undefined cover
undefined cover
BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE." cover
BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE." cover
Conversations chez Lapérouse

BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE."

BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE."

53min |14/02/2025
Play
undefined cover
undefined cover
BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE." cover
BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE." cover
Conversations chez Lapérouse

BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE."

BLANDINE RINKEL : "QUAND TOUT EST PERDU, ON PEUT COMMENCER À RIRE."

53min |14/02/2025
Play

Description

La chanteuse du groupe Catastrophe publie "La Faille". C'est dire si elle va bien ! Nous avons dialogué une heure sans caméra (à sa demande). Elle trouve qu'on parle mieux sans être filmé. Je pense qu'elle a eu raison et que cette conversation sur la fin de la famille est idéale pour fêter la Saint Valentin.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, bienvenue chez moi. Conversation chez la Pérouse est une émission qui se déroule chez la Pénus, mon domicile parisien. Cette semaine... J'ai beaucoup de chance, je reçois

  • Speaker #1

    Blandine Rinkel pour son livre

  • Speaker #0

    La faille qui vient de paraître aux éditions

  • Speaker #1

    Stock.

  • Speaker #0

    Bravo, mais merci pour votre coopération sur ce générique, Madame Rinkel. Cette émission commence par un sponsoring. Nous avons le soutien des éditions Grasset cette semaine et je vais donc dire du bien de Bernard-Henri Lévy pour son livre Nuit Blanche où il parle de ses insomnies. C'est assez étonnant de sa part. On connaît le philosophe engagé. Mais là, pour le coup, il se livre comme jamais. Le livre est assez original parce qu'il est écrit en petits chapitres qui ressemblent un peu aux pensées qu'on a quand on n'arrive pas à s'endormir. C'est-à-dire qu'on zappe, on pense à des choses sérieuses, politiques, à toutes les horreurs du monde, et puis tout d'un coup on pense à autre chose, aux médicaments qu'on a pris, on pense à sa famille, on a des souvenirs qui viennent et on repasse à des guerres épouvantables dont il a été le témoin et qui l'empêchent de trouver le sommeil. C'est un livre très... je trouve assez courageux de la part de BHL et formellement par moment ça m'a fait penser à Un siècle débordé de Bernard Franck qui était aussi un livre de digression qui partait dans tous les sens et ça donne un certain charme à la lecture donc je vous recommande Nuit blanche de Bernard-Henri Lévy chez Grasset est-ce que vous avez un commentaire à faire sur Bernard-Henri Lévy, Blandine Rinkel ? aucun commentaire à faire fin de la publicité

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Et bonsoir et merci d'être là. Blandine, vous publiez La Faille. Et le titre vient d'une erreur de calligraphie. Quand vous écrivez le mot famille avec votre stylo, vous aplatissez le M. Et vous ne faites pas exprès et ça donne La Faille. Vous n'arrivez pas à écrire famille.

  • Speaker #1

    Si je m'efforce vraiment, j'y arriverai.

  • Speaker #0

    En majuscule peut-être, en majuscule.

  • Speaker #1

    Non mais quand je le fais de manière inconsciente en tous les cas. Oui, on lit failles. C'est évidemment une anecdote, mais ça permet d'expliquer très vite quel est le projet du livre, c'est-à-dire de partir de quelque chose d'intime et de parler de celles et ceux pour qui la famille est une faille.

  • Speaker #0

    Tous vos livres racontent... une sorte de projet, c'est-à-dire que si on liste vos titres, on a votre vision de la littérature, un peu, puisque en 2017 vous avez commencé par l'abandon des prétentions, qui pourrait être une définition de ce que c'est que la littérature quand elle est réussie. Ensuite, le non-secret des choses, en 2019, là aussi, ça définit votre conception, peut-être, de cette forme d'écriture, de soi. enquête sur son existence, quel est le nom derrière les choses. Vers la violence, bien sûr, en 2022. Alors là, pour le coup, vous avez été couronné par le Grand Prix des lectrices de Elle pour Vers la violence. Et vous abordiez une question personnelle. C'était romanesque, mais enfin, c'était sur votre père et la faille, enfin, cette année 2025. Et j'ajoute qu'en plus, vous êtes la chanteuse du groupe Catastrophe. Donc, vous avez... Ah,

  • Speaker #1

    vous pensez à un autre programme encore, Catastrophe ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. La faille,

  • Speaker #1

    Catastrophe... C'est un point de départ, mais tout est peut-être un... Je ne sais pas si c'est des programmes, peut-être vers la violence, oui. Mais la faille comme Catastrophe, qui n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. Mais il y a cette idée quand même de... C'est la fameuse phrase de Philippe Roth. Quand un écrivain est dans une famille, la famille est foutue. Et je crois que moi, c'est l'inverse. C'est-à-dire... On part du fait qu'il y avait quelque chose de foutu assez tôt. Et même l'idée catastrophe, je dirais plus que c'est... Je pars d'un espèce de paysage catastrophé ou une espèce de terre un peu calcinée. Et à partir de là, au contraire, l'idée c'est d'écrire, de reconstruire. Mais c'est moins un programme qu'un point de départ, je dirais.

  • Speaker #0

    Bien sûr, parce que ce que ne savent pas nos auditeurs, c'est qu'avant votre naissance, il y a eu un accident épouvantable dans votre famille. Votre père a perdu deux enfants. Et il y a eu ce drame initial avant votre naissance. Et de naître dans une famille qui est complètement sous le coup d'une tragédie, c'est très particulier. C'est un peu ce qui explique tous ces titres.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est aussi de grandir à l'ombre d'un père et d'une mère qui avaient chacun leur raison d'être... Inquiets, disons, par ce qu'ils fabriquaient avec la vie. J'ai l'impression que l'un et l'autre, de manière très différente, et l'un et l'autre étaient aussi joyeux, de manière très différente, mais habitaient dans un territoire menacé. J'ai l'impression qu'avant même d'avoir des mots pour le dire, confusément, j'ai grandi à l'ombre de cette menace, et donc j'en ai hérité de ce truc. Ce truc un peu d'être aux aguets.

  • Speaker #0

    Malgré vous, vous arrivez dans une famille comme ça, où il y a eu cet événement épouvantable. Et du coup, c'est comme si vous aviez pour mission de réparer, alors que vous n'y êtes pour rien. Vous débarquez sur Terre.

  • Speaker #1

    Oui, après, on ne m'a rien fait peser. Il ne fallait pas que je répète quoi que ce soit. Mais c'est vrai que très tôt, mais vraiment tôt, j'ai senti qu'il fallait, même si personne ne me le demandait, personne ne le faisait peser. Il fallait que je puisse être indépendante ou que je puisse être le parent d'un parent faillible. Très tôt, mais vraiment, je veux dire, je pense même avant 10 ans. J'ai senti ce truc. Si je faisais peser en plus, j'en sais rien, des pleurs, une tristesse, des difficultés à l'école, je dis n'importe quoi. Si je faisais peser ça en plus de tout ce qui avait déjà pesé, en fait, on n'allait pas vivre, on n'allait pas en survivre. Je veux dire, tout. Tous les trois,

  • Speaker #0

    mes parents et moi. Vous avez l'impression qu'ils étaient joyeux parce qu'ils se forçaient un peu à l'être ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Non, je crois que le sentiment de la catastrophe peut côtoyer la joie. Même parfois, ça va avec. Oui, bien sûr. Je crois que ce que j'ai de plus ardent en moi, ce que j'ai de plus joyeux, même un sens de l'humour, va avec une sorte de...

  • Speaker #0

    D'apocalypse.

  • Speaker #1

    Oui, peut-être. Intérieur, oui, peut-être. Il y a un truc, c'est quand on sait que tout peut être perdu. On peut commencer à danser.

  • Speaker #0

    À danser sur les ruines. La critique de la famille, c'est André Gide qui l'a entamé un peu il y a 128 ans dans les nourritures terrestres quand il disait famille, je vous hais. Vous ne le citez pas, mais vous citez, c'est très amusant, vous citez notamment la famille Ricorée. Vous dites, non, ce n'est pas possible. Je n'ai pas envie de vivre dans une famille Ricorée.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si elle existe vraiment, cette famille. J'interroge surtout ce récit-là. En fait, je ne comprends pas que ce récit perdure alors que personne ne vit vraiment ça. Il y a un espèce de truc, on aspire, donc on est tous déçus. Moi, je n'aspire pas à ça, mais j'ai le goût que beaucoup de gens sont... sont déçus parce qu'en fait le modèle qu'ils ont en tête est un modèle avec un jardinet avec des parents qui sont gentils qui apporte une tarte aux pommes et puis les enfants jouent au ballon voilà je pense que personne ne le personne ne sait c'est un peu un mensonge quoi ce mythe là mais pourtant en toile de fond souvent c'est inconscient en fait c'est mais en toile de fond ça persiste quand même je pense dans beaucoup de familles et l'envie d'être parfait quoi

  • Speaker #0

    C'est ça, l'envie d'être parfait ou d'être normal. Vous critiquez cet amour.

  • Speaker #1

    Oui, je crois. Comme si... J'ai lu encore, je crois hier, dans Le Monde, le journal, un article qui parlait de la pression sur les femmes pour avoir deux enfants plutôt qu'un. Ce qui me paraît complètement lunaire, parce que moi déjà, un enfant, je ne ressens aucune sorte de pression. Donc je me dis que c'est des personnes qui doivent être aussi sensibles aux pressions sociales. qui peuvent-elles, elles le sont, elles le sont. D'ailleurs, c'était marrant parce que l'article insistait sur les femmes, et je me disais, mais bon, la question doit être, pourquoi ?

  • Speaker #0

    Cette question existe quand même sur les femmes.

  • Speaker #1

    Elle existe, mais moi, j'y suis peu sensible personnellement. Je pense que ça vient déjà de la lecture. Je veux dire, de lire, il y a tellement de manières de vivre, de voir, de parler possibles qu'au bout d'un moment, l'autorité de cette pression tombe un peu. Moi, je la sens peu, en fait, cette pression. Ou en tous les cas, elle ne me sur-intimide pas, disons. Mais qu'est-ce que j'allais dire ?

  • Speaker #0

    Vous en parlez de ça. Vous en parlez, page 208. Oui. Est-ce que vous accepteriez de lire ce passage ? Est-ce que c'est intéressant ? Vous dites qu'il n'y a pas de pression, mais quand même, vous la décrivez un petit peu dans ce passage.

  • Speaker #1

    Alors, je ne crois pas, mais je vais le lire et je vais écouter. Oui,

  • Speaker #0

    expliquons-nous, expliquons-nous.

  • Speaker #1

    Oui. Dans une pièce fermée à quelques mètres, tu fabriques de la musique et gardes tes éclats et tes parts d'ombre auprès de toi. Nous sommes au crépuscule du printemps. bientôt la chaleur encore tempérée basculera dans une torpeur totale. C'est le bleu qui nous le dit, celui du ciel et des fleurs. Les guêpes et la crème solaire sont déjà là, c'est un avant-goût de l'été, et des familles, toutes en tongs et en cris, dévalent la rue qui mène vers la mer. Nous les sentons qui passent, les observons, leur souriant. Nous travaillons proches l'un de l'autre, quoique sans se voir ni se parler, bercés par les rires des enfants et les grondements de leurs parents. Parfois la vision d'un garçon chevauchant à Saint-Bernard ou d'une petite fille qui étreint son masque et son tuba contre sa poitrine me serrent brutalement le cœur. À d'autres moments, l'inertie et la nervosité des groupes en déplacement, le sérieux qu'ils donnent Ausha des plats du dîner, me font à la fois soupirer et rire. Je ne me sens plus vraiment concernée, cela me va. Nous sommes de l'autre côté de la rive, nous n'en serons sans doute pas. Il n'y aura pas de couche à changer, pas de discussion sur la contraception, ni de noces d'argent et d'or. Il n'y aura pas de vacances collectives, de Père Noël éventé au cours d'un repas, ni de bataille d'héritage.

  • Speaker #0

    Moi j'aime beaucoup ce passage parce que vous parlez, je suppose que c'est vous et votre compagnon, et vous vous entendez, vous voyez passer toutes ces familles qui sont caricaturales, qui sont en vacances.

  • Speaker #1

    Oui, en même temps pour lesquelles je pense que ce passage justement en rend compte, pour lesquelles je peux avoir de la tendresse, du désir.

  • Speaker #0

    Enfin en tout cas un désir d'enfant. Oui,

  • Speaker #1

    un désir quand même.

  • Speaker #0

    Vous dites à un moment que ça vous sert le cœur de voir une petite fille avec son masque et son tuba. Oui. Vous avez un désir de...

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je trouve très beau, mais c'est quelque chose qui a un peu une ligne rouge, je pense, dans le livre. C'est que celles et ceux pour qui la notion de famille est abîmée ne le décident pas toujours. Je ne crois pas du tout faire un espèce de geste punk en disant « allez vous faire foutre, vous qui avez concédé à l'ordre familial » . Ce n'est pas ça du tout. C'est plus très jeune, cette idée de famille a été abîmée, puis elle a continué à l'être. par des rencontres aussi, peut-être parce que ceux qui se sont éjectés ou ont été éjectés d'une famille se retrouvent, se voient. Il y a quelque chose dans l'œil, je pense, qui circule. Il y a une écorchure dans l'œil qui fait qu'on va, en fait. On va les uns vers les autres. Et donc, voilà, ce n'est pas tout à fait un choix. C'en est un, mais ce n'est pas que ça. Et je pense que le livre essaie de rendre compte de ça. Ce n'était pas du tout un livre que je voulais écrire contre. C'est-à-dire que ce n'est pas un livre de mépris, ce n'est pas un livre qui a vocation à agresser qui que ce soit ? Non,

  • Speaker #0

    mais d'ailleurs, c'est intéressant parce que c'est un livre qui est composite. C'est un livre de fragments avec une partie qui est autobiographique, une partie qui est plus proche de l'essai. Parfois, vous allez vers de la critique littéraire, vos lectures, les films que vous aimez. Et c'est très libre comme forme. C'était volontaire de... de dépasser la dichotomie entre romans et essais. Vous voyez, dans les listes des best-sellers, il y a toujours la colonne avec les romans et la colonne avec les essais. Vous ne vouliez pas être classable.

  • Speaker #1

    De plus en plus, quand même. Je pense qu'il y a des genres hybrides. Je pense à ce qu'a fait Laure Murat ou Neige Sinault. Je pense dans les trucs très récents en France. Mais littérature anglo-saxonne, on en trouve plein quand même de non-fiction comme ça.

  • Speaker #0

    Vous citez aussi ?

  • Speaker #1

    Maggie Nelson, Rebecca Solnit, Leslie Jamison, même une Rachel Cuss. Je pense qu'il y a des endroits...

  • Speaker #0

    que nous avons reçues dans cette édition ?

  • Speaker #1

    Il y a des endroits hybrides qui se permettent aussi de théoriser. Je pense que ça existe depuis très longtemps, donc ce n'est pas forcément novateur. Par contre, c'est vrai que je ne me l'étais pas autorisée comme ça avant. Et ça a un rapport, en effet, avec ce qu'on disait juste avant, à savoir que, je viens de perdre mon idée, mais je vais la retrouver dans une seconde.

  • Speaker #0

    À savoir que quand vous voyez une fille avec un masque et un plus bas...

  • Speaker #1

    À savoir que je suis passée par plein de couches de réflexion, de lecture, de remise en question pour écrire ce livre. Et que je dis, le livre n'a pas vocation à agresser, c'est vrai. parfois écrit certaines pages en partant d'une petite colère, que je n'avais pas une colère contre les familles, mais une colère contre parfois le sentiment, le léger sentiment de supériorité que je pouvais sentir poindre des gens qui me parlaient de leur mode de vie et qui semblaient avoir peut-être une petite pitié pour celles et ceux qui, comme moi, n'aspirons pas, n'habitons pas dans des familles structurées.

  • Speaker #0

    Mais vous ne savez pas si c'est définitif ?

  • Speaker #1

    Non. Bien sûr, je ne me demandais pas si c'était définitif, mais je sentais poindre un peu ça. Mais pas, je pense que c'est des choses dans l'air, c'est des choses qui flottent dans l'air. Je pense qu'on écrit à partir de ce qui flotte dans l'air. Mais sentant ça, il est arrivé que j'écrive avec une petite pointe de colère. Et en me relisant des jours après, quand j'écrivais, je me disais non, en fait, il faut réajuster. Et pour réajuster, j'en passais par un film, par un livre. Pour réajuster, j'en passais par une scène qui permettait de ramener de la chaleur à des endroits qui sont un peu froids, qui sont un peu théoriques, qui sont très informés. Parce qu'il y a des pages aussi, par exemple, sur l'évolution de la famille en France depuis l'Ancien Régime. Juste moi, ça m'intéressait de voir, tiens, qu'est-ce qu'on désigne aussi par le mot famille ? Qu'est-ce que c'était d'être un père, d'être une mère sous l'Ancien Régime ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de la même chose ? Voilà, ça permet de lire, d'ouvrir aussi la... d'ouvrir notre perception, d'être un peu moins collé à ce qu'on vit, à ce qu'on voit. Mais c'était des moments d'écriture qui étaient forcément froids, parce qu'en fait, j'intégrais beaucoup, beaucoup de lecture. Et je me disais, ça ne va pas non plus, parce que moi, mon grand plaisir quand même de lectrice, il vient de ne jamais séparer le plaisir de l'érudition, ou de l'érudition, ce n'est même pas le mot, mais le plaisir du fait d'apprendre. Le fait que savoir, comprendre est lié à un... Et le plaisir, sont liés, se répondent. Et donc, je suis passée par plein de couches d'écriture et du coup, de genres d'écriture aussi. Je me suis dit, bon, maintenant que je suis lancée dans une espèce de texte hybride, autant ne rien s'interdire. Donc, c'est vrai que il y a des dessins, comme ce que je viens de lire, des passages qui sont presque un peu lyriques, qui sont assez intimes et qui sont littéraires.

  • Speaker #0

    Celui-là, il est à la toute fin. Et donc, c'est vrai qu'on le prend comme un petit peu, en fait, comment dire, l'épilogue ou la conclusion de tout. Toute cette réflexion sur la famille, où vous regardez ces familles qui passent et vous vous dites, ce n'est pas pour moi, mais c'est beau. Et puis finalement, voilà, il n'y avait pas de méchanceté là-dedans.

  • Speaker #1

    Oui, oui, c'est vrai que c'est un... Finalement, il est à la toute fin, mais je crois qu'il boucle avec le début, ce que je n'avais pas du tout conscientisé avant là qu'on en parle, au sens où il est écrit au futur antérieur, si je ne m'abuse. C'est-à-dire...

  • Speaker #0

    Il se projette dans quelque chose qui n'aura peut-être pas lieu.

  • Speaker #1

    Ça n'aura pas été. Et au tout début du livre, je dis que j'ai vécu toute mon enfance au futur antérieur. Parce que tout en vivant mon enfance, je me disais, tiens, j'aurais essayé la famille et j'en aurais fini. Et donc, finalement, c'est aussi une fin qui boucle, je pense, avec Will.

  • Speaker #0

    Mais ce qui est dingue, ce qui est marrant, moi j'ai lu tous vos livres et c'est fascinant parce que vous avez toujours écrit sur la famille et en même temps vous vous dites ah non c'est pas pour moi mais en fait littérairement c'est votre sujet. Le premier roman est sur votre mère, même si c'est un roman, les noms sont changés mais c'est tout de même un roman sur une fille qui est avec sa mère et qui admire sa mère.

  • Speaker #1

    Ouais ouais, la fille est quand même peu présente dans le premier roman, au départ je voulais vraiment l'écrire d'ailleurs pour une femme de 65 ans sans... d'aller préciser forcément que c'était ma mère. Et puis, normalement, je me suis dit que ça nuisait à l'écriture de Père-Déjeuner. Mais oui, oui.

  • Speaker #0

    En quête de notre cas des choses, elle s'échappe, elle part à Paris. Ensuite, vers la violence, c'est sur le père. Un père un peu flamboyant, incontrôlable, qui boit, qui est brutal, qui tape son chien. Oui,

  • Speaker #1

    qui ne boit pas plus que ça. Il y a une scène où il boit, donc on le retient, mais c'est pas... C'est pas... Mais oui, c'est sûr que j'ai écrit à partir de silence, je pense. Et donc à partir de silence que j'avais éprouvé dans ma famille. Je pense qu'il y a une phrase que je crois citer dans La Faille de Jeannette Winterson qui dit qu'il arrive que les familles soient des conspirations du silence. Et donc, on écrit pour essayer d'entrer là-dedans, de nuire à la conspiration.

  • Speaker #0

    Et la clé.

  • Speaker #1

    Oui, de réouvrir quelque chose et de mettre du langage. Et puis de nuire aux mensonges aussi, de nuire peut-être aux... aux récits uniques qui sont favorisés par les groupes qui veulent assurer leur cohésion avec un récit clair, un récit unique. Donc l'envie de récits, l'envie tout simplement de littérature, je pense mon goût d'abord de lectrice, puis le fait que j'ai écrit vient de ma famille. Après,

  • Speaker #0

    je n'aspire pas toute ma vie à une histoire de lire. Non, mais on n'en sait rien. Vous verrez bien.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression quand même que c'est la fin d'une phrase. Que la phrase avait commencé avec l'abandon des prétentions.

  • Speaker #0

    Et s'achève avec la faille.

  • Speaker #1

    Je crois. Après, je ne sais pas, j'ai des idées, mais je ne sais pas si je serai à la hauteur de l'envie. Mais j'ai d'autres idées, mais je crois que je vais sortir de cette phrase-là.

  • Speaker #0

    En tout cas, cette envie d'enquêter sur la famille et les non-dits, ça, on a ça en commun. Vous ne trouvez pas quand même... On n'est pas les seuls. On n'est pas les seuls. Non, justement, j'allais dire ça. Et cette littérature contemporaine qui devient une compétition de traumatisés... Est-ce que ce n'est pas aussi quelque chose qui est un peu fatigant ? Je dis ça parce que vous, ce que vous avez vécu, ce que votre famille a connu, vous auriez pu vraiment en faire des tonnes et des tonnes. Et vous ne le faites absolument jamais.

  • Speaker #1

    Je ne le perçois pas comme ça.

  • Speaker #0

    Je ne peux pas dire que c'est valable. C'est pour ça que c'est intéressant. C'est présent, la tragédie, elle plane autour. Mais comme dans votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais je ne le perçois pas comme ça. Et je pense que ça me vient aussi paradoxalement de l'éducation que j'ai eue de mon père. C'est-à-dire que ce qui était quand même des choses terribles qui lui sont arrivées, donc avec une famille perdue, mais aussi... Mon père, c'était un militaire. Il a connu des choses dures, même dans sa famille, sans vouloir trop éventer une vie qui lui appartient. Mais dans sa famille, je veux dire biologique, il a été frappé. Il a connu vraiment des choses très dures. mais en fait s'il avait une manière de rire qui peut être traumatisante bizarrement, c'est-à-dire qu'à force de rire et de faire tout une sorte d'énorme blague noire il y a quand même quelque chose quelque chose de c'est une catégorie quelque chose de menaçant c'est une catégorie d'hommes et en même temps de ça j'hérite de ça, j'essaye de le voir avec plus de lucidité, de voir aussi des choses ... de blessures peut-être qui auraient été évitées par le fait de parler en pesant les mots plutôt que de tout englober dans une grosse blague noire qui peut laisser des traces. Et en même temps, j'aime le mot, j'hérite de cette double, une exigence de lucidité et en même temps un goût de... De la pure paix. Oui, de ne pas rester... Un goût du trickster. Je parle du trickster dans le livre. Le trickster, c'est une figure en anthropologie que j'ai découvert en lisant l'anthropologue Nastasia Martin et c'est... Le trickster, c'est celui qui échappe, c'est celui qui se soustrait à la définition, qui a pour définition de ne pas avoir de définition. Et donc, elle observe ça avec des animaux qu'on essaye de pister et qui reviennent sur leurs traces en permanence. Donc, on n'arrive pas à pister, on n'arrive pas à savoir exactement quels déplacements ils font parce qu'ils reviennent, donc ils brouillent les pistes. Et c'est vrai que l'idée de la figure de trickster me semble assez belle. Évidemment que c'est vain, parce qu'on n'échappera pas au fait d'avoir quand même, à la fin de notre vie en tous les cas, Une définition, une identité, on aurait fait certaines choses, on n'en aurait pas fait d'autres. Évidemment que c'est vain. Mais moi, me touchent les gens qui sont en lutte contre leurs propres tendances, qui ne veulent pas être réifiés, qui essayent de s'échapper dès qu'on les a sous cloche. Ça me touche. C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrimins qui sont comme ça.

  • Speaker #0

    Vous dites « la vie domestique m'inquiète » et à un autre endroit « l'extérieur était une promesse » . C'est très beau tout ça, mais oui. compliqué à vivre quand on est un enfant dans une famille. Mais même si cette famille était quand même un peu originale.

  • Speaker #1

    Un peu marrante, oui.

  • Speaker #0

    Vous dites de votre père que c'était un despote fantaisiste. Alors ça, je pourrais signer aussi à propos du mien. Mais je peux vous poser une question con et indiscrète et vous n'êtes pas obligée de répondre. Non,

  • Speaker #1

    je me sentirais libre.

  • Speaker #0

    Comment a réagi votre famille à la faille et à tous les livres précédents ? Est-ce qu'on vous l'a déjà posé, cette question ?

  • Speaker #1

    Oh oui, j'ai un très bon lien avec ma mère au sens où je pense qu'elle, finalement, elle aspirait elle-même, alors peut-être pas à écrire, mais elle m'a révélé très récemment. Je trouve ça très beau. Donc ma mère a grandi dans une famille de paysans très pauvres, c'est-à-dire vraiment dans une ferme pauvre. À titre d'exemple, elle trouve qu'Agné Arnaud était vraiment privilégié. Bon, elle a fait des études et tout ça. Elle a changé, je pense, même de classe sociale. On est en deux classes, pour reprendre ce mot que je n'adore pas. Mais pourquoi je dis ça ? Parce qu'elle m'a raconté récemment que sa propre mère, que je n'ai jamais connue, donc ma grand-mère, ça me fait bizarre de dire ça, lisait de la poésie en secret. Ce qui est assez beau, parce qu'en fait, elle le sent au... aucune sorte de but, enfin juste elle lisait de la poésie parce que on ne sait pas trop pourquoi, elle était tombée sur de la poésie et elle m'a raconté notamment que les enfants de cette femme dont elle savait qu'elle lisait de la poésie, que c'était pas très bien vu par le père et que quand le père revenait à la maison, père qui n'était pas du tout maltraitant, mais juste à quoi ça sert de lire de la poésie alors qu'on doit faire tourner une carte les enfants venaient dire à la mère, enfin, lui tapaient sur l'épaule, ce que j'ai trouvé assez beau. En fait, elle ne m'avait jamais raconté ça. Quand elle m'a raconté ça, je me suis dit quand même, ça explique quelque chose de son amusement assez étonnant à ce que j'écris, ce que j'écris. Parce qu'évidemment, moi, au départ, en écrivant, à la fois, je me sentais bizarrement autorisée. C'est-à-dire que mon père comme ma mère, je pense qu'ils ne m'ont jamais empêchée d'écrire. Même de lire, même si mon père a eu des mouvements d'humeur, mais ça relève d'autres choses. Je pense que ce n'est pas l'activité de lire, en fait, vraiment, ça relevait de mouvements d'humeur qui étaient liés à autre chose. Bref. Mais en tous les cas, je ne me suis jamais sentie, oui, interdite par mes parents de décrire ce que j'ai écrit. Mais une fois que c'est... J'ai beau dire ça, une fois que le texte était là et qu'il allait paraître, évidemment, j'avais quand même une inquiétude sourde. Et en fait, ma mère a toujours été presque... plus coriaces que les textes que je publiais dans ses retours. Et je trouve ça très fort. Et encore ce matin, je l'ai eue au téléphone parce que, bref, je l'ai eue au téléphone, et elle me disait qu'elle était déprimée parce qu'elle se demandait, elle s'inquiétait pour cet été, l'été à venir. Elle a peur d'être seule, de ne pas savoir quoi faire l'été parce qu'elle participe à des... Elle est bénévole dans des associations et ces associations, en général, ferment l'été. Bon, voilà. Et elle se retrouve plutôt isolée parce que les personnes avec qui même elle fait du bénévolat ou les personnes qu'elle fréquente, des espèces de cercles d'amitié furtive, on va dire, ces personnes-là, en général, disparaissent un peu l'été parce que petits-enfants, parce que famille, en fait. Et elle me disait quand même, il faut le redire, il faut redire ce que tu dis dans la faille. C'est marrant quand même.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous êtes sa seule famille, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Non, elle a des frères et sœurs, mais en fait, il n'y a pas... Cette habitude des fêtes de famille, des repas de famille, en fait, au quotidien, oui. Au quotidien, on est une mère et une fille.

