- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans cet épisode du podcast Dans mon cours. Je suis Estelle Gouze et je travaille au Centre d'innovation pédagogique de PSL. L'idée de ce podcast est simple, c'est de partir à la rencontre des enseignantes et enseignants afin qu'ils nous partagent des pratiques pédagogiques qu'ils ont mis en place dans leur cours.
Et aujourd'hui c'est un épisode un peu spécial car c'est le dernier de cette première saison et pour l'occasion nous sommes en direct des rencontres pédagogiques de l'Université Paris Sciences et Lettres, donc un rendez-vous annuel qui réunit la communauté enseignante et des spécialistes en sciences de l'éducation. Et le thème de cette année c'est diversité étudiante, défis ou opportunités pédagogiques. Alors on va parler de diversité culturelle, de diversité de parcours, de niveaux des étudiants, mais aussi de neurodiversité, d'handicap visible ou invisible et de troubles d'apprentissage. C'est un enjeu de plus en plus prégnant à l'université, de nombreux enseignants et enseignantes y sont confrontés et se sentent souvent démunis. C'est un sujet complexe, surtout quand on enseigne à des grands groupes. Il existe néanmoins des leviers et parmi eux, il y a ce qu'on appelle la conception universelle de l'apprentissage. Et c'est ce dont va nous parler notre premier invité qui se nomme Emmanuel Sylvestre. Il y aura ensuite deux autres témoignages, l'un sur un retour d'une enquête sur l'expérience du handicap à l'université et enfin ALIP étudiant qui va nous partager son vécu et ses difficultés dans son parcours universitaire. Place donc à Emmanuel Sylvestre qui vient d'animer une conférence sur le sujet de la conception universelle de l'apprentissage.
- Speaker #1
Bonjour, moi je suis Emmanuel Sylvestre, je dirige le centre de soutien à l'enseignement à l'Université de Lausanne. Je suis également professeur à la faculté des sciences sociales et politiques de cette même université et je travaille en fait sur plusieurs axes, en fait la pédagogie inclusive. Également l'évaluation des dispositifs pédagogiques et la formation des enseignantes et des enseignants. On avait travaillé avec ma collègue Sophie Serry sur une définition de la pédagogie inclusive, et notamment en lien avec la conception universelle de l'apprentissage. Et pour nous, dans cette définition de la pédagogie inclusive, ou de l'inclusion, c'est que la diversité devient la norme. Donc on n'est plus sur quelque chose qui va être en dehors de la norme, mais c'est la diversité qui est au cœur du dispositif inclusif. Depuis 25 ans maintenant, on voit qu'il y a une massification de l'université, en tout cas que cette massification perdure. Ça existait déjà avant les années 2000, mais là, depuis les années 2000, on a doublé le nombre d'étudiants présents dans les études supérieures, ce qui veut dire qu'on a augmenté aussi la diversité du public. On a aussi trois fois plus d'étudiants qui sont en mobilité. Donc là, on a aussi une diversité en termes de langues qui vont être parlées dans nos cours, donc de compréhension aussi, langue de travail, mais également en termes d'interculturalité. Et donc avec un regard sur ce qu'est apprendre à l'université, qui peut être différent d'une étudiante ou d'un étudiant international, par exemple. Lorsqu'ils arrivent dans un nouveau contexte, ils vont se rendre compte que ça ne va pas forcément être la même façon que dans mon pays d'origine et que je vais discuter avec des étudiants et étudiantes qui n'auront pas aussi la même compréhension de ce que c'est que l'université ou l'enseignement supérieur. Pour moi, la diversité, on doit la prendre au sens large. Ça va inclure les questions de personnes qui sont en situation de handicap, par exemple, et c'est souvent ce qu'on entend lorsqu'on parle de pédagogie inclusive ou d'inclusion. Mais on va aussi pouvoir traiter les éléments liés au genre et aux inégalités de genre, aux questions de racialisation et d'ethnicité. Les personnes aussi dans des situations sociales