votée ?

  • Hélène

    Alors moi, je n'ai pas eu de réaction négative. Je l'ai craind un peu, mais finalement, tout s'est bien passé. L'agriculture, elle est en phase de grands changements. Il me semble que tous les agriculteurs le savent et savent qu'il faut mettre en place des pratiques un peu différentes. Ça commence dès les formations agricoles, en fait, de proposer d'autres schémas. C'est une transition qui pourra se faire, très largement accompagnée par les pouvoirs publics.

  • Eric

    Alors justement, en regardant un peu en profondeur ce projet du village potager. On a l'impression qu'il arrive à cocher toutes les cases, puisque tu parles d'une agriculture biologique qui respecte les normes aussi de conservation, donc qui vont améliorer les sols d'année en année. Alors tu peux nous dire peut-être, est-ce qu'au niveau économique, malgré ce jeu de contraintes, est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé ce triangle entre l'impact social, écologique et économique ?

  • Hélène

    On est sur le bon chemin. On n'est pas encore arrivé, on n'a pas encore passé la ligne d'arrivée, mais en tout cas, on est sur le bon chemin. C'est vrai que c'est très difficile, que l'agriculture, enfin globalement le maraîchage, c'est une activité à très faible marge, qu'il y a de plus en plus d'aléas. Malgré tout, on est de plus en plus confrontés au changement climatique, qu'on vit vraiment dans nos chairs, nous, quand on est sur le terrain. Quand on a démarré en 2018, on pensait que c'était un boulevard, qu'enfin les gens allaient comprendre que manger sainement, c'était bien, qu'il y avait des super impacts sur la santé, sur les territoires. Et c'est vrai qu'avec le Covid et la crise du pouvoir d'achat, ça peine un peu plus en ce moment. Donc c'est un petit peu plus difficile que ce qu'on imaginait quand on a démarré. Mais malgré tout, on est sur le bon chemin et d'année en année, on progresse. Et donc l'année dernière, on a été rentable. Cette année, ça se présente plutôt bien. Les récoltes sont très prometteuses.

  • Eric

    On fait toujours attention dans l'agriculture parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.

  • Hélène

    Donc on pense qu'on est sur le bon chemin et qu'on voit la ligne d'arrivée avec plaisir.

  • Eric

    Est-ce que ça veut dire que ce modèle du village potager, vous pourriez soit l'exporter, soit partager aussi ce modèle avec d'autres entrepreneurs ? Est-ce que vous pourriez vous fédérer pour essayer d'être plus fort dans un réseau ou quelque chose ?

  • Hélène

    Ça, c'est la grande phase 2 du village potager. La phase 1, c'était vraiment ce qu'on est en train de faire. C'était vraiment de construire le modèle, d'avoir un lieu, un site pilote qui fonctionne et qui tourne bien. 2025, c'est une année importante pour nous parce qu'on arrive au taquet en termes de surface. D'année en année, entre 2018 et 2025, on a à chaque fois agrandi les surfaces, cherché des nouveaux clients. Là, on arrive à nos 17 hectares et on n'ira pas plus loin. Donc, on va pouvoir maintenant passer à cette deuxième phase. Et effectivement, l'envie d'essaimer, elle est forte parce qu'on a fait ça pour ça, pour trouver des nouveaux modèles, changer les choses. Et donc, on a très envie d'essaimer. On ne sait pas encore comment, il y a plein de façons différentes, mais ce sera un grand projet pour l'année prochaine, c'est sûr.

  • Eric

    Tu peux compter sur le soutien de la CEC, puisqu'on a lancé un parcours aussi agri-agro, avec 65 entreprises, et donc certaines seront sans doute intéressées de venir travailler avec toi.

  • Hélène

    Avec plaisir.

  • Eric

    Alors, tu as mentionné les effets du changement climatique, et peut-être, je ne sais pas, le stress hydrique que vous pouvez avoir. Très concrètement ? Est-ce que tu peux nous dire, vous dites que vous le ressentez, ce serait quoi ces sensations que vous avez, où vous sentez qu'il y a quelque chose qui change ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est très concret, c'est le nombre de journées canicules. Alors nous, dès qu'il fait plus de 30 degrés, on change les horaires typiquement pour que les équipes commencent beaucoup plus tôt. On a tout un process aussi vis-à-vis des légumes pour mieux arroser, plus arroser. Donc le nombre de journées canicules, on le compte. Et en 2018, il y en a eu cinq. Et d'année en année, On voit ce nombre de journées qui augmente. Cette année, je crois qu'il y en a eu plus de 25. Donc ça, c'est très concret. Et puis, il y a aussi l'impact sur les légumes, parce que quand il fait très chaud, typiquement, les fleurs de tomate fondent. Donc, s'il n'y a pas de fleurs, il n'y a plus de tomate. Donc ça aussi, il y a des impacts très concrets sur la productivité et les rendements de certains légumes.

  • Eric

    Et au niveau de l'eau, vous n'avez pas trop de soucis sur l'eau, justement, qui peut devenir une denrée rare dans certains territoires ?

  • Hélène

    Pour l'instant, on n'a pas de problème d'eau. On est sur une nappe, la nappe de Beauce, qui n'a pas eu trop de problèmes. On s'est quand même beaucoup adapté. Par exemple, on a mis en place des systèmes d'irrigation qui sont pilotés. Donc, on peut irriguer la nuit. Il y a eu certaines années où on a eu des restrictions d'irrigation de jour. Et on a pu continuer à irriguer nos légumes la nuit avec ces systèmes automatisés.

  • Eric

    Donc est-ce que tu peux nous parler de tes clients, de ta distribution et de la valeur perçue sur vos 160 variétés de légumes ? par rapport à d'autres qui seraient plus produits de manière industrielle.

  • Hélène

    On a un circuit de distribution qui est très diversifié, c'est ce qui nous permet d'être robustes. Donc vraiment, les premières filières de distribution sont nos AMAP. Donc on distribue 9 AMAP, principalement à Paris et en première couronne. On a aussi les marchés, la boutique à la ferme et les marchés locaux, des distributeurs engagés, c'est-à-dire des boutiques qui veulent s'approvisionner en direct producteur. Et puis un circuit long avec la coopérative Bio d'Île-de-France.

  • Eric

    Et est-ce que tu sens qu'il y a une valorisation ? Parce qu'en gros, tu arrives à vendre vos légumes plus cher ou finalement non, les gens veulent du bio, mais au même prix que le non-bio ?

  • Hélène

    C'est un peu les deux. Déjà, quand on est en circuit court, en vente directe, on garde toute la valeur pour nous. Donc ça, c'est bien. Dès qu'on est distribué, forcément, la marge part un peu aussi chez le distributeur. Donc c'est pas tellement une négo en fait, c'est une discussion avec nos distributeurs. Et en fait ça marche avec des distributeurs qui savent entendre ça, avec qui on peut avoir des discussions saines sur, voilà, nous notre prix plancher c'est ça, toi ton prix c'est quoi, et on peut discuter. Et sur certains légumes ça marche pas, et puis d'autres ça marche. Juste sur la valeur, indépendamment de la valeur financière, moi j'ai une anecdote, un truc qui m'a hyper touché il y a quelques années. On venait de démarrer... On venait d'ouvrir la boutique à la ferme et il y a une dame qui m'a interpellée sur le parking en me disant « Ah Hélène, merci, vos légumes ils sont bons, mais ils font aussi du bien à ma tête. » Et ça, ça m'a vraiment hyper touchée. Et je me suis dit « Ouah, mais en fait, moi je pensais que je faisais des carottes, des courgettes et des patates, mais en fait non, on ne vend pas que des légumes en fait. Je pense que quand on vend des légumes en circuit court, que les consommateurs connaissent le producteur. Qu'ils sont allés à la ferme, qu'ils ont mis les mains dans la terre, qui savent que ça a été produit avec « amour » . Ça change plein de choses. C'est une partie de la valeur qu'on distribue et c'est très fort dans le sens qu'on donne à ce métier.

  • Eric

    Mais c'est vrai, si on dézoome sur le secteur, qu'on a quand même l'impression qu'il y a une dissonance, qu'on a tous en tant que citoyens consommateurs. Oui, on voudrait des produits qui sont meilleurs à la santé, qui sont mieux produits, mais... finalement on consacre une toute petite partie, c'est 13% maintenant, c'est trois fois moins que dans l'après-guerre, à notre budget pour l'alimentation. Et ça, ça met en difficulté les agriculteurs qui mettent de l'amour et qui essayent de produire un légume avec plus que simplement le produire. Est-ce que là tu penses qu'il y a un chemin pour revaloriser et que cet exemple que tu nous donnais tout à l'heure puisse se diffuser un peu plus largement dans la société ? Et que donc on ait un cercle vertueux pour les agriculteurs qui soient mieux rémunérés quand ils font des produits de meilleure qualité.

  • Hélène

    Alors il y a une étude qui est un petit peu ancienne, mais qui montre la corrélation entre le fait de manger bio et de faire des économies dans son panier d'achat de nourriture. Alors ça paraît étonnant parce que les aliments bio, ils ont la réputation d'être un petit peu plus chers que les autres, même si ça a tendance à diminuer. Alors comment on explique ça ? C'est parce que ceux qui mangent bio, souvent, ils mangent aussi plus local. Peut-être qu'ils cuisinent un peu plus, qu'ils achètent des produits de saison. Peut-être qu'ils vont réduire un petit peu leur consommation de viande. Bref, tout ça fait qu'on fait des économies sur son budget nourriture quand on s'engage dans un chemin un peu plus vertueux sur le choix de ses aliments. Il faut que l'État nous aide là-dessus à montrer les bénéfices de l'agriculture bio, d'une alimentation saine, montrer qu'on peut mettre quelques euros de plus pour acheter ces légumes et montrer tous les bénéfices qu'il y a derrière.

  • Eric

    Et tu nous parles des légumes de saison, et moi c'est vraiment une question que je me pose souvent, donc tu vas pouvoir m'éclairer, c'est finalement la nature, on ne peut pas trop la programmer. Donc vous plantez, mais vous ne savez pas exactement quand va arriver la récolte. Comment vous faites quand il y a une grosse récolte qui arrive et comment vous gérez la distribution, la logistique par rapport à une production qui est difficile à planifier ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est une question très concrète puisque en ce moment, nos courges sont arrivées avec un mois d'avance. D'habitude, on les récolte début octobre. Là, on est en train de les récolter mi-septembre et on a des rendements de folie. C'est-à-dire qu'on attendait 35 tonnes de courges, on va en faire 50. Et donc là, c'est un peu le grand bazar au village potager. On ne sait pas où les stocker, on ne sait pas à qui les vendre.

  • Eric

    Oui, et là, en septembre, on n'a pas encore repris l'habitude de l'hiver et de cuisiner des courges.

  • Hélène

    Exactement. Donc, on est en train de modifier nos plannings. C'est vrai que c'est un métier qui demande beaucoup de réactivité. On a tout le temps trop de légumes, pas assez de clients, ou trop de clients, pas assez de légumes. Mais ça, ça fait vraiment partie du métier. Quand on fait du frais et de l'ultra frais et en circuit court. L'autre moment où on a souvent des surproductions, c'est en août. Puisqu'en août, c'est vraiment la pleine, pleine production des tomates, des concombres, des courgettes, etc. Et nos clients sont partis en vacances. Voilà, donc là, on donne beaucoup. On est en lien avec des associations et on fait beaucoup de dons. C'est un truc qu'on est assez fier, puisque ça permet à des tas de gens de profiter d'une agriculture saine. Et ça donne beaucoup de sens aussi à nos équipes de ne pas jeter. Évidemment, nous, quand on jette des légumes, c'est vraiment la catastrophe.

  • Eric

    J'aimerais bien qu'on parle un peu des équipes, puisque tu parlais que c'est un projet aussi de réinsertion, en tout cas avec une dimension sociale aussi. Et donc, parle-nous des équipes du village potager.

  • Hélène

    Déjà, c'est un métier absolument incroyable, le maraîchage. Nous quand on a démarré, Moi j'ai lu des bouquins, avant qu'on démarre, j'ai lu des bouquins sur des gens qui s'étaient reconvertis en maraîchage et qui racontaient à quel point ça prenait aux tripes. Et moi je me souviens de ma réaction d'ingénieur qui pensait « Ouais enfin bon, faut pas exagérer, c'est que des légumes » . Eh ben non. Et d'année en année, on a cette magie au printemps de la nature qui se régénère, des légumes qui se remettent à pousser, de tout ce foisonnement de vie. Et c'est Noël tous les ans, au printemps. Et ça, ça m'en lasse pas. Et donc, nos équipes, il y a beaucoup de gens qui se sont reconvertis et qui ont aussi senti, comme nous, ce besoin de travailler la terre. Après, c'est des métiers qui sont hyper diversifiés. On fait un peu tout, parce que quand on est maraîcher bio, on fait de la technique, on fait de la planification, on fait de la préparation de commandes, on fait de la livraison, on fait de la vente. Donc, on a plein, plein de métiers différents. Et chaque personne est un petit peu polyvalente, parce qu'on reste une PME. on a besoin que les gens soient polyvalents. Et je pense que c'est aussi ce qui intéresse les gens, c'est de voir ce cycle et d'aller du champ à l'assiette. Donc on est effectivement entreprise d'insertion, donc on accueille des gens qui sont une problématique sociale à résoudre ou qui sont débutants dans le métier. Et on a beaucoup de formations, on les accompagne dans la montée en compétences du maraîchage et la plupart restent dans ce métier au-delà de leur parcours d'insertion chez nous. Donc ça, ça nous fait vraiment plaisir. On se rend compte à quel point c'est un métier qui fait du bien. Parce que travailler la terre, ça fait vraiment du bien.

