Speaker #013 mai 1941. Mon frère aîné, qui a 20 ans, reçoit un billet, on appelait ça des billets verts. Et il est convoqué à la caserne des Lilas, soi-disant pour une visite. Ma mère lui dit tu n'y vas pas Je lui dis écoute maman, arrête, mes copains y vont, j'y vais, et puis un point c'est tout Moi j'étais à l'école, je me rappelle comme maintenant, c'était un mercredi. Il va, elle dit bon ben je t'accompagne Il va à la caserne des lilas, il rentre, mais il ne ressort plus. Tous ces gens-là ont été envoyés soit à Pitiviers, soit à Beaune-la-Rolande. Alors arrêtés, emmenés à Pitiviers, emmenés en train avec d'autres, et de là... On leur propose de venir travailler à l'extérieur dans des chambres, puis il y avait un tas de choses à faire et il n'y avait pas d'ouvriers. Donc ils sortaient dans la journée et rentraient le soir. Et on avait un ami qui habitait Paris à l'époque, il a pris le train avec deux vélos, il savait où il était, il l'a attendu, il lui a fait signe, et mon frère s'est amené le rejoindre, ils sont rentrés à Paris. Et alors là, il a été caché chez une cousine, le temps qu'on lui fasse des faux papiers et qu'il puisse partir en zone libre. Il va pour partir en zone libre. Il est avec ma mère qui ne l'a pas lâché. Je t'accompagne. Elle était terrible. Et quand ils sont sur le quai de la gare, ils voient des inspecteurs en civil qui demandent des papiers. Et ma mère, elle avait l'étoile juive. Alors elle le prend contre elle et lui dit tu m'embrasses sur la bouche Et c'est ce qu'il a fait. Et les flics sont passés en vianinque et dit la vieille salope Je vais vous dire, ma mère, elle a toujours eu le… Au moment où il fallait la voir, elle avait toujours le déclic. Et à Villefranche-de-Rouergue, dans l'Aveyron, papa avait son frère qui avait été démobilisé. Et comme mon frère partait en zone libre... Il a été là-bas, mais comme il avait des faux papiers, il ne pouvait pas tellement non plus être ensemble. Et comme il avait 20 ans, il y avait des camps de jeunesse, on appelait ça. Et on mobilisait, mais il est français, et il a été mobilisé. Alors à chaque fois, il nous disait, quand il y avait des visites médicales, il était circoncis, ce n'était pas drôle. Et en même temps, il a travaillé pour l'armée juive. Tout un contexte qui était organisé sur Toulouse, sur Grenoble, et il travaillait, ça s'appelait Agi, et il a travaillé pour eux, et puis pour faire passer des gens, et à la fin, comme ça devenait très dangereux, avec mon plus jeune frère, ils sont partis en Espagne. Entre 1941 et 1942, il y avait des rafles dans certains quartiers, mais ce n'était pas tout le monde. Déjà une chose, c'est qu'on n'aurait pas dû se déclarer au commissariat de police. On nous convoquait. C'est mon père qui décidait. On y a été et on a eu droit à l'étoile jaune. Mon père m'avait fait un beau manteau marron. Ça allait très bien ensemble. La gardienne de l'immeuble nous a donné une petite chambre au quatrième étage. On a dit si on entend quelque chose pour mon père et mon frère qui allaient avoir 17 ans. On a dit on verra si par hasard il y a quelque chose, vous montrez là-haut. Et c'est ce qui s'est passé. Juillet 1942, la veille on entend parler. Papa ne s'est pas couché, il est resté habillé à la fenêtre toute la nuit. Et vers 5h du matin, il avait plein d'inspecteurs, pas des agents, plein d'inspecteurs descendre, puis aux 32 rues Ramponneau, en face, pratiquement il y avait 90% de juifs. Et dans notre immeuble, à nous, aux 33, il y avait que nous, comme juifs, à l'époque. Donc qu'est-ce qu'on fait quand on voit les inspecteurs Je monte avec eux, je les enferme et je descends. Et on reste à la maison. peut-être un quart d'heure après, vingt minutes après, il frappe à la porte et il demande Monsieur Mandelbaum Ma mère, toujours pareil, Monsieur Mandelbaum Oh ben alors, je ne sais pas où il est, il y a longtemps qu'il m'a laissé tomber. Bon alors, laissez-nous rentrer. Il rentre, il se salle dans la salle à manger. Eh ben, préparez-vous toutes les deux. Alors là, jamais on n'aurait pensé qu'on prendrait les femmes et les enfants. La première des choses qu'elle fait, ma mère, elle savait qu'il y avait un petit peu d'argent, elle le met dans un costume de mon mari. On n'avait pas beaucoup d'argent, on était plutôt fauchés. Ma mère me dit tu fais pas de bruit Elle prend les clés de la cave. Et on sort par la porte derrière et on descend. Et le grand problème, c'est qu'en prenant la clé, elle a pris la clé centrale, mais elle n'a pas pris la clé de notre