Speaker #0Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du grand art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. On le sait tous, certaines œuvres d'art ont le pouvoir de déclencher des débats, des accidents diplomatiques ou même des scandales. C'est le cas par exemple de « Portrait de Madame X » de John Singer Sargent que vous pouvez voir actuellement au musée d'Orsay. Mais saviez-vous que... que l'absence d'œuvres d'art a tout autant d'impact ? Et si un cadre vide pouvait déclencher un scandale mondial ? Août 1911, Paris somneule sous le soleil, le Louvre ouvre ses portes comme chaque matin. La Joconde, elle, n'a encore rien d'une rockstar. Un petit sourire tranquille, un cadre discret et l'indifférence des visiteurs. Et pourtant, en quelques heures, elle va devenir la toile la plus recherchée au monde. Littéralement. Alors... Comment un tableau de 77 cm a-t-il pu faire trembler la France entière, ridiculiser la police et transformer une toile presque anonyme en star planétaire ? Ça vous intrigue ? Ça tombe bien, c'est notre anecdote du jour, l'incroyable disparition de la Joconde, enquête au Louvre. Nous sommes le mardi 22 août 1911 à Paris. Ce jour-là, comme bien souvent, Louis Bérou se rend au Louvre d'un pas enthousiaste. son matériel de dessin sous le bras. Louis est un peintre âgé d'une soixantaine d'années et il est spécialisé dans la copie. Il aime flâner dans les musées parisiens et y croquer des œuvres qu'il reproduit ensuite chez lui. Il y a quelques temps, il a jeté son dévolu sur la Joconde, une toile alors moyennement célèbre de Léonard de Vinci. Il a hâte d'entamer ce nouveau projet. Louis Bérou entre dans le musée, se dirige tout guiré vers le salon carré pour retrouver sa Mona Lisa. Mais en arrivant dans la pièce, Louis est saisi d'un doute. Il regarde à gauche, à droite, il ne retrouve pas le tableau. Attends, il ne s'est quand même pas trompé de salle. Mais si, c'est là, il s'en souvient. Normalement, le tableau est accroché juste ici. Sauf que ce matin, il n'y a que des clous sur le mur et pas l'ombre d'une toile. Louis se tourne alors vers un surveillant de la pièce. Elle n'est pas là aujourd'hui ? Le surveillant hausse les épaules. Nous sommes mardi, le musée était fermé hier. Donc le tableau doit certainement encore se trouver à l'atelier de photographie. Pas de quoi s'inquiéter. Déçu, Louis Béroux décide que ce contre-temps ne gâchera pas sa journée. Il reviendra plus tard quand le tableau sera remis en place. Les heures passent, Louis revient et toujours pas la moindre trace de cette Joconde. Notre peintre copiste a un mauvais pressentiment et retourne voir les gardiens. Bon allez, ça coûte rien de vérifier. On contacte alors l'équipe de l'atelier de photographie mais personne n'a vu le tableau. Tiens, tiens, ça commence à être bizarre cette histoire. Les gardiens s'affairent et vérifient partout. Et tout à coup... C'est la douche froide. Un employé du Louvre retrouve le cadre de la Joconde, sans sa toile, abandonné devant la porte d'un escalier de service. L'alerte est sonnée, on comprend qu'il s'agit d'un vol. Vite, on ferme les portes, les serrures du Louvre sont verrouillées à double tour. Mardi après-midi, le préfet de police Louis Lépine arrive sur les lieux avec son équipe. Ils tentent de resituer l'heure à laquelle le vol a pu être commis. Quand Émile Boutin, architecte du musée, déclare qu'il a vu le cadre-vie de la veille, mais n'a pas réagi, on soupire. Je ne veux pas qu'on fasse un jeu d'éveil pour surmonter le moral ? Ta gueule ! Ta gueule, sac à crottes ! Et puis on réalise que ça signifie que le vol a eu lieu il y a plus de 24 heures. Donc le voleur pourrait déjà être très très loin. Le préfet Lépine ordonne alors la fermeture complète du Louvre pendant une semaine afin de pouvoir mener l'enquête. Maxi honte pour l'équipe. qui commence à se faire railler dans la presse. Le sous-secrétaire d'État au Beaux-Arts, Étienne du Jardin-Beaumesse, se fait surnommer Jocon-Beaumesse. Ça vous fait sourire comme ça, mais le préfet, lui, ne plaisante pas du tout. T'arrêtes ! Je suis stressé, là ! Non mais là, j'ai plus envie de rigoler ! Je suis super en colère ! Il faut retrouver le tableau, il en va de la réputation du musée, des forces de l'ordre, et