  • Eric

    Ce que tu disais au tout début, finalement, c'est du vrai travail. Justement, ça m'amène sur cette question de sensibilisation, puisque le village potager, c'est un lieu ouvert. Vous avez donc des gens qui peuvent venir en séminaire. Comment tu vois cette fonction sensibilisation ? Est-ce qu'elle est aussi importante que le projet ? Et comment tu vois cette évolution ? Est-ce que ça se passe bien ou est-ce que vous avez de plus en plus de demandes ? Quel est ton message ?

  • Hélène

    Moi, sur la sensibilisation, je suis toujours hyper étonnée de l'impact que ça a de faire visiter la ferme. Nous, quand on a des entreprises en séminaire, on leur propose d'aller visiter les champs. Moi, je me souviendrai toujours la première fois que je l'ai fait. C'était une grosse boîte de la tech et je me suis dit, oh là là, je vais me prendre un vent, mes courgettes, ils n'en ont rien à foutre en fait. Eh bien, pas du tout. Et à chaque fois que je fais visiter un groupe, il y a une espèce de magie qui s'opère. Je pense qu'ils sont étonnés, ils posent plein de questions. Alors il y en a un qui va parler des vacances avec son grand-père quand il était petit. Il y en a toujours un qui a vu le film Demain et ça l'a inspiré. Un troisième va parler de permaculture parce que c'est un concept qui interroge. Il y a toujours un avant et après la visite, en fait.

  • Eric

    Oui, et ça marche à tous les coups.

  • Hélène

    Et ça marche à tous les coups. Et c'est magique, en fait. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça, en fait. Et moi, je suis toujours étonnée même de les voir entre eux. Ils sont un peu différents après la visite. Comme s'ils avaient un peu posé leur valise.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus ou donner plus d'exemples ? sur ce moment de sensibilisation, de reconnexion collectif qui peut se passer chez vous.

  • Hélène

    Alors déjà, les entreprises qui viennent en séminaire chez nous, elles privatisent le lieu. Donc elles sont chez elles. En fait, elles sont dans une grande maison qui est immergée dans un parc avec des arbres incroyables, au milieu d'une forêt incroyable. Donc il y a déjà cet environnement de nature un peu brut, un peu foisonnant, qui libère un peu et qui favorise la créativité, qui favorise des liens authentiques entre les gens. Après, celles qui le souhaitent peuvent effectivement plus s'intéresser à la ferme. Donc on propose une activité de visite, on propose une activité de cueillette, où ils partent pendant une paire d'heures avec un maraîcher récolter des légumes qu'ils remportent chez eux, donc c'est vraiment sympa. Et puis il y a aussi naturellement ce mix en fait, parce que les tracteurs sont à côté, les maraîchers viennent, on est tous habillés en bottes, les maraîchers mangent à côté. Voilà, donc j'aime bien aussi ce mélange en fait. Je pense que quand on est une boîte parisienne, ou en tout cas... qui travaille dans des grandes villes, ça fait du bien de s'extraire un peu. C'est un vrai pas de côté, en fait. Un vrai lieu différent où on peut s'autoriser à penser différemment et donc à être plus créatif en équipe.

  • Eric

    Alors, ça nous amène sur des questions autour du futur de l'agriculture, futur aussi de la relation des citoyens, des Français, surtout les urbains, par rapport au monde agricole. Il y a beaucoup de tensions, actuellement. Quelle est peut-être ta vision d'espoir par rapport à ce que vous avez initié vous-même dans votre projet, et que ce projet, il soit éclaireur, et qu'il y ait un mouvement peut-être de plus grande ampleur vers une reconnexion, une réconciliation quelque part des citoyens avec leur agriculture et leurs agriculteurs.

  • Hélène

    Alors ça, c'est hyper important que ces demandes se parlent. Les AMAP servent à ça aussi, le circuit court, ça sert à ça. On m'a parlé d'une nouvelle maladie qui, paraît-il, apparaît, et qui s'appelle le syndrome du manque de nature. Les médecins alertent sur le fait qu'on a besoin de nature. Tout le monde a besoin de nature. Que la nature, elle a un impact hyper positif sur notre bien-être, sur notre santé. Donc ça peut passer par l'assiette. quand on achète des bons légumes, et ça passe aussi par des balades en forêt, par des rencontres avec des agriculteurs, par des visites à la ferme. Et c'est vrai qu'on a besoin de ça. Il faudrait développer des visites pour les enfants, par exemple, et plus de moments d'échange, que les fermes aussi aient plus de moments où elles ouvrent leurs portes. Mais c'est tellement important, et je pense qu'on n'arrivera pas à réconcilier les gens déjà s'ils ne connaissent pas la nature, s'ils ne connaissent pas la ferme, s'ils ne connaissent pas euh Et moi, je suis tellement émerveillée par l'impact que ça a quand on accueille des gens, qu'on leur fait simplement visiter les champs. C'est tout le temps magique. C'est incroyable.

  • Eric

    Du côté du bio, du côté de la restauration des sols, aujourd'hui, quelle serait ton estimation de ce que ça représente aujourd'hui de l'agriculture en France, en termes de surface cultivée ? Est-ce que c'est 2%, 5%, 10%, 15% ? Et est-ce que tu vois une perspective que ça se généralise ? Et comment ça pourrait se généraliser ?

  • Hélène

    Je n'ai pas les chiffres exacts, mais ce n'est pas un gros pourcentage d'agriculture bio, malheureusement. Même si ça continue à progresser, doucement, trop doucement. Il y a quelques initiatives qui commencent à émerger, qui pourraient favoriser les choses et qu'il faudrait favoriser. La première initiative, c'est les PSE, les paiements pour services environnementaux. C'est le fait de rémunérer les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Très concrètement, en agriculture bio, il n'y a pas de pesticides de synthèse, donc on préserve la qualité des nappes phréatiques. Donc derrière cette préservation de l'eau, il y a moins de dépollution à faire pour avoir de l'eau potable. Donc typiquement, ça c'est des services qui aujourd'hui ne sont pas rémunérés, alors qu'ils sont concrètement faits par les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Donc il y a l'eau, mais il y a aussi la préservation de la biodiversité, la préservation des paysages. Il y a beaucoup de services qui devraient être rémunérés et qui pourraient favoriser le passage à l'acte et le passage à une agriculture plus durable. Le deuxième sujet qui mériterait aussi d'être développé, c'est la sécurité sociale de l'alimentation. Il y a quelques expérimentations à droite à gauche, mais il faut que ça se développe en fait. On pourrait imaginer d'avoir un cercle vertueux où on favorise le déploiement d'une alimentation plus saine et ça permet à des agriculteurs d'avoir des revenus plus sécurisés et donc d'être plus confiants dans l'avenir.

  • Eric

    Oui, parce que bien s'alimenter, ça diminue les coûts de santé.

  • Hélène

    Exactement. Voilà, donc ça, c'est deux initiatives qui sont balbutiantes aujourd'hui et qui mériteraient d'être développées, si on veut, développer cette agriculture régénérative.

  • Eric

    Génial, tu me fais une super transition sur une question. On va tout doucement vers la fin de cet épisode. Nous, on parle beaucoup d'économie régénérative à la CEC. mais je pense que là, on est plutôt sur l'agriculture régénérative. C'est souvent difficile de décrire ce concept, c'est complexe, ça embarque beaucoup de choses, la régénération, le social, l'écologie, les limites planétaires. Et donc, l'exercice, c'est d'essayer de dire en quelques phrases à une enfant de 10 ans, si tu avais à lui dire l'agriculture régénérative à une enfant de 10 ans, c'est quoi ?

  • Hélène

    l'agriculture régénérative. C'est une agriculture qui préserve les insectes, préserve la biodiversité, qui préserve la nature d'une manière générale, qui fait en sorte que la nature reste belle, peut-être.

  • Eric

    Merci beaucoup. Alors peut-être une toute dernière question. Justement, par rapport aux générations futures, qui parfois sont désemparées ou très inquiètes sur leur futur, quel message tu aurais envie de leur faire passer sur ce qui vient, ce qui est à venir, et aussi sur ces nouvelles générations, sur leur reconnexion à la nature et éventuellement à devenir agriculteurs ?

  • Hélène

    Alors en agriculteur, il y a des sujets de reprise, oui. Il y a beaucoup d'agriculteurs qui font partir à la retraite, donc c'est un vrai sujet en fait, qu'il y ait une nouvelle génération d'agriculteurs qui s'installent. Moi j'ai envie de leur dire que c'est un métier passionnant, que c'est un métier hyper concret, qui est concret, moi j'aime bien ça, cet aspect très concret qui est vraiment au cœur du vivant. Et on a besoin d'entrepreneurs, on a besoin de gens qui ont une vision un peu globale de l'entreprise. Parce que ça reste un métier quand même difficile, qui a plein de challenges à faire et qui est très valorisant parce qu'on est au cœur du quotidien des gens. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Voilà, j'appelle tous ceux qui sont intéressés à venir visiter des fermes, en savoir un peu plus et monter des projets.

  • Eric

    Merci beaucoup Hélène, justement, pour cet appel aux nouvelles générations. Effectivement, il y a des dizaines de milliers de fermes qui vont être à reprendre dans les dix années qui viennent. Donc, on a besoin que la nouvelle génération arrive avec une nouvelle approche. Donc, merci pour cette conversation. Moi, j'ai retenu cette phrase qui m'a vraiment marqué. Tu as dit, c'est Noël tous les ans au printemps quand on travaille avec la terre. Donc, merci beaucoup, Hélène, pour le courage de tout ce que tu as fait et que tu continues de faire. Pour l'authenticité, tu nous as parlé à cœur ouvert et puis le pragmatisme c'était hyper concret et je crois qu'on a tous un peu mieux compris ce que c'était vraiment que l'agriculture donc en route pour le Cap Regen. Merci à toi aussi. J'espère que cet épisode vous a inspiré si c'est le cas, vous pouvez nous aider en laissant un avis sur votre plateforme d'écoute et en partageant l'épisode autour de vous. Vous contribuerez ainsi à rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Merci.

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Description

Découvrez Hélène Falise, ancienne directrice marketing devenue agricultrice engagée. En 2018, elle fonde avec son mari Le Village Potager, une ferme maraichère bio, au sud de l’Île-de-France dédié à la transition écologique et sociale.

Sur 17 hectares cultivés en agriculture biologique et de conservation, ils produisent plus de 160 variétés de légumes en circuits courts et accueillent entreprises et particuliers pour des séminaires en pleine nature.

Avec passion, Hélène prouve qu’une autre agriculture est non seulement possible, mais déjà en marche — plus régénérative, plus humaine, plus connectée au vivant.

« Travailler la terre, c’est du vrai travail… et c’est Noël tous les ans, au printemps. »

Un épisode inspirant à écouter pour (re)découvrir la puissance du vivant et du sens retrouvé au travail.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Hélène

    On se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. J'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est Noël tous les ans, au printemps, et ça, je ne m'en lasse pas. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça en fait.

  • Eric

    Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Dans cette saison 2 de Cap Regen, on va élargir les récits pour aborder de nouveaux modèles d'affaires, pour approfondir sur le social et sur la biodiversité. Bref, plus de régénération. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Hélène.

  • Hélène

    Bonjour Eric.

  • Eric

    Je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu'il en faut du courage quand on s'embarque dans l'aventure de la régénération. Authenticité, c'est l'authenticité de notre échange. Pragmatisme, on veut rendre très concrète cette nouvelle économie. On va essayer d'avoir le plus d'exemples possible. Voilà les trois initiales. Courage, authenticité, pragmatisme. Ça fait CAP. Alors Hélène, CAP ou pas CAP ?

  • Hélène

    Entièrement CAP.

  • Eric

    Alors Hélène, je vais te présenter. Tu as fait la première partie de ta carrière dans la relation client en créant une société de conseil, Cartago, qui a été une formidable aventure entrepreneuriale. Puis, tu as rejoint Keolis, où tu as occupé le poste de directrice marketing, Conquête et fidélisation. Mais tu as changé de vie en 2018 en créant le village potager. En 2022, tu as participé à la première édition de la CEC. Alors on va commencer par traditionnelle question. Est-ce que tu peux nous dire déjà un lieu de nature où tu aimes te ressourcer ?

