- SG
Bonjour, bienvenue sur Éc(h)os de Territoires, le podcast inspirant de la Convention des Entreprises pour le Climat qui donne la parole aux acteurs engagés et passionnés qui construisent l'économie régénérative de demain. Je suis Stéphane Gonzalès, alumni de la promotion 2023 et je vous emmène sur les territoires du bassin lyonnais et des Alpes à la rencontre de dirigeantes et de dirigeants qui contribuent à dessiner les contours d'un avenir durable. Et aujourd'hui, j'ai la chance de vous partager le témoignage du dirigeant d'une belle entreprise historique de Savoie, c'est quand même 1844, alors je suis retombé dans mes cours d'histoire, c'est quand même Louis-Philippe je crois, c'était un roi. Et cette société c'est Alpina Savoie qui est le plus ancien semoulier pastier de France quand même, c'est pas rien, et son dirigeant, c'est Nicolas Guize, avec qui nous allons échanger sur son engagement vers l'économie dite régénérative. Alors Nicolas, bonjour.
- NG
Bonjour Stéphane.
- SG
Bon, je te propose qu'on se tutoie, ça sera plus simple. Moi, je suis vraiment ravi de t'accueillir dans ce podcast, parce que c'est vrai que vous, quand on parle souvent du champ à l'assiette, on est vraiment là-dedans et il y a plein de sujets qui vont nous intéresser. Donc, on va dérouler un peu la feuille de route, une feuille de route que vous avez pensée sur 10 ans. Alors quand on est une PME ou une ETI, c'est quand même compliqué, 10 ans surtout. L'actualité qui est qui est mouvante, donc une transformation profonde au service du vivant, du climat, des humains et des territoires. Donc en fait, je vais juste citer les quatre leviers, puis on y reviendra. C'est V comme végétaliser, donc promouvoir une cuisine végétale française. R comme régénérer, donc contribuer à une agriculture française et régénérative. A comme aménager, développer un site contributeur à son écosystème urbain. Alors là, tu nous expliqueras, j'imagine que ça c'est plutôt la production. Et puis I comme impliquer, on sait que ça c'est compliqué, c'est permettre à tous de s'épanouir durablement dans l'entreprise. On va parler des collaborateurs. Donc un projet qui touche à la santé des sols, à la souveraineté alimentaire, mais aussi à l'épanouissement des équipes et à la résilience des territoires. Donc vraiment, tu coches honnêtement toutes les cases. Alors ce que je te propose pour démarrer, déjà, c'est que tu nous présentes Alpina Savoie.
- NG
Oui, très bien. Donc Alpina Savoie, comme tu l'as dit, c'est le plus ancien pastier français, fondé en 1844. Ça a été une famille pendant six générations, la famille Chiron, puis il y a eu d'ailleurs la famille Richard aussi, puisqu'il y a eu la fusion de deux entreprises vers les années 2000. Et c'est ce qui a fait Alpina Savoie, parce qu'il y avait Croix de Savoie d'un côté et Alpina de l'autre, et c'est Alpina Savoie. Et donc, c'est quoi un pastier ? On a en fait un double métier, un métier de première transformation, puisqu'on a un moulin. Et dans ce moulin, on transforme du blé dur en semoule de blé dur. Dans le langage commun, on croit que la semoule, c'est le couscous, mais chez nous, la semoule, c'est un tout petit grain un peu comme de la farine, voilà et c'est ça la semoule de Bédure et on a la chance d'avoir un moulin, il n'y en a que 5 en France donc c'est assez rare. Et ensuite on a une usine dans laquelle on transforme cette semoule en pâte, en couscous ou en spécialité comme les crozets.
- SG
Voilà ce que j'allais te dire,on connait les crozets, c'est bon !
- NG
Voilà on est très connu pour les crozets mais c'est finalement une assez petite partie de notre activité. puisque on fait beaucoup plus de pâtes et de couscous que de croissants. Sans faire un cours sur les pâtes, il y a un truc important, c'est que les gens pensent souvent qu'il y a des tas de choses dans les pâtes, notamment des œufs, et en fait dans la grande majorité des pâtes, à peu près 90 % des pâtes consommées, il n'y a que de la semoule. C'est vraiment un produit extrêmement simple, alors pas forcément simple à fabriquer, mais en tout cas extrêmement pur dans sa structure, dans sa composition, puisque ce n'est que du blé dur. Et donc, ce qui est hyper important avec l'existence de ce moulin, et d'ailleurs ça a été l'origine de l'entreprise en 1844, c'était au départ un moulin, et bien on a évidemment ce lien avec le monde agricole depuis toujours. Puisque quand on est première transformation, on achète du blé aux stockers qui sont des coopératives privées, et donc on a un lien avec le monde agricole très tôt, et ça c'est la grande spécificité d'Alpina, c'est que Ça fait 30 ans qu'il y a eu une démarche engagée pour se dire, tiens, puisqu'on a un lien avec ce monde agricole, qu'est-ce qu'on leur demande ? Et alors, on ne parlait évidemment pas d'agriculture régénérative, très loin de là, mais on parlait d'agriculture raisonnée, déjà il y a pas mal de temps. Bon, après je reviens un tout petit peu sur Alpina. Aujourd'hui, c'est 170 collaborateurs. C'est des produits qui sont vendus pour l'essentiel en France. Des produits qui sont 100 % matières premières agricoles françaises. Ce n'est pas que local, parce que le blé dur, c'est une céréale qui a besoin d'ensoleillement. C'est une céréale historiquement qui est plutôt dans le sud du pays, notamment la vallée du Rhône et le sud-ouest. Maintenant, avec le réchauffement climatique, ça remonte un peu. Mais en tout cas, autour de Chambéry, là où on est implanté, il n'y a pas de culture de blé dur. C'est du blé dur français depuis très très très longtemps, mais pas purement local. Et puis, on vend grosso modo la moitié en grande distribution, et puis une bonne partie, à 40 %, à d'autres industriels qui utilisent nos produits pour faire des taboulés, des salades de pâtes, des plats cuisinés, tout un tas de produits plus élaborés. Donc on a une certaine technicité aussi pour ça, parce que ce n'est pas tout à fait les mêmes pâtes que tous les mois on consomme chez nous. Ce sont les pâtes qui sont amenées à devoir résister un petit peu plus à des cuissons, à des sauces et des choses comme ça. Donc ce n'est pas de haute ténacité. Il y a un savoir-faire techno là-dessus.