qui peuvent être variées, des situations personnelles et familiales. Donc voilà, ça rejoint plein de dimensions qu'on peut identifier dans la littérature. La base de la réflexion de la conception universelle de l'apprentissage vient de l'architecture et puis de ce qu'on appelle la conception universelle ou "universal design", où on a commencé à travailler sur les bâtiments et sur l'accessibilité des bâtiments, notamment en mettant des rampes d'accès, par exemple, pour les personnes qui étaient à mobilité réduite et on s'est rendu compte en fait que ces rampes d'accès étaient utilisables pour plein d'autres personnes en fait et notamment les personnes qui devaient travailler dans le bâtiment, qui devaient porter des charges lourdes, arrivaient avec un chariot et en fait ces personnes utilisaient aussi cette rampe d'accès, des personnes qui arrivaient avec des poussettes dans le bâtiment, utilisaient aussi cette rampe d'accès. Donc l'idée, c'est vraiment de faire le parallèle au niveau de l'enseignement, de se dire, finalement, est-ce qu'il y a quelque chose que je peux mettre en place qui va être utile à l'ensemble de la population et pas uniquement aux personnes qui seront en situation de handicap ? Un petit pas qui peut être fait, c'est déjà d'expliciter ce qui va être réalisé dans le cadre de l'enseignement. Et un outil qui est assez utile, c'est le syllabus. Donc le syllabus, c'est l'outil qui présente le descriptif du cours, les objectifs d'apprentissage, les modalités d'évaluation, comment ça va être évalué, de fournir toutes les informations utiles aussi pour le cours, donc les horaires, le lieu des différentes séquences d'enseignement, est-ce qu'il y a des changements aussi, la bibliographie aussi du cours, s'il y a une bibliographie qui est fournie, avec bien explicité ce qui va être les lectures obligatoires, des lectures qui seraient plutôt pour aller plus loin. Donc ça, c'est des informations qui vont être assez utiles pour une grande partie des étudiantes et étudiants. Ça va les guider dans leur apprentissage et ça va vraiment clarifier pour elles et eux ce qu'ils doivent réaliser tout au long de leur parcours. Pour moi, ça peut se compléter notamment lorsqu'on va travailler sur les aspects d'évaluation. Et puis là, on sait qu'on a des aménagements spécifiques qui sont proposés à certains étudiants ou étudiantes qu'en ont besoin, notamment avec un tiers-temps, par exemple. Donc là, on est sur de la différenciation. On va proposer des choses qui vont être un peu différentes pour certains types d'étudiantes et d'étudiants. Et à côté de ça, on peut avoir une approche plus universelle, de pédagogie universelle, en proposant des activités d'évaluation où on pourra choisir le type de modalité, par exemple. Donc là, dans ce sens-là, ça va se compléter. Maintenant, dans des principes de réalité, si j'ai face à moi un amphithéâtre avec 800 étudiants, ça va être compliqué de différencier et donc dans les approches pédagogiques, si je me dis que je dois proposer une approche spécifique pour chaque étudiant, ça va être assez complexe à mettre en place. C'est pour ça que la date pédagogie universelle va être beaucoup plus intéressante à proposer et d'aller plutôt dans une diversification des activités pédagogiques. À un moment donné, certaines activités vont plus convenir à certains et d'autres vont plus convenir à d'autres personnes. Mais dans le tout, au moins, on aura offert la possibilité de trouver un point d'accroche dans ce que je vais proposer. Plutôt que de privilégier qu'une seule approche, par exemple, du cours magistral, où c'est moi qui vais parler pendant tout le long du cours, où là, on sait que pour certains, ça va être pertinent, ça va être une stratégie qui va être facile pour certains étudiants, parce qu'ils ont développé des capacités de prise de notes, de faire des liens entre les différentes notions. Mais pour certains autres étudiants, ça, c'est des choses qui peuvent être complexes encore. Et donc, de leur proposer des activités de mind