  • Speaker #0

    Oui. D'ailleurs, le livre La Faille aurait pu s'intituler Une femme seule.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas. Qu'elle femme ? Non, non, non, il n'aurait pas pu s'intituler comme ça parce qu'il ne s'agit pas que d'une histoire de femme, je ne crois vraiment pas. Non, non. Et que si je l'avais intitulé comme ça, ce serait... Parce que je veux dire très concrètement, dans le livre, il y a des morts et ces morts sont aussi des hommes. Il y en a plusieurs. Bien sûr, on peut dénoncer l'aspect chef de famille, dont juste cette expression n'a disparu du droit qu'en 1970, donc c'est quand même assez récent. On peut interroger l'aspect patriarcal, pour le dire avec un mot dans l'œil. Évidemment, et on aurait raison de le faire, bien sûr que les femmes ont subi les normes domestiques. encore autrement, disons, que les hommes étaient relégués à l'espace domestique, etc. Mais ce n'est pas l'angle du livre. Et je m'intéresse aussi aux souffrances que peuvent créer l'autorité de certaines normes familiales sur des hommes qui n'y arrivent pas, qui ne peuvent pas, dont les désirs aussi ne sont pas toujours compatibles avec la famille, et notamment avec la famille hétéronormée, pour le dire.

  • Speaker #0

    J'ai découvert des choses en lisant votre livre, incroyable. Par exemple, il existe une... Une sorte de secte à Paris qui s'appelle la famille avec un F majuscule qui existe depuis 200 ans. Et moi je pensais que vous aviez inventé. Je suis allé vérifier. Donc c'est véridique, il y a vraiment cette espèce de famille composée de je ne sais combien de milliers de membres qui se marient entre cousins et qui vivent comme en vase clos. C'est fou, hein ? Oui, c'est fou, c'est pas ça du tout. C'est dans quel arrondissement ? Dans le troisième ou le quatrième ? Je ne sais plus.

  • Speaker #1

    Le troisième, moi j'avais retenu, mais je ne sais plus.

  • Speaker #0

    Et donc, comment vous êtes tombée sur cette... C'est vrai que c'est une image assez intéressante de ce que ça peut être qu'une famille...

  • Speaker #1

    Oui, alors...

  • Speaker #0

    Comme enfermement, quoi.

  • Speaker #1

    Oui, après c'est évidemment provoquant, au sens où je sais bien que la famille n'est pas réductible à... à ce qui est vraiment une caricature des lois familiales, cette secte de la famille. Mais j'ai découvert ça dans un livre très sourcé de Suzanne Privat qui a consacré toute une enquête en 2021 à cette secte de la famille. Et oui, qui explique aussi... Donc, ils se marient entre cousins, etc. Ils ont des joues rouges, il y a des doigts en plus. Vous l'avez peut-être dit pour eux, mais dans l'intro, je ne sais plus. C'est-à-dire qu'il y a des séquelles physiques. Et ça m'intéressait aussi l'idée de séquelles physiques à force de rester au même endroit, à force de barboter avec les siens. Je trouve intéressante cette idée. Après, évidemment, vraiment dans le livre, je suis soucieuse de ne pas caricaturer les choses. Je sais bien qu'il existe.

  • Speaker #0

    pléthore de modèles familiaux, surtout aujourd'hui, et que finalement la famille, dans ce qu'elle a de plus normatif, c'est un tuteur dont on peut tout à fait s'affranchir. J'ai cette image dans le livre où je dis qu'il y a... En fait, les plantes sont comme des... Les familles sont comme des plantes qui ont toutes sortes d'allures, de formes, qui grossissent, qui s'amoindrissent, et qui peuvent complètement s'émanciper du tuteur de la plante. Néanmoins, il y a quand même ce modèle à exister, il existe. Et même quand on croit en être très affranchi, il arrive qu'on ait certains réflexes. De silenciation, notamment. Je pensais de préférer le mensonge à la vérité.

  • Speaker #1

    Le livre se conclut sur un dessin de canine. Alors, c'est une allusion à un film de Yorgos Lanthimos. Expliquez pourquoi. Parce que la canine, dans le film, elle a un sens spécial.

  • Speaker #0

    Je suis contente que vous ayez repéré cette petite canine.

  • Speaker #1

    C'est une bonne expérience. Elle n'est pas super bien dessinée, mais on la reconnaît quand même. Elle est patinatrice.

  • Speaker #0

    Mais oui, c'est un film de Yorgos Lanthimos, Canine, qui raconte une sorte d'utopie cauchemardesque où en fait, un homme va élever, je crois qu'il y a deux filles, un garçon, il me semble, dans un univers clos, complètement clôturé de part en part et clos aussi par le récit qu'on en fait. J'insiste là-dessus dans ce que j'écris sur Canine, c'est-à-dire que... On ne peut pas voir ce qu'il y a derrière la clôture, donc le mur qui mène au dehors, mais on ne peut pas non plus parler des événements ou des choses qui adviendraient du dehors. C'est-à-dire que, par exemple, à un moment, je crois qu'il y a un chat qui saute la barrière. Et en fait, il ne faut pas appeler un chat un chat. Littéralement, il faut l'appeler autrement. Il faut le laisser penser que c'est une créature extraordinaire, extraterrestre, qu'il n'aurait pas dû se trouver là. Et il renomme comme ça toutes les choses qui pourraient filtrer du monde extérieur.

  • Speaker #1

    C'est un délire extrême quand même. C'est une utopie cauchemardesque.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une utopie, c'est une dystopie. Mais qui est quand même intéressant. Yorgos Lanthimos dit en interview que la famille est un sujet qui l'intéresse énormément, avec un petit sourire, et j'aime bien ce petit sourire. C'est un film quand même assez fabuleux. Et donc c'est vrai que pourquoi la canine ? Parce que... On explique aux enfants que le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, parce qu'évidemment, ils se demandent quand même qu'est-ce qu'il y a derrière ce grand mur, le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, c'est de perdre une canine, que la canine tombe. Et la canine, les canines ne tombent pas.

  • Speaker #1

    Donc, les enfants s'arrachent les dents.

  • Speaker #0

    On vient quand même de gâcher.

  • Speaker #1

    C'est pas on, c'est j'ai. Mais ça va, il est sorti il y a longtemps. Oui,

  • Speaker #0

    et puis franchement, on peut voir les films. Moi, je crois qu'on peut avoir les fins de films gâchés. tout de même les regarder pour d'autres raisons.

  • Speaker #1

    Mais c'est intéressant que vous ayez terminé là-dessus, parce que votre discours depuis le début, c'est comment remettre en question ce modèle familial, comment échapper à cette chose. Mais comme je le dis, vous parlez presque uniquement de ce sujet-là. Et donc, en fait, c'est impossible. C'est impossible d'en sortir.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas l'orgueil de penser que je vais relancer. la manière dont nous vivons les uns les autres. Je ne vais pas relancer cette norme, ça ne disparaîtra pas. On aura toujours envie de faire des enfants, on aura toujours envie de se regrouper. Je ne sais pas ça. Mais je m'intéresse à celles et ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, n'y arrivent pas.

  • Speaker #1

    Autre chose. Par exemple, vous aimez bien Geoffroy de Laguernerie. C'est vrai que ces gens-là réfléchissent sur autre chose que la famille avec l'amitié. Ils pensent peut-être à un... Un groupe d'amis ou trois amis, c'est peut-être une alternative à la famille bourgeoise.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Après, je n'idéalise pas non plus l'amitié. C'est-à-dire que je pense que dans les amitiés, les amitiés groupées peuvent se rejouer des logiques de pouvoir, de domination, de bannissement. Ça peut se rejouer. Ça peut ne pas aussi. Mais de même que la famille, ce n'est pas fatalement un endroit de mensonges et d'abannissement. Mais ça peut l'être. Et en fait, c'est juste ce qui me semble n'être pas... pas dit. En fait, on a peur parce que c'est tabou. Il me semble y avoir peu de récits en dehors du modèle familial. Et en effet, Geoffroy de Laguerne m'intéresse comme m'intéresse Hélène Gianecchini qui a écrit Un désir démesuré d'amitié, je crois, l'année dernière, où il réfléchit à ces espèces de modèles utopiques. Oui,

  • Speaker #1

    chercher une autre manière de vivre.

  • Speaker #0

    Je l'éprouve intéressant. Après, je ne partage pas toujours la hiérarchisation qui en est faite. C'est-à-dire que je... En fait, je pense que les modèles peuvent coexister sans qu'on ait besoin de les réaliser. Oui,

  • Speaker #1

    ils sont plus critiques que vous, avec la famille traditionnelle. Je suis critique,

  • Speaker #0

    mais c'est vrai que je garde toujours une forme de tendresse, ou en tous les cas, j'essaie de comprendre. J'essaie de comprendre quand même pourquoi même des gens qui ont subi des choses finalement dures dans leur famille biologique vont essayer de renouveler, vont y croire, vont avoir de la foi pour fonder une famille. Je trouve ça beau, en fait, d'y croire quand même. Moi, je n'y arrive pas. Je n'y crois pas quand même.

  • Speaker #1

    C'est tellement possible.

  • Speaker #0

    Mais je trouve ça, je pense que c'est important de ne pas amoindrir le fait que les gens aussi font ce qu'ils peuvent.

  • Speaker #1

    Ils peuvent. J'aime bien quand vous dites que vous avez envie d'être anormale. Vous n'êtes pas obligée d'être d'accord avec ce que je dis, mais c'est un risque aussi. Qu'est-ce qui est plus douloureux ? D'être normale ou d'essayer d'échapper à la norme tout le temps ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. En fait, je ne crois pas, moi, à la... à la prescription, au sens où je ne pense pas déjà qu'il y ait une forme de vie qui serait valable pour tous les individus. Je pense que c'est ça que je critique profondément, c'est-à-dire l'idée qu'il y a un modèle qui serait un modèle valable pour toutes et tous. Je pense que ça nous fait beaucoup de tort, ça nous fait beaucoup de mal que selon la manière dont on est né, dont on a grandi, même selon nos corps, mais même des trucs de bile, je suis sûre que si on enquêtait sur... En fait, le modèle unique ne marche pas. Moi, je crois tout simplement à la multiplication des possibles. Et je ne sais pas ce qui est mieux. Encore une fois, j'essaie de décrire ce qui est, déjà, sans prescrire quoi que ce soit. De décrire ce qui est et de décrire tout simplement qu'il y a des gens pour qui, non, ce n'est pas une évidence que le foyer est un refuge. Et je trouve que c'est quelque chose quand même qu'on... Aujourd'hui, je trouve que ce soit... À droite de l'échiquier politique, à l'extrême droite, n'en parlons pas, mais même à gauche, il y a cette idée quand même que la famille nous protégerait forcément, que la sphère publique étant menaçante pour tout un tas de raisons, que l'État pouvant être menaçant, voilà, c'est des choses qui sont vraies. Il y aurait quand même cette sphère familiale qui serait à la fin des fins.

  • Speaker #1

    Ça vient de toute l'histoire du XXe siècle, c'est-à-dire qu'on a voulu échapper après la guerre. Pendant la guerre, c'était travail, famille, patrie. Donc après, on a voulu échapper à tout ça, se faire voler en éclats les structures religieuses, familiales, anciennes. Et puis, c'était mai 68, les années 70, 80. Moi, j'étais enfant à cette époque-là. Et je peux vous dire que ce n'était pas simple de traverser ces tentatives de libération sexuelle et autres. Et puis, maintenant, on revient en arrière. On revient. Ce n'est pas... réactionnaire de dire ça. C'est simplement que on s'est aperçu que la destruction des structures était presque pire que la structure. Et donc, il y a une sorte de...

  • Speaker #0

    Bien sûr, et qu'on est en temps de crise, et comme il y a dans le passage qui s'intéresse brièvement, je ne suis pas du tout spécialiste ni historienne, j'ai juste lu des travaux de sociologues sur l'histoire de la famille, donc qui s'intéressent à l'histoire de la famille. C'est vrai que ce que j'ai constaté dans ce que j'ai lu, c'est qu'à chaque fois en temps de crise, On se replie, ou on espère retrouver de la chaleur, du réconfort, de la sécurité financière aussi, dans la sphère privée, dans la sphère familiale. Et je l'entends tout à fait. Je fais aussi état des familles d'immigrés qui protègent des personnes qui se sentent menacées par ce qu'elles nomment du racisme institutionnel, etc. Et je l'entends, je ne suis pas du tout en train de nier ça. Mais juste, il y a des personnes qui, tout en entendant ça, en comprenant ça, ont été éjectées, ont été brutalisées et pour qui ce n'est pas synonyme de refus.

  • Speaker #1

    De bonheur.

  • Speaker #0

    Et ces personnes-là, je pense que c'est difficile pour elles finalement de s'exprimer parce que il y a toujours suspicion d'une part de gâcher la joie commune, voilà, décorcher un peu la joie commune, ou alors au contraire d'être... Est-ce que ce ne serait pas une parole d'affreux jojo libéral comme on a connu et qui vont mettre fin ? Je pense que c'est plus C'est plus humble que ça C'est tout simplement je n'y arrive pas Ou j'ai trop souffert pour y aller

  • Speaker #1

    En tout cas voilà Ça a l'air compliqué comme discussion Mais c'est en fait Blandine Rinkel est quelqu'un qui cherche Et ce livre c'est une quête C'est une quête et il y a de tout Dans le livre et ça pose énormément de questions Et c'est intéressant d'en parler Alors on passe maintenant Au jeu devine tes citations Blandine Un jeu où je vous lis des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez essayer de me dire dans quel livre vous avez dit ça.

  • Speaker #0

    Super.

  • Speaker #1

    Il ne m'avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Cependant, j'héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J'héritais de lui l'absence, la joie et la violence.

  • Speaker #0

    Vers la violence. Un peu facile.

  • Speaker #1

    Je commence toujours par une question facile. Rempris d'Electrice Dehael en 2023, vers la violence. Mais quand même une question, pourquoi vous n'avez pas osé à l'époque le récit ? Pourquoi Gérard alors que ce n'est pas le vrai nom de votre père ?

  • Speaker #0

    Parce que ce n'est pas un récit, c'est un roman, j'y tiens. J'ai dû transposer, j'ai dû et j'ai eu envie, je pense que c'est un mélange des deux, transposer des événements déjà qui appartiennent à d'autres vies que la mienne. On peut s'autoriser beaucoup de choses quand on écrit, mais je pense qu'il y a quand même une certaine éthique. En tous les cas, on doit s'interroger.

  • Speaker #1

    Donc pour être libre, vous préfériez la fiction ?

  • Speaker #0

    Pour être libre et pour protéger les morts et les vivants, j'avais besoin de la fiction. Et par ailleurs, ça m'intéressait, il y avait tout un champ lexical autour de l'animalité qui m'intéressait beaucoup aussi pour d'autres raisons, parce que les animaux m'importent, m'intéressent. Et ça m'intéressait d'écrire aussi des choses autour des animaux, mais qui me faisaient un peu plus entrer dans la fiction, parce que, en réalité, dans mon enfance, ça n'a pas été central, disons, l'animalité. Mais ça m'intéressait beaucoup, en termes vraiment littéraires, en termes de langue, ça me passionnait. Donc, il y a aussi des scènes qui se sont écrites pour ça, parce que j'avais envie, en fait, d'explorer ce champ lexical-là.

  • Speaker #1

    Mais moi, je me suis dit... Vous dites que j'héritais de lui l'absence, la joie et la violence. Quand on est... père, moi j'ai deux filles, on a envie qu'elle soit forte en ce moment, dans ce monde. On a envie aussi, c'est pas d'être violent, mais qu'elle, elle soit capable de se défendre et d'être, vous voyez ce que je veux dire ? C'est peut-être ça qu'il vous a enseigné aussi. Il avait peut-être peur, tout simplement, pour sa fille, et envie qu'elle puisse se battre.

  • Speaker #0

    Oui, je pense qu'il m'a... laisser ça, mais presque à son corps défendant. Je ne sais pas si c'est complètement une décision. De toute façon, je ne sais pas si sa manière d'éduquer a été complètement une décision. C'est ainsi, c'est ce que c'est.

  • Speaker #1

    Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous écrit ceci ? Les gens préfèrent mentir plutôt qu'avouer qu'ils ne savent pas.

  • Speaker #0

    Je pense dans Le non-secret des choses.

  • Speaker #1

    C'était tout à fait exact. Bravo, 2019. La provinciale, donc, dans le livre qui vient de Saint-Jean-des-Oies, a toujours du mal avec les snobinards parisiens aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    J'ai plus de... Je crois que j'ai de la tendresse, parce que maintenant, je vois davantage quand même à quel point ça relève d'une espèce de stratégie de défense foireuse. De faire semblant d'avoir lu... Parce que je pense qu'on est tous effrayés, quoi, à l'idée de cette... Mais aussi de cette... On en revient à la norme, hein, mais... De cette norme aussi de la culture légitime à Paris, qui est quand même très pesante, qui est beaucoup moins pesante. Moi, en tous les cas, à Rosée, je ne la sentais pas. La culture légitime, je ne parle pas de la culture tout court, mais une certaine culture.

  • Speaker #1

    Rosée, c'était le vrai village dont le livre s'appelle Saint-Jean-des-Oies.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas un village, c'est une ville en banlieue de Nantes. Mais oui, oui, Saint-Jean-des-Oies. C'est encore autre chose qui est fictionnée, mais je laisse les gens faire leurs petites enquêtes.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est vrai que moi, ça m'a beaucoup amusé, ce livre, parce que vous faisiez une caricature des bobos parisiens tête à claque, vraiment très réussie. Je me suis senti visé, d'ailleurs. Non, c'est drôle. Et moi, je ne sais pas pour parler de moi, mais j'ai fait le chemin inverse. J'ai quitté Paris pour vivre à la campagne. Est-ce que vous regrettez, vous, d'avoir fait ce voyage de la campagne vers Paris ?

  • Speaker #0

    Encore une fois, ce n'est pas tout à fait la campagne. Je pense qu'il faut... Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui, c'est le banlieue de Nantes, pardon, le banlieue de Nantes.

  • Speaker #0

    Non, je ne regrette pas. Après, j'en parle beaucoup de Paris et je n'écris pas à Paris. J'écris dans une ville que je ne vais pas citer, mais qui est vraiment... Je peux être complètement isolée. Donc,

  • Speaker #1

    vous ne considérez ni comme une Nantaise émigrée, ni comme une Parisienne confirmée.

  • Speaker #0

    Je ne pourrais pas nier le fait que j'ai pris tout un tas. J'ai un éthos beaucoup plus parisien qu'il y a 10 ou 15 ans. Ce serait manquer de lucidité que de ne pas le voir. Mais pour autant, j'essaie toujours de retrouver des endroits plus âpres aussi. C'est-à-dire des endroits où il y a moins de monde, mais aussi où on peut marcher pendant des heures et croiser d'autres espèces que la nôtre. Je reviens à mon affaire d'animalité. Oui, mais ça compte beaucoup. À Paris, je trouve que ce n'est pas le cas. On croise autre chose.

  • Speaker #1

    Par quelques rats.

  • Speaker #0

    Oui, avec un chien, voilà. Mais en fait, on est quand même... C'est quand même une ville où les codes sociaux sont ce qui comptent avant tout. Et il y a d'autres espaces, d'autres lieux qui nous permettent de sentir qu'il y a d'autres choses qui peuvent compter.

  • Speaker #1

    Alors, chez la Pérouse, il y a pas mal d'animaux bizarres, mais c'est vrai que...

  • Speaker #0

    J'ai beaucoup de sortes d'animaux bizarres.

  • Speaker #1

    À certaines heures. Et pas la Pérouse. Une autre phrase de vous. qui est peut-être la phrase que je préfère de toute votre carrière. Il n'y a rien de pire que de sentir. Sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. C'est où ?

  • Speaker #0

    Dans la faille ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est dans la faille, bien sûr. Alors, cette phrase, je pourrais la signer, moi. Je pourrais la signer, mais alors la contre-signer. Il n'y a rien de pire que de sentir, sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. Et pourtant, vous aspirez à la même liberté que votre père.

  • Speaker #0

    Oui, mais j'essaye de faire coller mon récit. J'essaie justement de ne pas mentir là-dessus. Je pense que ce qui... Sortons de juste mon père, mais de ce qui a été difficile pour beaucoup de pères, et peut-être aussi de femmes, mais c'est de, à la fois, prétendre qu'ils étaient encore quand même des chefs de famille, ou qu'ils aspiraient encore à éduquer leurs enfants, etc. Tout en... Tout en ne parvenant pas y croire, tout en voulant partir, tout en cherchant à s'affranchir de ça.

  • Speaker #1

    Ou en étant incapable.

  • Speaker #0

    Ou en étant incapable, bien sûr. Mais du coup, il y avait une sorte de distorsion, je pense, dans le langage, qui a fait beaucoup de tort, qui a fait beaucoup de mal. C'est-à-dire, je dis quelque chose que je ne fais pas et je fais quelque chose que je ne dis pas. Et je crois que s'il y a bien quelque chose que j'essaie de faire dans ma vie, et ce n'est pas toujours simple, et je ne dis pas du tout que je suis parfaite à ce niveau-là, je dis juste que j'y aspire, pour le coup. C'est à dire ce que je dis. à faire ce que je fais et puis à dire non non pardon c'est une autre phrase qui aurait été plus maligne et je pense que c'est pas évident, ça peut être le projet toute une vie de dire ce qu'on fait et de faire ce qu'on dit mais j'y aspire une forme de quête d'honnêteté qui serait peut-être pour moi une forme de réparation d'un mensonge dans lequel j'ai eu l'impression de grandir pour le coup j'ai changé de prénom et de cheveux oui c'est vrai, plusieurs fois

  • Speaker #1

    C'est dans la faille.

  • Speaker #0

    Oui, c'est dans la faille.

  • Speaker #1

    Donc, vous avez changé de prénom. On a le droit de dire votre vrai prénom ou pas ?

  • Speaker #0

    On peut, je m'en fiche. Oui, oui, Maëva, mon vrai prénom.

  • Speaker #1

    Maëva. Et donc, vous avez vraiment choisi de changer de prénom. Vous êtes allée dans une mairie pour dire maintenant, je veux m'appeler Blandine.

  • Speaker #0

    Oui, c'était facile. C'était facilité parce que c'était mon deuxième prénom. Donc, c'est à tous ceux qui écouteraient cette émission et toutes celles. et qui voudraient changer de prénom en ayant un deuxième prénom ou un troisième prénom qui leur plaît, c'est très simple, il suffit de demander à ce que ce soit souligné, mis en gras ou inversé.

  • Speaker #1

    Un de vos second prénom.

  • Speaker #0

    C'était très simple. Après, à cette occasion, je me suis quand même vraiment intéressée au changement de prénom dans l'absolu, et puis historiquement, parce qu'en fait, c'est de plus en plus facilité.

  • Speaker #1

    Alors là, vous pensez qu'en devenant Blandine, vous êtes devenue écrivain ? Vous êtes devenue quelqu'un d'autre ?

  • Speaker #0

    Ça m'a permis, je pense, à un moment où j'étais très impressionnable et impressionnée, intimidable et intimidée par la capitale, par cette affaire de culture légitime, etc. Ça m'a permis d'être une sorte d'impostrice pour un temps et de jouer à la personne légitime.

  • Speaker #1

    Comme beaucoup d'écrivains qui ont pris des pseudonymes.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Mais après, maintenant, si c'était à refaire, je l'ai fait de manière très brutale et joyeuse avec une amie. Si c'était à refaire aujourd'hui, je pense que je ne le referais pas parce que je trouve ça bien, au contraire, d'assumer son prénom. Donc,

  • Speaker #1

    vous avez changé aussi de cheveux. Ça veut dire que vous étiez brune ?

  • Speaker #0

    J'étais brune, oui. Je passais partout.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'un jour, on verra Maëva la brune ?

  • Speaker #0

    Non, non. Ma vraie couleur, c'est d'être blonde. C'est des tchats inclaires. On s'en fiche. Non, mais ce qui est intéressant là-dedans, ce n'est pas tant ça. C'est le fait de dire que je pense qu'il ne faut pas condamner trop vite celles et ceux qui prennent des masques. Parce que parfois, c'est la seule solution qu'ils trouvent à un moment pour se sentir légitime ou pour essayer de trouver leur place. Et ce n'est pas fatal, c'est-à-dire qu'on peut en revenir aussi du masque. On peut en revenir, on peut changer. Je dis ça dans la faille, c'est-à-dire qu'arrivant à Paris et faisant de nouvelles rencontres, je découvrais la possibilité de changer, de changer d'avis, de changer d'allure, de jouer. Aujourd'hui, j'en ai beaucoup moins besoin. Mais en fait, à un moment, le jeu a été vraiment une arme contre tout. tout ce qui était trop inhibant, intimidant. Et ça a été une arme, en fait, pour quelqu'un qui, tout simplement, se sentait du mépris social. Je veux dire, c'est ça qu'il y a derrière ça. C'est que j'avais peur d'être méprisée. Et que jouer a été une manière pour moi de me débattre avec...

  • Speaker #1

    J'avais pas vu cet angle-là, parce que je suis tellement privilégié que je ne le vois pas. Mais c'est vrai que Blandine est plus bourgeois comme prénom que Maéva. Maéva, on peut vous regarder un peu avec... Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, peut-être on peut se dire, Maëva, c'est moins...

  • Speaker #0

    En fait, c'est très...

  • Speaker #1

    Snob, quoi.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas,

  • Speaker #1

    c'est bête, d'ailleurs.

  • Speaker #0

    En fait, ça a été étudié, c'est-à-dire qu'il y a un sociologue qui s'appelle Baptiste Coulemont, qui est spécialiste des prénoms, qui propose, je ne sais pas si c'est chaque année, je ne sais pas s'il l'a fait récemment, en tous les cas, au moment où j'écrivais Le Non-Secret des Choses, je sais qu'il proposait ça, des graphiques où on peut voir les prénoms et les mentions au bac. C'est-à-dire qu'il y a la piste que l'on leur donnait avec les prénoms et les mentions au bac. Et très clairement, qui s'appelle...

  • Speaker #1

    Blandine aura une meilleure note.

  • Speaker #0

    ...Géphique ou Blandine est plus... Ah oui,

  • Speaker #1

    elle aura plus de chances d'avoir des meilleures notes que Maëva. C'est logique,

  • Speaker #0

    tout simplement. C'est des places plus privilégiées, c'est des prénoms qui sont plus privilégiés. Et moi, je n'ai pas changé directement pour ça. Encore une fois, c'était mon deuxième prénom et c'était ma mère qui avait voulu m'appeler Blandine. Finalement, ça n'avait pas remporté l'adhésion générale. Mais donc, je n'ai pas changé. Pour ça, reste que c'était un peu...

  • Speaker #1

    C'est important.

  • Speaker #0

    Oui. Mais aujourd'hui, pour la même raison, je trouve ça dommage. Je trouve que ce serait plus intéressant de dire, non, en fait, je m'appelle Maëva et je m'en fous de ces affaires de mépris social. Bon, il se trouve que j'ai changé.

  • Speaker #1

    Non, mais ce n'est pas grave. Une dernière phrase de vous. Nous sommes des créatures clignotantes. Où avez-vous écrit ça ?

  • Speaker #0

    Non secret des choses,

  • Speaker #1

    je pense. Oui, non secret des choses, 2019, vous connaissez par cœur tous vos livres. Bravo, vous avez remplacé tous les points. J'aime bien, nous sommes des créatures clignotantes, même si je ne sais pas très bien ce que ça signifie.

  • Speaker #0

    C'est cette idée de présence-absence avec les créatures sociaux. En fait, j'ai écrit ça avant qu'il y ait toute cette affaire d'écologie ou d'économie de l'attention. On parle beaucoup de l'économie de l'attention. À partir du moment où il y avait ça, mon affaire de créature clignotante a été doublée par une expression bien plus...