Le savoyard, c'est normal, il est de haute ténacité, c'est logique.
Absolument, absolument. Et puis, une partie de ça part aussi à l'export, essentiellement en Europe, pour des industriels qui eux-mêmes font des pâtes cuisinées, ce qu'on appelle aussi les cups, les pâtes instantanées, dans des petites, on réchauffe avec du jus d'eau bouillante, des choses comme ça.
- SG
D'accord.
- NG
Et puis, on travaille aussi un peu avec la restauration, soit la restauration collective, soit la restauration commerciale, notamment on essaie de vendre nos gros airs dans tous les restos de la région et particulièrement en montagne, puisque c'est quand même là que c'est emblématique.
- SG
Et alors, ok, très bien. Et alors toi Nicolas, tu arrives comment dans cette entreprise qui n'est plus une entreprise familiale, tu l'as dit ?
- NG
Ouais, c'est plus une entreprise familiale, même si après il y a une question d'esprit ou pas d'esprit, c'est une entreprise, voilà, moi je... Je suis attaché à la culture d'entreprise familiale, je suis le dirigeant depuis 5 ans et donc je fais en sorte que cet esprit évidemment perdure. C'est une entreprise qui a été reprise majoritairement par le Crédit Mutuel, qui est quand même une banque française à mission, avec des engagements très importants et notamment cet engagement dans les filières. En fait, c'est ça qui les intéressait chez Alpina. C'est ce monde de l'expression très galvaudée "du champ à l'assiette". Nous, on le fait vraiment. C'est malheureusement assez galvaudé, mais notre réalité, c'est bien celle-là et c'est ça qui nous intéresse. Et donc, comment je les connais ? C'est parce que j'avais dirigé il y a quelques années, il y a pas mal d'années maintenant, une entreprise de fromage PME, aussi un peu dans la région, l'Etoile du Vercors qui faisait les Saint-Marcellin et Saint-Félicien. Et quand mon actionnaire majoritaire, qui était une famille, avait décidé de vendre, j'avais essayé de racheter cette entreprise. Et à ce moment-là, j'avais fait appel au Crédit Mutuel pour m'aider à racheter. Bon, ça s'est pas fait, parce qu'un grand groupe français très réputé a mis la main dessus. Mais voilà, on a à ce moment-là créé une relation, qui a duré pendant des années, après j'ai été faire d'autres choses, mais le mien a été conservé et puis quand ils sont arrivés chez Alpina, ils ont pensé à moi, ils m'ont passé un petit fil, ils m'ont dit « qu'est-ce que tu en penses ? » . Donc j'anticipe peut-être la question, mais c'est important parce qu'à ce moment-là, et donc ce n'est pas vieux et c'est là où les choses me paraissent incroyables, donc c'était il y a 5 ans et demi on va dire qu'ils ont fait appel à moi. Et à ce moment-là, j'avais regardé une autre entreprise dans la viande et des choses comme ça. Je suis quand même maintenant impliqué dans l'agroalimentaire depuis de longues années. Et puis, j'ai vu Alpina comme une entreprise qui coché un certain nombre de cases, mais dans ma tête, ce n'était que des cases business. C'est-à-dire le végétal, c'est bien parce que c'est tendance, ça se développe. Je n'y voyais aucune dimension sur les aspects régénératifs, sur les aspects environnementaux, c'était incroyable. Et puis, en arrivant dans l'entreprise, j'ai découvert, et petit à petit, ça a infusé dans mes veines grâce à l'entreprise.
- SG
D'accord. Rentrons dans le vif du sujet, alors le régénératif. Quand est-ce que tu en as entendu parler ? C'était quoi pour toi avant la CEC ?
- NG
Alors, j'ai du mal à savoir si j'en ai entendu parler avant la CEC. Probablement pas, mais on commençait peut-être un petit peu à en parler justement en interne sur nos sujets avec les filières. On a ce qu'on appelle des filières Alpina où on a des cahiers des charges avec les agriculteurs partenaires. Et donc, ça fait 30 ans qu'il y a d'abord des filières bio, ensuite il y a des filières conventionnelles sur lesquelles on a mis au départ des critères, comme je disais, l'agriculture raisonnée avec... C'était "moisson d'or" avec une recherche de couleur pour que les pâtes soient bien dorées et bien appétissantes. Voilà, donc ça c'était il y a 30 ans. Et puis petit à petit, il y a eu tout un tas de démarches où l'entreprise, bien avant moi, avait pris conscience qu'il y avait des impacts sur le sol, le cycle de l'eau, l'utilisation de phytosanitaires, l'utilisation d'engrais aussi, parce que, évidemment, les engrais, on sait, ont un poids important dans les gaz à effet de serre, parce que le blédur est une céréale qui a besoin d'être pas mal boostée par des matières azotées. Et donc, il y avait déjà eu des réflexions pour se dire, mais au fond, est-ce que c'est nécessaire d'en mettre autant ? Est-ce que c'est nécessairement des engrais chimiques ou est-ce qu'il peut y avoir des apports azotés plus naturels ? Donc, il y avait déjà des réflexions sur des rotations culturales avec des légumes mineuses notamment. Voilà, donc c'était déjà un peu dans l'entreprise. Je ne saurais pas te dire si ce terme régénératif, je l'ai entendu la première fois à la CEC ou dans l'entreprise, je ne sais plus.
