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''Des maux à dire'' de Bea Lema cover
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EN ROUE LIVRES !

''Des maux à dire'' de Bea Lema

''Des maux à dire'' de Bea Lema

09min |19/05/2025
Play
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''Des maux à dire'' de Bea Lema

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Description

Il est souvent difficile d’évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires… et j’en passe. L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée dans Des maux à dire. Dès les premières planches, le ton est donné. Voici ce qu’on peut lire…

« 10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s’est éloignée du rivage.

- Maman, attends !

- Laisse-moi ! Je veux juste me jeter là et en finir !

Elle est entrée dans l’eau. Elle voulait se noyer entre les rochers... »

La concernée, la maman, c’est Adela. Elle souffre… Elle souffre d’aussi loin que sa fille, Vera, s’en souvienne. Vera décrit tout. L’état de sa maman, qui sent que le démon s’infiltre dans son crâne pour la déchirer de l’intérieur. Les liens familiaux qui se nouent puis de dénouent. La réaction du père qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère qui n’en peut plus de cette vie infernale à force de suspicion et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou des solutions alternatives. De celle de qui l’on prend soin, Vera va devenir celle qui soigne… De celle qui accepte, au début, la maladie d’Adela comme étant un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l’inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et, bien sûr, comment la guérir ?

Bea Lema raconte… en mots et en dessins bien sûr mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs presque enfantins avec d’autres, en noir et blanc, où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent brodées à la manière des arpilleras chiliennes...



Des maux à dire de Bea Lema, traduit par Jean-Marc Frémont, Éditions Sarbacane, 2023.



Extraits sonores :

  • L'Enfer de Stromae (2022), paroles et musique de Stromae

  • Extrait du sketch Lexomil et une nuit de Florence Mendez (2023)

  • Special Things de The Pointer Sisters (1980), paroles et musique d'Anita Pointer



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres,

  • Speaker #1

    de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, intérêt, mais aussi une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj. Les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui, contrairement à ce que chantent les rites à Mitsuko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris, mais pas n'importe lesquels. Spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 7, c'est parti!

  • Speaker #3

    "J'ai parfois eu des pensées suicidaires et j'en suis pas fait. On croit parfois que c'est la seule manière de les faire vivre. Ces pensées qui nous font vivre un enfer. Ces pensées qui nous font vivre un enfer."

  • Speaker #1

    Il est souvent difficile d'évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires, et j'en passe. Si Stromae a réussi à le faire dans ce morceau, ''L'Enfer'', datant de 2022, L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée. « Des maux à dire » a été publié aux éditions Sarbacane en août 2023. Dès les premières planches, le ton est donné. Et voici ce qu'on peut lire. "10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s'est éloignée du rival. « Maman, attends ! » « Laisse-moi ! » « Je veux juste me jeter là et en finir. » Elle est entrée dans l'eau. Elle voulait se noyer entre les rochers. Puis, changement de décor, c'est sur un rapport médical que nos yeux de lecteur ou de lectrice se posent. Un rapport datant de décembre 2020 qui décrit, je cite, « une personnalité prémorbide qui révèle une forte tendance paranoïaque, hypersensible, méfiante, sévère, avec un sentiment exacerbé du ridicule, têtu, et avec des jugements rigides et peu de sens de l'humour. » Rien que cela, direz-vous. La concernée, la maman, c'est Adela. Elle souffre. Elle souffre d'aussi loin que sa fille, Vera, s'en souvienne. Cette dernière avait 4 ans seulement quand Adela l'a emmenée voir une vieille dame censée la guérir. En vain, puisque la fillette finit par être hospitalisée pour soigner sa tuberculose. « C'est à cette époque-là que j'ai commencé à soupçonner qu'il arrivait quelque chose à maman » , écrit-elle. Et elle raconte... Elle raconte l'histoire d'Adela, ses délires paranoïaques qui lui font croire que son fils aîné se drogue, ou que leur voisin leur a jeté un mauvais œil. Ses angoisses continues, ses fatigues intenses, ses céphalées, ses poids à l'intérieur, sa jalousie pathologique envers son mari, qui ne comprend pas ce qui se passe et qui se persuade que sa femme fait un petit caprice. Or, c'était loin d'en être un. "Papa disait qu'elle était malade des nerfs, mais pour elle, il s'agissait d'un autre type de mal. Elle pensait qu'un démon avait pris possession de son corps. Le démon l'a touché, lui a attrapé le ventre, le visage, ne lui laissant aucun répit. Et il l'a cloué au lit pendant plusieurs jours. Comme il nous surveillait en permanence, nous ne devions pas faire de bruit." Vera décrit tout. L'état de sa maman, qui sent que le démon s'infiltre dans son crâne pour la déchirer de l'intérieur. Les liens familiaux, qui se nouent, puis se dénouent. La réaction du père, qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère, qui n'en peut plus de cette vie infernale à force de suspicions et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou par des solutions alternatives. Adela va de spécialistes à charlatans, sous les yeux de Vera qui grandit, se construit. Petite fille, adolescente, puis adulte. De celle de qui l'on prend soin, elle va devenir celle qui soigne. De celle qui accepte au début la maladie d'Adela comme étant l'un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l'inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et bien sûr, comment la guérir ? Parce que, alerte spoiler, la maladie mentale peut parfois être guérie ou au moins être soulagée. Comme le dit l'humoriste belge Florence Mendez, elle-même atteinte d'un trouble du spectre autistique.