map où l'enseignant propose cette carte conceptuelle. Ça, c'est des choses qui pourraient, par exemple, leur convenir davantage. Il y a pas mal de techniques qui peuvent être utilisées pour proposer des activités pédagogiques qui conviennent à toutes et tous. Mais ce travail ne peut pas se faire non plus sans l'implication des étudiantes et des étudiants. Et notamment, si on travaille, si on met en place des travaux de groupe et qu'on n'a pas une vision d'inclusivité au sein de son groupe en tant qu'étudiante ou étudiant, ça risque d'être problématique, en fait. Donc si les trois partenaires, que ce soit l'institution, la population enseignante et la population étudiante ne sont pas alignées, on risque de passer à côté de quelque chose. C'est vraiment une méthode qui permet d'aller, une méthode, une approche plutôt, qui vise à diversifier les moyens qu'on va mettre à disposition des étudiants, que ce soit pour se représenter l'information, donc de se dire, plutôt que de présenter de l'information que sous forme de texte, de proposer aussi des vidéos ou des images, lorsque ça peut soutenir la compréhension, donc ça ne veut pas dire qu'il faut le faire tout le temps. Mais de dire qu'à certains moments, certaines situations un peu plus complexes, ça vaudrait le coup de présenter avec différents formats. Mais ça va être aussi de fournir des formats qui puissent être plus malléables de la part des étudiantes et des étudiants. Donc plutôt que de mettre un PDF qui est verrouillé, de laisser les ressources en natif. Par exemple, si j'utilise un PowerPoint, de laisser un PowerPoint, comme ça l'étudiant ou étudiante peut changer la police d'écriture lorsqu'il va retravailler ses textes, peut-être changer les contrastes si ça ne lui convient pas. Donc voilà, ça c'est des approches où on va diversifier à la fois les moyens de se représenter l'information, d'accompagner les étudiants à développer des stratégies aussi pour mieux apprendre à l'université, et aussi favoriser plus l'engagement des étudiantes et des étudiants. Donc ça, pour favoriser l'engagement, ça peut être de leur laisser le choix sur les thématiques qui souhaitent travailler si on leur demande un travail personnel, par exemple, ou un travail de groupe, plutôt que de l'imposer, à part si ça fait partie de son plan pédagogique. Mais ça peut être aussi, là, c'est des fois des choses un peu plus critiques, de leur laisser la possibilité de rendre un travail, pour une évaluation, qui peut être différent. Donc, pour une même question qu'on pourrait leur poser, leur laisser la possibilité de rendre un texte académique de 1500 mots, de rendre un poster, de rendre une vidéo ou une présentation enregistrée, par exemple. On pourrait leur laisser le choix dans la modalité d'évaluation. En revanche, du côté de l'évaluation pour l'enseignante ou l'enseignant, c'est d'avoir les mêmes critères d'évaluation. On va pas porter l'évaluation sur le contenant, sur la forme du rendu mais plutôt sur le contenu. Et donc, est-ce que la personne a bien répondu à la question qui lui était posée au départ ? Sur la conception universelle de l'apprentissage, il y a un groupe qui s'appelle CAST, qui a mis beaucoup d'informations sur leur site Internet. Je recommande aussi d'aller faire un tour sur le site web du programme ATP-Friendly, où il y a énormément de ressources à la fois pour comprendre les troubles neurodéveloppementaux et puis avoir quelques pistes d'action concrètes. Notamment, il y a un guide de préconisation qui est à disposition. Et en septembre, il y aura une boîte à outils pédagogique qui sera proposée aux enseignantes et aux enseignants, avec des choses vraiment très concrètes pour mettre en œuvre rapidement dans son enseignement.
- Speaker #0
Nous accueillons notre deuxième témoignage. Nous sommes en compagnie de Pierre-Yves Baudot, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine, et qui va nous présenter les résultats d'une enquête sur l'expérience du handicap à l'université qu'il a menée avec ses étudiants.