- SG
Alors du coup, qu'est-ce qui vous... qui te pousse à faire la CEC finalement ? Vous étiez déjà bien avancé sur beaucoup de sujets.
- NG
Alors, qu'est-ce qui m'a poussé ? Sachant qu'en plus, on a eu des sujets, nous, de gouvernance interne avec nos actionnaires où il y a eu quelques changements. Donc, en 2023, ça a été très secoué. Et pour autant, j'ai fait la rencontre de Guillaume Herisson, du groupe Ares, qui m'a parlé de la CEC. Et puis j'ai reconnecté avec un vieux copain de prépa qui était passé chez Limagrain et qui est maintenant très impliqué dans la CEC, Damien Bourgarelle. Et tous les deux m'ont dit, écoute, c'est super ce que vous faites chez Alpina, mais il faut absolument que vous alliez plus loin et puis il faut que vous travailliez en écosystème. Donc, fais la CEC. Et puis à ce moment-là, moi franchement, ce n'était vraiment pas le moment. J'ai quand même pris un contact pour me renseigner puisqu'ils m'ont vraiment, enfin ils ne m'ont pas dit ça sur le thème, fais-le c'est un ordre, mais évidemment ils m'ont expliqué à quel point ils trouvaient ça formidable. Et donc j'ai pris un contact et j'ai dit voilà, je suis hyper intéressé, mais on n'a pas le temps nous en ce moment, ce n'est pas possible, je suis pourtant souvent pour telle ou telle raison, donc voilà je vous renseigne mais je voudrais m'inscrire au cycle d'après. Et là, les formidables organisateurs de la CEC, et puis en plus, si ça se trouve, c'était peut-être vrai, mais en tout cas, m'ont vendu du marketing de la pénurie, me disant, si tu ne le fais pas maintenant, peut-être que tu ne pourras jamais le faire. Et donc, voilà, j'ai plongé, même si ce n'était pas le moment, mais finalement, je n'ai évidemment pas regretté.
- SG
Bon, alors, tu as plongé, je pense que c'est le bon mot. Alors, comment ça se passe ces trois premiers jours ? Est-ce que tu plonges ? Enfin, ces deux premiers jours, tu plonges, comment tu vis le mur, entre guillemets ?
- NG
Alors d'abord chez nous, il a fallu choisir qui était le deuxième qui participait avec moi. Et là, c'est quand même assez symptomatique chez Alpina, c'est qu'il y avait plus de demandes que de places. C'est-à-dire que dans le comité de direction, il y avait trois personnes qui avaient envie de faire la CEC à mes côtés. Et donc, c'est bien la preuve qu'on est une entreprise qui a notamment attiré des talents, et évidemment je m'exclus, j'ai expliqué pourquoi moi j'étais mieux, mais qui a attiré des talents sur ces thèmes-là, vraiment. Et donc, d'abord, il a fallu qu'on choisisse qui m'accompagnerait. Et puis, la première session, en kick-off, on nous avait tellement dit que ça nous secourait à fond, que ça a été le cas mais pas tant que ça. Très honnêtement, peut-être qu'on... on avait un petit peu plus d'infos que la promo d'avant, on avait été un petit peu plus sensibilisés. Et puis quand on te dit « attention, attention, attention, ça va faire mal » , de fait, tu es probablement un peu plus préparé physiquement et psychologiquement. Et donc, ça a secoué, mais pas autant que ça. Moi, j'ai été beaucoup plus secoué par la deuxième session et par ce qui a ouvert avec Arthur Keller. Et là, je me suis pris deux heures de coup de poing dans le ventre je vais vraiment senti comme ça avec le souffle coupé avec je suis sorti comme si je sortais d'un ring de boxe après. Ça ça m'avait ça ça m'a énormément secoué
C'est vrai qu'Arthur Keller il envoie justement la deuxième c'est la deuxième session pour dire ne vous endormez pas !
- SG
On rentre sur tout ce travail que vous avez effectué alors si tu peux nous parler un peu ta feuille de route justement les sursauts, les leviers ?