  • Speaker #1

    C'est pas mal.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. Ça clignote, on a du mal à se concentrer. Mais c'est déjà un peu vieux.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Blandine Rinkel, d'avoir accepté de dialoguer dans ce cadre kitsch chez la Pérouse. Cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Je rappelle qu'il faut lire la faille. de Blandine Rinkel aux éditions Stock, si l'on veut s'interroger sur ce modèle qui nous contraint et nous libère, je ne sais pas je suis comme vous l'ingénieur du son se nomme Thomas François la réalisation, il n'y avait pas eu de réalisation vidéo cette semaine mais le montage est de Manon Mestre et surtout surtout n'oubliez pas, lisez des livres sinon vous allez mourir idiot

Description

La chanteuse du groupe Catastrophe publie "La Faille". C'est dire si elle va bien ! Nous avons dialogué une heure sans caméra (à sa demande). Elle trouve qu'on parle mieux sans être filmé. Je pense qu'elle a eu raison et que cette conversation sur la fin de la famille est idéale pour fêter la Saint Valentin.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, bienvenue chez moi. Conversation chez la Pérouse est une émission qui se déroule chez la Pénus, mon domicile parisien. Cette semaine... J'ai beaucoup de chance, je reçois

  • Speaker #1

    Blandine Rinkel pour son livre

  • Speaker #0

    La faille qui vient de paraître aux éditions

  • Speaker #1

    Stock.

  • Speaker #0

    Bravo, mais merci pour votre coopération sur ce générique, Madame Rinkel. Cette émission commence par un sponsoring. Nous avons le soutien des éditions Grasset cette semaine et je vais donc dire du bien de Bernard-Henri Lévy pour son livre Nuit Blanche où il parle de ses insomnies. C'est assez étonnant de sa part. On connaît le philosophe engagé. Mais là, pour le coup, il se livre comme jamais. Le livre est assez original parce qu'il est écrit en petits chapitres qui ressemblent un peu aux pensées qu'on a quand on n'arrive pas à s'endormir. C'est-à-dire qu'on zappe, on pense à des choses sérieuses, politiques, à toutes les horreurs du monde, et puis tout d'un coup on pense à autre chose, aux médicaments qu'on a pris, on pense à sa famille, on a des souvenirs qui viennent et on repasse à des guerres épouvantables dont il a été le témoin et qui l'empêchent de trouver le sommeil. C'est un livre très... je trouve assez courageux de la part de BHL et formellement par moment ça m'a fait penser à Un siècle débordé de Bernard Franck qui était aussi un livre de digression qui partait dans tous les sens et ça donne un certain charme à la lecture donc je vous recommande Nuit blanche de Bernard-Henri Lévy chez Grasset est-ce que vous avez un commentaire à faire sur Bernard-Henri Lévy, Blandine Rinkel ? aucun commentaire à faire fin de la publicité

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Et bonsoir et merci d'être là. Blandine, vous publiez La Faille. Et le titre vient d'une erreur de calligraphie. Quand vous écrivez le mot famille avec votre stylo, vous aplatissez le M. Et vous ne faites pas exprès et ça donne La Faille. Vous n'arrivez pas à écrire famille.

  • Speaker #1

    Si je m'efforce vraiment, j'y arriverai.

  • Speaker #0

    En majuscule peut-être, en majuscule.

  • Speaker #1

    Non mais quand je le fais de manière inconsciente en tous les cas. Oui, on lit failles. C'est évidemment une anecdote, mais ça permet d'expliquer très vite quel est le projet du livre, c'est-à-dire de partir de quelque chose d'intime et de parler de celles et ceux pour qui la famille est une faille.

  • Speaker #0

    Tous vos livres racontent... une sorte de projet, c'est-à-dire que si on liste vos titres, on a votre vision de la littérature, un peu, puisque en 2017 vous avez commencé par l'abandon des prétentions, qui pourrait être une définition de ce que c'est que la littérature quand elle est réussie. Ensuite, le non-secret des choses, en 2019, là aussi, ça définit votre conception, peut-être, de cette forme d'écriture, de soi. enquête sur son existence, quel est le nom derrière les choses. Vers la violence, bien sûr, en 2022. Alors là, pour le coup, vous avez été couronné par le Grand Prix des lectrices de Elle pour Vers la violence. Et vous abordiez une question personnelle. C'était romanesque, mais enfin, c'était sur votre père et la faille, enfin, cette année 2025. Et j'ajoute qu'en plus, vous êtes la chanteuse du groupe Catastrophe. Donc, vous avez... Ah,

  • Speaker #1

    vous pensez à un autre programme encore, Catastrophe ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. La faille,

  • Speaker #1

    Catastrophe... C'est un point de départ, mais tout est peut-être un... Je ne sais pas si c'est des programmes, peut-être vers la violence, oui. Mais la faille comme Catastrophe, qui n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. Mais il y a cette idée quand même de... C'est la fameuse phrase de Philippe Roth. Quand un écrivain est dans une famille, la famille est foutue. Et je crois que moi, c'est l'inverse. C'est-à-dire... On part du fait qu'il y avait quelque chose de foutu assez tôt. Et même l'idée catastrophe, je dirais plus que c'est... Je pars d'un espèce de paysage catastrophé ou une espèce de terre un peu calcinée. Et à partir de là, au contraire, l'idée c'est d'écrire, de reconstruire. Mais c'est moins un programme qu'un point de départ, je dirais.

  • Speaker #0

    Bien sûr, parce que ce que ne savent pas nos auditeurs, c'est qu'avant votre naissance, il y a eu un accident épouvantable dans votre famille. Votre père a perdu deux enfants. Et il y a eu ce drame initial avant votre naissance. Et de naître dans une famille qui est complètement sous le coup d'une tragédie, c'est très particulier. C'est un peu ce qui explique tous ces titres.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est aussi de grandir à l'ombre d'un père et d'une mère qui avaient chacun leur raison d'être... Inquiets, disons, par ce qu'ils fabriquaient avec la vie. J'ai l'impression que l'un et l'autre, de manière très différente, et l'un et l'autre étaient aussi joyeux, de manière très différente, mais habitaient dans un territoire menacé. J'ai l'impression qu'avant même d'avoir des mots pour le dire, confusément, j'ai grandi à l'ombre de cette menace, et donc j'en ai hérité de ce truc. Ce truc un peu d'être aux aguets.

  • Speaker #0

    Malgré vous, vous arrivez dans une famille comme ça, où il y a eu cet événement épouvantable. Et du coup, c'est comme si vous aviez pour mission de réparer, alors que vous n'y êtes pour rien. Vous débarquez sur Terre.

  • Speaker #1

    Oui, après, on ne m'a rien fait peser. Il ne fallait pas que je répète quoi que ce soit. Mais c'est vrai que très tôt, mais vraiment tôt, j'ai senti qu'il fallait, même si personne ne me le demandait, personne ne le faisait peser. Il fallait que je puisse être indépendante ou que je puisse être le parent d'un parent faillible. Très tôt, mais vraiment, je veux dire, je pense même avant 10 ans. J'ai senti ce truc. Si je faisais peser en plus, j'en sais rien, des pleurs, une tristesse, des difficultés à l'école, je dis n'importe quoi. Si je faisais peser ça en plus de tout ce qui avait déjà pesé, en fait, on n'allait pas vivre, on n'allait pas en survivre. Je veux dire, tout. Tous les trois,

  • Speaker #0

    mes parents et moi. Vous avez l'impression qu'ils étaient joyeux parce qu'ils se forçaient un peu à l'être ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Non, je crois que le sentiment de la catastrophe peut côtoyer la joie. Même parfois, ça va avec. Oui, bien sûr. Je crois que ce que j'ai de plus ardent en moi, ce que j'ai de plus joyeux, même un sens de l'humour, va avec une sorte de...

  • Speaker #0

    D'apocalypse.

  • Speaker #1

    Oui, peut-être. Intérieur, oui, peut-être. Il y a un truc, c'est quand on sait que tout peut être perdu. On peut commencer à danser.

  • Speaker #0

    À danser sur les ruines. La critique de la famille, c'est André Gide qui l'a entamé un peu il y a 128 ans dans les nourritures terrestres quand il disait famille, je vous hais. Vous ne le citez pas, mais vous citez, c'est très amusant, vous citez notamment la famille Ricorée. Vous dites, non, ce n'est pas possible. Je n'ai pas envie de vivre dans une famille Ricorée.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si elle existe vraiment, cette famille. J'interroge surtout ce récit-là. En fait, je ne comprends pas que ce récit perdure alors que personne ne vit vraiment ça. Il y a un espèce de truc, on aspire, donc on est tous déçus. Moi, je n'aspire pas à ça, mais j'ai le goût que beaucoup de gens sont... sont déçus parce qu'en fait le modèle qu'ils ont en tête est un modèle avec un jardinet avec des parents qui sont gentils qui apporte une tarte aux pommes et puis les enfants jouent au ballon voilà je pense que personne ne le personne ne sait c'est un peu un mensonge quoi ce mythe là mais pourtant en toile de fond souvent c'est inconscient en fait c'est mais en toile de fond ça persiste quand même je pense dans beaucoup de familles et l'envie d'être parfait quoi

  • Speaker #0

    C'est ça, l'envie d'être parfait ou d'être normal. Vous critiquez cet amour.

  • Speaker #1

    Oui, je crois. Comme si... J'ai lu encore, je crois hier, dans Le Monde, le journal, un article qui parlait de la pression sur les femmes pour avoir deux enfants plutôt qu'un. Ce qui me paraît complètement lunaire, parce que moi déjà, un enfant, je ne ressens aucune sorte de pression. Donc je me dis que c'est des personnes qui doivent être aussi sensibles aux pressions sociales. qui peuvent-elles, elles le sont, elles le sont. D'ailleurs, c'était marrant parce que l'article insistait sur les femmes, et je me disais, mais bon, la question doit être, pourquoi ?

  • Speaker #0

    Cette question existe quand même sur les femmes.

  • Speaker #1

    Elle existe, mais moi, j'y suis peu sensible personnellement. Je pense que ça vient déjà de la lecture. Je veux dire, de lire, il y a tellement de manières de vivre, de voir, de parler possibles qu'au bout d'un moment, l'autorité de cette pression tombe un peu. Moi, je la sens peu, en fait, cette pression. Ou en tous les cas, elle ne me sur-intimide pas, disons. Mais qu'est-ce que j'allais dire ?

  • Speaker #0

    Vous en parlez de ça. Vous en parlez, page 208. Oui. Est-ce que vous accepteriez de lire ce passage ? Est-ce que c'est intéressant ? Vous dites qu'il n'y a pas de pression, mais quand même, vous la décrivez un petit peu dans ce passage.

  • Speaker #1

    Alors, je ne crois pas, mais je vais le lire et je vais écouter. Oui,

  • Speaker #0

    expliquons-nous, expliquons-nous.

  • Speaker #1

    Oui. Dans une pièce fermée à quelques mètres, tu fabriques de la musique et gardes tes éclats et tes parts d'ombre auprès de toi. Nous sommes au crépuscule du printemps. bientôt la chaleur encore tempérée basculera dans une torpeur totale. C'est le bleu qui nous le dit, celui du ciel et des fleurs. Les guêpes et la crème solaire sont déjà là, c'est un avant-goût de l'été, et des familles, toutes en tongs et en cris, dévalent la rue qui mène vers la mer. Nous les sentons qui passent, les observons, leur souriant. Nous travaillons proches l'un de l'autre, quoique sans se voir ni se parler, bercés par les rires des enfants et les grondements de leurs parents. Parfois la vision d'un garçon chevauchant à Saint-Bernard ou d'une petite fille qui étreint son masque et son tuba contre sa poitrine me serrent brutalement le cœur. À d'autres moments, l'inertie et la nervosité des groupes en déplacement, le sérieux qu'ils donnent Ausha des plats du dîner, me font à la fois soupirer et rire. Je ne me sens plus vraiment concernée, cela me va. Nous sommes de l'autre côté de la rive, nous n'en serons sans doute pas. Il n'y aura pas de couche à changer, pas de discussion sur la contraception, ni de noces d'argent et d'or. Il n'y aura pas de vacances collectives, de Père Noël éventé au cours d'un repas, ni de bataille d'héritage.

  • Speaker #0

    Moi j'aime beaucoup ce passage parce que vous parlez, je suppose que c'est vous et votre compagnon, et vous vous entendez, vous voyez passer toutes ces familles qui sont caricaturales, qui sont en vacances.

  • Speaker #1

    Oui, en même temps pour lesquelles je pense que ce passage justement en rend compte, pour lesquelles je peux avoir de la tendresse, du désir.

  • Speaker #0

    Enfin en tout cas un désir d'enfant. Oui,

  • Speaker #1

    un désir quand même.

  • Speaker #0

    Vous dites à un moment que ça vous sert le cœur de voir une petite fille avec son masque et son tuba. Oui. Vous avez un désir de...

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je trouve très beau, mais c'est quelque chose qui a un peu une ligne rouge, je pense, dans le livre. C'est que celles et ceux pour qui la notion de famille est abîmée ne le décident pas toujours. Je ne crois pas du tout faire un espèce de geste punk en disant « allez vous faire foutre, vous qui avez concédé à l'ordre familial » . Ce n'est pas ça du tout. C'est plus très jeune, cette idée de famille a été abîmée, puis elle a continué à l'être. par des rencontres aussi, peut-être parce que ceux qui se sont éjectés ou ont été éjectés d'une famille se retrouvent, se voient. Il y a quelque chose dans l'œil, je pense, qui circule. Il y a une écorchure dans l'œil qui fait qu'on va, en fait. On va les uns vers les autres. Et donc, voilà, ce n'est pas tout à fait un choix. C'en est un, mais ce n'est pas que ça. Et je pense que le livre essaie de rendre compte de ça. Ce n'était pas du tout un livre que je voulais écrire contre. C'est-à-dire que ce n'est pas un livre de mépris, ce n'est pas un livre qui a vocation à agresser qui que ce soit ? Non,

  • Speaker #0

    mais d'ailleurs, c'est intéressant parce que c'est un livre qui est composite. C'est un livre de fragments avec une partie qui est autobiographique, une partie qui est plus proche de l'essai. Parfois, vous allez vers de la critique littéraire, vos lectures, les films que vous aimez. Et c'est très libre comme forme. C'était volontaire de... de dépasser la dichotomie entre romans et essais. Vous voyez, dans les listes des best-sellers, il y a toujours la colonne avec les romans et la colonne avec les essais. Vous ne vouliez pas être classable.

  • Speaker #1

    De plus en plus, quand même. Je pense qu'il y a des genres hybrides. Je pense à ce qu'a fait Laure Murat ou Neige Sinault. Je pense dans les trucs très récents en France. Mais littérature anglo-saxonne, on en trouve plein quand même de non-fiction comme ça.

  • Speaker #0

    Vous citez aussi ?

  • Speaker #1

    Maggie Nelson, Rebecca Solnit, Leslie Jamison, même une Rachel Cuss. Je pense qu'il y a des endroits...

  • Speaker #0

    que nous avons reçues dans cette édition ?

  • Speaker #1

    Il y a des endroits hybrides qui se permettent aussi de théoriser. Je pense que ça existe depuis très longtemps, donc ce n'est pas forcément novateur. Par contre, c'est vrai que je ne me l'étais pas autorisée comme ça avant. Et ça a un rapport, en effet, avec ce qu'on disait juste avant, à savoir que, je viens de perdre mon idée, mais je vais la retrouver dans une seconde.

  • Speaker #0

    À savoir que quand vous voyez une fille avec un masque et un plus bas...

  • Speaker #1

    À savoir que je suis passée par plein de couches de réflexion, de lecture, de remise en question pour écrire ce livre. Et que je dis, le livre n'a pas vocation à agresser, c'est vrai. parfois écrit certaines pages en partant d'une petite colère, que je n'avais pas une colère contre les familles, mais une colère contre parfois le sentiment, le léger sentiment de supériorité que je pouvais sentir poindre des gens qui me parlaient de leur mode de vie et qui semblaient avoir peut-être une petite pitié pour celles et ceux qui, comme moi, n'aspirons pas, n'habitons pas dans des familles structurées.

  • Speaker #0

    Mais vous ne savez pas si c'est définitif ?

  • Speaker #1

    Non. Bien sûr, je ne me demandais pas si c'était définitif, mais je sentais poindre un peu ça. Mais pas, je pense que c'est des choses dans l'air, c'est des choses qui flottent dans l'air. Je pense qu'on écrit à partir de ce qui flotte dans l'air. Mais sentant ça, il est arrivé que j'écrive avec une petite pointe de colère. Et en me relisant des jours après, quand j'écrivais, je me disais non, en fait, il faut réajuster. Et pour réajuster, j'en passais par un film, par un livre. Pour réajuster, j'en passais par une scène qui permettait de ramener de la chaleur à des endroits qui sont un peu froids, qui sont un peu théoriques, qui sont très informés. Parce qu'il y a des pages aussi, par exemple, sur l'évolution de la famille en France depuis l'Ancien Régime. Juste moi, ça m'intéressait de voir, tiens, qu'est-ce qu'on désigne aussi par le mot famille ? Qu'est-ce que c'était d'être un père, d'être une mère sous l'Ancien Régime ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de la même chose ? Voilà, ça permet de lire, d'ouvrir aussi la... d'ouvrir notre perception, d'être un peu moins collé à ce qu'on vit, à ce qu'on voit. Mais c'était des moments d'écriture qui étaient forcément froids, parce qu'en fait, j'intégrais beaucoup, beaucoup de lecture. Et je me disais, ça ne va pas non plus, parce que moi, mon grand plaisir quand même de lectrice, il vient de ne jamais séparer le plaisir de l'érudition, ou de l'érudition, ce n'est même pas le mot, mais le plaisir du fait d'apprendre. Le fait que savoir, comprendre est lié à un... Et le plaisir, sont liés, se répondent. Et donc, je suis passée par plein de couches d'écriture et du coup, de genres d'écriture aussi. Je me suis dit, bon, maintenant que je suis lancée dans une espèce de texte hybride, autant ne rien s'interdire. Donc, c'est vrai que il y a des dessins, comme ce que je viens de lire, des passages qui sont presque un peu lyriques, qui sont assez intimes et qui sont littéraires.

  • Speaker #0

    Celui-là, il est à la toute fin. Et donc, c'est vrai qu'on le prend comme un petit peu, en fait, comment dire, l'épilogue ou la conclusion de tout. Toute cette réflexion sur la famille, où vous regardez ces familles qui passent et vous vous dites, ce n'est pas pour moi, mais c'est beau. Et puis finalement, voilà, il n'y avait pas de méchanceté là-dedans.

  • Speaker #1

    Oui, oui, c'est vrai que c'est un... Finalement, il est à la toute fin, mais je crois qu'il boucle avec le début, ce que je n'avais pas du tout conscientisé avant là qu'on en parle, au sens où il est écrit au futur antérieur, si je ne m'abuse. C'est-à-dire...

  • Speaker #0

    Il se projette dans quelque chose qui n'aura peut-être pas lieu.

  • Speaker #1

    Ça n'aura pas été. Et au tout début du livre, je dis que j'ai vécu toute mon enfance au futur antérieur. Parce que tout en vivant mon enfance, je me disais, tiens, j'aurais essayé la famille et j'en aurais fini. Et donc, finalement, c'est aussi une fin qui boucle, je pense, avec Will.

  • Speaker #0

    Mais ce qui est dingue, ce qui est marrant, moi j'ai lu tous vos livres et c'est fascinant parce que vous avez toujours écrit sur la famille et en même temps vous vous dites ah non c'est pas pour moi mais en fait littérairement c'est votre sujet. Le premier roman est sur votre mère, même si c'est un roman, les noms sont changés mais c'est tout de même un roman sur une fille qui est avec sa mère et qui admire sa mère.

  • Speaker #1

    Ouais ouais, la fille est quand même peu présente dans le premier roman, au départ je voulais vraiment l'écrire d'ailleurs pour une femme de 65 ans sans... d'aller préciser forcément que c'était ma mère. Et puis, normalement, je me suis dit que ça nuisait à l'écriture de Père-Déjeuner. Mais oui, oui.

  • Speaker #0

    En quête de notre cas des choses, elle s'échappe, elle part à Paris. Ensuite, vers la violence, c'est sur le père. Un père un peu flamboyant, incontrôlable, qui boit, qui est brutal, qui tape son chien. Oui,

  • Speaker #1

    qui ne boit pas plus que ça. Il y a une scène où il boit, donc on le retient, mais c'est pas... C'est pas... Mais oui, c'est sûr que j'ai écrit à partir de silence, je pense. Et donc à partir de silence que j'avais éprouvé dans ma famille. Je pense qu'il y a une phrase que je crois citer dans La Faille de Jeannette Winterson qui dit qu'il arrive que les familles soient des conspirations du silence. Et donc, on écrit pour essayer d'entrer là-dedans, de nuire à la conspiration.

  • Speaker #0

    Et la clé.

  • Speaker #1

    Oui, de réouvrir quelque chose et de mettre du langage. Et puis de nuire aux mensonges aussi, de nuire peut-être aux... aux récits uniques qui sont favorisés par les groupes qui veulent assurer leur cohésion avec un récit clair, un récit unique. Donc l'envie de récits, l'envie tout simplement de littérature, je pense mon goût d'abord de lectrice, puis le fait que j'ai écrit vient de ma famille. Après,

  • Speaker #0

    je n'aspire pas toute ma vie à une histoire de lire. Non, mais on n'en sait rien. Vous verrez bien.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression quand même que c'est la fin d'une phrase. Que la phrase avait commencé avec l'abandon des prétentions.

  • Speaker #0

    Et s'achève avec la faille.

  • Speaker #1

    Je crois. Après, je ne sais pas, j'ai des idées, mais je ne sais pas si je serai à la hauteur de l'envie. Mais j'ai d'autres idées, mais je crois que je vais sortir de cette phrase-là.

  • Speaker #0

    En tout cas, cette envie d'enquêter sur la famille et les non-dits, ça, on a ça en commun. Vous ne trouvez pas quand même... On n'est pas les seuls. On n'est pas les seuls. Non, justement, j'allais dire ça. Et cette littérature contemporaine qui devient une compétition de traumatisés... Est-ce que ce n'est pas aussi quelque chose qui est un peu fatigant ? Je dis ça parce que vous, ce que vous avez vécu, ce que votre famille a connu, vous auriez pu vraiment en faire des tonnes et des tonnes. Et vous ne le faites absolument jamais.

  • Speaker #1

    Je ne le perçois pas comme ça.

  • Speaker #0

    Je ne peux pas dire que c'est valable. C'est pour ça que c'est intéressant. C'est présent, la tragédie, elle plane autour. Mais comme dans votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais je ne le perçois pas comme ça. Et je pense que ça me vient aussi paradoxalement de l'éducation que j'ai eue de mon père. C'est-à-dire que ce qui était quand même des choses terribles qui lui sont arrivées, donc avec une famille perdue, mais aussi... Mon père, c'était un militaire. Il a connu des choses dures, même dans sa famille, sans vouloir trop éventer une vie qui lui appartient. Mais dans sa famille, je veux dire biologique, il a été frappé. Il a connu vraiment des choses très dures. mais en fait s'il avait une manière de rire qui peut être traumatisante bizarrement, c'est-à-dire qu'à force de rire et de faire tout une sorte d'énorme blague noire il y a quand même quelque chose quelque chose de c'est une catégorie quelque chose de menaçant c'est une catégorie d'hommes et en même temps de ça j'hérite de ça, j'essaye de le voir avec plus de lucidité, de voir aussi des choses ... de blessures peut-être qui auraient été évitées par le fait de parler en pesant les mots plutôt que de tout englober dans une grosse blague noire qui peut laisser des traces. Et en même temps, j'aime le mot, j'hérite de cette double, une exigence de lucidité et en même temps un goût de... De la pure paix. Oui, de ne pas rester... Un goût du trickster. Je parle du trickster dans le livre. Le trickster, c'est une figure en anthropologie que j'ai découvert en lisant l'anthropologue Nastasia Martin et c'est... Le trickster, c'est celui qui échappe, c'est celui qui se soustrait à la définition, qui a pour définition de ne pas avoir de définition. Et donc, elle observe ça avec des animaux qu'on essaye de pister et qui reviennent sur leurs traces en permanence. Donc, on n'arrive pas à pister, on n'arrive pas à savoir exactement quels déplacements ils font parce qu'ils reviennent, donc ils brouillent les pistes. Et c'est vrai que l'idée de la figure de trickster me semble assez belle. Évidemment que c'est vain, parce qu'on n'échappera pas au fait d'avoir quand même, à la fin de notre vie en tous les cas, Une définition, une identité, on aurait fait certaines choses, on n'en aurait pas fait d'autres. Évidemment que c'est vain. Mais moi, me touchent les gens qui sont en lutte contre leurs propres tendances, qui ne veulent pas être réifiés, qui essayent de s'échapper dès qu'on les a sous cloche. Ça me touche. C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrimins qui sont comme ça.

  • Speaker #0

    Vous dites « la vie domestique m'inquiète » et à un autre endroit « l'extérieur était une promesse » . C'est très beau tout ça, mais oui. compliqué à vivre quand on est un enfant dans une famille. Mais même si cette famille était quand même un peu originale.

  • Speaker #1

    Un peu marrante, oui.

  • Speaker #0

    Vous dites de votre père que c'était un despote fantaisiste. Alors ça, je pourrais signer aussi à propos du mien. Mais je peux vous poser une question con et indiscrète et vous n'êtes pas obligée de répondre. Non,

  • Speaker #1

    je me sentirais libre.

  • Speaker #0

    Comment a réagi votre famille à la faille et à tous les livres précédents ? Est-ce qu'on vous l'a déjà posé, cette question ?

  • Speaker #1

    Oh oui, j'ai un très bon lien avec ma mère au sens où je pense qu'elle, finalement, elle aspirait elle-même, alors peut-être pas à écrire, mais elle m'a révélé très récemment. Je trouve ça très beau. Donc ma mère a grandi dans une famille de paysans très pauvres, c'est-à-dire vraiment dans une ferme pauvre. À titre d'exemple, elle trouve qu'Agné Arnaud était vraiment privilégié. Bon, elle a fait des études et tout ça. Elle a changé, je pense, même de classe sociale. On est en deux classes, pour reprendre ce mot que je n'adore pas. Mais pourquoi je dis ça ? Parce qu'elle m'a raconté récemment que sa propre mère, que je n'ai jamais connue, donc ma grand-mère, ça me fait bizarre de dire ça, lisait de la poésie en secret. Ce qui est assez beau, parce qu'en fait, elle le sent au... aucune sorte de but, enfin juste elle lisait de la poésie parce que on ne sait pas trop pourquoi, elle était tombée sur de la poésie et elle m'a raconté notamment que les enfants de cette femme dont elle savait qu'elle lisait de la poésie, que c'était pas très bien vu par le père et que quand le père revenait à la maison, père qui n'était pas du tout maltraitant, mais juste à quoi ça sert de lire de la poésie alors qu'on doit faire tourner une carte les enfants venaient dire à la mère, enfin, lui tapaient sur l'épaule, ce que j'ai trouvé assez beau. En fait, elle ne m'avait jamais raconté ça. Quand elle m'a raconté ça, je me suis dit quand même, ça explique quelque chose de son amusement assez étonnant à ce que j'écris, ce que j'écris. Parce qu'évidemment, moi, au départ, en écrivant, à la fois, je me sentais bizarrement autorisée. C'est-à-dire que mon père comme ma mère, je pense qu'ils ne m'ont jamais empêchée d'écrire. Même de lire, même si mon père a eu des mouvements d'humeur, mais ça relève d'autres choses. Je pense que ce n'est pas l'activité de lire, en fait, vraiment, ça relevait de mouvements d'humeur qui étaient liés à autre chose. Bref. Mais en tous les cas, je ne me suis jamais sentie, oui, interdite par mes parents de décrire ce que j'ai écrit. Mais une fois que c'est... J'ai beau dire ça, une fois que le texte était là et qu'il allait paraître, évidemment, j'avais quand même une inquiétude sourde. Et en fait, ma mère a toujours été presque... plus coriaces que les textes que je publiais dans ses retours. Et je trouve ça très fort. Et encore ce matin, je l'ai eue au téléphone parce que, bref, je l'ai eue au téléphone, et elle me disait qu'elle était déprimée parce qu'elle se demandait, elle s'inquiétait pour cet été, l'été à venir. Elle a peur d'être seule, de ne pas savoir quoi faire l'été parce qu'elle participe à des... Elle est bénévole dans des associations et ces associations, en général, ferment l'été. Bon, voilà. Et elle se retrouve plutôt isolée parce que les personnes avec qui même elle fait du bénévolat ou les personnes qu'elle fréquente, des espèces de cercles d'amitié furtive, on va dire, ces personnes-là, en général, disparaissent un peu l'été parce que petits-enfants, parce que famille, en fait. Et elle me disait quand même, il faut le redire, il faut redire ce que tu dis dans la faille. C'est marrant quand même.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous êtes sa seule famille, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Non, elle a des frères et sœurs, mais en fait, il n'y a pas... Cette habitude des fêtes de famille, des repas de famille, en fait, au quotidien, oui. Au quotidien, on est une mère et une fille.