  • Speaker #4

    "De toute façon, quel que soit ton trouble psychique, que tu sois bipolaire, que tu sois dépressif ou comme moi, anxieux, dès que tu parles de ta maladie mentale, il y a des gens qui vont te dire ceci. Oui, mais c'est dans ta tête. Oui. C'était quoi ton premier indice ? Non parce que maladie mentale c'est rarement dans le... Ou alors, on te donne ce conseil éclaté qui est « t'as déjà essayé de pas y penser » . Il n'y a que les gens avec une maladie mentale à qui on dit ça. Un mec avec une fracture ouverte, il n'y a personne qui lui dit « alors je vois bien que ton os dépasse, mais t'as déjà essayé de pas y penser » . Non, d'accord ?"

  • Speaker #1

    Revenons à « Des maux à dire » . Vera, en grandissant, découvre l'histoire familiale de sa mère, traumatisée par son père. Alcoolique, et lui-même en prise avec une sorte de délire religio-messianique. Rien n'est simple dans la maladie mentale. C'est aussi ce que découvre l'adulte Vera qui essaie, tant bien que mal, de rétablir l'équilibre familial. Mais est-ce à elle seule de porter ce poids ? Si elle se pose la question, elle ne se résout pas à lâcher. Si elle le faisait, sa mère y survivra-t-elle ? Si elle sensibilise son frère et son père, si ces derniers font des efforts, Adela oubliera-t-elle ses idées suicidaires ? Prendra-t-elle son traitement de manière assidue ? Ça, vous le saurez en lisant ce roman graphique. Et d'ailleurs, en plus d'aborder une thématique loin d'être simple, cette bande dessinée a une autre particularité. Bea Lema raconte, en mots et en dessins bien sûr, mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs, presque enfantins, avec d'autres en noir et blanc où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent broder à la manière des arpilleras chiliennes. "C'est, explique l'illustratrice, une technique textile apparue pendant la dictature militaire qui était non seulement une forme de dénonciation, mais aussi l'expression de la douleur." Si son choix s'est porté sur ce procédé, C'est, poursuit-elle, "pour exorciser le passé en créant quelque chose de beau là où il y avait de la douleur." Cette technique est aussi un clin d'œil à l'activité préférée d'Adela, la broderie et la couture. "Lorsqu'elle cousait, ma mère parvenait à trouver une certaine tranquillité. Elle avait appris à coudre avec sa tante, Maria, dont elle gardait un très bon souvenir. Le métier s'était ainsi transmis de génération en génération, dans la famille. Elle cousait pour des voisines et des connaissances, mais aussi pour elle et pour moi. J'ai, à mon tour, appris en la regardant travailler, et j'adorais ça." Ce sont ces fils que Bea Lema tisse du début à la fin de ce livre. Le fil des névroses de la mère qui se débat, le fil de l'empathie de la fille qui y croit, le fil des violences et des traumatismes qui persistent, le fil du temps qui parfois se fige. Graphiquement, c'est un beau patchwork. Mention plus que spéciale à la couverture qui montre la fervente et croyante Adela s'apprêtant à recevoir l'hostie remplacée par une pilule bicolore. À l'intérieur, les procédés esthétiques se suivent et ne se ressemblent pas. Ils s'entremêlent avec une liberté qui peut alterner un gros plan sur un œil injecté de sang, par exemple, et un plan de coupe d'un immeuble sur une double page. Une liberté qui donne son rythme au récit. Et c'est la même liberté avec laquelle Bea Lema a choisi de raconter l'histoire de cette famille aux prises avec une maladie mentale. Si les rapports médicaux sont présentés dans leur aspect le plus formel, le plus impersonnel, ils ne sont là que pour poser, de temps en temps, un regard externe sur un mal qui ne peut être décrit que de l'intérieur. Un pari réussi pour Bea Alema, dont le roman graphique, largement apprécié par nombre de lecteurs et de lectrices, a remporté plusieurs distinctions en 2024, comme le Prix du Public au Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême, le Fauve des Lycéens ou encore le Prix Bédélys étranger. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Pour ce septième épisode, c'était le très beau et touchant roman graphique « Des maux à dire » de la dessinatrice espagnole Bea Lema, traduit en français par Jean-Marc Frémont et publié en 2023 aux éditions La Starbacane. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation, merci à Bouchard El Azhari pour l'accompagnement à la production et merci à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

Description

Il est souvent difficile d’évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires… et j’en passe. L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée dans Des maux à dire. Dès les premières planches, le ton est donné. Voici ce qu’on peut lire…

« 10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s’est éloignée du rivage.

