- Magaly
C'est un de mes role model que je suis depuis longtemps parce que j'admire son engagement sans faille. Aujourd'hui, je reçois Saïd Hammouche qui est le fondateur du groupe Mosaïk RH et qui va nous parler diversité et inclusion sans langue de bois. Alors pour tous ceux qui ont envie d'un monde plus divers, et c'est le mot de cet épisode, je vous souhaite une très bonne écoute. Bonjour Saïd.
- Saïd Hammouche
Bonjour.
- Magaly
Saïd, je suis très heureuse de te recevoir aujourd'hui. Est-ce que déjà, pour ceux qui ne te connaîtraient pas, tu veux bien nous raconter un peu ton parcours ?
- Saïd Hammouche
Avec grand plaisir. Alors merci Magaly pour cette petite oreille attentive donc moi je suis un ancien fonctionnaire du ministère de l'éducation nationale qui s'occupait de formation continue puisque l'éducation nationale a aussi une branche qui s'occupe de la formation professionnelle et de la formation continue, j'ai passé cinq ans, j'ai été titulaire et j'ai décidé finalement de lancer une initiative au moment où Claude Bébéar a commencé à évoquer les questions de diversité en entreprise, ça a été suite à un rapport de Yazid Sabeg de l'Institut Montaigne qui mettait en évidence qu'il n'y avait pas forcément une égalité des chances au pays de la méritocratie. Et donc à partir de là, moi ayant grandi et vivant d'ailleurs toujours en Seine-Saint-Denis, à Bondy, connaissant les atouts de ces territoires, les fragilités, les faiblesses, mais surtout les atouts, qu'il y avait avec une formation RH après avoir passé un an en tant que conseiller emploi dans une mission locale à Aulnay-sous-Bois. Je m'étais dit qu'il y avait probablement quelque chose à faire avec toutes ces entreprises qui allaient signer ou qui avaient signé la charte de la diversité sous l'impulsion de Claude Bébéar. Et en fait, ça n'a pas tellement raté. J'avais constitué un petit groupe de potes. On était tous insérés professionnellement. On avait tous soit eu une expérience dans le recrutement, soit dans la formation, soit dans le conseil RH. Et donc, on s'est constitué en bénévoles. Et on a été rencontrer ces entreprises en leur disant « Est-ce que ça vous intéresserait de rencontrer des candidats que vous n'avez pas l'habitude de voir, qui sont aujourd'hui bluffants, qui n'ont qu'une envie, c'est de réussir professionnellement, qui sont en fait des acharnés du travail et qui ne sont pas aujourd'hui dans vos processus de recrutement ? ». Et en partant de ce principe-là, on a eu des entreprises qui ont dit « Ok, chiche, on y va ». On a eu des profils de poste. Des discussions très intéressantes qui se sont installées avec des recruteurs. Et les premières missions de recrutement qu'on a organisées avec simplement, finalement, notre énergie, notre réseau. Puisqu'on connaissait pas mal de jeunes qui étaient issus des quartiers populaires. Et puis, il y a un niveau de satisfaction qui était plutôt intéressant. Puisqu'en écoutant et en respectant les besoins d'une entreprise, on augmente évidemment les chances de satisfaire le recruteur. Et c'est un peu comme ça qu'on est parti. De fil en aiguille, j'ai quitté l'éducation nationale, j'ai monté un cabinet, on a recruté une équipe, on a professionnalisé, on a créé une structure. Cette structure associative est devenue une entreprise à mission. Et comme on est très à cheval sur la volonté d'apporter une solution qui a pour vocation de lutter contre les discriminations à l'emploi et de garantir cette notion de chômage à éradiquer, on a décidé d'avoir à côté de cette entreprise à mission toujours une fondation qui militait sur cette vision, de ce que doit être la France. Et puis une fondation qui détient 100% des parts de cette entreprise à mission pour pouvoir justement faire remonter les résultats et financer des parcours d'information sur des métiers, des parcours de recrutement, organiser des sommets de l'inclusion économique chaque année avec le ministère de l'Économie. Donc créer à la fois une dynamique d'information et de sensibilisation de notre écosystème sur ces enjeux et réaliser des opérations très concrètes avec un cabinet conseil qui fait pas que du recrutement maintenant, mais aussi un peu de conseil en stratégie diversité, conseil en organisation, audit des processus RH, capacité à accompagner aujourd'hui des équipes à la mise en place de plans d'action. Donc, on a développé plein de savoir-faire. C'est passionnant. J'adore mon métier parce que chaque année, on prend des nouveaux chantiers, on découvre des nouveaux sujets. Et tout ce qu'on fait, je pense que c'est vraiment utile aujourd'hui pour cette jeunesse. D'ailleurs, ce n'est pas que des jeunes aujourd'hui, c'est aussi d'autres populations qu'on embarque.