- NG
La feuille de route, un tout petit peu dans la démarche déjà. On avait en parallèle mené quelque chose sur la CSRD et donc on essayait de concilier ambition sans limite de la CSC et puis obligation très terre-à-terre de la CSRD. Alors donc, on a eu ces petits allers-retours pas simples, mais bon, finalement assez utiles parce que ça permet aussi… un peu plus pragmatique parfois et de rentrer un petit peu dans le concret grâce à la CSRD. Il se trouve que la CSRD, on l'a abandonnée en cours de route parce que c'est globalement tombé à l'eau et que c'était quand même un mécanisme pour une entreprise de notre taille extrêmement lourd, enfin même si on était impliqué. Et donc, oui, chez Alpina, on a un centre de valeur, on avait déjà travaillé sur notre raison d'être, sur nos valeurs et tout ça et chez nous. L'authenticité c'est quelque chose d'extrêmement important l'authenticité parce que pour l'essentiel un produit comme je te disais extrêmement dur du blé dur et les crozets c'est pas beaucoup différent de ça il y a juste en plus des oeufs et du blé tendre ou du sarrasin voilà c'est très simple comme produit donc l'authenticité et donc notre signature de marque c'est "cultivons le vrai", puisque on cultive évidemment, c'est l'image de l'agriculture et aussi de ce que nous, on cultive chez nous comme valeurs et donc le vrai. Et puis, je ne sais plus dans quel sens ça s'est fait. Alors, je rends hommage à Mathieu Glorieux, notre Planet Champion, qui s'est dit, il faut qu'on ait quelque chose qui puisse s'accrocher les esprits, surtout en interne. Et donc, on a utilisé ces quatre lettres pour notre feuille de route. Alors. Alors, ça s'est fait évidemment, pas dans ce sens-là, mais bon, bref. Et donc, en tout cas, on arrive à bien retenir nos quatre piliers. Et les quatre piliers, c'est, comme tu l'as dit tout à l'heure, la végétalisation, puisque on sait qu'à la fois pour la santé et pour la santé de la planète, on mange trop de protéines animales et pas assez de protéines végétales. Donc, on est à deux tiers à tiers et il faut être idéalement à 50-50. Et donc, nos produits sont évidemment purement végétaux, petite exception de quelques œufs dans les crozets, mais voilà, en tout cas c'est végétarien, promouvoir cette cuisine végétale, promouvoir des solutions simples, promouvoir des applications différentes, à la fois chez soi ou hors domicile, voilà, ça c'est évidemment un de nos axes très importants. Et puis essayer aussi d'améliorer les apports en protéines végétales à l'intérieur de nos produits. Je fais un tout petit aparté là-dessus. Les pâtes, il y a 20 ans, c'était le produit plaisir qu'il fallait éviter quand on voulait manger sainement. On disait, tu fais un régime, surtout tu arrêtes tes pâtes. Aujourd'hui, ça a pas mal changé quand même, même s'il y a encore des gens qui disent, oui, c'est mieux quand c'est semi-complet-complet ou des choses comme ça. Mais en tout cas, les pâtes, c'est certains féculents, avec des glucides, mais c'est des glucides complexes. Ce sont des choses qui ne sont pas ultra transformées. C'est quand même évidemment assez simple. La question est qu'est-ce qu'on mange avec les pâtes ? Si on mange des tonnes de ketchup et une montagne de fromage râpé, évidemment, ce n'est pas tout à fait pareil. Mais les pâtes elles-mêmes avec un filet d'huile d'olive, c'est relativement bon. En tout cas, on a besoin d'apport énergétique dans sa diète personnelle. Les pâtes sont un produit végétal. et puis on a aussi réfléchi à... parce qu'il y a un taux protéique qui n'est pas énorme dans les pâtes et comment on essaye d'améliorer un peu ça. Ça, ça avait été lancé un peu avant la CEC, mais en tout cas, on a fait des mélanges de blé dur et de pois chiches, dans cet esprit justement d'améliorer les apports en acides aminés dans les pâtes et aussi d'essayer de commencer ou d'inciter cette rotation culturale. et la valorisation de la culture du pois chiche dans les champs qui produisent aussi notre blé dur, parce que c'est des apports de matières azotées naturelles, et ça limite les engrais chimiques. Donc voilà, c'est assez vertueux à la fois sur le plan agricole et puis sur le plan de la santé.
- SG
J'ai une question qui me vient parce qu'en fait, il faut du blé, il faut produire. Est-ce qu'il n'y a pas un risque avec ce réchauffement climatique finalement que les produits augmentent ou qu'il n'y ait pas assez de production ? Est-ce que ça c'est quelque chose sur lequel vous travaillez ?
- NG
Alors, c'est pas tant le réchauffement climatique parce que paradoxalement, le réchauffement climatique augmente la surface en France, sur laquelle on peut faire du blé dur. C'est-à-dire qu'avant, on ne pouvait pas faire du blé dur dans le centre ou le Sud-Beauce et maintenant, on peut. Donc, c'est presque plutôt, entre guillemets, une opportunité, si ce n'est que oui, je vais quand même très fortement compter ce que je viens de dire, pardon, parce que c'est plutôt les aléas climatiques qui posent un problème. C'est-à-dire que En fait, le blé dur, il a besoin de soleil à des moments, d'un peu de pluie à des moments, et il n'a pas besoin d'une énorme canicule, et puis après, des énormes trombes d'eau, évidemment, ça c'est très mauvais pour la culture des céréales d'une manière générale. Et donc les aléas climatiques sont un problème, et d'autant plus que c'est une céréale pas facile, qui est soumise à un certain nombre de maladies potentielles, notamment en fin de croissance, peu avant la moisson. Et du coup, il y a un certain nombre de paysans qui se disent, oui, mais le blé dur, d'abord, il faut mettre notamment un peu d'azote dans les champs et ça coûte de l'argent, c'est de la trésorerie et puis ensuite on n'est pas sûr du résultat. Donc c'est une céréale qui est bien payée par exemple par rapport à du blé tendre ou de l'orge quand elle fonctionne bien, mais si elle fonctionne mal elle est très fortement déclassée. Donc il y a un risque un peu plus - par rapport à d'autres céréales - un peu plus élevé et les aléas climatiques augmentent ce risque. Et donc oui ça c'est une question et d'ailleurs il y a une démarche là-dessus. mais qui est de tous les pastiers français collectifs pour essayer de dynamiser la culture du blé dur et puis participer aussi à la recherche variétale sur les nouvelles semences qui soient plus adaptées justement à ces aléas climatiques et qui soient moins gourmands, notamment en engrais. Et comme c'est une petite céréale mondialement, il y a assez peu de recherche. et donc on se bat pour qu'il y ait à nouveau des efforts qui soient faits pour avoir des semences mieux adaptées à ces changements.