- Maman, attends !

- Laisse-moi ! Je veux juste me jeter là et en finir !

Elle est entrée dans l’eau. Elle voulait se noyer entre les rochers... »

La concernée, la maman, c’est Adela. Elle souffre… Elle souffre d’aussi loin que sa fille, Vera, s’en souvienne. Vera décrit tout. L’état de sa maman, qui sent que le démon s’infiltre dans son crâne pour la déchirer de l’intérieur. Les liens familiaux qui se nouent puis de dénouent. La réaction du père qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère qui n’en peut plus de cette vie infernale à force de suspicion et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou des solutions alternatives. De celle de qui l’on prend soin, Vera va devenir celle qui soigne… De celle qui accepte, au début, la maladie d’Adela comme étant un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l’inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et, bien sûr, comment la guérir ?

Bea Lema raconte… en mots et en dessins bien sûr mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs presque enfantins avec d’autres, en noir et blanc, où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent brodées à la manière des arpilleras chiliennes...



Des maux à dire de Bea Lema, traduit par Jean-Marc Frémont, Éditions Sarbacane, 2023.



Extraits sonores :

  • L'Enfer de Stromae (2022), paroles et musique de Stromae

  • Extrait du sketch Lexomil et une nuit de Florence Mendez (2023)

  • Special Things de The Pointer Sisters (1980), paroles et musique d'Anita Pointer



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres,

  • Speaker #1

    de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, intérêt, mais aussi une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj. Les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui, contrairement à ce que chantent les rites à Mitsuko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris, mais pas n'importe lesquels. Spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 7, c'est parti!

  • Speaker #3

    "J'ai parfois eu des pensées suicidaires et j'en suis pas fait. On croit parfois que c'est la seule manière de les faire vivre. Ces pensées qui nous font vivre un enfer. Ces pensées qui nous font vivre un enfer."

  • Speaker #1

    Il est souvent difficile d'évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires, et j'en passe. Si Stromae a réussi à le faire dans ce morceau, ''L'Enfer'', datant de 2022, L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée. « Des maux à dire » a été publié aux éditions Sarbacane en août 2023. Dès les premières planches, le ton est donné. Et voici ce qu'on peut lire. "10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s'est éloignée du rival. « Maman, attends ! » « Laisse-moi ! » « Je veux juste me jeter là et en finir. » Elle est entrée dans l'eau. Elle voulait se noyer entre les rochers. Puis, changement de décor, c'est sur un rapport médical que nos yeux de lecteur ou de lectrice se posent. Un rapport datant de décembre 2020 qui décrit, je cite, « une personnalité prémorbide qui révèle une forte tendance paranoïaque, hypersensible, méfiante, sévère, avec un sentiment exacerbé du ridicule, têtu, et avec des jugements rigides et peu de sens de l'humour. » Rien que cela, direz-vous. La concernée, la maman, c'est Adela. Elle souffre. Elle souffre d'aussi loin que sa fille, Vera, s'en souvienne. Cette dernière avait 4 ans seulement quand Adela l'a emmenée voir une vieille dame censée la guérir. En vain, puisque la fillette finit par être hospitalisée pour soigner sa tuberculose. « C'est à cette époque-là que j'ai commencé à soupçonner qu'il arrivait quelque chose à maman » , écrit-elle. Et elle raconte... Elle raconte l'histoire d'Adela, ses délires paranoïaques qui lui font croire que son fils aîné se drogue, ou que leur voisin leur a jeté un mauvais œil. Ses angoisses continues, ses fatigues intenses, ses céphalées, ses poids à l'intérieur, sa jalousie pathologique envers son mari, qui ne comprend pas ce qui se passe et qui se persuade que sa femme fait un petit caprice. Or, c'était loin d'en être un. "Papa disait qu'elle était malade des nerfs, mais pour elle, il s'agissait d'un autre type de mal. Elle pensait qu'un démon avait pris possession de son corps. Le démon l'a touché, lui a attrapé le ventre, le visage, ne lui laissant aucun répit. Et il l'a cloué au lit pendant plusieurs jours. Comme il nous surveillait en permanence, nous ne devions pas faire de bruit." Vera décrit tout. L'état de sa maman, qui sent que le démon s'infiltre dans son crâne pour la déchirer de l'intérieur. Les liens familiaux, qui se nouent, puis se dénouent. La réaction du père, qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère, qui n'en peut plus de cette vie infernale à force de suspicions et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou par des solutions alternatives. Adela va de spécialistes à charlatans, sous les yeux de Vera qui grandit, se construit. Petite fille, adolescente, puis adulte. De celle de qui l'on prend soin, elle va devenir celle qui soigne. De celle qui accepte au début la maladie d'Adela comme étant l'un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l'inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et bien sûr, comment la guérir ? Parce que, alerte spoiler, la maladie mentale peut parfois être guérie ou au moins être soulagée. Comme le dit l'humoriste belge Florence Mendez, elle-même atteinte d'un trouble du spectre autistique.