  • Speaker #0

    Oui. D'ailleurs, le livre La Faille aurait pu s'intituler Une femme seule.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas. Qu'elle femme ? Non, non, non, il n'aurait pas pu s'intituler comme ça parce qu'il ne s'agit pas que d'une histoire de femme, je ne crois vraiment pas. Non, non. Et que si je l'avais intitulé comme ça, ce serait... Parce que je veux dire très concrètement, dans le livre, il y a des morts et ces morts sont aussi des hommes. Il y en a plusieurs. Bien sûr, on peut dénoncer l'aspect chef de famille, dont juste cette expression n'a disparu du droit qu'en 1970, donc c'est quand même assez récent. On peut interroger l'aspect patriarcal, pour le dire avec un mot dans l'œil. Évidemment, et on aurait raison de le faire, bien sûr que les femmes ont subi les normes domestiques. encore autrement, disons, que les hommes étaient relégués à l'espace domestique, etc. Mais ce n'est pas l'angle du livre. Et je m'intéresse aussi aux souffrances que peuvent créer l'autorité de certaines normes familiales sur des hommes qui n'y arrivent pas, qui ne peuvent pas, dont les désirs aussi ne sont pas toujours compatibles avec la famille, et notamment avec la famille hétéronormée, pour le dire.

  • Speaker #0

    J'ai découvert des choses en lisant votre livre, incroyable. Par exemple, il existe une... Une sorte de secte à Paris qui s'appelle la famille avec un F majuscule qui existe depuis 200 ans. Et moi je pensais que vous aviez inventé. Je suis allé vérifier. Donc c'est véridique, il y a vraiment cette espèce de famille composée de je ne sais combien de milliers de membres qui se marient entre cousins et qui vivent comme en vase clos. C'est fou, hein ? Oui, c'est fou, c'est pas ça du tout. C'est dans quel arrondissement ? Dans le troisième ou le quatrième ? Je ne sais plus.

  • Speaker #1

    Le troisième, moi j'avais retenu, mais je ne sais plus.

  • Speaker #0

    Et donc, comment vous êtes tombée sur cette... C'est vrai que c'est une image assez intéressante de ce que ça peut être qu'une famille...

  • Speaker #1

    Oui, alors...

  • Speaker #0

    Comme enfermement, quoi.

  • Speaker #1

    Oui, après c'est évidemment provoquant, au sens où je sais bien que la famille n'est pas réductible à... à ce qui est vraiment une caricature des lois familiales, cette secte de la famille. Mais j'ai découvert ça dans un livre très sourcé de Suzanne Privat qui a consacré toute une enquête en 2021 à cette secte de la famille. Et oui, qui explique aussi... Donc, ils se marient entre cousins, etc. Ils ont des joues rouges, il y a des doigts en plus. Vous l'avez peut-être dit pour eux, mais dans l'intro, je ne sais plus. C'est-à-dire qu'il y a des séquelles physiques. Et ça m'intéressait aussi l'idée de séquelles physiques à force de rester au même endroit, à force de barboter avec les siens. Je trouve intéressante cette idée. Après, évidemment, vraiment dans le livre, je suis soucieuse de ne pas caricaturer les choses. Je sais bien qu'il existe.

  • Speaker #0

    pléthore de modèles familiaux, surtout aujourd'hui, et que finalement la famille, dans ce qu'elle a de plus normatif, c'est un tuteur dont on peut tout à fait s'affranchir. J'ai cette image dans le livre où je dis qu'il y a... En fait, les plantes sont comme des... Les familles sont comme des plantes qui ont toutes sortes d'allures, de formes, qui grossissent, qui s'amoindrissent, et qui peuvent complètement s'émanciper du tuteur de la plante. Néanmoins, il y a quand même ce modèle à exister, il existe. Et même quand on croit en être très affranchi, il arrive qu'on ait certains réflexes. De silenciation, notamment. Je pensais de préférer le mensonge à la vérité.

  • Speaker #1

    Le livre se conclut sur un dessin de canine. Alors, c'est une allusion à un film de Yorgos Lanthimos. Expliquez pourquoi. Parce que la canine, dans le film, elle a un sens spécial.

  • Speaker #0

    Je suis contente que vous ayez repéré cette petite canine.

  • Speaker #1

    C'est une bonne expérience. Elle n'est pas super bien dessinée, mais on la reconnaît quand même. Elle est patinatrice.

  • Speaker #0

    Mais oui, c'est un film de Yorgos Lanthimos, Canine, qui raconte une sorte d'utopie cauchemardesque où en fait, un homme va élever, je crois qu'il y a deux filles, un garçon, il me semble, dans un univers clos, complètement clôturé de part en part et clos aussi par le récit qu'on en fait. J'insiste là-dessus dans ce que j'écris sur Canine, c'est-à-dire que... On ne peut pas voir ce qu'il y a derrière la clôture, donc le mur qui mène au dehors, mais on ne peut pas non plus parler des événements ou des choses qui adviendraient du dehors. C'est-à-dire que, par exemple, à un moment, je crois qu'il y a un chat qui saute la barrière. Et en fait, il ne faut pas appeler un chat un chat. Littéralement, il faut l'appeler autrement. Il faut le laisser penser que c'est une créature extraordinaire, extraterrestre, qu'il n'aurait pas dû se trouver là. Et il renomme comme ça toutes les choses qui pourraient filtrer du monde extérieur.

  • Speaker #1

    C'est un délire extrême quand même. C'est une utopie cauchemardesque.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une utopie, c'est une dystopie. Mais qui est quand même intéressant. Yorgos Lanthimos dit en interview que la famille est un sujet qui l'intéresse énormément, avec un petit sourire, et j'aime bien ce petit sourire. C'est un film quand même assez fabuleux. Et donc c'est vrai que pourquoi la canine ? Parce que... On explique aux enfants que le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, parce qu'évidemment, ils se demandent quand même qu'est-ce qu'il y a derrière ce grand mur, le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, c'est de perdre une canine, que la canine tombe. Et la canine, les canines ne tombent pas.

  • Speaker #1

    Donc, les enfants s'arrachent les dents.

  • Speaker #0

    On vient quand même de gâcher.

  • Speaker #1

    C'est pas on, c'est j'ai. Mais ça va, il est sorti il y a longtemps. Oui,

  • Speaker #0

    et puis franchement, on peut voir les films. Moi, je crois qu'on peut avoir les fins de films gâchés. tout de même les regarder pour d'autres raisons.

  • Speaker #1

    Mais c'est intéressant que vous ayez terminé là-dessus, parce que votre discours depuis le début, c'est comment remettre en question ce modèle familial, comment échapper à cette chose. Mais comme je le dis, vous parlez presque uniquement de ce sujet-là. Et donc, en fait, c'est impossible. C'est impossible d'en sortir.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas l'orgueil de penser que je vais relancer. la manière dont nous vivons les uns les autres. Je ne vais pas relancer cette norme, ça ne disparaîtra pas. On aura toujours envie de faire des enfants, on aura toujours envie de se regrouper. Je ne sais pas ça. Mais je m'intéresse à celles et ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, n'y arrivent pas.

  • Speaker #1

    Autre chose. Par exemple, vous aimez bien Geoffroy de Laguernerie. C'est vrai que ces gens-là réfléchissent sur autre chose que la famille avec l'amitié. Ils pensent peut-être à un... Un groupe d'amis ou trois amis, c'est peut-être une alternative à la famille bourgeoise.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Après, je n'idéalise pas non plus l'amitié. C'est-à-dire que je pense que dans les amitiés, les amitiés groupées peuvent se rejouer des logiques de pouvoir, de domination, de bannissement. Ça peut se rejouer. Ça peut ne pas aussi. Mais de même que la famille, ce n'est pas fatalement un endroit de mensonges et d'abannissement. Mais ça peut l'être. Et en fait, c'est juste ce qui me semble n'être pas... pas dit. En fait, on a peur parce que c'est tabou. Il me semble y avoir peu de récits en dehors du modèle familial. Et en effet, Geoffroy de Laguerne m'intéresse comme m'intéresse Hélène Gianecchini qui a écrit Un désir démesuré d'amitié, je crois, l'année dernière, où il réfléchit à ces espèces de modèles utopiques. Oui,

  • Speaker #1

    chercher une autre manière de vivre.

  • Speaker #0

    Je l'éprouve intéressant. Après, je ne partage pas toujours la hiérarchisation qui en est faite. C'est-à-dire que je... En fait, je pense que les modèles peuvent coexister sans qu'on ait besoin de les réaliser. Oui,

  • Speaker #1

    ils sont plus critiques que vous, avec la famille traditionnelle. Je suis critique,

  • Speaker #0

    mais c'est vrai que je garde toujours une forme de tendresse, ou en tous les cas, j'essaie de comprendre. J'essaie de comprendre quand même pourquoi même des gens qui ont subi des choses finalement dures dans leur famille biologique vont essayer de renouveler, vont y croire, vont avoir de la foi pour fonder une famille. Je trouve ça beau, en fait, d'y croire quand même. Moi, je n'y arrive pas. Je n'y crois pas quand même.

  • Speaker #1

    C'est tellement possible.

  • Speaker #0

    Mais je trouve ça, je pense que c'est important de ne pas amoindrir le fait que les gens aussi font ce qu'ils peuvent.

  • Speaker #1

    Ils peuvent. J'aime bien quand vous dites que vous avez envie d'être anormale. Vous n'êtes pas obligée d'être d'accord avec ce que je dis, mais c'est un risque aussi. Qu'est-ce qui est plus douloureux ? D'être normale ou d'essayer d'échapper à la norme tout le temps ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. En fait, je ne crois pas, moi, à la... à la prescription, au sens où je ne pense pas déjà qu'il y ait une forme de vie qui serait valable pour tous les individus. Je pense que c'est ça que je critique profondément, c'est-à-dire l'idée qu'il y a un modèle qui serait un modèle valable pour toutes et tous. Je pense que ça nous fait beaucoup de tort, ça nous fait beaucoup de mal que selon la manière dont on est né, dont on a grandi, même selon nos corps, mais même des trucs de bile, je suis sûre que si on enquêtait sur... En fait, le modèle unique ne marche pas. Moi, je crois tout simplement à la multiplication des possibles. Et je ne sais pas ce qui est mieux. Encore une fois, j'essaie de décrire ce qui est, déjà, sans prescrire quoi que ce soit. De décrire ce qui est et de décrire tout simplement qu'il y a des gens pour qui, non, ce n'est pas une évidence que le foyer est un refuge. Et je trouve que c'est quelque chose quand même qu'on... Aujourd'hui, je trouve que ce soit... À droite de l'échiquier politique, à l'extrême droite, n'en parlons pas, mais même à gauche, il y a cette idée quand même que la famille nous protégerait forcément, que la sphère publique étant menaçante pour tout un tas de raisons, que l'État pouvant être menaçant, voilà, c'est des choses qui sont vraies. Il y aurait quand même cette sphère familiale qui serait à la fin des fins.

  • Speaker #1

    Ça vient de toute l'histoire du XXe siècle, c'est-à-dire qu'on a voulu échapper après la guerre. Pendant la guerre, c'était travail, famille, patrie. Donc après, on a voulu échapper à tout ça, se faire voler en éclats les structures religieuses, familiales, anciennes. Et puis, c'était mai 68, les années 70, 80. Moi, j'étais enfant à cette époque-là. Et je peux vous dire que ce n'était pas simple de traverser ces tentatives de libération sexuelle et autres. Et puis, maintenant, on revient en arrière. On revient. Ce n'est pas... réactionnaire de dire ça. C'est simplement que on s'est aperçu que la destruction des structures était presque pire que la structure. Et donc, il y a une sorte de...

  • Speaker #0

    Bien sûr, et qu'on est en temps de crise, et comme il y a dans le passage qui s'intéresse brièvement, je ne suis pas du tout spécialiste ni historienne, j'ai juste lu des travaux de sociologues sur l'histoire de la famille, donc qui s'intéressent à l'histoire de la famille. C'est vrai que ce que j'ai constaté dans ce que j'ai lu, c'est qu'à chaque fois en temps de crise, On se replie, ou on espère retrouver de la chaleur, du réconfort, de la sécurité financière aussi, dans la sphère privée, dans la sphère familiale. Et je l'entends tout à fait. Je fais aussi état des familles d'immigrés qui protègent des personnes qui se sentent menacées par ce qu'elles nomment du racisme institutionnel, etc. Et je l'entends, je ne suis pas du tout en train de nier ça. Mais juste, il y a des personnes qui, tout en entendant ça, en comprenant ça, ont été éjectées, ont été brutalisées et pour qui ce n'est pas synonyme de refus.

  • Speaker #1

    De bonheur.

  • Speaker #0

    Et ces personnes-là, je pense que c'est difficile pour elles finalement de s'exprimer parce que il y a toujours suspicion d'une part de gâcher la joie commune, voilà, décorcher un peu la joie commune, ou alors au contraire d'être... Est-ce que ce ne serait pas une parole d'affreux jojo libéral comme on a connu et qui vont mettre fin ? Je pense que c'est plus C'est plus humble que ça C'est tout simplement je n'y arrive pas Ou j'ai trop souffert pour y aller

  • Speaker #1

    En tout cas voilà Ça a l'air compliqué comme discussion Mais c'est en fait Blandine Rinkel est quelqu'un qui cherche Et ce livre c'est une quête C'est une quête et il y a de tout Dans le livre et ça pose énormément de questions Et c'est intéressant d'en parler Alors on passe maintenant Au jeu devine tes citations Blandine Un jeu où je vous lis des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez essayer de me dire dans quel livre vous avez dit ça.

  • Speaker #0

    Super.

  • Speaker #1

    Il ne m'avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Cependant, j'héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J'héritais de lui l'absence, la joie et la violence.

  • Speaker #0

    Vers la violence. Un peu facile.

  • Speaker #1

    Je commence toujours par une question facile. Rempris d'Electrice Dehael en 2023, vers la violence. Mais quand même une question, pourquoi vous n'avez pas osé à l'époque le récit ? Pourquoi Gérard alors que ce n'est pas le vrai nom de votre père ?

  • Speaker #0

    Parce que ce n'est pas un récit, c'est un roman, j'y tiens. J'ai dû transposer, j'ai dû et j'ai eu envie, je pense que c'est un mélange des deux, transposer des événements déjà qui appartiennent à d'autres vies que la mienne. On peut s'autoriser beaucoup de choses quand on écrit, mais je pense qu'il y a quand même une certaine éthique. En tous les cas, on doit s'interroger.

  • Speaker #1

    Donc pour être libre, vous préfériez la fiction ?

  • Speaker #0

    Pour être libre et pour protéger les morts et les vivants, j'avais besoin de la fiction. Et par ailleurs, ça m'intéressait, il y avait tout un champ lexical autour de l'animalité qui m'intéressait beaucoup aussi pour d'autres raisons, parce que les animaux m'importent, m'intéressent. Et ça m'intéressait d'écrire aussi des choses autour des animaux, mais qui me faisaient un peu plus entrer dans la fiction, parce que, en réalité, dans mon enfance, ça n'a pas été central, disons, l'animalité. Mais ça m'intéressait beaucoup, en termes vraiment littéraires, en termes de langue, ça me passionnait. Donc, il y a aussi des scènes qui se sont écrites pour ça, parce que j'avais envie, en fait, d'explorer ce champ lexical-là.

  • Speaker #1

    Mais moi, je me suis dit... Vous dites que j'héritais de lui l'absence, la joie et la violence. Quand on est... père, moi j'ai deux filles, on a envie qu'elle soit forte en ce moment, dans ce monde. On a envie aussi, c'est pas d'être violent, mais qu'elle, elle soit capable de se défendre et d'être, vous voyez ce que je veux dire ? C'est peut-être ça qu'il vous a enseigné aussi. Il avait peut-être peur, tout simplement, pour sa fille, et envie qu'elle puisse se battre.

  • Speaker #0

    Oui, je pense qu'il m'a... laisser ça, mais presque à son corps défendant. Je ne sais pas si c'est complètement une décision. De toute façon, je ne sais pas si sa manière d'éduquer a été complètement une décision. C'est ainsi, c'est ce que c'est.

  • Speaker #1

    Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous écrit ceci ? Les gens préfèrent mentir plutôt qu'avouer qu'ils ne savent pas.

  • Speaker #0

    Je pense dans Le non-secret des choses.

  • Speaker #1

    C'était tout à fait exact. Bravo, 2019. La provinciale, donc, dans le livre qui vient de Saint-Jean-des-Oies, a toujours du mal avec les snobinards parisiens aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    J'ai plus de... Je crois que j'ai de la tendresse, parce que maintenant, je vois davantage quand même à quel point ça relève d'une espèce de stratégie de défense foireuse. De faire semblant d'avoir lu... Parce que je pense qu'on est tous effrayés, quoi, à l'idée de cette... Mais aussi de cette... On en revient à la norme, hein, mais... De cette norme aussi de la culture légitime à Paris, qui est quand même très pesante, qui est beaucoup moins pesante. Moi, en tous les cas, à Rosée, je ne la sentais pas. La culture légitime, je ne parle pas de la culture tout court, mais une certaine culture.

  • Speaker #1

    Rosée, c'était le vrai village dont le livre s'appelle Saint-Jean-des-Oies.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas un village, c'est une ville en banlieue de Nantes. Mais oui, oui, Saint-Jean-des-Oies. C'est encore autre chose qui est fictionnée, mais je laisse les gens faire leurs petites enquêtes.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est vrai que moi, ça m'a beaucoup amusé, ce livre, parce que vous faisiez une caricature des bobos parisiens tête à claque, vraiment très réussie. Je me suis senti visé, d'ailleurs. Non, c'est drôle. Et moi, je ne sais pas pour parler de moi, mais j'ai fait le chemin inverse. J'ai quitté Paris pour vivre à la campagne. Est-ce que vous regrettez, vous, d'avoir fait ce voyage de la campagne vers Paris ?

  • Speaker #0

    Encore une fois, ce n'est pas tout à fait la campagne. Je pense qu'il faut... Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui, c'est le banlieue de Nantes, pardon, le banlieue de Nantes.

  • Speaker #0

    Non, je ne regrette pas. Après, j'en parle beaucoup de Paris et je n'écris pas à Paris. J'écris dans une ville que je ne vais pas citer, mais qui est vraiment... Je peux être complètement isolée. Donc,

  • Speaker #1

    vous ne considérez ni comme une Nantaise émigrée, ni comme une Parisienne confirmée.

  • Speaker #0

    Je ne pourrais pas nier le fait que j'ai pris tout un tas. J'ai un éthos beaucoup plus parisien qu'il y a 10 ou 15 ans. Ce serait manquer de lucidité que de ne pas le voir. Mais pour autant, j'essaie toujours de retrouver des endroits plus âpres aussi. C'est-à-dire des endroits où il y a moins de monde, mais aussi où on peut marcher pendant des heures et croiser d'autres espèces que la nôtre. Je reviens à mon affaire d'animalité. Oui, mais ça compte beaucoup. À Paris, je trouve que ce n'est pas le cas. On croise autre chose.

  • Speaker #1

    Par quelques rats.

  • Speaker #0

    Oui, avec un chien, voilà. Mais en fait, on est quand même... C'est quand même une ville où les codes sociaux sont ce qui comptent avant tout. Et il y a d'autres espaces, d'autres lieux qui nous permettent de sentir qu'il y a d'autres choses qui peuvent compter.

  • Speaker #1

    Alors, chez la Pérouse, il y a pas mal d'animaux bizarres, mais c'est vrai que...

  • Speaker #0

    J'ai beaucoup de sortes d'animaux bizarres.

  • Speaker #1

    À certaines heures. Et pas la Pérouse. Une autre phrase de vous. qui est peut-être la phrase que je préfère de toute votre carrière. Il n'y a rien de pire que de sentir. Sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. C'est où ?

  • Speaker #0

    Dans la faille ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est dans la faille, bien sûr. Alors, cette phrase, je pourrais la signer, moi. Je pourrais la signer, mais alors la contre-signer. Il n'y a rien de pire que de sentir, sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. Et pourtant, vous aspirez à la même liberté que votre père.

  • Speaker #0

    Oui, mais j'essaye de faire coller mon récit. J'essaie justement de ne pas mentir là-dessus. Je pense que ce qui... Sortons de juste mon père, mais de ce qui a été difficile pour beaucoup de pères, et peut-être aussi de femmes, mais c'est de, à la fois, prétendre qu'ils étaient encore quand même des chefs de famille, ou qu'ils aspiraient encore à éduquer leurs enfants, etc. Tout en... Tout en ne parvenant pas y croire, tout en voulant partir, tout en cherchant à s'affranchir de ça.

  • Speaker #1

    Ou en étant incapable.

  • Speaker #0

    Ou en étant incapable, bien sûr. Mais du coup, il y avait une sorte de distorsion, je pense, dans le langage, qui a fait beaucoup de tort, qui a fait beaucoup de mal. C'est-à-dire, je dis quelque chose que je ne fais pas et je fais quelque chose que je ne dis pas. Et je crois que s'il y a bien quelque chose que j'essaie de faire dans ma vie, et ce n'est pas toujours simple, et je ne dis pas du tout que je suis parfaite à ce niveau-là, je dis juste que j'y aspire, pour le coup. C'est à dire ce que je dis. à faire ce que je fais et puis à dire non non pardon c'est une autre phrase qui aurait été plus maligne et je pense que c'est pas évident, ça peut être le projet toute une vie de dire ce qu'on fait et de faire ce qu'on dit mais j'y aspire une forme de quête d'honnêteté qui serait peut-être pour moi une forme de réparation d'un mensonge dans lequel j'ai eu l'impression de grandir pour le coup j'ai changé de prénom et de cheveux oui c'est vrai, plusieurs fois

  • Speaker #1

    C'est dans la faille.

  • Speaker #0

    Oui, c'est dans la faille.

  • Speaker #1

    Donc, vous avez changé de prénom. On a le droit de dire votre vrai prénom ou pas ?

  • Speaker #0

    On peut, je m'en fiche. Oui, oui, Maëva, mon vrai prénom.

  • Speaker #1

    Maëva. Et donc, vous avez vraiment choisi de changer de prénom. Vous êtes allée dans une mairie pour dire maintenant, je veux m'appeler Blandine.

  • Speaker #0

    Oui, c'était facile. C'était facilité parce que c'était mon deuxième prénom. Donc, c'est à tous ceux qui écouteraient cette émission et toutes celles. et qui voudraient changer de prénom en ayant un deuxième prénom ou un troisième prénom qui leur plaît, c'est très simple, il suffit de demander à ce que ce soit souligné, mis en gras ou inversé.

  • Speaker #1

    Un de vos second prénom.

  • Speaker #0

    C'était très simple. Après, à cette occasion, je me suis quand même vraiment intéressée au changement de prénom dans l'absolu, et puis historiquement, parce qu'en fait, c'est de plus en plus facilité.

  • Speaker #1

    Alors là, vous pensez qu'en devenant Blandine, vous êtes devenue écrivain ? Vous êtes devenue quelqu'un d'autre ?

  • Speaker #0

    Ça m'a permis, je pense, à un moment où j'étais très impressionnable et impressionnée, intimidable et intimidée par la capitale, par cette affaire de culture légitime, etc. Ça m'a permis d'être une sorte d'impostrice pour un temps et de jouer à la personne légitime.

  • Speaker #1

    Comme beaucoup d'écrivains qui ont pris des pseudonymes.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Mais après, maintenant, si c'était à refaire, je l'ai fait de manière très brutale et joyeuse avec une amie. Si c'était à refaire aujourd'hui, je pense que je ne le referais pas parce que je trouve ça bien, au contraire, d'assumer son prénom. Donc,

  • Speaker #1

    vous avez changé aussi de cheveux. Ça veut dire que vous étiez brune ?

  • Speaker #0

    J'étais brune, oui. Je passais partout.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'un jour, on verra Maëva la brune ?

  • Speaker #0

    Non, non. Ma vraie couleur, c'est d'être blonde. C'est des tchats inclaires. On s'en fiche. Non, mais ce qui est intéressant là-dedans, ce n'est pas tant ça. C'est le fait de dire que je pense qu'il ne faut pas condamner trop vite celles et ceux qui prennent des masques. Parce que parfois, c'est la seule solution qu'ils trouvent à un moment pour se sentir légitime ou pour essayer de trouver leur place. Et ce n'est pas fatal, c'est-à-dire qu'on peut en revenir aussi du masque. On peut en revenir, on peut changer. Je dis ça dans la faille, c'est-à-dire qu'arrivant à Paris et faisant de nouvelles rencontres, je découvrais la possibilité de changer, de changer d'avis, de changer d'allure, de jouer. Aujourd'hui, j'en ai beaucoup moins besoin. Mais en fait, à un moment, le jeu a été vraiment une arme contre tout. tout ce qui était trop inhibant, intimidant. Et ça a été une arme, en fait, pour quelqu'un qui, tout simplement, se sentait du mépris social. Je veux dire, c'est ça qu'il y a derrière ça. C'est que j'avais peur d'être méprisée. Et que jouer a été une manière pour moi de me débattre avec...

  • Speaker #1

    J'avais pas vu cet angle-là, parce que je suis tellement privilégié que je ne le vois pas. Mais c'est vrai que Blandine est plus bourgeois comme prénom que Maéva. Maéva, on peut vous regarder un peu avec... Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, peut-être on peut se dire, Maëva, c'est moins...

  • Speaker #0

    En fait, c'est très...

  • Speaker #1

    Snob, quoi.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas,

  • Speaker #1

    c'est bête, d'ailleurs.

  • Speaker #0

    En fait, ça a été étudié, c'est-à-dire qu'il y a un sociologue qui s'appelle Baptiste Coulemont, qui est spécialiste des prénoms, qui propose, je ne sais pas si c'est chaque année, je ne sais pas s'il l'a fait récemment, en tous les cas, au moment où j'écrivais Le Non-Secret des Choses, je sais qu'il proposait ça, des graphiques où on peut voir les prénoms et les mentions au bac. C'est-à-dire qu'il y a la piste que l'on leur donnait avec les prénoms et les mentions au bac. Et très clairement, qui s'appelle...

  • Speaker #1

    Blandine aura une meilleure note.

  • Speaker #0

    ...Géphique ou Blandine est plus... Ah oui,

  • Speaker #1

    elle aura plus de chances d'avoir des meilleures notes que Maëva. C'est logique,

  • Speaker #0

    tout simplement. C'est des places plus privilégiées, c'est des prénoms qui sont plus privilégiés. Et moi, je n'ai pas changé directement pour ça. Encore une fois, c'était mon deuxième prénom et c'était ma mère qui avait voulu m'appeler Blandine. Finalement, ça n'avait pas remporté l'adhésion générale. Mais donc, je n'ai pas changé. Pour ça, reste que c'était un peu...

  • Speaker #1

    C'est important.

  • Speaker #0

    Oui. Mais aujourd'hui, pour la même raison, je trouve ça dommage. Je trouve que ce serait plus intéressant de dire, non, en fait, je m'appelle Maëva et je m'en fous de ces affaires de mépris social. Bon, il se trouve que j'ai changé.

  • Speaker #1

    Non, mais ce n'est pas grave. Une dernière phrase de vous. Nous sommes des créatures clignotantes. Où avez-vous écrit ça ?

  • Speaker #0

    Non secret des choses,

  • Speaker #1

    je pense. Oui, non secret des choses, 2019, vous connaissez par cœur tous vos livres. Bravo, vous avez remplacé tous les points. J'aime bien, nous sommes des créatures clignotantes, même si je ne sais pas très bien ce que ça signifie.

  • Speaker #0

    C'est cette idée de présence-absence avec les créatures sociaux. En fait, j'ai écrit ça avant qu'il y ait toute cette affaire d'écologie ou d'économie de l'attention. On parle beaucoup de l'économie de l'attention. À partir du moment où il y avait ça, mon affaire de créature clignotante a été doublée par une expression bien plus...

  • Speaker #1

    C'est pas mal.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. Ça clignote, on a du mal à se concentrer. Mais c'est déjà un peu vieux.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Blandine Rinkel, d'avoir accepté de dialoguer dans ce cadre kitsch chez la Pérouse. Cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Je rappelle qu'il faut lire la faille. de Blandine Rinkel aux éditions Stock, si l'on veut s'interroger sur ce modèle qui nous contraint et nous libère, je ne sais pas je suis comme vous l'ingénieur du son se nomme Thomas François la réalisation, il n'y avait pas eu de réalisation vidéo cette semaine mais le montage est de Manon Mestre et surtout surtout n'oubliez pas, lisez des livres sinon vous allez mourir idiot

Share

Embed

You may also like

Description

La chanteuse du groupe Catastrophe publie "La Faille". C'est dire si elle va bien ! Nous avons dialogué une heure sans caméra (à sa demande). Elle trouve qu'on parle mieux sans être filmé. Je pense qu'elle a eu raison et que cette conversation sur la fin de la famille est idéale pour fêter la Saint Valentin.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, bienvenue chez moi. Conversation chez la Pérouse est une émission qui se déroule chez la Pénus, mon domicile parisien. Cette semaine... J'ai beaucoup de chance, je reçois

  • Speaker #1

    Blandine Rinkel pour son livre

  • Speaker #0

    La faille qui vient de paraître aux éditions

  • Speaker #1

    Stock.