- SG
Ce qui fait qu'on peut passer au deuxième pilier, c'est le R, comme régénérer. Quand vous avez contribué à une agriculture française et régénérative, c'est vrai que votre impact par rapport à nos agriculteurs, nos paysans, peu importe comment on les appelle, il est fort quand même.
- NG
Oui, bien sûr, bien sûr. on transforme des dizaines de milliers de tonnes de blé dans notre moulin et puis après dans notre usine. Donc il y a un impact, alors il est fort, on n'est pas le leader français, mais à notre petite échelle, on dit qu'il y a 12 000 hectares à peu près de champs qui produisent tous les ans du blé dur pour nous. Donc ça commence à faire quelque chose. Et donc, oui, oui, et là-dessus, il y a un enrichissement mutuel. C'est ça qui est assez formidable. C'est vrai qu'il y a quand même, dans le monde agricole, un certain nombre de gens qui sont conscients de cette situation, y compris dans ce qu'on appelle les grandes cultures, puisque nous, c'est la grande culture, les céréales. Et donc, voilà, qui se posent des questions sur la vie des sols, sur leur impact en termes de gaz à effet de serre, en termes de pesticides, tout ça. Et donc, petit à petit, on a, depuis, comme je le disais, une trentaine d'années, élaboré des cahiers des charges. Alors, ce n'est pas nous tous seuls, parce que d'abord, on n'est pas forcément capables, et ensuite, on serait un petit peu hors sol. Donc, même si... des collaborations avec nos partenaires pour se dire mais qu'est-ce qui est faisable, dans quel temps et dans quelles conditions. Et puis évidemment, parce que la question se pose tout de suite après, comment on le rémunère ? Puisque on ne peut pas demander des efforts particuliers ou faire prendre des… Quand on demande de limiter les pesticides par exemple ou de les enlever complètement, évidemment les risques de présence de ravageurs sont plus élevés et donc le risque que les moissons soient déclassées est plus fort. Donc évidemment, il faut payer aussi ce risque-là. Et donc, on a mis en place des cahiers des charges, mais qui sont, je dirais, assez évolutifs. Et puis surtout, maintenant, ce qui est un gros enjeu, c'est d'avoir les informations, en fait, la fameuse data agricole, parce que sans mesures concrètes des impacts des choix qu'on fait, en fait, on n'avance pas. Donc, il faut évidemment mesurer tout un tas de paramètres, notamment, on essaye de limiter, évidemment, le labour, c'est un point hyper important, donc le nombre de passages, la profondeur des passages, tout ça, c'est des éléments qu'on essaye de tracer avec nos partenaires pour progresser collectivement sur ces sujets-là.
- SG
D'accord, et quand tu dis nos partenaires, c'est quoi votre relation avec, par exemple, à côté de chez vous, avec vos agriculteurs ? Vous les connaissez ou vous les partagez ?
- NG
Alors, il y en a quelques-uns qu'on connaît individuellement, mais ce n'est pas très nombreux. On connaît. Alors nous, on travaille avec plutôt des petites coopératives ou des petits privés qu'on appelle organismes stockers. Les organismes stockers, ils ne sont pas des coopératives, mais ils ont… Ils jouent le rôle de logisticiens acheteurs et puis prescripteurs pour les gens dont ils collectent. Ils ont les silos, parce qu'on ne peut pas stocker tout le blé toute l'année. Soit on s'adresse à ces coopératives, et c'est plutôt des acteurs, même si ça se concentre évidemment un peu comme partout, mais ce ne sont pas les géants de la coopération avec l'école. Et donc, ce sont des gens avec qui on arrive à avoir des échanges. donc c'est avec eux qu'on parle et puis de temps en temps évidemment ça redescend un peu plus dans les champs en direct mais je dirais c'est quand même avec ce biais de ces cops et organismes stocker qu'on élabore nos feuilles de route.
- SG
Le point suivant c'est le A comme aménager.