- Magaly
Avant qu'on parle du métier de Mosaïk RH, puisque c'est le nom de ton groupe, quand on s'appelle Saïd, qu'est-ce qui est plus compliqué pour travailler ? Qu'est-ce que toi tu as pu expérimenter, qui t'a renforcé dans cette vision qu'il y avait des publics qui avaient besoin d'un coup de main ?
- Saïd Hammouche
Alors, tu sais, il y a deux éléments qui ont été assez structurants, qui sont des éléments pas formels, pas formalisés, pas très concrets. C'est un élément où tu as une musique quand même, quand tu habites ces territoires, quand tu es enfant issu de l'immigration, qui te dit « fais gaffe parce qu'on t'attend au tournant, ça va être plus difficile pour toi ». Le racisme, c'est quand même un sujet qui existe. Il y aura un regard, regarder des gens qui ne sont pas tout à fait dans la norme, même si tu es né à Paris, tu n'es pas tout à fait français dans la perception des autres. Et donc ça va être toujours compliqué. Donc on grandit avec ça en fait, on est élevé avec ça presque. C'est aussi la raison pour laquelle je prône beaucoup à l'ouverture. C'est-à-dire que si on reste un peu dans sa bulle avec ce type de discours autour de nous, forcément ça tire vers le bas. D'où la nécessité de créer des ponts, de pousser ces jeunes à sortir, à rencontrer des gens différents. C'est pour ça que je crois beaucoup au mentorat, quand un cadre rencontre un jeune et l'accompagne, eh bien, tout de suite, c'est d'autres discussions, c'est élever le niveau de confiance et d'ambition pour l'un et pour l'autre. Donc, il y avait cet élément-là. Et puis après, assez rapidement, quand tu cherches ton premier stage, quand tu es universitaire, eh bien, tu as des expériences que tu ne comprends pas bien, en fait. Tu galères pour avoir des entretiens. Quand tu as tes entretiens, eh bien, moi, j'en ai eu un qui a été assez marquant puisque c'était pour une espèce de cabinet conseil qui accompagnait le secteur de l'hôtellerie. Ils avaient besoin probablement d'un chargé de mission ou d'un assistant pour faire des tâches, gérer des entretiens, faire des contenus, des choses comme ça. Et là, le gars me dit "É coutez, l'entretien se passe bien, vous nous dites que vous parlez anglais, est-ce qu'on peut parler anglais ?". Donc évidemment, j'ai une discussion en anglais, ça continue à bien se passer. Et en anglais, il me dit "Écoutez, on aime bien votre profil, mais si vous appelez Robert, est-ce que ça vous pose un problème ?". Donc c'est le genre de truc qui t'arrive en pleine figure. Toi, tu ne penses qu'à une chose, c'est de réussir à décrocher ton examen. Et pour décrocher ton examen, le stage est obligatoire. Et en fait, tu n'as pas trop d'autres solutions. Donc tu es face à ce dilemme. Évidemment, moi en anglais, je réponds que ça ne pose aucun problème et je réponds positivement. 48 heures plus tard, il m'appelle. Sauf que 48 heures plus tard, j'ai eu en parallèle un autre entretien dans une autre boîte qui me prend, une boîte franco-américaine qui était en pleine évolution. Et là, je me retrouve face à une RRH qui me dit "J'adore votre profil, donc je vous prends, vous commencez la semaine prochaine". Et donc, le mec me rappelle le lendemain, ça m'avait quand même marqué et on le prend pour soi. Et en plus, à l'époque, tu ne parles pas de ces choses-là avec quelqu'un d'autre. Tu le partages encore moins avec tes parents parce que tes parents probablement ne comprennent pas. Pas trop avec tes amis parce que tu