  • Hélène

    Alors il y a deux endroits qui me viennent en tête. Le premier endroit, c'est la montagne, parce que moi je suis une petite fille de Savoyard. La montagne, c'est vraiment mon lieu de vacances quand j'étais petite, été comme hiver. Maintenant, la montagne, ce n'est pas hyper accessible quand on habite en région parisienne. Et donc, l'endroit plus local, c'est la forêt. Et la forêt, pour moi, c'est un peu un lieu magique. J'adore l'odeur, notamment, de me promener dans les sous-bois. Et j'adore les arbres. En fait, je suis un peu fascinée par les arbres, leur majesté. Et voilà, c'est un lieu qui me fait extrêmement du bien.

  • Eric

    Est-ce que tu peux... Nous présenter en quelques mots ou quelques chiffres ton entreprise qui est un peu particulière, qui s'appelle le Village Potager.

  • Hélène

    Alors le Village Potager, c'est un écolieu. Il est situé en région parisienne au sud de l'île de France. C'est un écolieu vraiment dédié à la transition écologique et sociale à travers deux grandes activités. Notre cœur de métier, c'est l'agriculture, le maraîchage, donc le maraîchage en agriculture bio et en agroécologie. On est une grosse ferme, on cultive sur 17 hectares, on emploie entre 15 et 25 personnes selon la saison. On cultive 160 variétés de légumes à l'année, qu'on distribue en circuit court. Et puis on a aussi un village, parce que dès le départ on voulait avoir un lieu pour parler de transition écologique et pour sensibiliser les gens. Donc le village il se traduit par un grand gîte, où on accueille des groupes le week-end et des entreprises en séminaire. Donc à la ferme, au verre, en semaine.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire finalement d'où t'es venue, ou vous est venue, cette idée de créer ce lieu et de vous lancer dans l'agriculture ?

  • Hélène

    C'est une histoire un peu familiale, puisque ce lieu je l'ai créé avec mon mari. On est tous les deux des entrepreneurs, puisqu'on avait créé il y a très longtemps, en 1996, une première entreprise de conseil spécialisée dans la relation client. Donc on a dirigé cette entreprise pendant une dizaine d'années, on l'a vendue. On a fait des trucs différents. Étienne a pris la direction générale d'une verrerie dans l'industrie et moi je suis parti chez Keolis pour faire du marketing. Et puis en 2015-2016, on a eu envie de recréer une boîte ensemble et donc on a cherché des idées et on a eu une belle opportunité. En 2016, on s'est retrouvés un peu libres tous les deux. On est partis faire un tour du monde, à la fois pour s'aérer l'esprit et pour rencontrer des entrepreneurs sociaux. parce que 2014-2015... C'est le début de la loi Hamon, le début de l'entrepreneuriat social et solidaire, où on se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. Et pendant ce voyage, on s'est arrêté un mois dans une grosse ONG aux Philippines, et là on a découvert l'agriculture. Ça s'appelait la ferme en chantier. On s'est rendu compte que l'agriculture, ça collait à nos deux envies. Etienne, il voulait créer de l'emploi et moi, je voulais avoir un impact environnemental. Et donc, on est revenu de ce voyage avec l'idée du village potager, en disant on va créer un lieu inspirant pour recultiver des légumes en circuit court, local, évidemment en mettant en place des méthodes d'agriculture durable et on pourra accueillir du monde pour parler de la transition.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire... Alors le terme, c'est tu es une NIMA, donc non-issue du milieu agricole. Et donc vous vous êtes lancée dans l'agriculture. Et justement, ce passage, comment vous l'avez franchi et quelles ont été les difficultés ?

  • Hélène

    Donc effectivement, se lancer dans l'agriculture quand on ne vient pas du milieu, ce n'est pas facile parce qu'on avait quand même des grosses étiquettes de Parisiens collées sur nos têtes. On l'a fait progressivement. On a mis déjà un an et demi à monter le projet. rencontrer des agriculteurs, rencontrer la chambre d'agriculture, rencontrer des experts sur ce sujet. Ce qui nous intéressait, c'est de savoir comment l'agriculture et le maraîchage pouvaient être rentables, parce que c'est quand même des activités très difficiles sur le plan économique. À un moment donné, on s'est lancé. Il fallait se lancer, donc on a un peu brûlé nos vaisseaux et on s'est dit on y va. Je pense qu'on était un peu fous à l'époque.

  • Eric

    Faut être fou, de toute façon, pour lancer un projet.

  • Hélène

    Surtout qu'on n'avait pas vraiment mis les mains dans la terre, on s'est lancé un peu comme ça. Moi je me souviens de la première fois où j'ai mis les mains dans la terre, où je suis allé aider un agriculteur qui avait besoin d'un coup de main, et je me suis dit, puisqu'on a décidé de faire ça, on va y aller quoi. J'ai eu une drôle de sensation, j'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est hyper bizarre, parce que moi j'étais entrepreneur toute ma vie, je suis plutôt habitué à des journées longues, travailler le week-end, le soir, un peu non-stop. J'ai eu cette sensation très bizarre que mettre les mains dans la terre, c'était du vrai travail. Et ça m'a vraiment confortée dans ce choix.

  • Eric

    Le regard des agriculteurs qui, eux, sont nés dans la terre, en fait, par rapport justement à des nouveaux venus, est-ce qu'il est bienveillant ? Est-ce qu'il y a de la méfiance ? Ou est-ce qu'ils vous regardent en disant, bon, ils vont se planter ? Quel est ce regard ?

  • Hélène

    Alors, évidemment, il y a eu beaucoup de méfiance, je pense, parce que Je pense qu'ils ont attendu de voir et puis au bout d'un an ça marchait, on a sorti nos premiers légumes. Donc là, on a commencé à être un peu crédibles. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à aller voir les autres agriculteurs parce que je pense que j'avais un petit sentiment d'imposteur. Et je me souviens, au bout de peut-être six mois, huit mois, on a rencontré un voisin, agriculteur bio. Et Karine, elle m'a dit, mais Hélène, on n'est pas concurrent en fait. Dans le bio, on soutient. On travaille ensemble, on coopère, on se rend des services. Et voilà, donc ça m'a fait beaucoup de bien. Et je me suis rendu compte qu'effectivement, notamment dans le monde du bio, qui est quand même un monde assez petit, il y a beaucoup d'entraide. Et donc, on a été assez bien acceptés assez vite, finalement.

  • Eric

    Alors, on va aller en profondeur sur l'activité de maraîchage. Mais pour aller en profondeur, on va aborder ça sous l'angle de la feuille de route de la CEC et aussi de l'aventure de la CEC. Est-ce que tu peux nous dire qu'est-ce qui t'a pris de te lancer dans la CEC ? Est-ce que tu peux nous dire un peu qu'est-ce qui s'est passé au début de l'aventure ?

  • Hélène

    J'ai vu un post sur LinkedIn, je crois, qui parlait de entreprise et climat. Et je me suis dit, ça, c'est pour nous, parce que c'est vraiment nous. On voulait créer une entreprise qui a un impact sur la transition écologique, sur le climat. Je suis un peu allée sans trop réfléchir. Je pense que j'ai été une des premières participantes à m'inscrire. Et ça a été un parcours assez incroyable. Moi, j'y allais un peu confiante en me disant « Bon, nous, on est quand même plutôt des bons élèves. On est une entreprise sociale, on est une entreprise d'insertion, on fait de l'agriculture bio, on est déjà hyper engagés. » Je n'y allais pas forcément pour apprendre des choses, mais plutôt pour contribuer. Et puis, comme tous les participants, je me suis pris ma claque. Et ça, je ne m'y attendais vraiment pas. Je ne m'attendais pas que ça allait autant détonner sur moi et autant me faire bouger et autant me faire prendre conscience que finalement, le chemin à parcourir était encore très, très long et qu'il y avait encore beaucoup de marches à franchir. L'autre particularité, c'est qu'on avait une fille qui, à l'époque, avait 16 ans et était très engagée dans la transition. Et donc... On a demandé à Margot d'être notre planète championne. Donc elle était vraiment la Benjamin, je pense, de l'écosystème CEC.

  • Eric

    Il y avait quelques couples en fait dans la CEC et Mère-Fille, c'était aussi la seule configuration. On s'en souvient et notamment Margot a fait un témoignage incroyable à la fin de la CEC, à toute fin, qui avait demandé à tous les entrepreneurs et dirigeants dans la salle de vraiment tenir leurs engagements. C'est intergénérationnel, ça transmet la fibre de l'engagement. Est-ce que sur la partie de la feuille de route, comme vous étiez déjà fortement engagé, quelles ont été peut-être les deux, trois grandes idées qui ont permis de rehausser la feuille de route de Village Potager ?

  • Hélène

    Déjà, tout simplement, on a fait notre bilan carbone. Moi, ça m'a sauté aux yeux en me disant comment ça se fait qu'on n'ait pas fait notre bilan carbone ? On l'a fait assez vite après la CEC. Ça nous a ouvert pas mal de pistes et d'idées, mis en avant des choses qu'on pouvait faire mieux, que ce soit dans la logistique décarbonée, dans l'énergie décarbonée. Et puis surtout, ça nous a remis en avant, ça a remis l'impact au sommet de la pile. En fait, je me suis rendu compte que finalement, On parlait beaucoup des billes d'art, mais pas tellement d'impact. On était un peu la tête dans le guidon de construire cette PME. J'en ai beaucoup parlé avec Étienne et on s'est dit, mais oui, l'impact, c'est ce qu'on veut faire. Il ne faut pas qu'on oublie ça, il faut vraiment qu'on le remette au sommet de la pile. Et notamment, notre envie, c'est vraiment que le lieu, il l'incarne et qu'on puisse vraiment incarner la transition. Et on passait beaucoup de temps sur le savoir-faire, le savoir-faire agricole. Et dans la feuille de route, on a mis beaucoup le faire savoir, c'est-à-dire inspirer et s'aimer pour que ce qu'on a vécu, ce qu'on vit au sein du village potager puisse servir au plus grand nombre.

  • Eric

    Est-ce que le concept et le schéma de viser la régénération, c'est quelque chose aussi qui vous a fait réfléchir, qui a pu avoir des inflexions sur vos actions, sur aussi votre vision ?

  • Hélène

    Nous, dès le départ, on voulait mettre en œuvre une agriculture durable. On parlait beaucoup d'agroécologie, donc l'agriculture bio, c'est-à-dire d'être conforme au cahier des charges, être certifié agriculture bio, c'est vraiment la ligne rouge qu'on ne voulait pas dépasser, mais on voulait aller beaucoup plus loin, préserver les sols, préserver la biodiversité. Donc dès le départ, c'est ce qu'on avait inscrit dans l'ADN du village potager et de nos pratiques agricoles. On a commencé à cultiver et puis quatre ans après... On a refait des analyses de sol et on s'est aperçu, boum, en fait, on a dégradé nos sols. Donc, on s'est dit, ah zut, il faut qu'on aille encore plus loin, il faut qu'on nourrisse plus nos sols, il faut qu'on revoie nos pratiques. Voilà, donc la régénération, c'est quelque chose qu'on apprend au fur et à mesure. Et petit à petit, on développe des techniques agricoles qui sont de plus en plus pointues et performantes sur ces questions de régénération.

  • Eric

    Donc ça veut dire que même en suivant tous les cahiers des charges du bio, on peut, d'année en année... dégrader la qualité organique des sols.

  • Hélène

    Il y a deux grandes orientations en agriculture durable. Il y a l'agriculture bio, qui est surtout axée sur les pesticides, donc interdiction d'utiliser des pesticides de synthèse. Et puis, le deuxième grand point, c'est l'agriculture de conservation, c'est-à-dire qui est plus axée sur la conservation des sols, le fait d'avoir le sol toujours découvert végétaux, mais dans lequel les agriculteurs continuent d'utiliser des pesticides. Nous, ce qu'on fait au village potager, c'est le meilleur des deux mondes. C'est de l'agriculture biologique de conservation, où à la fois on n'utilise pas de pesticides et on préserve les sols. Donc pas ou peu de labours, un travail du sol minimal, c'est des choses qui sont aussi hyper importantes.

  • Eric

    On va en profiter, puisqu'on va parler de cette agriculture biologique de conservation. Pour parler de la position que tu as pu prendre, toi, en tant qu'agricultrice maraîchère, sur la loi Duplomb. Puisqu'il y a eu cette pétition qui est arrivée au cours de l'été contre la loi du plomb, qui a été signée par plus de 2 millions de Français. Et donc tu as pris position à ce moment-là. Finalement, pourquoi as-tu souhaité prendre position ? Et tu t'es exprimée sur les réseaux sociaux aussi. Et pourquoi as-tu souhaité le faire ?

