- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous. Pour ce nouvel épisode de CodeCast Parlons Droit, je vous convie à un petit exercice de Legal Checking. Mais alors, qu'est-ce que c'est que le Legal Checking ? Le Legal Checking, c'est une version du Fact Checking, de la vérification des faits, appliquée à l'actualité juridique et judiciaire. En d'autres termes, nous allons démêler le vrai du faux sur une actualité politique, juridique, judiciaire, sur un sujet d'importance. Et nous avons choisi aujourd'hui de vous parler de la loi constitutionnelle. du 8 mars 2024, qui a constitutionnalisé la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. Beaucoup de fausses informations ont circulé sur ce sujet. On a par exemple pu affirmer que cette loi constitutionnelle n'était que le préambule à une commercialisation, une dérégulation du marché d'embryons humains et de foetus, en référence au vote d'un autre texte au niveau du Parlement européen. Il n'en est rien, bien évidemment. Évidemment, mais encore faut-il savoir pourquoi. C'est pour cela que nous avons convié aujourd'hui madame la professeure Ariane Vidal-Melquet, qui est professeure de droit public à l'Institut Louis Favoreux au sein de l'Université d'Aix-Marseille. Ariane, est-ce que vous pourriez nous rappeler l'objet de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 ?
- Speaker #1
Cette loi constitutionnelle constitue la 25e révision de la Constitution et elle a pour objet de modifier l'article 34 en prévoyant désormais que Je cite La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse Cette modification de la Constitution correspond à un engagement du président Macron qui, en 2023, avait décidé de faire inscrire dans la Constitution française la liberté des femmes de recourir à l'IVG. Alors ici, on pourrait préciser que ce projet de loi constitutionnelle a été en réalité devancé par une proposition de loi constitutionnelle, c'est-à-dire un texte de révision qui avait été proposé par un parlementaire, en espèce un parlementaire LFI, et qui avait proposé à l'Assemblée nationale un texte destiné à garantir l'accès à l'IVG. Alors en réalité, cette proposition de loi constitutionnelle était assez embarrassante pour le président. car elle aurait supposé pour être adoptée une ratification par référendum, conformément à ce que prévoit l'article 89 de la Constitution, d'où le remplacement de cette proposition de loi constitutionnelle par un projet de loi constitutionnelle, émanant cette fois-ci de l'exécutif, qui ne nécessite pas forcément le recours au référendum et qui peut passer par le Congrès, comme ça a été le cas en l'espèce.
- Speaker #0
Merci pour ces premières précisions. Justement, on sait que l'adoption de cette loi constitutionnelle a été semée d'un certain nombre d'embûches, a généré beaucoup de débats au point de paraître assez compliqué. Est-ce que c'est quelque chose de fréquent en la matière ?
- Speaker #1
En France, la révision de la Constitution obéit à une procédure spéciale qui est décrite par l'article 89, qui est plus complexe que la procédure adoptée pour les lois ordinaires. Alors, juste pour rappel... L'article 89 de la Constitution prévoit que l'initiative de la révision peut venir soit de l'exécutif, c'est un projet de loi constitutionnelle, soit du législatif, c'est une proposition de loi constitutionnelle. Ensuite, il y a une deuxième étape, l'adoption de la loi en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat. Et enfin, une troisième étape qui est celle de la ratification. Et cette ratification peut passer soit par le Congrès, c'est-à-dire la réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat à la majorité des trois cinquièmes, soit... prendre la forme du référendum obligatoire, comme je l'ai dit tout à l'heure, si la proposition est d'émanation parlementaire. Donc ça, c'est sur le plan juridique. En réalité, sur le plan politique, la procédure n'est pas si compliquée que cela, dès lors que la majorité soutient le président et le gouvernement, l'exécutif. Alors, en l'espèce, on sait que l'exécutif ne dispose à l'heure actuelle que d'une majorité qui est relative, d'une majorité fragile. Mais ici, le projet de loi semblait assez consensuel, et je rappelle qu'à l'origine c'était une proposition parlementaire, de sorte qu'en réalité l'adoption de la loi a été assez facile. Le projet de loi constitutionnel a été adopté par une écrasante majorité à l'Assemblée nationale. Il a été adopté par un vote assez favorable du Sénat, malgré trois heures de débat un petit peu agité. Et puis quant à la ratification, le texte a été adopté par une large majorité. du Congrès, de sorte que la révision a pu sembler finalement assez simple.