te dis, c'est peut-être moi qui ai dit un truc, c'est bizarre. Donc tu n'as pas suffisamment de recul et de maturité pour pouvoir digérer correctement l'information. Et voilà, et donc tu grandis avec plein d'éléments comme ça que tu traiteras petit à petit dans la durée, avec ton âge, avec tes expériences, avec ton niveau de confiance, plus ou moins, qui va se développer. Et petit à petit, tu vas donner des clés de compréhension et de solutions à ces choses-là, donc voilà, c'est plein de signaux comme ça qui sont autour de toi et qui t'alimentent dans une réflexion. Moi je pense qu'il faut toujours avoir une attitude positive, je pense que même dans la pire des situations, il y a des portes de sortie qui permettent de construire et de trouver des solutions apaisantes pour tout le monde, et voilà c'est un peu ma philosophie et donc quand tu crées Mosaïk RH dix ans après, même pas quelques années plus tard tu sais pas pourquoi tu le crées mais en réalité avec du recul tu comprends très vite que ça a été finalement des leviers pour pouvoir développer ton épanouissement personnel et surtout être contributif de problématiques qu'on comprenait parfaitement et sur lesquelles on n'avait pas vu de solution émergée.
- Magaly
Dans ton histoire, moi je trouve qu'il y a quelque chose de touchant, c'est que ce que tu exprimes, finalement c'est toi qui es un peu gêné après. C'est toi qui n'en parles pas à tes copains, c'est-à-dire que ce que tu subis est très clairement une forme d'ostracisme très explicite. Et ce n'est pas ton interlocuteur qui est gêné, c'est toi finalement qui te sens gêné. Et je pense que l'autre émotion possible, c'est la colère aussi. Et donc, c'est quand même des situations dans la vie de tous les jours qui abîment un peu, je suppose. Oui, qui abîment. Alors, ça dépend. Ce que tu dis, toi c'est "Je le prends positivement". Je pense que selon les profils, on le vit plus ou moins bien.
- Saïd Hammouche
Ouais, après, je te dis, c'est un état d'esprit. Moi, je l'ai vécu assez tôt dans ma carrière professionnelle, puisque j'étais encore étudiant. Mais on vit tous, à un moment donné, des périodes qui vont être un peu compliquées, qu'on n'explique, qu'on ne comprend pas forcément. Et puis, soit tu te révoltes, tu vois, soit tu t'enrages, soit tu rentres même dans des formes de violence, de radicalisation, soit, à un moment donné, t'essayes de toujours garder tout ça en distance et d'essayer de bâtir des choses positives. Et je trouve que c'est important qu'on garde cet état d'esprit. En fait, en même temps, il faut que des gens gueulent, puisque c'est quand même des sujets qu'il faut dénoncer. Et il faut aussi des réparateurs.
- Magaly
Oui mais je suis tout à fait d'accord. Je dis juste et je souligne surtout pour ceux qui nous écoutent que réagir aussi avec une forme de colère à ce genre de choses est très humain. Et que c'est aussi des choses qu'il faut entendre. C'est-à-dire que ta réaction est à ton image et est extrêmement positive et constructive. C'est quand même des choses qui sont compliquées. Alors, ce que j'aimerais que tu nous dises et avec ton franc parler, c'est pourquoi en tant qu'entreprise, on a intérêt à… je vais utiliser un mot qui est assez moche, à faire de la diversité. Pourquoi moi, en tant que dirigeante, j'ai intérêt à ne pas avoir que 20 personnes blanches, 40 ans, 80% hommes et 20% femmes. Pourquoi je n'ai pas intérêt à ça ? Parce que ça, c'est quand même le plus facile.