  • Speaker #0

    Bravo, mais merci pour votre coopération sur ce générique, Madame Rinkel. Cette émission commence par un sponsoring. Nous avons le soutien des éditions Grasset cette semaine et je vais donc dire du bien de Bernard-Henri Lévy pour son livre Nuit Blanche où il parle de ses insomnies. C'est assez étonnant de sa part. On connaît le philosophe engagé. Mais là, pour le coup, il se livre comme jamais. Le livre est assez original parce qu'il est écrit en petits chapitres qui ressemblent un peu aux pensées qu'on a quand on n'arrive pas à s'endormir. C'est-à-dire qu'on zappe, on pense à des choses sérieuses, politiques, à toutes les horreurs du monde, et puis tout d'un coup on pense à autre chose, aux médicaments qu'on a pris, on pense à sa famille, on a des souvenirs qui viennent et on repasse à des guerres épouvantables dont il a été le témoin et qui l'empêchent de trouver le sommeil. C'est un livre très... je trouve assez courageux de la part de BHL et formellement par moment ça m'a fait penser à Un siècle débordé de Bernard Franck qui était aussi un livre de digression qui partait dans tous les sens et ça donne un certain charme à la lecture donc je vous recommande Nuit blanche de Bernard-Henri Lévy chez Grasset est-ce que vous avez un commentaire à faire sur Bernard-Henri Lévy, Blandine Rinkel ? aucun commentaire à faire fin de la publicité

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Et bonsoir et merci d'être là. Blandine, vous publiez La Faille. Et le titre vient d'une erreur de calligraphie. Quand vous écrivez le mot famille avec votre stylo, vous aplatissez le M. Et vous ne faites pas exprès et ça donne La Faille. Vous n'arrivez pas à écrire famille.

  • Speaker #1

    Si je m'efforce vraiment, j'y arriverai.

  • Speaker #0

    En majuscule peut-être, en majuscule.

  • Speaker #1

    Non mais quand je le fais de manière inconsciente en tous les cas. Oui, on lit failles. C'est évidemment une anecdote, mais ça permet d'expliquer très vite quel est le projet du livre, c'est-à-dire de partir de quelque chose d'intime et de parler de celles et ceux pour qui la famille est une faille.

  • Speaker #0

    Tous vos livres racontent... une sorte de projet, c'est-à-dire que si on liste vos titres, on a votre vision de la littérature, un peu, puisque en 2017 vous avez commencé par l'abandon des prétentions, qui pourrait être une définition de ce que c'est que la littérature quand elle est réussie. Ensuite, le non-secret des choses, en 2019, là aussi, ça définit votre conception, peut-être, de cette forme d'écriture, de soi. enquête sur son existence, quel est le nom derrière les choses. Vers la violence, bien sûr, en 2022. Alors là, pour le coup, vous avez été couronné par le Grand Prix des lectrices de Elle pour Vers la violence. Et vous abordiez une question personnelle. C'était romanesque, mais enfin, c'était sur votre père et la faille, enfin, cette année 2025. Et j'ajoute qu'en plus, vous êtes la chanteuse du groupe Catastrophe. Donc, vous avez... Ah,

  • Speaker #1

    vous pensez à un autre programme encore, Catastrophe ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. La faille,

  • Speaker #1

    Catastrophe... C'est un point de départ, mais tout est peut-être un... Je ne sais pas si c'est des programmes, peut-être vers la violence, oui. Mais la faille comme Catastrophe, qui n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. Mais il y a cette idée quand même de... C'est la fameuse phrase de Philippe Roth. Quand un écrivain est dans une famille, la famille est foutue. Et je crois que moi, c'est l'inverse. C'est-à-dire... On part du fait qu'il y avait quelque chose de foutu assez tôt. Et même l'idée catastrophe, je dirais plus que c'est... Je pars d'un espèce de paysage catastrophé ou une espèce de terre un peu calcinée. Et à partir de là, au contraire, l'idée c'est d'écrire, de reconstruire. Mais c'est moins un programme qu'un point de départ, je dirais.

  • Speaker #0

    Bien sûr, parce que ce que ne savent pas nos auditeurs, c'est qu'avant votre naissance, il y a eu un accident épouvantable dans votre famille. Votre père a perdu deux enfants. Et il y a eu ce drame initial avant votre naissance. Et de naître dans une famille qui est complètement sous le coup d'une tragédie, c'est très particulier. C'est un peu ce qui explique tous ces titres.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est aussi de grandir à l'ombre d'un père et d'une mère qui avaient chacun leur raison d'être... Inquiets, disons, par ce qu'ils fabriquaient avec la vie. J'ai l'impression que l'un et l'autre, de manière très différente, et l'un et l'autre étaient aussi joyeux, de manière très différente, mais habitaient dans un territoire menacé. J'ai l'impression qu'avant même d'avoir des mots pour le dire, confusément, j'ai grandi à l'ombre de cette menace, et donc j'en ai hérité de ce truc. Ce truc un peu d'être aux aguets.

  • Speaker #0

    Malgré vous, vous arrivez dans une famille comme ça, où il y a eu cet événement épouvantable. Et du coup, c'est comme si vous aviez pour mission de réparer, alors que vous n'y êtes pour rien. Vous débarquez sur Terre.

  • Speaker #1

    Oui, après, on ne m'a rien fait peser. Il ne fallait pas que je répète quoi que ce soit. Mais c'est vrai que très tôt, mais vraiment tôt, j'ai senti qu'il fallait, même si personne ne me le demandait, personne ne le faisait peser. Il fallait que je puisse être indépendante ou que je puisse être le parent d'un parent faillible. Très tôt, mais vraiment, je veux dire, je pense même avant 10 ans. J'ai senti ce truc. Si je faisais peser en plus, j'en sais rien, des pleurs, une tristesse, des difficultés à l'école, je dis n'importe quoi. Si je faisais peser ça en plus de tout ce qui avait déjà pesé, en fait, on n'allait pas vivre, on n'allait pas en survivre. Je veux dire, tout. Tous les trois,

  • Speaker #0

    mes parents et moi. Vous avez l'impression qu'ils étaient joyeux parce qu'ils se forçaient un peu à l'être ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Non, je crois que le sentiment de la catastrophe peut côtoyer la joie. Même parfois, ça va avec. Oui, bien sûr. Je crois que ce que j'ai de plus ardent en moi, ce que j'ai de plus joyeux, même un sens de l'humour, va avec une sorte de...

  • Speaker #0

    D'apocalypse.

  • Speaker #1

    Oui, peut-être. Intérieur, oui, peut-être. Il y a un truc, c'est quand on sait que tout peut être perdu. On peut commencer à danser.

  • Speaker #0

    À danser sur les ruines. La critique de la famille, c'est André Gide qui l'a entamé un peu il y a 128 ans dans les nourritures terrestres quand il disait famille, je vous hais. Vous ne le citez pas, mais vous citez, c'est très amusant, vous citez notamment la famille Ricorée. Vous dites, non, ce n'est pas possible. Je n'ai pas envie de vivre dans une famille Ricorée.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si elle existe vraiment, cette famille. J'interroge surtout ce récit-là. En fait, je ne comprends pas que ce récit perdure alors que personne ne vit vraiment ça. Il y a un espèce de truc, on aspire, donc on est tous déçus. Moi, je n'aspire pas à ça, mais j'ai le goût que beaucoup de gens sont... sont déçus parce qu'en fait le modèle qu'ils ont en tête est un modèle avec un jardinet avec des parents qui sont gentils qui apporte une tarte aux pommes et puis les enfants jouent au ballon voilà je pense que personne ne le personne ne sait c'est un peu un mensonge quoi ce mythe là mais pourtant en toile de fond souvent c'est inconscient en fait c'est mais en toile de fond ça persiste quand même je pense dans beaucoup de familles et l'envie d'être parfait quoi

  • Speaker #0

    C'est ça, l'envie d'être parfait ou d'être normal. Vous critiquez cet amour.

  • Speaker #1

    Oui, je crois. Comme si... J'ai lu encore, je crois hier, dans Le Monde, le journal, un article qui parlait de la pression sur les femmes pour avoir deux enfants plutôt qu'un. Ce qui me paraît complètement lunaire, parce que moi déjà, un enfant, je ne ressens aucune sorte de pression. Donc je me dis que c'est des personnes qui doivent être aussi sensibles aux pressions sociales. qui peuvent-elles, elles le sont, elles le sont. D'ailleurs, c'était marrant parce que l'article insistait sur les femmes, et je me disais, mais bon, la question doit être, pourquoi ?

  • Speaker #0

    Cette question existe quand même sur les femmes.

  • Speaker #1

    Elle existe, mais moi, j'y suis peu sensible personnellement. Je pense que ça vient déjà de la lecture. Je veux dire, de lire, il y a tellement de manières de vivre, de voir, de parler possibles qu'au bout d'un moment, l'autorité de cette pression tombe un peu. Moi, je la sens peu, en fait, cette pression. Ou en tous les cas, elle ne me sur-intimide pas, disons. Mais qu'est-ce que j'allais dire ?

  • Speaker #0

    Vous en parlez de ça. Vous en parlez, page 208. Oui. Est-ce que vous accepteriez de lire ce passage ? Est-ce que c'est intéressant ? Vous dites qu'il n'y a pas de pression, mais quand même, vous la décrivez un petit peu dans ce passage.

  • Speaker #1

    Alors, je ne crois pas, mais je vais le lire et je vais écouter. Oui,

  • Speaker #0

    expliquons-nous, expliquons-nous.

  • Speaker #1

    Oui. Dans une pièce fermée à quelques mètres, tu fabriques de la musique et gardes tes éclats et tes parts d'ombre auprès de toi. Nous sommes au crépuscule du printemps. bientôt la chaleur encore tempérée basculera dans une torpeur totale. C'est le bleu qui nous le dit, celui du ciel et des fleurs. Les guêpes et la crème solaire sont déjà là, c'est un avant-goût de l'été, et des familles, toutes en tongs et en cris, dévalent la rue qui mène vers la mer. Nous les sentons qui passent, les observons, leur souriant. Nous travaillons proches l'un de l'autre, quoique sans se voir ni se parler, bercés par les rires des enfants et les grondements de leurs parents. Parfois la vision d'un garçon chevauchant à Saint-Bernard ou d'une petite fille qui étreint son masque et son tuba contre sa poitrine me serrent brutalement le cœur. À d'autres moments, l'inertie et la nervosité des groupes en déplacement, le sérieux qu'ils donnent Ausha des plats du dîner, me font à la fois soupirer et rire. Je ne me sens plus vraiment concernée, cela me va. Nous sommes de l'autre côté de la rive, nous n'en serons sans doute pas. Il n'y aura pas de couche à changer, pas de discussion sur la contraception, ni de noces d'argent et d'or. Il n'y aura pas de vacances collectives, de Père Noël éventé au cours d'un repas, ni de bataille d'héritage.

  • Speaker #0

    Moi j'aime beaucoup ce passage parce que vous parlez, je suppose que c'est vous et votre compagnon, et vous vous entendez, vous voyez passer toutes ces familles qui sont caricaturales, qui sont en vacances.

  • Speaker #1

    Oui, en même temps pour lesquelles je pense que ce passage justement en rend compte, pour lesquelles je peux avoir de la tendresse, du désir.

  • Speaker #0

    Enfin en tout cas un désir d'enfant. Oui,

  • Speaker #1

    un désir quand même.

  • Speaker #0

    Vous dites à un moment que ça vous sert le cœur de voir une petite fille avec son masque et son tuba. Oui. Vous avez un désir de...

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je trouve très beau, mais c'est quelque chose qui a un peu une ligne rouge, je pense, dans le livre. C'est que celles et ceux pour qui la notion de famille est abîmée ne le décident pas toujours. Je ne crois pas du tout faire un espèce de geste punk en disant « allez vous faire foutre, vous qui avez concédé à l'ordre familial » . Ce n'est pas ça du tout. C'est plus très jeune, cette idée de famille a été abîmée, puis elle a continué à l'être. par des rencontres aussi, peut-être parce que ceux qui se sont éjectés ou ont été éjectés d'une famille se retrouvent, se voient. Il y a quelque chose dans l'œil, je pense, qui circule. Il y a une écorchure dans l'œil qui fait qu'on va, en fait. On va les uns vers les autres. Et donc, voilà, ce n'est pas tout à fait un choix. C'en est un, mais ce n'est pas que ça. Et je pense que le livre essaie de rendre compte de ça. Ce n'était pas du tout un livre que je voulais écrire contre. C'est-à-dire que ce n'est pas un livre de mépris, ce n'est pas un livre qui a vocation à agresser qui que ce soit ? Non,

  • Speaker #0

    mais d'ailleurs, c'est intéressant parce que c'est un livre qui est composite. C'est un livre de fragments avec une partie qui est autobiographique, une partie qui est plus proche de l'essai. Parfois, vous allez vers de la critique littéraire, vos lectures, les films que vous aimez. Et c'est très libre comme forme. C'était volontaire de... de dépasser la dichotomie entre romans et essais. Vous voyez, dans les listes des best-sellers, il y a toujours la colonne avec les romans et la colonne avec les essais. Vous ne vouliez pas être classable.

  • Speaker #1

    De plus en plus, quand même. Je pense qu'il y a des genres hybrides. Je pense à ce qu'a fait Laure Murat ou Neige Sinault. Je pense dans les trucs très récents en France. Mais littérature anglo-saxonne, on en trouve plein quand même de non-fiction comme ça.

  • Speaker #0

    Vous citez aussi ?

  • Speaker #1

    Maggie Nelson, Rebecca Solnit, Leslie Jamison, même une Rachel Cuss. Je pense qu'il y a des endroits...

  • Speaker #0

    que nous avons reçues dans cette édition ?

  • Speaker #1

    Il y a des endroits hybrides qui se permettent aussi de théoriser. Je pense que ça existe depuis très longtemps, donc ce n'est pas forcément novateur. Par contre, c'est vrai que je ne me l'étais pas autorisée comme ça avant. Et ça a un rapport, en effet, avec ce qu'on disait juste avant, à savoir que, je viens de perdre mon idée, mais je vais la retrouver dans une seconde.

  • Speaker #0

    À savoir que quand vous voyez une fille avec un masque et un plus bas...

  • Speaker #1

    À savoir que je suis passée par plein de couches de réflexion, de lecture, de remise en question pour écrire ce livre. Et que je dis, le livre n'a pas vocation à agresser, c'est vrai. parfois écrit certaines pages en partant d'une petite colère, que je n'avais pas une colère contre les familles, mais une colère contre parfois le sentiment, le léger sentiment de supériorité que je pouvais sentir poindre des gens qui me parlaient de leur mode de vie et qui semblaient avoir peut-être une petite pitié pour celles et ceux qui, comme moi, n'aspirons pas, n'habitons pas dans des familles structurées.

  • Speaker #0

    Mais vous ne savez pas si c'est définitif ?

  • Speaker #1

    Non. Bien sûr, je ne me demandais pas si c'était définitif, mais je sentais poindre un peu ça. Mais pas, je pense que c'est des choses dans l'air, c'est des choses qui flottent dans l'air. Je pense qu'on écrit à partir de ce qui flotte dans l'air. Mais sentant ça, il est arrivé que j'écrive avec une petite pointe de colère. Et en me relisant des jours après, quand j'écrivais, je me disais non, en fait, il faut réajuster. Et pour réajuster, j'en passais par un film, par un livre. Pour réajuster, j'en passais par une scène qui permettait de ramener de la chaleur à des endroits qui sont un peu froids, qui sont un peu théoriques, qui sont très informés. Parce qu'il y a des pages aussi, par exemple, sur l'évolution de la famille en France depuis l'Ancien Régime. Juste moi, ça m'intéressait de voir, tiens, qu'est-ce qu'on désigne aussi par le mot famille ? Qu'est-ce que c'était d'être un père, d'être une mère sous l'Ancien Régime ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de la même chose ? Voilà, ça permet de lire, d'ouvrir aussi la... d'ouvrir notre perception, d'être un peu moins collé à ce qu'on vit, à ce qu'on voit. Mais c'était des moments d'écriture qui étaient forcément froids, parce qu'en fait, j'intégrais beaucoup, beaucoup de lecture. Et je me disais, ça ne va pas non plus, parce que moi, mon grand plaisir quand même de lectrice, il vient de ne jamais séparer le plaisir de l'érudition, ou de l'érudition, ce n'est même pas le mot, mais le plaisir du fait d'apprendre. Le fait que savoir, comprendre est lié à un... Et le plaisir, sont liés, se répondent. Et donc, je suis passée par plein de couches d'écriture et du coup, de genres d'écriture aussi. Je me suis dit, bon, maintenant que je suis lancée dans une espèce de texte hybride, autant ne rien s'interdire. Donc, c'est vrai que il y a des dessins, comme ce que je viens de lire, des passages qui sont presque un peu lyriques, qui sont assez intimes et qui sont littéraires.

  • Speaker #0

    Celui-là, il est à la toute fin. Et donc, c'est vrai qu'on le prend comme un petit peu, en fait, comment dire, l'épilogue ou la conclusion de tout. Toute cette réflexion sur la famille, où vous regardez ces familles qui passent et vous vous dites, ce n'est pas pour moi, mais c'est beau. Et puis finalement, voilà, il n'y avait pas de méchanceté là-dedans.

  • Speaker #1

    Oui, oui, c'est vrai que c'est un... Finalement, il est à la toute fin, mais je crois qu'il boucle avec le début, ce que je n'avais pas du tout conscientisé avant là qu'on en parle, au sens où il est écrit au futur antérieur, si je ne m'abuse. C'est-à-dire...

  • Speaker #0

    Il se projette dans quelque chose qui n'aura peut-être pas lieu.

  • Speaker #1

    Ça n'aura pas été. Et au tout début du livre, je dis que j'ai vécu toute mon enfance au futur antérieur. Parce que tout en vivant mon enfance, je me disais, tiens, j'aurais essayé la famille et j'en aurais fini. Et donc, finalement, c'est aussi une fin qui boucle, je pense, avec Will.

  • Speaker #0

    Mais ce qui est dingue, ce qui est marrant, moi j'ai lu tous vos livres et c'est fascinant parce que vous avez toujours écrit sur la famille et en même temps vous vous dites ah non c'est pas pour moi mais en fait littérairement c'est votre sujet. Le premier roman est sur votre mère, même si c'est un roman, les noms sont changés mais c'est tout de même un roman sur une fille qui est avec sa mère et qui admire sa mère.

  • Speaker #1

    Ouais ouais, la fille est quand même peu présente dans le premier roman, au départ je voulais vraiment l'écrire d'ailleurs pour une femme de 65 ans sans... d'aller préciser forcément que c'était ma mère. Et puis, normalement, je me suis dit que ça nuisait à l'écriture de Père-Déjeuner. Mais oui, oui.

  • Speaker #0

    En quête de notre cas des choses, elle s'échappe, elle part à Paris. Ensuite, vers la violence, c'est sur le père. Un père un peu flamboyant, incontrôlable, qui boit, qui est brutal, qui tape son chien. Oui,

  • Speaker #1

    qui ne boit pas plus que ça. Il y a une scène où il boit, donc on le retient, mais c'est pas... C'est pas... Mais oui, c'est sûr que j'ai écrit à partir de silence, je pense. Et donc à partir de silence que j'avais éprouvé dans ma famille. Je pense qu'il y a une phrase que je crois citer dans La Faille de Jeannette Winterson qui dit qu'il arrive que les familles soient des conspirations du silence. Et donc, on écrit pour essayer d'entrer là-dedans, de nuire à la conspiration.

  • Speaker #0

    Et la clé.

  • Speaker #1

    Oui, de réouvrir quelque chose et de mettre du langage. Et puis de nuire aux mensonges aussi, de nuire peut-être aux... aux récits uniques qui sont favorisés par les groupes qui veulent assurer leur cohésion avec un récit clair, un récit unique. Donc l'envie de récits, l'envie tout simplement de littérature, je pense mon goût d'abord de lectrice, puis le fait que j'ai écrit vient de ma famille. Après,

  • Speaker #0

    je n'aspire pas toute ma vie à une histoire de lire. Non, mais on n'en sait rien. Vous verrez bien.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression quand même que c'est la fin d'une phrase. Que la phrase avait commencé avec l'abandon des prétentions.

  • Speaker #0

    Et s'achève avec la faille.

  • Speaker #1

    Je crois. Après, je ne sais pas, j'ai des idées, mais je ne sais pas si je serai à la hauteur de l'envie. Mais j'ai d'autres idées, mais je crois que je vais sortir de cette phrase-là.

  • Speaker #0

    En tout cas, cette envie d'enquêter sur la famille et les non-dits, ça, on a ça en commun. Vous ne trouvez pas quand même... On n'est pas les seuls. On n'est pas les seuls. Non, justement, j'allais dire ça. Et cette littérature contemporaine qui devient une compétition de traumatisés... Est-ce que ce n'est pas aussi quelque chose qui est un peu fatigant ? Je dis ça parce que vous, ce que vous avez vécu, ce que votre famille a connu, vous auriez pu vraiment en faire des tonnes et des tonnes. Et vous ne le faites absolument jamais.

  • Speaker #1

    Je ne le perçois pas comme ça.

  • Speaker #0

    Je ne peux pas dire que c'est valable. C'est pour ça que c'est intéressant. C'est présent, la tragédie, elle plane autour. Mais comme dans votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais je ne le perçois pas comme ça. Et je pense que ça me vient aussi paradoxalement de l'éducation que j'ai eue de mon père. C'est-à-dire que ce qui était quand même des choses terribles qui lui sont arrivées, donc avec une famille perdue, mais aussi... Mon père, c'était un militaire. Il a connu des choses dures, même dans sa famille, sans vouloir trop éventer une vie qui lui appartient. Mais dans sa famille, je veux dire biologique, il a été frappé. Il a connu vraiment des choses très dures. mais en fait s'il avait une manière de rire qui peut être traumatisante bizarrement, c'est-à-dire qu'à force de rire et de faire tout une sorte d'énorme blague noire il y a quand même quelque chose quelque chose de c'est une catégorie quelque chose de menaçant c'est une catégorie d'hommes et en même temps de ça j'hérite de ça, j'essaye de le voir avec plus de lucidité, de voir aussi des choses ... de blessures peut-être qui auraient été évitées par le fait de parler en pesant les mots plutôt que de tout englober dans une grosse blague noire qui peut laisser des traces. Et en même temps, j'aime le mot, j'hérite de cette double, une exigence de lucidité et en même temps un goût de... De la pure paix. Oui, de ne pas rester... Un goût du trickster. Je parle du trickster dans le livre. Le trickster, c'est une figure en anthropologie que j'ai découvert en lisant l'anthropologue Nastasia Martin et c'est... Le trickster, c'est celui qui échappe, c'est celui qui se soustrait à la définition, qui a pour définition de ne pas avoir de définition. Et donc, elle observe ça avec des animaux qu'on essaye de pister et qui reviennent sur leurs traces en permanence. Donc, on n'arrive pas à pister, on n'arrive pas à savoir exactement quels déplacements ils font parce qu'ils reviennent, donc ils brouillent les pistes. Et c'est vrai que l'idée de la figure de trickster me semble assez belle. Évidemment que c'est vain, parce qu'on n'échappera pas au fait d'avoir quand même, à la fin de notre vie en tous les cas, Une définition, une identité, on aurait fait certaines choses, on n'en aurait pas fait d'autres. Évidemment que c'est vain. Mais moi, me touchent les gens qui sont en lutte contre leurs propres tendances, qui ne veulent pas être réifiés, qui essayent de s'échapper dès qu'on les a sous cloche. Ça me touche. C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrimins qui sont comme ça.

  • Speaker #0

    Vous dites « la vie domestique m'inquiète » et à un autre endroit « l'extérieur était une promesse » . C'est très beau tout ça, mais oui. compliqué à vivre quand on est un enfant dans une famille. Mais même si cette famille était quand même un peu originale.

  • Speaker #1

    Un peu marrante, oui.

  • Speaker #0

    Vous dites de votre père que c'était un despote fantaisiste. Alors ça, je pourrais signer aussi à propos du mien. Mais je peux vous poser une question con et indiscrète et vous n'êtes pas obligée de répondre. Non,

  • Speaker #1

    je me sentirais libre.

  • Speaker #0

    Comment a réagi votre famille à la faille et à tous les livres précédents ? Est-ce qu'on vous l'a déjà posé, cette question ?

  • Speaker #1

    Oh oui, j'ai un très bon lien avec ma mère au sens où je pense qu'elle, finalement, elle aspirait elle-même, alors peut-être pas à écrire, mais elle m'a révélé très récemment. Je trouve ça très beau. Donc ma mère a grandi dans une famille de paysans très pauvres, c'est-à-dire vraiment dans une ferme pauvre. À titre d'exemple, elle trouve qu'Agné Arnaud était vraiment privilégié. Bon, elle a fait des études et tout ça. Elle a changé, je pense, même de classe sociale. On est en deux classes, pour reprendre ce mot que je n'adore pas. Mais pourquoi je dis ça ? Parce qu'elle m'a raconté récemment que sa propre mère, que je n'ai jamais connue, donc ma grand-mère, ça me fait bizarre de dire ça, lisait de la poésie en secret. Ce qui est assez beau, parce qu'en fait, elle le sent au... aucune sorte de but, enfin juste elle lisait de la poésie parce que on ne sait pas trop pourquoi, elle était tombée sur de la poésie et elle m'a raconté notamment que les enfants de cette femme dont elle savait qu'elle lisait de la poésie, que c'était pas très bien vu par le père et que quand le père revenait à la maison, père qui n'était pas du tout maltraitant, mais juste à quoi ça sert de lire de la poésie alors qu'on doit faire tourner une carte les enfants venaient dire à la mère, enfin, lui tapaient sur l'épaule, ce que j'ai trouvé assez beau. En fait, elle ne m'avait jamais raconté ça. Quand elle m'a raconté ça, je me suis dit quand même, ça explique quelque chose de son amusement assez étonnant à ce que j'écris, ce que j'écris. Parce qu'évidemment, moi, au départ, en écrivant, à la fois, je me sentais bizarrement autorisée. C'est-à-dire que mon père comme ma mère, je pense qu'ils ne m'ont jamais empêchée d'écrire. Même de lire, même si mon père a eu des mouvements d'humeur, mais ça relève d'autres choses. Je pense que ce n'est pas l'activité de lire, en fait, vraiment, ça relevait de mouvements d'humeur qui étaient liés à autre chose. Bref. Mais en tous les cas, je ne me suis jamais sentie, oui, interdite par mes parents de décrire ce que j'ai écrit. Mais une fois que c'est... J'ai beau dire ça, une fois que le texte était là et qu'il allait paraître, évidemment, j'avais quand même une inquiétude sourde. Et en fait, ma mère a toujours été presque... plus coriaces que les textes que je publiais dans ses retours. Et je trouve ça très fort. Et encore ce matin, je l'ai eue au téléphone parce que, bref, je l'ai eue au téléphone, et elle me disait qu'elle était déprimée parce qu'elle se demandait, elle s'inquiétait pour cet été, l'été à venir. Elle a peur d'être seule, de ne pas savoir quoi faire l'été parce qu'elle participe à des... Elle est bénévole dans des associations et ces associations, en général, ferment l'été. Bon, voilà. Et elle se retrouve plutôt isolée parce que les personnes avec qui même elle fait du bénévolat ou les personnes qu'elle fréquente, des espèces de cercles d'amitié furtive, on va dire, ces personnes-là, en général, disparaissent un peu l'été parce que petits-enfants, parce que famille, en fait. Et elle me disait quand même, il faut le redire, il faut redire ce que tu dis dans la faille. C'est marrant quand même.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous êtes sa seule famille, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Non, elle a des frères et sœurs, mais en fait, il n'y a pas... Cette habitude des fêtes de famille, des repas de famille, en fait, au quotidien, oui. Au quotidien, on est une mère et une fille.