- Speaker #0
Merci, c'est peut-être plus du point de vue de l'opinion publique, du point de vue social, que l'adoption de cette loi a pu générer du débat, puisque apparemment, à ce que vous nous dites, tout s'est quand même assez bien passé. Alors, puisqu'on en vit en contexte de cette loi constitutionnelle, on peut penser aussi, bien évidemment, à l'exemple américain qui a fait l'actualité. Encore tout récemment, notamment avec le revirement de jurisprudence qui est intervenu contre l'arrêt de la Cour suprême Roe vs. Wade. Est-ce que c'est un contre-exemple qui a pu jouer, avoir un poids justement dans l'adoption de la loi constitutionnelle en France ?
- Speaker #1
Effectivement, je pense qu'on peut dire que le revirement de jurisprudence américain a constitué un gros coup de semence. C'est une décision d'Obs qui a été rendue en juin 2022 et qui remet en cause aux États-Unis le droit à l'avortement, sachant que ce revirement de jurisprudence de juin 2022 avait été en réalité anticipé par la majorité des observateurs de la vie politique et juridique américaine. À cela s'ajoute que dans un certain nombre de pays, notamment européens, le droit à l'IVG peut paraître menacé. Aujourd'hui, par exemple, pour m'en tenir à l'Europe, on sait que la quasi-totalité des États européens reconnaissent l'IVG, mais dans des conditions très variables, que ce soit en termes de délai ou en termes de motif de recours à l'IVG ou encore en termes d'accessibilité. de l'IVG. Et puis, l'on sait également que dans un certain nombre de pays ont pu être adoptées des législations, ou en tout cas des tentatives de réforme assez défavorables au droit à l'avortement, par exemple en Slovaquie, au Portugal, en Hongrie, en Espagne ou en Pologne, de sorte qu'effectivement le contexte politique et juridique pouvait sembler menacer le droit à l'avortement.
- Speaker #0
Très bien, donc d'autres contre-exemples en fait. Finalement, il y en a eu... Un certain nombre. Alors moi j'ai une question, j'allais dire toute bête, de non spécialiste de droit public, je me fous dans mes vieux souvenirs de droit constitutionnel, de licence. Est-ce que... Par hasard, le Conseil constitutionnel aurait pu lui-même reconnaître une valeur constitutionnelle à la liberté d'avorter.
- Speaker #1
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'interruption volontaire de grossesse, mais il s'est montré jusqu'à présent particulièrement prudent sur la question. On a plusieurs décisions dans lesquelles le Conseil constitutionnel rattache l'IVG au principe général de liberté personnelle de la femme, qu'il ancre... Dans l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cet article 2 nous rappelle que les droits qui appartiennent à tous sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l'oppression. Et le Conseil constitutionnel a rattaché la liberté d'avorter à la liberté personnelle. Cela étant, comme on peut le constater, Le Conseil consuel n'a pas vraiment consacré un droit à l'IVG, il a simplement jugé que l'IVG était conforme à la Constitution, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
- Speaker #0
Alors justement, venons-en à notre sujet, puisqu'une révision constitutionnelle a été nécessaire. On a pu émettre des doutes, et on en va encore passer jusque sur les réseaux sociaux, des doutes quant à l'intérêt, la portée réelle de cette révision constitutionnelle, notamment le fait qu'elle y était inscrite à l'article 34 de la Constitution. Est-ce que concrètement cette révision renforce vraiment les droits des femmes à recours à l'IVG ou est-ce qu'elle n'est que symbolique ?