- Saïd Hammouche
On n'a pas intérêt pour plein de raisons. La première des raisons, c'est qu'aujourd'hui, scientifiquement, on sait qu'en ayant la même typologie de collaborateur dans une organisation, eh bien, ça a un avantage immédiat. Ça permet en fait de très vite se faire confiance, très vite se connaître, très vite adopter les mêmes méthodes de travail et les mêmes processus. Et donc d'aller très vite dans la réalisation de la tâche ou du résultat et donc avoir des résultats. Mais à moyen terme, en fait, ce qui se passe, et parfois même c'est à plus court terme, on se rend compte qu'on sera limité dans cette capacité à innover, dans cette capacité à conquérir de nouveaux marchés, dans cette capacité à provoquer des dynamiques de changement qui vont créer de la valeur. Moi j'avais été assez surpris par une entreprise assez célèbre en France qui vendait des produits de beauté et qui a dit "On a vu un marché potentiel, ce sont les boutiques afro et on a une gamme qui marche très bien aux Etats-Unis, on va la commercialiser en France, ça va cartonner". Et donc les commerciaux se sont mis à prospecter dans ces salons de coiffure afro et ils n'arrivaient même pas à rentrer dans les salons de coiffure. La communication ne s'établissait pas. Pourquoi ? Parce qu'à un moment donné, on avait un choc, une non-compréhension et il y avait une incapacité à s'adapter à un nouveau marché qui allait générer plus de chiffre d'affaires. Et en étant avec ses propres codes, on installe tout un univers de référence qui peut empêcher de voir émerger des nouveaux marchés, de voir émerger de nouveaux partenariats, de nouvelles collaborations. Et ça, ça crée de la valeur. Ça crée de la perte de valeur. Ensuite, il y a un autre élément qui est hyper important, c'est que c'est aussi ça la cohésion sociale. C'est-à-dire qu'à un moment donné, si on veut être dans une société où les gens se respectent, où les gens apprennent à se faire confiance, qu'on soit un peu moins dans la crainte de l'autre, il y a un truc qui est très simple, il faut juste se parler et sortir de temps en temps un peu de sa bulle. C'est-à-dire que si on fréquente les mêmes amis, dans les mêmes lieux, dans les mêmes lieux de restauration, on s'habille de la même manière, on vit en silo. Et on ne voit pas son voisin. Et on a le sentiment qu'on vit dans une société qui est la même. Et en réalité, pas du tout. On se parle dans nos réseaux sociaux canaux classiques, donc on parle à des gens qui nous ressemblent, des gens qui vont nous renforcer dans nos convictions. Et on va être de plus en plus, de moins en moins sensibles à l'ouverture vers l'autre. Et ça, c'est un danger incroyable. Et je crois qu'un des problèmes qu'on a aujourd'hui, c'est la polarisation des opinions. Quand on commence à avoir des opinions très tranchées, on n'est plus capable de se respecter sur des sujets aussi complexes, mais aussi basiques que la religion, par exemple, eh bien, ça crée des tensions, ça crée de l'incompréhension. Et c'est ceux qui veulent du mal à la société qui vont en tirer profit. Et nous, on subira, comme des petits moutons, la conséquence. Donc, moi, je pense qu'il y a un énorme enjeu de continuer à parler à des gens qui ne nous ressemblent pas. Les activités sportives permettent ça. Pratiquer des activités culturelles, ça permet de faire ça. Mais si on reste à chaque fois dans son entreprise, avec une entreprise qui a recruté dans les mêmes écoles, avec les mêmes codes systématiques, alors on va se protéger, on va se faire plaisir. Et à un moment donné, c'est comme si on mangeait le même plat pendant des années. À un moment donné, ça aura une conséquence sur les goûts et les saveurs. Ça va être aussi une réaction de notre organisme qui va dire "J'en ai marre, de temps en temps j'ai besoin de légumes, de temps en temps j'ai besoin de poissons, de temps en temps j'ai besoin de matières grasses", parce que fermer la porte à toutes les matières grasses, c'est aussi poser un problème aux organes vitaux, aux muscles, et ça c'est pas bon. Donc voilà, c'est tout ce qu'on essaie d'expliquer aux entreprises qui sont aujourd'hui en capacité de s'ouvrir sur ces sujets-là.
