Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Si vous avez suivi l'actualité, vous avez dû noter qu'un nouveau pape va bientôt être nommé. La mort du pape François a donné lieu à d'immenses scènes d'émotions collectives. On a vu des vidéos de fidèles rassemblées par milliers sur la place Saint-Pierre et dans des églises entonner à l'unisson des chants religieux. Croyant ou non, Ces scènes de communion ne laissent pas indifférent. D'ailleurs, si vous êtes pris au trip en écoutant du gospel, ce n'est pas un hasard. Cela est dû à des techniques d'architecture ancestrale pour aligner les fréquences hertziennes et ainsi vous toucher en plein cœur. Ça vous intrigue ? Ça tombe bien ! C'est notre anecdote du jour, architecture des églises, le mystère acoustique des lieux sacrés. Nous sommes à Paris le 24 juin 1978. Le frère René Floriot est attendu à l'université Paris VI pour présenter un sujet aussi important qu'inattendu. Et oui, frère Floriot n'a pas prévu de parler de foie, mais d'acoustique. En fait, d'ici quelques minutes, il va s'adresser au GAM, le groupe d'acoustique musicale de la fac de Jussieu, pour partager ses recherches au sujet de l'acoustique au Moyen-Âge. Alors, quel rapport avec la choucroute, me demanderez-vous ? Le rapport ! Le rapport ! Quel est le rapport ? Eh bien, figurez-vous que Frère Florio, homme d'église trépieux, se passionne depuis des années pour les édifices religieux, souvent construits des siècles auparavant. L'architecture le fascine. Comment est-il possible qu'un bâtiment d'apparence assez classique dégage une énergie si particulière ? Pourquoi les édifices religieux nous font parfois vibrer, même quand nous ne sommes pas croyants ? Pendant des années, il visite des églises à travers la France, et se renseigne également sur l'architecture d'édifices ailleurs en Europe, comme au Danemark ou en Allemagne. Et il découvre qu'il existe une science très pointue de l'architecture religieuse. Je suis dans un bouddhisme excessif, herbivore, francophone, mais modéré. On sait déjà que les édifices religieux se conforment à des règles architecturales précises. Par exemple, les églises doivent toujours être orientées vers l'Est, c'est-à-dire vers le soleil levant pour symboliser la résurrection, être en forme de croix pour symboliser la crucifixion et intégrer des voûtes et des flèches pour élever l'âme vers Dieu. Les mosquées, quant à elles, doivent être orientées vers la kybla, vers la mecque, être dénuées de représentations figuratives pour mettre en valeur la parole plutôt que l'image. Les synagogues doivent, quant à elles, être orientées vers Jérusalem, la Terre Sainte, intégrer une grande arche au centre du bâtiment qui représente l'alliance du temple détruit, et une estrade pour lire la Torah toujours au centre, car la lecture de la Torah est centrale. Mais ce que l'architecture ne montre pas et que l'on a tendance à oublier, c'est que l'ouvrage de ces édifices est conçu pour nous faire vibrer. Le choix des matériaux, les dimensions, sont choisis avec attention pour ajuster les fréquences sonores et créer une émotion particulière. Par exemple, les pierres calcaires utilisées dans les églises offrent une meilleure vibration sonore. Les voûtes, elles, conduisent naturellement le son des orgues et allongent les temps de réverbération. Et puis enfin, le bois des bancs et des prie-dieux amplifient certaines harmoniques. En clair, un ensemble d'éléments qui apporte une acoustique extraordinaire. Ça dépasse tout ce que j'ai pu imaginer. Si vous vous rendez à l'abbaye du Tonneret, en Provence, vous verrez a priori un lieu assez simple et sans artifices. Et pourtant... Le temps de réverbération peut y atteindre 12 secondes, digne des plus grands théâtres romains. Mais ce n'est pas tout. Au-delà des matériaux, les édifices religieux intègrent aussi des mécanismes cachés pour créer des effets spéciaux. Par exemple, la cathédrale Saint-Paul à Londres possède une « whispering gallery » ou « galerie des chuchotements » . En fait, elle intègre une enceinte circulaire qui fait circuler le son de façon très nette, mais à faible volume, d'une extrémité à l'autre. Vous chuchotez d'un côté, on peut entendre tout ce que vous dites à l'autre bout. Bon à savoir si vous aviez prévu de vous y confesser. Ouais, c'est qui là ? Mel, c'est vie, ouvre-moi. En réalité, ce phénomène n'est pas propre aux églises. Il apparaît dans toute enceinte hémisphérique, elliptique ou ellipsoïdale. Les spéléologues entendent d'ailleurs très souvent des chuchotements lorsqu'ils explorent des grottes. Raison pour laquelle je ne