  • Speaker #4

    "De toute façon, quel que soit ton trouble psychique, que tu sois bipolaire, que tu sois dépressif ou comme moi, anxieux, dès que tu parles de ta maladie mentale, il y a des gens qui vont te dire ceci. Oui, mais c'est dans ta tête. Oui. C'était quoi ton premier indice ? Non parce que maladie mentale c'est rarement dans le... Ou alors, on te donne ce conseil éclaté qui est « t'as déjà essayé de pas y penser » . Il n'y a que les gens avec une maladie mentale à qui on dit ça. Un mec avec une fracture ouverte, il n'y a personne qui lui dit « alors je vois bien que ton os dépasse, mais t'as déjà essayé de pas y penser » . Non, d'accord ?"

  • Speaker #1

    Revenons à « Des maux à dire » . Vera, en grandissant, découvre l'histoire familiale de sa mère, traumatisée par son père. Alcoolique, et lui-même en prise avec une sorte de délire religio-messianique. Rien n'est simple dans la maladie mentale. C'est aussi ce que découvre l'adulte Vera qui essaie, tant bien que mal, de rétablir l'équilibre familial. Mais est-ce à elle seule de porter ce poids ? Si elle se pose la question, elle ne se résout pas à lâcher. Si elle le faisait, sa mère y survivra-t-elle ? Si elle sensibilise son frère et son père, si ces derniers font des efforts, Adela oubliera-t-elle ses idées suicidaires ? Prendra-t-elle son traitement de manière assidue ? Ça, vous le saurez en lisant ce roman graphique. Et d'ailleurs, en plus d'aborder une thématique loin d'être simple, cette bande dessinée a une autre particularité. Bea Lema raconte, en mots et en dessins bien sûr, mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs, presque enfantins, avec d'autres en noir et blanc où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent broder à la manière des arpilleras chiliennes. "C'est, explique l'illustratrice, une technique textile apparue pendant la dictature militaire qui était non seulement une forme de dénonciation, mais aussi l'expression de la douleur." Si son choix s'est porté sur ce procédé, C'est, poursuit-elle, "pour exorciser le passé en créant quelque chose de beau là où il y avait de la douleur." Cette technique est aussi un clin d'œil à l'activité préférée d'Adela, la broderie et la couture. "Lorsqu'elle cousait, ma mère parvenait à trouver une certaine tranquillité. Elle avait appris à coudre avec sa tante, Maria, dont elle gardait un très bon souvenir. Le métier s'était ainsi transmis de génération en génération, dans la famille. Elle cousait pour des voisines et des connaissances, mais aussi pour elle et pour moi. J'ai, à mon tour, appris en la regardant travailler, et j'adorais ça." Ce sont ces fils que Bea Lema tisse du début à la fin de ce livre. Le fil des névroses de la mère qui se débat, le fil de l'empathie de la fille qui y croit, le fil des violences et des traumatismes qui persistent, le fil du temps qui parfois se fige. Graphiquement, c'est un beau patchwork. Mention plus que spéciale à la couverture qui montre la fervente et croyante Adela s'apprêtant à recevoir l'hostie remplacée par une pilule bicolore. À l'intérieur, les procédés esthétiques se suivent et ne se ressemblent pas. Ils s'entremêlent avec une liberté qui peut alterner un gros plan sur un œil injecté de sang, par exemple, et un plan de coupe d'un immeuble sur une double page. Une liberté qui donne son rythme au récit. Et c'est la même liberté avec laquelle Bea Lema a choisi de raconter l'histoire de cette famille aux prises avec une maladie mentale. Si les rapports médicaux sont présentés dans leur aspect le plus formel, le plus impersonnel, ils ne sont là que pour poser, de temps en temps, un regard externe sur un mal qui ne peut être décrit que de l'intérieur. Un pari réussi pour Bea Alema, dont le roman graphique, largement apprécié par nombre de lecteurs et de lectrices, a remporté plusieurs distinctions en 2024, comme le Prix du Public au Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême, le Fauve des Lycéens ou encore le Prix Bédélys étranger. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Pour ce septième épisode, c'était le très beau et touchant roman graphique « Des maux à dire » de la dessinatrice espagnole Bea Lema, traduit en français par Jean-Marc Frémont et publié en 2023 aux éditions La Starbacane. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation, merci à Bouchard El Azhari pour l'accompagnement à la production et merci à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

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Il est souvent difficile d’évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires… et j’en passe. L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée dans Des maux à dire. Dès les premières planches, le ton est donné. Voici ce qu’on peut lire…

« 10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s’est éloignée du rivage.

- Maman, attends !

- Laisse-moi ! Je veux juste me jeter là et en finir !