- Speaker #1
Alors, en l'état, on peut dire que la constitutionnalisation, pour l'instant, ne change rien aux droits existants. Et le droit existant, il est constitué par la loi Veil de 1975 et un certain nombre d'évolutions ultérieures qui ont aménagé les conditions du recours à l'IVG, par exemple. Le fait qu'aujourd'hui l'entretien préalable est facultatif et non plus obligatoire, le fait que la condition relative à l'état de détresse de la femme ait été supprimée, on constate aussi que le délai de recours à l'IVG a augmenté, puisqu'il est aujourd'hui de 14 semaines, et que l'on a créé une pénalisation de l'entrave à l'IVG. Donc pour l'instant, le droit existant, c'est ce droit positif. La question qu'on peut se poser, c'est de savoir si la constitutionnalisation change donc non pas le droit existant, mais le droit à venir. Et plus particulièrement, les conditions dans lesquelles pourrait s'exercer à l'avenir le droit à l'IVG. Alors, je prends un exemple, on pourrait imaginer que le gouvernement soit désireux de restreindre, par exemple, le délai de recours à l'IVG. L'IVG est aujourd'hui à 14 semaines, pendant longtemps il a été fixé à 12 semaines. On pourrait imaginer que le gouvernement envisage sur ce point de modifier le droit. Une telle modification serait sans nul doute soumise au Conseil constitutionnel et il reviendrait au Conseil constitutionnel d'apprécier si, donc à nouveau c'est fictif, mais si ce raccourcissement du délai de recours à l'IVG permet de garantir ou non la liberté de la femme de recourir à l'IVG.
- Speaker #0
En soi, il ne serait pas exclu que le législateur... puisse revenir sur les garanties de cette liberté. C'est bien ce qu'il faut comprendre de son inscription à l'article 34.
- Speaker #1
Alors, c'est ce qu'il faut comprendre, sauf que sans entrer dans des débats trop techniques, on pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel considère que, finalement, le droit positif, tel qu'il existe aujourd'hui de recours à l'IVG, et bien constitue, ce qui est appelé dans la jurisprudence du Conseil consuel, la garantie légale, c'est-à-dire une garantie fixée par la loi. de la liberté personnelle de recourir à l'IVG et qu'en application de cette jurisprudence, il empêche le gouvernement de faire marche arrière, par exemple, quant au délai, pour reprendre cet exemple que j'ai cité.
- Speaker #0
Donc, par exemple, qu'on ne puisse intervenir que pour garantir de l'avantage cette liberté.
- Speaker #1
Oui, c'est ce qu'on appellerait, c'est ce qui a été appelé en doctrine, l'effet cliqué de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On pourrait imaginer, effectivement, et d'ailleurs les travaux parlementaires du projet de loi, lors de l'examen du projet de loi constitutionnel, pourraient inciter le Conseil constitutionnel à aller en ce sens, c'est-à-dire qu'on garantit la liberté de la femme de recourir à l'IVG, en appréciant ce droit à la lumière des conditions actuelles dans lesquelles il s'exerce.
- Speaker #0
Très bien, merci. Alors une autre question qui a pu étonner certains commentateurs de la loi, pourquoi avoir fait le choix de l'expression liberté garantie à la femme Ce n'est pas formellement un droit à l'IVG ou un droit à recourir à l'IVG. Cette distinction peut paraître un peu curieuse pour les non-juristes. Même pour des juristes, il y en a qui ne cessent d'en débattre. Alors comment est-ce qu'on pourrait expliquer ce choix, le choix de ces termes ? Est-ce que la consécration d'une liberté plutôt que celle d'un droit a une incidence vraiment concrète ?