- Magaly
Mais si je me fais l'avocat du diable et que je prends ma casquette de libérale absolue, qui est quand même un mouvement qui se développe dans le monde en ce moment, ce que tu me dis, c'est quelque part que moi, chef d'entreprise, je pourrais avoir un rôle sociétal qui serait de créer de la cohésion dans la société. Mais pourquoi je devrais avoir un rôle sociétal en tant qu'entreprise ? Puisque mon objet, c'est de gagner de l'argent, point barre.
- Saïd Hammouche
C'est pour ça que j'ai distingué les deux sujets. Il y a un sujet qui relève de la croissance de l'entreprise, la capacité à délivrer le service promis ou le produit qui a été vendu. Donc ça, c'est important. Mais derrière, on est des citoyens qui vivent dans une société. Et cette société, à un moment donné, elle ne peut pas être une société où tout le monde vit en ghetto. Ghetto de riches, ghetto de pauvres. Et donc, derrière, ça a des conséquences aussi politiques. Parce qu'à un moment donné, quand on a, pendant des années, mis les pauvres ensemble, comme la Seine-Saint-Denis, il faut se rendre compte que si le département de la Seine-Saint-Denis, c'est un des départements les plus pauvres de France, c'est que ça relève d'un choix politique à un moment donné. Et quand on a trop de pauvres et qu'on a une augmentation de services publics, forcément, à un moment donné, il faut les financer, ces recettes. Il faut des recettes. Et donc, du coup, il faut de l'imposition. Et derrière, ça a des conséquences sur ton quotidien. Donc, c'est des choses qu'on rattrape ensuite par la suite. C'est-à-dire qu'il y a une mécanique qui est très simple à comprendre. Quand on recrute toujours dans les mêmes écoles et qu'on refuse de recruter des universitaires qui sont en Seine-Saint-Denis, eh bien ça crée de la popularisation, alors que ça devrait permettre en fait à des gens de s'émanciper vers le travail. Donc on a un taux de chômage qui est explosif. Ce taux de chômage, à un moment donné, crée des dépendances, des dépendances parfois même alimentaires. On l'a vu pendant le Covid, quand on a tout fermé, il y a des gens qui n'arrivaient même plus à se nourrir. Donc on crée ces dépendances. Et quand il y a des dépendances, quand il y a des fractures sociales qui s'aggravent, on crée de la vulnérabilité. Et on est quand même dans une philosophie en France où l'État est providence. Et si l'État est providence, si on a accompagné le rapport aux citoyens de cette manière, le citoyen réclame qu'on puisse satisfaire davantage de services publics, davantage d'accompagnement aux plus fragiles. Et donc ça recrée des problématiques d'imposition. Donc du coup, les gens ne se parlent plus, ne se connaissent pas et on ne partage pas les problématiques. Et c'est ça qui est dangereux. Donc, on a un effet immédiat dans une entreprise et puis on a les effets secondaires. Moi, j'adorais un patron d'Accenture qui me disait, Saïd, nous, on s'engage parce que si notre écosystème est malade, on ne pourra pas créer de valeur.
- Magaly
Tu as pris la parole il n'y a pas très longtemps au CESE, je crois, pour parler discrimination. Et tu as parlé d'une discrimination qui se développe beaucoup aujourd'hui. Est-ce que tu veux nous en dire quelques mots ?