  • Hélène

    J'ai toujours considéré que cette loi, c'était une loi à l'envers, en fait. qui était à l'envers de ce qu'il faut faire, puisque réduire les pesticides, ça me semble une évidence pour des tas de raisons que tout le monde comprend assez vite. Ça me semblait important de le faire en tant qu'agricultrice, puisqu'on avait l'impression que cette loi, elle fédérait tous les agriculteurs et j'avais envie de dire non. Il y a certains agriculteurs qui sont pour les pesticides et pour cette loi, mais il y en a d'autres aussi qui sont contre et qui arrivent, qui arrivent à cultiver san pesticide avec des bons rendements. Donc il fallait le faire savoir. Et quand je me suis exprimée sur les réseaux sociaux, j'ai été étonnée de recevoir plusieurs messages de gens qui disaient « Ah, ça fait du bien de se rendre compte qu'il y a des agriculteurs qui sont contre cette loi Duplomb aussi. »

  • Eric

    Et est-ce que tu as eu des réactions négatives aussi ? Puisqu'on sait qu'elle polarise énormément. Est-ce que tu peux comprendre ou dialoguer avec, je dirais, le camp d'en face des gens qui ont voté ou qui ont souhaité qu'elle soit votée ?

  • Hélène

    Alors moi, je n'ai pas eu de réaction négative. Je l'ai craind un peu, mais finalement, tout s'est bien passé. L'agriculture, elle est en phase de grands changements. Il me semble que tous les agriculteurs le savent et savent qu'il faut mettre en place des pratiques un peu différentes. Ça commence dès les formations agricoles, en fait, de proposer d'autres schémas. C'est une transition qui pourra se faire, très largement accompagnée par les pouvoirs publics.

  • Eric

    Alors justement, en regardant un peu en profondeur ce projet du village potager. On a l'impression qu'il arrive à cocher toutes les cases, puisque tu parles d'une agriculture biologique qui respecte les normes aussi de conservation, donc qui vont améliorer les sols d'année en année. Alors tu peux nous dire peut-être, est-ce qu'au niveau économique, malgré ce jeu de contraintes, est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé ce triangle entre l'impact social, écologique et économique ?

  • Hélène

    On est sur le bon chemin. On n'est pas encore arrivé, on n'a pas encore passé la ligne d'arrivée, mais en tout cas, on est sur le bon chemin. C'est vrai que c'est très difficile, que l'agriculture, enfin globalement le maraîchage, c'est une activité à très faible marge, qu'il y a de plus en plus d'aléas. Malgré tout, on est de plus en plus confrontés au changement climatique, qu'on vit vraiment dans nos chairs, nous, quand on est sur le terrain. Quand on a démarré en 2018, on pensait que c'était un boulevard, qu'enfin les gens allaient comprendre que manger sainement, c'était bien, qu'il y avait des super impacts sur la santé, sur les territoires. Et c'est vrai qu'avec le Covid et la crise du pouvoir d'achat, ça peine un peu plus en ce moment. Donc c'est un petit peu plus difficile que ce qu'on imaginait quand on a démarré. Mais malgré tout, on est sur le bon chemin et d'année en année, on progresse. Et donc l'année dernière, on a été rentable. Cette année, ça se présente plutôt bien. Les récoltes sont très prometteuses.

  • Eric

    On fait toujours attention dans l'agriculture parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.

  • Hélène

    Donc on pense qu'on est sur le bon chemin et qu'on voit la ligne d'arrivée avec plaisir.

  • Eric

    Est-ce que ça veut dire que ce modèle du village potager, vous pourriez soit l'exporter, soit partager aussi ce modèle avec d'autres entrepreneurs ? Est-ce que vous pourriez vous fédérer pour essayer d'être plus fort dans un réseau ou quelque chose ?

  • Hélène

    Ça, c'est la grande phase 2 du village potager. La phase 1, c'était vraiment ce qu'on est en train de faire. C'était vraiment de construire le modèle, d'avoir un lieu, un site pilote qui fonctionne et qui tourne bien. 2025, c'est une année importante pour nous parce qu'on arrive au taquet en termes de surface. D'année en année, entre 2018 et 2025, on a à chaque fois agrandi les surfaces, cherché des nouveaux clients. Là, on arrive à nos 17 hectares et on n'ira pas plus loin. Donc, on va pouvoir maintenant passer à cette deuxième phase. Et effectivement, l'envie d'essaimer, elle est forte parce qu'on a fait ça pour ça, pour trouver des nouveaux modèles, changer les choses. Et donc, on a très envie d'essaimer. On ne sait pas encore comment, il y a plein de façons différentes, mais ce sera un grand projet pour l'année prochaine, c'est sûr.

  • Eric

    Tu peux compter sur le soutien de la CEC, puisqu'on a lancé un parcours aussi agri-agro, avec 65 entreprises, et donc certaines seront sans doute intéressées de venir travailler avec toi.

  • Hélène

    Avec plaisir.

  • Eric

    Alors, tu as mentionné les effets du changement climatique, et peut-être, je ne sais pas, le stress hydrique que vous pouvez avoir. Très concrètement ? Est-ce que tu peux nous dire, vous dites que vous le ressentez, ce serait quoi ces sensations que vous avez, où vous sentez qu'il y a quelque chose qui change ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est très concret, c'est le nombre de journées canicules. Alors nous, dès qu'il fait plus de 30 degrés, on change les horaires typiquement pour que les équipes commencent beaucoup plus tôt. On a tout un process aussi vis-à-vis des légumes pour mieux arroser, plus arroser. Donc le nombre de journées canicules, on le compte. Et en 2018, il y en a eu cinq. Et d'année en année, On voit ce nombre de journées qui augmente. Cette année, je crois qu'il y en a eu plus de 25. Donc ça, c'est très concret. Et puis, il y a aussi l'impact sur les légumes, parce que quand il fait très chaud, typiquement, les fleurs de tomate fondent. Donc, s'il n'y a pas de fleurs, il n'y a plus de tomate. Donc ça aussi, il y a des impacts très concrets sur la productivité et les rendements de certains légumes.

  • Eric

    Et au niveau de l'eau, vous n'avez pas trop de soucis sur l'eau, justement, qui peut devenir une denrée rare dans certains territoires ?

  • Hélène

    Pour l'instant, on n'a pas de problème d'eau. On est sur une nappe, la nappe de Beauce, qui n'a pas eu trop de problèmes. On s'est quand même beaucoup adapté. Par exemple, on a mis en place des systèmes d'irrigation qui sont pilotés. Donc, on peut irriguer la nuit. Il y a eu certaines années où on a eu des restrictions d'irrigation de jour. Et on a pu continuer à irriguer nos légumes la nuit avec ces systèmes automatisés.

  • Eric

    Donc est-ce que tu peux nous parler de tes clients, de ta distribution et de la valeur perçue sur vos 160 variétés de légumes ? par rapport à d'autres qui seraient plus produits de manière industrielle.

  • Hélène

    On a un circuit de distribution qui est très diversifié, c'est ce qui nous permet d'être robustes. Donc vraiment, les premières filières de distribution sont nos AMAP. Donc on distribue 9 AMAP, principalement à Paris et en première couronne. On a aussi les marchés, la boutique à la ferme et les marchés locaux, des distributeurs engagés, c'est-à-dire des boutiques qui veulent s'approvisionner en direct producteur. Et puis un circuit long avec la coopérative Bio d'Île-de-France.

  • Eric

    Et est-ce que tu sens qu'il y a une valorisation ? Parce qu'en gros, tu arrives à vendre vos légumes plus cher ou finalement non, les gens veulent du bio, mais au même prix que le non-bio ?

  • Hélène

    C'est un peu les deux. Déjà, quand on est en circuit court, en vente directe, on garde toute la valeur pour nous. Donc ça, c'est bien. Dès qu'on est distribué, forcément, la marge part un peu aussi chez le distributeur. Donc c'est pas tellement une négo en fait, c'est une discussion avec nos distributeurs. Et en fait ça marche avec des distributeurs qui savent entendre ça, avec qui on peut avoir des discussions saines sur, voilà, nous notre prix plancher c'est ça, toi ton prix c'est quoi, et on peut discuter. Et sur certains légumes ça marche pas, et puis d'autres ça marche. Juste sur la valeur, indépendamment de la valeur financière, moi j'ai une anecdote, un truc qui m'a hyper touché il y a quelques années. On venait de démarrer... On venait d'ouvrir la boutique à la ferme et il y a une dame qui m'a interpellée sur le parking en me disant « Ah Hélène, merci, vos légumes ils sont bons, mais ils font aussi du bien à ma tête. » Et ça, ça m'a vraiment hyper touchée. Et je me suis dit « Ouah, mais en fait, moi je pensais que je faisais des carottes, des courgettes et des patates, mais en fait non, on ne vend pas que des légumes en fait. Je pense que quand on vend des légumes en circuit court, que les consommateurs connaissent le producteur. Qu'ils sont allés à la ferme, qu'ils ont mis les mains dans la terre, qui savent que ça a été produit avec « amour » . Ça change plein de choses. C'est une partie de la valeur qu'on distribue et c'est très fort dans le sens qu'on donne à ce métier.

  • Eric

    Mais c'est vrai, si on dézoome sur le secteur, qu'on a quand même l'impression qu'il y a une dissonance, qu'on a tous en tant que citoyens consommateurs. Oui, on voudrait des produits qui sont meilleurs à la santé, qui sont mieux produits, mais... finalement on consacre une toute petite partie, c'est 13% maintenant, c'est trois fois moins que dans l'après-guerre, à notre budget pour l'alimentation. Et ça, ça met en difficulté les agriculteurs qui mettent de l'amour et qui essayent de produire un légume avec plus que simplement le produire. Est-ce que là tu penses qu'il y a un chemin pour revaloriser et que cet exemple que tu nous donnais tout à l'heure puisse se diffuser un peu plus largement dans la société ? Et que donc on ait un cercle vertueux pour les agriculteurs qui soient mieux rémunérés quand ils font des produits de meilleure qualité.

  • Hélène

    Alors il y a une étude qui est un petit peu ancienne, mais qui montre la corrélation entre le fait de manger bio et de faire des économies dans son panier d'achat de nourriture. Alors ça paraît étonnant parce que les aliments bio, ils ont la réputation d'être un petit peu plus chers que les autres, même si ça a tendance à diminuer. Alors comment on explique ça ? C'est parce que ceux qui mangent bio, souvent, ils mangent aussi plus local. Peut-être qu'ils cuisinent un peu plus, qu'ils achètent des produits de saison. Peut-être qu'ils vont réduire un petit peu leur consommation de viande. Bref, tout ça fait qu'on fait des économies sur son budget nourriture quand on s'engage dans un chemin un peu plus vertueux sur le choix de ses aliments. Il faut que l'État nous aide là-dessus à montrer les bénéfices de l'agriculture bio, d'une alimentation saine, montrer qu'on peut mettre quelques euros de plus pour acheter ces légumes et montrer tous les bénéfices qu'il y a derrière.

  • Eric

    Et tu nous parles des légumes de saison, et moi c'est vraiment une question que je me pose souvent, donc tu vas pouvoir m'éclairer, c'est finalement la nature, on ne peut pas trop la programmer. Donc vous plantez, mais vous ne savez pas exactement quand va arriver la récolte. Comment vous faites quand il y a une grosse récolte qui arrive et comment vous gérez la distribution, la logistique par rapport à une production qui est difficile à planifier ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est une question très concrète puisque en ce moment, nos courges sont arrivées avec un mois d'avance. D'habitude, on les récolte début octobre. Là, on est en train de les récolter mi-septembre et on a des rendements de folie. C'est-à-dire qu'on attendait 35 tonnes de courges, on va en faire 50. Et donc là, c'est un peu le grand bazar au village potager. On ne sait pas où les stocker, on ne sait pas à qui les vendre.

  • Eric

    Oui, et là, en septembre, on n'a pas encore repris l'habitude de l'hiver et de cuisiner des courges.

  • Hélène

    Exactement. Donc, on est en train de modifier nos plannings. C'est vrai que c'est un métier qui demande beaucoup de réactivité. On a tout le temps trop de légumes, pas assez de clients, ou trop de clients, pas assez de légumes. Mais ça, ça fait vraiment partie du métier. Quand on fait du frais et de l'ultra frais et en circuit court. L'autre moment où on a souvent des surproductions, c'est en août. Puisqu'en août, c'est vraiment la pleine, pleine production des tomates, des concombres, des courgettes, etc. Et nos clients sont partis en vacances. Voilà, donc là, on donne beaucoup. On est en lien avec des associations et on fait beaucoup de dons. C'est un truc qu'on est assez fier, puisque ça permet à des tas de gens de profiter d'une agriculture saine. Et ça donne beaucoup de sens aussi à nos équipes de ne pas jeter. Évidemment, nous, quand on jette des légumes, c'est vraiment la catastrophe.

  • Eric

    J'aimerais bien qu'on parle un peu des équipes, puisque tu parlais que c'est un projet aussi de réinsertion, en tout cas avec une dimension sociale aussi. Et donc, parle-nous des équipes du village potager.

