Speaker #0Le 10 mai 1940 Oui, je dis bien. Les 10 mai 1940, les Allemands ont envahi la Belgique et les Pays-Bas sans déclaration de guerre et la Belgique n'était plus un pays neutre et nous avons fui la Belgique. Mon père a été interné à nouveau comme ressortissant d'un pays ennemi puisqu'il était Allemand. Donc il était arrêté comme tous les Allemands qui étaient en Belgique à l'époque. Et il s'était retrouvé dans un camp d'internement sur les bords de la Méditerranée à côté de Perpignan à Saint-Cyprien-sur-Mer. Il était interné en tant qu'Allemand. Ma soeur avait deux ans plus que moi. Or, quand nous étions en Belgique en 1939, on a su que les Anglais autorisaient l'immigration en Palestine d'enfants de moins de 17 ans. Donc ma sœur s'était portée volontaire, évidemment. Elle avait 16 ans et 9 mois, à la limite. Moi, je voulais m'inscrire. Moi, j'ai dit, toi, t'es trop jeune. On prend d'abord ceux qui sont à la limite d'âge. Toi, tu attendras. Donc ma sœur est partie en Palestine. Elle a quitté la Belgique, je ne sais quoi, en décembre 1939. Moi et ma mère, on est partis avec un train de réfugiés, surpeuplés évidemment. Il y avait beaucoup de Belges qui fichaient le camp parce qu'on se rappelait en Belgique des exactions que les soldats allemands avaient faites pendant le guerre de 1914-1918. Il y avait eu beaucoup de civils qui ont été tués, etc. Donc il y avait des Belges qui fichaient le camp et puis nous, les quelques amis juifs qu'on avait dans la Belgique, ils sont partis aussi. En France, on était accueillis comme des réfugiés. Les personnes étant venues par le train ont été dispersées dans différentes localités qui étaient équipées pour héberger donc des réfugiés. Donc on s'était trouvé dans un petit village qui s'appelle Villeneuve de Bergue, dans l'Ardèche, comme réfugiés. Et on était tranquilles pendant tout l'été. Et après la prise des pouvoirs de Pétain, On me demande parfois pourquoi vous ne dites pas Marshall Pétain. Marshall Pétain ? Il n'y a pas de Marshall. Pétain a été destitué de sa dignité. Il n'est plus Marshall. Donc pour moi, Pétain, c'est Pétain. C'est Philippe Pétain si on veut. Enfin bref, ça c'est un intermède. Donc, après sa prise de pouvoir, nous, de réfugiés, on est devenus des indésirables. Et en tant qu'indésirable, on a été internés dans un camp d'internement à Gurs, où je suis resté avec ma mère quelques mois, du mois d'octobre jusqu'au mois d'avril. Un hiver froid, humide, de la boue jusqu'aux chevilles quand on devait aller aux latrines, c'était affreux. Ma pauvre mère commençait à être malade et on nous a transféré avec un petit convoi dans un autre camp, le camp des Rives-Altes, où les conditions d'hébergement étaient un peu meilleures. D'abord, il n'y avait pas de boue par terre. Ensuite, les baraques étaient en dur. Mais... Il y avait des puces, des punaises, des poux, c'était épouvantable. Des insectes, on ne pouvait pas se débrasser. Auguste n'en faisait rien, on était abandonnés à nous-mêmes. À Rivesailles, on avait trouvé une occupation pour les hommes. Donc là, j'avais déjà 16 ans, j'étais considéré adulte. On avait des corvées. Alors notre corvée consistait à extraire des clous de planches abandonnées, de planches de démolition, etc. et les redresser, redresser les clous pour pouvoir les réutiliser. Et nous avions comme chef de corvée un petit bonhomme qui devait être un sous-offre démobilisé français, et pour lui, redresser des clous, c'était participer au redressement de la France. Donc il nous exhortait pour redresser des clous, et plus on avait redressé des clous, plus il était content, il était félicité, mais nous on n'avait rien bien évidemment. Ça c'était notre occupation. Les matinées, c'était notre travail. À Gurs, nous étions séparés. Il y avait des îlots, hommes et des îlots femmes, et on ne pouvait pas communiquer. Or, à Rivesalte, il y avait des baraques hommes et des baraques femmes, et dans la journée, on pouvait se rencontrer, évidemment. Donc, l'après-midi, je pouvais voir ma mère, pas voir avec ma mère, l'aider, parce qu'il commençait à être très faible. Et la nuit, évidemment, chacun dans sa baraque. Et dans la baraque, on faisait quoi, nous les jeunes ? On avait donc des vêtements qui étaient infestés de poux des corps. Bon, les poux de corps, on lavait avec de l'eau froide, sans savon. Les poux, l'eau froide, sans savon. Quand on sortait les linges, ils étaient tous guéris, ils continuaient à transpirer. Alors, le soir, on faisait quoi ? Nous, les jeunes, on était assis sur les bas-flans, on prenait nos vêtements et puis on tuait les poux. On tuait les poux et on comptait. Un, deux, trois. Le premier qui est arrivé à 100, il avait gagné. C'était notre occupation de jeunes. Mais je raconte ça un petit peu pour ne pas dire que nous étions en permanence submergés par notre État. Nous, les jeunes, on pensait qu'il fallait vivre, évidemment. Au bout d'un mois, ma pauvre mère... est vraiment tombée malade, on l'a amenée à l'hôpital, et elle est décédée le lendemain. Donc ma mère est décédée au camp des Rives-Alpes. Là, pour moi, c'était l'effondrement total. Avoir perdu ma mère, qui à l'époque était jeune, elle avait 49 ans, enfin bref. Donc j'ai pu assister à ses obsèques, j'avais permission de sortir et je ne suis pas arrêté en Lyon.