- NG
Oui, aménagé. Là, à un moment, à la CEC, j'ai... Tu sais, il y a toutes ces démarches tête, corps, cœur. Et à un moment, je ne sais plus dans quel exercice, j'ai rêvé. On nous incitait à rêver. Et nous, on a un site industriel où je suis là, qui est périurbain. Et puis, il y a quelques feuilles, il y a quelques herbes courantes et puis voilà ça fait quand même pas rêver et et en plus dans la dans l'agroalimentaire on a des sujets évidemment de d'animaux ou d'insectes mais non désirables indésirables. Sur notre sur notre moulin il y a un certain nombre de pigeons qui volent régulièrement et on essaye de s'en débarrasser parce que c'est... Sur le plan de l'hygiène, même s'il n'y a aucun risque, je rassure les consommateurs, mais on est vigilant à ça. Ensuite, il y a toujours un peu des insectes qui viennent et qui essayent de rentrer chez nous. Donc, on fait la chasse aux insectes en permanence. Et puis, il y a des petits rongeurs qui sont autour du site et qui essayent de rentrer pour se nourrir de notre blé. Voilà, donc tout ça, c'est des choses. Et donc, j'ai eu un moment, une espèce de rêve d'un site à la fois beau, plein de biodiversité, et puis avec aussi des chaînes alimentaires qui nous aideraient directement sans qu'on ait besoin de piéger les petites souris. Alors, on met zéro insecticide, je rassure tout le monde de la Russie, mais on a moins besoin de se donner beaucoup de mal contre les insectes et tout. C'est d'ailleurs souvent des marqueurs de biodiversité. On parle des chauves-souris, qui sont des bons prédateurs et qui sont des très bons marqueurs de la biodiversité. Des faucons pèlerins, qui viendraient chasser un petit peu les pigeons, des chouettes ouibos qui viennent aussi chasser les rongeurs. Voilà, donc c'est un peu ça qu'on a eu comme rêve. Et donc ça, c'est le projet qui est lancé pour le coup, d'aménager tout ça. Donc c'est une sorte de vitrine, mais pas au sens péjoratif, mais de la biodiversité pour prouver que dans un site périurbain, eh bien on arrive quand même à... Et donc, on a travaillé aussi avec la LPO là-dessus. La LPO était venue faire une présentation à la CEC. On les a chopés après. On leur a dit, nous, on aimerait bien que vous nous aidiez. Donc, on a fait plusieurs séances de travail. Et ils ont fait tout un tas de recommandations sur ce qu'on pourrait faire chez nous. Ils ont déjà identifié ce qui existait. Et puis, on avance là-dessus. Et puis, le deuxième point aussi, c'est qu'on a la chance. Comme on est périurbain, il y a des avantages et des inconvénients, mais un des avantages, c'est qu'on est branché sur le chauffage urbain de Chambéry. Et ce chauffage urbain, il utilise pour l'essentiel des énergies non fossiles. Et donc, on a un partenariat et en ce moment, on investit avec eux pour encore augmenter. On est à 70 % de non fossiles et on doit augmenter à 95 % de non fossiles dans l'origine de notre énergie. Et on avait déjà eu une démarche assez poussée pour récupérer nos chaleurs fatales, ce qui sort des machines et tout ça, on a de la vapeur, donc on avait déjà fait ça pour éviter que les calories se perdent et pour chauffer les locaux, notamment grâce à ça. Et puis d'abord les technologies évolues, puis ensuite on en avait encore de disponibles, mais on ne savait pas forcément quoi en faire, et on va travailler sur un projet pour continuer à investir, pour récupérer cette chaleur fatale supplémentaire. et la réinjecter dans le chauffage urbain, pour avoir quelque chose aussi de plus simple.
- SG
Donc c'est à la fois l'extérieur de notre site qui doit être une incitation au rêve, à la beauté, à la biodiversité, à la présence de la flore et de la faune, et puis une démarche plus poussée vers le vertueux chez nous.
- NG
C'est bien, c'est le patron qui parle, mais ce patron-là, je vais parler du quatrième pilier, il faut qu'il embarque les gens parce que... J'allais dire que toi, tu as non seulement les collaborateurs, mais tu as en plus les consommateurs et puis tout l'écosystème finalement embarqué. Alors comment toi tu embarques déjà tes collaborateurs ? Puisque l'idée c'est quand même ça aussi.
- SG
Bien sûr, impliquer, c'est évidemment un gros sujet. On a été aussi assez bien sensibilisés là-dessus pendant la CEC. Parce qu'évidemment on l'a vécu comme tout le monde. C'est-à-dire qu'on était deux à prendre des claques et des coups de poing et des bonnes idées et de l'information et tout ça. Et puis, quand on revenait dans l'entreprise, on nous regardait avec des grands yeux écarquillés en nous demandant qu'est-ce qui vous arrive, vous êtes tombé sur la tête, vous êtes en train d'aller un peu loin et tout. Donc d'abord, on a embarqué les autres membres du comité de direction en leur faisant faire des mini-sessions. Et donc, ça, ça a été très utile. Et donc ça repose essentiellement sur déjà une équipe de 6 ou 7 personnes qui sont hyper convaincues, hyper impliquées. Et donc après, sur chacun des 4 piliers, on a un binôme, un binôme de la direction qui lui-même embarque des groupes de travail. Et donc en fait, on diffuse dans l'entreprise comme ça. On a fait appel à volontariat pour dire, on va travailler sur tel et tel pilier, qui est intéressé. Alors évidemment la difficulté c'est que c'est toujours un peu les mêmes dans les entreprises qui sont intéressées, les gens du marketing trouvent ça extra, les gens de la R&D, il y a un certain nombre de typologies de collaborateurs qui sont hyper motivés et puis c'est plus difficile d'aller chercher des gens sur ligne qui sont parfois assez loin de ces problématiques-là et puis qui matériellement, dans leur organisation du travail, ils ne peuvent pas se dégager une heure parce qu'on ne peut pas arrêter la ligne pour qu'ils viennent sur un groupe de travail. Donc, on a essayé quand même d'embarquer petit à petit telle ou telle personne pour qu'il y ait aussi la bonne parole qui soit partagée. Mais bon, on a fait aussi une présentation générale, je me souviens, et puis comme on a des gens qui travaillent... aussi la nuit on fait en trois fois la présentation, le matin, midi et puis le soir. Et le soir on parlait justement de la végétalisation des assiettes, on rappelait pourquoi, on expliquait parce que certains n'avaient même pas forcément encore complètement intégré ça. Et puis il y en a un qui a eu le tir du coeur qui a dit "mais une côte de bœuf c'est quand même bon !" Et alors oui c'est sûr, il a raison, on ne peut pas lui jeter la pierre. Et donc évidemment quand même... La maturité des gens sur ces sujets-là est extrêmement différente et qu'il ne s'agit pas de devenir moralisateur, de pointer du doigt et tout ça. Et donc c'est d'expliquer les équilibres et puis d'expliquer les solutions qu'on essaye de proposer. Mais c'est sûr que de toute façon c'est le sujet numéro un, l'implication des personnes, mais ça je veux dire en interne comme en externe, si on veut que les choses bougent, on peut raconter des beaux de discours, on peut porter les drapeaux en les agitant devant des foules, mais à un moment, il faut que tout le monde suive, sinon ça ne sert à rien. Oui, mais parce qu'il y a toujours une inquiétude de ce fameux greenwashing aussi, ou alors d'être trop perché en disant non mais ça, ce n'est pas pour nous, on peut raconter, ça ne marchera jamais, on est dans une entreprise, il faut qu'on soit rentable, enfin voilà, tout ce qu'on entend. Exactement.