  • Hélène

    Déjà, c'est un métier absolument incroyable, le maraîchage. Nous quand on a démarré, Moi j'ai lu des bouquins, avant qu'on démarre, j'ai lu des bouquins sur des gens qui s'étaient reconvertis en maraîchage et qui racontaient à quel point ça prenait aux tripes. Et moi je me souviens de ma réaction d'ingénieur qui pensait « Ouais enfin bon, faut pas exagérer, c'est que des légumes » . Eh ben non. Et d'année en année, on a cette magie au printemps de la nature qui se régénère, des légumes qui se remettent à pousser, de tout ce foisonnement de vie. Et c'est Noël tous les ans, au printemps. Et ça, ça m'en lasse pas. Et donc, nos équipes, il y a beaucoup de gens qui se sont reconvertis et qui ont aussi senti, comme nous, ce besoin de travailler la terre. Après, c'est des métiers qui sont hyper diversifiés. On fait un peu tout, parce que quand on est maraîcher bio, on fait de la technique, on fait de la planification, on fait de la préparation de commandes, on fait de la livraison, on fait de la vente. Donc, on a plein, plein de métiers différents. Et chaque personne est un petit peu polyvalente, parce qu'on reste une PME. on a besoin que les gens soient polyvalents. Et je pense que c'est aussi ce qui intéresse les gens, c'est de voir ce cycle et d'aller du champ à l'assiette. Donc on est effectivement entreprise d'insertion, donc on accueille des gens qui sont une problématique sociale à résoudre ou qui sont débutants dans le métier. Et on a beaucoup de formations, on les accompagne dans la montée en compétences du maraîchage et la plupart restent dans ce métier au-delà de leur parcours d'insertion chez nous. Donc ça, ça nous fait vraiment plaisir. On se rend compte à quel point c'est un métier qui fait du bien. Parce que travailler la terre, ça fait vraiment du bien.

  • Eric

    Ce que tu disais au tout début, finalement, c'est du vrai travail. Justement, ça m'amène sur cette question de sensibilisation, puisque le village potager, c'est un lieu ouvert. Vous avez donc des gens qui peuvent venir en séminaire. Comment tu vois cette fonction sensibilisation ? Est-ce qu'elle est aussi importante que le projet ? Et comment tu vois cette évolution ? Est-ce que ça se passe bien ou est-ce que vous avez de plus en plus de demandes ? Quel est ton message ?

  • Hélène

    Moi, sur la sensibilisation, je suis toujours hyper étonnée de l'impact que ça a de faire visiter la ferme. Nous, quand on a des entreprises en séminaire, on leur propose d'aller visiter les champs. Moi, je me souviendrai toujours la première fois que je l'ai fait. C'était une grosse boîte de la tech et je me suis dit, oh là là, je vais me prendre un vent, mes courgettes, ils n'en ont rien à foutre en fait. Eh bien, pas du tout. Et à chaque fois que je fais visiter un groupe, il y a une espèce de magie qui s'opère. Je pense qu'ils sont étonnés, ils posent plein de questions. Alors il y en a un qui va parler des vacances avec son grand-père quand il était petit. Il y en a toujours un qui a vu le film Demain et ça l'a inspiré. Un troisième va parler de permaculture parce que c'est un concept qui interroge. Il y a toujours un avant et après la visite, en fait.

  • Eric

    Oui, et ça marche à tous les coups.

  • Hélène

    Et ça marche à tous les coups. Et c'est magique, en fait. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça, en fait. Et moi, je suis toujours étonnée même de les voir entre eux. Ils sont un peu différents après la visite. Comme s'ils avaient un peu posé leur valise.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus ou donner plus d'exemples ? sur ce moment de sensibilisation, de reconnexion collectif qui peut se passer chez vous.

  • Hélène

    Alors déjà, les entreprises qui viennent en séminaire chez nous, elles privatisent le lieu. Donc elles sont chez elles. En fait, elles sont dans une grande maison qui est immergée dans un parc avec des arbres incroyables, au milieu d'une forêt incroyable. Donc il y a déjà cet environnement de nature un peu brut, un peu foisonnant, qui libère un peu et qui favorise la créativité, qui favorise des liens authentiques entre les gens. Après, celles qui le souhaitent peuvent effectivement plus s'intéresser à la ferme. Donc on propose une activité de visite, on propose une activité de cueillette, où ils partent pendant une paire d'heures avec un maraîcher récolter des légumes qu'ils remportent chez eux, donc c'est vraiment sympa. Et puis il y a aussi naturellement ce mix en fait, parce que les tracteurs sont à côté, les maraîchers viennent, on est tous habillés en bottes, les maraîchers mangent à côté. Voilà, donc j'aime bien aussi ce mélange en fait. Je pense que quand on est une boîte parisienne, ou en tout cas... qui travaille dans des grandes villes, ça fait du bien de s'extraire un peu. C'est un vrai pas de côté, en fait. Un vrai lieu différent où on peut s'autoriser à penser différemment et donc à être plus créatif en équipe.

  • Eric

    Alors, ça nous amène sur des questions autour du futur de l'agriculture, futur aussi de la relation des citoyens, des Français, surtout les urbains, par rapport au monde agricole. Il y a beaucoup de tensions, actuellement. Quelle est peut-être ta vision d'espoir par rapport à ce que vous avez initié vous-même dans votre projet, et que ce projet, il soit éclaireur, et qu'il y ait un mouvement peut-être de plus grande ampleur vers une reconnexion, une réconciliation quelque part des citoyens avec leur agriculture et leurs agriculteurs.

  • Hélène

    Alors ça, c'est hyper important que ces demandes se parlent. Les AMAP servent à ça aussi, le circuit court, ça sert à ça. On m'a parlé d'une nouvelle maladie qui, paraît-il, apparaît, et qui s'appelle le syndrome du manque de nature. Les médecins alertent sur le fait qu'on a besoin de nature. Tout le monde a besoin de nature. Que la nature, elle a un impact hyper positif sur notre bien-être, sur notre santé. Donc ça peut passer par l'assiette. quand on achète des bons légumes, et ça passe aussi par des balades en forêt, par des rencontres avec des agriculteurs, par des visites à la ferme. Et c'est vrai qu'on a besoin de ça. Il faudrait développer des visites pour les enfants, par exemple, et plus de moments d'échange, que les fermes aussi aient plus de moments où elles ouvrent leurs portes. Mais c'est tellement important, et je pense qu'on n'arrivera pas à réconcilier les gens déjà s'ils ne connaissent pas la nature, s'ils ne connaissent pas la ferme, s'ils ne connaissent pas euh Et moi, je suis tellement émerveillée par l'impact que ça a quand on accueille des gens, qu'on leur fait simplement visiter les champs. C'est tout le temps magique. C'est incroyable.

  • Eric

    Du côté du bio, du côté de la restauration des sols, aujourd'hui, quelle serait ton estimation de ce que ça représente aujourd'hui de l'agriculture en France, en termes de surface cultivée ? Est-ce que c'est 2%, 5%, 10%, 15% ? Et est-ce que tu vois une perspective que ça se généralise ? Et comment ça pourrait se généraliser ?

  • Hélène

    Je n'ai pas les chiffres exacts, mais ce n'est pas un gros pourcentage d'agriculture bio, malheureusement. Même si ça continue à progresser, doucement, trop doucement. Il y a quelques initiatives qui commencent à émerger, qui pourraient favoriser les choses et qu'il faudrait favoriser. La première initiative, c'est les PSE, les paiements pour services environnementaux. C'est le fait de rémunérer les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Très concrètement, en agriculture bio, il n'y a pas de pesticides de synthèse, donc on préserve la qualité des nappes phréatiques. Donc derrière cette préservation de l'eau, il y a moins de dépollution à faire pour avoir de l'eau potable. Donc typiquement, ça c'est des services qui aujourd'hui ne sont pas rémunérés, alors qu'ils sont concrètement faits par les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Donc il y a l'eau, mais il y a aussi la préservation de la biodiversité, la préservation des paysages. Il y a beaucoup de services qui devraient être rémunérés et qui pourraient favoriser le passage à l'acte et le passage à une agriculture plus durable. Le deuxième sujet qui mériterait aussi d'être développé, c'est la sécurité sociale de l'alimentation. Il y a quelques expérimentations à droite à gauche, mais il faut que ça se développe en fait. On pourrait imaginer d'avoir un cercle vertueux où on favorise le déploiement d'une alimentation plus saine et ça permet à des agriculteurs d'avoir des revenus plus sécurisés et donc d'être plus confiants dans l'avenir.

  • Eric

    Oui, parce que bien s'alimenter, ça diminue les coûts de santé.

  • Hélène

    Exactement. Voilà, donc ça, c'est deux initiatives qui sont balbutiantes aujourd'hui et qui mériteraient d'être développées, si on veut, développer cette agriculture régénérative.

  • Eric

    Génial, tu me fais une super transition sur une question. On va tout doucement vers la fin de cet épisode. Nous, on parle beaucoup d'économie régénérative à la CEC. mais je pense que là, on est plutôt sur l'agriculture régénérative. C'est souvent difficile de décrire ce concept, c'est complexe, ça embarque beaucoup de choses, la régénération, le social, l'écologie, les limites planétaires. Et donc, l'exercice, c'est d'essayer de dire en quelques phrases à une enfant de 10 ans, si tu avais à lui dire l'agriculture régénérative à une enfant de 10 ans, c'est quoi ?

  • Hélène

    l'agriculture régénérative. C'est une agriculture qui préserve les insectes, préserve la biodiversité, qui préserve la nature d'une manière générale, qui fait en sorte que la nature reste belle, peut-être.

  • Eric

    Merci beaucoup. Alors peut-être une toute dernière question. Justement, par rapport aux générations futures, qui parfois sont désemparées ou très inquiètes sur leur futur, quel message tu aurais envie de leur faire passer sur ce qui vient, ce qui est à venir, et aussi sur ces nouvelles générations, sur leur reconnexion à la nature et éventuellement à devenir agriculteurs ?

  • Hélène

    Alors en agriculteur, il y a des sujets de reprise, oui. Il y a beaucoup d'agriculteurs qui font partir à la retraite, donc c'est un vrai sujet en fait, qu'il y ait une nouvelle génération d'agriculteurs qui s'installent. Moi j'ai envie de leur dire que c'est un métier passionnant, que c'est un métier hyper concret, qui est concret, moi j'aime bien ça, cet aspect très concret qui est vraiment au cœur du vivant. Et on a besoin d'entrepreneurs, on a besoin de gens qui ont une vision un peu globale de l'entreprise. Parce que ça reste un métier quand même difficile, qui a plein de challenges à faire et qui est très valorisant parce qu'on est au cœur du quotidien des gens. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Voilà, j'appelle tous ceux qui sont intéressés à venir visiter des fermes, en savoir un peu plus et monter des projets.

  • Eric

    Merci beaucoup Hélène, justement, pour cet appel aux nouvelles générations. Effectivement, il y a des dizaines de milliers de fermes qui vont être à reprendre dans les dix années qui viennent. Donc, on a besoin que la nouvelle génération arrive avec une nouvelle approche. Donc, merci pour cette conversation. Moi, j'ai retenu cette phrase qui m'a vraiment marqué. Tu as dit, c'est Noël tous les ans au printemps quand on travaille avec la terre. Donc, merci beaucoup, Hélène, pour le courage de tout ce que tu as fait et que tu continues de faire. Pour l'authenticité, tu nous as parlé à cœur ouvert et puis le pragmatisme c'était hyper concret et je crois qu'on a tous un peu mieux compris ce que c'était vraiment que l'agriculture donc en route pour le Cap Regen. Merci à toi aussi. J'espère que cet épisode vous a inspiré si c'est le cas, vous pouvez nous aider en laissant un avis sur votre plateforme d'écoute et en partageant l'épisode autour de vous. Vous contribuerez ainsi à rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Merci.

Description

Découvrez Hélène Falise, ancienne directrice marketing devenue agricultrice engagée. En 2018, elle fonde avec son mari Le Village Potager, une ferme maraichère bio, au sud de l’Île-de-France dédié à la transition écologique et sociale.

Sur 17 hectares cultivés en agriculture biologique et de conservation, ils produisent plus de 160 variétés de légumes en circuits courts et accueillent entreprises et particuliers pour des séminaires en pleine nature.

Avec passion, Hélène prouve qu’une autre agriculture est non seulement possible, mais déjà en marche — plus régénérative, plus humaine, plus connectée au vivant.

« Travailler la terre, c’est du vrai travail… et c’est Noël tous les ans, au printemps. »

Un épisode inspirant à écouter pour (re)découvrir la puissance du vivant et du sens retrouvé au travail.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Hélène

    On se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. J'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est Noël tous les ans, au printemps, et ça, je ne m'en lasse pas. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça en fait.

  • Eric

    Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC, une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d'extraire, mais le défi est immense. Dans cette saison 2 de Cap Regen, on va élargir les récits pour aborder de nouveaux modèles d'affaires, pour approfondir sur le social et sur la biodiversité. Bref, plus de régénération. Avec Cap Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l'action. Bonjour Hélène.

  • Hélène

    Bonjour Eric.

  • Eric

    Je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu'il en faut du courage quand on s'embarque dans l'aventure de la régénération. Authenticité, c'est l'authenticité de notre échange. Pragmatisme, on veut rendre très concrète cette nouvelle économie. On va essayer d'avoir le plus d'exemples possible. Voilà les trois initiales. Courage, authenticité, pragmatisme. Ça fait CAP. Alors Hélène, CAP ou pas CAP ?