- Speaker #2
Bonjour, je suis Pierre-Yves Baudot, je suis professeur de sociologie à l'université Paris-Dauphine. Je suis spécialiste des politiques du handicap et je travaille plus spécifiquement sur la participation politique des personnes handicapées et là dernièrement sur le logement des personnes handicapées et leur accès à l'espace public à partir de ce logement. Au départ de cette enquête, je pense qu'il y a l'objectif pédagogique du séminaire dans lequel cette enquête s'est déroulée. C'était de conscientiser les étudiants du séminaire qui se destinaient à occuper des fonctions de chargé de projet urbain essentiellement, ou des fonctions de chargé de mission responsabilité sociale et environnementale sur des missions handicap dans des entreprises, sur des missions de diversité et inclusion dans les entreprises, en fait de les sensibiliser à la question du handicap. Pas simplement comme habituellement par la lecture de textes, d'articles, de chercheurs, mais d'arriver vraiment à leur faire... de les rendre sensibles au sens vraiment d'une forte proximité émotionnelle et affective avec la problématique. Et puisque l'objectif en fait pour moi qui avait ce cours qui était très isolé dans le reste de la maquette, qui était le seul qu'ils avaient dans toute leur formation universitaire sur la question du handicap, il fallait trouver une technique pédagogique qui me permette de laisser une trace durable sur ces étudiants pour que plusieurs années après ils se souviennent qu'un jour on leur avait parlé de handicap dans le cadre de leurs études et que de ce fait, il fallait dans le cadre des fonctions qu'ils exercent, qu'il fallait qu'ils pensent au handicap. Parce que la difficulté avec la question du handicap, c'est qu'elle est souvent omise, elle est souvent oubliée ou alors elle est souvent cantonnée à un domaine spécialisé. C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont spécialistes de cette question-là et les autres, du coup, n'ont pas à s'en occuper. Et ça contribue en partie à la ségrégation urbaine de ces populations, à leur difficulté d'accès à l'espace public, à leur enfermement chez eux. Donc, si on veut faire des politiques inclusives, il faut que ces politiques soient pensées comme inclusives dès le départ. Pour plusieurs raisons, mais la principale, c'est que, par exemple, transformer un environnement urbain inaccessible en environnement urbain accessible, ça va coûter très cher. Alors que si on construit directement inclusif, c'est-à-dire en ayant intégré tôt dans la conception la question du handicap, Ça va finalement revenir à quelque chose d'un petit peu plus cher, mais dont les coûts vont être relativement limités. Donc il fallait créer un input très fort. Et donc la corde affective et émotionnelle est une corde très efficace de ce point de vue-là. Et donc je me disais que cette étude-là allait permettre de provoquer quelque chose de cet ordre-là chez eux. Avec Amélie Lecier, qui était à ce moment-là responsable de la mission handicap de Dauphine et avec laquelle le courant est passé très vite. Et on s'est dit qu'il était bien et souhaitable de faire quelque chose ensemble. L'objectif, il est multiple. Un, c'était de décrire l'expérience d'un étudiant ou d'une étudiante handicapée à l'Université Paris-Dauphine. En tenant compte de trois dimensions qui sont constitutives de cette expérience étudiante en général, c'est-à-dire l'accès au savoir, c'est-à-dire l'accès au contenu des cours, à la prise de notes, à la compréhension des concepts, à la progression sur les méthodes. Il y avait une question sur l'accès à la vie étudiante, qui dans l'université Paris-Dauphine est une composante très importante des années étudiantes que les gens passent à Dauphine pendant cinq ans, avec une vie étudiante qui est très structurante dans les hiérarchies symboliques de l'université, et