Speaker #1Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast du Grand Art, le podcast qui s'intéresse aux petites histoires qui ont fait la grande. Aujourd'hui, j'aimerais vous proposer une petite expérience sensorielle. Allez-y, fermez les yeux. Et maintenant, imaginez que vous flottez, littéralement. Votre bras en suspension, la cuillère avec laquelle vous touillez votre café, elle vole au ralenti comme une ballerine paresseuse. Et votre café lui-même... Eh bien, il a décidé de s'évader en petite bulle sphérique qui gigote dans tous les sens. Bienvenue dans l'espace. Ou plus exactement, dans la galère du design en apesanteur. Et oui, si vous pensiez qu'il suffisait de jeter les bagages dans la navette pour partir en voyage spatial, vous vous trompez. Le moindre objet, le plus banal qui soit sur Terre, devient là-haut un véritable casse-tête. Et vous allez voir que les ingénieurs de la NASA sont parfois plus proches d'un designer de chez Ikea que d'un physicien quantique. Ça vous intrigue ? Ça tombe bien, c'est notre anecdote du jour. Houston, on a un problème, le design en apesanteur. Nous sommes le 3 novembre 1957 à Baïkonour au Kazakhstan. Laïka, une gentille petite chienne errante recueillie dans les rues de Moscou il y a quelques années, est toute engoncée dans une drôle de tenue spatiale conçue sur mesure. Elle n'en a... aucune idée, mais elle s'apprête à devenir le premier être vivant à se rendre dans l'espace. Laïka a suivi un programme d'entraînement très intense après avoir été sélectionnée sur deux critères principaux. Premier critère, elle est docile comme tout et accepte gentiment les consignes des scientifiques. Deuxième critère, c'est une femelle. Elle ne lève pas la pâte pour uriner, on conclut donc qu'elle prendra moins de place qu'un mâle dans la navette, ce qui permet d'optimiser l'engin. Les gens pensent que la célébrité c'est extraordinaire. Alors certes, il y a plein de trucs super sympas qu'on vit, mais la célébrité pure et dure, c'est archi dur. Il y a tout juste un mois, Spoutnik 1 a permis de vérifier que Newton disait vrai. Le satellite, lancé avec grande vitesse horizontalement, est resté en orbite autour de la Terre. En fait, il tombait constamment sans jamais toucher le sol. Avec Spoutnik 2, l'ICA apporte au monde une découverte incroyable. Oui, les mammifères peuvent aller dans l'espace et survivre. Enfin... Au moins quelques heures. Mais bon bref, il n'en faut pas plus pour enthousiasmer les scientifiques de l'URSS. Bon allez, maintenant il faut absolument qu'on passe à l'étape supérieure et qu'on envoie un humain. Sauf que si on envoie un être humain, ce serait bien qu'on fasse en sorte que l'habitacle soit vivable cette fois-ci. Je sais que les chances de difficultés sont beaucoup plus importantes que les chances de succès. C'est alors qu'une équipe de designers et d'ingénieurs et est organisée pour concevoir les objets que la future star des étoiles, Yuri Gargarine, utilisera au quotidien. Mais la question c'est, comment peut-on concevoir des objets pour un environnement que l'on n'a jamais connu ? Eh bien en adoptant une organisation de travail unique entre architectes, designers, agenceurs, astronomes, mathématiciens, physiciens et même artistes. En listant une à une les contraintes de l'environnement et en s'y adaptant. Et c'est ce qui se met en place en URSS, mais aussi du côté des Américains à la NASA. La contrainte numéro un à laquelle font face les astronautes, c'est bien entendu l'absence de gravité. Pour que les astronautes tiennent pendant leur sommeil et que les objets ne flottent pas n'importe comment partout dans la navette, on envisage plusieurs solutions. Dans le cadre des expéditions Spoutnik, Si nous n'avons pas d'archives qui décrivent explicitement les techniques employées, nous avons tout de même plusieurs hypothèses. On pense que ce sont des colliers et des attaches par fil métallique qui étaient utilisés, mais peut-être aussi des systèmes de clips et de fixations mécaniques, voire carrément des agrafes et des crochets en ce qui concerne les câbles et les instruments de mesure. C'est dans les années 1960 qu'un matériau révolutionnaire change la donne à la NASA, le velcro. Un jour, en rentrant d'une balade avec son chien, Un ingénieur suisse répondant au nom de Georges de Maestral se tire les cheveux. Ou plutôt, il tire les poils de son toutou. En fait, ce dernier est recouvert de petites boules de bardane. Cette plante, dont les fleurs sont hyper adhésives, est une tannée à enlever des pantalons et du pelage des animaux. Georges décide de passer la plante au microscope et il réalise que ce qui fait l'adhérence de la bardane, c'est sa conception double face. Une face de crochet et une face de bouclette. Les deux réunis ensemble. assure une parfaite accroche. Il développe le même système à partir de velours et de crochets. Vel, cro, qui deviendra par la suite le velcro. Et mon nom restera gravé à tout jamais dans le... Marbre de l'histoire. J'adore quand tu dis ça, j'adore ! Tu le dis bien ! C'est en tout cas ce que se disent les designers et ingénieurs de la NASA qui passent commande auprès de Georges, jusqu'alors inconnu, et rendent le velcro populaire dans le monde entier. Bon, sécurité des astronautes ? Check. Stabilité des corps flottants ? Check. Il est maintenant l'heure de passer à table. Or, la nourriture et les boissons, en apesanteur, c'est toute une histoire. Pour simplifier au maximum l'alimentation des aventuriers, les équipes de préparation optent pour de la nourriture sous vide à aspirer avec des pailles. Cela permet de veiller à ce que les apports nutritionnels soient suffisants et que les utilisateurs n'en