- Speaker #0
Carnet de bord du Mediatrainer, une série de podcasts pour parler de la communication et de la prise de parole médiatique à travers le regard d'un Mediatrainer, pour partager analyse, réflexion et éléments de méthode. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Carnet de bord du Mediatrainer. Ce podcast, je l'ai conçu pour partager ce que j'observe et ce que j'apprends sur le langage en situation, dans l'arène politique, syndicale, managériale, sur la manière dont on parle, dont on se fait entendre ou pas. Alors pour cet épisode, j'ai eu envie de revenir sur une figure centrale et pourtant assez méconnue en dehors du secteur de la communication politique en France. Cette figure, c'est Jacques Pilan. Je parle souvent de Pilan en formation ou en coaching, surtout avec des élus, pas uniquement d'ailleurs. Il est souvent présenté comme l'inventeur de la communication politique moderne en France, à tout le moins comme l'homme d'une méthode. Une méthode qui a accompagné deux présidents de la République, François Mitterrand et Jacques Chirac, mais aussi une certaine manière de lire l'opinion, non pas comme un baromètre ou une série de courbes, mais comme un espace symbolique en tension. Une vie à la fois faite d'aventures politiques et d'explorations intellectuelles, qu'on peut retrouver dans le livre biographique de François Bazin, Le sorcier de l'Elysée, que je vous recommande chaudement. Pour parler de ce personnage aussi énigmatique que fascinant, j'ai voulu échanger avec Pierre Laroui et vous restituer les fragments de cette conversation riche et passionnante. Pierre est économiste, psychosociologue et essayiste. Il a longtemps cheminé avec ce qu'on appelait alors la bande à pilans du côté de Temps Public, l'agence qu'avait fondée Jacques Pilon. et a travaillé dans cet écosystème du mitterrandisme finissant à l'ère Chirac. Il vient de publier un article dense et stimulant dans la revue politique et parlementaire intitulé « Pilant, une méthode ? » et il avait aussi signé en 2017 un essai plus personnel « De quoi Pilant est-il devenu le nom ? » aux éditions UPPR.
- Speaker #1
Bonjour Delia. Le contexte, c'est que moi-même, j'étais à l'époque chef de cabinet d'Alain Savary, ministre de l'Éducation nationale, que Jacques, qui avait été un tout petit peu exfiltré de l'Élysée, puisqu'il avait refusé d'y prendre le bureau que François Mitterrand voulait lui attribuer, voulant rester libre, il revenait à l'Élysée dans une période difficile pour le président de la République. Et évidemment, on s'est croisés plusieurs fois jusqu'à un dîner. Chez moi, on se connaisse mieux avec nos femmes respectives. Et Michel Pilan avait fait remarquer qu'il parlait beaucoup ce soir-là, qu'il était en général moins libre. Alors on a cherché ce qui nous rapprochait et finalement on a trouvé, c'était la société du spectacle. Il était à l'époque très marqué par les situationnistes.
- Speaker #0
Pour comprendre la liberté du personnage, il faut remonter à l'élection de Mitterrand. Aux prémices de la campagne de 1981, Gérard Collet, publicitaire de talent, propose à Pilan et Seguela de rejoindre l'équipe qu'il a formée autour du candidat socialiste. Ensemble, ils formuleront la stratégie et le positionnement gagnant du candidat dans une note devenue mythique et intitulée « Roosevelt contre Louis XV, l'homme qui veut contre l'homme qui plaît » . Cette stratégie trouvera son expression la plus forte dans le fameux slogan « la force tranquille » . A la sortie de cette campagne gagnante, Pilon refuse pourtant d'intégrer l'Elysée et dira plus tard « Pour être efficace dedans, il faut être dehors, sinon tu deviens un courtisan » .