cave. Et puis, ce n'est pas ça. C'est qu'au premier étage habitait un agent, un flic, alors un vrai flic. Et lui, il était levé à 6 heures du matin. Donc ils sont venus nous prendre et alors ils nous disent maintenant vous avez cinq minutes pour vous préparer, vous avez voulu vous sauver, et bien voilà. Et je me souviens, on n'avait pas de valise, on n'avait rien. Pourquoi faire la valise On prenait des vacances Quelles vacances Vous n'avez pas connu cette période Personne ne peut comprendre. Et je me rappelle comme maintenant, comme on n'avait rien, ma mère a dit Écoute, pour ce qu'on va y mettre, elle a pris une taie d'oreiller et elle a mis un pull, un truc, un machin, rien. Et elle a pris ça sur son dos. Voilà comment on est partis. Et on a monté toute la rue Ramponneau, toute la rue de Belleville. Et quand je passe là, je vois l'endroit d'où on est sortis. Et dans la rue des Pyrénées, il y avait un parking. On nous amène là. Et là, on voit un tas de gens qu'on connaît. J'ai une cousine du côté de mon père qui arrive en chemise de nuit avec ses deux enfants parce qu'elle ne voulait pas se laisser prendre. Elle ne voulait pas. Je ne veux pas, je ne partirai pas. Alors il l'a emmené comme ça. On voit des gens très stoïques qui sont assis sur une valise, qui font des tartines aux enfants, puis d'autres qui s'arrachent les cheveux de la tête. Et puis tout ce qu'on pouvait voir qui était en haut. Et devant, il y avait déjà les bus. Et alors, si vous voulez, venez monter dans les bus, il y aura du lait pour les enfants. Ils nous achetaient. Et tout d'un coup, on entend un haut-parleur, Les enfants nés en France et ayant 16 ans inclus sont libérables. Alors moi, j'allais avoir 16 ans en décembre. Ça, c'était en juillet. Alors ma mère m'a dit, Tu entends J'ai dit, Mais maman, j'ai pas 16 ans. Arrête Elle me prend par la main et elle avait repéré un inspecteur qui avait un chapeau, je me rappelle. On sentait une humanité chez cet homme. Et elle lui dit Ma fille a 16 ans. Alors je dis Non, j'ai 15 ans et demi. Alors il me regarde et il me dit Tu te mets près de moi et tu ne bouges pas. Alors je dis Moi, je ne bouge pas, mais je ne bouge pas sans ma mère. Vous m'embêtez, toutes les deux. Bougez pas de là. Et puis il y avait une troisième personne, une jeune fille, qui figurez-vous vit toujours, avec qui je correspond. Elle a un an de plus que moi, puisque elle, sa mère était là, elle a été déportée, et elle, elle est sortie avec nous. Nous étions les trois personnes qui sommes sorties. On sort de là, tous les autres étaient dans les bus et partaient au Veldiv. Ils nous emmènent dans un autre parking qui n'était pas loin. Et là, à nouveau, plein de monde, et surtout des gens qu'on connaissait du quartier. c'est-à-dire de la rue Ramponneau, des voisins. La coiffeuse, je m'en rappelle comme maintenant. Et lui, il me dit Toi, tu viens avec moi. Il m'emmène au fond, il y avait des toilettes, il cherche nos fiches, il les déchire et il tire la chaise. Quand on revient, j'entends ma mère qui, parce que les femmes, je disais Mais vous êtes libérée, qu'est-ce qui se passe Ma mère, qui avait toujours l'homme qui fallait, Je suis enceinte. Alors, elle est partie enceinte. Elle est sortie. Et nous sommes toutes les trois sorties. Et on est restées vivantes toutes les trois. Le lendemain, je suis sur le boulevard de Belleville. Et il me reconnaît. Il me voit. Il était là. Il vient vers moi. Il me dit Qu'est-ce que tu fais encore ici Partez Ne restez pas Vous vous rendez compte Il fallait que mes parents partent, quittent Paris. Donc il faut trouver une cachette pour mes parents. Mes parents venaient d'acheter un terrain à Savigny-sur-Orge, et il n'y avait même pas de maison, il y avait une espèce de bicoque en attendant de pouvoir bâtir. Enfin, il n'y avait vraiment pas d'eau, pas d'électricité, rien. Et on part en bus, parce qu'il n'y avait pas autre chose. Il fallait changer, je me rappelle, à Châtelet, Porte d'Italie, le bus de la Porte d'Italie. jusqu'à Savigny-sur-Orge. On les emmène là-bas, ils s'installent derrière la maison, pas de feu à faire, rien du tout, de toute manière on est au mois de juillet, mais même pour manger, rien, parce qu'il n'y avait pas le gaz et l'électricité, il ne faut pas me croire. Il n'y avait même pas de toilette, je crois, je ne pouvais pas savoir si c'était, mais on était heureux, heureux comme un juif en France. Bon, et alors, donc, après ça, qu'est-ce qu'il fallait C'était de trouver un passeur pour que mes parents puissent partir