Elle est entrée dans l’eau. Elle voulait se noyer entre les rochers... »

La concernée, la maman, c’est Adela. Elle souffre… Elle souffre d’aussi loin que sa fille, Vera, s’en souvienne. Vera décrit tout. L’état de sa maman, qui sent que le démon s’infiltre dans son crâne pour la déchirer de l’intérieur. Les liens familiaux qui se nouent puis de dénouent. La réaction du père qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère qui n’en peut plus de cette vie infernale à force de suspicion et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou des solutions alternatives. De celle de qui l’on prend soin, Vera va devenir celle qui soigne… De celle qui accepte, au début, la maladie d’Adela comme étant un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l’inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et, bien sûr, comment la guérir ?

Bea Lema raconte… en mots et en dessins bien sûr mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs presque enfantins avec d’autres, en noir et blanc, où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent brodées à la manière des arpilleras chiliennes...



Des maux à dire de Bea Lema, traduit par Jean-Marc Frémont, Éditions Sarbacane, 2023.



Extraits sonores :

  • L'Enfer de Stromae (2022), paroles et musique de Stromae

  • Extrait du sketch Lexomil et une nuit de Florence Mendez (2023)

  • Special Things de The Pointer Sisters (1980), paroles et musique d'Anita Pointer



Montage et réalisation : Othmane Jmad


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  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres,

  • Speaker #1

    de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, intérêt, mais aussi une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj. Les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui, contrairement à ce que chantent les rites à Mitsuko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris, mais pas n'importe lesquels. Spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 7, c'est parti!

  • Speaker #3

    "J'ai parfois eu des pensées suicidaires et j'en suis pas fait. On croit parfois que c'est la seule manière de les faire vivre. Ces pensées qui nous font vivre un enfer. Ces pensées qui nous font vivre un enfer."

  • Speaker #1

    Il est souvent difficile d'évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires, et j'en passe. Si Stromae a réussi à le faire dans ce morceau, ''L'Enfer'', datant de 2022, L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée. « Des maux à dire » a été publié aux éditions Sarbacane en août 2023. Dès les premières planches, le ton est donné. Et voici ce qu'on peut lire. "10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s'est éloignée du rival. « Maman, attends ! » « Laisse-moi ! » « Je veux juste me jeter là et en finir. » Elle est entrée dans l'eau. Elle voulait se noyer entre les rochers. Puis, changement de décor, c'est sur un rapport médical que nos yeux de lecteur ou de lectrice se posent. Un rapport datant de décembre 2020 qui décrit, je cite, « une personnalité prémorbide qui révèle une forte tendance paranoïaque, hypersensible, méfiante, sévère, avec un sentiment exacerbé du ridicule, têtu, et avec des jugements rigides et peu de sens de l'humour. » Rien que cela, direz-vous. La concernée, la maman, c'est Adela. Elle souffre. Elle souffre d'aussi loin que sa fille, Vera, s'en souvienne. Cette dernière avait 4 ans seulement quand Adela l'a emmenée voir une vieille dame censée la guérir. En vain, puisque la fillette finit par être hospitalisée pour soigner sa tuberculose. « C'est à cette époque-là que j'ai commencé à soupçonner qu'il arrivait quelque chose à maman » , écrit-elle. Et elle raconte... Elle raconte l'histoire d'Adela, ses délires paranoïaques qui lui font croire que son fils aîné se drogue, ou que leur voisin leur a jeté un mauvais œil. Ses angoisses continues, ses fatigues intenses, ses céphalées, ses poids à l'intérieur, sa jalousie pathologique envers son mari, qui ne comprend pas ce qui se passe et qui se persuade que sa femme fait un petit caprice. Or, c'était loin d'en être un. "Papa disait qu'elle était malade des nerfs, mais pour elle, il s'agissait d'un autre type de mal. Elle pensait qu'un démon avait pris possession de son corps. Le démon l'a touché, lui a attrapé le ventre, le visage, ne lui laissant aucun répit. Et il l'a cloué au lit pendant plusieurs jours. Comme il nous surveillait en permanence, nous ne devions pas faire de bruit." Vera décrit tout. L'état de sa maman, qui sent que le démon s'infiltre dans son crâne pour la déchirer de l'intérieur. Les liens familiaux, qui se nouent, puis se dénouent. La réaction du père, qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère, qui n'en peut plus de cette vie infernale à force de suspicions et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou par des solutions alternatives. Adela va de spécialistes à charlatans, sous les yeux de Vera qui grandit, se construit. Petite fille, adolescente, puis adulte. De celle de qui l'on prend soin, elle va devenir celle qui soigne. De celle qui accepte au début la maladie d'Adela comme étant l'un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l'inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et bien sûr, comment la guérir ? Parce que, alerte spoiler, la maladie mentale peut parfois être guérie ou au moins être soulagée. Comme le dit l'humoriste belge Florence Mendez, elle-même atteinte d'un trouble du spectre autistique.