- Speaker #1
C'est toujours délicat de parler de quelqu'un d'aussi complexe et d'aussi complet. Je ne sais pas, j'ai une image d'un zébulon extraordinairement intelligent, rapide, très sympathique, bien qu'autoritaire, mais c'était surtout un insaisissable voyageur du langage. Il y a tout le temps cette expression qui revient quand on parle de Pilon, c'est qu'il entretenait la rareté de la parole. D'abord, ça l'a gassé beaucoup. Et deuxièmement, c'était faux pour deux raisons. La première, c'est qu'il organisait beaucoup des scansions. Ça, oui, c'est des moments vraiment d'interruption, d'accélération ou de ralentissement. Mais c'est comme quand on parle et qu'un acteur de théâtre met ou non une scansion, c'est-à-dire une insistance. Ça, oui, ça intéresse évidemment les communicants politiques, la scansion. Il y a quelque chose, sur le fond, qui est moins connu. C'est que la rareté de la parole, ça n'existe pas. On est un acteur politique majeur. Pourquoi ? Parce que c'est un concept lacanien peu connu qui dit « ça parle » . Le « ça parle » , c'est justement que ça parle tout le temps en fait. Mais ça parle implicitement, dans les plis, dans les images que ça révèle. C'est-à-dire que même le silence parle, évidemment. Quand on le dit, ça paraît évident. Donc en fait, la rareté de la parole, c'était non seulement stupide, mais complètement contradictoire avec ce que faisait Pilon, qui était justement d'aller dans les sous-bassements de ce « ça parle » .
- Speaker #0
Il n'y a pas vraiment de boîte à outils. Il n'y a pas de manuel, il y a une posture, une attention, un style de présence au langage. Pilon, c'est un artisan. Il observe, il capte, il cuisine. Autour de lui, une poignée de fidèles, Jean-Luc Aubert, Jacques Enfoncy, avec qui il creuse les intuitions, et Gérard Collet, son alter-ego éliséen, plus politique, plus tacticien. Ensemble, ils forment un noyau discret, mobile, presque souterrain, qui influence les décisions les plus visibles. Non pas dans un esprit de conjuration obscure, mais pour se tenir au meilleur endroit pour capter les tensions qui traversent l'opinion. Mitterrand l'a compris, et même s'il a pu s'agacer de l'indépendance très marquée de Jacques Pilon, ... Il ne cessera de le consulter tout au long de son mandat. C'est peut-être cela qui est troublant. Pilon est une figure fondamentale de la communication politique. Et pourtant, comme le rappelle Pierre Laroui, il n'y a pas de méthode à proprement parler.
- Speaker #1
Oui, parce qu'en fait, c'est une histoire qui a une continuité, mais beaucoup de ruptures, j'allais dire épistémologiques. Au début, Jacques, en fait, il charge un job. Il rentre dans la pub parce qu'il ne sait rien faire d'autre en dehors de jouer au poker et d'être intelligent. Il rentre dans la pub et quand il y a la campagne de Mitterrand, il se trouve dans l'agence de Séguéla. Il participe à la campagne, il est très proche de Collet et en fait, il utilise déjà tous les ressorts de la publicité, qui est déjà très professionnelle et très madrée à l'époque, pour la campagne de Mitterrand. Les gens ont cru que c'était là que se nichait la méthode Pilon. Comme je le dis, il n'y a pas de méthode Pilon, mais là pour le coup c'était vraiment les prémices, c'est-à-dire qu'à partir de cet instant-là, il va construire sa propre histoire du langage. Il chasse seul Pilon, il y a peu de monde autour de lui, et il voit beaucoup de monde en revanche. Il regarde tout, il est curieux de tout, mais c'est quelqu'un qui veut développer sa propre sauce, c'est un chef cuisinier. qui s'entoure de quelques bons outils, des outils humains, proches de lui. Et après, il fait sa sauce et il le fait remarquablement. Je pense que Mitterrand l'avait ressenti. Il était vexé qu'il n'ait pas voulu devenir directeur de la communication à l'Élysée. Mais il avait senti chez cet homme autre chose qu'ailleurs. Et c'est pour ça que quand il est en difficulté, il dit à propos, il est où, Pilon ?
- Speaker #0
Jacques Pilon sillonne le mandat mitterrandien et peaufine son approche de la compréhension de l'opinion. avec comme outil principal donc les signifiants invisibles du langage. A la veille du référendum de Maastricht, alors que l'Elysée a déjà fait imprimer des affiches de campagne à la tonalité triomphante, il faut plusieurs tentatives à Pilon pour convaincre le président que ce référendum est tout sauf gagné. Il l'a vu, il le sent, contrairement aux instituts de sondage qui donnent le oui largement gagnant, non parce qu'il s'intéresse au référendum en tant que tel, mais parce qu'il perçoit monter dans l'opinion ... les premières formes d'un clivage devenu central aujourd'hui, celui de la rupture entre peuple et élite. Il comprend aussi comment l'Europe devient le support de l'expression de cette fracture sociale à qui il n'a pas encore donné ce nom. Peu après, dans une fin de mandat mitterrandien crépusculaire, il recevra un Jacques Chirac assommé par la trahison d'Edouard Balladur. Des rendez-vous clandestins auxquels le futur président se rendra parfois de manière secrète. Pour ne pas être vu dans les locaux de l'agence de celui qui est encore officiellement le conseiller exclusif du président Mitterrand. De cette rencontre naîtra une nouvelle campagne victorieuse, à nouveau à contre-courant des tendances perçues à la surface.