  • Hélène

    Entièrement CAP.

  • Eric

    Alors Hélène, je vais te présenter. Tu as fait la première partie de ta carrière dans la relation client en créant une société de conseil, Cartago, qui a été une formidable aventure entrepreneuriale. Puis, tu as rejoint Keolis, où tu as occupé le poste de directrice marketing, Conquête et fidélisation. Mais tu as changé de vie en 2018 en créant le village potager. En 2022, tu as participé à la première édition de la CEC. Alors on va commencer par traditionnelle question. Est-ce que tu peux nous dire déjà un lieu de nature où tu aimes te ressourcer ?

  • Hélène

    Alors il y a deux endroits qui me viennent en tête. Le premier endroit, c'est la montagne, parce que moi je suis une petite fille de Savoyard. La montagne, c'est vraiment mon lieu de vacances quand j'étais petite, été comme hiver. Maintenant, la montagne, ce n'est pas hyper accessible quand on habite en région parisienne. Et donc, l'endroit plus local, c'est la forêt. Et la forêt, pour moi, c'est un peu un lieu magique. J'adore l'odeur, notamment, de me promener dans les sous-bois. Et j'adore les arbres. En fait, je suis un peu fascinée par les arbres, leur majesté. Et voilà, c'est un lieu qui me fait extrêmement du bien.

  • Eric

    Est-ce que tu peux... Nous présenter en quelques mots ou quelques chiffres ton entreprise qui est un peu particulière, qui s'appelle le Village Potager.

  • Hélène

    Alors le Village Potager, c'est un écolieu. Il est situé en région parisienne au sud de l'île de France. C'est un écolieu vraiment dédié à la transition écologique et sociale à travers deux grandes activités. Notre cœur de métier, c'est l'agriculture, le maraîchage, donc le maraîchage en agriculture bio et en agroécologie. On est une grosse ferme, on cultive sur 17 hectares, on emploie entre 15 et 25 personnes selon la saison. On cultive 160 variétés de légumes à l'année, qu'on distribue en circuit court. Et puis on a aussi un village, parce que dès le départ on voulait avoir un lieu pour parler de transition écologique et pour sensibiliser les gens. Donc le village il se traduit par un grand gîte, où on accueille des groupes le week-end et des entreprises en séminaire. Donc à la ferme, au verre, en semaine.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire finalement d'où t'es venue, ou vous est venue, cette idée de créer ce lieu et de vous lancer dans l'agriculture ?

  • Hélène

    C'est une histoire un peu familiale, puisque ce lieu je l'ai créé avec mon mari. On est tous les deux des entrepreneurs, puisqu'on avait créé il y a très longtemps, en 1996, une première entreprise de conseil spécialisée dans la relation client. Donc on a dirigé cette entreprise pendant une dizaine d'années, on l'a vendue. On a fait des trucs différents. Étienne a pris la direction générale d'une verrerie dans l'industrie et moi je suis parti chez Keolis pour faire du marketing. Et puis en 2015-2016, on a eu envie de recréer une boîte ensemble et donc on a cherché des idées et on a eu une belle opportunité. En 2016, on s'est retrouvés un peu libres tous les deux. On est partis faire un tour du monde, à la fois pour s'aérer l'esprit et pour rencontrer des entrepreneurs sociaux. parce que 2014-2015... C'est le début de la loi Hamon, le début de l'entrepreneuriat social et solidaire, où on se dit que finalement une entreprise, elle peut avoir une autre vocation que juste enrichir des actionnaires, qu'elle peut avoir vraiment un impact social et environnemental fort. Et pendant ce voyage, on s'est arrêté un mois dans une grosse ONG aux Philippines, et là on a découvert l'agriculture. Ça s'appelait la ferme en chantier. On s'est rendu compte que l'agriculture, ça collait à nos deux envies. Etienne, il voulait créer de l'emploi et moi, je voulais avoir un impact environnemental. Et donc, on est revenu de ce voyage avec l'idée du village potager, en disant on va créer un lieu inspirant pour recultiver des légumes en circuit court, local, évidemment en mettant en place des méthodes d'agriculture durable et on pourra accueillir du monde pour parler de la transition.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire... Alors le terme, c'est tu es une NIMA, donc non-issue du milieu agricole. Et donc vous vous êtes lancée dans l'agriculture. Et justement, ce passage, comment vous l'avez franchi et quelles ont été les difficultés ?

  • Hélène

    Donc effectivement, se lancer dans l'agriculture quand on ne vient pas du milieu, ce n'est pas facile parce qu'on avait quand même des grosses étiquettes de Parisiens collées sur nos têtes. On l'a fait progressivement. On a mis déjà un an et demi à monter le projet. rencontrer des agriculteurs, rencontrer la chambre d'agriculture, rencontrer des experts sur ce sujet. Ce qui nous intéressait, c'est de savoir comment l'agriculture et le maraîchage pouvaient être rentables, parce que c'est quand même des activités très difficiles sur le plan économique. À un moment donné, on s'est lancé. Il fallait se lancer, donc on a un peu brûlé nos vaisseaux et on s'est dit on y va. Je pense qu'on était un peu fous à l'époque.

  • Eric

    Faut être fou, de toute façon, pour lancer un projet.

  • Hélène

    Surtout qu'on n'avait pas vraiment mis les mains dans la terre, on s'est lancé un peu comme ça. Moi je me souviens de la première fois où j'ai mis les mains dans la terre, où je suis allé aider un agriculteur qui avait besoin d'un coup de main, et je me suis dit, puisqu'on a décidé de faire ça, on va y aller quoi. J'ai eu une drôle de sensation, j'ai eu la sensation que c'était la première fois de ma vie que je travaillais. C'est hyper bizarre, parce que moi j'étais entrepreneur toute ma vie, je suis plutôt habitué à des journées longues, travailler le week-end, le soir, un peu non-stop. J'ai eu cette sensation très bizarre que mettre les mains dans la terre, c'était du vrai travail. Et ça m'a vraiment confortée dans ce choix.

  • Eric

    Le regard des agriculteurs qui, eux, sont nés dans la terre, en fait, par rapport justement à des nouveaux venus, est-ce qu'il est bienveillant ? Est-ce qu'il y a de la méfiance ? Ou est-ce qu'ils vous regardent en disant, bon, ils vont se planter ? Quel est ce regard ?

  • Hélène

    Alors, évidemment, il y a eu beaucoup de méfiance, je pense, parce que Je pense qu'ils ont attendu de voir et puis au bout d'un an ça marchait, on a sorti nos premiers légumes. Donc là, on a commencé à être un peu crédibles. Moi, j'ai eu beaucoup de mal à aller voir les autres agriculteurs parce que je pense que j'avais un petit sentiment d'imposteur. Et je me souviens, au bout de peut-être six mois, huit mois, on a rencontré un voisin, agriculteur bio. Et Karine, elle m'a dit, mais Hélène, on n'est pas concurrent en fait. Dans le bio, on soutient. On travaille ensemble, on coopère, on se rend des services. Et voilà, donc ça m'a fait beaucoup de bien. Et je me suis rendu compte qu'effectivement, notamment dans le monde du bio, qui est quand même un monde assez petit, il y a beaucoup d'entraide. Et donc, on a été assez bien acceptés assez vite, finalement.

  • Eric

    Alors, on va aller en profondeur sur l'activité de maraîchage. Mais pour aller en profondeur, on va aborder ça sous l'angle de la feuille de route de la CEC et aussi de l'aventure de la CEC. Est-ce que tu peux nous dire qu'est-ce qui t'a pris de te lancer dans la CEC ? Est-ce que tu peux nous dire un peu qu'est-ce qui s'est passé au début de l'aventure ?

  • Hélène

    J'ai vu un post sur LinkedIn, je crois, qui parlait de entreprise et climat. Et je me suis dit, ça, c'est pour nous, parce que c'est vraiment nous. On voulait créer une entreprise qui a un impact sur la transition écologique, sur le climat. Je suis un peu allée sans trop réfléchir. Je pense que j'ai été une des premières participantes à m'inscrire. Et ça a été un parcours assez incroyable. Moi, j'y allais un peu confiante en me disant « Bon, nous, on est quand même plutôt des bons élèves. On est une entreprise sociale, on est une entreprise d'insertion, on fait de l'agriculture bio, on est déjà hyper engagés. » Je n'y allais pas forcément pour apprendre des choses, mais plutôt pour contribuer. Et puis, comme tous les participants, je me suis pris ma claque. Et ça, je ne m'y attendais vraiment pas. Je ne m'attendais pas que ça allait autant détonner sur moi et autant me faire bouger et autant me faire prendre conscience que finalement, le chemin à parcourir était encore très, très long et qu'il y avait encore beaucoup de marches à franchir. L'autre particularité, c'est qu'on avait une fille qui, à l'époque, avait 16 ans et était très engagée dans la transition. Et donc... On a demandé à Margot d'être notre planète championne. Donc elle était vraiment la Benjamin, je pense, de l'écosystème CEC.

  • Eric

    Il y avait quelques couples en fait dans la CEC et Mère-Fille, c'était aussi la seule configuration. On s'en souvient et notamment Margot a fait un témoignage incroyable à la fin de la CEC, à toute fin, qui avait demandé à tous les entrepreneurs et dirigeants dans la salle de vraiment tenir leurs engagements. C'est intergénérationnel, ça transmet la fibre de l'engagement. Est-ce que sur la partie de la feuille de route, comme vous étiez déjà fortement engagé, quelles ont été peut-être les deux, trois grandes idées qui ont permis de rehausser la feuille de route de Village Potager ?

  • Hélène

    Déjà, tout simplement, on a fait notre bilan carbone. Moi, ça m'a sauté aux yeux en me disant comment ça se fait qu'on n'ait pas fait notre bilan carbone ? On l'a fait assez vite après la CEC. Ça nous a ouvert pas mal de pistes et d'idées, mis en avant des choses qu'on pouvait faire mieux, que ce soit dans la logistique décarbonée, dans l'énergie décarbonée. Et puis surtout, ça nous a remis en avant, ça a remis l'impact au sommet de la pile. En fait, je me suis rendu compte que finalement, On parlait beaucoup des billes d'art, mais pas tellement d'impact. On était un peu la tête dans le guidon de construire cette PME. J'en ai beaucoup parlé avec Étienne et on s'est dit, mais oui, l'impact, c'est ce qu'on veut faire. Il ne faut pas qu'on oublie ça, il faut vraiment qu'on le remette au sommet de la pile. Et notamment, notre envie, c'est vraiment que le lieu, il l'incarne et qu'on puisse vraiment incarner la transition. Et on passait beaucoup de temps sur le savoir-faire, le savoir-faire agricole. Et dans la feuille de route, on a mis beaucoup le faire savoir, c'est-à-dire inspirer et s'aimer pour que ce qu'on a vécu, ce qu'on vit au sein du village potager puisse servir au plus grand nombre.

  • Eric

    Est-ce que le concept et le schéma de viser la régénération, c'est quelque chose aussi qui vous a fait réfléchir, qui a pu avoir des inflexions sur vos actions, sur aussi votre vision ?

  • Hélène

    Nous, dès le départ, on voulait mettre en œuvre une agriculture durable. On parlait beaucoup d'agroécologie, donc l'agriculture bio, c'est-à-dire d'être conforme au cahier des charges, être certifié agriculture bio, c'est vraiment la ligne rouge qu'on ne voulait pas dépasser, mais on voulait aller beaucoup plus loin, préserver les sols, préserver la biodiversité. Donc dès le départ, c'est ce qu'on avait inscrit dans l'ADN du village potager et de nos pratiques agricoles. On a commencé à cultiver et puis quatre ans après... On a refait des analyses de sol et on s'est aperçu, boum, en fait, on a dégradé nos sols. Donc, on s'est dit, ah zut, il faut qu'on aille encore plus loin, il faut qu'on nourrisse plus nos sols, il faut qu'on revoie nos pratiques. Voilà, donc la régénération, c'est quelque chose qu'on apprend au fur et à mesure. Et petit à petit, on développe des techniques agricoles qui sont de plus en plus pointues et performantes sur ces questions de régénération.

  • Eric

    Donc ça veut dire que même en suivant tous les cahiers des charges du bio, on peut, d'année en année... dégrader la qualité organique des sols.

  • Hélène

    Il y a deux grandes orientations en agriculture durable. Il y a l'agriculture bio, qui est surtout axée sur les pesticides, donc interdiction d'utiliser des pesticides de synthèse. Et puis, le deuxième grand point, c'est l'agriculture de conservation, c'est-à-dire qui est plus axée sur la conservation des sols, le fait d'avoir le sol toujours découvert végétaux, mais dans lequel les agriculteurs continuent d'utiliser des pesticides. Nous, ce qu'on fait au village potager, c'est le meilleur des deux mondes. C'est de l'agriculture biologique de conservation, où à la fois on n'utilise pas de pesticides et on préserve les sols. Donc pas ou peu de labours, un travail du sol minimal, c'est des choses qui sont aussi hyper importantes.