  • Speaker #0

    Oui. D'ailleurs, le livre La Faille aurait pu s'intituler Une femme seule.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas. Qu'elle femme ? Non, non, non, il n'aurait pas pu s'intituler comme ça parce qu'il ne s'agit pas que d'une histoire de femme, je ne crois vraiment pas. Non, non. Et que si je l'avais intitulé comme ça, ce serait... Parce que je veux dire très concrètement, dans le livre, il y a des morts et ces morts sont aussi des hommes. Il y en a plusieurs. Bien sûr, on peut dénoncer l'aspect chef de famille, dont juste cette expression n'a disparu du droit qu'en 1970, donc c'est quand même assez récent. On peut interroger l'aspect patriarcal, pour le dire avec un mot dans l'œil. Évidemment, et on aurait raison de le faire, bien sûr que les femmes ont subi les normes domestiques. encore autrement, disons, que les hommes étaient relégués à l'espace domestique, etc. Mais ce n'est pas l'angle du livre. Et je m'intéresse aussi aux souffrances que peuvent créer l'autorité de certaines normes familiales sur des hommes qui n'y arrivent pas, qui ne peuvent pas, dont les désirs aussi ne sont pas toujours compatibles avec la famille, et notamment avec la famille hétéronormée, pour le dire.

  • Speaker #0

    J'ai découvert des choses en lisant votre livre, incroyable. Par exemple, il existe une... Une sorte de secte à Paris qui s'appelle la famille avec un F majuscule qui existe depuis 200 ans. Et moi je pensais que vous aviez inventé. Je suis allé vérifier. Donc c'est véridique, il y a vraiment cette espèce de famille composée de je ne sais combien de milliers de membres qui se marient entre cousins et qui vivent comme en vase clos. C'est fou, hein ? Oui, c'est fou, c'est pas ça du tout. C'est dans quel arrondissement ? Dans le troisième ou le quatrième ? Je ne sais plus.

  • Speaker #1

    Le troisième, moi j'avais retenu, mais je ne sais plus.

  • Speaker #0

    Et donc, comment vous êtes tombée sur cette... C'est vrai que c'est une image assez intéressante de ce que ça peut être qu'une famille...

  • Speaker #1

    Oui, alors...

  • Speaker #0

    Comme enfermement, quoi.

  • Speaker #1

    Oui, après c'est évidemment provoquant, au sens où je sais bien que la famille n'est pas réductible à... à ce qui est vraiment une caricature des lois familiales, cette secte de la famille. Mais j'ai découvert ça dans un livre très sourcé de Suzanne Privat qui a consacré toute une enquête en 2021 à cette secte de la famille. Et oui, qui explique aussi... Donc, ils se marient entre cousins, etc. Ils ont des joues rouges, il y a des doigts en plus. Vous l'avez peut-être dit pour eux, mais dans l'intro, je ne sais plus. C'est-à-dire qu'il y a des séquelles physiques. Et ça m'intéressait aussi l'idée de séquelles physiques à force de rester au même endroit, à force de barboter avec les siens. Je trouve intéressante cette idée. Après, évidemment, vraiment dans le livre, je suis soucieuse de ne pas caricaturer les choses. Je sais bien qu'il existe.

  • Speaker #0

    pléthore de modèles familiaux, surtout aujourd'hui, et que finalement la famille, dans ce qu'elle a de plus normatif, c'est un tuteur dont on peut tout à fait s'affranchir. J'ai cette image dans le livre où je dis qu'il y a... En fait, les plantes sont comme des... Les familles sont comme des plantes qui ont toutes sortes d'allures, de formes, qui grossissent, qui s'amoindrissent, et qui peuvent complètement s'émanciper du tuteur de la plante. Néanmoins, il y a quand même ce modèle à exister, il existe. Et même quand on croit en être très affranchi, il arrive qu'on ait certains réflexes. De silenciation, notamment. Je pensais de préférer le mensonge à la vérité.

  • Speaker #1

    Le livre se conclut sur un dessin de canine. Alors, c'est une allusion à un film de Yorgos Lanthimos. Expliquez pourquoi. Parce que la canine, dans le film, elle a un sens spécial.

  • Speaker #0

    Je suis contente que vous ayez repéré cette petite canine.

  • Speaker #1

    C'est une bonne expérience. Elle n'est pas super bien dessinée, mais on la reconnaît quand même. Elle est patinatrice.

  • Speaker #0

    Mais oui, c'est un film de Yorgos Lanthimos, Canine, qui raconte une sorte d'utopie cauchemardesque où en fait, un homme va élever, je crois qu'il y a deux filles, un garçon, il me semble, dans un univers clos, complètement clôturé de part en part et clos aussi par le récit qu'on en fait. J'insiste là-dessus dans ce que j'écris sur Canine, c'est-à-dire que... On ne peut pas voir ce qu'il y a derrière la clôture, donc le mur qui mène au dehors, mais on ne peut pas non plus parler des événements ou des choses qui adviendraient du dehors. C'est-à-dire que, par exemple, à un moment, je crois qu'il y a un chat qui saute la barrière. Et en fait, il ne faut pas appeler un chat un chat. Littéralement, il faut l'appeler autrement. Il faut le laisser penser que c'est une créature extraordinaire, extraterrestre, qu'il n'aurait pas dû se trouver là. Et il renomme comme ça toutes les choses qui pourraient filtrer du monde extérieur.

  • Speaker #1

    C'est un délire extrême quand même. C'est une utopie cauchemardesque.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une utopie, c'est une dystopie. Mais qui est quand même intéressant. Yorgos Lanthimos dit en interview que la famille est un sujet qui l'intéresse énormément, avec un petit sourire, et j'aime bien ce petit sourire. C'est un film quand même assez fabuleux. Et donc c'est vrai que pourquoi la canine ? Parce que... On explique aux enfants que le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, parce qu'évidemment, ils se demandent quand même qu'est-ce qu'il y a derrière ce grand mur, le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, c'est de perdre une canine, que la canine tombe. Et la canine, les canines ne tombent pas.

  • Speaker #1

    Donc, les enfants s'arrachent les dents.

  • Speaker #0

    On vient quand même de gâcher.

  • Speaker #1

    C'est pas on, c'est j'ai. Mais ça va, il est sorti il y a longtemps. Oui,

  • Speaker #0

    et puis franchement, on peut voir les films. Moi, je crois qu'on peut avoir les fins de films gâchés. tout de même les regarder pour d'autres raisons.

  • Speaker #1

    Mais c'est intéressant que vous ayez terminé là-dessus, parce que votre discours depuis le début, c'est comment remettre en question ce modèle familial, comment échapper à cette chose. Mais comme je le dis, vous parlez presque uniquement de ce sujet-là. Et donc, en fait, c'est impossible. C'est impossible d'en sortir.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas l'orgueil de penser que je vais relancer. la manière dont nous vivons les uns les autres. Je ne vais pas relancer cette norme, ça ne disparaîtra pas. On aura toujours envie de faire des enfants, on aura toujours envie de se regrouper. Je ne sais pas ça. Mais je m'intéresse à celles et ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, n'y arrivent pas.

  • Speaker #1

    Autre chose. Par exemple, vous aimez bien Geoffroy de Laguernerie. C'est vrai que ces gens-là réfléchissent sur autre chose que la famille avec l'amitié. Ils pensent peut-être à un... Un groupe d'amis ou trois amis, c'est peut-être une alternative à la famille bourgeoise.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Après, je n'idéalise pas non plus l'amitié. C'est-à-dire que je pense que dans les amitiés, les amitiés groupées peuvent se rejouer des logiques de pouvoir, de domination, de bannissement. Ça peut se rejouer. Ça peut ne pas aussi. Mais de même que la famille, ce n'est pas fatalement un endroit de mensonges et d'abannissement. Mais ça peut l'être. Et en fait, c'est juste ce qui me semble n'être pas... pas dit. En fait, on a peur parce que c'est tabou. Il me semble y avoir peu de récits en dehors du modèle familial. Et en effet, Geoffroy de Laguerne m'intéresse comme m'intéresse Hélène Gianecchini qui a écrit Un désir démesuré d'amitié, je crois, l'année dernière, où il réfléchit à ces espèces de modèles utopiques. Oui,

  • Speaker #1

    chercher une autre manière de vivre.

  • Speaker #0

    Je l'éprouve intéressant. Après, je ne partage pas toujours la hiérarchisation qui en est faite. C'est-à-dire que je... En fait, je pense que les modèles peuvent coexister sans qu'on ait besoin de les réaliser. Oui,

  • Speaker #1

    ils sont plus critiques que vous, avec la famille traditionnelle. Je suis critique,

  • Speaker #0

    mais c'est vrai que je garde toujours une forme de tendresse, ou en tous les cas, j'essaie de comprendre. J'essaie de comprendre quand même pourquoi même des gens qui ont subi des choses finalement dures dans leur famille biologique vont essayer de renouveler, vont y croire, vont avoir de la foi pour fonder une famille. Je trouve ça beau, en fait, d'y croire quand même. Moi, je n'y arrive pas. Je n'y crois pas quand même.

  • Speaker #1

    C'est tellement possible.

  • Speaker #0

    Mais je trouve ça, je pense que c'est important de ne pas amoindrir le fait que les gens aussi font ce qu'ils peuvent.

  • Speaker #1

    Ils peuvent. J'aime bien quand vous dites que vous avez envie d'être anormale. Vous n'êtes pas obligée d'être d'accord avec ce que je dis, mais c'est un risque aussi. Qu'est-ce qui est plus douloureux ? D'être normale ou d'essayer d'échapper à la norme tout le temps ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. En fait, je ne crois pas, moi, à la... à la prescription, au sens où je ne pense pas déjà qu'il y ait une forme de vie qui serait valable pour tous les individus. Je pense que c'est ça que je critique profondément, c'est-à-dire l'idée qu'il y a un modèle qui serait un modèle valable pour toutes et tous. Je pense que ça nous fait beaucoup de tort, ça nous fait beaucoup de mal que selon la manière dont on est né, dont on a grandi, même selon nos corps, mais même des trucs de bile, je suis sûre que si on enquêtait sur... En fait, le modèle unique ne marche pas. Moi, je crois tout simplement à la multiplication des possibles. Et je ne sais pas ce qui est mieux. Encore une fois, j'essaie de décrire ce qui est, déjà, sans prescrire quoi que ce soit. De décrire ce qui est et de décrire tout simplement qu'il y a des gens pour qui, non, ce n'est pas une évidence que le foyer est un refuge. Et je trouve que c'est quelque chose quand même qu'on... Aujourd'hui, je trouve que ce soit... À droite de l'échiquier politique, à l'extrême droite, n'en parlons pas, mais même à gauche, il y a cette idée quand même que la famille nous protégerait forcément, que la sphère publique étant menaçante pour tout un tas de raisons, que l'État pouvant être menaçant, voilà, c'est des choses qui sont vraies. Il y aurait quand même cette sphère familiale qui serait à la fin des fins.

  • Speaker #1

    Ça vient de toute l'histoire du XXe siècle, c'est-à-dire qu'on a voulu échapper après la guerre. Pendant la guerre, c'était travail, famille, patrie. Donc après, on a voulu échapper à tout ça, se faire voler en éclats les structures religieuses, familiales, anciennes. Et puis, c'était mai 68, les années 70, 80. Moi, j'étais enfant à cette époque-là. Et je peux vous dire que ce n'était pas simple de traverser ces tentatives de libération sexuelle et autres. Et puis, maintenant, on revient en arrière. On revient. Ce n'est pas... réactionnaire de dire ça. C'est simplement que on s'est aperçu que la destruction des structures était presque pire que la structure. Et donc, il y a une sorte de...

  • Speaker #0

    Bien sûr, et qu'on est en temps de crise, et comme il y a dans le passage qui s'intéresse brièvement, je ne suis pas du tout spécialiste ni historienne, j'ai juste lu des travaux de sociologues sur l'histoire de la famille, donc qui s'intéressent à l'histoire de la famille. C'est vrai que ce que j'ai constaté dans ce que j'ai lu, c'est qu'à chaque fois en temps de crise, On se replie, ou on espère retrouver de la chaleur, du réconfort, de la sécurité financière aussi, dans la sphère privée, dans la sphère familiale. Et je l'entends tout à fait. Je fais aussi état des familles d'immigrés qui protègent des personnes qui se sentent menacées par ce qu'elles nomment du racisme institutionnel, etc. Et je l'entends, je ne suis pas du tout en train de nier ça. Mais juste, il y a des personnes qui, tout en entendant ça, en comprenant ça, ont été éjectées, ont été brutalisées et pour qui ce n'est pas synonyme de refus.

  • Speaker #1

    De bonheur.

  • Speaker #0

    Et ces personnes-là, je pense que c'est difficile pour elles finalement de s'exprimer parce que il y a toujours suspicion d'une part de gâcher la joie commune, voilà, décorcher un peu la joie commune, ou alors au contraire d'être... Est-ce que ce ne serait pas une parole d'affreux jojo libéral comme on a connu et qui vont mettre fin ? Je pense que c'est plus C'est plus humble que ça C'est tout simplement je n'y arrive pas Ou j'ai trop souffert pour y aller

  • Speaker #1

    En tout cas voilà Ça a l'air compliqué comme discussion Mais c'est en fait Blandine Rinkel est quelqu'un qui cherche Et ce livre c'est une quête C'est une quête et il y a de tout Dans le livre et ça pose énormément de questions Et c'est intéressant d'en parler Alors on passe maintenant Au jeu devine tes citations Blandine Un jeu où je vous lis des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez essayer de me dire dans quel livre vous avez dit ça.

  • Speaker #0

    Super.

  • Speaker #1

    Il ne m'avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Cependant, j'héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J'héritais de lui l'absence, la joie et la violence.

  • Speaker #0

    Vers la violence. Un peu facile.

  • Speaker #1

    Je commence toujours par une question facile. Rempris d'Electrice Dehael en 2023, vers la violence. Mais quand même une question, pourquoi vous n'avez pas osé à l'époque le récit ? Pourquoi Gérard alors que ce n'est pas le vrai nom de votre père ?

  • Speaker #0

    Parce que ce n'est pas un récit, c'est un roman, j'y tiens. J'ai dû transposer, j'ai dû et j'ai eu envie, je pense que c'est un mélange des deux, transposer des événements déjà qui appartiennent à d'autres vies que la mienne. On peut s'autoriser beaucoup de choses quand on écrit, mais je pense qu'il y a quand même une certaine éthique. En tous les cas, on doit s'interroger.

  • Speaker #1

    Donc pour être libre, vous préfériez la fiction ?

  • Speaker #0

    Pour être libre et pour protéger les morts et les vivants, j'avais besoin de la fiction. Et par ailleurs, ça m'intéressait, il y avait tout un champ lexical autour de l'animalité qui m'intéressait beaucoup aussi pour d'autres raisons, parce que les animaux m'importent, m'intéressent. Et ça m'intéressait d'écrire aussi des choses autour des animaux, mais qui me faisaient un peu plus entrer dans la fiction, parce que, en réalité, dans mon enfance, ça n'a pas été central, disons, l'animalité. Mais ça m'intéressait beaucoup, en termes vraiment littéraires, en termes de langue, ça me passionnait. Donc, il y a aussi des scènes qui se sont écrites pour ça, parce que j'avais envie, en fait, d'explorer ce champ lexical-là.

  • Speaker #1

    Mais moi, je me suis dit... Vous dites que j'héritais de lui l'absence, la joie et la violence. Quand on est... père, moi j'ai deux filles, on a envie qu'elle soit forte en ce moment, dans ce monde. On a envie aussi, c'est pas d'être violent, mais qu'elle, elle soit capable de se défendre et d'être, vous voyez ce que je veux dire ? C'est peut-être ça qu'il vous a enseigné aussi. Il avait peut-être peur, tout simplement, pour sa fille, et envie qu'elle puisse se battre.

  • Speaker #0

    Oui, je pense qu'il m'a... laisser ça, mais presque à son corps défendant. Je ne sais pas si c'est complètement une décision. De toute façon, je ne sais pas si sa manière d'éduquer a été complètement une décision. C'est ainsi, c'est ce que c'est.

  • Speaker #1

    Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous écrit ceci ? Les gens préfèrent mentir plutôt qu'avouer qu'ils ne savent pas.

  • Speaker #0

    Je pense dans Le non-secret des choses.

  • Speaker #1

    C'était tout à fait exact. Bravo, 2019. La provinciale, donc, dans le livre qui vient de Saint-Jean-des-Oies, a toujours du mal avec les snobinards parisiens aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    J'ai plus de... Je crois que j'ai de la tendresse, parce que maintenant, je vois davantage quand même à quel point ça relève d'une espèce de stratégie de défense foireuse. De faire semblant d'avoir lu... Parce que je pense qu'on est tous effrayés, quoi, à l'idée de cette... Mais aussi de cette... On en revient à la norme, hein, mais... De cette norme aussi de la culture légitime à Paris, qui est quand même très pesante, qui est beaucoup moins pesante. Moi, en tous les cas, à Rosée, je ne la sentais pas. La culture légitime, je ne parle pas de la culture tout court, mais une certaine culture.

  • Speaker #1

    Rosée, c'était le vrai village dont le livre s'appelle Saint-Jean-des-Oies.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas un village, c'est une ville en banlieue de Nantes. Mais oui, oui, Saint-Jean-des-Oies. C'est encore autre chose qui est fictionnée, mais je laisse les gens faire leurs petites enquêtes.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est vrai que moi, ça m'a beaucoup amusé, ce livre, parce que vous faisiez une caricature des bobos parisiens tête à claque, vraiment très réussie. Je me suis senti visé, d'ailleurs. Non, c'est drôle. Et moi, je ne sais pas pour parler de moi, mais j'ai fait le chemin inverse. J'ai quitté Paris pour vivre à la campagne. Est-ce que vous regrettez, vous, d'avoir fait ce voyage de la campagne vers Paris ?

  • Speaker #0

    Encore une fois, ce n'est pas tout à fait la campagne. Je pense qu'il faut... Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui, c'est le banlieue de Nantes, pardon, le banlieue de Nantes.

  • Speaker #0

    Non, je ne regrette pas. Après, j'en parle beaucoup de Paris et je n'écris pas à Paris. J'écris dans une ville que je ne vais pas citer, mais qui est vraiment... Je peux être complètement isolée. Donc,

  • Speaker #1

    vous ne considérez ni comme une Nantaise émigrée, ni comme une Parisienne confirmée.

  • Speaker #0

    Je ne pourrais pas nier le fait que j'ai pris tout un tas. J'ai un éthos beaucoup plus parisien qu'il y a 10 ou 15 ans. Ce serait manquer de lucidité que de ne pas le voir. Mais pour autant, j'essaie toujours de retrouver des endroits plus âpres aussi. C'est-à-dire des endroits où il y a moins de monde, mais aussi où on peut marcher pendant des heures et croiser d'autres espèces que la nôtre. Je reviens à mon affaire d'animalité. Oui, mais ça compte beaucoup. À Paris, je trouve que ce n'est pas le cas. On croise autre chose.

  • Speaker #1

    Par quelques rats.

  • Speaker #0

    Oui, avec un chien, voilà. Mais en fait, on est quand même... C'est quand même une ville où les codes sociaux sont ce qui comptent avant tout. Et il y a d'autres espaces, d'autres lieux qui nous permettent de sentir qu'il y a d'autres choses qui peuvent compter.

  • Speaker #1

    Alors, chez la Pérouse, il y a pas mal d'animaux bizarres, mais c'est vrai que...

  • Speaker #0

    J'ai beaucoup de sortes d'animaux bizarres.

  • Speaker #1

    À certaines heures. Et pas la Pérouse. Une autre phrase de vous. qui est peut-être la phrase que je préfère de toute votre carrière. Il n'y a rien de pire que de sentir. Sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. C'est où ?

  • Speaker #0

    Dans la faille ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est dans la faille, bien sûr. Alors, cette phrase, je pourrais la signer, moi. Je pourrais la signer, mais alors la contre-signer. Il n'y a rien de pire que de sentir, sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. Et pourtant, vous aspirez à la même liberté que votre père.

  • Speaker #0

    Oui, mais j'essaye de faire coller mon récit. J'essaie justement de ne pas mentir là-dessus. Je pense que ce qui... Sortons de juste mon père, mais de ce qui a été difficile pour beaucoup de pères, et peut-être aussi de femmes, mais c'est de, à la fois, prétendre qu'ils étaient encore quand même des chefs de famille, ou qu'ils aspiraient encore à éduquer leurs enfants, etc. Tout en... Tout en ne parvenant pas y croire, tout en voulant partir, tout en cherchant à s'affranchir de ça.

  • Speaker #1

    Ou en étant incapable.

  • Speaker #0

    Ou en étant incapable, bien sûr. Mais du coup, il y avait une sorte de distorsion, je pense, dans le langage, qui a fait beaucoup de tort, qui a fait beaucoup de mal. C'est-à-dire, je dis quelque chose que je ne fais pas et je fais quelque chose que je ne dis pas. Et je crois que s'il y a bien quelque chose que j'essaie de faire dans ma vie, et ce n'est pas toujours simple, et je ne dis pas du tout que je suis parfaite à ce niveau-là, je dis juste que j'y aspire, pour le coup. C'est à dire ce que je dis. à faire ce que je fais et puis à dire non non pardon c'est une autre phrase qui aurait été plus maligne et je pense que c'est pas évident, ça peut être le projet toute une vie de dire ce qu'on fait et de faire ce qu'on dit mais j'y aspire une forme de quête d'honnêteté qui serait peut-être pour moi une forme de réparation d'un mensonge dans lequel j'ai eu l'impression de grandir pour le coup j'ai changé de prénom et de cheveux oui c'est vrai, plusieurs fois

  • Speaker #1

    C'est dans la faille.

  • Speaker #0

    Oui, c'est dans la faille.

  • Speaker #1

    Donc, vous avez changé de prénom. On a le droit de dire votre vrai prénom ou pas ?

  • Speaker #0

    On peut, je m'en fiche. Oui, oui, Maëva, mon vrai prénom.

  • Speaker #1

    Maëva. Et donc, vous avez vraiment choisi de changer de prénom. Vous êtes allée dans une mairie pour dire maintenant, je veux m'appeler Blandine.

  • Speaker #0

    Oui, c'était facile. C'était facilité parce que c'était mon deuxième prénom. Donc, c'est à tous ceux qui écouteraient cette émission et toutes celles. et qui voudraient changer de prénom en ayant un deuxième prénom ou un troisième prénom qui leur plaît, c'est très simple, il suffit de demander à ce que ce soit souligné, mis en gras ou inversé.

  • Speaker #1

    Un de vos second prénom.

  • Speaker #0

    C'était très simple. Après, à cette occasion, je me suis quand même vraiment intéressée au changement de prénom dans l'absolu, et puis historiquement, parce qu'en fait, c'est de plus en plus facilité.

  • Speaker #1

    Alors là, vous pensez qu'en devenant Blandine, vous êtes devenue écrivain ? Vous êtes devenue quelqu'un d'autre ?

  • Speaker #0

    Ça m'a permis, je pense, à un moment où j'étais très impressionnable et impressionnée, intimidable et intimidée par la capitale, par cette affaire de culture légitime, etc. Ça m'a permis d'être une sorte d'impostrice pour un temps et de jouer à la personne légitime.

  • Speaker #1

    Comme beaucoup d'écrivains qui ont pris des pseudonymes.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Mais après, maintenant, si c'était à refaire, je l'ai fait de manière très brutale et joyeuse avec une amie. Si c'était à refaire aujourd'hui, je pense que je ne le referais pas parce que je trouve ça bien, au contraire, d'assumer son prénom. Donc,

  • Speaker #1

    vous avez changé aussi de cheveux. Ça veut dire que vous étiez brune ?

  • Speaker #0

    J'étais brune, oui. Je passais partout.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'un jour, on verra Maëva la brune ?

  • Speaker #0

    Non, non. Ma vraie couleur, c'est d'être blonde. C'est des tchats inclaires. On s'en fiche. Non, mais ce qui est intéressant là-dedans, ce n'est pas tant ça. C'est le fait de dire que je pense qu'il ne faut pas condamner trop vite celles et ceux qui prennent des masques. Parce que parfois, c'est la seule solution qu'ils trouvent à un moment pour se sentir légitime ou pour essayer de trouver leur place. Et ce n'est pas fatal, c'est-à-dire qu'on peut en revenir aussi du masque. On peut en revenir, on peut changer. Je dis ça dans la faille, c'est-à-dire qu'arrivant à Paris et faisant de nouvelles rencontres, je découvrais la possibilité de changer, de changer d'avis, de changer d'allure, de jouer. Aujourd'hui, j'en ai beaucoup moins besoin. Mais en fait, à un moment, le jeu a été vraiment une arme contre tout. tout ce qui était trop inhibant, intimidant. Et ça a été une arme, en fait, pour quelqu'un qui, tout simplement, se sentait du mépris social. Je veux dire, c'est ça qu'il y a derrière ça. C'est que j'avais peur d'être méprisée. Et que jouer a été une manière pour moi de me débattre avec...

  • Speaker #1

    J'avais pas vu cet angle-là, parce que je suis tellement privilégié que je ne le vois pas. Mais c'est vrai que Blandine est plus bourgeois comme prénom que Maéva. Maéva, on peut vous regarder un peu avec... Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, peut-être on peut se dire, Maëva, c'est moins...

  • Speaker #0

    En fait, c'est très...

  • Speaker #1

    Snob, quoi.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas,

  • Speaker #1

    c'est bête, d'ailleurs.

  • Speaker #0

    En fait, ça a été étudié, c'est-à-dire qu'il y a un sociologue qui s'appelle Baptiste Coulemont, qui est spécialiste des prénoms, qui propose, je ne sais pas si c'est chaque année, je ne sais pas s'il l'a fait récemment, en tous les cas, au moment où j'écrivais Le Non-Secret des Choses, je sais qu'il proposait ça, des graphiques où on peut voir les prénoms et les mentions au bac. C'est-à-dire qu'il y a la piste que l'on leur donnait avec les prénoms et les mentions au bac. Et très clairement, qui s'appelle...

  • Speaker #1

    Blandine aura une meilleure note.

  • Speaker #0

    ...Géphique ou Blandine est plus... Ah oui,

  • Speaker #1

    elle aura plus de chances d'avoir des meilleures notes que Maëva. C'est logique,

  • Speaker #0

    tout simplement. C'est des places plus privilégiées, c'est des prénoms qui sont plus privilégiés. Et moi, je n'ai pas changé directement pour ça. Encore une fois, c'était mon deuxième prénom et c'était ma mère qui avait voulu m'appeler Blandine. Finalement, ça n'avait pas remporté l'adhésion générale. Mais donc, je n'ai pas changé. Pour ça, reste que c'était un peu...

  • Speaker #1

    C'est important.

  • Speaker #0

    Oui. Mais aujourd'hui, pour la même raison, je trouve ça dommage. Je trouve que ce serait plus intéressant de dire, non, en fait, je m'appelle Maëva et je m'en fous de ces affaires de mépris social. Bon, il se trouve que j'ai changé.

  • Speaker #1

    Non, mais ce n'est pas grave. Une dernière phrase de vous. Nous sommes des créatures clignotantes. Où avez-vous écrit ça ?

  • Speaker #0

    Non secret des choses,

  • Speaker #1

    je pense. Oui, non secret des choses, 2019, vous connaissez par cœur tous vos livres. Bravo, vous avez remplacé tous les points. J'aime bien, nous sommes des créatures clignotantes, même si je ne sais pas très bien ce que ça signifie.

  • Speaker #0

    C'est cette idée de présence-absence avec les créatures sociaux. En fait, j'ai écrit ça avant qu'il y ait toute cette affaire d'écologie ou d'économie de l'attention. On parle beaucoup de l'économie de l'attention. À partir du moment où il y avait ça, mon affaire de créature clignotante a été doublée par une expression bien plus...

  • Speaker #1

    C'est pas mal.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. Ça clignote, on a du mal à se concentrer. Mais c'est déjà un peu vieux.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Blandine Rinkel, d'avoir accepté de dialoguer dans ce cadre kitsch chez la Pérouse. Cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Je rappelle qu'il faut lire la faille. de Blandine Rinkel aux éditions Stock, si l'on veut s'interroger sur ce modèle qui nous contraint et nous libère, je ne sais pas je suis comme vous l'ingénieur du son se nomme Thomas François la réalisation, il n'y avait pas eu de réalisation vidéo cette semaine mais le montage est de Manon Mestre et surtout surtout n'oubliez pas, lisez des livres sinon vous allez mourir idiot

Description

La chanteuse du groupe Catastrophe publie "La Faille". C'est dire si elle va bien ! Nous avons dialogué une heure sans caméra (à sa demande). Elle trouve qu'on parle mieux sans être filmé. Je pense qu'elle a eu raison et que cette conversation sur la fin de la famille est idéale pour fêter la Saint Valentin.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, bienvenue chez moi. Conversation chez la Pérouse est une émission qui se déroule chez la Pénus, mon domicile parisien. Cette semaine... J'ai beaucoup de chance, je reçois

  • Speaker #1

    Blandine Rinkel pour son livre

  • Speaker #0

    La faille qui vient de paraître aux éditions

  • Speaker #1

    Stock.