puis de la France aussi, bon sang ! L'enquête débute dès le mercredi matin. On retrace le fil des événements. Le tableau a été retrouvé près d'un escalier de service, des témoins l'ont vu en fin de semaine, mais rien à l'ouverture du musée mardi. On conclut rapidement que seul un employé du Louvre a pu commettre ce défi. Entre alors en scène Alphonse Bertillon, célèbre criminologue. Avec lui, Derek et Colombo n'ont qu'à bien se tenir. Sa première décision ? Faire analyser les empreintes digitales des 257 collaborateurs du Louvre. Avec Bertillon, on va le coffrer en moins de deux, pense-t-on. Erreur ! Aucune autre empreinte ne correspond avec la grosse trace de pouce retrouvée sur la vitre du cadre. Les jours passent et l'enquête piétine toujours. La presse et la culture populaire se moquent de l'affaire et accusent gratuitement un peu n'importe qui. Pour moi, ce sont des balivernes. Un matin de septembre, l'affaire prend une autre tournure. Le préfet reçoit un coup de téléphone du Paris Journal. La rédaction vient de recevoir la lettre d'un certain Honoré Joseph Géry-Pierré. Ce dernier déclare... Monsieur, le 7 mai 1911, j'ai volé une statuette phénicienne de l'une des galeries du Louvre. Je la tiens à votre disposition en échange de la somme de 50 000 francs. Ok, ça part sur une demande de rançon. Si vous la gardez, je vous chercherai, je vous trouverai et je vous tuerai. Qui vole un oeuf, vole un bœuf comme on dit. Et en l'occurrence, qui a volé une statuette a peut-être volé la Joponde. La police interroge donc. Pierret, qui explique avoir commis plein d'autres petits vols au musée. Les enquêteurs se demandent s'il n'est pas un peu klepto. J'aime pas trop les voleurs et les fils de p... Enfin bon, un peu penaud, Pierret déclare avoir donné deux autres statuettes à deux amis artistes, dont l'un est peintre. Mais attention, il ne donnera pas leur nom. C'est un type fiable, d'accord ? Fiable peut-être. Mais visiblement, Pierret n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, puisqu'il s'avère être le secrétaire de Guillaume Apollinaire. qui est un grand ami de Pablo Picasso. Il y a des moments, j'ai vraiment l'impression que vous me prenez pour un imbécile. Le 7 septembre 1911, la police débarque donc en trombe au domicile d'Apollinaire. Picasso est également arrêté. Je pense que l'affaire est dans le sac. La presse est bien évidemment prévenue du coup qui vient de se jouer. Après un début d'enquête laborieux, la police a bien besoin de redorer son image en accusant sans réelle preuve le poète d'être impliqué dans le vol de la Joconde. Apollinaire est emprisonné à la prison de la santé et, faute de preuves, est relâché au bout d'une semaine. Cette expérience semble le marquer puisqu'il écrit cette année-là son premier recueil de poèmes. Et puis Picasso, c'est Picasso quoi, il pourrait être capable de tout. Ce plot twist anime toutes les conversations pendant quelques jours et puis retour à la case départ. Pendant des jours, puis des semaines et des mois. On n'entend plus parler de la Mona Lisa pendant... deux ans. En décembre 1913, la police parisienne reçoit un étonnant coup de fil. On parle italien à l'autre bout de la ligne. Il semblerait que la Joconde ait été retrouvée, presque par hasard, à des centaines de kilomètres de là, en Italie. Le préfet n'en revient pas. Quoi ? Mais comment ça ? Que s'est-il passé ? Eh bien, en fait, le voleur, un certain Vincenzo Perugia, s'est trahi tout seul. Il se trouve désormais derrière les barreaux, à Florence et il vient de tout raconter. Vincenzo Perugia est un vitrier âgé d'à peine 30 ans. Il travaille au Louvre et a une fascination pour l'art. Mais ce qui le fascine encore plus que l'art, c'est comment la joconde de Léonard de Vinci peut croupir à Paris alors qu'elle appartient à l'Italie. Tous les jours, il travaille au milieu des chefs-d'oeuvre et cette pensée l'obsède. Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci, tous à Paris. Che cazzo ! Il est là le vrai vol. C'est tellement injuste. Bien sûr que c'est injuste. Il décide alors de ramener Mona Lisa à la maison. Sa taille étant relativement réduite, elle est facile à transporter. Il prépare son coup pendant des semaines et passe à l'acte le lundi 21 août au petit matin, soit la veille de la découverte de sa disparition. Il entre dans le salon carré assez tôt, entre 7h et 9h du matin, vêtu de son uniforme de travail. Il a participé à la construction de la vitre de la Joconde, alors l'en libérer ne lui prend que quelques secondes. Il dépose ensuite le cadre près de l'escalier de service, roule la toile et la glisse dans sa veste, puis ressort tranquillement. Les gardes ne s'inquiètent pas de voir travailler un vitrier ce jour-là, d'autant que Vincenzo est fort sympathique. Il rentre alors chez lui, une chambre de bonne qu'il habite à quelques pas du Louvre, et cache la joconde dans le double fond d'une valise. Il attend quelques heures en silence, puis se décoiffe et sort en tapant des pieds dans l'escalier. Il lance à sa concierge « Mamma mia, je suis en retard, hier on a fait la bringue ! » et hop, son alibi est posé. « Merde, je crois que j'ai jamais eu une gueule de bois pareil. Après le hard rock, moi c'est le blackout, y'a plus que des vides ! » Vincenzo passe aux yeux de tous comme un jeune homme simple, sans soucis et agréable, Un pauvre ouvrier sans histoire. Et c'est justement à cause de ce cliché que la police est passée complètement à côté de l'affaire. Pas la peine de relever ses empreintes, un type comme lui serait incapable de commettre un vol de haute voltige comme celui-ci. C'est pas la stratégie qui m'inquiète, c'est le stratège. Bien qu'il ait reçu la visite d'un inspecteur à une occasion, Vincenzo s'en sort sans le moindre souci et finit par ramener la Mona Lisa en Italie. La légende raconte qu'il développe une relation très particulière avec le tableau de Léonard de Vinci. Mais au bout de deux ans... Ses sentiments s'étiolent et il commence à en avoir assez. Il veut se débarrasser du tableau, mais attention, il ne veut pas le vendre à n'importe qui. Il faut que l'acquéreur soit italien. En 1913, il contacte alors Alfredo Geri, un antiquaire basé à Florence. Geri n'en revient pas. Est-ce que ce type vient vraiment de lui proposer de lui vendre la Joconde, ou est-ce qu'il s'agit d'un fou ? Il demande à voir le tableau. Parfait, le rendez-vous est fixé. Alfredo Geri arrive accompagné du directeur de la galerie des offices, Et les deux hommes constatent ensemble l'authenticité du tableau. Alfredo accepte la transaction. On viendra vous voir à l'hôtel. J'ai donc pris la décision de vous faire confiance. Très mauvaise décision. Quand Vincenzo entend toquer à la porte, il saute de joie, fonds s'ouvrirent et se retrouve nez à nez avec les carabinieries. Après son arrestation, il est jugé en 1914 et condamné à 1 an et 15 jours de prison. Peine réduite à 7 mois, déjà effectuée en détention préventive. Le gouvernement italien Ravie d'avoir résolu ce crime et fait un pied de nez à ces gros ventards de français, organise alors une grande tournée. Mona Lisa fait le tour du pays pendant plusieurs mois avant d'être restituée à la France, où elle est désormais le tableau le plus célèbre. Alors que nous enseigne la disparition de la Joconde et sa popularité post-enquête ? Et bien que la cote d'une œuvre ne dépend pas uniquement du sujet, de la renommée de son créateur ou de sa maîtrise technique. C'est souvent l'histoire qui l'entoure, son voyage, ses rebondissements, le récit qu'elle transporte avec elle qui allume véritablement l'étincelle. La Joconde était relativement discrète avant son vol, mais c'est le tumulte médiatique, les scandales et le mystère de sa disparition qui l'ont propulsée au rang d'icône mondiale. Parfois, il faut savoir sortir du cadre. C'est un mauvais jeu de nom. La prochaine fois que vous contemplez une sculpture ou un tableau, demandez-vous, quelles mains l'ont portée ? quelles épreuves l'ont façonné et quelles histoires se cachent derrière sa surface. Et si vous-même peignez, sculptez ou dessinez, quelles histoires souhaitez-vous offrir au monde ? Quelle légende, quelle émotion ou quel voyage voulez-vous que votre œuvre raconte bien après que les pinceaux se soient tus ? Et puis en parlant de laisser un message, si le cœur vous en dit, n'oubliez pas de laisser un commentaire ou un avis positif sur ce podcast. Merci pour votre écoute et à la semaine prochaine pour une nouvelle anecdote croustillante sur l'histoire de l'art et du design. Générique