- NG
Et puis on est tout petit, quel impact on a ? Regardez, les Américains, les Chinois, ils font mille fois, dix mille fois, cent millions de fois ce qu'on peut faire, donc ça ne sert à rien. Donc concentrons-nous sur notre effort, ne dispersons pas notre énergie et notre argent. Donnez-nous plutôt cet argent plutôt que de le mettre là. C'est tout, évidemment, tout ça, c'est un hyper grand classique.
- SG
C'est classique, oui, c'est ça, ça me fait sourire. Alors justement, si on se place à 10 ans, qu'est-ce qui fait que c'est le site le plus tangible finalement de votre réussite par rapport à votre démarche régénérative ? Bon, c'est loin 10 ans, mais quand même.
- NG
10 ans, j'espère que bien avant, on aura vraiment un beau site et qu'après, pour que la biodiversité s'installe vraiment et s'épanouisse et tout ça, ça prendra quand même quelques années. Mais je pense qu'avant ça, on aura déjà installé les éléments favorables pour que la biodiversité se développe. J'espère qu'on aura un site. Moi je n'ai pas honte de dire qu'on doit pouvoir arriver à quelque chose de neutre sur le plan carbone en interne, puisqu'on aura une énergie défossilisée quasiment complètement, et puis après avec quelques, il faut qu'on explore encore la suite, mais des panneaux photovoltaïques ou autre, on doit pouvoir y arriver. On a aussi évidemment des démarches importantes sur nos emballages, sur tous ces sujets-là, où on est déjà quand même assez avancé mais pas encore parfait, loin de là. Donc là aussi on essaye de faire des avancées régulières pour évidemment promouvoir du carton, alors là vraiment, c'est du carton avec des forêts gérées durablement, locales, de l'encre végétale, ça fait déjà un moment que c'est comme ça. Et puis on essaie de réduire les boîtes, d'enlever les petites fenêtres plastiques parce qu'il y a toujours un petit peu de plastique dans ces trucs-là. Voilà, donc tout ça c'est déjà. Mais pour revenir à ta question, qu'est-ce qui fera que dans 10 ans, on aura réussi ? Moi, je crois que c'est le quatrième pilier. C'est si on a, d'ici 10 ans, fait en sorte que, peut-être à quelques exceptions, mais que tout le monde dans l'entreprise, y compris, je répète, les gens sur ligne ou les meuniers dans le moulin qui parfois ont l'impression d'être loin de si je suis là, se disent oui je suis je suis fier d'être dans une entreprise qui a avancé sur ses engagements et peut-être j'y ai participé aussi à ma manière donc voilà, pour moi c'est ça le critère numéro un.
- SG
Du coup si tu avais un dirigeant parce que beaucoup de gens se posent la question on voit ça un petit peu comme des contraintes voilà on parle de la CSRD on parle de la RSE enfin bref voilà qu'est ce que tu lui dirais toi, dirigeant pma qui a envie de envie se lancer mais qui ne sait pas trop comment faire ?
- NG
Moi, tu m'enlèves les mots de la bouche, c'est la robustesse. Et je pense que c'est majeur quand on est, soit on est un dirigeant d'entreprise et on fait un petit passage, on est salarié pour trois ans et on se dit que là, c'est compliqué évidemment. Mais si on s'inscrit dans la durée et surtout si on pense que l'entreprise... Je suis très humble vis-à-vis d'Alpina, qui a 181 ans, j'y suis depuis 5 ans et j'y serai pas pendant les 180 prochaines années. Donc voilà, je suis évidemment un passeur et donc la responsabilité dans des entreprises comme ça, elle est assez folle. Mais moi, qu'est-ce que je dirais ? C'est de travailler la robustesse. La robustesse, aujourd'hui, c'est majeur dans la stratégie d'entreprise. C'est absolument indispensable. Alors évidemment qu'on a besoin d'être efficace, évidemment qu'on a besoin d'être performant, même si on nous a expliqué que la recherche d'efficacité c'est l'inverse de la robustesse. Mais il faut évidemment, à mon sens, avoir les deux en tête, c'est-à-dire qu'il faut se poser des questions majeures sur la robustesse. Alors nous c'est assez simple, tu l'as dit, sur le blé dur, s'il n'y a plus de blé dur en France demain, on ne pourra plus dire, tiens les pâtes françaises, parce qu'elles ne seront plus françaises. Déjà que c'est compliqué de se battre contre les Italiens ou autres. Si on n'a plus ça, je ne sais pas ce qui nous restera, très honnêtement. On a aussi un savoir-faire, pour le coup, qu'on fait perdurer, je l'expliquais, et qu'on essaie même de développer. Mais voilà, donc ces sujets de robustesse me semblent absolument cruciaux. Et donc toute entreprise, je pense, quelle qu'elle soit, peut se poser la question de sa robustesse, et même des entreprises de pur service. Parce que la robustesse, c'est attirer des talents et attirer des talents, c'est aussi réfléchir à ce que les jeunes générations ou les moins jeunes générations d'ailleurs attendent dans l'entreprise. Et ça, c'est fondamental. Et donc, on voit bien, je parlais d'implication, on voit bien l'impact qu'a un sujet qui fait rêver les collaborateurs sur leur plaisir de venir au travail. même s'ils ne peuvent pas travailler que sur ces sujets là mais mais voilà ça change complètement la relation au travail la relation à l'entreprise c'est clair alors du coup terminé
- SG
Si tu avais une baguette magique pour changer les règles les règles du jeu alors ce moment là avec dieu ils sont un peu agité ondemande même s'il ya des gens qui mettent des règles. Qu'est-ce que tu changerais toi avec ta baguette magique ?