  • Eric

    On va en profiter, puisqu'on va parler de cette agriculture biologique de conservation. Pour parler de la position que tu as pu prendre, toi, en tant qu'agricultrice maraîchère, sur la loi Duplomb. Puisqu'il y a eu cette pétition qui est arrivée au cours de l'été contre la loi du plomb, qui a été signée par plus de 2 millions de Français. Et donc tu as pris position à ce moment-là. Finalement, pourquoi as-tu souhaité prendre position ? Et tu t'es exprimée sur les réseaux sociaux aussi. Et pourquoi as-tu souhaité le faire ?

  • Hélène

    J'ai toujours considéré que cette loi, c'était une loi à l'envers, en fait. qui était à l'envers de ce qu'il faut faire, puisque réduire les pesticides, ça me semble une évidence pour des tas de raisons que tout le monde comprend assez vite. Ça me semblait important de le faire en tant qu'agricultrice, puisqu'on avait l'impression que cette loi, elle fédérait tous les agriculteurs et j'avais envie de dire non. Il y a certains agriculteurs qui sont pour les pesticides et pour cette loi, mais il y en a d'autres aussi qui sont contre et qui arrivent, qui arrivent à cultiver san pesticide avec des bons rendements. Donc il fallait le faire savoir. Et quand je me suis exprimée sur les réseaux sociaux, j'ai été étonnée de recevoir plusieurs messages de gens qui disaient « Ah, ça fait du bien de se rendre compte qu'il y a des agriculteurs qui sont contre cette loi Duplomb aussi. »

  • Eric

    Et est-ce que tu as eu des réactions négatives aussi ? Puisqu'on sait qu'elle polarise énormément. Est-ce que tu peux comprendre ou dialoguer avec, je dirais, le camp d'en face des gens qui ont voté ou qui ont souhaité qu'elle soit votée ?

  • Hélène

    Alors moi, je n'ai pas eu de réaction négative. Je l'ai craind un peu, mais finalement, tout s'est bien passé. L'agriculture, elle est en phase de grands changements. Il me semble que tous les agriculteurs le savent et savent qu'il faut mettre en place des pratiques un peu différentes. Ça commence dès les formations agricoles, en fait, de proposer d'autres schémas. C'est une transition qui pourra se faire, très largement accompagnée par les pouvoirs publics.

  • Eric

    Alors justement, en regardant un peu en profondeur ce projet du village potager. On a l'impression qu'il arrive à cocher toutes les cases, puisque tu parles d'une agriculture biologique qui respecte les normes aussi de conservation, donc qui vont améliorer les sols d'année en année. Alors tu peux nous dire peut-être, est-ce qu'au niveau économique, malgré ce jeu de contraintes, est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé ce triangle entre l'impact social, écologique et économique ?

  • Hélène

    On est sur le bon chemin. On n'est pas encore arrivé, on n'a pas encore passé la ligne d'arrivée, mais en tout cas, on est sur le bon chemin. C'est vrai que c'est très difficile, que l'agriculture, enfin globalement le maraîchage, c'est une activité à très faible marge, qu'il y a de plus en plus d'aléas. Malgré tout, on est de plus en plus confrontés au changement climatique, qu'on vit vraiment dans nos chairs, nous, quand on est sur le terrain. Quand on a démarré en 2018, on pensait que c'était un boulevard, qu'enfin les gens allaient comprendre que manger sainement, c'était bien, qu'il y avait des super impacts sur la santé, sur les territoires. Et c'est vrai qu'avec le Covid et la crise du pouvoir d'achat, ça peine un peu plus en ce moment. Donc c'est un petit peu plus difficile que ce qu'on imaginait quand on a démarré. Mais malgré tout, on est sur le bon chemin et d'année en année, on progresse. Et donc l'année dernière, on a été rentable. Cette année, ça se présente plutôt bien. Les récoltes sont très prometteuses.

  • Eric

    On fait toujours attention dans l'agriculture parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.

  • Hélène

    Donc on pense qu'on est sur le bon chemin et qu'on voit la ligne d'arrivée avec plaisir.

  • Eric

    Est-ce que ça veut dire que ce modèle du village potager, vous pourriez soit l'exporter, soit partager aussi ce modèle avec d'autres entrepreneurs ? Est-ce que vous pourriez vous fédérer pour essayer d'être plus fort dans un réseau ou quelque chose ?

  • Hélène

    Ça, c'est la grande phase 2 du village potager. La phase 1, c'était vraiment ce qu'on est en train de faire. C'était vraiment de construire le modèle, d'avoir un lieu, un site pilote qui fonctionne et qui tourne bien. 2025, c'est une année importante pour nous parce qu'on arrive au taquet en termes de surface. D'année en année, entre 2018 et 2025, on a à chaque fois agrandi les surfaces, cherché des nouveaux clients. Là, on arrive à nos 17 hectares et on n'ira pas plus loin. Donc, on va pouvoir maintenant passer à cette deuxième phase. Et effectivement, l'envie d'essaimer, elle est forte parce qu'on a fait ça pour ça, pour trouver des nouveaux modèles, changer les choses. Et donc, on a très envie d'essaimer. On ne sait pas encore comment, il y a plein de façons différentes, mais ce sera un grand projet pour l'année prochaine, c'est sûr.

  • Eric

    Tu peux compter sur le soutien de la CEC, puisqu'on a lancé un parcours aussi agri-agro, avec 65 entreprises, et donc certaines seront sans doute intéressées de venir travailler avec toi.

  • Hélène

    Avec plaisir.

  • Eric

    Alors, tu as mentionné les effets du changement climatique, et peut-être, je ne sais pas, le stress hydrique que vous pouvez avoir. Très concrètement ? Est-ce que tu peux nous dire, vous dites que vous le ressentez, ce serait quoi ces sensations que vous avez, où vous sentez qu'il y a quelque chose qui change ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est très concret, c'est le nombre de journées canicules. Alors nous, dès qu'il fait plus de 30 degrés, on change les horaires typiquement pour que les équipes commencent beaucoup plus tôt. On a tout un process aussi vis-à-vis des légumes pour mieux arroser, plus arroser. Donc le nombre de journées canicules, on le compte. Et en 2018, il y en a eu cinq. Et d'année en année, On voit ce nombre de journées qui augmente. Cette année, je crois qu'il y en a eu plus de 25. Donc ça, c'est très concret. Et puis, il y a aussi l'impact sur les légumes, parce que quand il fait très chaud, typiquement, les fleurs de tomate fondent. Donc, s'il n'y a pas de fleurs, il n'y a plus de tomate. Donc ça aussi, il y a des impacts très concrets sur la productivité et les rendements de certains légumes.

  • Eric

    Et au niveau de l'eau, vous n'avez pas trop de soucis sur l'eau, justement, qui peut devenir une denrée rare dans certains territoires ?

  • Hélène

    Pour l'instant, on n'a pas de problème d'eau. On est sur une nappe, la nappe de Beauce, qui n'a pas eu trop de problèmes. On s'est quand même beaucoup adapté. Par exemple, on a mis en place des systèmes d'irrigation qui sont pilotés. Donc, on peut irriguer la nuit. Il y a eu certaines années où on a eu des restrictions d'irrigation de jour. Et on a pu continuer à irriguer nos légumes la nuit avec ces systèmes automatisés.

  • Eric

    Donc est-ce que tu peux nous parler de tes clients, de ta distribution et de la valeur perçue sur vos 160 variétés de légumes ? par rapport à d'autres qui seraient plus produits de manière industrielle.

  • Hélène

    On a un circuit de distribution qui est très diversifié, c'est ce qui nous permet d'être robustes. Donc vraiment, les premières filières de distribution sont nos AMAP. Donc on distribue 9 AMAP, principalement à Paris et en première couronne. On a aussi les marchés, la boutique à la ferme et les marchés locaux, des distributeurs engagés, c'est-à-dire des boutiques qui veulent s'approvisionner en direct producteur. Et puis un circuit long avec la coopérative Bio d'Île-de-France.

  • Eric

    Et est-ce que tu sens qu'il y a une valorisation ? Parce qu'en gros, tu arrives à vendre vos légumes plus cher ou finalement non, les gens veulent du bio, mais au même prix que le non-bio ?

  • Hélène

    C'est un peu les deux. Déjà, quand on est en circuit court, en vente directe, on garde toute la valeur pour nous. Donc ça, c'est bien. Dès qu'on est distribué, forcément, la marge part un peu aussi chez le distributeur. Donc c'est pas tellement une négo en fait, c'est une discussion avec nos distributeurs. Et en fait ça marche avec des distributeurs qui savent entendre ça, avec qui on peut avoir des discussions saines sur, voilà, nous notre prix plancher c'est ça, toi ton prix c'est quoi, et on peut discuter. Et sur certains légumes ça marche pas, et puis d'autres ça marche. Juste sur la valeur, indépendamment de la valeur financière, moi j'ai une anecdote, un truc qui m'a hyper touché il y a quelques années. On venait de démarrer... On venait d'ouvrir la boutique à la ferme et il y a une dame qui m'a interpellée sur le parking en me disant « Ah Hélène, merci, vos légumes ils sont bons, mais ils font aussi du bien à ma tête. » Et ça, ça m'a vraiment hyper touchée. Et je me suis dit « Ouah, mais en fait, moi je pensais que je faisais des carottes, des courgettes et des patates, mais en fait non, on ne vend pas que des légumes en fait. Je pense que quand on vend des légumes en circuit court, que les consommateurs connaissent le producteur. Qu'ils sont allés à la ferme, qu'ils ont mis les mains dans la terre, qui savent que ça a été produit avec « amour » . Ça change plein de choses. C'est une partie de la valeur qu'on distribue et c'est très fort dans le sens qu'on donne à ce métier.

  • Eric

    Mais c'est vrai, si on dézoome sur le secteur, qu'on a quand même l'impression qu'il y a une dissonance, qu'on a tous en tant que citoyens consommateurs. Oui, on voudrait des produits qui sont meilleurs à la santé, qui sont mieux produits, mais... finalement on consacre une toute petite partie, c'est 13% maintenant, c'est trois fois moins que dans l'après-guerre, à notre budget pour l'alimentation. Et ça, ça met en difficulté les agriculteurs qui mettent de l'amour et qui essayent de produire un légume avec plus que simplement le produire. Est-ce que là tu penses qu'il y a un chemin pour revaloriser et que cet exemple que tu nous donnais tout à l'heure puisse se diffuser un peu plus largement dans la société ? Et que donc on ait un cercle vertueux pour les agriculteurs qui soient mieux rémunérés quand ils font des produits de meilleure qualité.

  • Hélène

    Alors il y a une étude qui est un petit peu ancienne, mais qui montre la corrélation entre le fait de manger bio et de faire des économies dans son panier d'achat de nourriture. Alors ça paraît étonnant parce que les aliments bio, ils ont la réputation d'être un petit peu plus chers que les autres, même si ça a tendance à diminuer. Alors comment on explique ça ? C'est parce que ceux qui mangent bio, souvent, ils mangent aussi plus local. Peut-être qu'ils cuisinent un peu plus, qu'ils achètent des produits de saison. Peut-être qu'ils vont réduire un petit peu leur consommation de viande. Bref, tout ça fait qu'on fait des économies sur son budget nourriture quand on s'engage dans un chemin un peu plus vertueux sur le choix de ses aliments. Il faut que l'État nous aide là-dessus à montrer les bénéfices de l'agriculture bio, d'une alimentation saine, montrer qu'on peut mettre quelques euros de plus pour acheter ces légumes et montrer tous les bénéfices qu'il y a derrière.

  • Eric

    Et tu nous parles des légumes de saison, et moi c'est vraiment une question que je me pose souvent, donc tu vas pouvoir m'éclairer, c'est finalement la nature, on ne peut pas trop la programmer. Donc vous plantez, mais vous ne savez pas exactement quand va arriver la récolte. Comment vous faites quand il y a une grosse récolte qui arrive et comment vous gérez la distribution, la logistique par rapport à une production qui est difficile à planifier ?

  • Hélène

    Alors ça, c'est une question très concrète puisque en ce moment, nos courges sont arrivées avec un mois d'avance. D'habitude, on les récolte début octobre. Là, on est en train de les récolter mi-septembre et on a des rendements de folie. C'est-à-dire qu'on attendait 35 tonnes de courges, on va en faire 50. Et donc là, c'est un peu le grand bazar au village potager. On ne sait pas où les stocker, on ne sait pas à qui les vendre.

  • Eric

    Oui, et là, en septembre, on n'a pas encore repris l'habitude de l'hiver et de cuisiner des courges.