  • Speaker #4

    "De toute façon, quel que soit ton trouble psychique, que tu sois bipolaire, que tu sois dépressif ou comme moi, anxieux, dès que tu parles de ta maladie mentale, il y a des gens qui vont te dire ceci. Oui, mais c'est dans ta tête. Oui. C'était quoi ton premier indice ? Non parce que maladie mentale c'est rarement dans le... Ou alors, on te donne ce conseil éclaté qui est « t'as déjà essayé de pas y penser » . Il n'y a que les gens avec une maladie mentale à qui on dit ça. Un mec avec une fracture ouverte, il n'y a personne qui lui dit « alors je vois bien que ton os dépasse, mais t'as déjà essayé de pas y penser » . Non, d'accord ?"

  • Speaker #1

    Revenons à « Des maux à dire » . Vera, en grandissant, découvre l'histoire familiale de sa mère, traumatisée par son père. Alcoolique, et lui-même en prise avec une sorte de délire religio-messianique. Rien n'est simple dans la maladie mentale. C'est aussi ce que découvre l'adulte Vera qui essaie, tant bien que mal, de rétablir l'équilibre familial. Mais est-ce à elle seule de porter ce poids ? Si elle se pose la question, elle ne se résout pas à lâcher. Si elle le faisait, sa mère y survivra-t-elle ? Si elle sensibilise son frère et son père, si ces derniers font des efforts, Adela oubliera-t-elle ses idées suicidaires ? Prendra-t-elle son traitement de manière assidue ? Ça, vous le saurez en lisant ce roman graphique. Et d'ailleurs, en plus d'aborder une thématique loin d'être simple, cette bande dessinée a une autre particularité. Bea Lema raconte, en mots et en dessins bien sûr, mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs, presque enfantins, avec d'autres en noir et blanc où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent broder à la manière des arpilleras chiliennes. "C'est, explique l'illustratrice, une technique textile apparue pendant la dictature militaire qui était non seulement une forme de dénonciation, mais aussi l'expression de la douleur." Si son choix s'est porté sur ce procédé, C'est, poursuit-elle, "pour exorciser le passé en créant quelque chose de beau là où il y avait de la douleur." Cette technique est aussi un clin d'œil à l'activité préférée d'Adela, la broderie et la couture. "Lorsqu'elle cousait, ma mère parvenait à trouver une certaine tranquillité. Elle avait appris à coudre avec sa tante, Maria, dont elle gardait un très bon souvenir. Le métier s'était ainsi transmis de génération en génération, dans la famille. Elle cousait pour des voisines et des connaissances, mais aussi pour elle et pour moi. J'ai, à mon tour, appris en la regardant travailler, et j'adorais ça." Ce sont ces fils que Bea Lema tisse du début à la fin de ce livre. Le fil des névroses de la mère qui se débat, le fil de l'empathie de la fille qui y croit, le fil des violences et des traumatismes qui persistent, le fil du temps qui parfois se fige. Graphiquement, c'est un beau patchwork. Mention plus que spéciale à la couverture qui montre la fervente et croyante Adela s'apprêtant à recevoir l'hostie remplacée par une pilule bicolore. À l'intérieur, les procédés esthétiques se suivent et ne se ressemblent pas. Ils s'entremêlent avec une liberté qui peut alterner un gros plan sur un œil injecté de sang, par exemple, et un plan de coupe d'un immeuble sur une double page. Une liberté qui donne son rythme au récit. Et c'est la même liberté avec laquelle Bea Lema a choisi de raconter l'histoire de cette famille aux prises avec une maladie mentale. Si les rapports médicaux sont présentés dans leur aspect le plus formel, le plus impersonnel, ils ne sont là que pour poser, de temps en temps, un regard externe sur un mal qui ne peut être décrit que de l'intérieur. Un pari réussi pour Bea Alema, dont le roman graphique, largement apprécié par nombre de lecteurs et de lectrices, a remporté plusieurs distinctions en 2024, comme le Prix du Public au Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême, le Fauve des Lycéens ou encore le Prix Bédélys étranger. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Pour ce septième épisode, c'était le très beau et touchant roman graphique « Des maux à dire » de la dessinatrice espagnole Bea Lema, traduit en français par Jean-Marc Frémont et publié en 2023 aux éditions La Starbacane. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation, merci à Bouchard El Azhari pour l'accompagnement à la production et merci à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

Description

Il est souvent difficile d’évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires… et j’en passe. L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée dans Des maux à dire. Dès les premières planches, le ton est donné. Voici ce qu’on peut lire…

« 10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s’est éloignée du rivage.

- Maman, attends !

- Laisse-moi ! Je veux juste me jeter là et en finir !

