Speaker #1La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Onze mille d'entre eux ne reviendront pas des centres de mise à mort, et des milliers d'autres, les plus chanceux, seront séparés de leurs parents. Cachés à la campagne sous de fausses identités, mis à l'écart du monde extérieur, parfois même dénoncés et emprisonnés. Ne pas dire qu'ils sont juifs, jamais. Se taire, affronter la peur, la solitude, le danger. Oui, chanceux, car malgré tout, ces enfants survivront à cette période terrible. Ces enfants ont grandi. Ils ont 80, 90 ans et plus. Ils sont la mémoire de la guerre. Ils sont les enfants de la Shoah. Ils replongent pour nous dans leurs souvenirs d'enfants. Herbert est né à Vienne en 1924. En novembre 1938, âgé de tout juste 14 ans, il assiste, en compagnie de ses parents et de sa grande sœur, au premier événement qui marquera au fer rouge son statut d'enfant juif, la Nuit de Cristal. Ce pogrom orchestré par les nazis, à travers l'Allemagne et l'Autriche, tout juste annexés, entraînera la destruction de milliers de synagogues, commerces, maisons, mais aussi d'arrestations et de déportations de juifs. Herbert aura la chance d'échapper à cette terrible persécution antisémite, mais il sera à son tour arrêté quelques temps plus tard. Du camp de Saint-Cyprien au camp Des Mille, en passant par celui de Gurs ou encore de Rivesalt, Herbert se sortira de toutes les situations en faisant preuve d'une ingéniosité sans pareil. L'histoire d'Herbert est si riche en souvenirs et son talent de conteur si fascinant qu'un seul épisode n'était pas suffisant à mes yeux pour vous partager son témoignage. Voici donc le premier des cinq épisodes qui trace les contours d'une enfance brisée par la nuit de cristal, sombre prélude à son combat pour la survie. Voici l'histoire d'Herbert, 14 ans, enfant de la Shoah.
Speaker #0Je peux vous raconter une petite anecdote à ce sujet. On nous cherchait dans nos appartements. On savait évidemment qui était juif et qui ne l'était pas. C'était assez connu. Et lorsqu'ils ne trouvaient pas d'hommes, ils ont pris des femmes. Il y avait une femme, que je ne connaissais pas par ailleurs, qui est descendue avec son manteau de fourrure parce qu'il faisait assez froid. Les nazis lui ont arraché son manteau de fourrure, l'ont découpé et l'ont obligé de frotter pâté avec son manteau de fourrure. Imaginez-vous ce que ça pouvait représenter pour un gosse de 13 ans de voir ça. Cette pauvre femme, elle avait pleuré, elle s'est dit j'ai rien fait etc. Elle s'est effondrée au bout de quelques temps et après on l'a laissé partir. Ça, c'était donc le jour après l'influence, le jour après. Nous étions relativement tranquilles pendant quelques temps. Évidemment, j'avais été expulsé de l'école, du lycée, j'étais en troisième. Dans notre lycée, nous étions retournés en classe quelques jours après l'annexion. Nous étions une vingtaine, vingt-vingt-deux élèves dans la classe. Nous avions notre prof de latin. Il était en train de commencer à nous faire son cours de latin lorsque la porte... La classe s'est ouverte brusquement. Un autre prof, avec un brassard à croix gammées, est entré dans la classe et a hurlé Les juifs, debout, prenez vos affaires et foutez-moi le camp ! Ce lycée devient nettoyé de juifs. Alors, donc, on s'est levé, on s'est régradé, on était... six ou sept juifs dans la classe, eh bien, on est partis. Mais notre professeur principal, il a réagi. Il a dit à l'autre, mes collègues, qu'est-ce qui vous prend ? Comment pouvez-vous vous permettre de dire des choses pareilles ? Alors l'autre s'est adressé à ses profs et lui a dit, vous, Kornitsa, c'était son nom, vous, Kornitsa, vous êtes un juif baptisé. Oh, les juifs baptisés, restent juifs, vous foutez le camp aussi. Voilà, ça c'était mon expulsion du lycée. Le lycée, c'était le Sperlgymnasium à Vienne. Bon souvenir, si on peut dire. Nous étions donc tranquilles pendant quelques temps. Après, évidemment, il y avait les hurlements des anti-nazis qui passaient dans la rue, etc. Et il y a eu la fameuse Nuit de cristal, dont vous avez certainement entendu parler, vous connaissez. Et à Vienne, c'était peut-être pire qu'en Allemagne. D'abord, l'incendie des synagogues. Il y avait une synagogue à 50-60 mètres de chez nous, dans la même rue, petite rue. cette synagogue a été mise à sac, incendiée brûlée le hurlement des gens autour abat les juifs prendez les juifs etc etc nous à la maison on entendait tout ça évidemment On était, enfin moi, assez affolé, ma soeur complètement sans voix. Ma mère qui me tenait enlacé, mon père il essayait de parler à ma soeur. Or, le lendemain de ce jour, le lendemain, le matin, les nazis sont venus dans les maisons ramasser des juifs. Mon père a su qu'il se prépare quelque chose. Il s'était caché chez une voisine, une voisine de palier, qui était une personne très âgée, qui avait une domestique qui vivait chez elle, aussi âgée qu'elle. Et mon père s'est mis dans les lits de cette domestique, que tout le monde connaissait évidemment, dans une petite chambre noire. Les nazis sont venus chercher, ils ne m'ont pas bien trouvé. Et quand ils ont quitté l'immeuble, la concierge, Notre concierge les a interpellés et ils ont dit, Vous n'avez pas trouvé le docteur Traube, ce qu'on appelait mon père docteur, évidemment ? Non, on ne l'a pas trouvé. Il doit être là. Il n'est pas sorti. Je suis sûr qu'il n'est pas sorti. Sinon, je l'aurais vu. Alors, ils sont revenus fouiller. Et mon père, entre-temps, sachant que les nazis étaient partis, était revenu dans l'appartement, tout content. Voilà, on les a eus. Ils m'ont attrapé. Ils l'ont attrapé et il est resté six mois à Dachau. Cette concierge qui a donc dénoncé mon père, c'était une femme d'origine tchèque. Or, nous avons su plus tard et constaté aussi que les Tchèques installés à Vienne étaient plus antisémites que les autres. Pourquoi ? Pour bien montrer qu'ils étaient devenus des bons Autrichiens, des bons Viennois. C'était ça leur truc. Or, cette femme-là qui, avant l'Anschluss, jusqu'à la veille de l'Anschluss, saluait ma mère, comme on disait dans l'époque, Christiane ne france c'est-à-dire c'était une salutation polie pour une dame, Le lendemain de l'influx, elle ne connaissait plus ni ma mère, ni mon père, ni moi, ni ma soeur, rien. Voilà, c'était ça mon expérience de l'occupation par les nazis de l'Autriche. Et après cette histoire, ma mère a réussi à nous envoyer, ma soeur et moi, avec un transport d'enfants en Belgique. C'était un transport organisé par la Croix-Rouge, donc on était tranquilles en Belgique. Et après que mon père a pu être libéré du camp de Dachau, avec ma mère, ils sont venus nous rejoindre en Belgique. Nous étions tranquilles jusqu'au 10 mai.