- Speaker #1
Je peux raconter une anecdote extraordinaire au moment où il fait la campagne de Chirac face à Balladur. On va déjeuner avec Jean-Luc Aubert et lui chez Laurent, qui est un de ses restaurants préférés à côté de l'Elysée. Et à l'instant où on va passer la porte... déjeunons au rez-de-chaussée, et Balladur descend des étages où sont les salons. Et il y a un silence glacial, le maître d'hôtel évidemment gêné, croit qu'ils ne se connaissent pas et donc présente l'un à l'autre. Et il dit à Pilon, je suis Balladur, Premier ministre de la France. Pilon lui dit, oui, je connais le Premier ministre de la France. Et donc il se tourne vers Balladur et il lui dit, et ça Jacques Pilon et Balladur de nerfs très hautains disent, ah c'est vous Pilon ? Et ils se sont croisés. Et quand on a passé la porte, je ne dirais pas ce que m'a dit Jacques, parce que c'était assez violent.
- Speaker #0
La campagne présidentielle de 1995 a été très violente en interne des stratèges de campagne des différents camps politiques. Pilon a pu agacer par son originalité et la forme, disons, très poétique de son approche du métier. Il n'en reste pas moins qu'il a marqué les esprits de celles et ceux qui ont travaillé avec lui, ou même contre lui. Jacques Pilon nous quitte en 1998, finalement assez peu de temps après son deuxième grand succès. En 2017, les communicants de l'Elysée réactivent un mythe, celui du président Jupiter. Une verticalité assumée, une rareté de la parole, une posture de distance. Le fantôme de Pilan plane. Mais pour Pierre Laroui, cette invocation rate l'essentiel. Et comme souvent, quand on croit rejouer une partition historique, c'est le fond qui se dérobe.
- Speaker #1
C'était une image, comme Greta Garbo ou des choses comme ça. L'équipe Pilan avait toujours... le souhait de trouver des raccourcis souvent humoristiques, parfois réalistes avec Jupiter. Mais Macron ne fait pas que ça. En fait, il récupère chez Pilon beaucoup de choses. Le pupitre, par exemple, qu'il utilise, est celui qui a été bâti pour la France Unie par l'équipe de Pilon en étant public. Le problème de Macron, comme souvent dans ces cas-là, c'est qu'il nomme tout ça, alors que vous vous souvenez que finalement... Et puis, non, personne ne le connaît à l'époque. Aujourd'hui, tout le monde le fait comme si… Non, il faisait du off, il ne parlait pas, il n'écrivait pas. Comme vous le savez, avec beaucoup d'humour, il disait que quand il voyait Attali qui sortait du bureau, il avait un petit bout de papier qu'il avalait pour que surtout ça ne laisse pas de traces. Je crois pouvoir témoigner qu'il n'y a jamais eu rien de marqué sur le bout de papier qu'il avalait. C'est simplement pour faire râler un tout petit peu Jacques Attali.
- Speaker #0
Ce qui distingue Pilant, et ce que Pierre cherche d'ailleurs à prolonger dans son propre travail, c'est l'attention au réel, pas à la réalité. Le réel, ce n'est pas ce qui est visible, c'est ce qui travaille en dessous, ce qui affleure dans un mot, une posture ou une crispation collective. Pilant lisait dans les replis de l'opinion et pas dans les tableaux Excel. Et c'est peut-être pour ça qu'on le comprend encore aussi mal aujourd'hui. C'est peut-être aussi pour cela que l'héritage de Jacques Pilant n'est pas si clair.