- Speaker #1
Vous avez tout à fait raison. Il y a encore de nombreux débats juridiques et même politiques sur la distinction entre qu'est-ce qu'un droit, qu'est-ce qu'une liberté ? Et cette question n'est pas totalement tranchée en doctrine. Alors, dans le projet de loi constitutionnelle, et donc la loi constitutionnelle telle qu'elle a été adoptée, il semble y avoir une sorte de compromis, puisque le projet de loi ne reconnaît pas un droit de la femme à l'IVG, mais reconnaît une liberté garantie à la femme. Bien que la distinction droit-liberté ne soit pas totalement tranchée, je pense qu'en réalité, la consécration d'une liberté est... moins protectrice que la consécration d'un droit à l'IVG. En effet, une liberté garantie signifie simplement que l'État doit s'abstenir d'empêcher la femme de recours à l'IVG, alors que la reconnaissance d'un droit à l'IVG supposerait que la femme puisse exiger... de pouvoir exercer ce droit à l'IVG, par exemple en réclamant des services adéquats, un personnel adéquat ou encore la gratuité. Plus important peut-être encore que cette distinction entre droit et liberté, ce qui me semble assez intéressant, c'est que cette liberté garantie à la femme, elle a été inscrite à l'article 34 de la Constitution. Cet article 34, en réalité, c'est un article qui est assez technique, qui détaille les domaines de compétences dans lesquels intervient le législateur, par exemple. L'article 34 dit Le législateur est compétent en ce qui concerne le pluralisme des médias, l'environnement, les droits et obligations en matière civile et commerciale. Et donc, on a simplement rajouté un alinéa selon lequel le législateur est aussi compétent pour déterminer les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme de recourir à l'IVG. Et de ce point de vue, le fait qu'on ait consacré cette liberté garantie à l'article ne me semble pas anodine et surtout me semble très instructive quand on rapproche cette formulation de celle qui avait été envisagée par la proposition de loi constitutionnelle, qui avait proposé d'inscrire à l'article 66-2 de la Constitution. Cet article 66-2, il est symboliquement important parce que l'article 66-1 nous dit Nul ne peut être condamné à la peine de mort. Et donc on avait envisagé d'inscrire dans la Constitution un article 66-2 qui aurait dit Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ses droits. Et cette formulation me semblait bien plus protectrice de l'IVG et de la contraception. et également au titulaire de ce droit. L'article 34 évoque la liberté garantie à la femme, la proposition initiale envisageait la loi garantie à toute personne, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
- Speaker #0
Quelque part, ça relativise encore davantage la portée de cette révision constitutionnelle, puisqu'on voit qu'il aurait été possible finalement d'aller plus loin, plus loin dans la protection de cette liberté ou de ce droit effectif à l'IVG. Justement, aux fausses informations qui ne cessent de proliférer suite à l'adoption de cette loi constitutionnelle, dont il faut évidemment grandement relativiser la portée. Dernière question, comme la France se présente souvent comme une pionnière en la matière, est-ce que cette révision constitutionnelle pourrait inspirer encore d'autres États, européens ou non-européens, comme ça a pu être le cas avec la loi sur le mariage pour tous ?
- Speaker #1
La France se targue effectivement aujourd'hui d'être le premier pays à avoir constitutionnalisé l'IVG et donc d'écrire l'histoire, d'être à la pointe du progrès. Alors je ne suis pas certaine que cette modification soit une source d'inspiration pour d'autres États. En Europe par exemple, beaucoup d'États reconnaissent l'interruption volontaire de grossesse, mais comme je le disais tout à l'heure, selon des modalités très diverses. On note sur ces questions une grande frilosité du Conseil de l'Europe. Par exemple, la Convention européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas l'IVG, non plus que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. On note également une grande frilosité de la part de l'Union européenne, car la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est également muette sur la question. Et puis, en dehors de l'Europe, je suis assez sceptique sur les possibilités de rayonnement. d'une telle réforme. Il me semble qu'à l'heure actuelle, la question est plutôt au relativisme des droits de l'homme. Au relativisme des droits de l'homme, ça veut dire que on considère que la reconnaissance, la consécration des droits et des libertés est une question culturelle, que c'est une question culturelle qui dépend de la culture de chaque État et qui est donc éminemment relative, de sorte que cette idée d'un universalisme Des droits et des libertés, de l'exemple que pourrait représenter la France pour d'autres pays, me semble assez illusoire.
- Speaker #0
Le consensus n'est pas encore acquis dans tous les États membres du Conseil de l'Europe sur ce sujet, comme sur d'autres d'ailleurs. Ce qu'on enseigne souvent à nos étudiants en droit des libertés fondamentales, c'est que le consensus est important, et la Cour européenne des droits de l'homme elle-même en tient compte assez souvent. Bien Ariane, merci beaucoup pour cet exposé qui était très intéressant, qui aidera nos auditeurs justement à faire la part des choses. à ne pas croire tout ce qu'on trouve sur Internet, mais ça, ils le savent déjà, mais surtout à connaître un peu davantage la portée réelle de cette loi constitutionnelle et à se forger une véritable opinion sur le sujet.
- Speaker #1
Cher Philippe, merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci, à bientôt. Au revoir.
- Speaker #1
Au revoir.