avec des associations qui s'avèrent être très sélectives, avec des modalités de sélection qui, d'ailleurs, là récemment ont été pointées du doigt, mais qui peuvent prêter le flanc à d'importantes discriminations. Et c'est un des résultats de l'étude que de montrer justement que les étudiants, étudiantes handicapées de Dauphine, sont souvent tenus à l'écart de cet espace associatif. Et puis la troisième dimension, c'est la plus évidente, c'est l'accès au bâtiment, les marches, les plans inclinés, les ascenseurs, l'accès à des boucles électromagnétiques dans les salles pour les étudiants sourds ou malentendants, des bandes podotactiles pour se déplacer dans le bâtiment. Donc il y avait ces trois dimensions-là. Une autre dimension absolument cruciale du projet, c'était d'arriver à faire restituer l'expérience du handicap pour un étudiant ou une étudiante. Et c'est quelque chose qui est très présent dans le discours public, qu'on va trouver sous des formules qu'on utilise souvent, qui sont « vie ma vie de... » . Il y a même des émissions télé qui s'appelaient « Vie ma vie de... » , où les gens échangeaient leurs positions. On a souvent dans des municipalités qui veulent être très à la page des élus valides qui se mettent en fauteuil pour tester l'accessibilité de leur ville et pour moi, cette... Enfin, pour moi, c'est-à-dire pour... Pour tout un courant d'analyse en sociologie du handicap, cette façon de procéder, elle est en réalité extrêmement néfaste, parce qu'elle fait croire que l'expérience du handicap est accessible à tout un chacun. Alors évidemment, tout un chacun est vulnérable au handicap, ça veut dire qu'il n'est pas complètement interdit que tout le monde se retrouve un jour dans une situation de handicap, mais à l'instant T, il y a des gens qui font cette expérience et d'autres qui ne la font pas, et que donc l'élu qui va se mettre dans un fauteuil roulant pour tester l'accessibilité de sa ville, cet élu, lui, à la fin de l'expérience, il se lève et il rentre chez lui. La personne handicapée, elle reste dans son fauteuil, pour parler d'une personne à mobilité réduite. Et donc, cette expérience-là, ne serait-ce que sur cet aspect-là, elle est difficilement transmissible. Et donc, il fallait à tout prix éviter, c'était le mot d'ordre un peu, la consigne majeure donnée aux étudiants, ceci n'est pas un "vie ma vie". En revanche, ce qu'on va essayer de faire, c'est essayer de trouver un moyen d'accéder à cette expérience, c'est-à-dire de nous la faire raconter. Donc il a fallu mettre en place des méthodes spécifiques de récits de la vie d'un étudiant handicapé à l'université. Donc des méthodes spécifiques de recueil des récits et des méthodes spécifiques de restitution de ces récits. Alors j'ai eu l'idée, mais avec Amélie, de proposer une restitution grand public, c'est-à-dire un format de restitution qui viserait un plus large public et qui serait directement accessible, c'est-à-dire qui avait été pensé pour être vu, lu, entendu. Et donc j'ai demandé aux étudiants de fabriquer un format de restitution sous forme de podcast, sous forme de jeu de société, enfin je les avais laissés libres, c'est eux qui ont choisi la forme, sous forme de vidéo, sous forme de tout un tas de choses. Donc j'ai obtenu... Vraiment, j'ai obtenu un fanzine, un jeu de société, j'ai obtenu vraiment des choses, vraiment extrêmement, une expo photo, des formats vraiment extrêmement intéressants. La seule consigne que je donnais aux étudiants, c'est qu'il faut que ce format, d'une certaine façon, retranscrive, matérialise l'expérience vécue. Et effectivement, ça permet de communiquer à des personnes qui ne sont pas des étudiants handicapés et qui ne sont pas des étudiants de master, de communiquer la problématique et de la rendre sensible. Le coup du jeu de société a très très bien fonctionné sur cette idée-là. La