Elle est entrée dans l’eau. Elle voulait se noyer entre les rochers... »

La concernée, la maman, c’est Adela. Elle souffre… Elle souffre d’aussi loin que sa fille, Vera, s’en souvienne. Vera décrit tout. L’état de sa maman, qui sent que le démon s’infiltre dans son crâne pour la déchirer de l’intérieur. Les liens familiaux qui se nouent puis de dénouent. La réaction du père qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère qui n’en peut plus de cette vie infernale à force de suspicion et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou des solutions alternatives. De celle de qui l’on prend soin, Vera va devenir celle qui soigne… De celle qui accepte, au début, la maladie d’Adela comme étant un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l’inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et, bien sûr, comment la guérir ?

Bea Lema raconte… en mots et en dessins bien sûr mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs presque enfantins avec d’autres, en noir et blanc, où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent brodées à la manière des arpilleras chiliennes...



Des maux à dire de Bea Lema, traduit par Jean-Marc Frémont, Éditions Sarbacane, 2023.



Extraits sonores :

  • L'Enfer de Stromae (2022), paroles et musique de Stromae

  • Extrait du sketch Lexomil et une nuit de Florence Mendez (2023)

  • Special Things de The Pointer Sisters (1980), paroles et musique d'Anita Pointer



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres,

  • Speaker #1

    de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, intérêt, mais aussi une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj. Les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui, contrairement à ce que chantent les rites à Mitsuko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris, mais pas n'importe lesquels. Spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 7, c'est parti!

  • Speaker #3

    "J'ai parfois eu des pensées suicidaires et j'en suis pas fait. On croit parfois que c'est la seule manière de les faire vivre. Ces pensées qui nous font vivre un enfer. Ces pensées qui nous font vivre un enfer."

  • Speaker #1

    Il est souvent difficile d'évoquer le sujet de la santé mentale, de mettre des mots sur les ressentis, la spirale infernale, la solitude, les idées noires, et j'en passe. Si Stromae a réussi à le faire dans ce morceau, ''L'Enfer'', datant de 2022, L'autrice espagnole Bea Lema, de son vrai nom Beatriz Lema Rivera, a choisi la bande dessinée. « Des maux à dire » a été publié aux éditions Sarbacane en août 2023. Dès les premières planches, le ton est donné. Et voici ce qu'on peut lire. "10 septembre 2021. Ce jour-là, maman est descendue à la plage. Elle a grimpé sur les rochers et s'est éloignée du rival. « Maman, attends ! » « Laisse-moi ! » « Je veux juste me jeter là et en finir. » Elle est entrée dans l'eau. Elle voulait se noyer entre les rochers. Puis, changement de décor, c'est sur un rapport médical que nos yeux de lecteur ou de lectrice se posent. Un rapport datant de décembre 2020 qui décrit, je cite, « une personnalité prémorbide qui révèle une forte tendance paranoïaque, hypersensible, méfiante, sévère, avec un sentiment exacerbé du ridicule, têtu, et avec des jugements rigides et peu de sens de l'humour. » Rien que cela, direz-vous. La concernée, la maman, c'est Adela. Elle souffre. Elle souffre d'aussi loin que sa fille, Vera, s'en souvienne. Cette dernière avait 4 ans seulement quand Adela l'a emmenée voir une vieille dame censée la guérir. En vain, puisque la fillette finit par être hospitalisée pour soigner sa tuberculose. « C'est à cette époque-là que j'ai commencé à soupçonner qu'il arrivait quelque chose à maman » , écrit-elle. Et elle raconte... Elle raconte l'histoire d'Adela, ses délires paranoïaques qui lui font croire que son fils aîné se drogue, ou que leur voisin leur a jeté un mauvais œil. Ses angoisses continues, ses fatigues intenses, ses céphalées, ses poids à l'intérieur, sa jalousie pathologique envers son mari, qui ne comprend pas ce qui se passe et qui se persuade que sa femme fait un petit caprice. Or, c'était loin d'en être un. "Papa disait qu'elle était malade des nerfs, mais pour elle, il s'agissait d'un autre type de mal. Elle pensait qu'un démon avait pris possession de son corps. Le démon l'a touché, lui a attrapé le ventre, le visage, ne lui laissant aucun répit. Et il l'a cloué au lit pendant plusieurs jours. Comme il nous surveillait en permanence, nous ne devions pas faire de bruit." Vera décrit tout. L'état de sa maman, qui sent que le démon s'infiltre dans son crâne pour la déchirer de l'intérieur. Les liens familiaux, qui se nouent, puis se dénouent. La réaction du père, qui, par peur ou par lâcheté, préfère la fuite. Chemin pris aussi par son grand frère, qui n'en peut plus de cette vie infernale à force de suspicions et de cris. Elle parle des traitements médicamenteux qui sont remplacés par des témoins de Jéhovah ou par des solutions alternatives. Adela va de spécialistes à charlatans, sous les yeux de Vera qui grandit, se construit. Petite fille, adolescente, puis adulte. De celle de qui l'on prend soin, elle va devenir celle qui soigne. De celle qui accepte au début la maladie d'Adela comme étant l'un de ses traits de caractère, elle devient celle qui refuse l'inéluctabilité de cette réalité. Pourquoi sa mère ? Comment en est-elle arrivée là ? Et bien sûr, comment la guérir ? Parce que, alerte spoiler, la maladie mentale peut parfois être guérie ou au moins être soulagée. Comme le dit l'humoriste belge Florence Mendez, elle-même atteinte d'un trouble du spectre autistique.