  • Speaker #0

    Bravo, mais merci pour votre coopération sur ce générique, Madame Rinkel. Cette émission commence par un sponsoring. Nous avons le soutien des éditions Grasset cette semaine et je vais donc dire du bien de Bernard-Henri Lévy pour son livre Nuit Blanche où il parle de ses insomnies. C'est assez étonnant de sa part. On connaît le philosophe engagé. Mais là, pour le coup, il se livre comme jamais. Le livre est assez original parce qu'il est écrit en petits chapitres qui ressemblent un peu aux pensées qu'on a quand on n'arrive pas à s'endormir. C'est-à-dire qu'on zappe, on pense à des choses sérieuses, politiques, à toutes les horreurs du monde, et puis tout d'un coup on pense à autre chose, aux médicaments qu'on a pris, on pense à sa famille, on a des souvenirs qui viennent et on repasse à des guerres épouvantables dont il a été le témoin et qui l'empêchent de trouver le sommeil. C'est un livre très... je trouve assez courageux de la part de BHL et formellement par moment ça m'a fait penser à Un siècle débordé de Bernard Franck qui était aussi un livre de digression qui partait dans tous les sens et ça donne un certain charme à la lecture donc je vous recommande Nuit blanche de Bernard-Henri Lévy chez Grasset est-ce que vous avez un commentaire à faire sur Bernard-Henri Lévy, Blandine Rinkel ? aucun commentaire à faire fin de la publicité

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Et bonsoir et merci d'être là. Blandine, vous publiez La Faille. Et le titre vient d'une erreur de calligraphie. Quand vous écrivez le mot famille avec votre stylo, vous aplatissez le M. Et vous ne faites pas exprès et ça donne La Faille. Vous n'arrivez pas à écrire famille.

  • Speaker #1

    Si je m'efforce vraiment, j'y arriverai.

  • Speaker #0

    En majuscule peut-être, en majuscule.

  • Speaker #1

    Non mais quand je le fais de manière inconsciente en tous les cas. Oui, on lit failles. C'est évidemment une anecdote, mais ça permet d'expliquer très vite quel est le projet du livre, c'est-à-dire de partir de quelque chose d'intime et de parler de celles et ceux pour qui la famille est une faille.

  • Speaker #0

    Tous vos livres racontent... une sorte de projet, c'est-à-dire que si on liste vos titres, on a votre vision de la littérature, un peu, puisque en 2017 vous avez commencé par l'abandon des prétentions, qui pourrait être une définition de ce que c'est que la littérature quand elle est réussie. Ensuite, le non-secret des choses, en 2019, là aussi, ça définit votre conception, peut-être, de cette forme d'écriture, de soi. enquête sur son existence, quel est le nom derrière les choses. Vers la violence, bien sûr, en 2022. Alors là, pour le coup, vous avez été couronné par le Grand Prix des lectrices de Elle pour Vers la violence. Et vous abordiez une question personnelle. C'était romanesque, mais enfin, c'était sur votre père et la faille, enfin, cette année 2025. Et j'ajoute qu'en plus, vous êtes la chanteuse du groupe Catastrophe. Donc, vous avez... Ah,

  • Speaker #1

    vous pensez à un autre programme encore, Catastrophe ?

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr. La faille,

  • Speaker #1

    Catastrophe... C'est un point de départ, mais tout est peut-être un... Je ne sais pas si c'est des programmes, peut-être vers la violence, oui. Mais la faille comme Catastrophe, qui n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. Mais il y a cette idée quand même de... C'est la fameuse phrase de Philippe Roth. Quand un écrivain est dans une famille, la famille est foutue. Et je crois que moi, c'est l'inverse. C'est-à-dire... On part du fait qu'il y avait quelque chose de foutu assez tôt. Et même l'idée catastrophe, je dirais plus que c'est... Je pars d'un espèce de paysage catastrophé ou une espèce de terre un peu calcinée. Et à partir de là, au contraire, l'idée c'est d'écrire, de reconstruire. Mais c'est moins un programme qu'un point de départ, je dirais.

  • Speaker #0

    Bien sûr, parce que ce que ne savent pas nos auditeurs, c'est qu'avant votre naissance, il y a eu un accident épouvantable dans votre famille. Votre père a perdu deux enfants. Et il y a eu ce drame initial avant votre naissance. Et de naître dans une famille qui est complètement sous le coup d'une tragédie, c'est très particulier. C'est un peu ce qui explique tous ces titres.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est aussi de grandir à l'ombre d'un père et d'une mère qui avaient chacun leur raison d'être... Inquiets, disons, par ce qu'ils fabriquaient avec la vie. J'ai l'impression que l'un et l'autre, de manière très différente, et l'un et l'autre étaient aussi joyeux, de manière très différente, mais habitaient dans un territoire menacé. J'ai l'impression qu'avant même d'avoir des mots pour le dire, confusément, j'ai grandi à l'ombre de cette menace, et donc j'en ai hérité de ce truc. Ce truc un peu d'être aux aguets.

  • Speaker #0

    Malgré vous, vous arrivez dans une famille comme ça, où il y a eu cet événement épouvantable. Et du coup, c'est comme si vous aviez pour mission de réparer, alors que vous n'y êtes pour rien. Vous débarquez sur Terre.

  • Speaker #1

    Oui, après, on ne m'a rien fait peser. Il ne fallait pas que je répète quoi que ce soit. Mais c'est vrai que très tôt, mais vraiment tôt, j'ai senti qu'il fallait, même si personne ne me le demandait, personne ne le faisait peser. Il fallait que je puisse être indépendante ou que je puisse être le parent d'un parent faillible. Très tôt, mais vraiment, je veux dire, je pense même avant 10 ans. J'ai senti ce truc. Si je faisais peser en plus, j'en sais rien, des pleurs, une tristesse, des difficultés à l'école, je dis n'importe quoi. Si je faisais peser ça en plus de tout ce qui avait déjà pesé, en fait, on n'allait pas vivre, on n'allait pas en survivre. Je veux dire, tout. Tous les trois,

  • Speaker #0

    mes parents et moi. Vous avez l'impression qu'ils étaient joyeux parce qu'ils se forçaient un peu à l'être ?

  • Speaker #1

    Non, je ne crois pas. Non, je crois que le sentiment de la catastrophe peut côtoyer la joie. Même parfois, ça va avec. Oui, bien sûr. Je crois que ce que j'ai de plus ardent en moi, ce que j'ai de plus joyeux, même un sens de l'humour, va avec une sorte de...

  • Speaker #0

    D'apocalypse.

  • Speaker #1

    Oui, peut-être. Intérieur, oui, peut-être. Il y a un truc, c'est quand on sait que tout peut être perdu. On peut commencer à danser.

  • Speaker #0

    À danser sur les ruines. La critique de la famille, c'est André Gide qui l'a entamé un peu il y a 128 ans dans les nourritures terrestres quand il disait famille, je vous hais. Vous ne le citez pas, mais vous citez, c'est très amusant, vous citez notamment la famille Ricorée. Vous dites, non, ce n'est pas possible. Je n'ai pas envie de vivre dans une famille Ricorée.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas si elle existe vraiment, cette famille. J'interroge surtout ce récit-là. En fait, je ne comprends pas que ce récit perdure alors que personne ne vit vraiment ça. Il y a un espèce de truc, on aspire, donc on est tous déçus. Moi, je n'aspire pas à ça, mais j'ai le goût que beaucoup de gens sont... sont déçus parce qu'en fait le modèle qu'ils ont en tête est un modèle avec un jardinet avec des parents qui sont gentils qui apporte une tarte aux pommes et puis les enfants jouent au ballon voilà je pense que personne ne le personne ne sait c'est un peu un mensonge quoi ce mythe là mais pourtant en toile de fond souvent c'est inconscient en fait c'est mais en toile de fond ça persiste quand même je pense dans beaucoup de familles et l'envie d'être parfait quoi

  • Speaker #0

    C'est ça, l'envie d'être parfait ou d'être normal. Vous critiquez cet amour.

  • Speaker #1

    Oui, je crois. Comme si... J'ai lu encore, je crois hier, dans Le Monde, le journal, un article qui parlait de la pression sur les femmes pour avoir deux enfants plutôt qu'un. Ce qui me paraît complètement lunaire, parce que moi déjà, un enfant, je ne ressens aucune sorte de pression. Donc je me dis que c'est des personnes qui doivent être aussi sensibles aux pressions sociales. qui peuvent-elles, elles le sont, elles le sont. D'ailleurs, c'était marrant parce que l'article insistait sur les femmes, et je me disais, mais bon, la question doit être, pourquoi ?

  • Speaker #0

    Cette question existe quand même sur les femmes.

  • Speaker #1

    Elle existe, mais moi, j'y suis peu sensible personnellement. Je pense que ça vient déjà de la lecture. Je veux dire, de lire, il y a tellement de manières de vivre, de voir, de parler possibles qu'au bout d'un moment, l'autorité de cette pression tombe un peu. Moi, je la sens peu, en fait, cette pression. Ou en tous les cas, elle ne me sur-intimide pas, disons. Mais qu'est-ce que j'allais dire ?

  • Speaker #0

    Vous en parlez de ça. Vous en parlez, page 208. Oui. Est-ce que vous accepteriez de lire ce passage ? Est-ce que c'est intéressant ? Vous dites qu'il n'y a pas de pression, mais quand même, vous la décrivez un petit peu dans ce passage.

  • Speaker #1

    Alors, je ne crois pas, mais je vais le lire et je vais écouter. Oui,

  • Speaker #0

    expliquons-nous, expliquons-nous.

  • Speaker #1

    Oui. Dans une pièce fermée à quelques mètres, tu fabriques de la musique et gardes tes éclats et tes parts d'ombre auprès de toi. Nous sommes au crépuscule du printemps. bientôt la chaleur encore tempérée basculera dans une torpeur totale. C'est le bleu qui nous le dit, celui du ciel et des fleurs. Les guêpes et la crème solaire sont déjà là, c'est un avant-goût de l'été, et des familles, toutes en tongs et en cris, dévalent la rue qui mène vers la mer. Nous les sentons qui passent, les observons, leur souriant. Nous travaillons proches l'un de l'autre, quoique sans se voir ni se parler, bercés par les rires des enfants et les grondements de leurs parents. Parfois la vision d'un garçon chevauchant à Saint-Bernard ou d'une petite fille qui étreint son masque et son tuba contre sa poitrine me serrent brutalement le cœur. À d'autres moments, l'inertie et la nervosité des groupes en déplacement, le sérieux qu'ils donnent Ausha des plats du dîner, me font à la fois soupirer et rire. Je ne me sens plus vraiment concernée, cela me va. Nous sommes de l'autre côté de la rive, nous n'en serons sans doute pas. Il n'y aura pas de couche à changer, pas de discussion sur la contraception, ni de noces d'argent et d'or. Il n'y aura pas de vacances collectives, de Père Noël éventé au cours d'un repas, ni de bataille d'héritage.

  • Speaker #0

    Moi j'aime beaucoup ce passage parce que vous parlez, je suppose que c'est vous et votre compagnon, et vous vous entendez, vous voyez passer toutes ces familles qui sont caricaturales, qui sont en vacances.

  • Speaker #1

    Oui, en même temps pour lesquelles je pense que ce passage justement en rend compte, pour lesquelles je peux avoir de la tendresse, du désir.

  • Speaker #0

    Enfin en tout cas un désir d'enfant. Oui,

  • Speaker #1

    un désir quand même.

  • Speaker #0

    Vous dites à un moment que ça vous sert le cœur de voir une petite fille avec son masque et son tuba. Oui. Vous avez un désir de...

  • Speaker #1

    Il y a quelque chose que je trouve très beau, mais c'est quelque chose qui a un peu une ligne rouge, je pense, dans le livre. C'est que celles et ceux pour qui la notion de famille est abîmée ne le décident pas toujours. Je ne crois pas du tout faire un espèce de geste punk en disant « allez vous faire foutre, vous qui avez concédé à l'ordre familial » . Ce n'est pas ça du tout. C'est plus très jeune, cette idée de famille a été abîmée, puis elle a continué à l'être. par des rencontres aussi, peut-être parce que ceux qui se sont éjectés ou ont été éjectés d'une famille se retrouvent, se voient. Il y a quelque chose dans l'œil, je pense, qui circule. Il y a une écorchure dans l'œil qui fait qu'on va, en fait. On va les uns vers les autres. Et donc, voilà, ce n'est pas tout à fait un choix. C'en est un, mais ce n'est pas que ça. Et je pense que le livre essaie de rendre compte de ça. Ce n'était pas du tout un livre que je voulais écrire contre. C'est-à-dire que ce n'est pas un livre de mépris, ce n'est pas un livre qui a vocation à agresser qui que ce soit ? Non,

  • Speaker #0

    mais d'ailleurs, c'est intéressant parce que c'est un livre qui est composite. C'est un livre de fragments avec une partie qui est autobiographique, une partie qui est plus proche de l'essai. Parfois, vous allez vers de la critique littéraire, vos lectures, les films que vous aimez. Et c'est très libre comme forme. C'était volontaire de... de dépasser la dichotomie entre romans et essais. Vous voyez, dans les listes des best-sellers, il y a toujours la colonne avec les romans et la colonne avec les essais. Vous ne vouliez pas être classable.

  • Speaker #1

    De plus en plus, quand même. Je pense qu'il y a des genres hybrides. Je pense à ce qu'a fait Laure Murat ou Neige Sinault. Je pense dans les trucs très récents en France. Mais littérature anglo-saxonne, on en trouve plein quand même de non-fiction comme ça.

  • Speaker #0

    Vous citez aussi ?

  • Speaker #1

    Maggie Nelson, Rebecca Solnit, Leslie Jamison, même une Rachel Cuss. Je pense qu'il y a des endroits...

  • Speaker #0

    que nous avons reçues dans cette édition ?

  • Speaker #1

    Il y a des endroits hybrides qui se permettent aussi de théoriser. Je pense que ça existe depuis très longtemps, donc ce n'est pas forcément novateur. Par contre, c'est vrai que je ne me l'étais pas autorisée comme ça avant. Et ça a un rapport, en effet, avec ce qu'on disait juste avant, à savoir que, je viens de perdre mon idée, mais je vais la retrouver dans une seconde.

  • Speaker #0

    À savoir que quand vous voyez une fille avec un masque et un plus bas...

  • Speaker #1

    À savoir que je suis passée par plein de couches de réflexion, de lecture, de remise en question pour écrire ce livre. Et que je dis, le livre n'a pas vocation à agresser, c'est vrai. parfois écrit certaines pages en partant d'une petite colère, que je n'avais pas une colère contre les familles, mais une colère contre parfois le sentiment, le léger sentiment de supériorité que je pouvais sentir poindre des gens qui me parlaient de leur mode de vie et qui semblaient avoir peut-être une petite pitié pour celles et ceux qui, comme moi, n'aspirons pas, n'habitons pas dans des familles structurées.

  • Speaker #0

    Mais vous ne savez pas si c'est définitif ?

  • Speaker #1

    Non. Bien sûr, je ne me demandais pas si c'était définitif, mais je sentais poindre un peu ça. Mais pas, je pense que c'est des choses dans l'air, c'est des choses qui flottent dans l'air. Je pense qu'on écrit à partir de ce qui flotte dans l'air. Mais sentant ça, il est arrivé que j'écrive avec une petite pointe de colère. Et en me relisant des jours après, quand j'écrivais, je me disais non, en fait, il faut réajuster. Et pour réajuster, j'en passais par un film, par un livre. Pour réajuster, j'en passais par une scène qui permettait de ramener de la chaleur à des endroits qui sont un peu froids, qui sont un peu théoriques, qui sont très informés. Parce qu'il y a des pages aussi, par exemple, sur l'évolution de la famille en France depuis l'Ancien Régime. Juste moi, ça m'intéressait de voir, tiens, qu'est-ce qu'on désigne aussi par le mot famille ? Qu'est-ce que c'était d'être un père, d'être une mère sous l'Ancien Régime ? Qu'est-ce que c'est aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de la même chose ? Voilà, ça permet de lire, d'ouvrir aussi la... d'ouvrir notre perception, d'être un peu moins collé à ce qu'on vit, à ce qu'on voit. Mais c'était des moments d'écriture qui étaient forcément froids, parce qu'en fait, j'intégrais beaucoup, beaucoup de lecture. Et je me disais, ça ne va pas non plus, parce que moi, mon grand plaisir quand même de lectrice, il vient de ne jamais séparer le plaisir de l'érudition, ou de l'érudition, ce n'est même pas le mot, mais le plaisir du fait d'apprendre. Le fait que savoir, comprendre est lié à un... Et le plaisir, sont liés, se répondent. Et donc, je suis passée par plein de couches d'écriture et du coup, de genres d'écriture aussi. Je me suis dit, bon, maintenant que je suis lancée dans une espèce de texte hybride, autant ne rien s'interdire. Donc, c'est vrai que il y a des dessins, comme ce que je viens de lire, des passages qui sont presque un peu lyriques, qui sont assez intimes et qui sont littéraires.

  • Speaker #0

    Celui-là, il est à la toute fin. Et donc, c'est vrai qu'on le prend comme un petit peu, en fait, comment dire, l'épilogue ou la conclusion de tout. Toute cette réflexion sur la famille, où vous regardez ces familles qui passent et vous vous dites, ce n'est pas pour moi, mais c'est beau. Et puis finalement, voilà, il n'y avait pas de méchanceté là-dedans.

  • Speaker #1

    Oui, oui, c'est vrai que c'est un... Finalement, il est à la toute fin, mais je crois qu'il boucle avec le début, ce que je n'avais pas du tout conscientisé avant là qu'on en parle, au sens où il est écrit au futur antérieur, si je ne m'abuse. C'est-à-dire...

  • Speaker #0

    Il se projette dans quelque chose qui n'aura peut-être pas lieu.

  • Speaker #1

    Ça n'aura pas été. Et au tout début du livre, je dis que j'ai vécu toute mon enfance au futur antérieur. Parce que tout en vivant mon enfance, je me disais, tiens, j'aurais essayé la famille et j'en aurais fini. Et donc, finalement, c'est aussi une fin qui boucle, je pense, avec Will.

  • Speaker #0

    Mais ce qui est dingue, ce qui est marrant, moi j'ai lu tous vos livres et c'est fascinant parce que vous avez toujours écrit sur la famille et en même temps vous vous dites ah non c'est pas pour moi mais en fait littérairement c'est votre sujet. Le premier roman est sur votre mère, même si c'est un roman, les noms sont changés mais c'est tout de même un roman sur une fille qui est avec sa mère et qui admire sa mère.

  • Speaker #1

    Ouais ouais, la fille est quand même peu présente dans le premier roman, au départ je voulais vraiment l'écrire d'ailleurs pour une femme de 65 ans sans... d'aller préciser forcément que c'était ma mère. Et puis, normalement, je me suis dit que ça nuisait à l'écriture de Père-Déjeuner. Mais oui, oui.

  • Speaker #0

    En quête de notre cas des choses, elle s'échappe, elle part à Paris. Ensuite, vers la violence, c'est sur le père. Un père un peu flamboyant, incontrôlable, qui boit, qui est brutal, qui tape son chien. Oui,

  • Speaker #1

    qui ne boit pas plus que ça. Il y a une scène où il boit, donc on le retient, mais c'est pas... C'est pas... Mais oui, c'est sûr que j'ai écrit à partir de silence, je pense. Et donc à partir de silence que j'avais éprouvé dans ma famille. Je pense qu'il y a une phrase que je crois citer dans La Faille de Jeannette Winterson qui dit qu'il arrive que les familles soient des conspirations du silence. Et donc, on écrit pour essayer d'entrer là-dedans, de nuire à la conspiration.

  • Speaker #0

    Et la clé.

  • Speaker #1

    Oui, de réouvrir quelque chose et de mettre du langage. Et puis de nuire aux mensonges aussi, de nuire peut-être aux... aux récits uniques qui sont favorisés par les groupes qui veulent assurer leur cohésion avec un récit clair, un récit unique. Donc l'envie de récits, l'envie tout simplement de littérature, je pense mon goût d'abord de lectrice, puis le fait que j'ai écrit vient de ma famille. Après,

  • Speaker #0

    je n'aspire pas toute ma vie à une histoire de lire. Non, mais on n'en sait rien. Vous verrez bien.

  • Speaker #1

    J'ai l'impression quand même que c'est la fin d'une phrase. Que la phrase avait commencé avec l'abandon des prétentions.

  • Speaker #0

    Et s'achève avec la faille.

  • Speaker #1

    Je crois. Après, je ne sais pas, j'ai des idées, mais je ne sais pas si je serai à la hauteur de l'envie. Mais j'ai d'autres idées, mais je crois que je vais sortir de cette phrase-là.

  • Speaker #0

    En tout cas, cette envie d'enquêter sur la famille et les non-dits, ça, on a ça en commun. Vous ne trouvez pas quand même... On n'est pas les seuls. On n'est pas les seuls. Non, justement, j'allais dire ça. Et cette littérature contemporaine qui devient une compétition de traumatisés... Est-ce que ce n'est pas aussi quelque chose qui est un peu fatigant ? Je dis ça parce que vous, ce que vous avez vécu, ce que votre famille a connu, vous auriez pu vraiment en faire des tonnes et des tonnes. Et vous ne le faites absolument jamais.

  • Speaker #1

    Je ne le perçois pas comme ça.

  • Speaker #0

    Je ne peux pas dire que c'est valable. C'est pour ça que c'est intéressant. C'est présent, la tragédie, elle plane autour. Mais comme dans votre vie.

  • Speaker #1

    Oui, oui, mais je ne le perçois pas comme ça. Et je pense que ça me vient aussi paradoxalement de l'éducation que j'ai eue de mon père. C'est-à-dire que ce qui était quand même des choses terribles qui lui sont arrivées, donc avec une famille perdue, mais aussi... Mon père, c'était un militaire. Il a connu des choses dures, même dans sa famille, sans vouloir trop éventer une vie qui lui appartient. Mais dans sa famille, je veux dire biologique, il a été frappé. Il a connu vraiment des choses très dures. mais en fait s'il avait une manière de rire qui peut être traumatisante bizarrement, c'est-à-dire qu'à force de rire et de faire tout une sorte d'énorme blague noire il y a quand même quelque chose quelque chose de c'est une catégorie quelque chose de menaçant c'est une catégorie d'hommes et en même temps de ça j'hérite de ça, j'essaye de le voir avec plus de lucidité, de voir aussi des choses ... de blessures peut-être qui auraient été évitées par le fait de parler en pesant les mots plutôt que de tout englober dans une grosse blague noire qui peut laisser des traces. Et en même temps, j'aime le mot, j'hérite de cette double, une exigence de lucidité et en même temps un goût de... De la pure paix. Oui, de ne pas rester... Un goût du trickster. Je parle du trickster dans le livre. Le trickster, c'est une figure en anthropologie que j'ai découvert en lisant l'anthropologue Nastasia Martin et c'est... Le trickster, c'est celui qui échappe, c'est celui qui se soustrait à la définition, qui a pour définition de ne pas avoir de définition. Et donc, elle observe ça avec des animaux qu'on essaye de pister et qui reviennent sur leurs traces en permanence. Donc, on n'arrive pas à pister, on n'arrive pas à savoir exactement quels déplacements ils font parce qu'ils reviennent, donc ils brouillent les pistes. Et c'est vrai que l'idée de la figure de trickster me semble assez belle. Évidemment que c'est vain, parce qu'on n'échappera pas au fait d'avoir quand même, à la fin de notre vie en tous les cas, Une définition, une identité, on aurait fait certaines choses, on n'en aurait pas fait d'autres. Évidemment que c'est vain. Mais moi, me touchent les gens qui sont en lutte contre leurs propres tendances, qui ne veulent pas être réifiés, qui essayent de s'échapper dès qu'on les a sous cloche. Ça me touche. C'est vrai qu'il y a beaucoup d'écrimins qui sont comme ça.

  • Speaker #0

    Vous dites « la vie domestique m'inquiète » et à un autre endroit « l'extérieur était une promesse » . C'est très beau tout ça, mais oui. compliqué à vivre quand on est un enfant dans une famille. Mais même si cette famille était quand même un peu originale.

  • Speaker #1

    Un peu marrante, oui.

  • Speaker #0

    Vous dites de votre père que c'était un despote fantaisiste. Alors ça, je pourrais signer aussi à propos du mien. Mais je peux vous poser une question con et indiscrète et vous n'êtes pas obligée de répondre. Non,

  • Speaker #1

    je me sentirais libre.

  • Speaker #0

    Comment a réagi votre famille à la faille et à tous les livres précédents ? Est-ce qu'on vous l'a déjà posé, cette question ?

  • Speaker #1

    Oh oui, j'ai un très bon lien avec ma mère au sens où je pense qu'elle, finalement, elle aspirait elle-même, alors peut-être pas à écrire, mais elle m'a révélé très récemment. Je trouve ça très beau. Donc ma mère a grandi dans une famille de paysans très pauvres, c'est-à-dire vraiment dans une ferme pauvre. À titre d'exemple, elle trouve qu'Agné Arnaud était vraiment privilégié. Bon, elle a fait des études et tout ça. Elle a changé, je pense, même de classe sociale. On est en deux classes, pour reprendre ce mot que je n'adore pas. Mais pourquoi je dis ça ? Parce qu'elle m'a raconté récemment que sa propre mère, que je n'ai jamais connue, donc ma grand-mère, ça me fait bizarre de dire ça, lisait de la poésie en secret. Ce qui est assez beau, parce qu'en fait, elle le sent au... aucune sorte de but, enfin juste elle lisait de la poésie parce que on ne sait pas trop pourquoi, elle était tombée sur de la poésie et elle m'a raconté notamment que les enfants de cette femme dont elle savait qu'elle lisait de la poésie, que c'était pas très bien vu par le père et que quand le père revenait à la maison, père qui n'était pas du tout maltraitant, mais juste à quoi ça sert de lire de la poésie alors qu'on doit faire tourner une carte les enfants venaient dire à la mère, enfin, lui tapaient sur l'épaule, ce que j'ai trouvé assez beau. En fait, elle ne m'avait jamais raconté ça. Quand elle m'a raconté ça, je me suis dit quand même, ça explique quelque chose de son amusement assez étonnant à ce que j'écris, ce que j'écris. Parce qu'évidemment, moi, au départ, en écrivant, à la fois, je me sentais bizarrement autorisée. C'est-à-dire que mon père comme ma mère, je pense qu'ils ne m'ont jamais empêchée d'écrire. Même de lire, même si mon père a eu des mouvements d'humeur, mais ça relève d'autres choses. Je pense que ce n'est pas l'activité de lire, en fait, vraiment, ça relevait de mouvements d'humeur qui étaient liés à autre chose. Bref. Mais en tous les cas, je ne me suis jamais sentie, oui, interdite par mes parents de décrire ce que j'ai écrit. Mais une fois que c'est... J'ai beau dire ça, une fois que le texte était là et qu'il allait paraître, évidemment, j'avais quand même une inquiétude sourde. Et en fait, ma mère a toujours été presque... plus coriaces que les textes que je publiais dans ses retours. Et je trouve ça très fort. Et encore ce matin, je l'ai eue au téléphone parce que, bref, je l'ai eue au téléphone, et elle me disait qu'elle était déprimée parce qu'elle se demandait, elle s'inquiétait pour cet été, l'été à venir. Elle a peur d'être seule, de ne pas savoir quoi faire l'été parce qu'elle participe à des... Elle est bénévole dans des associations et ces associations, en général, ferment l'été. Bon, voilà. Et elle se retrouve plutôt isolée parce que les personnes avec qui même elle fait du bénévolat ou les personnes qu'elle fréquente, des espèces de cercles d'amitié furtive, on va dire, ces personnes-là, en général, disparaissent un peu l'été parce que petits-enfants, parce que famille, en fait. Et elle me disait quand même, il faut le redire, il faut redire ce que tu dis dans la faille. C'est marrant quand même.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous êtes sa seule famille, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Non, elle a des frères et sœurs, mais en fait, il n'y a pas... Cette habitude des fêtes de famille, des repas de famille, en fait, au quotidien, oui. Au quotidien, on est une mère et une fille.

  • Speaker #0

    Oui. D'ailleurs, le livre La Faille aurait pu s'intituler Une femme seule.