- Speaker #1
Non, c'est pas clair. Ce n'est pas clair parce que c'est pour ça que j'ai pris ce papier dans la revue politique et parlementaire, pilant une méthode point d'interrogation, et je réponds par la négative. Pilant, il a une méthode qui peut changer, comme le fait Trump. Avec la seule différence par rapport à Trump, c'est que lui, il sait exactement où est sa stratégie, il sait exactement où il va, mais en revanche, il peut tout à fait circuler très librement autour de cet axe structurant. En fait, il y a des... Il y a des permanences, mais Jacques ne les cite pas, ne les dit pas, et d'ailleurs parfois il ne les connaît pas, mais il les retrouve. Moi j'ai l'habitude de dire que tout est dans la lettre volée d'Edgar Poe. Cette idée que ce qu'il y a d'important, ce n'est pas ce qu'il y a dans la lettre, mais toute cette agitation qui se passe autour. Mais c'est quoi la politique ? C'est ça. Comment ça bouge autour de la lettre ? Et donc en fait, on retrouve… aussi bien dans la sémantique, Saussure le signifiant et le signifié, Lacan, là je suis de la lettre volée, mais il y a toute une histoire de cette chose qui en fait, si on le résumait à une phrase sans doute, c'est pile en lui avait compris que le réel et la réalité, en politique, ce n'est pas la même chose.
- Speaker #0
Ce croisement entre réel et réalité, cette contradiction parfois entre les faits et leur signification, C'est pour Pilon l'espace dans lequel il va travailler pendant près de 20 ans, aux côtés de deux présidents. Une approche qui enrichit le discours et qui manque peut-être cruellement aujourd'hui.
- Speaker #1
La stratégie, ça doit s'adresser au réel. La tactique, ça peut forcément avoir avec la réalité. Et puis après, il y a dans la réalité plein de choses que l'on fait et qui sont de l'ordre de l'entretien, de la décoration. Donc évidemment, ce qui manque aujourd'hui en politique, dans le discours politique, C'est le discours du réel. Et d'ailleurs, je n'ai pas réussi à le faire, mais en tout cas, j'ai demandé à mon intelligence artificielle de me repérer dans les discours politiques depuis 15 ans le nombre de fois où le réel est utilisé, le mot réel. Il y en a tellement qu'il n'a pas voulu me répondre. Il dit « Ah, c'est puissant, hein ? » Et vous l'entendez, ça nous fait sourire. Tout le monde dit « Je suis le réel, il faut s'occuper du réel. » Il s'occupe de tout sauf ça. de tous sauf ça. Ils subissent complètement les aléas de la réalité, les boursouflures de la réalité qui passent pour du réel. Et du coup, on confond, on ne sait plus ce qu'est une idée, un programme, on ne sait plus ce qui s'inscrit dans les réponses que font les gens aux questions qu'on leur pose et ce qui les mobilise réellement. Quand les Gilets jaunes sont arrivés, que n'ai-je entendu ? Alors qu'en fait, c'était quand même assez clair, quand on met un Gilet jaune, c'est pour être vu. Et donc, on a l'impression qu'on n'est sans doute pas très reconnaissant par la société. C'est pour ça que je dis réelle réalité. La lettre volée, et déjà on a une signifiant-signifiée, on a une bonne base. Alors là, elle apparaît comme théorique, parce que je la raconte comme ça, mais implicitement, c'est ça, c'est aller dans les sous-bassements subjectifs, non pas subir ce que l'on dit, mais ce qui parle, justement, le sapin.
- Speaker #0
Cette approche, nourrie par les sciences sociales autant que par la psychanalyse, on la retrouve parfois par éclat dans certains travaux contemporains. On la voit même transposée, presque mise en scène, dans la série La Fièvre, diffusée sur Canal+, où son créateur, Éric Benzekri, cherche à illustrer à sa manière une forme de méthode pilant dans le cadre d'une fiction politique haletante. Aujourd'hui, Pierre Laroui explore un autre territoire. Celui du croisement entre la puissance de l'intelligence artificielle, sa capacité quasi infinie à classer, à ordonner, à trier, et l'un des rares outils méthodologiques que Pilant utilisait vraiment, l'étude projective. Si l'IA peut absorber des quantités phénoménales de données, donc de discours, de mots, est-elle aussi capable de devenir ce révélateur, celui qui nous permettrait d'observer les interstices dans l'opinion et de comprendre comment, là, se dessine le véritable réel politique ?