  • Speaker #4

    "De toute façon, quel que soit ton trouble psychique, que tu sois bipolaire, que tu sois dépressif ou comme moi, anxieux, dès que tu parles de ta maladie mentale, il y a des gens qui vont te dire ceci. Oui, mais c'est dans ta tête. Oui. C'était quoi ton premier indice ? Non parce que maladie mentale c'est rarement dans le... Ou alors, on te donne ce conseil éclaté qui est « t'as déjà essayé de pas y penser » . Il n'y a que les gens avec une maladie mentale à qui on dit ça. Un mec avec une fracture ouverte, il n'y a personne qui lui dit « alors je vois bien que ton os dépasse, mais t'as déjà essayé de pas y penser » . Non, d'accord ?"

  • Speaker #1

    Revenons à « Des maux à dire » . Vera, en grandissant, découvre l'histoire familiale de sa mère, traumatisée par son père. Alcoolique, et lui-même en prise avec une sorte de délire religio-messianique. Rien n'est simple dans la maladie mentale. C'est aussi ce que découvre l'adulte Vera qui essaie, tant bien que mal, de rétablir l'équilibre familial. Mais est-ce à elle seule de porter ce poids ? Si elle se pose la question, elle ne se résout pas à lâcher. Si elle le faisait, sa mère y survivra-t-elle ? Si elle sensibilise son frère et son père, si ces derniers font des efforts, Adela oubliera-t-elle ses idées suicidaires ? Prendra-t-elle son traitement de manière assidue ? Ça, vous le saurez en lisant ce roman graphique. Et d'ailleurs, en plus d'aborder une thématique loin d'être simple, cette bande dessinée a une autre particularité. Bea Lema raconte, en mots et en dessins bien sûr, mais avec un style bien spécial. Elle alterne des pages très colorées, réalisées au stylo et au feutre, aux traits faussement naïfs, presque enfantins, avec d'autres en noir et blanc où le graphisme se fait dur pour décrire le passé de sa mère. Puis viennent des superbes planches qui semblent broder à la manière des arpilleras chiliennes. "C'est, explique l'illustratrice, une technique textile apparue pendant la dictature militaire qui était non seulement une forme de dénonciation, mais aussi l'expression de la douleur." Si son choix s'est porté sur ce procédé, C'est, poursuit-elle, "pour exorciser le passé en créant quelque chose de beau là où il y avait de la douleur." Cette technique est aussi un clin d'œil à l'activité préférée d'Adela, la broderie et la couture. "Lorsqu'elle cousait, ma mère parvenait à trouver une certaine tranquillité. Elle avait appris à coudre avec sa tante, Maria, dont elle gardait un très bon souvenir. Le métier s'était ainsi transmis de génération en génération, dans la famille. Elle cousait pour des voisines et des connaissances, mais aussi pour elle et pour moi. J'ai, à mon tour, appris en la regardant travailler, et j'adorais ça." Ce sont ces fils que Bea Lema tisse du début à la fin de ce livre. Le fil des névroses de la mère qui se débat, le fil de l'empathie de la fille qui y croit, le fil des violences et des traumatismes qui persistent, le fil du temps qui parfois se fige. Graphiquement, c'est un beau patchwork. Mention plus que spéciale à la couverture qui montre la fervente et croyante Adela s'apprêtant à recevoir l'hostie remplacée par une pilule bicolore. À l'intérieur, les procédés esthétiques se suivent et ne se ressemblent pas. Ils s'entremêlent avec une liberté qui peut alterner un gros plan sur un œil injecté de sang, par exemple, et un plan de coupe d'un immeuble sur une double page. Une liberté qui donne son rythme au récit. Et c'est la même liberté avec laquelle Bea Lema a choisi de raconter l'histoire de cette famille aux prises avec une maladie mentale. Si les rapports médicaux sont présentés dans leur aspect le plus formel, le plus impersonnel, ils ne sont là que pour poser, de temps en temps, un regard externe sur un mal qui ne peut être décrit que de l'intérieur. Un pari réussi pour Bea Alema, dont le roman graphique, largement apprécié par nombre de lecteurs et de lectrices, a remporté plusieurs distinctions en 2024, comme le Prix du Public au Festival international de la Bande Dessinée d'Angoulême, le Fauve des Lycéens ou encore le Prix Bédélys étranger. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Pour ce septième épisode, c'était le très beau et touchant roman graphique « Des maux à dire » de la dessinatrice espagnole Bea Lema, traduit en français par Jean-Marc Frémont et publié en 2023 aux éditions La Starbacane. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation, merci à Bouchard El Azhari pour l'accompagnement à la production et merci à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

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