ferai jamais ce métier. Ça va être tout noir ! Ça va être plus noir ! Ta gueule ! En plus de l'effet de chuchotement, il existe l'effet de source fantôme. En théorie acoustique, quand deux sources audio émettent le même son, au même moment et à la même intensité, le son semble provenir d'un point situé au centre exact de ces deux sources. Dans les églises, le fait que l'autel soit placé en hauteur, au centre de deux voûtes qui réverbent un son puissant transféré par la pierre, doit normalement donner l'illusion que toute l'harmonie vient du cœur de l'église, là où se trouvent la croix, le vin et le pain. Une sacrée poèse design, non ? C'est un peu le principe du fonctionnement audiospatial des écouteurs avec lesquels vous écoutez peut-être cet épisode. Sauf qu'ici, on parle de sources éloignées de plusieurs mètres qui doivent renvoyer des sons avec moins de 30 millisecondes de décalage. Enfin, n'oublions pas que si la communion des fidèles est le premier objectif des édifices religieux, le deuxième est le partage du message religieux. Et ce n'est pas si facile dans des bâtiments qui sont par nature très résonnants. Les architectes intègrent donc d'étranges outils pour assurer une acoustique optimale. Il s'agit notamment de vases acoustiques que notre ami le frère Florio présente à son auditoire. Ces vases sont des jarres en terre cuite insérées directement dans les murs ou les voûtes des églises. De par leur position et leur matériau, ils absorbent les fréquences aux alentours de 200 Hz. Cela correspond à des tessitures graves, cataloguées parmi les plus gênantes et les plus difficiles à éliminer. Isole tout de suite la fréquence. Localise les véhicules et fais-moi une recherche complète sur ce John McLean. En d'autres termes, les vases acoustiques absorbent les fréquences parasites qui donnent la migraine et évitent les réverbérations excessives. Ingénieux, non ? Ces outils existent en réalité depuis au moins l'Antiquité, puisque Vitruve, dont on a parlé dans l'épisode sur le baron Haussmann, a décrit leur utilisation dans son ouvrage « Des architecturas » . Sauf que lui conseille d'utiliser des vases d'une autre façon, au fond des théâtres. Bâtis en pierre, ceux-ci résonnent très peu. Les vases, toujours orientés à l'horizontale, sont ici installés dans des murs au fond des théâtres, et surtout ils sont fabriqués en bronze. Les voix viennent alors. « tapés » dans les vases qui réverbèrent ensuite les sons. L'objectif ici est donc d'amplifier les voix des orateurs et non pas de corriger l'acoustique. On les appelle les « éreins » . Ces innovations nous viennent du Moyen-Âge, de l'Antiquité, et il en existe certainement des plus anciennes que nous avons oubliées. En réalité, il faut pratiquement attendre le XXe siècle pour que les chercheurs commencent à étudier ces dispositifs acoustique. Le frère René Floriot fait partie de cela. Aujourd'hui, ces découvertes inspirent les architectes et acousticiens modernes dans la conception de salles de concert et d'espaces publics. Alors, que retenir du design acoustique des églises ? Que le design... Ce n'est pas juste dessiner des chaises ou tracer des plans. C'est une discipline invisible autant que visuelle. Une science qui sculpte l'air autant que la pierre. Construire un lieu, c'est penser sa structure, sa lumière, son énergie, et oui, son acoustique. Dans ces grandes nefs de pierre, chaque écho, chaque silence, chaque vibration a été pensée. Et parfois, sans même que les bâtisseurs eux-mêmes en aient pleinement conscience. Car l'acoustique n'est pas réservé aux cathédrales. Elle est partout, dans les open space, les parkings souterrains, les halls de gare, les caisses de supermarché. Ces lieux-là aussi ont été designés pour influencer ce que vous entendez et peut-être même ce que vous ressentez. Vous avez déjà ressenti ce malaise étrange en entrant dans une pièce vide ou cette chaleur immédiate en arrivant chez quelqu'un ? Freud appelait ça l'inquiétante étrangeté. Et si le son y avait aussi sa part ? L'art, après tout, n'est-il pas une forme de religion intime ? celles qui nous connectent au monde par les sens et nous rappellent que même les silences sont une architecture ? Et vous, s'il y avait un son irritant de votre quotidien que vous pouviez transformer en un son harmonieux, de quoi s'agirait-il ? J'espère que cet épisode vous a plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à le liker, le commenter ou le partager autour de vous. Je vous remercie pour votre écoute et vous dis à la semaine prochaine pour plus d'anecdotes croustillantes sur l'art et le design.