- Speaker #1
La méthode projective c'était quoi finalement ? C'était avoir une intuition, tester et ensuite vérifier. Pour la vérification, il y avait des quanti quali traditionnels, les éléments de statistique et d'études classiques. Sauf qu'aujourd'hui, je me suis posé la question en me disant, mais quand même, c'est un peu frustrant, aujourd'hui que l'on a une intelligence artificielle, de se contenter de faire des quanti. J'ai cherché à hybrider effectivement, mais en me posant la question, pour savoir si la machine, ça parle. Ça ne parle pas du tout. Et c'est très intéressant parce que c'est un débat que j'ai. Alors, sur le plan fonctionnel, il se trouve que ça marche très bien, mais je n'en dirai pas plus pour l'instant. Mais en revanche, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a un problème épistémologique qui se pose à l'IA et à la communication finalement, et qui est que je crois que la machine, ça part. Ça ne rapporte pas finalement énormément, sauf qu'on s'approche plus vite. plus fort et plus puissamment de l'endroit que les psychanalystes connaissent comme étant le contre-transfert. C'est-à-dire que la machine a cette capacité d'association, de voisinage, qui met comme ça sur la table tous les éléments de manière crue et violemment éclairée parce qu'on a mis avant le tamis qu'il fallait, et c'est ce que j'ai tenté de faire. Et j'insiste là-dessus parce que c'est central par rapport aux critiques que l'on fait de transhumanisme de l'IA. L'IA doit… être reconnue comme un puissant facteur pour développer tout ce qui arrive comme élément pour le transfert. Mais il faut à la fin un psychanalyste, un analyste, un humain, pour faire le contre-transfert. À ma connaissance et dans mon intuition, la machine n'est pas et ne sera jamais capable de faire le contre-transfert.
- Speaker #0
Depuis quelques années, Pierre travaille sur son Tami appliqué à l'IA pour la faire parler. Oneros, le rêve en grec ancien, c'est le nom de code de cette méthode qui tente non pas de refaire du Pilan 2.0, mais de poursuivre le travail engagé par lui autour du langage et de la manière de lui faire éclairer l'opinion. C'est peut-être cela au fond l'héritage de Jacques Pilan. Non pas une méthode, mais une attitude, un état d'esprit qui s'intéresse moins aux calculables qu'à ce qui échappe. Au regard de notre époque technocratique, cette... Cette posture relève presque du politiquement incorrect. Pour Pierre Laroui, ce qu'il faut chercher, c'est moins l'héritage de Pilon que de renouer avec une forme de contemplation curieuse et exigeante de ce qui nous entoure. C'est sans doute ce qu'il manque le plus à la communication contemporaine et au discours politique. Ce fondement initial qui permet de ne pas se tromper de sujet et de compenser par les artifices de la forme la pauvreté du fond.
- Speaker #1
Donc il faut être curieux, c'est ça ? Oui, bien sûr. Il y a un mystère et puis... J'ai presque envie de dire, c'est pour ça que c'est moi qui l'ai fait, c'est qu'il n'a jamais voulu s'y coller, parce qu'écrire c'était déjà, quand on met le point final, se contester soi-même parce qu'il avait déjà bougé. Encore une fois, c'est qu'est-ce qui reste ? J'ai donné des pistes, quand on reparle de la lettre volée ou de choses comme ça, ou qu'on regarde les rêves, etc. Quand on va chercher le réel sur la réalité... C'est-à-dire que c'est une sorte d'aptitude personnelle, c'est une idéologie personnelle de regard sur les choses. Si on veut ne pas être pilant, il y a une chose qu'on peut dire. C'est par exemple ne pas être celui qui regarde l'art contemporain en disant « moi je saurais le faire » ou « qu'est-ce que ça veut dire ? » . Il faut accepter de temps en temps de se mettre derrière les plis de soulage. Je regardais encore l'autre jour à Rodès, c'est absolument magnifique, et accepter que chacun à l'intérieur de ces lumières et de ces choses qui bougent, voit que ça bouge tout le temps et que le sens, le « ça parle » s'y trouve aussi en permanence.
- Speaker #0
Voilà, c'était un détour par l'ombre, par cette forme de présence silencieuse qu'incarnait Jacques Pilon, et par le regard que Pierre Laroui continue de porter sur le langage. l'opinion et ce qu'on appelle un peu vite la communication. L'occasion aussi d'évoquer ce qui manque aujourd'hui sans doute dans l'espace public et médiatique, le goût du sous-texte, le sens du réel et la capacité à ne pas confondre la surface et la structure. Merci d'avoir écouté Carnet de bord du Mediatrainer. Je suis Julien Croce et je vous dis à très bientôt.