petite BD aussi que j'avais en 4 pages a très très bien fonctionné. C'est des supports qui tout d'un coup ont eu plus d'effets que tout ce que tout un tas de gens peuvent raconter depuis très longtemps. Il y a deux ordres de résultats. Le premier ordre, c'est sur le fond. Ça veut dire, qu'est-ce que c'est être un étudiant handicapé dans une Université parisienne sélective d'excellence ? Ça veut dire plusieurs choses. Ça veut dire déjà être confronté à une très forte insécurité dans l'organisation de son emploi du temps, dans le déroulement des apprentissages, dans le déroulement des évaluations, dans la qualité des soutiens dont on va pouvoir disposer aussi. L'autre résultat majeur sur le fond, c'est le devoir de justification. C'est-à-dire, nos étudiants handicapés, enfin les étudiants handicapés qui ont participé à cette étude, ont quand même insisté quasiment toutes et tous sur deux ans sur le fait qu'elles devaient ou ils devaient en permanence, auprès des autres étudiants, se justifier des aménagements dont ils disposaient, donc qui n'étaient pas du tout perçus comme des droits mais comme des faveurs, c'est-à-dire quelque chose à la fois d'aléatoire et quelque chose d'injuste. Ça montre de un tout ce que la France a comme souci avec l'idée d'une politique des droits, c'est-à-dire quelque chose qui vient compenser des inégalités injustifiables. Donc un devoir de justification qui est lié au contexte français, qui est très rétif à cette affaire de droit, et au contexte dauphinois particulier, qui est un contexte de concurrence entre étudiants, qui est propre à ce que les politiques essayent de faire, c'est-à-dire la concurrence des uns contre les autres, qui va à l'encontre de ce dont ont besoin les étudiants, et notamment les étudiants handicapés, qui est de la solidarité et de l'entraide. Et puis l'autre résultat, c'est qu'en fait ces étudiants à priori valides n'étaient pas si valides que ça, ça a été l'occasion de découvrir quand même, pour eux comme pour moi, que la plupart d'entre eux étaient confrontés personnellement à des situations de handicap qui peut-être n'avaient encore jamais été dites comme ça, ou auxquelles ils ne souhaitaient pas forcément se raccrocher ou s'identifier, et que c'était en partie lié aux conséquences du confinement sanitaire du printemps 2020 et des deux autres qu'on suivit, parce qu'il ne faut pas oublier que ces étudiants, en fait ils ont vécu presque deux ans de cours à distance et qu'on a quand même une génération d'étudiants qui vivent avec les séquelles de cette perte de sociabilité qui a duré presque deux années universitaires et qui aujourd'hui sont confrontés à une prégnance des troubles mentaux très forte. Et donc ça a aussi pour nous été en tant qu'enseignants une prise de conscience de leur état de santé mentale quand même très dégradé quoi. Il y a deux questions. Est-ce que j'ai globalement changé ma manière d'enseigner ? Ça veut dire...oui, ça veut dire que en fait ça a commencé avec le Covid. C'est-à-dire le passage des cours en distanciel, le recours à Teams et une enquête que j'ai faite par ailleurs sur le confinement avec des étudiants et des lycéens m'a amené à complètement changer ma façon d'enseigner. Je fais cours, je pense, complètement différemment. Après ça, est-ce que ça a rendu mes cours plus accessibles ? Eh bien, la réponse est non. Et c'est un questionnement, en fait, parce que je m'aperçois que je suis chercheur sur les questions de handicap depuis, je ne sais pas, presque 20 ans. Je publie, je fais faire des études à mes étudiants. Je suis quand même très engagé sur cette question-là. Mes semaines tournent quasiment exclusivement autour de cette question-là. Mais je suis un tout petit peu plus attentif à, par exemple, mettre des textes alternatifs sur mes PowerPoints. Je ne cherche pas à m'excuser, je cherche à comprendre pourquoi