  • Hélène

    Exactement. Donc, on est en train de modifier nos plannings. C'est vrai que c'est un métier qui demande beaucoup de réactivité. On a tout le temps trop de légumes, pas assez de clients, ou trop de clients, pas assez de légumes. Mais ça, ça fait vraiment partie du métier. Quand on fait du frais et de l'ultra frais et en circuit court. L'autre moment où on a souvent des surproductions, c'est en août. Puisqu'en août, c'est vraiment la pleine, pleine production des tomates, des concombres, des courgettes, etc. Et nos clients sont partis en vacances. Voilà, donc là, on donne beaucoup. On est en lien avec des associations et on fait beaucoup de dons. C'est un truc qu'on est assez fier, puisque ça permet à des tas de gens de profiter d'une agriculture saine. Et ça donne beaucoup de sens aussi à nos équipes de ne pas jeter. Évidemment, nous, quand on jette des légumes, c'est vraiment la catastrophe.

  • Eric

    J'aimerais bien qu'on parle un peu des équipes, puisque tu parlais que c'est un projet aussi de réinsertion, en tout cas avec une dimension sociale aussi. Et donc, parle-nous des équipes du village potager.

  • Hélène

    Déjà, c'est un métier absolument incroyable, le maraîchage. Nous quand on a démarré, Moi j'ai lu des bouquins, avant qu'on démarre, j'ai lu des bouquins sur des gens qui s'étaient reconvertis en maraîchage et qui racontaient à quel point ça prenait aux tripes. Et moi je me souviens de ma réaction d'ingénieur qui pensait « Ouais enfin bon, faut pas exagérer, c'est que des légumes » . Eh ben non. Et d'année en année, on a cette magie au printemps de la nature qui se régénère, des légumes qui se remettent à pousser, de tout ce foisonnement de vie. Et c'est Noël tous les ans, au printemps. Et ça, ça m'en lasse pas. Et donc, nos équipes, il y a beaucoup de gens qui se sont reconvertis et qui ont aussi senti, comme nous, ce besoin de travailler la terre. Après, c'est des métiers qui sont hyper diversifiés. On fait un peu tout, parce que quand on est maraîcher bio, on fait de la technique, on fait de la planification, on fait de la préparation de commandes, on fait de la livraison, on fait de la vente. Donc, on a plein, plein de métiers différents. Et chaque personne est un petit peu polyvalente, parce qu'on reste une PME. on a besoin que les gens soient polyvalents. Et je pense que c'est aussi ce qui intéresse les gens, c'est de voir ce cycle et d'aller du champ à l'assiette. Donc on est effectivement entreprise d'insertion, donc on accueille des gens qui sont une problématique sociale à résoudre ou qui sont débutants dans le métier. Et on a beaucoup de formations, on les accompagne dans la montée en compétences du maraîchage et la plupart restent dans ce métier au-delà de leur parcours d'insertion chez nous. Donc ça, ça nous fait vraiment plaisir. On se rend compte à quel point c'est un métier qui fait du bien. Parce que travailler la terre, ça fait vraiment du bien.

  • Eric

    Ce que tu disais au tout début, finalement, c'est du vrai travail. Justement, ça m'amène sur cette question de sensibilisation, puisque le village potager, c'est un lieu ouvert. Vous avez donc des gens qui peuvent venir en séminaire. Comment tu vois cette fonction sensibilisation ? Est-ce qu'elle est aussi importante que le projet ? Et comment tu vois cette évolution ? Est-ce que ça se passe bien ou est-ce que vous avez de plus en plus de demandes ? Quel est ton message ?

  • Hélène

    Moi, sur la sensibilisation, je suis toujours hyper étonnée de l'impact que ça a de faire visiter la ferme. Nous, quand on a des entreprises en séminaire, on leur propose d'aller visiter les champs. Moi, je me souviendrai toujours la première fois que je l'ai fait. C'était une grosse boîte de la tech et je me suis dit, oh là là, je vais me prendre un vent, mes courgettes, ils n'en ont rien à foutre en fait. Eh bien, pas du tout. Et à chaque fois que je fais visiter un groupe, il y a une espèce de magie qui s'opère. Je pense qu'ils sont étonnés, ils posent plein de questions. Alors il y en a un qui va parler des vacances avec son grand-père quand il était petit. Il y en a toujours un qui a vu le film Demain et ça l'a inspiré. Un troisième va parler de permaculture parce que c'est un concept qui interroge. Il y a toujours un avant et après la visite, en fait.

  • Eric

    Oui, et ça marche à tous les coups.

  • Hélène

    Et ça marche à tous les coups. Et c'est magique, en fait. Et on sent qu'il y a un besoin de reconnexion à la terre, mais aussi à une espèce d'authenticité, de simplicité. L'agriculture, la terre nous apporte ça, en fait. Et moi, je suis toujours étonnée même de les voir entre eux. Ils sont un peu différents après la visite. Comme s'ils avaient un peu posé leur valise.

  • Eric

    Est-ce que tu peux nous dire un peu plus ou donner plus d'exemples ? sur ce moment de sensibilisation, de reconnexion collectif qui peut se passer chez vous.

  • Hélène

    Alors déjà, les entreprises qui viennent en séminaire chez nous, elles privatisent le lieu. Donc elles sont chez elles. En fait, elles sont dans une grande maison qui est immergée dans un parc avec des arbres incroyables, au milieu d'une forêt incroyable. Donc il y a déjà cet environnement de nature un peu brut, un peu foisonnant, qui libère un peu et qui favorise la créativité, qui favorise des liens authentiques entre les gens. Après, celles qui le souhaitent peuvent effectivement plus s'intéresser à la ferme. Donc on propose une activité de visite, on propose une activité de cueillette, où ils partent pendant une paire d'heures avec un maraîcher récolter des légumes qu'ils remportent chez eux, donc c'est vraiment sympa. Et puis il y a aussi naturellement ce mix en fait, parce que les tracteurs sont à côté, les maraîchers viennent, on est tous habillés en bottes, les maraîchers mangent à côté. Voilà, donc j'aime bien aussi ce mélange en fait. Je pense que quand on est une boîte parisienne, ou en tout cas... qui travaille dans des grandes villes, ça fait du bien de s'extraire un peu. C'est un vrai pas de côté, en fait. Un vrai lieu différent où on peut s'autoriser à penser différemment et donc à être plus créatif en équipe.

  • Eric

    Alors, ça nous amène sur des questions autour du futur de l'agriculture, futur aussi de la relation des citoyens, des Français, surtout les urbains, par rapport au monde agricole. Il y a beaucoup de tensions, actuellement. Quelle est peut-être ta vision d'espoir par rapport à ce que vous avez initié vous-même dans votre projet, et que ce projet, il soit éclaireur, et qu'il y ait un mouvement peut-être de plus grande ampleur vers une reconnexion, une réconciliation quelque part des citoyens avec leur agriculture et leurs agriculteurs.

  • Hélène

    Alors ça, c'est hyper important que ces demandes se parlent. Les AMAP servent à ça aussi, le circuit court, ça sert à ça. On m'a parlé d'une nouvelle maladie qui, paraît-il, apparaît, et qui s'appelle le syndrome du manque de nature. Les médecins alertent sur le fait qu'on a besoin de nature. Tout le monde a besoin de nature. Que la nature, elle a un impact hyper positif sur notre bien-être, sur notre santé. Donc ça peut passer par l'assiette. quand on achète des bons légumes, et ça passe aussi par des balades en forêt, par des rencontres avec des agriculteurs, par des visites à la ferme. Et c'est vrai qu'on a besoin de ça. Il faudrait développer des visites pour les enfants, par exemple, et plus de moments d'échange, que les fermes aussi aient plus de moments où elles ouvrent leurs portes. Mais c'est tellement important, et je pense qu'on n'arrivera pas à réconcilier les gens déjà s'ils ne connaissent pas la nature, s'ils ne connaissent pas la ferme, s'ils ne connaissent pas euh Et moi, je suis tellement émerveillée par l'impact que ça a quand on accueille des gens, qu'on leur fait simplement visiter les champs. C'est tout le temps magique. C'est incroyable.

  • Eric

    Du côté du bio, du côté de la restauration des sols, aujourd'hui, quelle serait ton estimation de ce que ça représente aujourd'hui de l'agriculture en France, en termes de surface cultivée ? Est-ce que c'est 2%, 5%, 10%, 15% ? Et est-ce que tu vois une perspective que ça se généralise ? Et comment ça pourrait se généraliser ?

  • Hélène

    Je n'ai pas les chiffres exacts, mais ce n'est pas un gros pourcentage d'agriculture bio, malheureusement. Même si ça continue à progresser, doucement, trop doucement. Il y a quelques initiatives qui commencent à émerger, qui pourraient favoriser les choses et qu'il faudrait favoriser. La première initiative, c'est les PSE, les paiements pour services environnementaux. C'est le fait de rémunérer les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Très concrètement, en agriculture bio, il n'y a pas de pesticides de synthèse, donc on préserve la qualité des nappes phréatiques. Donc derrière cette préservation de l'eau, il y a moins de dépollution à faire pour avoir de l'eau potable. Donc typiquement, ça c'est des services qui aujourd'hui ne sont pas rémunérés, alors qu'ils sont concrètement faits par les agriculteurs qui mettent en place des pratiques vertueuses. Donc il y a l'eau, mais il y a aussi la préservation de la biodiversité, la préservation des paysages. Il y a beaucoup de services qui devraient être rémunérés et qui pourraient favoriser le passage à l'acte et le passage à une agriculture plus durable. Le deuxième sujet qui mériterait aussi d'être développé, c'est la sécurité sociale de l'alimentation. Il y a quelques expérimentations à droite à gauche, mais il faut que ça se développe en fait. On pourrait imaginer d'avoir un cercle vertueux où on favorise le déploiement d'une alimentation plus saine et ça permet à des agriculteurs d'avoir des revenus plus sécurisés et donc d'être plus confiants dans l'avenir.

  • Eric

    Oui, parce que bien s'alimenter, ça diminue les coûts de santé.

  • Hélène

    Exactement. Voilà, donc ça, c'est deux initiatives qui sont balbutiantes aujourd'hui et qui mériteraient d'être développées, si on veut, développer cette agriculture régénérative.

  • Eric

    Génial, tu me fais une super transition sur une question. On va tout doucement vers la fin de cet épisode. Nous, on parle beaucoup d'économie régénérative à la CEC. mais je pense que là, on est plutôt sur l'agriculture régénérative. C'est souvent difficile de décrire ce concept, c'est complexe, ça embarque beaucoup de choses, la régénération, le social, l'écologie, les limites planétaires. Et donc, l'exercice, c'est d'essayer de dire en quelques phrases à une enfant de 10 ans, si tu avais à lui dire l'agriculture régénérative à une enfant de 10 ans, c'est quoi ?

  • Hélène

    l'agriculture régénérative. C'est une agriculture qui préserve les insectes, préserve la biodiversité, qui préserve la nature d'une manière générale, qui fait en sorte que la nature reste belle, peut-être.

  • Eric

    Merci beaucoup. Alors peut-être une toute dernière question. Justement, par rapport aux générations futures, qui parfois sont désemparées ou très inquiètes sur leur futur, quel message tu aurais envie de leur faire passer sur ce qui vient, ce qui est à venir, et aussi sur ces nouvelles générations, sur leur reconnexion à la nature et éventuellement à devenir agriculteurs ?

  • Hélène

    Alors en agriculteur, il y a des sujets de reprise, oui. Il y a beaucoup d'agriculteurs qui font partir à la retraite, donc c'est un vrai sujet en fait, qu'il y ait une nouvelle génération d'agriculteurs qui s'installent. Moi j'ai envie de leur dire que c'est un métier passionnant, que c'est un métier hyper concret, qui est concret, moi j'aime bien ça, cet aspect très concret qui est vraiment au cœur du vivant. Et on a besoin d'entrepreneurs, on a besoin de gens qui ont une vision un peu globale de l'entreprise. Parce que ça reste un métier quand même difficile, qui a plein de challenges à faire et qui est très valorisant parce qu'on est au cœur du quotidien des gens. On est au cœur de l'alimentation, on est au cœur de la nature. Voilà, j'appelle tous ceux qui sont intéressés à venir visiter des fermes, en savoir un peu plus et monter des projets.

  • Eric

    Merci beaucoup Hélène, justement, pour cet appel aux nouvelles générations. Effectivement, il y a des dizaines de milliers de fermes qui vont être à reprendre dans les dix années qui viennent. Donc, on a besoin que la nouvelle génération arrive avec une nouvelle approche. Donc, merci pour cette conversation. Moi, j'ai retenu cette phrase qui m'a vraiment marqué. Tu as dit, c'est Noël tous les ans au printemps quand on travaille avec la terre. Donc, merci beaucoup, Hélène, pour le courage de tout ce que tu as fait et que tu continues de faire. Pour l'authenticité, tu nous as parlé à cœur ouvert et puis le pragmatisme c'était hyper concret et je crois qu'on a tous un peu mieux compris ce que c'était vraiment que l'agriculture donc en route pour le Cap Regen. Merci à toi aussi. J'espère que cet épisode vous a inspiré si c'est le cas, vous pouvez nous aider en laissant un avis sur votre plateforme d'écoute et en partageant l'épisode autour de vous. Vous contribuerez ainsi à rendre irrésistible la bascule vers l'économie régénérative. Merci.

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