- NG
Je ne fais pas de politique et puis si je veux me définir, je ne sais pas, je suis quand même un patron, donc voilà, ce n'est pas compliqué d'imaginer quels sont mes trompismes. Mais moi, ça fait 25 ans que je suis dans ce monde de l'agroalimentaire et de la petite industrie et ce que je trouve... fondamentalement injuste, c'est les différences de revenus entre le monde paysan et le monde ouvrier d'un côté, et le reste. Très honnêtement, on pourrait me répondre, tu n'as qu'à faire en sorte que tu gagnes mieux, et tes paysans et tes ouvriers, oui, mais c'est difficile de faire ça tout seul. Si j'avais une baguette magique, c'est ça que je changerais. C'est-à-dire que je trouve qu'il y a eu une financiarisation absolument affligeante de l'économie. Et pas que de l'économie, c'est-à-dire des métiers honteusement surpayés et des métiers honteusement sous-payés. Je pense notamment au monde agricole et au monde ouvrier. Et c'est ça que je changerais si on pouvait changer tout d'un coup, c'est-à-dire rééquilibrer un peu ce que je vois.
- SG
Ramener le capitalisme à sa juste valeur.
- NG
Et le monde du travail, parce que ce n'est pas que le capitalisme. Même dans les PME, j'ai plein de patrons de petites PME qui considèrent que leur secrétaire doit être payé(e) grassement, parce qu'ils ont à côté d'eux et que les ouvriers ont... on les schlague parce que c'est une sorte de masque. Et puis, je ne sais pas, moi, le débat sur, encore une fois, mais sur l'âge légal de la retraite, pour moi, ce n'est pas un sujet de l'âge légal. Pour moi, ce qui compte, c'est la durée de travail. Et donc, évidemment, quelqu'un qui travaille sur une chaîne, qui travaille parfois de nuit, posté. C'est logique, en tout cas, il n'y a aucune logique à ce qu'on parle d'un âge légal. Une durée de travail, oui.
- SG
OK. Et alors, qu'est-ce qui te rend confiant pour finir dans l'avenir ? Un dirigeant, il est toujours confiant en général.
- NG
Confiant, je sais pas. Optimiste, oui. Parce que d'abord, la nature est belle et la nature est puissante. La nature est ultra puissante. Moi, je m'évade régulièrement en montagne. Je suis un amoureux de la nature et donc voilà, la nature est puissante. Elle ne lâche jamais rien, elle prend ses droits, elle reprend ses droits et même si on fait depuis des dizaines et des presque centaines d'années des tas d'erreurs, voilà, elle est capable de se régénérer. Voilà, encore faut-il qu'on arrête de lui taper dessus, mais voilà, ça, ça me rend optimiste. Et puis ce qui me rend optimiste, c'est la prise de conscience des jeunes générations, évidemment. Moi, j'ai été, je ne l'ai pas dit au début, mais j'avais aussi ce sentiment qui se créait une faille importante entre mes enfants qui arrivaient à 20-25 ans et moi, il y a quelques années. Et donc, ça a été aussi ça, quand j'ai adhéré à la CEC, les premiers à qui je l'ai dit, c'est mes enfants, en leur disant « regardez ce qu'on va faire » , et tout. Et évidemment, ils ont été fiers et ça nous a rapprochés. Et donc, faire en sorte que par amour pour ses proches, on arrive à mieux prendre en considération ça. Alors, ce qui est paradoxal, c'est qu'évidemment, dans les jeunes générations, il y en a qui en ont rien à cirer. Donc là, il y a un vrai sujet pour eux, d'arriver aussi à trouver des sujets d'entente, parce que ce n'est pas simple. Mais en tout cas, on voit bien qu'il y a des moteurs forts chez un certain nombre de jeunes, et qu'il va y avoir un effet d'entraînement positif là-dessus. Et puis, comme notre génération, si on a envie que les relations perdurent, eh bien voilà, ça nous entraîne aussi.
- SG
C'est clair. Faites confiance aux jeunes. C'est notre avenir.
- NG
Non, mais oui, mais c'est incroyable parce que, un tout petit mot de plus, moi, quand je suis arrivé sur le monde du travail, j'étais d'un conformisme effarant, mais parce que... parce qu'il n'y avait pas tellement de révolutions en cours. Et là, ils ont des révolutions écologiques, ils ont des révolutions numériques, ils ont des révolutions sur tout un tas de sujets. Et donc, forcément, c'est à eux qu'il faut donner les rênes.
- SG
C'est clair. Eh bien, écoute, merci, Nicolas. On va finir sur ces bon lots. En tous les cas, c'était, comme toujours, un témoignage inspirant, réjouissant et puis de bonne humeur, dans la joie quand même. On n'est pas là pour pleurer. Je finis toujours par une citation, alors là c'est une citation de Wendell Berry qui est un écrivain, essayiste, paysan, romancier, poète, professeur, critique américain, bref non jetait plus, qui a dit « manger est un acte agricole » et je pense que ça synthétise bien ce qu'on s'est dit. En tout cas merci.
- NG
Merci beaucoup Stéphane.