je ne le fais pas. Mais il y a des facteurs qui sont structurants de mon activité d'enseignant-chercheur. C'est-à-dire le faible temps dont je dispose en général, la multiplicité des activités que je dois réaliser, de la recherche, de l'enseignement, de l'administration, de la communication, de l'expertise pour des institutions publiques, de la direction de thèse, de la direction de mémoire, j'en passe et d'autres, l'écriture d'articles, de livres, etc. La multiplicité de ces projets fait que j'ai finalement... trop peu de temps, ou que je ne me le donne pas, parce que dans la hiérarchie de mes priorités, ce n'est pas forcément ce qui est arrivé en tête. Je pense par exemple que mes cours ne répondent pas aux standards, enfin j'en suis sûr, mes cours ne répondent pas à une conception universelle des apprentissages. Je peux avoir une sensibilité plus grande à des sollicitations individuelles, ou à une tolérance plus grande sur la diversité des standards d'évaluation sur un même cours. Mais ça ne veut pas dire forcément que j'ai pensé mes cours pour être accessible. C'est là où les organisations, je pense par exemple à Dauphine qui accorde des congés pour innovation pédagogique, par exemple, pourraient flécher un certain nombre de ces congés sur de l'apprentissage universel. Ils pourraient aussi, un peu comme la journée qu'on est en train de vivre et celle de demain, c'est-à-dire favoriser des échanges de groupe entre enseignants sur comment fabriquer et former ces enseignants à enseigner de façon accessible. Il y a un vrai... Là, pour l'instant, il y a un vrai gap. Et puis, si on voulait rendre l'enseignement inclusif, il faudrait changer les politiques d'enseignement. Ça ne peut pas juste être une couche en plus.
- Speaker #0
Et pour finir, c'était une évidence et très importante pour nous d'avoir également dans cet épisode le témoignage d'un étudiant qui a participé à ces journées. Et nous allons donc écouter le récit d'Alipe, qui a un handicap moteur et qui a étudié à l'université Paris Dauphine.
- Speaker #3
Mon prénom c'est Alipe. Je suis en formation d'inspecteur à la MISSION SOCIALE SANITAIRE en qualité d'élève fonctionnaire. J'ai un handicap moteur, sans aller spécialement dans les détails, qui me provoque certaines difficultés au quotidien, comme la marche, l'élocution ou encore des tâches qui demandent une certaine finesse motrice, comme l'écriture entre autres. Mais aussi, de même, jusqu'à maintenant, ça demande une certaine organisation. Donc, chaque année, il fallait anticiper avec les relais handicap, avec les services pédagogiques. Donc, parmi les aménagements : pendant les examens, il me fallait un secrétaire scripteur, un secrétaire qui écrit sur ma dictée, un ordinateur. La majoration des temps, parfois un tiers temps, parfois un mi-temps Et en dehors des examens, j'avais besoin d'une assistante humaine pour préparer mes examens, réviser, rendre les devoirs et bien évidemment il fallait qu'on recrute un preneur de notes qui partageait ses écrits à chaque cours. Ce que je viens de vous citer c'est ce qui était prévu dans les arrêtés d'aménagement de façon officielle. Après en pratique ça posait parfois pas mal de difficultés. Comme par exemple, concernant l'assistante pendant l'examen, il faut trouver des personnes qualifiées. Il fallait toute une organisation derrière. Parce que si quelqu'un doit venir m'aider pour préparer mes cours, mes examens, déjà avec le planning déjà très chargé... donc c'est toute une organisation avec beaucoup de difficultés. C'est dès qu'on commence à multiplier les acteurs, les professeurs, les assistants pédagogiques, les personnes recrutées, parfois ça peut devenir assez compliqué. En fait, la majorité du temps, ça marchait au début. Mais plus je montais dans le niveau, plus c'est devenu assez compliqué d'utiliser un temps supplémentaire. Par