en zone libre. Ça s'est passé le 18 août. S'est greffé avec nous un cousin lointain de mon père qui était dans le coin et encore un monsieur. C'était des camions énormes avec des espaces énormes et dans cet espace énorme, il y avait des lames de parquet qui se levaient et c'était comme un cercueil. Mon père et ma mère, dans un des… soulevaient le parquet et l'autre, il y en avait un autre, il devait y avoir que mon frère et moi, mais comme il y avait deux personnes de plus, elles en étaient avec nous. Donc on était à quatre là-dedans. On entend parler en allemand, on entend les chevaux qui hennissent, et à un moment donné, ils viennent nous chercher. Voilà, on est arrivé, vous êtes libre. Oui, on a été libre, on a fait un kilomètre et il y avait des gendarmes qui nous attendaient. Donc, ils nous emmènent au commissariat de police de Saint-Florent-sur-Cher. Ils nous logent dans un immeuble en construction. À l'époque, c'était au mois d'août, ça allait, mais on est restés jusqu'en décembre. Il n'y avait pas de chauffage, il n'y avait pas d'électricité, il n'y avait pas de lit, il n'y avait rien. Mon plus jeune frère qui était avec nous, comme lui était français et qu'on n'avait pas d'argent, il fallait manger. Il est parti dans la Creuse pour travailler au charbon de bois parce qu'il y avait des endroits là-bas où on faisait ça. Donc il avait 17 ans, mais très courageux et puis de toute manière, il fallait y aller. Moi, pour gagner un petit peu d'argent, j'avais appris à roulotter des mouchoirs, mais j'avais froid aux mains. C'était calvaire. Bon, et alors mon père dans un camp, et très peu de temps après, 8-15 jours après, ma mère emmenée dans un autre camp, et moi, je ne sais pas où aller. Mon frère est sur des faux papiers, le grand, l'aîné, le jeune, je suis allée le voir, mais il était avec des copains, et qu'est-ce que vous vouliez que je fasse là-bas Je ne pouvais pas aller travailler au charbon de bois. J'ai accompagné ma mère au camp et j'ai vécu dans le camp avec elle, mais libre. Et le camp de Doidic, c'était un camp de rassemblement, il y en a eu beaucoup. On complétait le camp et hop, on le déportait, on le ramenait à Drancy et on partait. Mon père, il a été dans un autre camp, au camp de la messe d'ailleurs. Si je me souviens bien, j'avais même donné, il y avait des chansons qui m'avaient. de la mezze non pas loin de limoges aux portes de la mezze il n'était pas rose nous n'étions pas à l'aise il y avait des baraquements qui sont ouverts à tous les vents aux portes de la mezze puis là il y en avait d'autres c'est papa qui m'avait donné tout ça en entrant au camp il n'était pas à l'aise au nom des habitants couché sur des lits étroits ils avaient tous un peu très froid au dortoir du camp cette drôle d'histoire de notre vie au camp reste en ma mémoire malgré les jours lésants mais il nous faut espérer qu'elle va vite se terminer notre belle vie au camp pendant ce temps-là on avait un ami qui habitait nîmes Et on pouvait obtenir, avec un certificat d'hébergement, de partir quelques jours pour voir la famille. On est partis, et quand on arrive à Nîmes, vous pensez bien qu'on n'allait pas retourner au camp. On ne retourne pas à Douadik. Ah ben non De Nîmes, on est revenus à Villefranche, où mon frère nous a trouvé une chambre. Mais vous savez où il a trouvé une chambre C'est un ancien bordel. Alors, des fois, à une heure du matin, vous savez, ce n'était pas des sonneries, rien, il y avait un marteau, taper avec le marteau. Et puis alors, je me souviens de cette pièce, c'était une immense chambre avec un énorme lit, mais on dormait tous les trois dans le lit, maman, mon plus jeune frère et moi. Alors, mon père était toujours dans le camp et un jour, ayant deux enfants français, on lui a donné une permission d'huit jours. Et quand il est venu nous voir, on ne l'a pas reconnu. il fait peur il a une petite barbiche il avait maigri alors qu'il était plutôt rond c'était terrible alors il se préparait à repartir on lui a donné une permission il peut pas faire autrement faut qu'il reparte alors mon frère lui a dit tu veux repartir tiens tu peux plus repartir maintenant il l'a déchiré la permission On a eu une chance à chaque fois. Une famille de cinq qui revient complète, ça n'existe pas beaucoup. J'ai eu une chance exceptionnelle. Quand nous, on est partis avec ma mère du camp de Dois-Dix, le lendemain, il a été entièrement emmené. et déporté. Un jour c'est le nord, et le nord c'est le nord. C'est ça. Une heure avant la nuit, c'est pas la nuit.