mettent pas partout. « Allez donc, t'es un sacré négueulasse toi ! Tu bouffes la salofane avec ! » L'autre problème, c'est que les liquides ne s'écoulent pas comme sur Terre. Si vous buvez du café par exemple, le contenu de votre tas s'agglutine en une boule liquide flottante et vous devez lui courir après, enfin lui flotter après, pour la gober. Pas très amusant, surtout dès le réveil. C'est en tout cas l'opinion de Donald Pettit, un astronaute inventeur américain. En 2008, lors de la mission STS-126, Donald n'en peut plus de se farcir des journées de labo dans le vide intersidéral, sans son hectare favori. Il veut son jus de chaussettes americano. T'es sûr que tu veux un café ? T'es déjà très nerveux ! Il décide alors de prendre en main la situation. Depuis la station spatiale, il conçoit et fabrique une tasse à café spéciale avec des petits canaux capillaires qui guident automatiquement le café vers les lèvres de l'utilisateur. Tout ça sans moteur, sans pont. Juste un peu de design et de physique. Poétique, non ? Ah, il suffisait d'y penser. En tout cas, bien plus que le prochain objet design dont nous allons parler, les pipi-rooms de l'espace. Bon, allez là, s'asseoir. On s'en va. Tu prends ton manteau, on s'en va. Si, tu prends ton manteau, on s'en va. Eh oui, chers auditeurs, sachez que la digestion est plus forte que la gravité. Donc dans l'espace, il faut bien évidemment écouter son corps et son deuxième cerveau. Sauf que, pour parler techniquement, au milieu des étoiles, rien ne tombe dans la cuvette. L'équipe de designers en charge du projet réfléchit donc à une solution et vient rapidement à la conclusion qu'il faut mettre en place un système d'aspiration. Mais il faut que l'aspiration soit suffisamment puissante et surtout que les astronautes soient, excusez-moi de le dire, les plus précis possibles. Oui, la précision est capitale et les ingénieurs l'ont bien compris. Les toilettes de l'ISS sont équipées de repose-cuisses, de sangles et même d'une petite caméra d'entraînement pour vérifier son alignement parfait avant le jour du décollage. Et action ! Oui, oui, il y a vraiment des cours de visée spatiale. En clair, pas de sanitaire sur mesure, mais un combo d'aspiration high-tech et de gymnastique, disons, très personnel. Enfin bon, passons sur ce sujet tabou mais hautement important. N'oublions pas que les astronautes, avant d'être des chevaliers du ciel, sont des scientifiques venus accomplir des tests et mesurer des résultats. Cela signifie donc qu'ils doivent prendre des notes. Or, pour faire couler l'encre d'un stylo, il faut une certaine gravité. Une légende urbaine raconte que la NASA aurait dépensé des millions de dollars pour créer un stylo qui écrit en apesanteur. Alors que les Russes, hop, Yuri Gagarin est parti avec un crayon à papier. La vérité est un petit peu plus nuancée et un chouïa moins drôle. Les crayons, c'est inflammable et ça laisse des copeaux. pas idéal dans une boîte d'oxygène pressurisée. Alors oui, un stylo spécial a bien été conçu, mais par une entreprise privée qui l'a ensuite vendu aux Américains et aux Russes. À moins de tomber sur un laveur, je vois pas comment on peut passer à côté de l'arnaque. En réalité, je pourrais réaliser un épisode de plusieurs heures sur le design spatial tant les inventions géniales sont nombreuses. L'installation de filets anti-miettes volantes, jeux de société Velcro pour passer le temps ou encore canettes de bière à mousse ultra-intense, l'imagination humaine ne connaît aucune limite. C'est peut-être ça l'imagination. Si la course aux étoiles a effrayé les gouvernements, elle a avant tout fait rêver toute une génération d'enfants, challengés des designers qui ont dû imaginer des objets pour un monde qui leur était inconnu. Pourquoi dans la masse des beautés possibles, ai-je été sensible à sa beauté ? Elle a tellement secoué le monde qu'elle a même donné naissance à un mouvement artistique dans les années 1960, le Space Age. Alors, que retenir du design en apesanteur ? Eh bien qu'en fait, il n'y a rien de plus complexe que la simplicité. Les objets qui nous entourent au quotidien peuvent sembler d'un banal qui frise l'ennui, et pourtant, il fallait bien y penser. C'est vraiment quand on songe au travail titanesque nécessaire pour tout adapter à un nouveau monde que l'on s'en rend compte. Alors que sur notre bonne vieille terre ferme, tout nous paraît si simple. Je parie que vous ne vous êtes jamais exclamé « purée, mais le diamètre du stylobique est quand même parfaitement étudié ! » ou que vous n'avez jamais remarqué que, quel que soit le lieu ou l'édifice dans lequel vous vous trouvez, c'est toujours exactement le même nombre de marches qui séparent deux étages. et que ces marches ont toutes exactement la même hauteur. Et que vous commencez toujours par les montées du même pied, sans vous en rendre compte. C'est toute la magie du design. Malheureusement, si le design bien exécuté en devient imperceptible, il reste encore trop souvent exclusivement adapté aux personnes valides. Les personnes en situation de handicap sont quotidiennement confrontées à des conceptions franchement mal fichues. Comme si on les excluait du monde. Et des exemples, il y en a des milliers. Mais ça, il me semble nécessaire d'en faire au moins un épisode complet. en donnant la parole aux premiers concernés. À suivre. D'ici là, regardez les étoiles et n'oubliez pas de rêver. Et si jamais vous voulez nous soutenir, n'hésitez pas à nous laisser un avis ou un commentaire sur votre plateforme d'écoute préférée. Je vous remercie pour votre écoute et vous dis à la semaine prochaine pour de nouvelles anecdotes croustillantes sur l'art et le design.