exemple, lorsque j'étais en prépa des concours administratifs à Deauville, la plupart des épreuves écrites, c'était 5 heures. Tu ajoutes un tiers de temps, voire le tiers temps, voire même le mi-temps, ça devient un examen de deux journées. Surtout cet examen où tu dois dicter à un secrétaire qui écrit. Très vite, ça devient assez compliqué. Donc oui, parfois, il n'y a pas de solution magique. Copier, coller, un aménagement, ça marche avec lui. Donc ça doit marcher avec toi. Ça, c'est rarement une bonne décision. Bon, en tout cas, au fil du temps, il y a toujours des dispositifs qui ont été mis en place. Notamment, pour les cours, une secrétaire, ce qui est peut-être regrettable. Je donne un exemple, Tu arrives dans une école et on te met en place quelqu'un pour t'aider, un assistant. Par contre, tu trouves qu'il n'est pas vraiment qualifié pour les missions qu'on lui confie. Donc le ministère a un prestataire qui est chargé de recruter les personnes qui doivent m'aider dans mon travail. Cette difficulté de trouver des personnes qualifiées n'a pas disparu, puisque je dois fournir beaucoup d'énergie, beaucoup de temps, y compris avec les professionnels du handicap, pour leur expliquer qu'il faut faire attention aux personnes qu'on m'envoie, qu'il faut certaines qualifications, ça, ça a beaucoup était un soucis, une difficulté. Il y a beaucoup d'énergie qui a été mise dedans, qui aurait pu être consacrée à autre chose. C'est un exemple. Parmi d'autres, il y avait un professeur qui m'a recommandé plutôt, qui m'aidait à trouver des versions audio de ses articles. C'est elle qui s'en occupait, qui me l'envoyait par mail, pour que je puisse le traiter moi-même, parce que plus c'est long, plus j'ai du mal à le lire. Ça c'est un exemple ou l'autre, quand j'étais à Dauphine, c'était plutôt un intervenant. C'est lui qui m'a aidé à découvrir d'autres voies, des voies aménagées pour intégrer la fonction publique. Et là, si on sort un peu, dans mon cas personnel, tu dois comprendre le système et prendre l'initiative et dire « j'ai besoin de ça, j'ai besoin de ça » . Un autre exemple. Lorsque j'étais à Paris-Dauphine, lorsque le moment de commencer le stage est venu, lorsque je disais pendant l'entretien que j'ai besoin d'aide humaine, il ne comprenait pas à quoi ça correspondait, comment c'est possible. Donc je devais les rassurer, leur dire, c'est possible, il y a ce prestataire que j'ai pris, voici son numéro, on peut le contacter ensemble. Parfois, ça empêchait que je sois retenu dans certains stages. Donc c'est un exemple, non pas pour râler, mais pour plutôt sensibiliser avec la mise en place des politiques publiques. Parce qu'il y a des lois en vigueur, les appliquer c'est autre chose. Tu es obligé de négocier comme si tu voulais obtenir [quelque chose] au niveau du conseil de sécurité ou je ne sais pas quoi. Donc c'est ça qui est difficile. Il y a tout un travail à l'extérieur qui demande beaucoup d'énergie et c'est tout à fait regrettable.
- Speaker #1
Eh bien, c'est la fin de cet épisode. Merci à tous nos invités pour leur retour d'expérience sur ce sujet. Si on doit retenir une seule chose, c'est que la diversité devrait devenir la norme et se dire qu'il n'y a pas de normalité, c'est un réel changement de paradigme qui prendra du temps, mais qui est nécessaire si nous voulons construire une Université inclusive. Un grand merci à Ulrike Petzold et Thomas Boulogne pour l'organisation de ces rencontres pédagogiques 2025. Merci à tous de nous avoir écoutés. Vous trouverez un lien des ressources sur les pratiques pédagogiques que nous venons aborder. Merci à Iséo Furudoi pour la réalisation, le montage et le mixage. N'hésitez pas à partager ce podcast et si vous souhaitez faire évoluer votre cours, sachez que le Centre d'innovation pédagogique peut vous accompagner. À bientôt pour un prochain épisode !