- Saïd Hammouche
Oui, avec plaisir et merci de m'amener là-dessus parce que c'est important de comprendre que d'abord ce sujet, ce n'est pas qu'un sujet lié aux origines religieuses ou aux origines culturelles. C'est aussi un sujet, c'est d'abord un sujet qui est lié à l'âge. Les discriminations, la première des discriminations en France, c'est la discrimination qui est liée à l'âge. Quand j'ai commencé à travailler sur ces sujets-là, je m'étais rendu compte que d'abord il y avait très peu de statistiques. Très peu d'informations, très peu de data, c'était très peu analysé scientifiquement. Et parmi les éléments qui sont assez sortis rapidement ensuite, quand on a commencé à travailler sur ces questions-là, on s'est rendu compte que le premier facteur de discrimination, c'était l'âge. On faisait des testings et on envoyait des CV et en fonction de l'âge, alors qu'à compétence égale, les individus n'avaient pas les mêmes réactions. Et on s'était rendu compte qu'un candidat lambda, il avait quasiment pour deux CV, un entretien. Et le candidat qui avait plus de 45 ans, il avait sept fois moins d'opportunités que le candidat lambda. Et donc, je me suis rendu compte que cette question, elle était cruciale. Et que quand on regardait exactement qu'est-ce qu'on appelait, s enior, c'était 45 ans dans l'étude. Et on commence à voir le décrochage à partir de 45 ans. C'est-à-dire que si on n'a pas conscience de ce sujet, des biais discriminants, des processus discriminants, du recrutement plus inclusif, si on n'a pas conscience des biais et de ces difficultés, on va tous, à un moment donné, en subir les conséquences. Parce qu'on aura tous un jour plus de 45 ans, et quand on a plus de 45 ans, on a 7 fois moins de chances d'accéder à un entretien. Donc plus on est en capacité d'être en stratégie de prévention, plus on est en capacité de comprendre où se situent nos propres biais, et on en a tous, et moi le premier, et bien derrière on arrivera à être beaucoup plus... Dans cette notion d'égalité de traitement, on aura des comportements beaucoup plus justes, beaucoup plus équitables, et ça ne veut pas dire qu'il faut baisser sur la qualité et l'exigence. Bien au contraire, ça, ça a été l'énorme erreur aux États-Unis. C'est-à-dire qu'on a affirmé des politiques de discrimination positive, et ça a amené les recruteurs à être obligés de recruter sans avoir à faire attention aux quotas, sans faire attention aux aptitudes, et au potentiel des individus. Et ça, ça a été en fait une énorme erreur. Et c'est une des raisons aujourd'hui qui crispent les États-Unis et qui poussent Trump à dire stop, on arrête les politiques diversité et inclusion. Mais donc voilà, on sait bien que c'est du blabla. C'est du vent, que ce qu'il raconte c'est complètement fake. Pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas oublier qu'on est aujourd'hui dans des économies vieillissantes. On nous explique qu'on aura davantage de retraités en 2040, qu'on aura probablement une population dominante. On nous explique aussi que si on n'a pas suffisamment de population active, eh bien notre économie va petit à petit décrocher. Et aujourd'hui on a besoin de recréer des dynamiques qui génèrent des richesses, qui génèrent des recettes. Et donc, c'est pour ça qu'on va avoir besoin de ce sujet de l'immigration. Mais l'immigration économique, ce n'est pas un mauvais sujet. C'est le sujet même de l'histoire de notre civilisation. C'est-à-dire que, de tout temps, il y a eu des mutations, il y a eu des mouvements de population. Et malheureusement, on joue avec le feu sur ce sujet-là, alors qu'en réalité, il faut juste accompagner correctement les gens. Il faut avoir des méthodes qui fonctionnent. Et aujourd'hui, je crois que si demain, Trump se retrouve avec zéro immigration, avec une population vieillissante, on verra les recruteurs qui nous diront on arrête ça parce que ne pas recruter correctement, s'interdire à recruter toute personne issue d'origines sociales ou culturelles différentes, ça met en péril l'entreprise parce qu'on n'aura plus assez de staff pour pouvoir travailler. Et c'est ça qui va se passer. Donc, on va avoir un retour de bâton. Dans un futur proche, vous allez voir des recruteurs qui nous disent non, non, ce n'est pas possible. On va avoir besoin, en fait, de stratégies qui vont générer de l'attractivité. On va avoir besoin. Ils vont s'en mordre les doigts. Et on le voit bien. Aujourd'hui, on a sur plein de secteurs d'activité plus de 100 000 postes non pourvus. Et donc, ça, ça ne fait pas du bien à l'économie.
- Magaly
J'ai une dernière question pour toi. Alors, quel conseil tu donnes aux DRH qui nous écoutent pour réussir, justement, l'intégration de profils différents ? Et on voit bien que ton engagement, tu l'as dit toi-même, il porte sur les sujets d'origine, sur les sujets d'âge, je suppose sur les sujets de handicap aussi, on n'en a pas parlé ici, mais parce qu'il faudrait qu'on ait une heure pour parler de tout. Mais comment je fais, moi, en tant que DRH, pour réussir l'intégration et que je ne fasse pas un mauvais cadeau finalement au candidat que je recrute ? C'est quoi ce que je dois mettre en place pour que ce soit un gagnant-gagnant pour le candidat et les équipes ?
