HerbertPour assister aux obsèques de ma maman à Perpignan, c'est au cimetière de Perpignan, je m'étais habillé aussi correctement que possible. J'avais un veston, un peu plus quoi, pantalons, j'avais une chemise et une cravate. Après, je suis allé à la gare, il n'y avait personne. j'avais regardé le train, il y avait un train pour Marseille qui devait partir dans deux heures ou deux heures et demie. Alors je me suis dit, là, il faut rester à l'intérieur parce que, avant le départ du train, il va y avoir un contrôle, sûrement. Donc je suis resté à l'intérieur de la gare, personne ne m'a vu, je suis monté dans le train, sans billet, sans rien, et puis je suis parti. Il n'y avait pas de contrôle, rien. J'ai eu une chance, ça c'est une chance. Je suis arrivé à Marseille, voilà.
introductionLa Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Herbert est né à Vienne en 1924. En novembre 1938, tout juste âgé de 14 ans, en compagnie de ses parents et de sa grande sœur, il échappe de justesse à la nuit de cristal, terrible pogrom orchestré par les nazis quelques semaines après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Cette effroyable persécution antisémite sera le premier événement qui marquera au fer rouge le statut d'enfant juif d'Herbert. Quelques temps plus tard, son papa sera dénoncé, fait prisonnier dans le camp de Dachau, puis celui de Saint-Cyprien-sur-Mer. Herbert et sa maman, quant à eux, seront internés au camp de Gurs, puis celui de Rivesaltes. Les mauvais traitements infligés aux prisonniers finiront par briser la santé de sa maman, qui ne survivra pas aux conditions inhumaines du camp. Herbert se rendra à ses obsèques et en profitera pour prendre la fuite jusqu'à Marseille, où il rencontrera les Quakers, groupes religieux connus pour leur engagement envers la paix et la justice sociale, qui joueront un rôle crucial dans sa quête de liberté. Voici la troisième partie du témoignage d'Herbert, 16 ans, enfant de la Shoah.
HerbertJe suis parti donc par des voies normales. J'avais beaucoup de chance. Un train jusqu'à Marseille, puis à Marseille. J'ai été aidé par les Quakers, qui m'ont obtenu une régularisation de situation. Donc j'avais un permis de séjour qui était renouvelable tous les trois mois, je ne sais plus combien. Les Quakers c'est une religion évangéliste américaine dont le but est de pratiquer l'humanisme, l'aide aux autres. C'est une religion tout à fait respectable à mon avis, évangéliste mais enfin bon. À Marseille, ils avaient un organisme central qui s'occupait principalement d'aider des enfants de réfugiés, parce qu'il y avait à Marseille beaucoup de réfugiés français du nord de la France qui ne pouvaient pas retourner chez eux parce que leur région était sous contrôle militaire allemand. Ils avaient installé dans un hôtel des affectés des familles de femmes et d'enfants français qui ne pouvaient pas retourner chez eux. Dans cet hôtel, il y avait un jeune homme qui s'occupait pour le nettoyage, etc. Et j'étais affecté à ce travail. Il m'avait trouvé ça comme, je ne dis pas comme travail, mais enfin, comme cachette en quelque sorte. Donc nous étions à deux et on nous appelait les factotums, des hommes de bon à tout faire. On faisait tout, on nettoyait, on lavait les couloirs, on lavait les chambres en hiver. allumer le feu de la chaudière, aider à la peluche, aux femmes, enfin bref, on était tranquille là-bas. Et ça a duré jusqu'au 26 août 1942, quand il y a eu le grand rafle en zone non occupée par la police française. Les Quakers, ils avaient organisé dans la banlieue de Marseille, dans la proche banlieue de Marseille, un petit centre de repos pour les enfants. Et on m'avait dit, est-ce que tu veux aller là-bas pour te reposer pendant 8-10 jours et t'occuper des enfants ? Oh, je dis, mais oui, bien sûr. Et j'étais donc à cet endroit-là, le 26 août, j'étais là-bas depuis deux jours. Donc le matin, sont arrivés deux messieurs, civils, vous êtes bien Herbert Traube, messieurs, venez avec nous, mais venez avec nous. Donc, j'étais arrêté. Je ne savais pas pourquoi ni comment. J'ai compris peu de temps après que c'était encore une arrestation en tant que juif, parce qu'on savait ce qui s'était passé à Paris. Le 16 juillet 1942, la fameuse rafle du LDIV s'était connue. Mais on s'était dit, enfin, ici on est en zone libre, ça ne nous concernait pas. Quand on m'a arrêté, j'ai compris que c'était ça. Je me suis retrouvé au camp des milles avec des dizaines de personnes, je dis pas des centaines, mais des dizaines de personnes qui étaient ramassées. Alors là, il y avait des femmes, des enfants, des hommes, tout le monde, tout le monde au camp des milles, dans des conditions assez difficiles, assez difficiles. Le camp des milles n'était pas aménagé pour recevoir tant de monde. Donc on était dans une salle, au rez-de-chaussée, où il y avait de la paille. On était installés les uns à côté des autres. À l'étage, il y avait des gens qui étaient là depuis longtemps, plusieurs mois déjà. Et nous, les nouveaux arrivants, on n'était pas à terre. Alors, les toilettes, il fallait faire la queue pour y aller. Pour se laver, il y avait un robinet avec un peu d'eau pour se débarbouiller. Manger, je ne me rappelle même plus. Ce qu'on mangeait, ça devait être affreux. Et là, il y avait les femmes, les enfants. Alors, les enfants, ça pleurait. Les femmes, des fois, ça hurlait. C'était vraiment assez difficile. Chacun avait son idée. On va nous envoyer en Allemagne, mais pourquoi faire en Allemagne ? Vous allez travailler. Travailler quoi ? Je regardais autour de moi, il y avait des vieillards, des femmes, des enfants. Travailler ? C'est pas possible. On va nous envoyer quelque part. Mais où, quoi ? Qu'est-ce qu'on va faire de nous ? Il ne faut s'imaginer qu'à l'époque, personne ne pouvait s'imaginer qu'il pouvait exister des camps d'extermination. Ce n'était pas la portée d'un homme du XXe siècle qui pouvait imaginer qu'une nation, l'Allemagne, qui avait vu naître un Goethe, un Schiller, des musiciens, un Bach, que ces gens-là pouvaient tuer industriellement des gens. Ça, on ne pouvait pas imaginer. Donc, on ne savait pas ce qu'on allait faire. Les Quakers, quand ils ont su que j'étais arrêté et que j'étais au camp des milles, il y a une dame des Quakers qui est venue, elle a vu le commandant du camp, m'avait fait appeler, donc je suis venu, je l'ai vu, et puis elle m'a dit, voilà, on essaie de vous sortir de là, surtout essayez de ne pas partir avec un convoi. Et donc je me suis caché. Je n'ai pas cherché à me faufiler à l'extérieur en me disant si je sors comme ça sans être dans une situation légale, je ne peux pas me cacher, donc je vais attendre Et j'ai attendu trop longtemps, jusqu'au jour où je suis parti avec un convoi. Le 10 septembre 1942, c'est le dernier convoi qui est parti du camp 2000.