  • Speaker #1

    Je ne sais pas. Qu'elle femme ? Non, non, non, il n'aurait pas pu s'intituler comme ça parce qu'il ne s'agit pas que d'une histoire de femme, je ne crois vraiment pas. Non, non. Et que si je l'avais intitulé comme ça, ce serait... Parce que je veux dire très concrètement, dans le livre, il y a des morts et ces morts sont aussi des hommes. Il y en a plusieurs. Bien sûr, on peut dénoncer l'aspect chef de famille, dont juste cette expression n'a disparu du droit qu'en 1970, donc c'est quand même assez récent. On peut interroger l'aspect patriarcal, pour le dire avec un mot dans l'œil. Évidemment, et on aurait raison de le faire, bien sûr que les femmes ont subi les normes domestiques. encore autrement, disons, que les hommes étaient relégués à l'espace domestique, etc. Mais ce n'est pas l'angle du livre. Et je m'intéresse aussi aux souffrances que peuvent créer l'autorité de certaines normes familiales sur des hommes qui n'y arrivent pas, qui ne peuvent pas, dont les désirs aussi ne sont pas toujours compatibles avec la famille, et notamment avec la famille hétéronormée, pour le dire.

  • Speaker #0

    J'ai découvert des choses en lisant votre livre, incroyable. Par exemple, il existe une... Une sorte de secte à Paris qui s'appelle la famille avec un F majuscule qui existe depuis 200 ans. Et moi je pensais que vous aviez inventé. Je suis allé vérifier. Donc c'est véridique, il y a vraiment cette espèce de famille composée de je ne sais combien de milliers de membres qui se marient entre cousins et qui vivent comme en vase clos. C'est fou, hein ? Oui, c'est fou, c'est pas ça du tout. C'est dans quel arrondissement ? Dans le troisième ou le quatrième ? Je ne sais plus.

  • Speaker #1

    Le troisième, moi j'avais retenu, mais je ne sais plus.

  • Speaker #0

    Et donc, comment vous êtes tombée sur cette... C'est vrai que c'est une image assez intéressante de ce que ça peut être qu'une famille...

  • Speaker #1

    Oui, alors...

  • Speaker #0

    Comme enfermement, quoi.

  • Speaker #1

    Oui, après c'est évidemment provoquant, au sens où je sais bien que la famille n'est pas réductible à... à ce qui est vraiment une caricature des lois familiales, cette secte de la famille. Mais j'ai découvert ça dans un livre très sourcé de Suzanne Privat qui a consacré toute une enquête en 2021 à cette secte de la famille. Et oui, qui explique aussi... Donc, ils se marient entre cousins, etc. Ils ont des joues rouges, il y a des doigts en plus. Vous l'avez peut-être dit pour eux, mais dans l'intro, je ne sais plus. C'est-à-dire qu'il y a des séquelles physiques. Et ça m'intéressait aussi l'idée de séquelles physiques à force de rester au même endroit, à force de barboter avec les siens. Je trouve intéressante cette idée. Après, évidemment, vraiment dans le livre, je suis soucieuse de ne pas caricaturer les choses. Je sais bien qu'il existe.

  • Speaker #0

    pléthore de modèles familiaux, surtout aujourd'hui, et que finalement la famille, dans ce qu'elle a de plus normatif, c'est un tuteur dont on peut tout à fait s'affranchir. J'ai cette image dans le livre où je dis qu'il y a... En fait, les plantes sont comme des... Les familles sont comme des plantes qui ont toutes sortes d'allures, de formes, qui grossissent, qui s'amoindrissent, et qui peuvent complètement s'émanciper du tuteur de la plante. Néanmoins, il y a quand même ce modèle à exister, il existe. Et même quand on croit en être très affranchi, il arrive qu'on ait certains réflexes. De silenciation, notamment. Je pensais de préférer le mensonge à la vérité.

  • Speaker #1

    Le livre se conclut sur un dessin de canine. Alors, c'est une allusion à un film de Yorgos Lanthimos. Expliquez pourquoi. Parce que la canine, dans le film, elle a un sens spécial.

  • Speaker #0

    Je suis contente que vous ayez repéré cette petite canine.

  • Speaker #1

    C'est une bonne expérience. Elle n'est pas super bien dessinée, mais on la reconnaît quand même. Elle est patinatrice.

  • Speaker #0

    Mais oui, c'est un film de Yorgos Lanthimos, Canine, qui raconte une sorte d'utopie cauchemardesque où en fait, un homme va élever, je crois qu'il y a deux filles, un garçon, il me semble, dans un univers clos, complètement clôturé de part en part et clos aussi par le récit qu'on en fait. J'insiste là-dessus dans ce que j'écris sur Canine, c'est-à-dire que... On ne peut pas voir ce qu'il y a derrière la clôture, donc le mur qui mène au dehors, mais on ne peut pas non plus parler des événements ou des choses qui adviendraient du dehors. C'est-à-dire que, par exemple, à un moment, je crois qu'il y a un chat qui saute la barrière. Et en fait, il ne faut pas appeler un chat un chat. Littéralement, il faut l'appeler autrement. Il faut le laisser penser que c'est une créature extraordinaire, extraterrestre, qu'il n'aurait pas dû se trouver là. Et il renomme comme ça toutes les choses qui pourraient filtrer du monde extérieur.

  • Speaker #1

    C'est un délire extrême quand même. C'est une utopie cauchemardesque.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une utopie, c'est une dystopie. Mais qui est quand même intéressant. Yorgos Lanthimos dit en interview que la famille est un sujet qui l'intéresse énormément, avec un petit sourire, et j'aime bien ce petit sourire. C'est un film quand même assez fabuleux. Et donc c'est vrai que pourquoi la canine ? Parce que... On explique aux enfants que le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, parce qu'évidemment, ils se demandent quand même qu'est-ce qu'il y a derrière ce grand mur, le seul moyen qu'ils auront de rejoindre l'extérieur, c'est de perdre une canine, que la canine tombe. Et la canine, les canines ne tombent pas.

  • Speaker #1

    Donc, les enfants s'arrachent les dents.

  • Speaker #0

    On vient quand même de gâcher.

  • Speaker #1

    C'est pas on, c'est j'ai. Mais ça va, il est sorti il y a longtemps. Oui,

  • Speaker #0

    et puis franchement, on peut voir les films. Moi, je crois qu'on peut avoir les fins de films gâchés. tout de même les regarder pour d'autres raisons.

  • Speaker #1

    Mais c'est intéressant que vous ayez terminé là-dessus, parce que votre discours depuis le début, c'est comment remettre en question ce modèle familial, comment échapper à cette chose. Mais comme je le dis, vous parlez presque uniquement de ce sujet-là. Et donc, en fait, c'est impossible. C'est impossible d'en sortir.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas l'orgueil de penser que je vais relancer. la manière dont nous vivons les uns les autres. Je ne vais pas relancer cette norme, ça ne disparaîtra pas. On aura toujours envie de faire des enfants, on aura toujours envie de se regrouper. Je ne sais pas ça. Mais je m'intéresse à celles et ceux qui ne peuvent pas, ne veulent pas, n'y arrivent pas.

  • Speaker #1

    Autre chose. Par exemple, vous aimez bien Geoffroy de Laguernerie. C'est vrai que ces gens-là réfléchissent sur autre chose que la famille avec l'amitié. Ils pensent peut-être à un... Un groupe d'amis ou trois amis, c'est peut-être une alternative à la famille bourgeoise.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Après, je n'idéalise pas non plus l'amitié. C'est-à-dire que je pense que dans les amitiés, les amitiés groupées peuvent se rejouer des logiques de pouvoir, de domination, de bannissement. Ça peut se rejouer. Ça peut ne pas aussi. Mais de même que la famille, ce n'est pas fatalement un endroit de mensonges et d'abannissement. Mais ça peut l'être. Et en fait, c'est juste ce qui me semble n'être pas... pas dit. En fait, on a peur parce que c'est tabou. Il me semble y avoir peu de récits en dehors du modèle familial. Et en effet, Geoffroy de Laguerne m'intéresse comme m'intéresse Hélène Gianecchini qui a écrit Un désir démesuré d'amitié, je crois, l'année dernière, où il réfléchit à ces espèces de modèles utopiques. Oui,

  • Speaker #1

    chercher une autre manière de vivre.

  • Speaker #0

    Je l'éprouve intéressant. Après, je ne partage pas toujours la hiérarchisation qui en est faite. C'est-à-dire que je... En fait, je pense que les modèles peuvent coexister sans qu'on ait besoin de les réaliser. Oui,

  • Speaker #1

    ils sont plus critiques que vous, avec la famille traditionnelle. Je suis critique,

  • Speaker #0

    mais c'est vrai que je garde toujours une forme de tendresse, ou en tous les cas, j'essaie de comprendre. J'essaie de comprendre quand même pourquoi même des gens qui ont subi des choses finalement dures dans leur famille biologique vont essayer de renouveler, vont y croire, vont avoir de la foi pour fonder une famille. Je trouve ça beau, en fait, d'y croire quand même. Moi, je n'y arrive pas. Je n'y crois pas quand même.

  • Speaker #1

    C'est tellement possible.

  • Speaker #0

    Mais je trouve ça, je pense que c'est important de ne pas amoindrir le fait que les gens aussi font ce qu'ils peuvent.

  • Speaker #1

    Ils peuvent. J'aime bien quand vous dites que vous avez envie d'être anormale. Vous n'êtes pas obligée d'être d'accord avec ce que je dis, mais c'est un risque aussi. Qu'est-ce qui est plus douloureux ? D'être normale ou d'essayer d'échapper à la norme tout le temps ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. En fait, je ne crois pas, moi, à la... à la prescription, au sens où je ne pense pas déjà qu'il y ait une forme de vie qui serait valable pour tous les individus. Je pense que c'est ça que je critique profondément, c'est-à-dire l'idée qu'il y a un modèle qui serait un modèle valable pour toutes et tous. Je pense que ça nous fait beaucoup de tort, ça nous fait beaucoup de mal que selon la manière dont on est né, dont on a grandi, même selon nos corps, mais même des trucs de bile, je suis sûre que si on enquêtait sur... En fait, le modèle unique ne marche pas. Moi, je crois tout simplement à la multiplication des possibles. Et je ne sais pas ce qui est mieux. Encore une fois, j'essaie de décrire ce qui est, déjà, sans prescrire quoi que ce soit. De décrire ce qui est et de décrire tout simplement qu'il y a des gens pour qui, non, ce n'est pas une évidence que le foyer est un refuge. Et je trouve que c'est quelque chose quand même qu'on... Aujourd'hui, je trouve que ce soit... À droite de l'échiquier politique, à l'extrême droite, n'en parlons pas, mais même à gauche, il y a cette idée quand même que la famille nous protégerait forcément, que la sphère publique étant menaçante pour tout un tas de raisons, que l'État pouvant être menaçant, voilà, c'est des choses qui sont vraies. Il y aurait quand même cette sphère familiale qui serait à la fin des fins.

  • Speaker #1

    Ça vient de toute l'histoire du XXe siècle, c'est-à-dire qu'on a voulu échapper après la guerre. Pendant la guerre, c'était travail, famille, patrie. Donc après, on a voulu échapper à tout ça, se faire voler en éclats les structures religieuses, familiales, anciennes. Et puis, c'était mai 68, les années 70, 80. Moi, j'étais enfant à cette époque-là. Et je peux vous dire que ce n'était pas simple de traverser ces tentatives de libération sexuelle et autres. Et puis, maintenant, on revient en arrière. On revient. Ce n'est pas... réactionnaire de dire ça. C'est simplement que on s'est aperçu que la destruction des structures était presque pire que la structure. Et donc, il y a une sorte de...

  • Speaker #0

    Bien sûr, et qu'on est en temps de crise, et comme il y a dans le passage qui s'intéresse brièvement, je ne suis pas du tout spécialiste ni historienne, j'ai juste lu des travaux de sociologues sur l'histoire de la famille, donc qui s'intéressent à l'histoire de la famille. C'est vrai que ce que j'ai constaté dans ce que j'ai lu, c'est qu'à chaque fois en temps de crise, On se replie, ou on espère retrouver de la chaleur, du réconfort, de la sécurité financière aussi, dans la sphère privée, dans la sphère familiale. Et je l'entends tout à fait. Je fais aussi état des familles d'immigrés qui protègent des personnes qui se sentent menacées par ce qu'elles nomment du racisme institutionnel, etc. Et je l'entends, je ne suis pas du tout en train de nier ça. Mais juste, il y a des personnes qui, tout en entendant ça, en comprenant ça, ont été éjectées, ont été brutalisées et pour qui ce n'est pas synonyme de refus.

  • Speaker #1

    De bonheur.

  • Speaker #0

    Et ces personnes-là, je pense que c'est difficile pour elles finalement de s'exprimer parce que il y a toujours suspicion d'une part de gâcher la joie commune, voilà, décorcher un peu la joie commune, ou alors au contraire d'être... Est-ce que ce ne serait pas une parole d'affreux jojo libéral comme on a connu et qui vont mettre fin ? Je pense que c'est plus C'est plus humble que ça C'est tout simplement je n'y arrive pas Ou j'ai trop souffert pour y aller

  • Speaker #1

    En tout cas voilà Ça a l'air compliqué comme discussion Mais c'est en fait Blandine Rinkel est quelqu'un qui cherche Et ce livre c'est une quête C'est une quête et il y a de tout Dans le livre et ça pose énormément de questions Et c'est intéressant d'en parler Alors on passe maintenant Au jeu devine tes citations Blandine Un jeu où je vous lis des phrases de vous tirées de tous vos livres et vous devez essayer de me dire dans quel livre vous avez dit ça.

  • Speaker #0

    Super.

  • Speaker #1

    Il ne m'avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Cependant, j'héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J'héritais de lui l'absence, la joie et la violence.

  • Speaker #0

    Vers la violence. Un peu facile.

  • Speaker #1

    Je commence toujours par une question facile. Rempris d'Electrice Dehael en 2023, vers la violence. Mais quand même une question, pourquoi vous n'avez pas osé à l'époque le récit ? Pourquoi Gérard alors que ce n'est pas le vrai nom de votre père ?

  • Speaker #0

    Parce que ce n'est pas un récit, c'est un roman, j'y tiens. J'ai dû transposer, j'ai dû et j'ai eu envie, je pense que c'est un mélange des deux, transposer des événements déjà qui appartiennent à d'autres vies que la mienne. On peut s'autoriser beaucoup de choses quand on écrit, mais je pense qu'il y a quand même une certaine éthique. En tous les cas, on doit s'interroger.

  • Speaker #1

    Donc pour être libre, vous préfériez la fiction ?

  • Speaker #0

    Pour être libre et pour protéger les morts et les vivants, j'avais besoin de la fiction. Et par ailleurs, ça m'intéressait, il y avait tout un champ lexical autour de l'animalité qui m'intéressait beaucoup aussi pour d'autres raisons, parce que les animaux m'importent, m'intéressent. Et ça m'intéressait d'écrire aussi des choses autour des animaux, mais qui me faisaient un peu plus entrer dans la fiction, parce que, en réalité, dans mon enfance, ça n'a pas été central, disons, l'animalité. Mais ça m'intéressait beaucoup, en termes vraiment littéraires, en termes de langue, ça me passionnait. Donc, il y a aussi des scènes qui se sont écrites pour ça, parce que j'avais envie, en fait, d'explorer ce champ lexical-là.

  • Speaker #1

    Mais moi, je me suis dit... Vous dites que j'héritais de lui l'absence, la joie et la violence. Quand on est... père, moi j'ai deux filles, on a envie qu'elle soit forte en ce moment, dans ce monde. On a envie aussi, c'est pas d'être violent, mais qu'elle, elle soit capable de se défendre et d'être, vous voyez ce que je veux dire ? C'est peut-être ça qu'il vous a enseigné aussi. Il avait peut-être peur, tout simplement, pour sa fille, et envie qu'elle puisse se battre.

  • Speaker #0

    Oui, je pense qu'il m'a... laisser ça, mais presque à son corps défendant. Je ne sais pas si c'est complètement une décision. De toute façon, je ne sais pas si sa manière d'éduquer a été complètement une décision. C'est ainsi, c'est ce que c'est.

  • Speaker #1

    Autre phrase de vous. Dans quel livre avez-vous écrit ceci ? Les gens préfèrent mentir plutôt qu'avouer qu'ils ne savent pas.

  • Speaker #0

    Je pense dans Le non-secret des choses.

  • Speaker #1

    C'était tout à fait exact. Bravo, 2019. La provinciale, donc, dans le livre qui vient de Saint-Jean-des-Oies, a toujours du mal avec les snobinards parisiens aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    J'ai plus de... Je crois que j'ai de la tendresse, parce que maintenant, je vois davantage quand même à quel point ça relève d'une espèce de stratégie de défense foireuse. De faire semblant d'avoir lu... Parce que je pense qu'on est tous effrayés, quoi, à l'idée de cette... Mais aussi de cette... On en revient à la norme, hein, mais... De cette norme aussi de la culture légitime à Paris, qui est quand même très pesante, qui est beaucoup moins pesante. Moi, en tous les cas, à Rosée, je ne la sentais pas. La culture légitime, je ne parle pas de la culture tout court, mais une certaine culture.

  • Speaker #1

    Rosée, c'était le vrai village dont le livre s'appelle Saint-Jean-des-Oies.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas un village, c'est une ville en banlieue de Nantes. Mais oui, oui, Saint-Jean-des-Oies. C'est encore autre chose qui est fictionnée, mais je laisse les gens faire leurs petites enquêtes.

  • Speaker #1

    Non, mais c'est vrai que moi, ça m'a beaucoup amusé, ce livre, parce que vous faisiez une caricature des bobos parisiens tête à claque, vraiment très réussie. Je me suis senti visé, d'ailleurs. Non, c'est drôle. Et moi, je ne sais pas pour parler de moi, mais j'ai fait le chemin inverse. J'ai quitté Paris pour vivre à la campagne. Est-ce que vous regrettez, vous, d'avoir fait ce voyage de la campagne vers Paris ?

  • Speaker #0

    Encore une fois, ce n'est pas tout à fait la campagne. Je pense qu'il faut... Oui,

  • Speaker #1

    oui, oui, c'est le banlieue de Nantes, pardon, le banlieue de Nantes.

  • Speaker #0

    Non, je ne regrette pas. Après, j'en parle beaucoup de Paris et je n'écris pas à Paris. J'écris dans une ville que je ne vais pas citer, mais qui est vraiment... Je peux être complètement isolée. Donc,

  • Speaker #1

    vous ne considérez ni comme une Nantaise émigrée, ni comme une Parisienne confirmée.

  • Speaker #0

    Je ne pourrais pas nier le fait que j'ai pris tout un tas. J'ai un éthos beaucoup plus parisien qu'il y a 10 ou 15 ans. Ce serait manquer de lucidité que de ne pas le voir. Mais pour autant, j'essaie toujours de retrouver des endroits plus âpres aussi. C'est-à-dire des endroits où il y a moins de monde, mais aussi où on peut marcher pendant des heures et croiser d'autres espèces que la nôtre. Je reviens à mon affaire d'animalité. Oui, mais ça compte beaucoup. À Paris, je trouve que ce n'est pas le cas. On croise autre chose.

  • Speaker #1

    Par quelques rats.

  • Speaker #0

    Oui, avec un chien, voilà. Mais en fait, on est quand même... C'est quand même une ville où les codes sociaux sont ce qui comptent avant tout. Et il y a d'autres espaces, d'autres lieux qui nous permettent de sentir qu'il y a d'autres choses qui peuvent compter.

  • Speaker #1

    Alors, chez la Pérouse, il y a pas mal d'animaux bizarres, mais c'est vrai que...

  • Speaker #0

    J'ai beaucoup de sortes d'animaux bizarres.

  • Speaker #1

    À certaines heures. Et pas la Pérouse. Une autre phrase de vous. qui est peut-être la phrase que je préfère de toute votre carrière. Il n'y a rien de pire que de sentir. Sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. C'est où ?

  • Speaker #0

    Dans la faille ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est dans la faille, bien sûr. Alors, cette phrase, je pourrais la signer, moi. Je pourrais la signer, mais alors la contre-signer. Il n'y a rien de pire que de sentir, sans qu'un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez. Et pourtant, vous aspirez à la même liberté que votre père.

  • Speaker #0

    Oui, mais j'essaye de faire coller mon récit. J'essaie justement de ne pas mentir là-dessus. Je pense que ce qui... Sortons de juste mon père, mais de ce qui a été difficile pour beaucoup de pères, et peut-être aussi de femmes, mais c'est de, à la fois, prétendre qu'ils étaient encore quand même des chefs de famille, ou qu'ils aspiraient encore à éduquer leurs enfants, etc. Tout en... Tout en ne parvenant pas y croire, tout en voulant partir, tout en cherchant à s'affranchir de ça.

  • Speaker #1

    Ou en étant incapable.

  • Speaker #0

    Ou en étant incapable, bien sûr. Mais du coup, il y avait une sorte de distorsion, je pense, dans le langage, qui a fait beaucoup de tort, qui a fait beaucoup de mal. C'est-à-dire, je dis quelque chose que je ne fais pas et je fais quelque chose que je ne dis pas. Et je crois que s'il y a bien quelque chose que j'essaie de faire dans ma vie, et ce n'est pas toujours simple, et je ne dis pas du tout que je suis parfaite à ce niveau-là, je dis juste que j'y aspire, pour le coup. C'est à dire ce que je dis. à faire ce que je fais et puis à dire non non pardon c'est une autre phrase qui aurait été plus maligne et je pense que c'est pas évident, ça peut être le projet toute une vie de dire ce qu'on fait et de faire ce qu'on dit mais j'y aspire une forme de quête d'honnêteté qui serait peut-être pour moi une forme de réparation d'un mensonge dans lequel j'ai eu l'impression de grandir pour le coup j'ai changé de prénom et de cheveux oui c'est vrai, plusieurs fois

  • Speaker #1

    C'est dans la faille.

  • Speaker #0

    Oui, c'est dans la faille.

  • Speaker #1

    Donc, vous avez changé de prénom. On a le droit de dire votre vrai prénom ou pas ?

  • Speaker #0

    On peut, je m'en fiche. Oui, oui, Maëva, mon vrai prénom.

  • Speaker #1

    Maëva. Et donc, vous avez vraiment choisi de changer de prénom. Vous êtes allée dans une mairie pour dire maintenant, je veux m'appeler Blandine.

  • Speaker #0

    Oui, c'était facile. C'était facilité parce que c'était mon deuxième prénom. Donc, c'est à tous ceux qui écouteraient cette émission et toutes celles. et qui voudraient changer de prénom en ayant un deuxième prénom ou un troisième prénom qui leur plaît, c'est très simple, il suffit de demander à ce que ce soit souligné, mis en gras ou inversé.

  • Speaker #1

    Un de vos second prénom.

  • Speaker #0

    C'était très simple. Après, à cette occasion, je me suis quand même vraiment intéressée au changement de prénom dans l'absolu, et puis historiquement, parce qu'en fait, c'est de plus en plus facilité.

  • Speaker #1

    Alors là, vous pensez qu'en devenant Blandine, vous êtes devenue écrivain ? Vous êtes devenue quelqu'un d'autre ?

  • Speaker #0

    Ça m'a permis, je pense, à un moment où j'étais très impressionnable et impressionnée, intimidable et intimidée par la capitale, par cette affaire de culture légitime, etc. Ça m'a permis d'être une sorte d'impostrice pour un temps et de jouer à la personne légitime.

  • Speaker #1

    Comme beaucoup d'écrivains qui ont pris des pseudonymes.

  • Speaker #0

    Oui, oui. Mais après, maintenant, si c'était à refaire, je l'ai fait de manière très brutale et joyeuse avec une amie. Si c'était à refaire aujourd'hui, je pense que je ne le referais pas parce que je trouve ça bien, au contraire, d'assumer son prénom. Donc,

  • Speaker #1

    vous avez changé aussi de cheveux. Ça veut dire que vous étiez brune ?

  • Speaker #0

    J'étais brune, oui. Je passais partout.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'un jour, on verra Maëva la brune ?

  • Speaker #0

    Non, non. Ma vraie couleur, c'est d'être blonde. C'est des tchats inclaires. On s'en fiche. Non, mais ce qui est intéressant là-dedans, ce n'est pas tant ça. C'est le fait de dire que je pense qu'il ne faut pas condamner trop vite celles et ceux qui prennent des masques. Parce que parfois, c'est la seule solution qu'ils trouvent à un moment pour se sentir légitime ou pour essayer de trouver leur place. Et ce n'est pas fatal, c'est-à-dire qu'on peut en revenir aussi du masque. On peut en revenir, on peut changer. Je dis ça dans la faille, c'est-à-dire qu'arrivant à Paris et faisant de nouvelles rencontres, je découvrais la possibilité de changer, de changer d'avis, de changer d'allure, de jouer. Aujourd'hui, j'en ai beaucoup moins besoin. Mais en fait, à un moment, le jeu a été vraiment une arme contre tout. tout ce qui était trop inhibant, intimidant. Et ça a été une arme, en fait, pour quelqu'un qui, tout simplement, se sentait du mépris social. Je veux dire, c'est ça qu'il y a derrière ça. C'est que j'avais peur d'être méprisée. Et que jouer a été une manière pour moi de me débattre avec...

  • Speaker #1

    J'avais pas vu cet angle-là, parce que je suis tellement privilégié que je ne le vois pas. Mais c'est vrai que Blandine est plus bourgeois comme prénom que Maéva. Maéva, on peut vous regarder un peu avec... Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, peut-être on peut se dire, Maëva, c'est moins...

  • Speaker #0

    En fait, c'est très...

  • Speaker #1

    Snob, quoi.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas,

  • Speaker #1

    c'est bête, d'ailleurs.

  • Speaker #0

    En fait, ça a été étudié, c'est-à-dire qu'il y a un sociologue qui s'appelle Baptiste Coulemont, qui est spécialiste des prénoms, qui propose, je ne sais pas si c'est chaque année, je ne sais pas s'il l'a fait récemment, en tous les cas, au moment où j'écrivais Le Non-Secret des Choses, je sais qu'il proposait ça, des graphiques où on peut voir les prénoms et les mentions au bac. C'est-à-dire qu'il y a la piste que l'on leur donnait avec les prénoms et les mentions au bac. Et très clairement, qui s'appelle...

  • Speaker #1

    Blandine aura une meilleure note.

  • Speaker #0

    ...Géphique ou Blandine est plus... Ah oui,

  • Speaker #1

    elle aura plus de chances d'avoir des meilleures notes que Maëva. C'est logique,

  • Speaker #0

    tout simplement. C'est des places plus privilégiées, c'est des prénoms qui sont plus privilégiés. Et moi, je n'ai pas changé directement pour ça. Encore une fois, c'était mon deuxième prénom et c'était ma mère qui avait voulu m'appeler Blandine. Finalement, ça n'avait pas remporté l'adhésion générale. Mais donc, je n'ai pas changé. Pour ça, reste que c'était un peu...

  • Speaker #1

    C'est important.

  • Speaker #0

    Oui. Mais aujourd'hui, pour la même raison, je trouve ça dommage. Je trouve que ce serait plus intéressant de dire, non, en fait, je m'appelle Maëva et je m'en fous de ces affaires de mépris social. Bon, il se trouve que j'ai changé.

  • Speaker #1

    Non, mais ce n'est pas grave. Une dernière phrase de vous. Nous sommes des créatures clignotantes. Où avez-vous écrit ça ?

  • Speaker #0

    Non secret des choses,

  • Speaker #1

    je pense. Oui, non secret des choses, 2019, vous connaissez par cœur tous vos livres. Bravo, vous avez remplacé tous les points. J'aime bien, nous sommes des créatures clignotantes, même si je ne sais pas très bien ce que ça signifie.

  • Speaker #0

    C'est cette idée de présence-absence avec les créatures sociaux. En fait, j'ai écrit ça avant qu'il y ait toute cette affaire d'écologie ou d'économie de l'attention. On parle beaucoup de l'économie de l'attention. À partir du moment où il y avait ça, mon affaire de créature clignotante a été doublée par une expression bien plus...

  • Speaker #1

    C'est pas mal.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. Ça clignote, on a du mal à se concentrer. Mais c'est déjà un peu vieux.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Blandine Rinkel, d'avoir accepté de dialoguer dans ce cadre kitsch chez la Pérouse. Cette émission vous est présentée en partenariat avec le Figaro Magazine, le magazine des Haribo, les Aristoboèmes. Je rappelle qu'il faut lire la faille. de Blandine Rinkel aux éditions Stock, si l'on veut s'interroger sur ce modèle qui nous contraint et nous libère, je ne sais pas je suis comme vous l'ingénieur du son se nomme Thomas François la réalisation, il n'y avait pas eu de réalisation vidéo cette semaine mais le montage est de Manon Mestre et surtout surtout n'oubliez pas, lisez des livres sinon vous allez mourir idiot

Share

Embed

You may also like