- Saïd Hammouche
D'abord, la première règle, c'est d'accepter que le recrutement, c'est un métier. Donc, il faut se former au recrutement. On a besoin à un moment donné de savoir comment on recrute, quelles sont les méthodes, quelles sont les questions, quelle est la valeur de cette question. Il faut structurer ses entretiens, il faut comprendre la loi, qu'est-ce qui relève de l'illicite, qu'est-ce qui relève du réglementaire. Il y a des questions qui sont des questions complètement subjectives et qui viennent perturber la décision. Le deuxième élément qui est fondamental, c'est de se faire un petit auto-diagnostic. Il y a des outils qui sont très simples. Il y a un test qui s'appelle Harvard Implicit. Il suffit de mettre ces deux mots-clés sur Google et vous allez retomber sur un site qui va vous donner la possibilité de vous auto-diagnostiquer. C'est très rapide. En 10-15 minutes, vous allez tout de suite voir quelles sont vos zones rouges. Et sur ces zones rouges, il faut travailler. Troisième élément que je recommande, c'est que je ne pense pas qu'il faille rendre obligatoire le recrutement inclusif. Il faut que ça devienne naturellement. Il faut que ça soit un vrai choix. Et je ne vais pas demander à quelqu'un qui est orienté 100% sur le chiffre d'affaires qu'il doit générer, d'installer du recrutement inclusif. Parce que ce n'est pas compatible. Il y a un coût d'entrée. il y a un coût de démarrage qui fait qu'à un moment donné, ce coût est plus ou moins absorbé en fonction de la qualité d'humain qu'on est. Si dans mon naturel, c'est déjà des choses que j'ai développées, parce que j'ai fréquenté d'autres populations, j'ai fait des voyages, je n'ai pas eu de problème à m'associer ou à créer des dynamiques de groupe avec d'autres, c'est des choses qui font de nous des gens avec une forme d'intelligence sociale. qui va nous aider à nous adapter sur des types de profils à manager beaucoup plus facilement. En revanche, si on a été éduqué dans un couloir très fermé, ça va être beaucoup plus complexe. Et si en plus de ça, on a des objectifs de chiffre d'affaires immédiat à dérouler, ça sera du impossible à faire. Donc on ne peut pas à un moment donné imposer à quelqu'un qui n'a pas été formé, qui n'est pas prédisposé à réussir ça. Ça va créer de la violence, de l'énervement et probablement du rejet. Ce qu'il faut c'est mettre en situation de confort d'où la nécessité de sensibiliser les managers, sensibiliser les recruteurs sur ces sujets là pour commencer à ouvrir des fenêtres et ensuite il faut les équiper avec des outils pour les aider et parfois il y a des entreprises qui disent ok moi je comprends on part de trop loin dans mon organisation et donc je vais payer le coût de cette régulation qu'on doit avoir dans notre organisation en interne et donc ça sera peut-être les objectifs établis d'une manière différente. Ce sera peut-être, je ne sais pas, dans un processus où on va nous dire « je veux 20 unités » , et bien derrière, ce ne sera que 15. Et derrière, il y aura un investissement de 5 de la structure pour pouvoir aider les professionnels à avancer sur ces questions-là.
- Magaly
Eh bien, écoute, merci beaucoup Saïd, c'était très, très clair.
- Saïd Hammouche
Merci à vous et à très bientôt. Magaly, merci à toi.
- Magaly
Merci à Saïd pour cette prise de parole très authentique, à la fois sur son parcours qui lui permet de bien comprendre ce que vivent ceux qui ne viennent pas du moule, et puis sur sa vision et sur les conseils qu'il a donné à des DRH ou des dirigeants qui veulent démarrer une politique avec un pacte d'inclusion et de diversité. Retenons qu'il y a des candidats qui nécessitent peut-être d'être un peu plus aidés et qu'à la fin ça vaut vraiment la peine. Alors, on essaye ?